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L’essor des dérogations au repos dominical dans le commerce : un « retour de bâton » des victoires juridiques des syndicats ?

The multiplication of legal exemptions to Sunday rest in retail sector: a “backlash” against legal trade union mobilisation?
Pauline Grimaud

Résumés

Cet article porte sur la multiplication des dérogations relatives au repos dominical dans le commerce depuis les années 1990. L’évolution de la réglementation en la matière résulte principalement de la légalisation de pratiques précédemment jugées illégales. En effet, la mobilisation du droit par les organisations syndicales pour faire respecter le repos hebdomadaire des salarié·es le dimanche a encouragé les directions des grandes enseignes commerciales à riposter sur le terrain politique pour exiger de nouvelles dérogations. L’action de ces entreprises connaît un succès remarquable puisqu’à cinq reprises entre 1993 et 2015, le pouvoir exécutif ou législatif étend les possibilités légales de travailler le dimanche dans le commerce. Pour expliciter la capacité des groupes dominants à contester des décisions de justice contraires à leurs intérêts, l’autrice propose d’importer en France la notion de « retour de bâton » élaborée par des sociologues du droit américains. Cette notion permet de comprendre comment les victoires judiciaires des organisations syndicales des salarié·es ont incité les directions des grandes enseignes à se mobiliser pour obtenir la légalisation de leurs ouvertures dominicales. Quant aux syndicalistes, ils et elles renouvellent leur investissement dans l’arène judiciaire, car leurs nombreux succès sur ce terrain-là augmentent leur crédit et leur audience auprès des salarié·es.

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Notes de la rédaction

Premier manuscrit reçu le 2 septembre 2022 ; article accepté le 28 février 2024.

Notes de l’auteur

Je tiens à remercier chaleureusement Jérôme Pélisse, Vincent-Arnaud Chappe, les relecteurs et relectrices du comité de rédaction de Sociologie du travail ainsi qu’Anne Bertrand pour leurs précieux conseils aux différentes étapes de la rédaction de cet article.
 

Texte intégral

1En France, l’extension des horaires de travail des salarié·es est un phénomène qui a concerné de nombreux secteurs ces trente dernières années, bien au-delà du seul commerce. Si cette dynamique prend un caractère particulier dans ce secteur, c’est parce que le recours croissant au travail dominical y a suscité de multiples conflits, singulièrement visibles à l’échelle nationale. Ainsi, les « batailles du dimanche » se concentrent dans le commerce de détail (Boulin et Lesnard, 2017) qui ne réunit pourtant que 6 % des travailleuses et travailleurs dominicaux (Létroublon, 2016).

2Cette conflictualité autour du travail dominical dans ce secteur est ancienne et s’avère même être au cœur des débats sur la loi du 13 juillet 1906 qui institue le repos hebdomadaire le dimanche pour l’ensemble des salarié·es. Alors que la plupart des travailleurs et travailleuses de l’industrie bénéficient à la fin du XIXe siècle du repos dominical, ce n’est pas le cas de celles et ceux du commerce. Le mouvement syndical dans ce secteur, avec notamment la première Chambre des employés du commerce et d’industrie créée en 1869, fait justement du repos hebdomadaire le dimanche l’un de ses principaux combats (Da Silva, 2013). Après plusieurs projets avortés, la loi de 1906 est en fin de compte votée à la suite d’une succession de mobilisations des employé·es du commerce, avec des manifestations déterminées et parfois violentes (Beck, 1998). Pourtant, elle ne met pas fin à la conflictualité en la matière : la plupart des commerçant·es refusent de s’y soumettre, soit en exigeant de bénéficier de dérogations, soit en se plaçant dans l’illégalité. Or, face à cette mobilisation du petit patronat du commerce, la loi, en tant qu’instrument de régulation, est défaillante à tous les niveaux : multiplicité de règles dérogatoires qui rend les contrôles complexes, corps d’inspection du travail trop faible pour couvrir l’ensemble des établissements, justice laxiste vis-à-vis des délits relatifs au repos hebdomadaire… Finalement, si 93,2 % des entreprises industrielles accordent le repos hebdomadaire le dimanche en 1913, c’est le cas de moins d’un tiers des boutiques (Beck, 1997). Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale que le repos dominical devient une réalité pour les salarié·es du commerce, sous l’effet conjugué de la limitation progressive de la durée du travail et surtout de la création en 1923 des arrêtés préfectoraux de fermeture qui permettent aux préfets d’ordonner la fermeture obligatoire de tous les établissements d’une profession dans une région donnée à partir du moment où les syndicats patronaux et ouvriers de la profession en question dans ladite région se sont mis d’accord sur le jour de repos hebdomadaire.

3Toutefois, à partir des années 1960, les conflits autour du travail dominical resurgissent au moment de l’essor des grandes enseignes spécialisées (ameublement, bricolage, etc.) qui font le choix de gagner des parts de marché (au détriment du petit commerce) en installant leurs établissements en périphérie des centres-villes, avec des horaires d’ouverture étendus, notamment le dimanche. Si ces nouveaux acteurs commerciaux ne parviennent pas à changer la loi en leur faveur, ils réussissent néanmoins à maintenir dans les faits leurs magasins ouverts le dimanche, y compris illégalement (Jacques, 2015), grâce à la tolérance des pouvoirs publics (Massé, 1980 ; Pélisse, 2004) et des sections syndicales locales.

4Dans les décennies suivantes, de plus en plus de directions de grandes enseignes décident de multiplier les ouvertures dominicales illégales, car ces pratiques s’avèrent très efficaces pour s’imposer face aux entreprises concurrentes. Les conflits sur le sujet entre les représentant·es de ces enseignes et les organisations syndicales de salarié·es ou du petit patronat du commerce s’intensifient et prennent un tournant judiciaire qui leur donne une ampleur médiatique nationale. Or, les militant·es en faveur du repos dominical obtiennent régulièrement satisfaction sur le terrain de la justice. Cependant, le législateur choisit à cinq reprises à partir des années 1990 de rendre légales des pratiques qui avaient été précédemment jugées illégales en étendant sensiblement les possibilités de travailler le dimanche pour les salarié·es du commerce. Ainsi, si la contestation patronale du repos dominical dans le commerce est très ancienne et a souvent pris la forme d’ouvertures illégales, on assiste à une extension récente des dérogations au repos dominical qui n’avaient que très peu évolué tout au long du XXe siècle. Dans quelle mesure la multiplication des dérogations s’explique-t-elle par une judiciarisation croissante des affrontements entre patronat et syndicats du commerce sur le travail dominical ? J’entends répondre à cette question à partir d’une analyse approfondie des litiges et des mobilisations sociales autour du travail dominical dans le commerce de détail (encadré 1).

  • 1 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, (...)

5Cet article interroge les effets ambivalents de la judiciarisation de ces conflits. D’un côté, le recours aux tribunaux permet à celles et ceux qui défendent le repos dominical de contester la légalité des pratiques des grandes enseignes, renforce la crédibilité des requérant·es et accroît la visibilité de leur combat. De l’autre, en réaction à leurs déboires judiciaires, les directions des grandes enseignes investissent — avec un succès remarquable — d’autres arènes que celle de la justice, notamment le terrain politique pour réclamer une nouvelle législation. Afin de prendre en compte les actions et réactions des deux parties du litige, je souhaite mobiliser la notion de « retour de bâton » élaborée par des sociologues du droit américains. Cette notion a suscité de nombreuses discussions académiques aux États-Unis et mérite d’être importée en France pour étudier les mobilisations du droit (partie 1). En l’occurrence, elle permet de montrer que les mobilisations du droit des organisations syndicales de salarié·es contre le travail dominical ont encouragé en retour les directions des grandes enseignes à riposter et ont abouti finalement à une extension répétée des possibilités légales de travailler le dimanche (partie 2). L’analyse approfondie des mobilisations précédant l’élaboration de la loi Macron de 20151 éclaire plus finement la manière dont les victoires juridiques se transforment en déboires politiques pour les organisations syndicales (partie 3).

Encadré 1. Présentation du matériau d’enquête
Cette contribution s’appuie sur une enquête, menée dans le cadre d’une recherche doctorale, qui combine trois types de source écrite (archives syndicales, sources réglementaires et articles de presse) et des entretiens. D’abord, j’ai dépouillé les archives syndicales du « comité de liaison intersyndical du commerce de Paris » (Clic-P), créé en 2010 par les six principales organisations syndicales du secteur pour lutter contre le recours croissant au travail dominical et nocturne dans les grandes enseignes de la capitale. Dans le cadre d’une observation ethnographique au long cours (2015-2018), j’ai eu accès à l’ensemble des documents (communiqués, courriers aux autorités, tracts, ordres du jour, comptes rendus de réunions…) produits par cette intersyndicale très active dans les années qui précèdent la loi Macron de 2015, aux dossiers juridiques sur lesquels les militant·es et avocat·es s’étaient investi·es, ainsi qu’à leur correspondance écrite (courriels). En plus des documents de l’intersyndicale, les relations nouées avec ses membres m’ont permis de consulter les archives des structures syndicales qui avaient mené des procédures judiciaires sur le travail dominical avant 2010. En complément, je mobilise des sources réglementaires, en particulier des décisions de justice, mais aussi des sources gouvernementales, parlementaires et administratives (projets et propositions de loi, rapports, circulaires, etc.) afin d’étudier précisément les litiges sur le travail dominical dans le commerce et l’évolution de la réglementation en la matière. Le troisième type de source écrite correspond aux nombreux articles de presse (nationale et régionale) qui portent sur les conflits et négociations autour du travail dominical dans le commerce. Ce corpus de presse s’est révélé d’autant plus précieux que les litiges sur ces enjeux ont bénéficié d’une large couverture médiatique et peuvent être qualifiés de « manifestations de papier » (Champagne, 1984) dans lesquelles la presse constitue un terrain de lutte central entre les syndicalistes et les représentant·es du patronat. Enfin, j’exploite aussi des entretiens réalisés auprès des actrices et acteurs (n=63) engagés dans ces mobilisations (syndicalistes, représentant·es de direction, professionnel·les du droit et personnel politique).

