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AccueilNumérosVol. 62 - n° 1-2Comptes rendusLucie Bonnet, Métamorphoses du lo...

Comptes rendus

Lucie Bonnet, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté

Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2015, 358 p.
Virginia Santilli
Référence(s) :

Lucie Bonnet, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2015, 358 p.

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Crédits : Presses universitaires de Rennes

1Tiré d’une thèse de doctorat, cet ouvrage retrace l’évolution des conceptions du logement en France. D’après les institutions publiques, que doit-on assurer aux personnes logées pour qu’elles puissent se sentir reconnues en tant que citoyennes ? Quel type de rapport à l’habitat est valorisé ? Pour répondre à ces questions, Lucie Bonnet étudie dans une première partie de l’ouvrage l’évolution des « qualifications » du logement par les politiques publiques depuis le XIXe siècle. Elle observe ensuite la déclinaison de ces qualifications au sein de deux sphères de l’action publique : celle de la réinsertion par le logement (deuxième partie) et celle du logement social (troisième partie).

2Prenant appui sur des travaux d’historiens, de sociologues et sur la littérature grise, L. Bonnet relit dans une première partie l’évolution des politiques du logement social à l’aune des notions d’« épreuve », de « grandeur » et d’« ordre » développées par le cadre théorique pragmatiste. L’action des pionniers du logement social, alors que celui-ci est considéré comme une nécessité pour lutter contre l’insalubrité matérielle et la dégradation morale de la famille ouvrière, s’inscrit dans un ordre domestique. Cette conception est ensuite critiquée par le mouvement ouvrier qui revendique la fin du lien de dépendance au patron au nom d’une grandeur civique. Elle l’est également par une nouvelle élite selon laquelle l’habitat populaire a besoin d’être rationalisé. L’investissement dans la construction du logement social dans les années 1950 est analysé comme un compromis modernisateur associant la grandeur industrielle à la justification par une nécessaire solidarité impersonnelle et civique. Cette période de construction en masse planifiée par l’État constitue un refus des instances moralisatrices et normatives de la période précédente. Mais ce nouvel ordre de grandeur est à son tour mis en crise à la fin des années 1970, car il ne correspond plus à l’aspiration des Français, notamment en termes de qualité du logement. Ces critiques s’inscrivent dans une grammaire libérale qui rejette le modèle d’intervention publique. À partir des années 1990, l’État doit surtout assurer une offre diversifiée dans laquelle peuvent s’exprimer les choix individuels des ménages sur le marché. L’autrice voit une évolution au sein de cet ordre marchand avec la valorisation, durant les années 2000, de la mobilité des personnes et de la fluidification des parcours résidentiels dans l’objectif d’un fonctionnement plus efficace du marché. Elle constate finalement que son propre objet d’étude, le logement, est en cours de disparition, les conceptions qui façonnent actuellement la définition du logement tendant à le considérer comme le support des capacités d’actions de l’individu et donc de la réalisation d’un projet individuel.

3L’ouvrage croise de façon originale deux enquêtes pour rendre compte des déplacements des politiques du logement et de l’émergence de l’injonction à l’autonomie et à la responsabilité individuelle.

4L’autrice se concentre d’abord sur les politiques de réinsertion des personnes en difficulté par l’accès au logement. Au cours d’un stage de six mois au sein d’une des fédérations d’associations d’insertion, elle a pu observer une vingtaine de réunions entre associations de l’insertion, et parfois avec les pouvoirs publics. Puis, elle s’est penchée sur le cas de l’ouverture d’une nouvelle structure d’hébergement à travers une campagne d’entretiens auprès des différents acteurs impliqués — affaires sociales, services de la ville, et association porteuse du projet. L’autrice définit ces scènes comme des « arènes », notion de la sociologie de la participation qui permet d’appréhender la constitution et la publicisation d’un problème par les acteurs concernés. Questionner l’absence de logement ou le mal-logement permet de mettre en lumière les différentes définitions d’un bon logement. Ce travail montre ainsi comment le secteur de l’action sociale détermine aujourd’hui le dispositif d’hébergement spécifique (centres d’hébergement et de réinsertion sociale, maisons-relais, résidence sociale, foyers) attribué en fonction du niveau d’autonomie des personnes accompagnées. Le logement, échelon le plus élevé, est réservé à celles qui ont manifesté une capacité d’autonomie et un projet individuel. L’argumentaire développé par les associations observées juxtapose la revendication d’un droit au logement dans une optique de justice sociale, qui s’inscrit donc dans un ordre de grandeur civique, à une grammaire libérale. Le logement devient la garantie d’un état de dignité, son absence gâche un potentiel développement du capital humain et représente une gestion inefficace des ressources publiques.

