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AccueilNumérosVol. 61 - n° 1Comptes rendusGuy Vanthemsche (dir.), Les Class...

Comptes rendus

Guy Vanthemsche (dir.), Les Classes sociales en Belgique : deux siècles d’histoire

Le CRISP, Bruxelles, 2016, 464 p.
Céline Dumoulin
Référence(s) :

Guy Vanthemsche (dir.), Les Classes sociales en Belgique : deux siècles d’histoire, Le CRISP, Bruxelles, 2016, 464 p.

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Texte intégral

1Cet ouvrage se présente comme une partie d’un projet collectif mené par des historiens gantois et bruxellois, ayant pour objet d’écrire l’histoire sociale en Belgique des XIXe et XXe siècles dans ses dimensions économiques, culturelles et politiques. Ainsi, ce travail aborde l’évolution de la société belge du point de vue de la migration, de la démographie, du travail mais aussi de la scolarisation, de la consommation et de l’habitat, entre autres. S’ils sont ambitieux, ces chercheurs ne sont pas pour autant des pionniers en la matière. En 1956, déjà, l’économiste et historien Ben-Serge Chlepner s’était attelé à la tâche dans l’ouvrage Cent ans d’histoire sociale en Belgique, qui apparaît central dans la construction et la diffusion du courant de l’histoire sociale en Belgique. Mais c’est en élargissant la perspective à de nouvelles dimensions et en tenant compte d’une période plus étendue que nos historiens contemporains ré-ouvrent ce chantier tout à fait stimulant.

2L’ouvrage coordonné par Guy Vanthemsche prend en charge la question du « travailler et gagner sa vie ». Il s’intéresse donc plus précisément à l’évolution des conditions d’emploi et de travail des travailleurs belges depuis les débuts de l’industrialisation jusqu’à la fin du XXe siècle. Les classes sociales évoquées dans le titre de l’ouvrage sont donc envisagées par les auteurs d’abord comme des groupes socioprofessionnels, et non comme des classes sociales au sens pleinement marxiste du terme. Néanmoins, une attention particulière est accordée à la position économique occupée par ces groupes socioprofessionnels dans les rapports de production.

3L’ouvrage est organisé en neuf chapitres.

4Le premier chapitre introductif, écrit par G. Vanthemsche, retrace avec brio les grandes évolutions du salariat belge et le développement de cette forme d’emploi au cours des deux derniers siècles. Y sont indiquées les grandes étapes de l’organisation du, ou plutôt des marchés du travail, en insistant notamment sur la constitution d’une distinction entre employés et ouvriers (particulièrement prononcée en Belgique du fait de l’existence de deux types de contrats : le contrat d’emploi et le contrat ouvrier), la diversité intrinsèque du salariat et de ses statuts, les évolutions technologiques et économiques, et la formation des institutions du salariat. Bien que fort dense, ce chapitre permet de poser le cadre de la discussion dans lequel les parties suivantes vont s’insérer et documenter plus précisément les évolutions de chacune des catégories étudiées. Il donne en quelque sorte le la des entrées privilégiées pour les décrire : effectif, qualification, conditions de travail, formes de rémunération, recomposition des hiérarchies salariales.

5Le deuxième chapitre, de Peter Scholliers, traite plus précisément d’une question centrale de l’ouvrage, celle du pouvoir d’achat des ouvriers, et souligne l’apport d’une lecture par les salaires pour comprendre l’évolution économique, institutionnelle et sociale d’une société. Les troisième, quatrième et cinquième chapitres se partagent les exposés des évolutions du salariat entre ouvriers, employés et fonctionnaires. Dans le chapitre d’Eric Geverkens, les ouvriers sont principalement envisagés sous l’angle de l’évolution de leurs conditions de travail. L’auteur y montre en effet que l’amélioration de la condition ouvrière doit plutôt à une amélioration du pouvoir d’achat et un meilleur équilibre entre vie au travail et temps de la vie, qu’à une amélioration des conditions de travail.