1. Pour l’importation de la notion de « backlash » dans l’étude des mobilisations du droit

6Dans le sillage des critical legal studies, des chercheuses et chercheurs américains ont mis en avant l’idée que les mobilisations du droit pouvaient avoir des effets contre-productifs. En particulier, certain·es ont proposé — non sans de nombreuses controverses à ce sujet — la notion de « retour de bâton » pour qualifier la mobilisation conservatrice consécutive aux décisions judiciaires obtenues par des militant·es de mouvements sociaux (sous-partie 1.1). Pourtant largement inspirée des travaux états-uniens, la sociologie du droit française ne reprend ni ne discute la thèse des retours de bâton potentiels des verdicts des tribunaux, alors même que les débats autour des effets ambivalents des usages du droit existent bien, en particulier dans le champ syndical hexagonal. Dans le cadre de cette contribution, je propose justement d’importer cette notion pour étudier des mobilisations du droit du travail en France (sous-partie 1.2).

1.1. Une notion très débattue aux États-Unis

  • 2 National Association for the Advancement of Colored People (littéralement, « association nationale (...)

7Aux États-Unis, la question du recours au droit comme outil de transformation sociale est l’un des sujets les plus controversés de la littérature académique depuis plusieurs décennies (Evan, 1965 ; Barkan, 1980). En effet, les chercheurs et chercheuses en sociologie du droit ont intensément — et avec une certaine régularité — débattu de la possibilité de réforme sociale par les décisions judiciaires (change through litigation) et plus largement des effets variables des mobilisations juridiques. L’histoire politique états-unienne, en particulier depuis les années 1950, est marquée par des mouvements sociaux réclamant de nouveaux « droits » (notamment les droits civiques des Noir·es américain·es ou le droit à l’avortement pour les femmes). Or, ces conflits ont été scandés par des décisions de la Cour suprême des États-Unis qui ont été amplement discutées. Dès 1974, Stuart Scheingold évoque le « mythe des droits » pour décrire la croyance répandue selon laquelle l’énonciation de droits serait suffisante pour assurer leur effectivité (Scheingold, 1974). Ce « mythe » a ainsi alimenté de nombreuses stratégies juridiques de la part de militant·es investi·es dans des mobilisations sociales. Inspiré des critical legal studies qui voient dans le droit un outil au service des puissants afin de légitimer et faire perdurer le statu quo, plusieurs travaux en sciences sociales ont montré le faible impact des décisions judiciaires pour l’avancée de nouveaux droits. Dans son ouvrage retentissant intitulé The Hollow Hope (que l’on peut traduire par le « faux espoir »), Gerald Rosenberg (1991) indique ainsi que les arrêts de la Cour suprême les plus connus de l’histoire états-unienne n’ont pas produit les effets escomptés ou qui leur sont en général attribués, car ils n’ont pas été appliqués par les États. Pire, selon l’auteur, l’investissement des militant·es sur le terrain de la justice — comme celles et ceux de la NAACP2 — aurait été coûteux en ressources militantes et monétaires et aurait détourné le mouvement des droits civiques d’autres stratégies de lutte plus efficaces.

  • 3 Le 18 novembre 2003, la cour suprême du Massachusetts (Goodridge versus Department of Public Health(...)

8Quelques chercheurs et chercheuses soutiennent même la thèse du « retour de bâton » (backlash) de certaines décisions judiciaires. C’est le cas, par exemple, de Michael Klarman à propos du fameux arrêt Brown versus Board of Education of Topeka de 1954 contre la ségrégation scolaire. Selon lui, cette décision n’a non seulement pas eu d’application effective dans les États concernés, mais a surtout provoqué une mobilisation massive des personnes blanches du Sud en faveur de la suprématie blanche, qui ont entraîné derrière elles tous ceux et celles qui voulaient défendre le droit des États contre la contrainte fédérale (Klarman, 1994). Suivant cette thèse, l’arrêt Brown a radicalisé le personnel politique du Sud, de plus en plus enclin à l’intransigeance raciale et à l’usage de la violence à l’encontre des militant·es noir·es, comme en témoignent les manifestations férocement réprimées de Birmingham en 1963 et de Selma en 1965. Or, les scènes de violence de la part de la police contre les militant·es pacifiques furent largement relayées dans les médias nationaux. Elles incitèrent alors les personnes blanches du Nord à sortir de la relative indifférence vis-à-vis du mouvement des droits civiques et à le soutenir plus franchement, amenant le gouvernement fédéral, jusque-là très timoré en la matière, à adopter une nouvelle législation à partir de 1964 (Klarman, 1994). Si cette argumentation ne convainc initialement pas Gerald Rosenberg (1994), celui-ci reprendra, dans la seconde édition de The Hollow Hope, la thèse du retour de bâton pour plusieurs des litiges étudiés (Rosenberg, 2008) tandis que Michael Klarman l’étendra également à d’autres mobilisations juridiques, comme celle en faveur de l’avortement ou du mariage de couples homosexuels (Klarman, 2005, 2013). Sur ce dernier point, Michael Klarman attribue même la victoire de George W. Bush à l’élection présidentielle des États-Unis en 2004 à l’offensive réactionnaire dans l’Ohio consécutive à l’affaire Goodridge3.

9Cette thèse du retour de bâton de certaines victoires judiciaires obtenues par des militant·es des mouvements sociaux a pu être l’objet de critiques à deux niveaux au moins.

10D’abord, le caractère effectivement contre-productif de la stratégie judiciaire pour de nouveaux droits a été mis en cause à partir de l’examen de cas particuliers. Ainsi, même dans le cas de la lutte LGBT qui a suscité une importante contre-offensive réactionnaire, plusieurs sociologues ont souligné que la mobilisation juridique des militant·es pour la cause des lesbiennes et des gays a parfois été profitable de façon directe en permettant des réformes politiques dans certains États (décriminalisation de la sodomie consentie, lois contre les discriminations, mariage homosexuel…), et de manière indirecte en augmentant les attentes des personnes concernées (Keck, 2009) ou par la « mise à l’agenda » de cette question (Eskridge, 2002). De plus, Thomas Keck (2009) contredit les analyses de Gerald Rosenberg et Michael Klarman qui accusent les militantes et militants libéraux d’avoir « succombé à l’attrait du litige », au détriment de stratégies moins « glamour » telles que la mobilisation politique pour soutenir leur cause (Rosenberg, 2008, p. 419 et 430, traduction libre). En effet, il montre que les organisations de défense des droits des personnes LGBT ne sont en général pas à l’initiative des litiges quand ces derniers ont lieu dans un contexte très défavorable. Il s’agit plutôt d’individus ou de couples homosexuels qui ont cherché à défendre leurs droits devant les tribunaux et la question pour les organisations de défense des LGBT était de savoir si elles laissaient ces plaignant·es seul·es ou si elles choisissaient de les soutenir et de mettre leurs ressources à leur disposition (Keck, 2009). De même, Michael McCann étudie une mobilisation juridique en faveur de l’équité salariale entre les hommes et les femmes dans les entreprises à partir de la fin des années 1970. Dans ce conflit, les recours devant les tribunaux sont loin d’impliquer systématiquement — ni même majoritairement — des effets négatifs sur la satisfaction des revendications militantes (McCann, 1994).

  • 4 Dans cette perspective, les normes et les institutions juridiques contraignent mais, en même temps, (...)

11Un autre niveau d’objection à la thèse du retour de bâton porte, non pas sur l’interprétation des conséquences des stratégies judiciaires dans tel ou tel mouvement, mais sur la méthode et la perspective de recherche adoptées par ses promoteurs. Michael McCann (1992) est le principal auteur qui émet cette critique dès la publication de la première édition du livre de Gerald Rosenberg. Selon lui, Gerald Rosenberg s’intéresse uniquement aux décisions judiciaires dans une analyse centrée sur les tribunaux dont il entend mesurer l’impact (unidirectionnel) direct — par la coercition — ou indirect — par la persuasion morale. À l’inverse d’une démarche qualifiée de descendante (top-down), Michael McCann défend une analyse ascendante (bottom-up) qui implique de prendre en compte les usages du droit hors des tribunaux par des acteurs et actrices non judiciaires afin de voir comment celui-ci affecte aussi les revendications et les stratégies militantes. Dans les années qui suivent, cette discussion entre Michael McCann et Gerald Rosenberg se poursuit, le premier cherchant à repousser le modèle explicatif et positiviste du second au profit d’une compréhension « constitutive » du droit (Rosenberg, 1992, 1996 ; McCann, 1996)4.

12Pourtant, même les chercheurs et chercheuses qui ont fermement contesté les arguments de Michael Klarman et Gerald Rosenberg ont aussi reconnu l’intérêt d’étudier les potentiels retours de bâton des décisions judiciaires. C’est notamment le cas de Michael McCann :

« Les mobilisations juridiques ont généré tout un éventail d’effets à court terme sur les relations sociales, et il faut s’attendre à des conséquences variées également à plus long terme, que ce soient des transformations sociales profondes ou au contraire des retours de bâton. L’attention portée au retour de bâton et au repli sur soi après des mobilisations du droit constitue l’un des domaines les plus importants et les plus intéressants des futures enquêtes pour les chercheurs en sciences sociales qui travaillent sur le droit » (McCann, 2006, p. 35, traduction libre).

