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AccueilNumérosVol. 66 - n° 3Comptes rendusCatherine Négroni et Marc Bessin ...

Comptes rendus

Catherine Négroni et Marc Bessin (dir.), Parcours de vie. Logiques individuelles, collectives et institutionnelles

Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2022, 284 p.
Sandrine Nicourd
Référence(s) :

Catherine Négroni et Marc Bessin (dir.), Parcours de vie. Logiques individuelles, collectives et institutionnelles, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2022, 284 p.

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Crédits : Presses universitaires du Septentrion

1Ce livre collectif, coordonné par Catherine Négroni et Marc Bessin, est le prolongement d’un colloque organisé en février 2017 par plusieurs réseaux thématiques (RT) de l’Association française de sociologie, notamment le RT 22 « Parcours de vie et dynamiques sociales ». Composé de quinze contributions riches de contextes empiriques variés et de réflexions théoriques, l’ouvrage affirme une ambition : démontrer comment l’analyse des parcours de vie permet de rendre compte des processus de socialisation contemporains dans une tension entre institutionnalisation et individualisation. Comment se construit un parcours de vie au gré des multiples contraintes sociales issues du travail des institutions ? Quelle est la force des effets de contexte dans l’élaboration des ressources qui produisent un cheminement ? Soulignant d’entrée la singularité d’un travail sociologique sur les parcours de vie qui articule les dimensions diachroniques, processuelles et les dimensions synchroniques au croisement de plusieurs sphères de vie, l’introduction rappelle de façon pertinente les sillons creusés par les recherches longitudinales anglophones et francophones depuis les années 1960, quelles qu’en soient les formes (cohortes, générations socio-historiques, life courses, statuts d’âges, récits de vie…). L’approche par les parcours de vie, considérée comme une catégorie d’analyse et un cadre d’interprétation, donne lieu à de nouveaux développements depuis une dizaine d’années. Les contributions mettent l’accent en particulier sur l’effet des institutions sur les parcours de vie.

2Le livre collectif est construit autour de trois « espaces de discussion » : le premier est centré sur la variété des niveaux d’analyse des temporalités, le deuxième met l’accent sur les effets normatifs du travail des institutions et le troisième insiste sur les processus d’individualisation dans les parcours de vie.

3L’ouvrage développe en particulier l’apport, d’un point de vue scientifique, d’une analyse des effets normatifs des cadrages institutionnels sur les parcours des individus. Ainsi, Hugo Bréant et Élise Lemercier démontrent très bien comment les parcours de formation de jeunes à Mayotte sont contraints et empêchés par l’évolution de catégorisations préfectorales, les conduisant à une réorientation et une forme de déclassement alors même que leurs trajectoires auraient pu être ascensionnelles. Julie Landour explique comment l’entrée dans le statut d’auto-entrepreneur conduit certaines mères à s’inscrire dans une trajectoire de déclassement. Elle souligne que l’interprétation de cette norme d’emploi dépend des ressources dont disposent ces mères. Certaines contributions éclairent également les formes d’assignation à des normes d’âge et de genre qui ont des incidences sur les parcours de vie. Marc Bessin montre, par une approche « féministe et temporaliste », comment les situations de parentalité tardive éclairent les processus genrés d’assignation à des rôles. Il propose alors d’analyser « les parcours de vie comme des systèmes d’attentes » et ainsi de mieux faire apparaître les normes qui conduisent à respecter les rôles sociaux autour du care. Eric D. Widmer et Dario Spini précisent de leur côté les « injonctions latentes » liées à des normes de genre dans les rôles familiaux et professionnels qui renforcent les vulnérabilités. Enfin, Emmanuelle Santelli défend l’importance d’une analyse intergénérationnelle pour comprendre les facteurs d’évolution de la norme d’endogamie dans le cas des mariages en contexte post-migratoire.

4L’ouvrage apporte également une réflexion sur les usages de l’acception « parcours de vie » en tant que catégorie de l’action publique dans plusieurs secteurs des politiques sociales, illustrant les normes d’individualisation, d’activation et de responsabilisation dans les formes d’accompagnement au sein des secteurs de l’emploi, la formation, la santé, le social. Les injonctions à « construire un parcours » se repèrent ainsi par exemple dans les politiques de formation continue. Bénédicte Zimmermann indique la transformation d’une « logique collective de mutualisation en une logique individuelle de capitalisation » à travers le compte personnel de formation. Pierrine Robin souligne l’injonction faite aux jeunes pris en charge par la protection de l’enfance d’élaborer un « projet » alors même qu’ils et elles ne disposent pas des ancrages suffisants dans le passé et le présent. Cette dimension temporelle projective normée se retrouve dans un champ lexical commun aux politiques sociales où l’injonction à construire un parcours s’articule avec celle de concevoir un projet tout en valorisant différentes formes d’engagement.

