Navigation – Plan du site

AccueilNumérosVol. 66 - n° 3Comptes rendusGwenaëlle Perrier, Genre et polit...

Comptes rendus

Gwenaëlle Perrier, Genre et politiques d’emploi. Une comparaison France-Allemagne

Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2022, 230 p.
Anne Eydoux
Référence(s) :

Gwenaëlle Perrier, Genre et politiques d’emploi. Une comparaison France-Allemagne, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2022, 230 p.

Entrées d’index

Haut de page

Texte intégral

couvertureAfficher l’image
Crédits : Presses universitaires de Rennes

1Cet ouvrage, issu d’un travail de longue haleine sur le genre des politiques d’emploi, est une référence précieuse. Il comble un manque : c’est le seul, en langue française, à questionner de manière systématique la prise en compte de l’égalité femmes-hommes dans les politiques d’emploi. Il est de plus remarquablement informé : il mobilise une revue de la littérature sur le sujet ainsi qu’une vaste enquête de terrain — démarrée dans le cadre d’une thèse soutenue en 2010.

2L’ouvrage est traversé par un double questionnement. Les politiques d’emploi permettent-elles de réduire les inégalités entre femmes et hommes ou tendent-elles à les reproduire, voire à les renforcer ? Les impulsions européennes constituent-elles un levier pour intégrer un objectif d’égalité dans la mise en œuvre des politiques d’emploi ?

3Pour y répondre, l’autrice adopte une perspective comparative et multi-niveau. Elle observe des dispositifs d’accompagnement des chômeurs et chômeuses de longue durée en France et en Allemagne, dans deux territoires comparables d’un point de vue politique (gouvernés à gauche) et socio-économique (marqués par des taux de chômage élevés et des difficultés sociales). L’enquête se concentre sur les Plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE) en Seine-Saint-Denis et les Job centers à Berlin. Pour analyser le genre des politiques d’emploi, l’autrice se réfère à « l’institutionnalisme centré sur les acteurs et actrices » (p. 33). Elle en retient que le cadre institutionnel dans lequel interagissent les professionnel·les de l’emploi ou de l’égalité ne détermine pas complètement leurs actions, et qu’il importe de se pencher sur leurs représentations, leurs marges de manœuvre et leurs stratégies, pour comprendre comment ils et elles composent avec les contraintes ou activent les leviers à leur disposition.

4Le premier chapitre, qui dresse un panorama de l’intégration des objectifs d’égalité dans les politiques de l’emploi en France et en Allemagne, met en évidence leurs ambivalences, voire leurs contradictions. Les orientations européennes et l’approche transversale — le gender mainstreaming, consistant à intégrer les objectifs d’égalité dans l’ensemble des politiques publiques — contribuent à donner une visibilité au genre dans les politiques d’emploi. Mais dans les deux pays, la mise en œuvre de l’égalité reste faible, si ce n’est symbolique. Elle est de plus contrariée par les réformes du marché du travail qui promeuvent l’activation (le retour rapide à une activité, une formation ou un travail) tout en précarisant l’emploi, de façon particulièrement pénalisante pour les chômeuses.

5Le deuxième chapitre interroge l’institutionnalisation de l’égalité au sein des services publics de l’emploi (SPE) dans les deux pays : création de postes dédiés, mise en place de formations ou constitution de réseaux ou de groupes de travail. Il montre que si la « stratégie d’apprentissage et d’essaimage de l’égalité » (p. 91) a favorisé l’émergence d’une expertise au sein du SPE, c’est à la marge. Trop peu de professionnel·les ont été formé·es à l’égalité et les référentes égalité, peu nombreuses, n’ont pas de réel pouvoir de décision. De plus, les instruments dont elles disposent sont faibles : par exemple, le Fonds social européen (FSE) ne prévoit pas de sanction concernant les objectifs d’égalité, alors que ses financements sont conditionnés à la réalisation d’autres objectifs très contrôlés.

6Le troisième chapitre questionne la prise en compte du genre dans les dispositifs d’accompagnement destinés aux demandeuses d’emploi. Dans les deux territoires, il s’agit de lever des obstacles spécifiques à l’insertion des chômeuses : les violences, les stéréotypes relatifs aux métiers ou les assignations domestiques. L’autrice montre que cela nécessite des ressources (du temps, un budget), si bien que les actions restent insuffisantes. Dans les PLIE de Seine-Saint-Denis, par exemple, deux dispositifs partenariaux visant la diversification et l’orientation des femmes vers des métiers en tension réputés masculins n’ont touché que quelques centaines de femmes et n’ont pas duré. Les actions plus récentes, qui concernent les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP) et du numérique, sont de simples actions d’information. À Berlin, où l’égalité est plus institutionnalisée, les actions sont plus pérennes et visent davantage la qualification des femmes vers des métiers techniques et industriels.

