Pierre Périer, Vacances populaires. Images, pratiques et mémoire
Pierre Périer, Vacances populaires. Images, pratiques et mémoire, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000, 324 p.
Texte intégral
1Issu d’une thèse de sociologie (elle-même constituée à partir de recherches contractuelles), ce travail sur les vacances s’est transformé en un livre très riche et fort bien écrit. Son objet est « la place et le sens des vacances dans la vie quotidienne des familles populaires ». L’ouvrage se propose de combler le vide relatif de la sociologie sur les questions de congé, en matière de « bonheur vacancier » face à la souffrance ordinaire. En apportant un éclairage à la fois sociologique et anthropologique sur le « style de vie des classes populaires », il montre comment, provisoirement dégagée des rapports de domination vécus au travail, la classe populaire engendre une production symbolique autonome à large spectre : tendue entre le terrain de la consommation fait d’installation éphémère dans le « mythe des vacances » et l’absence de repos pour travailler à son profit dans un contexte de sociabilité non contrainte. La méthodologie de ce travail est double : une analyse secondaire d’une base de données quantitatives (enquête d’opinion pour la Cnaf) et des entretiens réalisés par l’auteur auprès des « ayants droit » aux « bons vacances » des CAF, en fait des familles de la classe populaire constituées d’ouvriers et d’employés.
2Les résultats, présentés au long des quatre parties et des onze chapitres de l’ouvrage (310 pages très denses), sont trop abondants – voilà un livre dans lequel le lecteur, sociologue ou non, apprendra beaucoup – pour être résumés sur le mode linéaire ; on se contentera d’en esquisser quelques traits. Commençons par signaler une définition inattendue de la notion de vacances (p. 42) : « un lieu paradoxal où se mêlent les pensées intimes et les rêves collectifs, où la quête d’aventure côtoie la consommation de produits touristiques standardisés, où le profit économique n’exclut pas l’utopie ». Construite sur le mode figuratif, cette définition condense à la fois la perspective socio-anthropologique de l’auteur et le doute cartésien, l’ambivalence de principe, à l’égard d’un objet que le sens commun ne peut que valoriser.
3On retiendra également les fines restitutions de la manière dont s’articulent l’institué et le vécu du fait social « vacances ». Sont décrites les volontés existentielles par des pratiques autonomes, la liberté qui se déploie dans le jeu ou, au contraire, le compte rendu des routines reconstituées et des aliénations : les phénomènes de transfert ou de déplacement des contraintes sociales de la vie ordinaire en temps de travail vers le temps des vacances. On accompagnera, aussi et volontiers, l’auteur dans ses hésitations et tâtonnements pour désigner un temps de la vie quotidienne par les pratiques et symboles véhiculés plutôt que par des notions désignant des situations ou des espaces. L’auteur hésite, en effet, comme le montrent les expressions récurrentes telles que « la communauté des autres », les « communautés virtuelles », les « communautés éphémères », ou encore la « subculture communautaire au sein d’une société individualiste »…
- 1 Il s’agit de La conquête du présent écrit par Michel Maffesoli (en 1979 aux Puf). On trouvera les r (...)
4On touche ici au problème de fond de ce livre. Qu’est-ce que « les vacances » du point de vue sociologique et les analyser « sous l’angle des familles » relève-t-il d’une problématique de recherche suffisamment explicite ? Évidemment, l’auteur ne pouvait se borner à les définir comme envers du travail. Il ne pouvait, pas plus, se contenter d’analyser les relations intrafamiliales, sans quoi l’objet vacances lui échappait. Il était obligé de s’appuyer sur la socio-anthropologie du quotidien. C’est pourquoi les concepts de vie quotidienne, de quotidienneté ou les notions de vécu, mode et style de vie, sont très abondamment utilisés, presque à chaque page… Néanmoins l’auteur ne prend pas la peine de les définir (ce qui est malheureusement fréquent chez de multiples auteurs y compris parmi les sociologues « confirmés »). Il ne tente pas, non plus, de s’appuyer sur le riche référentiel à sa disposition : on constate que, si quelques sociologues importants de ce champ (comme Michel de Certeau, Joffre Dumazedier, Richard Hoggart, Christian Lalive d’Epinay ou Michel Verret) ont été lus, la bibliographie ne mentionne pas les principaux fondateurs de la sociologie de la vie quotidienne. Brillent par leur absence des auteurs tels que : Georges Balandier, Agnès Heller, Claude Javeau, Henri Lefebvre ou Michel Maffesoli dont l’auteur semble pourtant s’inspirer, puisqu’une section, nommée la « conquête du temps présent », ressemble fort à l’un des titres du cofondateur de ce champ1.
