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AccueilNumérosVol. 51 - n° 2Comptes rendusProfession : policier, sexe : fém...

Comptes rendus

Profession : policier, sexe : féminin, G. Pruvost

Éditions de la MSH, Paris (2007). 307 p.
Guillaume Malochet
p. 301-303
Référence(s) :

Geneviève Pruvost, Profession : policier, sexe : féminin, Éditions de la MSH, Paris, 2007, 307 p.

Texte intégral

1Geneviève Pruvost signe une remarquable contribution à l’étude de l’accès des femmes à la violence légale. Tiré d’une thèse soutenue en 2005, l’ouvrage s’intéresse à la féminisation de l’ensemble des grades et fonctions de la Police nationale, de l’encadrement en civil aux agents en tenue. Dans une institution où la féminisation s’est d’abord opérée par le haut, avant de se diffuser progressivement (les femmes représentent aujourd’hui 14 % de l’ensemble des effectifs policiers), cette option se justifiait pleinement. Signalons d’emblée qu’il s’agit là d’un ouvrage pionnier qui, mesuré à cette seule aune, mériterait déjà d’être salué. Pionnier, le travail de G. Pruvost l’est à la fois parce qu’il se donne un objet rarement étudié (la féminisation de la Police nationale) et parce qu’il l’inscrit au cœur des débats sur les rapports sociaux de sexe et les formes contemporaines de maintien de l’ordre.

2Dans le sillage des analyses de Paola Tabet, l’auteur note que le maniement des armes a longtemps constitué un des fondements de la division sexuelle du travail. Ce fait anthropologique se manifestait sous la forme d’un interdit coutumier, institué en principe de clôture professionnelle : les femmes ne pouvaient prétendre user de la contrainte physique légitime, ce monopole étant réservé par la loi et la tradition aux seuls hommes. L’accès des femmes aux « pleins pouvoirs de police » se révélait donc un point d’observation privilégié de la dynamique des rapports sociaux de sexe. La féminisation d’un tel univers devait permettre d’interroger les brèches ouvertes dans cet interdit anthropologique — et les résistances qui demeurent.

3Ce pari analytique est appuyé sur une enquête de terrain aussi longue que diversifiée. S’étalant sur une période de sept ans, celle-ci mêle un vrai investissement documentaire à un travail qualitatif d’ampleur : près de 130 entretiens biographiques s’ajoutent à des observations menées en formation (écoles de police) et en situation de travail (commissariat de sécurité publique et antenne de police judiciaire). Des données quantitatives sur les conditions de vie et d’emploi de 5000 policiers des deux sexes complètent ce dispositif conséquent.

4Le constat qui ressort du premier chapitre, consacré à la « conversion au métier », est celui d’une « intégration en voie de banalisation ». Pour 90 % d’entre elles, ces femmes ne sont pas les héritières de pères policiers. Elles n’hésitent pas à afficher des motivations « réalistes » vis-à-vis du métier policier : avant d’être le domaine des hommes, il représente le moyen d’accéder à une stabilité matérielle non négligeable. Il ne s’agit pas, pour l’écrasante majorité des femmes, de se revendiquer comme les héroïnes de l’émancipation féministe, ni de défendre un professionnalisme d’assistantes sociales déguisées. Elles ont tendance à valoriser le métier policier pour sa proximité avec l’action, ce qui les rapproche de leurs collègues masculins. Leurs motivations initiales se révèlent même teintées d’un plus grand rigorisme, d’une attention plus aiguë à la loi et l’ordre. C’est pendant la formation que l’incorporation du métier se met en place pour les deux sexes. C’est à cette occasion que « les femmes apprennent que l’égalité s’acquiert par ressemblance au genre viril » (p. 97). La pratique sportive, le maniement des armes et, plus généralement, le caractère militaire de la formation délivrée dans les écoles de police participent de cet apprentissage de la virilité. L’expérience de la vie en communauté favorise en outre le sentiment d’appartenir à une « famille » professionnelle commune. Cela ne signifie bien sûr pas que les relations entre hommes et femmes soient débarrassées de tout caractère sexuel. Au contraire, c’est là un des mérites de l’auteur que d’avoir accordé à la sexualité — sous l’angle des relations hétéro/homosexuelles ou du harcèlement — une place de choix dans son enquête. Ainsi, peut-elle montrer que l’apprentissage de la virilité est indissociable pendant la formation d’une autre dynamique : l’institutionnalisation de la vulnérabilité féminine, l’assignation à une identité de sexe toujours dévalorisée.