13J’entends poursuivre cette suggestion de Michael McCann afin de prendre en compte l’existence de potentiels retours de bâton consécutifs aux mobilisations du droit.

1.2. Proposition d’importer cette notion pour étudier des mobilisations du droit

  • 5 Voir à ce sujet le dossier coordonné par Karen Alter et Michaël Zürn et publié dans la revue Britis (...)

14En parallèle de ces discussions sur les usages du droit dans les mouvements sociaux, le terme de backlash s’est progressivement imposé dans la littérature scientifique et le débat public pour désigner plus largement les mobilisations conservatrices autour des valeurs identitaires (genre, race, immigration…). En la matière, la journaliste féministe Susan Faludi joue un rôle pionnier avec son ouvrage retentissant Backlash: The Undeclared War against Women (prix Pulitzer) paru aux États-Unis en 1991 (Faludi, 1993). Elle y décrit la manière dont la droite conservatrice conteste, depuis le début des années 1980, les droits fraîchement acquis par les femmes à travers une offensive culturelle intense. Dans son acception très large, la notion de backlash a suscité une abondante littérature non seulement pour désigner les courants antiféministes, mais aussi autour du white backlash (Abrajano et Hajnal, 2017) ou plus récemment d’un cultural backlash qui, selon Pippa Norris et Robert Inglehart (2019), serait à l’origine de la montée des populismes autoritaires dans les sociétés occidentales. Certain·es politistes ont également cherché à conceptualiser les backlash politics en tant que dynamique politique conservatrice et ce, indépendamment des sujets spécifiques sur lesquels elles portent qui, eux, peuvent être très variés tels que l’euro en Grande-Bretagne ou l’Obamacare aux États-Unis5.

  • 6 À propos du backlash antiféministe, on peut se référer par exemple aux critiques formulées par Davi (...)

15Sans entrer dans le débat autour de la pertinence de cette notion pour décrire des mouvements conservateurs au poids croissant ces dernières décennies6, je souhaite restreindre dans le cadre de cette contribution l’acception du backlash aux contre-offensives occasionnées par des verdicts de tribunaux. Or, force est de constater que la sociologie du droit française, pourtant largement inspirée des travaux états-uniens, notamment à propos de la « conscience du droit » (Pélisse, 2003, 2005, 2018) et du « cause laywering » (Israël, 2001, 2005), ne reprend ni ne discute la thèse des retours de bâton potentiels des décisions judiciaires dans les mobilisations sociales.

16Le décalage entre un débat foisonnant outre-Atlantique autour de ce sujet et cette absence en France s’explique en grande partie par des histoires politiques et sociales différentes. Comme ailleurs, la justice américaine est une institution qui participe au contrôle des exploité·es et des dominé·es et ainsi au maintien de l’ordre social (Sarat et Grossman, 1975). Pour reprendre l’expression de Marc Galanter, ce sont « toujours » les puissant·es (« the haves ») qui gagnent les procès contre les dominé·es (« the have-nots »), notamment du fait de leur plus grande connaissance de l’arène judiciaire (Galanter, 2013 [1974]). Cependant, le système judiciaire états-unien a quelques spécificités qui en font un terrain privilégié des mobilisations juridiques. En effet, contrairement au droit européen continental, cette justice de common law accorde une place prépondérante à la jurisprudence pour l’application des lois et le contrôle a posteriori de leur constitutionnalité. Les tribunaux constituent donc une source importante de légalité, ouvrant la voie au change through litigation à côté du pouvoir exécutif (change through administration) ou législatif (change through legislation). De plus, le système judiciaire états-unien est un espace dans lequel des individus peuvent exprimer collectivement leurs requêtes (class action). Enfin, les juré·es aux États-Unis ont le droit de décider de ne pas condamner les inculpé·es même quand il existe des preuves de leur culpabilité (jury nullification), s’ils et elles considèrent que les lois s’appliquant à leur cas sont injustes. Ce dispositif facilite ainsi des stratégies de désobéissance civile (Barkan, 1983).

17Certes, le recours au tribunal comme stratégie d’action collective a été variable dans l’histoire des États-Unis, avec par exemple un moment particulièrement privilégié dans les années 1950-1970 puis un rétrécissement durant les deux décennies suivantes (McCann et Dudas, 2006). Cependant, dans ce contexte institutionnel et politique relativement ouvert, les potentialités et les limites des mobilisations juridiques en vue d’un changement social sont l’objet de débats récurrents tant dans le milieu académique que dans les sphères militantes. La thèse du retour de bâton s’inscrit bien dans cette discussion plus générale et exprime le point de vue des plus sceptiques vis-à-vis des mobilisations du droit comme outil de transformation sociale, qu’ils et elles jugent au mieux inopérantes, au pire contre-productives.

18Les mobilisations analysées dans la suite de cet article sont bien différentes de celles qui ont été l’objet des débats aux États-Unis. Initiées par les organisations syndicales de salarié·es, elles visent l’application effective de droits non respectés par les directions d’enseignes. Par rapport aux discussions outre-Atlantique, le décalage est double.

19D’abord, il s’observe sur le plan juridique : d’une part, ces mobilisations du droit ne s’inscrivent pas dans le même système juridique national ; d’autre part, elles portent sur le droit du travail plutôt que sur les droits civiques et civils (concernant le mariage, l’avortement, etc.). Si le système judiciaire français est bien a priori moins propice aux stratégies de contestation sociale par les mouvements sociaux, ces derniers n’en ont pas moins largement investi cette arène, en développant des « usages protestataires du droit » (Agrikoliansky, 2010) comme une « arme » (Israël, 2009) face au pouvoir établi. À cet égard, il est remarquable que les organisations syndicales de salarié·es qui déploient très tôt une forme de « syndicalisme juridique » soient régulièrement traversées par des débats quant à la pertinence du recours au droit et au risque d’institutionnalisation de l’activité syndicale au détriment des stratégies de lutte plus collectives et plus proches des salarié·es (Willemez, 2003). D’ailleurs, les mêmes qui mènent des actions juridiques peuvent également entretenir un rapport extrêmement critique vis-à-vis du droit (Giraud, 2017). De ce point de vue, ces discussions au sein du champ syndical en France font pleinement écho aux débats autour de l’efficacité des mobilisations du droit aux États-Unis. Par conséquent, je défends l’idée que l’importation de la notion de retour de bâton pour étudier les mobilisations du droit du travail en France peut utilement éclairer les effets ambivalents du répertoire d’action juridique et judiciaire.

20Ensuite, la seconde différence tient au fait que les mobilisations du droit étudiées dans le cadre de cette contribution sont de nature défensive plus qu’offensive puisqu’il s’agit surtout de faire observer des droits menacés plutôt que d’en conquérir de nouveaux. Remarquons toutefois que l’illégalité des pratiques des grandes enseignes n’est établie que suite à une intense mobilisation du droit par les syndicats, alors même que ces ouvertures dominicales ont longtemps été couvertes du sceau de la légalité par des autorisations préfectorales complaisantes avec ces entreprises au poids économique non négligeable. De même qu’aux États-Unis, la ségrégation raciale — pour ne prendre que cet exemple — a été jugée anticonstitutionnelle (et donc « illégale ») uniquement à la suite d’intenses mobilisations juridiques, sans que la Constitution elle-même ait changé. Conformément à l’approche des critical legal studies, la définition de ce qui est légal ou illégal dépend non seulement des textes de loi, mais également de leurs interprétation et mise en application qui résultent d’affrontements et des rapports de forces au sein de l’arène juridique et politique. Or, justement, l’intérêt de la notion de retour de bâton est de voir qu’il n’y a pas une stricte homologie entre ces deux arènes. Autrement dit, ce concept permet d’étudier comment les victoires judiciaires des groupes dominés peuvent être transformées en revers politiques quand les groupes dominants en contestent l’effectivité au niveau politique.

21Malgré ces différences, j’émets donc l’hypothèse que la notion s’avère particulièrement pertinente pour saisir comment les succès des groupes dominés — ici les représentant·es des salarié·es — devant les tribunaux incitent les groupes dominants à se mobiliser pour contre-attaquer, que ce soit sur le terrain judiciaire ou médiatique, dans des arènes politiques ou dans l’espace public. Loin de diluer son sens, la transposition de cette notion à cette nouvelle configuration explicite dès lors la dimension proprement politique de cette dynamique, à savoir la capacité des dominants à contester politiquement les décisions des tribunaux contraires à leurs intérêts.

2. Offensive syndicale et retour de bâton patronal dans la lutte contre le travail dominical dans le commerce

  • 7 L’analyse détaillée du dernier cas sera l’objet de la section suivante.

22Alors que les dérogations au repos dominical dans le commerce sont aussi anciennes que la loi de 1906 (Machu et Pélisse, 2019), elles ont peu évolué au cours du XXe siècle malgré la contestation patronale régulière en la matière. Cependant, elles sont significativement étendues à partir du début des années 1990 à la suite d’intenses litiges entre les syndicats de salarié·es et les directions d’enseigne. En effet, à cinq reprises, la mobilisation du droit par les organisations syndicales pour faire respecter le repos hebdomadaire des salarié·es le dimanche encourage une mobilisation adverse de la part des enseignes incriminées, qui aboutit en retour à une extension des possibilités légales de travailler le dimanche. Dans cette section, je présenterai les quatre premiers cas7 où ces affrontements conduisent à un retour de bâton au sens d’une transformation des règles de droit que les syndicalistes cherchaient au contraire à préserver en réclamant leur application effective (sous-parties 2.1 à 2.4). La répétition de cette configuration donne à voir la dynamique auto-entretenue d’extension des dérogations alimentée par la concurrence entre grandes enseignes (sous-partie 2.5).

