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Comptes rendus

Daisy Deomampo, Transnational Reproduction: Race, Kinship, and Commercial Surrogacy in India

University of New York Press, New York, 2016, 288 p.
Sébastien Roux
Référence(s) :

Daisy Deomampo, Transnational Reproduction: Race, Kinship, and Commercial Surrogacy in India, University of New York Press, New York, 2016, 288 p.

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Mots-clés :

Gestation pour autrui, Race
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Texte intégral

1Daisy Deomampo publie son premier ouvrage, Transnational Reproduction, issu d’une thèse d’anthropologie menée sous la direction de Leith Mullings, ancienne présidente de l’American Anthropological Association (2011-2013) et figure des race studies aux États-Unis. Transnational Reproduction participe du renouveau actuel des études anthropologiques sur la parenté et la reproduction ; l’ouvrage s’inscrit dans la liste grandissante des enquêtes ethnographiques conduites sur la gestation pour autrui (GPA) et l’expérience des femmes dites « porteuses ». À la suite de plusieurs enquêtes empiriques dont les travaux déjà classiques d’Elly Teman (2010) ou d’Amrita Pande (2014), Daisy Deomampo adopte une perspective originale : elle se concentre sur la manière dont les questions raciales traversent l’organisation des grossesses pour autrui, façonnent la « commodification » des capacités reproductives et organisent la mondialisation des projets reproductifs.

2À l’instar d’un nombre croissant de chercheuses et chercheurs confrontés à des terrains complexes, l’autrice a alterné entre observations situées et entretiens approfondis. Elle a d’abord conduit une enquête en Inde entre 2008 et 2010 dans les villes de Bombay, Delhi et Anand (Gujarat). Cette phase initiale a été complétée par des entretiens aux États-Unis (2011-2014) puis par un nouveau temps d’immersion sur son terrain indien. Cette pluralité d’espaces permet la mise en écho de contextes et d’acteurs qui, tous, éclairent d’une perspective singulière leurs expériences de la GPA : « femmes porteuses », bien sûr, mais aussi parents d’intention, donneurs de gamètes, professionnels de santé, entrepreneurs de fertilité, intermédiaires, médecins, conjoints, etc. Cette diversité, servie par une écriture fluide et un sens aigu de la narration, permet d’alterner les points de vue et de développer un propos riche sur la complexité des expériences vécues, au-delà des prises de position souvent stéréotypées auxquelles le débat français nous a habitués. Ainsi, Daisy Deomampo ne parle jamais de sujets abstraits ni ne s’aventure sur le terrain glissant des postures morales ; elle enquête bien davantage sur les pratiques qui s’observent en Inde et aux États-Unis (deux pays où la GPA est tolérée, réglementée et marchande) et éclaire la force des hiérarchies qui structurent ce commerce mondialisé, consolidant sa critique par la force des données empiriques.

3Après un rappel du « contexte indien » (chapitre 1), l’autrice s’intéresse d’abord aux formes d’altérisation ou exotisation (othering) qui permettent aux dominants (corps médical, parents d’intention, intermédiaires) de résoudre — voire d’évacuer — les questionnements éthiques et de rendre possible la réalisation d’une relation problématique (chapitre 2). Une fois le cadre et le contexte précisés, Daisy Deomampo développe un propos plus original sur les différences phénotypiques et leurs traitements pour montrer comment les questions raciales font l’objet d’un traitement rationnel visant à naturaliser, par la couleur de peau, le rapport contractuel qui unit indirectement clients blancs et prestataires indiennes (chapitre 3). Le nombre et la diversité des interventions, ainsi que le haut degré de spécialisation et la technicité des tâches, permettent d’assurer le respect d’un ordre racial qu’ils affermissent en retour. Ainsi, par exemple, en utilisant un œuf importé d’Afrique du Sud (dont on garantit la provenance pour s’assurer que la donneuse soit « blanche »), les cliniques promettent un enfant dont la couleur le rangera « du côté » de ses parents d’intention tout en l’éloignant de la femme qui l’a porté, marquant dans les corps et les esprits l’identité qu’on lui assigne et la force du contrat à son origine.

4S’ensuit une réflexion sur les enjeux de citoyenneté et d’appartenance(s) qui traversent la GPA et recoupent pour partie des questions raciales (chapitre 4). Daisy Deomampo souligne d’abord que ces projets parentaux, s’ils sont mondialisés, n’échappent pas aux frontières étatiques ; les questions de reproduction sont aussi des questions politiques. En effet, visas, tests ADN, déclarations consulaires apparaissent comme autant d’étapes (et d’épreuves) qui visent à établir « la vérité » des filiations et, à travers elle, les limites des communautés d’appartenance. Or, ces moments successifs — qui s’avèrent toujours difficiles pour des parents d’intention confrontés à la mise en question des liens et des démarches — sont traversés d’assignations raciales, de préjugés, de sens commun qui présupposent toujours l’homogénéité raciale des familles, la « blanchité » du Nord et l’infériorité sociale des personnes racisées.

