Hennette-Vauchez, S., Möschel, M., Roman, D. (dir.), 2013, Ce que le genre fait au droit, Dalloz, Paris.
Hennette-Vauchez, S., Pichard M., Roman, D. (dir.), 2014, La loi et le genre : études critiques de droit français, CNRS Éditions, Paris.
Charles Bosvieux-Onyekwelu et Véronique Mottier (dir.), Genre, droit et politique, LGDJ, Paris, 2022, 264 p.
1Au cours de la dernière décennie, l’analyse du caractère genré du droit — qu’il s’agisse de son rôle dans la reproduction et la légitimation des inégalités de genre ou, au contraire, dans l’émancipation des femmes et autres minorités de genre — a bénéficié d’une forte dynamique de recherche en France. Pas moins de trois projets financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) y ont été ainsi consacrés (p. 19). Le programme REGINE (Recherches et études sur le genre et les inégalités en Europe), actif de 2011 à 2016 et qui donna lieu à la publication de deux ouvrages collectifs (Hennette-Vauchez et al., 2013, 2014), est en cela représentatif de l’essor de cette thématique de recherche (p. 19).
2Le présent ouvrage s’inscrit dans cette dynamique de recherche. Il présente la particularité de rassembler une majorité de contributions de sociologues et de politistes. Seules deux contributions sont signées par des juristes. Ce choix éditorial est justifié comme relevant d’une volonté de ne pas laisser le monopole de l’analyse du droit aux seuls juristes (p. 20). Le caractère interdisciplinaire de l’ouvrage est accentué par son objet d’étude, le genre, particulièrement propice à « faire dialoguer les disciplines entre elles » (p. 22). Les contributions, aux thématiques par ailleurs variées (la mention du sexe à l’état civil, le droit antidiscriminatoire, la répression de la délinquance, les violences sexuelles, les féminicides, etc.), se rejoignent sur l’attention portée à la dimension politique du droit, dans une approche critique de celui-ci. La structure de l’ouvrage s’organise d’ailleurs autour du caractère « biface » du droit (p. 23), envisagé comme moyen, tout à la fois, de domination et d’émancipation.
3La première partie des contributions interroge la manière dont le droit produit du genre et contribue ainsi à la (re)production de la dichotomie femmes-hommes et des inégalités de genre. Dans son étude sur l’introduction de la notion d’identité de genre en droit français, Alexandre Jaunait montre comment le droit contribue à forger les identités sociales, à commencer par celles qui forment les différents éléments du « soi sexué » (p. 44). Analysant les répercussions de la démédicalisation des procédures de changement de sexe à l’état civil, il démontre non seulement que cette réforme redéfinit les frontières de la transidentité, mais aussi que la reconnaissance juridique de l’identité de genre — initialement envisagée comme outil de lutte contre les discriminations transphobes — contribue à la formation d’une nouvelle catégorie identitaire : les personnes cisgenres. On a là un exemple de la manière dont le droit, de par ses effets performatifs, contribue à la production du genre.
4Dans une autre perspective, la contribution d’Amélie Bescont et Taïana Marcon sur les réticences du droit pénal français à pleinement reconnaître les crimes féminicides est un cas d’école sur la manière dont le droit invisibilise le caractère systémique de ces violences ancrées dans les rapports sociaux de sexe, confortant ainsi l’ordre de genre.
5La mise en œuvre du droit donne elle aussi lieu à une (re)production du genre, comme le montrent Kathia Barbier et Arthur Vuattoux dans leurs contributions respectives sur la sous-représentation des femmes dans les statistiques de la délinquance et sur le parcours judiciaire différencié des mineurs selon leur inscription dans les rapports sociaux de sexe et de race. Tous deux mettent en avant le rôle des acteurs de la chaîne judiciaire dans la (re)production des représentations de genre associant masculinité et délinquance. Kathia Barbier analyse par exemple les mécanismes contribuant à ce que les femmes soient rarement poursuivies dans les affaires de stupéfiants. Dans son étude de la justice des mineurs, Arthur Vuattoux montre que les jeunes filles font plus souvent l’objet d’un protocole de suivi sanitaire que les garçons : là où leur déviance est pathologisée, celle des garçons est davantage normalisée car répondant aux attentes de genre. On peut voir que si les représentations de genre influencent les pratiques des professionnels du droit, ces derniers participent également à leur co-construction.
6Enfin, Marion Flécher, Muriel Mille et Gabrielle Schütz montrent que le droit — entendu ici au sens de champ professionnel — donne lieu à une division sexuée du travail, au travers de leur analyse des facteurs concourant à la sur-représentation des femmes exerçant comme avocates en droit de la famille.