2.1. La contestation publique des tribunaux : le pari réussi de Virgin (1993)

  • 8 Cité dans « La bataille du disque », Le Monde, 20 mai 1989.

23Le premier cas correspond à la mobilisation autour de Virgin Megastore au début des années 1990. Nouvellement arrivée sur le marché français, cette enseigne britannique de biens culturels cherche à concurrencer la chaîne largement dominante à l’époque sur le territoire national, la Fnac, en créant de gigantesques magasins (des « cathédrales de la musique » et des « magasins-spectacles », pour reprendre l’expression de Patrick Zelnik, le PDG de Virgin France8) qui ouvrent sept jours sur sept, et ce jusqu’à minuit. L’entreprise communique amplement sur ces horaires extrêmement étendus afin d’attirer des client·es.

  • 9 CFDT et CGT pour Marseille et Paris, également avec FO pour Bordeaux.
  • 10 « Mégapub… », Le Monde, 31 décembre 1991.

24Des syndicats de salarié·es ne tardent pas à lancer des procédures judiciaires contre les établissements de Marseille, Bordeaux et Paris pour contester le travail dominical systématique9. Dès 1990, ces initiatives donnent raison, à plusieurs reprises, aux organisations syndicales : il s’agit à chaque fois de procédures de référé qui obligent les établissements à fermer le dimanche sous peine d’astreinte. Toutefois, la direction de Virgin ne respecte pas ces injonctions judiciaires et justifie son attitude en dénonçant publiquement la loi. Chacune des ouvertures contestées est l’occasion pour l’enseigne de s’offrir une « mégapub »10 et se transformer en vitrine politique en faveur de l’ouverture dominicale, où le soutien des salarié·es volontaires pour travailler ce jour-là, ainsi que des client·es présent·es, est mis en scène pour accuser une législation jugée désuète. Dans la foulée d’une opération de ce type où Virgin choisit de maintenir son magasin des Champs-Élysées ouvert malgré une ordonnance de fermeture sous astreinte d’un million de francs, le gouvernement, en la personne du ministre du Travail Michel Giraud, annonce en août 1993 que de nouvelles dispositions légales seront prises dans le cadre de la loi quinquennale pour répondre aux exigences de l’enseigne. Quelques mois plus tard, la loi du 20 décembre 1993 crée des zones dites « touristiques » au sein desquelles les établissements de commerce de détail peuvent désormais avoir une autorisation préfectorale pour ouvrir tous les dimanches jugés nécessaires.

25Ainsi, la bataille menée par Virgin se conclut par la satisfaction de ses revendications puisque tous ses magasins seront inclus dans ces nouvelles zones dérogatoires.

2.2. Un amendement sur mesure pour les enseignes du meuble (2008)

26La polémique réapparaît au cours des années 2000, en particulier autour des enseignes d’ameublement qui ouvrent régulièrement le dimanche en Île-de-France, souvent depuis plusieurs années, quelquefois avec des autorisations, d’autres fois sans.

  • 11 Astreinte qui sera réduite à 30 000 ou 40 000 selon les magasins le 12 janvier 2007 par la cour d’a (...)
  • 12 Citée dans Le Parisien, « FO s’attaque à l’ouverture du dimanche », 15 juin 2007.
  • 13 Conforama doit verser à FO 700 000 euros, Ikea 300 000 euros, Casa 300 000 euros et Alinéa 600 000 (...)
  • 14 Aujourd’hui en France, « Un petit pactole pour FO-Commerce », 7 octobre 2007.
  • 15 Loi n° 2005-67 du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur (...)
  • 16 Par contraction de Conforama et Ikea.
  • 17 Les enseignes concernées n’ont plus besoin ni de demander une autorisation préalable pour ouvrir le (...)

27En 2006, la section Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) d’un magasin Conforama du Val-d’Oise réclame des bonifications salariales pour les employé·es travaillant les deux dimanches de décembre qui tombent la veille des fêtes de fin d’année, les 24 et 31 du mois. Comme cet établissement ne bénéficie d’aucune dérogation au repos hebdomadaire des salarié·es le dimanche, le syndicat menace de recourir aux tribunaux si la direction ne répond pas favorablement à sa demande de prime. Face au refus de la direction de satisfaire cette revendication, l’union départementale de la CFTC met cette menace à exécution : elle assigne l’entreprise en référé devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour l’ouverture dominicale de trois magasins du Val-d’Oise. Elle obtient une ordonnance de fermeture sous peine d’astreinte de 100 000 euros par infraction constatée et par magasin11. Forte de ce succès, la CFTC départementale étend à d’autres enseignes les poursuites pour exiger la fermeture des magasins alentour n’ayant pas d’autorisation. La riposte des directions d’enseignes ne se fait pas attendre : elles mobilisent les élu·es des municipalités pour décrocher des autorisations exceptionnelles et encouragent les salarié·es des magasins concernés à manifester leur soutien au travail dominical. Face à ces difficultés, la CFTC retire les poursuites judiciaires contre ces enseignes, mais cette première action pousse un autre syndicat, l’union départementale Force Ouvrière du Val-d’Oise, à prendre le relais de ces initiatives contre les ouvertures qui ne bénéficient pas d’autorisation. Avec Vincent Lecourt, l’avocat qui travaillait jusque-là pour la CFTC et qui rejoint alors FO, cette organisation attaque également les autorisations préfectorales d’ouverture quand elles sont sans fondement juridique, mettant ainsi en cause l’action de l’État accusé de complaisance vis-à-vis des employeur·euses responsables de « délinquance économique »12. De ce fait, le tribunal enjoint aux plus grosses enseignes de l’ameublement (Conforama, Ikea, Alinéa, But…) de fermer plusieurs de leurs magasins du Val d’Oise sous peine d’astreinte substantielle. Toutefois, la plupart d’entre elles refusent de respecter les décisions judiciaires et transforment les ouvertures dominicales contestées en action militante très médiatisée. Pour riposter, FO réclame — et obtient au moins partiellement — la liquidation des astreintes13, qualifiées de « pactole »14 par plusieurs journaux. En octobre 2007, les directions des principales enseignes de l’ameublement font alors front commun contre FO : elles organisent ensemble une conférence de presse afin d’exiger du gouvernement le droit, pour les magasins de l’ameublement, d’ouvrir tous les dimanches en Île-de-France. Quelques mois plus tard, le gouvernement décide de satisfaire — et même d’aller au-delà de — leurs revendications, en accordant une dérogation sectorielle : il soutient en effet avec succès un amendement à la loi Chatel15, rapidement surnommé « Confokéa »16, qui permet à toutes les enseignes d’ameublement d’ouvrir de manière permanente et sans justification d’aucune sorte17, non seulement en Île-de-France, mais sur tout le territoire hexagonal.

28Avec la loi du 20 décembre 1993, c’est la deuxième fois que le législateur octroie le droit d’ouvrir le dimanche à des enseignes qui étaient jusque-là attaquées pour ces pratiques jugées illégales.

2.3. La « prime aux délinquants » conquise par Plan-de-Campagne (2009)

29Au même moment, l’affrontement entre des organisations syndicales et des directions d’enseignes se déploie également dans certaines zones commerciales, comme à Plan-de-Campagne. Située entre Marseille et Aix-en-Provence, cette zone commerciale — la plus grande de France, pays champion d’Europe pour ce type d’aire où se concentrent les magasins des grandes surfaces spécialisées — ouvre ses commerces tous les dimanches depuis le milieu des années 1960. Après plusieurs années de procédure initiée par une organisation de petit·es commerçant·es du centre-ville de Marseille au nom de la concurrence déloyale qu’elles et ils subissent, la justice invalide en 2001 les arrêtés préfectoraux qui, jusque-là, étaient la couverture légale de ces ouvertures dominicales. Cependant, les requérant·es comme les organisations syndicales de salarié·es privilégient pendant plusieurs années encore « la négociation à l’ombre de la loi » (Mnookin et Kornhauser, 1979), dans l’espoir que les directions des enseignes de Plan-de-Campagne se mettent progressivement en conformité avec la législation.

  • 18 Loi n° 2009-974 du 10 août 2009 réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les (...)
  • 19 Expression régulièrement utilisée dans les entretiens et les tracts.