6C’est aussi, de manière moins attendue, cette question des conditions de travail que pointe Peter Vanhooren comme l’un des ressorts ayant conduit le groupe des employés à se rapprocher des ouvriers dans la hiérarchie salariale au début du XXe siècle. Considéré comme proche des milieux patronaux au siècle précédent, le monde des employés connaît l’irruption de maladies qui les touchent particulièrement (par exemple la tuberculose), ce qui traduit des conditions de travail dégradées dans des espaces confinés et peu aérés mais aussi un manque d’accès au système de protection sociale. Cette évolution conduit ainsi à reconsidérer le positionnement des employés dans le salariat pour aboutir à une uniformisation des systèmes de pension ouvriers et employés en 1967. Néanmoins, on sait que cette distinction entre ouvriers et employés reste chez nos voisins belges une question sociale aiguë, puisque ce n’est qu’à compter de 2014 que s’instaure un statut unique. L’intérêt de ce chapitre réside dans le choix de l’auteur d’envisager ce groupe des employés à la fois du point de vue des conditions réelles de travail et du point de vue de son positionnement socio-culturel. L’histoire du groupe des fonctionnaires qui, dans le contexte belge, est considéré comme un groupe à part de celui des employés du fait d’un statut d’emploi différent, fait l’objet d’un chapitre distinct. Son auteur, André Hardewyn, y retrace les évolutions morphologiques du groupe des fonctionnaires, de leurs conditions de travail ainsi que l’élaboration du statut de fonctionnaire et ses adaptations progressives jusqu’à la grande réforme des services publics (dite réforme Copernic) dans les années 2000.

7Les indépendants sont présentés dans le cadre de trois chapitres, l’un consacré aux agriculteurs, un autre aux professions libérales et un dernier aux artisans commerçants. Les professions libérales y sont, de manière assez attendue, présentées selon les ordres et les réglementations d’accès spécifiques aux professions. Comme en France, les ordres professionnels demeurent puissants mais sont néanmoins remis en cause par les ouvertures à la concurrence dans le cadre de la réglementation européenne. Agriculteurs et artisans font quant à eux l’objet d’une investigation plus poussée au sujet de leur identité politique et culturelle. On retiendra du chapitre de Peter Heyrman sur les petits commerçants la difficulté de les positionner dans l’espace socioprofessionnel. C’est surtout le soutien familial et l’ancrage local que l’auteur retient comme une clé de lecture pertinente de l’évolution de ce groupe. Enfin, un dernier chapitre s’intéresse aux élites et à leur recomposition supposée. Ginette Kurgan-van Hetenryk y montre l’exceptionnelle agilité des familles appartenant aux classes dirigeantes à s’adapter aux nouvelles formes du capitalisme, à se reconstituer et agréger de nouveaux capitaux qu’ils soient économiques, financiers ou culturels.

8L’ensemble de l’ouvrage offre une lecture passionnante et permet de reconstituer les grandes dynamiques du monde du travail. Pour ce faire, les auteurs s’appuient sur des sources et des références riches et variées, principalement néerlandophones. On apprécie tout particulièrement la manière dont les statistiques sont mobilisées comme un matériau ne venant pas seulement illustrer un propos mais qui est examiné finement à des fins de production d’une connaissance sur les évolutions des groupes socioprofessionnels étudiés.

9Bien qu’ancré dans l’histoire spécifique des institutions belges, l’ouvrage offre l’intérêt de retracer des dynamiques qui concernent l’ensemble du territoire nord-européen. Enfin, pas plus que la frontière géographique, la frontière disciplinaire ne doit dissuader les sociologues français de lire cet ouvrage. Écrit par des historiens, l’ouvrage intéressera tout autant les sociologues du travail. Évidemment, comme tout ouvrage collectif, Les Classes sociales en Belgique n’échappe pas à une certaine hétérogénéité — toutefois, celle-ci ne s’observe pas tant entre les chapitres que de manière interne aux chapitres. Mais comment faire autrement compte tenu de la période embrassée pour l’analyse ? On peut penser qu’il est difficile en effet de mobiliser un niveau de connaissance égal sur une période aussi large que celle retenue par l’ouvrage.

10Ces remarques n’altèrent en rien l’intérêt de l’ouvrage et on ne peut que se réjouir du regain d’intérêt pour la notion de classes sociales que l’on observe aujourd’hui dans la littérature francophone.

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Bibliographie

Chlepner, B.-S., 1956, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Éditions de l’Institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, Bruxelles.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Céline Dumoulin, « Guy Vanthemsche (dir.), Les Classes sociales en Belgique : deux siècles d’histoire »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 61 - n° 1 | Janvier-Mars 2019, mis en ligne le 07 mars 2019, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/14481 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.14481

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Auteur

Céline Dumoulin

Professions, institutions, temporalités (Printemps)
UMR 8085 CNRS et Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
47, boulevard Vauban, 78047 Guyancourt cedex, France
celine.dumoulin[at]uvsq.fr

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Droits d’auteur

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