5La féminisation de la police se fonde sur un « principe de dissémination des femmes ». Certes, il existe encore des bastions masculins, les compagnies républicaines de sécurité notamment. Mais aucune enclave féminine ne s’est créée, aucune spécialisation (avec les femmes victimes ou délinquantes par exemple) n’a été mise en place. L’accès des femmes à la violence légale se réalise donc effectivement, à la manière d’une « révolution respectueuse » (Catherine Marry). La féminisation révèle la résistance d’un principe fort de l’organisation du travail policier : la polyvalence des effectifs — la rotation des postes apparaissant indispensable à la gestion de la pénibilité du métier. Ce résultat général mérite néanmoins d’être lu à la lumière des « trajectoires sociales sexuées » des unes et des autres. S’appuyant sur des récits de pionnières dans des postes prestigieux, G. Pruvost montre que les femmes sont discriminées tout autant sur le plan des mobilités horizontales que sur celui des évolutions verticales. À la sursélection institutionnelle dont elles sont victimes, l’auteur ne manque pas d’ajouter l’absence de cooptation entre femmes. La solidarité de sexe ne semble fonctionner ici qu’au masculin. Certains arrangements de couples ou le « choix » du célibat permettent en revanche à certaines femmes de faire carrière sur le modèle masculin du dévouement professionnel.

6Quand elle aborde l’exercice du travail policier, G. Pruvost avance l’hypothèse d’un « sentiment d’indifférenciation des tâches » entre hommes et femmes. Le postulat d’interchangeabilité des agents de grade et d’ancienneté similaires, l’équivalence solidaire entre policiers d’une même équipe seraient commandés par la nature même des situations de travail : l’exposition au danger et à la violence, l’urgence, etc. L’auteur montre toutefois que ce sentiment d’indifférenciation ne peut exister qu’au prix du maintien de certaines règles sexuées dans le partage des tâches (concernant les examens corporels, par exemple). Faut-il dès lors insister sur l’indifférenciation progressive du travail, corollaire d’une « civilisation des mœurs policières » ou bien considérer que l’arbre des « compétences professionnelles » risque de cacher la forêt des discriminations sexuées ?

7Le dernier chapitre analyse le processus qui tend à faire de « ces femmes recrutées, toujours suspectées d’être conformes aux stéréotypes de leur sexe... des policiers virils de sexe féminin » (p. 222). Le modèle professionnel policier est fondé sur la valorisation de la virilité au sens de force, courage et capacité à se battre. Cette virilisation des femmes recouvre en fait deux mouvements différents. Le premier, qui concerne prioritairement les gardiennes de la paix, consiste en une « inversion du genre » (l’incorporation de traits virils qui permettent à ces femmes d’être rangées du côté des hommes). Le second, repérable pour les grades supérieurs, tient plutôt de la « déféminisation partielle ». Grâce à l’accent mis sur les activités de hors-travail et de « coulisses », G. Pruvost montre que la virilisation s’accompagne cependant pour les femmes d’impératifs de sexuation très nets. Ainsi donc, l’imitation des hommes par les femmes, loin de contester la prédominance accordée à la virilité policière, la conforte.

8Si l’on peut regretter l’absence de cadrage sociohistorique de son objet, reste que Profession : policier, sexe : féminin constitue aujourd’hui un vade-mecum indispensable pour qui s’intéresse à la sociologie des professions de sécurité et à la dynamique des rapports sociaux de sexe.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Malochet, « Profession : policier, sexe : féminin, G. Pruvost »Sociologie du travail, Vol. 51 - n° 2 | 2009, 301-303.

Référence électronique

Guillaume Malochet, « Profession : policier, sexe : féminin, G. Pruvost »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 51 - n° 2 | Avril-Juin 2009, mis en ligne le 19 mai 2009, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/16576 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.16576

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Auteur

Guillaume Malochet

Conservatoire national des arts et métiers (Lise–CNRS), 2, rue Conté, 75003 Paris, France
guillaume.malochet[at]cnam.fr

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