30Face à l’absence d’action de ces dernières qui maintiennent leurs ouvertures dominicales malgré leurs engagements, deux organisations syndicales locales (CFDT et CGT) décident en 2007 de contester les autorisations préfectorales d’ouverture le dimanche devant le tribunal administratif. Sans surprise, celui-ci annule, comme en 2001, ces autorisations jugées sans fondement. Les organisations syndicales requérantes demandent ensuite à la justice d’intervenir pour enjoindre aux nombreuses enseignes qui continuent d’ouvrir le dimanche de fermer ce jour-là. Initialement, les employeur·euses ne revendiquaient pas une modification de la loi : ils et elles exigeaient surtout de pouvoir garder leurs magasins ouverts tous les dimanches sans pour autant réclamer une nouvelle dérogation qui permettrait à d’autres commerces d’en faire autant. Les représentant·es des grandes enseignes de Plan-de-Campagne souhaitaient ainsi maintenir leur avantage concurrentiel au nom de leur situation exceptionnelle et de la menace sur les emplois que sa disparition entraînerait. Mais devant les poursuites judiciaires persistantes des organisations syndicales, les dirigeant·es de ces établissements demandent de plus en plus explicitement une révision législative qui leur garantirait le droit d’ouvrir le dimanche. Ils et elles trouvent rapidement des relais dans le champ politique puisqu’entre 2003 et 2009, des parlementaires de droite soumettent onze propositions de loi afin de faciliter le travail le dimanche dans le commerce de détail. À lui seul, Richard Mallié, le député des Bouches-du-Rhône dont la circonscription comprend justement la zone commerciale de Plan-de-Campagne, est à l’initiative de cinq d’entre elles. C’est bien la cinquième proposition de loi de cet élu qui sera adoptée par le Parlement et promulguée le 10 août 200918. Cette loi crée notamment de nouvelles zones géographiques, appelées les « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE), au sein desquels il est désormais possible que les commerces emploient des salarié·es le dimanche s’il existe « des habitudes de consommation dominicale ». Les syndicalistes opposé·es à la loi Mallié ont qualifié ce dispositif de « prime aux délinquants »19, puisque seules les zones dans lesquelles les enseignes enfreignaient la loi avant 2009 peuvent ainsi devenir des PUCE.

31Autrement dit, pour la troisième fois, le pouvoir législatif choisit de rendre légales les pratiques jusque-là contestées efficacement devant les tribunaux par des organisations syndicales locales.

2.4. Un nouveau bricolage réglementaire (2014)

32Le quatrième cas concerne le secteur du bricolage et s’inscrit dans la continuité directe du deuxième. En effet, quand les magasins de l’ameublement obtiennent le droit d’ouvrir tous les dimanches à partir de 2008, des secteurs connexes, en particulier les enseignes de bricolage, tentent de profiter également de cette nouvelle exception légale au nom de la proximité des biens vendus par les entreprises de ces deux branches.

  • 20 Cour de cassation, chambre sociale, le 16 juin 2010, n° 09-11.214.

33Cherchant à montrer les incohérences croissantes des nouvelles dispositions légales, FO poursuit systématiquement les enseignes de bricolage qui ouvrent le dimanche. Le contentieux se prolonge jusqu’à la Cour de cassation qui réaffirme que les enseignes de bricolage n’ont pas le droit d’ouvrir tous les dimanches20. Cependant, bénéficiant des nouvelles mesures dérogatoires créées par la loi Mallié de 2009, les deux principales enseignes du secteur (Leroy-Merlin et Castorama) arrivent à se mettre en conformité avec la loi en obtenant que la plupart de leurs magasins franciliens soient intégrés dans les nouveaux « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE). Toutefois, l’enseigne Bricorama, dont les magasins, en général de plus petite taille que ceux des leaders du bricolage, se situent hors des grandes zones commerciales aux loyers élevés, maintient ses ouvertures le dimanche sans autorisation spécifique. À la suite d’un recours de FO, Bricorama est contraint en janvier 2012 de fermer trente-et-un magasins d’Île-de-France sous peine de 30 000 euros d’astreinte par établissement et par infraction. C’est la première fois que FO obtient une décision aussi large qui concerne l’ensemble des magasins franciliens d’une enseigne. Malgré cela, la direction de Bricorama refuse d’appliquer cette injonction. Le contentieux prend une nouvelle dimension quand, quelques mois plus tard, la cour d’appel de Versailles confirme l’interdiction d’ouvrir le dimanche : FO réclame alors plus de 37 millions d’euros à Bricorama au titre de la liquidation des astreintes. Pour riposter à ces pressions judiciaires, les représentant·es de Bricorama, et en premier lieu son PDG Jean-Claude Bourrelier, s’investissent sur tous les terrains, par une intense campagne de presse, en interpellant les parlementaires et également devant les tribunaux, en s’attaquant aux deux leaders du bricolage autorisés à ouvrir le dimanche pour concurrence déloyale avec comme slogan : « tous ouverts ou tous fermés, mais tous égaux ». Ces poursuites incitent la Fédération des magasins de bricolage dans son ensemble à se mobiliser pour obtenir une dérogation de plein droit pour ce secteur. Menacées directement désormais, les directions de Leroy Merlin et Castorama recourent à une agence de communication pour créer une association de salarié·es (« les Bricoleurs du dimanche ») dont le but sera de montrer que les salarié·es des enseignes de bricolage sont volontaires pour travailler le dimanche. Cette mobilisation patronale, en réaction aux pourvois de FO, met au premier plan de l’agenda gouvernemental la question des ouvertures dominicales dans les magasins de bricolage. Quelques mois plus tard, en mars 2014, le gouvernement Ayrault satisfait la revendication des enseignes et publie un décret qui leur donne le droit permanent de faire travailler leurs salarié·es tous les dimanches.

34À nouveau, le pouvoir exécutif choisit d’autoriser les enseignes d’un secteur à ouvrir tous les dimanches à la suite de recours judiciaires menés avec succès par des organisations syndicales contre le travail ce jour-là.

2.5. Une dynamique autoentretenue par la concurrence commerciale

35Chacun des cas exposés précédemment s’explique par les mobilisations concurrentes des organisations syndicales et des représentant·es du patronat, au cours desquelles les procédures judiciaires des premières contre le travail dominical incitent les secondes à riposter sur un terrain politique pour obtenir de nouvelles dérogations en la matière. Cependant, au-delà du mécanisme de retour de bâton proprement dit, ce mouvement a un caractère répété et auto-entretenu puisque les directions des enseignes ont fait des ouvertures dominicales un atout commercial pour conquérir des parts de marché. La concurrence commerciale entre les enseignes favorise alors l’élargissement des dérogations, car si certaines enseignes ouvrent, d’autres qui sont proches des premières au regard des biens vendus ou de la zone géographique concernée sont ensuite également encouragées à ouvrir, même si, initialement, elles ne le souhaitaient pas. Le schéma suivant décrit cette dynamique qui conjugue retour de bâton et logique concurrentielle.

Schéma 1. La dynamique auto-entretenue de l’extension des dérogations

Schéma 1. La dynamique auto-entretenue de l’extension des dérogations

36Chaque fois que certaines enseignes obtiennent de nouvelles dérogations au repos hebdomadaire, elles accroissent les incitations des entreprises concurrentes à ouvrir le dimanche également, selon deux logiques : l’effet domino (ou sectoriel), par lequel les enseignes d’un secteur particulier revendiquent, au nom de l’égalité devant la concurrence, d’ouvrir le dimanche puisque les enseignes de secteurs proches le font déjà ; l’effet puzzle (ou géographique), qui correspond à l’exigence d’enseignes situées dans une localité jugée spécifique (au regard de sa fréquentation touristique ou commerciale par exemple) de pouvoir déroger à la règle du repos dominical.

37Par le mécanisme de la concurrence, le mouvement d’extension des dérogations est donc cumulatif et auto-entretenu : l’effet puzzle s’observe en 1993 et 2009 avec les zones touristiques (cas 1) et commerciales (PUCE, cas 3) et l’effet domino en 2008 et 2014 pour les secteurs de l’ameublement (cas 2) et du bricolage (cas 4).

38Le cinquième cas de nouvelle dérogation au repos dominical à la suite de procédures judiciaires initiées par les syndicats contre les ouvertures illégales correspond à la création des « zones touristiques internationales » par la loi Macron de 2015. Il constitue ainsi une nouvelle pièce du puzzle, souhaitée par les grandes enseignes de centre-ville. L’étude approfondie de ce cinquième retour de bâton doit permettre de comprendre comment les victoires juridiques se transforment en déboires politiques pour les organisations syndicales.

3. Comment les victoires juridiques se transforment-elles en déboires politiques pour les syndicats ?

39L’analyse fine de la mobilisation syndicale contre l’extension des horaires de travail dans le commerce au début des années 2010 montre que les militant·es qui multiplient les procédures dans les tribunaux contre les ouvertures illégales entretiennent un rapport critique au droit (sous-partie 3.1). Dans un contexte où les mobilisations des salarié·es sont faibles, les succès de leurs initiatives judiciaires popularisent néanmoins leur combat et accroissent leur audience (sous-partie 3.2). En sortant du seul domaine juridique, les représentant·es du patronat parviennent à déjouer ce rappel à la loi en s’investissant sur un terrain politique pour exiger un changement de législation (sous-partie 3.3).

3.1. Une forte conscience des limites de la seule action juridique

  • 21 Il s’agit de la CGT, FO, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et Sud. En 2013, la CFTC (qui sera remplacée (...)
  • 22 La nuit s’entend ici au sens légal, c’est-à-dire les heures de travail effectuées entre 21h et 6 he (...)

40À partir de 2010, les six principaux syndicats parisiens de salarié·es du commerce21 s’allient dans une intersyndicale durable — le Clic-P, pour « Comité de liaison intersyndicale du commerce de Paris » — dans l’objectif de faire front commun contre la multiplication des ouvertures illégales le dimanche ou la nuit à Paris22. La réunion des différentes structures syndicales est conçue comme un moyen d’être collectivement plus fort, chacune procurant des ressources spécifiques. Vincent Lecourt, avocat pour Force ouvrière (FO) et investi depuis 2006 dans la défense du repos dominical des salarié·es du commerce, présente le comité de liaison de la façon suivante :

« J’ai été embarqué dans le Clic-P par FO. Au sein du Clic-P, chaque organisation syndicale est venue avec certaines choses à apporter. Une avec un délégué syndical qui pouvait à un endroit avoir des éléments sur des pratiques en interne. Une avec une capacité de mobilisation. Une autre avec, à l’époque, des journalistes qui répondaient assez favorablement à ses sollicitations… Et Force Ouvrière est arrivée avec maître Lecourt qui a un savoir-faire sur ces dossiers-là » (Entretien, le 9 mars 2016).