7Le quatrième chapitre porte sur les dynamiques nationales et locales d’intégration de l’égalité dans les politiques d’emploi et sur le rôle des orientations européennes. Revendiquant d’examiner « l’Europe au microscope du local », l’autrice montre que le gender mainstreaming offre des ressources aux actrices de l’égalité œuvrant dans des organisations féministes, des institutions engagées en faveur des droits des femmes, ou au sein du SPE. Cela donne une légitimité à leurs actions et leur permet d’accéder à des financements. « Entrepreneuses de la cause de l’égalité » (p. 145), ces actrices ont diverses motivations : contribuer à l’objectif institutionnel d’insertion des femmes, s’inscrire dans des partenariats locaux en faveur de l’égalité, ou encore répondre aux besoins de recrutement des entreprises par des actions mobilisant des femmes sur des métiers en tension. Acquises à la cause des femmes, elles agissent dans des contextes, des « coalitions de cause » (p. 131), qui s’avèrent plus dynamiques et structurés à Berlin qu’en Seine-Saint-Denis.

8Le cinquième chapitre interroge les représentations des professionnel·les de l’emploi, « profanes » de l’égalité. Il donne d’abord à voir l’embarras des interviewé·es face à des questions qui les mettent en défaut. Cela se manifeste par des refus d’entretien, le sentiment de ne pas être concerné (l’insertion « n’est pas une question de sexe ») ou de ne pas être le bon interlocuteur (« je vais aller chercher ma collègue », p. 153), voire par de la dérision (« le gender mainstreaming dans les politiques de l’emploi… vous comptez écrire combien de pages là-dessus ? », p. 155). Si ces profanes de l’égalité parviennent à identifier certains obstacles à l’insertion des femmes, tels la différenciation genrée des métiers ou la garde d’enfants, ils et elles les relativisent ou pensent ne rien pouvoir y faire. Surtout, l’égalité s’efface derrière leurs autres priorités que sont le mal-logement, le surendettement ou les problèmes de santé — comme le résume une référente PLIE, « avant de parler d’égalité des chances, parlons de chances » (p. 177).

9Le dernier chapitre revient sur les obstacles institutionnels à l’intégration de l’égalité dans les politiques d’emploi, à commencer par l’activation, le nouveau management public et ses indicateurs de « sorties positives » (taux de retour à l’emploi ou d’accès à une formation), ou les restrictions budgétaires. Au regard de l’objectif de retour rapide à l’emploi, travailler à la diversification des choix professionnels devient une perte d’efficacité. La politique du chiffre pousse même à écarter des profils de femmes jugées trop difficiles à placer (« la personne qui ne sait pas parler le Français, qui n’a jamais travaillé en France, et qui cherche en tant que femme de ménage, et qui a 55 ans », p. 194). Les réformes du marché du travail exposent enfin les chômeuses de longue durée à des insertions précaires, surtout en Allemagne où nombre d’entre elles ont dû accepter des « jobs à un euro » (activités imposées à des chômeurs et chômeuses de longue durée contre une indemnité minimale d’un euro par heure travaillée).

10On ne peut que recommander la lecture de ce livre foisonnant. Gwenaëlle Perrier illustre magistralement, à partir de situations très concrètes, les multiples limites auxquelles se heurte l’intégration de l’égalité dans les politiques d’emploi. L’originalité de l’ouvrage réside dans son approche « par le bas » : les politiques d’emploi sont abordées par leur mise en œuvre territoriale et par leurs acteurices, mais aussi par leur public. Alors que les recherches sur l’égalité concernent plutôt des femmes en emploi, voire des femmes cadres, la focale est ici sur des femmes réputées éloignées de l’emploi. L’autrice souligne d’ailleurs l’écart entre l’approche élitaire de l’égalité, qui s’attaque avec succès, à coups de quotas et de sanctions, au plafond de verre (en politique ou dans les conseils d’administration des grandes entreprises), et l’approche incitative qui prévaut dans la lutte contre le chômage de longue durée, dotée d’instruments trop faibles pour contrer la reproduction des inégalités sociales et sexuées.

11C’est peut-être dans son appréhension de l’articulation du local et du national que l’ouvrage laisse sur sa faim. L’autrice insiste sur les similitudes des territoires étudiés, sans s’attarder sur leurs différences. Elle suggère qu’ils sont politiquement favorables à l’intégration de l’égalité tout en montrant que leurs difficultés socio-économiques sont des obstacles. Comparer par exemple la Seine-Saint-Denis avec l’Ille-et-Vilaine permettrait d’éclairer le rôle des contextes politiques et socio-économiques. Un travail sur les indicateurs locaux, les normes d’égalité, le chiffrage des ressources, prolongerait utilement cet ouvrage pour objectiver les (re)configurations locales de l’intégration de l’égalité dans les politiques d’emploi.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Eydoux, « Gwenaëlle Perrier, Genre et politiques d’emploi. Une comparaison France-Allemagne »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 66 - n° 3 | Juillet - Septembre 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/46426 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12atw

Haut de page

Auteur

Anne Eydoux

Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE), UMR 3320 CNRS et CNAM
Conservatoire national des arts et métiers, 1LAB40, 2, rue Conté, 75003 Paris, France
anne.eydoux[at]lecnam.net

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search