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5L’auteur est probablement conscient de la nécessité, s’agissant de comprendre le quotidien, d’articuler des techniques d’investigation de type quantitatif et des méthodologies qualitatives. C’est pourquoi il s’appuie très souvent sur R. Hoggart à défaut de fournir son propre matériau d’observation. Si cette référence est si utile à la connaissance de la culture populaire c’est que l’universitaire britannique construit son texte à partir d’observations rétrospectives auxquelles on peut assimiler les autobiographies. Mais était-il nécessaire de reprendre, à de multiples reprises, les résultats instables de sondages d’opinion (contenant des questions du type « combien de fois dans l’année pensez-vous aux vacances ? ») ? Dans la même veine, la typologie du rapport au temps des vacances, centrale dans l’ouvrage et dont la méthode de construction n’est pas explicitée (classification hiérarchique ascendante ou analyse factorielle des correspondances ?) devait-elle attribuer aux types des noms ressemblant aux sociostyles de la Cofremca ou du CCA2… Des constructions figuratives construites à partir d’observations et d’entretiens (éventuellement recoupées par du traitement de données pour en renforcer la pertinence) auraient sans doute mieux rendu compte de la profondeur anthropologique et des paradoxes du phénomène étudié.
6La plus grande richesse du livre est d’ailleurs, très logiquement, dans les multiples restitutions de passages d’entretiens dont certains sont à haute densité de sens. Peut-être aurait-il fallu en mettre un peu moins en exergue, ou bien les décaler d’un texte souvent dense (voire touffu) au sein duquel les paroles à plus forte valeur symbolique se trouvent un peu trop noyées. La richesse du contenu se double d’un défaut relatif non pas d’analyse – l’auteur montre au contraire de grandes qualités de finesse d’interprétation et de conceptualisation – mais de condensation du sens dans les conclusions de parties ou dans la conclusion finale. La vérité de ce livre est dans le témoignage. Il appartenait au sociologue de tirer les fils du raisonnement et, au final, de retracer les principales formes ou perspectives des vacances populaires. Le lecteur reste un peu sur sa faim à cet égard. Mais il s’agit là d’une question d’expérience et de maturité sociologiques que Pierre Périer va, sans nul doute, acquérir. En attendant, espérons que des thèses comme la sienne, aussi étayées par du travail empirique, se multiplieront.
Notes
1 Il s’agit de La conquête du présent écrit par Michel Maffesoli (en 1979 aux Puf). On trouvera les références bibliographiques des fondateurs du champ (et des principaux représentants) de la sociologie de la vie quotidienne dans Sociologie des genres de vie et dans Les formes élémentaires de la vie quotidienne (Salvador Juan, 1991 et 1995, Puf, Paris).
2 On peut lire (p. 124) un tableau où les Ritualistes sont distingués des Conquérants, Aventuriers, Incertains, Contrariés, Croyants ou des Repliés… La Cofremca et le CCA sont des instituts de marketing socioculturel.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Salvador Juan, « Pierre Périer, Vacances populaires. Images, pratiques et mémoire », Sociologie du travail, Vol. 44 - n° 3 | 2002, 439-441.
Référence électronique
Salvador Juan, « Pierre Périer, Vacances populaires. Images, pratiques et mémoire », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 44 - n° 3 | Juillet-Septembre 2002, mis en ligne le 17 octobre 2002, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/34026 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.34026
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