  • 23 La CGT revendique environ 3 000 membres dans le commerce à Paris, tandis que la CFDT estime avoir 4 (...)

41Au sein de l’intersyndicale, les différents syndicats jouent des rôles complémentaires : si les syndicats rattachés à la CGT et à la CFDT sont de loin les deux principales forces militantes pour mobiliser les salarié·es23, Éric Scherrer de la CFTC a un accès facilité aux journalistes tandis que Force Ouvrière a accumulé, avec son avocat, une expertise juridique depuis 2006.

42Cette combinaison de ressources apparaît d’autant plus nécessaire que les syndicalistes à l’initiative du Clic-P proposent un programme d’action selon deux axes d’intervention. Le premier est d’ordre judiciaire. Voici comment Karl Ghazi, secrétaire général de l’Union syndicale du commerce de Paris (USCP) de la CGT à l’époque, l’explique :

« On voulait stopper l’hémorragie. De plus en plus, les magasins ouvraient le dimanche. Ils misaient sur le fait accompli, car une fois qu’ils ouvrent le dimanche, c’est très difficile de revenir en arrière. Il fallait donc stopper ce mouvement grâce à l’action judiciaire » (Entretien, le 6 mai 2017).

  • 24 Expression de deux syndicalistes de la CFDT lors d’un échange informel après une réunion du Clic-P (...)
  • 25 Karl Ghazi, entretien le 6 mai 2017.

43Pour ces syndicalistes, cette lutte contre le « fait accompli » doit permettre d’éviter la logique des « PUCE », à savoir que des magasins ouverts illégalement le dimanche puissent ensuite défendre l’existence d’un « usage » qui rendrait ces ouvertures dominicales nécessaires — et légales — sous menace de suppressions d’emplois, voire de fermeture. Si les membres du Clic-P se réfèrent aux précédentes poursuites judiciaires engagées notamment par FO au cours des années 2000, plusieurs de ses militant·es sont cependant critiques de ces pourvois quand ils ont été menés « sans les salarié·es »24, considérant que c’est ce qui a conduit à délégitimer les procédures judiciaires du syndicat. Dans cette perspective, les responsables de l’intersyndicale refusent de faire de cette dernière une simple « machine à procès »25.

  • 26 Karl Ghazi, entretien le 6 mai 2017.
  • 27 Tract du Clic-P, « L’intersyndicale du commerce de Paris décide d’actions sur les salaires et le te (...)
  • 28 Tract du Clic-P, « L’intersyndicale du commerce de Paris décide d’actions sur les salaires et le te (...)

44Le second axe d’intervention correspond justement à « une action syndicale classique »26. Il vise la mobilisation de salarié·es dans le cadre de grèves, manifestations et autres initiatives militantes. Ces deux registres d’action sont présentés comme complémentaires. Ainsi, dans le tract publié à l’issue de la première assemblée générale du 13 avril 2010, les membres du Clic-P proposent de construire leur mouvement en combinant diverses « actions militantes »27, notamment une grève, une manifestation pour le premier jour des soldes d’été le 30 juin, et des « actions judiciaires pour faire cesser les ouvertures dominicales illégales »28.

3.2. Les succès judiciaires notables qui popularisent le combat des syndicats

  • 29 Communiqué de presse du Clic-P, « Premier jour des soldes : le déclic des salariés parisiens du com (...)
  • 30 L’Humanité, « Employés bradés dans le commerce », 1er juillet 2010.
  • 31 Les commerces alimentaires ont le droit d’ouvrir le dimanche jusqu’à 13h mais pas au-delà.

45Les deux types d’initiatives — actions judiciaires et actions militantes — rencontrent un écho assez différencié. En effet, le Clic-P cherche à mobiliser les salarié·es pour dénoncer la généralisation du travail dominical et nocturne et multiplie les interventions militantes à ce sujet, mais ces dernières connaissent un succès limité. Ainsi, leur « première action d’envergure »29, à savoir une manifestation organisée le 30 juin 2010 à Paris, réunit 500 salarié·es, soit un nombre inférieur à ce que les syndicalistes espéraient, comme le reconnaît publiquement Éric Scherrer, secrétaire du syndicat des employés du commerce et de l’industrie (SECI) de la CFTC30. En revanche, l’intersyndicale obtient rapidement satisfaction sur le terrain du droit, ce qui accroît son crédit. Elle choisit de s’attaquer d’abord aux supérettes qui ouvrent le dimanche toute la journée31, estimant que, dans ces petites structures, il est plus difficile pour les salarié·es de contester ces horaires et que les recours judiciaires en sont d’autant plus légitimes. Dès février 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris donne raison au Clic-P et ordonne à plusieurs magasins, sous les enseignes Monop’, Franprix et G20, de cesser d’employer des salarié·es à partir de 13h, sous peine d’astreinte de 6 000 euros par infraction et par établissement concerné. Cette décision sera confirmée en appel et le regroupement syndical y voit un encouragement à poursuivre son action, comme en témoigne son communiqué à ce sujet :

« Le Clic-P assignera autant de fois que nécessaire les enseignes parisiennes qui continueront de violer la loi, afin d’empêcher la banalisation de l’ouverture dominicale des magasins » (Communiqué de presse du Clic-P, « Ouverture illégale des magasins parisiens le dimanche : le Clic-P obtient la condamnation des contrevenants », signé par Sud, CGT, CFTC, CFDT, FO et CFE-CGC, le 11 février 2011).

46Cette action judiciaire est donc appréhendée comme une première victoire dans la longue bataille que les organisations syndicales souhaitent désormais mener de manière coordonnée à l’échelle de la capitale. En novembre 2011, l’intersyndicale assigne ainsi 30 supérettes pour leurs ouvertures abusives le dimanche. Le procès aboutit en janvier de l’année suivante à de nouvelles ordonnances de fermeture le dimanche à partir de 13h et au moins un jour dans la semaine, sous peine d’astreinte de 7 000 euros.

  • 32 Article 17-II de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les fe (...)

47Au fil des mois, la procédure judiciaire pour faire fermer les enseignes ouvertes le dimanche après-midi devient routinière. Assez peu de moyens — des tickets de caisse prouvant l’ouverture dominicale et, le cas échéant, l’annonce d’une ouverture toute la journée du dimanche — suffisent à la constitution des dossiers. Ces premières victoires devant les tribunaux popularisent grandement le Clic-P, en particulier grâce à l’audience médiatique dont l’intersyndicale bénéficie à chaque procès. Elles encouragent les syndicalistes à ouvrir un nouveau front judiciaire à propos du travail de nuit, lui aussi de plus en plus pratiqué par certaines grandes enseignes parisiennes alors que la loi interdit aux entreprises d’employer des salarié·es au-delà de 21h si ce n’est « par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale »32. Or, à nouveau, les syndicalistes du Clic-P obtiennent satisfaction puisque les tribunaux ordonnent aux Galeries Lafayette Haussmann et au BHV Rivoli en 2012, ainsi qu’au magasin Sephora des Champs-Élysées en 2013, de renoncer à leurs ouvertures nocturnes sous peine d’astreintes très élevées. Céline Carlen, la secrétaire du syndicat CGT des Galeries Lafayette Haussmann de l’époque, explique comment cette ordonnance de justice devient un point d’appui pour s’adresser aux salarié·es d’autres entreprises :

« Notre jugement, ça nous a servi pour la suite. Car, après, on a enchaîné les victoires sur Uniqlo, sur Apple, ces boutiques qui sont à côté de chez nous. Puis, au Printemps, je me rappelle, des salarié·es m’ont dit : “vous avez gagné, pourquoi pas le Printemps ?”. Il y a eu un effet boule de neige. Dans la zone Haussmann, les salarié·es se sont dit : “c’est possible de gagner » (Entretien, le 10 mars 2016).

  • 33 Le Monde, « Clic-P, le collectif qui fait trembler les enseignes », 5 octobre 2013.
  • 34 Aujourd’hui en France, « Ces syndicats qui font plier les enseignes », 23 septembre 2013.

48Ces succès accroissent ainsi le crédit et l’audience de l’intersyndicale. La victoire contre Sephora connaît en particulier un retentissement médiatique considérable. Plusieurs articles de presse décrivent le Clic-P comme la « bête noire des supérettes parisiennes et de plusieurs grandes enseignes implantées dans les quartiers chics de la capitale »33 et soulignent que cette fois-ci, « les syndicats font plier les enseignes »34. La mobilisation du droit initiée par les organisations syndicales permet donc bien de populariser leur combat contre l’extension des horaires de travail au dimanche et à la nuit.

3.3. La riposte patronale sur le terrain politique

49Face aux succès répétés que rencontrent les syndicats devant les tribunaux, les représentant·es du patronat incriminé·es investissent le champ politique pour réclamer une nouvelle modification de la loi en leur faveur. Comme d’autres précédemment, ils et elles mobilisent leurs ressources médiatiques et s’appuient sur le soutien d’une partie des salarié·es volontaires pour travailler à ces horaires, en particulier chez Sephora (Grimaud, 2023). Le PDG du groupe LVMH qui est propriétaire de l’enseigne Sephora, Bernard Arnault lui-même, dénonce sans détour l’action du Clic-P qu’il accuse de s’enrichir sur le dos des salarié·es à l’aide des procédures judiciaires :

  • 35 Interview de B. Arnault sur BFM Business, « Bernard Arnault : “La France a besoin de développer l’e (...)