5L’autrice affine ensuite son analyse (chapitre 5) en montrant avec justesse la manière dont les hiérarchies raciales et nationales s’intriquent sans se superposer mécaniquement. En effet, si tout sépare les parents d’intention des femmes qui porteront leurs enfants, le « Nord » ne s’oppose pas pour autant au « Sud » dans une lecture antagonique et binaire du pouvoir. Les hiérarchies raciales s’exercent également au sein des pays concernés, traversant l’intégralité des prises en charge commerciale et médicale. Par exemple, en étudiant la manière dont les médecins indiens classent leurs patientes et les traitent selon des logiques raciales, D. Deomampo montre que les intermédiaires locaux participent à l’essentialisation des femmes indiennes et à leur domination. Les savoirs et les expertises construisent la race comme une catégorie effective facilitant la contractualisation et la marchandisation des capacités reproductives. Untel se prononce sur le bassin des femmes indiennes ou leurs capacités maternelles, tel autre sur le poids des enfants blancs et leurs caractères supposés, autant de propos collectés qui dessinent la prégnance des jugements raciaux mobilisés pour, dans le même temps, unir et séparer les contractants et faire de la reproduction humaine un bien marchand. L’ouvrage se poursuit par des chapitres un peu moins originaux sur la médicalisation de la naissance (chapitre 6) et « l’agencéité » des gestantes (chapitre 7), terminant ceci dit une démonstration d’ensemble efficace sur le poids et l’influence des questions raciales dans la fabrique des enfants « pour autrui ».

6Certes, Transnational Reproduction peut soulever quelques réserves. Les interprétations proposées sont parfois discutables, notamment en fin d’ouvrage. L’autrice, dans le dernier chapitre sur l’agencéité, souhaite en effet terminer sa démonstration en revalorisant les subjectivités féminines, et réinscrit la démarche commerciale des femmes gestantes dans l’économie globale des nouvelles techniques de reproduction dont elles chercheraient à bénéficier pour partie (p. 195 et suivantes). Non dénuées de capacité d’agir, elles intègrent la GPA comme moyen d’enrichissement et font de cette expérience une opportunité relative leur permettant d’accéder à des ressources autrement hors d’atteinte. Or, si l’argument se comprend au plan politique, les faibles possibilités de négociation féminine, la force des contraintes vécues et le poids des hiérarchies raciales rend malheureusement le propos un peu obligé. Car si la capacité d’agir des dominées demeure (comme dans toute interaction sociale), c’est moins son existence qui importe que son ampleur — qui apparaît limitée au regard des contraintes subies. Dernière critique, la structure doctorale de l’argumentation apparaît encore assez visible — surtout dans la revue de littérature initiale et dans la prudence des conclusions finales —, rendant parfois la lecture attendue.

7Mais ces réserves n’invalident pas la valeur indéniable de l’ouvrage. Avec Transnational Reproduction, Daisy Deomampo signe un livre sérieux et intelligent qui permet d’éclairer les pratiques autour de la grossesse pour autrui comme les hiérarchies qui la traversent et la rendent possible. L’entrée par la question raciale se révèle particulièrement heuristique : elle permet de mettre au jour des rapports de pouvoir autrement plus complexes que la seule opposition de principe entre bénéficiaires « exploiteurs » et prestataires « victimes », tout en montrant la prégnance des différences et des inégalités qui façonnent ces échanges contractuels. Ainsi la GPA, moins qu’une technique problématique per se, apparaît-elle davantage comme une pratique révélatrice des rapports de pouvoir mondialisés qui affectent les vies contemporaines. Et Transnational Reproduction montre une fois de plus que la critique — nécessaire — de ces forces et de ces contraintes est rendue d’autant plus pertinente qu’elle parvient à intégrer les questions raciales, et la manière dont la construction sociale des différences s’adosse aujourd’hui aux différences perçues de couleur et de phénotype.

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Bibliographie

Pande, A., 2014, Wombs in Labor: Transnational Commercial Surrogacy in India, Columbia University Press, New York.

Teman, E., 2010, Birthing a Mother: The Surrogate Body and the Pregnant Self, University of California Press, Berkeley.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Roux, « Daisy Deomampo, Transnational Reproduction: Race, Kinship, and Commercial Surrogacy in India »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 61 - n° 1 | Janvier-Mars 2019, mis en ligne le 07 mars 2019, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/14689 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.14689

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Auteur

Sébastien Roux

Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST)
UMR 5193 CNRS, EHESS, ENSFEA et Université Toulouse Jean Jaurès
Maison de la Recherche, 5, allées Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9, France
sebastien.roux[at]ehess.fr

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