7Le second volet des contributions aborde la juridicisation croissante des inégalités de genre sous l’angle de son potentiel émancipateur. L’article de Stéphanie Hennette-Vauchez établit un panorama des avancées permises par le droit en matière de genre et des limites sur lesquelles il bute. Dans les avancées étudiées, notons la condamnation des discriminations basées sur l’orientation sexuelle et l’introduction de la possibilité de changer de sexe à l’état civil. Quant aux limites, elles portent avant tout sur la réticence du droit à subvertir la binarité sexuée.
8Interrogant les modalités juridiques de lutte contre les inégalités de genre, plusieurs contributions analysent les difficultés propres au fait de devoir saisir le genre en droit. Dans son article sur l’intégration des violences sexuelles et de genre dans les crimes poursuivis par la Cour pénale internationale, Jane Freedman revient sur les concessions politiques ayant dû être faites autour de la définition du terme « genre » au statut de Rome, et les limites et opportunités interprétatives qu’offre cette définition. Dans leurs articles respectifs, Réjane Sénac et Bruno Perreau s’interrogent quant à eux sur certaines tensions inhérentes à l’usage du droit comme outil de lutte contre les discriminations. Si reconnaître en droit des identités discriminées est un premier pas pour lutter contre les inégalités, cela contribue également à figer des catégories identitaires. Comment alors poursuivre en droit la lutte contre les inégalités sans pour autant réifier la binarité sexuée ou toute autre catégorie identitaire, toujours nécessairement en décalage avec les identités vécues ? Telle est la question à laquelle tentent de répondre ces deux contributions de théorie politique.
9Si la juridicisation croissance des inégalités de genre a permis de faire du droit une ressource du changement, encore faut-il que les acteurs s’en saisissent. Les contributions portant sur les usages du droit parviennent, sur ce point, à des conclusions en demi-teinte. Lison Guignard montre ainsi que l’adoption du protocole de Maputo, traité international relatif à la protection des droits des femmes en Afrique, n’a pas donné lieu à la judiciarisation attendue : sans saisine des tribunaux régionaux compétents, aucune sanction n’est prononcée contre les manquements au principe d’égalité. Plus loin dans la chaîne judiciaire, Jane Freedman met en évidence la frilosité des procureurs et juges à poursuivre et condamner les violences sexuelles et de genre, malgré quelques avancées récentes. Enfin, la contribution de Marième N’Diaye explore les usages du droit d’une association sénégalaise engagée dans la cause des femmes. Elle montre que le droit y est mobilisé à la fois à des fins de réforme législative et en vue d’une conscientisation au droit des populations locales grâce à des activités s’inscrivant dans le militantisme de guichet. Il s’agit pour l’association d’informer les femmes de leurs droits, concourant ainsi à leur prise de conscience comme sujets de droit.
10Rassemblant une grande diversité de contributions, aussi bien dans leurs objets que dans leurs ancrages disciplinaires, le présent ouvrage présente un panorama des travaux francophones les plus récents en matière de genre et de droit. Le fait que plusieurs jeunes chercheurs et chercheuses y présentent les résultats tirés de leurs thèses confirme d’ailleurs la vitalité de cette dynamique de recherche. Bien que cela n’enlève rien à la qualité des contributions individuelles, on pourra cependant regretter que l’ouvrage donne l’impression de n’être qu’une juxtaposition de contributions, caractéristique malheureusement courante de ce type d’ouvrage collectif. Le dialogue n’est en effet que minimal entre les différents articles, et les chapitres introductif et conclusif n’encadrent que de manière lâche les problématiques transversales à l’ouvrage. La dimension politique de l’analyse aurait notamment gagné à faire l’objet d’un traitement plus systématique. Enfin, si les contributions analysent les rapports de co-construction entre droit et genre aux différentes étapes de la production normative — sa mise en œuvre comprise —, il aurait été intéressant de poursuivre la réflexion à l’étape de la réception du droit par les citoyens et citoyennes ordinaires. L’étude de ce que la conscience du droit a de genré offre, à n’en pas douter, des perspectives de recherche intéressantes.
Hennette-Vauchez, S., Möschel, M., Roman, D. (dir.), 2013, Ce que le genre fait au droit, Dalloz, Paris.
Hennette-Vauchez, S., Pichard M., Roman, D. (dir.), 2014, La loi et le genre : études critiques de droit français, CNRS Éditions, Paris.
Amélie Corbel, « Charles Bosvieux-Onyekwelu et Véronique Mottier (dir.), Genre, droit et politique », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 66 - n° 3 | Juillet - Septembre 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/46617 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12au0
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