« C’est d’autant plus consternant qu’on me dit que ce Clic[-P] en question fait ça, non pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons purement financières qui lui ont permis, depuis qu’il fait ça, de gagner pratiquement 10 millions d’euros. C’est quand même incroyable ! Et les tribunaux suivent, approuvent » 35.

  • 36 Cité dans AFP Infos Économiques, « Printemps : les Galeries Lafayette veulent s’inviter, avec des Q (...)
  • 37 Cité dans AFP Infos Françaises, « Jugement Sephora : risque de plonger les Champs-Élysées dans “l’o (...)
  • 38 Titre donné à l’interview de Jérôme Dubus, délégué général du MEDEF Île-de-France, publiée dans Les (...)
  • 39 Magazine Libre service actualités (LSA), « Trois fédérations s’allient dans l’équipement de la pers (...)
  • 40 AFP Infos Économiques, « Le shopping, un atout pour dynamiser le tourisme en France (étude) », 13 m (...)
  • 41 L’Alliance du commerce avance ainsi que le chiffre d’affaires du Printemps et des Galeries Lafayett (...)
  • 42 Voir la publication de Gilbert Cette, Franck Morel et Arnaud Sylvain dans la revue patronale Les Ca (...)

50À l’inverse, il estime que l’intérêt des salarié·es est de pouvoir travailler tous les jours jusqu’à minuit. De même, Philippe Houzé, le président des Galeries Lafayette, souhaite « renforcer l’attractivité de la capitale » grâce aux ouvertures dominicales et affirme avoir rencontré plusieurs fois le président de la République à ce sujet36. Ces figures patronales de premier plan ne sont pas isolées. Au contraire, elles bénéficient du soutien et de l’investissement militant de plusieurs organisations patronales. Jean-Noël Reinhardt, président du comité Champs-Élysées qui entend représenter les intérêts des enseignes de l’avenue et lui-même ancien PDG de Virgin France entre 1995 et 2010, défend activement la légalisation du travail de nuit dans le commerce et dénonce le risque de « plonger les Champs-Élysées dans l’obscurité commerciale »37. Dès 2010, des porte-paroles du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) prennent également position et considèrent qu’« il faudrait revoir la loi pour les grandes métropoles comme Paris »38. Mais c’est surtout l’organisation professionnelle des grands magasins, l’Union du grand commerce de centre-ville (UCV), qui est la plus investie en la matière. À partir de 2011, elle s’allie avec deux autres fédérations patronales (celles des enseignes d’habillement et de la chaussure) pour créer l’Alliance du commerce afin de défendre les intérêts communs du « commerce de l’équipement de la personne »39. Concrètement, cette nouvelle structure multiplie les prises de position, communications et interventions en faveur de l’ouverture dominicale et nocturne des grands magasins. Contre l’opposition entre le tourisme culturel réputé « noble » et les activités commerciales, elle milite pour une meilleure valorisation de l’offre « shopping » pour les touristes étranger·es40, en soulignant que la France est la première destination touristique du monde, mais seulement la troisième pour ses recettes touristiques. L’Alliance du commerce médiatise également des estimations des gains supplémentaires en matière de chiffre d’affaires et d’emploi en cas d’ouvertures dominicales du Printemps et des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann41. De même, elle commandite une étude intitulée « Comment relancer l’emploi dans le commerce de détail ? » auprès d’économistes : l’intégralité des huit propositions avancées par les auteurs concerne les horaires de travail qu’ils préconisent d’étendre largement42.

  • 43 Cité par Le Figaro, « Le travail dominical revient dans le débat présidentiel », 18 février 2012.

51Or, cette intense mobilisation patronale pour populariser dans l’espace public les revendications des directions des grandes enseignes en faveur du travail dominical et nocturne bénéficie de relais politiques remarquables. Que ce soit au niveau de la municipalité de Paris ou à l’échelle nationale, plusieurs élu·es de droite en font une priorité politique. En 2012, le candidat à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy promet que sa « première mesure » s’il est élu sera « de poursuivre les assouplissements déjà réalisés en matière d’ouverture dominicale des commerces »43. De même, la candidate UMP Nathalie Kosciusko-Morizet à la mairie de Paris en 2014 inscrit ces propositions en la matière au premier plan de sa campagne électorale. À l’Assemblée nationale ou au Sénat, des parlementaires de droite et du centre rédigent pas moins de sept propositions de loi sur le sujet en l’espace de deux ans (2013-2014). À chaque fois, ils et elles défendent explicitement ces initiatives parlementaires comme des réponses urgentes aux déboires judiciaires subis par les directions des enseignes sur la question du travail dominical et nocturne dans la capitale.

52Cependant, la force de la mobilisation patronale va être de parvenir à convaincre le gouvernement socialiste sous la mandature de François Hollande qui s’était initialement prononcé contre l’extension des dérogations au repos dominical. En 2014, le ministre des Affaires étrangères et du Développement international, Laurent Fabius, est le premier membre du gouvernement à reprendre à son compte l’argumentaire de l’UCV selon lequel l’élargissement des horaires d’ouverture des magasins parisiens serait bénéfique au tourisme international. Au cours de cette année-là, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, élabore le projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » qui permet, entre autres, de créer de nouvelles zones dérogatoires : les « zones touristiques internationales » (ZTI) dans lesquelles il est possible de faire travailler les salarié·es non seulement tous les dimanches, mais aussi tous les soirs jusqu’à minuit. Malgré les nombreuses oppositions au sein de sa propre majorité parlementaire, le gouvernement fait adopter ce texte en 2015, à l’aide de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution française, qui lui permet d’éviter le vote des parlementaires.

53À Paris, quelques mois après la promulgation de cette loi, douze ZTI sont établies, à chaque fois dans des lieux où les litiges entre les enseignes et les organisations syndicales avaient abouti à des injonctions judiciaires de fermeture dominicale ou nocturne.

4. Conclusion

54Ainsi, à cinq reprises (1993, 2008, 2009, 2014 et 2015), les recours judiciaires des organisations syndicales de salarié·es pour faire respecter la loi sur le repos hebdomadaire le dimanche dans le commerce aboutissent in fine non pas à l’arrêt des pratiques illégales des enseignes poursuivies, mais à une modification de la loi afin que ces pratiques deviennent légales. Il s’agit bien d’un retour de bâton des décisions judiciaires dans la mesure où les décisions des tribunaux sont systématiquement favorables aux syndicats et contraignent les enseignes à fermer le dimanche sous peine d’astreinte. Or, ces injonctions judiciaires incitent en retour les représentant·es du patronat à se mobiliser pour obtenir de nouvelles dérogations et continuer d’ouvrir tous les jours de la semaine. Cette mobilisation patronale connaît un succès notable puisque, depuis le début des années 1990, les enseignes obtiennent régulièrement satisfaction de la part du pouvoir exécutif ou législatif. Du côté des employeur·euses, le caractère répété de cette dynamique s’explique par la logique concurrentielle qui pousse chacune des enseignes à étendre ses horaires d’ouverture. Quant aux représentant·es des salarié·es, même si une grande partie des syndicalistes entretiennent un rapport critique au droit, ils et elles renouvellent leur investissement sur ce terrain-là, car les victoires de l’intersyndicale devant les tribunaux leur permettent d’augmenter leur crédit et leur audience.

55Dans cette contribution, nous avons proposé de mobiliser la notion de « retour de bâton » en dehors du seul contexte national états-unien, afin de prendre en compte la capacité des groupes dominants à contester sur le terrain politique des décisions judiciaires qui entravent leurs intérêts.

56Le succès répété cinq fois de suite des grandes enseignes à étendre le travail dominical invite également à s’interroger à la manière de Marc Galanter (2013 [1974]) : « pourquoi c’est toujours les mêmes qui s’en sortent bien ? ». Dans cet article, M. Galanter se demande comment le système judiciaire « formellement neutre », qui repose sur l’égalité des parties, accroît « les avantages des dominants, au détriment de ceux qui étaient déjà défavorisés » (Galanter, 2013 [1974], p. 584). D’après lui, la différence du statut des parties selon qu’elles sont des joueuses occasionnelles (« one shotters » ou JO) ou des joueuses régulières (« repeat players » ou JR) explique pourquoi la justice est une arène qui renforce les puissant·es. En effet, les joueurs réguliers disposent d’un certain nombre d’avantages — faculté d’anticipation et d’expertise, accès facilité aux actrices et acteurs institutionnels… — qui leur permettent de traiter les dossiers de manière routinière et rationnelle et de développer une stratégie de maximisation des gains sur le long terme.

57Dans le cas du contentieux relatif au repos dominical dans le commerce, les structures syndicales, qui jouissaient d’une faible capacité de mobilisation de salarié·es, choisissent d’investir l’arène judiciaire. Même si leurs services juridiques sont largement inférieurs à ceux des directions d’enseignes au cœur du conflit, elles deviennent de plus en plus expérimentées dans ce domaine. Elles acquièrent ainsi les différentes qualités propres aux joueurs réguliers selon Marc Galanter, notamment une vision de long terme où l’enjeu principal est moins le résultat immédiat d’un verdict donné, que le message envoyé à l’ensemble des établissements qui enfreignent la loi. Le conflit doit donc bien être analysé comme un cas de « JR versus JR » dans lequel les organisations syndicales bénéficient d’une expérience croissante. D’ailleurs, les tribunaux leur donnent fréquemment raison.