5Ce livre collectif participe ainsi à un débat scientifique sur les formes d’institutionnalisation des parcours de vie. Catherine Négroni rappelle dans l’introduction que le développement des politiques de protection sociale et les régulations institutionnelles qui les accompagnent ont permis historiquement une certaine adéquation entre les aspirations des modes de vie et les encadrements normatifs. Or, l’ouvrage démontre, dans le contexte actuel, les formes de désajustements entre les transformations institutionnelles et les trajectoires individuelles. Il faut noter que les injonctions à l’individualisation des parcours continuent de produire des formes de désaffiliation, comme le montre l’article de Pierrine Robin sur la protection de l’enfance, alors que l’enjeu est pourtant de « sécuriser les parcours », ou encore celui de Sandra V. Constantin sur l’assignation au précariat par la remise en question massive du contrat stable dans la société chinoise post-socialiste.

6L’ensemble des contributions apporte une réflexion théorique en démontrant les apports épistémologiques d’une analyse des régulations normatives qui s’incarnent notamment dans les politiques publiques. Nathalie Burnay souligne comment à l’échelle de chaque dynamique individuelle s’opèrent des tensions entre institutionnalisation et individualisation. Le livre développe, in fine, moins les stratégies de résistance et les marges d’action que la force des normes institutionnelles dans des parcours de vie néanmoins plus fragmentés et moins linéaires.

7Si l’ouvrage met en évidence le « paradigme du parcours de vie », plusieurs articles adoptent un syncrétisme théorique, comme le développe Séverine Marguin dans une approche croisée « audacieuse » entre les cadres conceptuels de Pierre Bourdieu et d’Armartya Sen. L’articulation avec d’autres approches des biographies comme celle de la trajectoire, qui ne peut se résumer à une perspective balistique, ou encore avec la perspective interactionniste sur les « carrières » qui invite à penser les effets des interactions dans une succession d’étapes de socialisation, est nécessaire et intéressante. Ainsi, la contribution de Denis Hyppert précise les facteurs qui organisent les séquences relationnelles du couple, et celle de Claire Bidart présente les configurations qui permettent les réorientations de carrières des jeunes à l’entrée à l’âge adulte. Deux articles se penchent en particulier sur des analyses à l’échelle méso-sociologique, d’un point de vue théorique, en soulignant l’intérêt d’étudier les « grappes d’activités sociales » (Philippe Cardon) ou les « sphères d’activités » considérées comme des « ensembles d’acteurs qui partagent les mêmes ressources » (Michel Grossetti).

8Le livre montre enfin que les parcours de vie peuvent s’analyser et s’expliquer par plusieurs démarches méthodologiques : des entretiens biographiques dans la recherche de Julie Landour ou celle de Claire Bidart, l’exploitation des données législatives dans l’article de Bénédicte Zimmermann et dans celui de Catherine Négroni, et enfin l’exploitation de données quantitatives dans la contribution de Sandra V. Constantin.

9L’ouvrage alimente avec beaucoup d’intérêt les controverses sur une sociologie à l’échelle individuelle, avec une attention spécifique portée aux temporalités. Il rappelle les principales publications qui ont permis d’analyser les dynamiques biographiques et renouvelle une réflexion théorique qui s’articule de façon heuristique aux cas empiriques. Au total, ce livre donne à penser l’intérêt des approches décloisonnées en sociologie, et notamment les vertus heuristiques des apports d’une sociologie de l’action publique pour analyser les parcours de vie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sandrine Nicourd, « Catherine Négroni et Marc Bessin (dir.), Parcours de vie. Logiques individuelles, collectives et institutionnelles »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 66 - n° 3 | Juillet - Septembre 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/46377 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12atu

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Auteur

Sandrine Nicourd

Université de Reims Champagne-Ardenne
2 avenue Robert-Schuman 51100 Reims France
sandrine.nicourd[at]univ-reims.fr

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