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AccueilNumérosVol. 43 - n° 4Comptes rendusRolande Pinard, La révolution du ...

Comptes rendus

Rolande Pinard, La révolution du travail. De l’artisan au manager | Françoise Gollain, Une critique du travail. Entre écologie et socialisme

Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2000, 323 p. | La Découverte, Paris, 2000, 263 p.
Anne-Marie Grozelier
p. 558-559
Référence(s) :

Rolande Pinard, La révolution du travail. De l’artisan au manager, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2000, 323 p.

Françoise Gollain, Une critique du travail. Entre écologie et socialisme, La Découverte, Paris, 2000, 263 p.

Texte intégral

1Ces deux ouvrages sont d’un certain point de vue complémentaires. Le premier décrit le triomphe du capitalisme, perçu comme un mouvement qui imprègne et façonne l’ensemble des institutions de la société à mesure que le travail, dont il dépend, perdrait peu à peu toute réalité politique et sociale. Le second peut se présenter au contraire comme une alternative possible au capitalisme : nous serions désormais parvenus à un état de choses où le travail aurait cessé de constituer la relation sociale privilégiée et centrale qu’atteste jusqu’à présent l’exemple de toutes les sociétés historiques. Ces deux livres ont en commun de mettre en évidence les transformations que le capitalisme imprime à la société et l’envahissement toujours plus prégnant de la vie quotidienne et des rapports sociaux par l’« économisme » et le « productivisme ».

2Le travail conçu à la fois comme rapport de production et espace de liberté cesse petit à petit de constituer la relation centrale autour de laquelle tourne l’ensemble de la société. À l’appui de sa démonstration Rolande Pinard déroule une fresque très documentée de l’essor du capitalisme industriel à partir de références empruntées très majoritairement au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le mode de production capitaliste, rappelle-t-elle après d’autres, n’a pu se développer qu’en introduisant des formes d’organisation destinées à discipliner les ouvriers, les déposséder de leur savoir productif et de leur liberté d’action. Toute l’évolution du système productif vise d’ailleurs à leur retirer les derniers restes de maîtrise qu’ils pouvaient encore exercer sur leur travail et notamment sur le temps de fabrication lui-même. Aujourd’hui, la figure du manager accompagné des techniques de gestion vient s’intercaler dans les rapports entre le capital et le travail. R. Pinard décrit très bien comment, pour limiter le pouvoir ouvrier, le capitalisme, en même temps qu’il développait ses techniques dans les ateliers, s’est attaché à étendre son emprise sur la vie hors travail, l’école, la vie familiale, la vie publique, etc. Car désormais, les institutions se règlent pour ainsi dire « naturellement » selon la logique du management. Celle-ci fonctionne dès lors comme une pratique autonome, objective, scientifique au point, insiste-t-elle, que les syndicats eux-mêmes n’auraient plus d’autres choix que de reconnaître cette évidence et d’y souscrire. Les relations industrielles auraient ainsi été vidées de leur potentiel critique et de l’enjeu social qu’elles recouvrent. C’est là que R. Pinard semble manquer la bifurcation : en Europe continentale, les syndicats, une certaine tradition politique, et de nouveaux mouvements sociaux tentent de s’opposer au programme d’extension généralisée du domaine de la pensée gestionnaire. Et il reste vrai que les syndicats européens continuent à influer sur l’organisation du travail. Des mouvements collectifs, ici et là, s’amorcent, se développent, pour, à leur manière, maintenir une ouverture que l’auteur par son constat même, paraît refermer un peu trop rapidement. Au passage l’auteur, qui déchiffre décidément la réalité industrielle avec des lunettes anglo-saxonnes, n’hésite pas à fustiger bon nombre de sociologues coupables, selon elle, d’avoir par leurs analyses parachevé l’hégémonie du capitalisme. Sur ces derniers développements on peut regretter qu’elle ignore certains des sociologues français qui ont justement mis en évidence la manière dont les techniques et le discours du management envahissent certaines institutions telles que l’école ou d’autres encore qui soulignent le désintérêt affiché des intellectuels pour le monde ouvrier et la disqualification qu’ils ont opérée sur toute analyse politique en termes de rapports de pouvoir.

3Le livre de Françoise Gollain relève d’un genre qui a peu à voir avec la sociologie. C’est un plaidoyer pour l’avènement d’une société alternative qui romprait définitivement avec l’exploitation de la nature et de l’homme par le capitalisme. Elle suppose, entérine et semble même au fond saluer la raréfaction du travail, la perte de son sens, et finalement le déclin irréversible du salariat. Ce constat est lui-même sujet à discussion et trahirait plutôt l’intention réelle de l’auteur, plus attachée à défendre et à illustrer une thèse qu’à se confronter avec la réalité. Les théories bien connues d’André Gorz sont dans ce livre amplement mises à contribution. L’ouvrage dont – il est vrai – l’auteur reconnaît la dimension utopique, nous invite à réfléchir sur la « crise du travail » pour repenser l’avenir de la société et reconquérir des espaces de liberté et de libre détermination que l’économisme et le productivisme nous ont fait perdre. Elle insiste en particulier sur la dimension « historiciste » (sic) du travail dont le repli sur une dimension toujours plus réduite du salariat devrait frayer la voie vers des formes d’engagement social enfin libres. Redistribution du travail et de la richesse, revenu minimum garanti, tout est déjà pensé pour le passage vers la société post salariale.

4En attendant, n’y a-t-il pas un risque à vouloir, dans une même démarche, diminuer le temps de travail, dénoncer la marchandisation des services et célébrer le retour à l’autoproduction sans s’inquiéter de ce que ces remises en cause supposent le retour à la division traditionnelle des tâches au sein de la cellule familiale (cf. les études sociologiques sur les emplois du temps des salarié(e)s après une forte réduction du temps de travail) ? De toute façon, s’il est fort louable de convoquer à l’appui du nouveau paradigme écosocialiste les références les plus respectables, on cherche en vain les acteurs qui vont mettre en musique une alternative d’une telle ampleur.

5Entre l’ouvrage de R. Pinard qui souligne exagérément les choses telles qu’elles sont et les propositions de F. Gollain vouées à célébrer un état de la société telle qu’elle devrait être, le sociologue peine à trouver ce chemin étroit où l’analyse sociologique bien conduite ne se paierait pas d’un renoncement à l’action collective.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Marie Grozelier, « Rolande Pinard, La révolution du travail. De l’artisan au manager | Françoise Gollain, Une critique du travail. Entre écologie et socialisme »Sociologie du travail, Vol. 43 - n° 4 | 2001, 558-559.

Référence électronique

Anne-Marie Grozelier, « Rolande Pinard, La révolution du travail. De l’artisan au manager | Françoise Gollain, Une critique du travail. Entre écologie et socialisme »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 43 - n° 4 | Octobre-Décembre 2001, mis en ligne le 06 décembre 2001, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/35572 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.35572

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Auteur

Anne-Marie Grozelier

Laboratoire social d’actions d’innovations de réflexions et d’échanges (Lasaire), 17, rue du Château d’Eau, 75010 Paris, France.

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