58Cependant, dans notre cas de figure, « the haves » (ou les puissant·es) — ici les grandes enseignes — s’en « sortent toujours », mais d’une autre manière que celle décrite par Marc Galanter. Elles mobilisent bien leurs ressources de joueurs réguliers dans l’arène judiciaire : elles font systématiquement appel, multiplient les recours à tous les niveaux de la juridiction, etc. Mais l’efficacité de la mobilisation patronale pour ouvrir les magasins le dimanche tient surtout à leur capacité à sortir de l’arène judiciaire et à mobiliser d’autres types de ressources, notamment sur un terrain politique. Or, les directions d’enseignes excellent dans le domaine : face à la stratégie judiciaire des syndicats, elles s’investissent dans le champ politique grâce à leur accès privilégié aux médias et en sollicitant des relais auprès du personnel politique. C’est dans ce contexte de mobilisation concurrente initiée par les directions d’enseignes que l’« arme du droit » (Israël, 2009) des syndicats se révèle une « arme faible » (Bianco, 1999). Ici, si ce sont « toujours les mêmes qui s’en sortent », c’est parce que les enseignes ont réussi à multiplier les plateaux de jeux et les pions pour obtenir de la part des gouvernements successifs et du pouvoir législatif ce que les juges refusaient de leur accorder.

59Le cas présenté dans cette contribution montre l’existence de retours de bâton à travers lesquels les groupes dominants parviennent à déjouer les victoires judiciaires contraires à leurs intérêts. Il serait toutefois utile d’approfondir l’analyse des conditions qui leur permettent — ou non — de contre-attaquer en fonction de leurs ressources, du contexte politique, mais aussi des stratégies déployées par celles et ceux qui contestent leur pouvoir.

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Annexe

Liste des sigles utilisés dans l’article

BHV

Bazar de l’Hôtel de Ville, grand magasin parisien

CFDT

Confédération française démocratique du travail, syndicat de salarié·es

CFE-CGC

Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres, syndicat de salarié·es

CFTC

Confédération française des travailleurs chrétiens, syndicat de salarié·es

CGT

Confédération générale du travail, syndicat de salarié·es

Clic-P

Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris

FO

Force ouvrière, syndicat de salarié·es

JO

Joueurs occasionnels, acteurs exceptionnels de l’action en justice

JR

Joueurs réguliers, acteurs familiers de l’action en justice

LGBT

Personnes lesbiennes, gay, bi et trans

LVMH

Louis Vuitton et Moët Hennessy, groupe mondial d’entreprises de luxe

MEDEF

Mouvement des entreprises de France, syndicat patronal

NAACP

National Association for the Advancement of Colored People

PDG

Président directeur général (d’une société)

PUCE

Périmètre d’usage de consommation exceptionnel

SECI

Syndicat des employés du commerce et de l’industrie, rattaché à la CFTC jusqu’en 2013

SUD

Solidaires, unitaires, démocratiques, syndicat de salarié·es

UCV

Union du grand commerce de centre-ville, syndicat patronal

UMP

Union pour la majorité présidentielle (ensuite rebaptisée Union pour un mouvement populaire), parti politique

UNSA

Union nationale des syndicats autonomes, syndicat de salarié·es

USCP

Union syndicale du commerce de Paris, rattachée à la CGT.

ZTI

Zone touristique internationale

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Notes

1 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».

2 National Association for the Advancement of Colored People (littéralement, « association nationale pour la promotion des personnes de couleur »).

3 Le 18 novembre 2003, la cour suprême du Massachusetts (Goodridge versus Department of Public Health) ordonne aux maires de délivrer des licences de mariage aux individus de même sexe. Cette décision suscite peu d’opposition dans cet État où la majorité de la population est favorable au mariage des couples homosexuels, mais encourage une forte contestation des différents groupes opposés à ce type d’union dans l’Ohio voisin, État clé pour l’élection présidentielle. En réaction, le parti Républicain place sur le bulletin de vote un amendement constitutionnel afin de définir le mariage comme celui entre un homme et une femme. Dans ce contexte, la mobilisation de l’électorat conservateur de l’Ohio augmente largement.

4 Dans cette perspective, les normes et les institutions juridiques contraignent mais, en même temps, permettent l’action sociale. En ce sens, elles sont bien « constitutives » de la vie sociale.

5 Voir à ce sujet le dossier coordonné par Karen Alter et Michaël Zürn et publié dans la revue British Journal of Politics and International Relations (Alter et Zürn, 2020).

6 À propos du backlash antiféministe, on peut se référer par exemple aux critiques formulées par David Paternotte (2021).

7 L’analyse détaillée du dernier cas sera l’objet de la section suivante.

8 Cité dans « La bataille du disque », Le Monde, 20 mai 1989.

9 CFDT et CGT pour Marseille et Paris, également avec FO pour Bordeaux.

10 « Mégapub… », Le Monde, 31 décembre 1991.

11 Astreinte qui sera réduite à 30 000 ou 40 000 selon les magasins le 12 janvier 2007 par la cour d’appel de Versailles.

12 Citée dans Le Parisien, « FO s’attaque à l’ouverture du dimanche », 15 juin 2007.

13 Conforama doit verser à FO 700 000 euros, Ikea 300 000 euros, Casa 300 000 euros et Alinéa 600 000 euros.

14 Aujourd’hui en France, « Un petit pactole pour FO-Commerce », 7 octobre 2007.

15 Loi n° 2005-67 du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur, dite « loi Chatel ».

16 Par contraction de Conforama et Ikea.

17 Les enseignes concernées n’ont plus besoin ni de demander une autorisation préalable pour ouvrir le dimanche, ni même de négocier un accord avec les représentant·es des salarié·es à ce sujet.

18 Loi n° 2009-974 du 10 août 2009 réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, dite « loi Mallié ».

19 Expression régulièrement utilisée dans les entretiens et les tracts.

20 Cour de cassation, chambre sociale, le 16 juin 2010, n° 09-11.214.

21 Il s’agit de la CGT, FO, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et Sud. En 2013, la CFTC (qui sera remplacée par l’Unsa au sein du Clic-P), FO et la CFE-CGC quittent cette intersyndicale.

22 La nuit s’entend ici au sens légal, c’est-à-dire les heures de travail effectuées entre 21h et 6 heures du matin.

23 La CGT revendique environ 3 000 membres dans le commerce à Paris, tandis que la CFDT estime avoir 4 500 adhérent·es dans le commerce à l’échelle, cette fois, de l’Île-de-France.

24 Expression de deux syndicalistes de la CFDT lors d’un échange informel après une réunion du Clic-P le 14 septembre 2016.

25 Karl Ghazi, entretien le 6 mai 2017.

26 Karl Ghazi, entretien le 6 mai 2017.

27 Tract du Clic-P, « L’intersyndicale du commerce de Paris décide d’actions sur les salaires et le temps de travail », avril 2010.

28 Tract du Clic-P, « L’intersyndicale du commerce de Paris décide d’actions sur les salaires et le temps de travail », avril 2010.

29 Communiqué de presse du Clic-P, « Premier jour des soldes : le déclic des salariés parisiens du commerce ! », signé par FO, SUD, CFDT, CFE-CGC CFTC et CGT, 30 juin 2010.

30 L’Humanité, « Employés bradés dans le commerce », 1er juillet 2010.

31 Les commerces alimentaires ont le droit d’ouvrir le dimanche jusqu’à 13h mais pas au-delà.

32 Article 17-II de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, nouvel article L.213-1 du Code du travail.

33 Le Monde, « Clic-P, le collectif qui fait trembler les enseignes », 5 octobre 2013.

34 Aujourd’hui en France, « Ces syndicats qui font plier les enseignes », 23 septembre 2013.

35 Interview de B. Arnault sur BFM Business, « Bernard Arnault : “La France a besoin de développer l’esprit d’entreprise” », 19 novembre 2013.

36 Cité dans AFP Infos Économiques, « Printemps : les Galeries Lafayette veulent s’inviter, avec des Qataris (PDG) », 22 février 2013.

37 Cité dans AFP Infos Françaises, « Jugement Sephora : risque de plonger les Champs-Élysées dans “l’obscurité commerciale” (président du comité des Champs-Élysées) », 25 septembre 2013.

38 Titre donné à l’interview de Jérôme Dubus, délégué général du MEDEF Île-de-France, publiée dans Les Échos : « Il faudrait revoir la loi pour les grandes métropoles comme Paris », 10 août 2010.

39 Magazine Libre service actualités (LSA), « Trois fédérations s’allient dans l’équipement de la personne », 12 octobre 2011.

40 AFP Infos Économiques, « Le shopping, un atout pour dynamiser le tourisme en France (étude) », 13 mars 2012.

41 L’Alliance du commerce avance ainsi que le chiffre d’affaires du Printemps et des Galeries Lafayette Haussmann augmenterait de 7 à 10 %, soit l’équivalent d’une hausse comprise entre 168 millions à 240 millions d’euros (Les Échos, « Les nouveaux enjeux de l’ouverture des magasins le dimanche », 8 février 2013).

42 Voir la publication de Gilbert Cette, Franck Morel et Arnaud Sylvain dans la revue patronale Les Cahiers de l’Alliance, « Comment relancer l’emploi dans le commerce de détail ? », avril 2014.

43 Cité par Le Figaro, « Le travail dominical revient dans le débat présidentiel », 18 février 2012.

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Table des illustrations

Titre Schéma 1. La dynamique auto-entretenue de l’extension des dérogations
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pauline Grimaud, « L’essor des dérogations au repos dominical dans le commerce : un « retour de bâton » des victoires juridiques des syndicats ? »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 66 - n° 3 | Juillet - Septembre 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/46464 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ath

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Auteur

Pauline Grimaud

Centre d’études de l’emploi et du travail
61, rue du Landy, 93210 Saint-Denis, France
pauline.grimaud[at]sciencespo.fr

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