5La dernière partie retrace l’enquête de Lucie Bonnet auprès des équipes de gestion locative de trois organismes HLM (habitations à loyer modéré). Après avoir exposé les différentes réorganisations des entités, elle a suivi pendant deux ans les employés en contact direct avec les locataires — gardien ou personnel d’agence — sur différents sites afin de comparer comment ils se saisissent des injonctions à la qualité du service et au respect des équilibres financiers. L’ouvrage revient sur une série de mesures discrètes introduites à partir de 2002 : des outils de gestion facilitant une coordination marchande, une réforme de l’actionnariat des organismes et l’instauration d’un gouvernement par les objectifs à travers les conventions d’utilité sociale (CUS) négociées avec les organismes. Une attention particulière est portée aux dispositifs affichés comme de nouveaux arrangements marchands, afin d’en vérifier les effets concrets. L’étude souligne ainsi que des outils tels que la CUS sont pour l’instant davantage des outils de contrôle des stratégies patrimoniales que des épreuves marchandes de coordination par les prix. L’autrice montre comment l’évolution du cadre législatif entraîne une standardisation des trois organismes, signe que la grandeur industrielle imprègne les processus de réorganisation. En revanche, l’expansion d’une coordination marchande apparaît beaucoup plus variable ; la culture du résultat est inégale au sein des organismes étudiés. La généralisation d’une grammaire libérale est quant à elle avérée et provoque une révision de la relation avec le client, même dans les organisations où le locataire était déjà valorisé. Cette révision conduit à une reconnaissance de l’autonomie et de la responsabilité des locataires. Ces réorganisations et nouvelles procédures répondent à des exigences de justice et d’égalité de traitement des clients et à des exigences d’efficacité dans la résolution des réclamations. Si elles n’inscrivent pas nécessairement l’organisme dans une logique marchande, en revanche elles créent des tensions pour les gardiens et secrétaires d’agences, les employés des organismes HLM le plus directement impliqués dans le travail relationnel avec les locataires. Ce travail « en plus » des agents est décrit dans l’ouvrage comme un travail de tri et de requalification des plaintes des locataires au format requis par le bailleur. Si les réorganisations formalisent et publicisent activement ces services, c’est parce qu’elles entendent à terme transformer en valeur marchande cette grandeur domestique.

6La variété des matériaux collectés, des acteurs observés et des corpus mobilisés est considérable, elle permet à l’autrice d’articuler l’analyse macrosociologique des enjeux normatifs liés au logement à l’observation microsociologique des pratiques par lesquelles les travailleurs de l’hébergement et du logement social matérialisent le bon logement et son bon usage. Elle retrace ainsi l’injonction à l’autonomisation et la responsabilisation du citoyen dans la société et contribue aux débats sur la nouvelle question sociale en effectuant un déplacement de la problématisation du travail par l’action publique à celle du logement. Parallèlement, l’enquête sur les organismes HLM participe à la fois aux discussions sur la figure du gardien et sur sa mise à distance des rôles institutionnels qui lui sont attribués, à celles sur le tournant modernisateur des bailleurs sociaux et, surtout, aux débats virulents sur la marchandisation et la privatisation du logement social. En identifiant les pratiques qui relèvent de l’injonction à l’autonomie — ressort principal de la grammaire libérale — et en les distinguant des logiques propres à la coordination marchande ou à la grandeur industrielle, Lucie Bonnet réussit grâce à ces outils conceptuels à produire une description fine des transformations du secteur. Dans cette optique, il serait intéressant d’approfondir le travail d’articulation entre contraintes gestionnaires, introduction des principes marchands et reconnaissance du client, que l’ouvrage annonce mais ne retrace que partiellement, en se focalisant par exemple sur les outils de gestion utilisés par les équipes sur le terrain et dont les effets ne sont pas étudiés.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Virginia Santilli, « Lucie Bonnet, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 62 - n° 1-2 | Janvier-Juin 2020, mis en ligne le 01 juin 2020, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/30353 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.30353

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Auteur

Virginia Santilli

Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS), CNRS-EHESS-INSERM
54, boulevard Raspail, 75006 Paris, France
virginia.santilli[at]ehess.fr

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Droits d’auteur

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