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Les réseaux de santé : enjeux de recomposition et de coordination des domaines d’intervention des professions

Healthcare networks: factors involved in recomposing and coordinating the professions' fields of intervention
Jean Riondet

Résumés

La prise en charge, en ce début du XXI° siècle, de nombreux grands vieillards fragilisés par la maladie est rendue d’autant plus complexe qu’ils ne peuvent assumer la coordination des multiples services dont ils ont absolument besoin, ni assumer les coûts des prestations non pris en charge par les mécanismes d’assurance. La maladie engendre alors de la pauvreté. Le réseau de santé Cormadom organise une recomposition de l’offre de soins en alliance avec les professionnels sociaux dans la prise en compte d’une « économie domestique ». Les réseaux de santé, imaginés il y a près de 30 ans dans une optique de régulation économique du système de santé se révèlent une solution plus qualitative pour répondre à des besoins sociaux économiques majeurs.

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Texte intégral

1L’objet de cet article est de montrer en quoi le cadre juridique des réseaux de santé peut constituer une opportunité pour ré-agencer le travail des professionnels de santé libéraux. L’enjeu associé est celui de l’inadaptation de l’offre libérale des soins de ville dans la prise en charge des malades chroniques, question centrale pour l’avenir de la qualité de l’offre de soins en général et des personnes âgées malades en particulier. Après avoir situé les conditions d’émergence de la politique de développement des réseaux de santé et les caractéristiques du cadre règlementaire qui les régule, nous prendrons appui sur l’expérience d’un de ces réseaux pour identifier les questions que soulèvent les évolutions des professions de santé et du social. Nous tenterons de cerner sur cette base les formes de recomposition de leurs domaines d’intervention et les modes de coordination qui peuvent permettre de reconsidérer la prise en charge en l’organisant autour des personnes concernées plutôt que par pathologies.

Les réseaux au sein des politiques de régulation économique du système de santé

2L’expression « réseaux de soins » se constitue dans les discours des professionnels et régulateurs autour des années 1980, accompagnant un changement de paradigme dans la régulation du système de santé : d’une régulation administrative émerge l’idée d’une régulation de type économique. Jusqu’aux années 1980, l’action portait : sur la modération des honoraires médicaux par la voie conventionnelle, imaginée dès l’origine des assurances et des mutuelles au XIXe siècle ; sur la négociation des prix des médicaments dans un contexte général de contrôle des prix ; et sur la reconnaissance au cas par cas de prix de journée pour les différents types d’établissements… Pour autant, la planification sanitaire n’était pas totalement axée sur le seul contrôle des dépenses. La loi hospitalière de 1970 eut pour objectif premier d’équiper le territoire d’un tissu hospitalier public et privé de qualité, doté des équipements les plus performants. Mais rapidement, la carte sanitaire définie au chapitre IV de cette loi fut utilisée, de fait dès sa mise en œuvre en 1973, à des fins de limitation du développement de ces équipements coûteux.

Naissance de l’économie de la santé et des réseaux de santé

  • 1 Le sujet fut initié par des chercheurs comme Annie Triomphe et Etienne Barral issus du premier DEA (...)

3L’économie de la santé, discipline économique récente, sera au cœur des réflexions sur la régulation du système de santé à partir des années 1980. Deux ouvrages, issus de travaux et de rapports réalisés pour les divers gouvernements, marquent symboliquement par leur succès cette évolution de la réflexion. Michel Mougeot (1986, 1994) développe une analyse économique du système de santé en prenant principalement appui sur la théorie de l’agence ; ce sera l’une des toutes premières tentatives aussi élaborée d’utilisation de la théorie économique pour aborder le système de santé1. Robert Launois et Pierre Giraud (1985) proposent une approche classique en intégrant des effets de marché. Leur schéma d’organisation de la prise en charge des soins bouscule la conception habituelle d’une offre uniquement construite sur le modèle de la médecine libérale. Dans une situation de tiers payeur, ces auteurs pointent l’impossible régulation par la voie administrative d’un système de professionnels libéraux n’ayant aucun compte à rendre au financeur. L’économie du système est, dans les faits, orientée vers l’optimisation des revenus des producteurs de soins. La question est donc celle de la coordination entre consommateur, payeur et producteur. Avec, d’un côté, le patient qui décide de consommer en face-à-face dans le cabinet du praticien, ce qui renvoie plutôt à un mode de régulation de marché, et, d’un autre côté, la spécificité du bien « santé » qui est un bien à certains égards non marchand dont le financement est socialisé en France, ce qui renvoie plutôt à un mode de régulation par la planification.

  • 2 Principe des assurances « sociales »

4Les auteurs précédemment cités esquissent des axes de réformes qui rapprochent la décision de consommer du payeur tout en permettant de maintenir un système de santé accessible au plus grand nombre, indépendamment de la capacité à payer2 de chacun. Leurs analyses et propositions respectent, tout en l’aménageant, le présupposé de l’exercice libéral des professions de santé. Axiome socialement impossible à remettre en cause dans le contexte français.

5L’essai le plus accessible, pour des néophytes de la théorie économique, sera la proposition de Launois et Giraud. Ils préconisent la mise en œuvre de « réseaux de soins coordonnés » pour opérer un rapprochement entre producteurs, consommateurs et financeurs selon le modèle des HMO (Health Maintenance Organisation) américains. C’est un scénario qui touche la stratégie des assureurs. L’expression « soins coordonnés » a pour objet de pointer ce que veut dire en terme économique « coordination » : induire des comportements économiques via des négociations où s’affronteraient des intérêts divergents entre producteurs de soins, consommateurs et financeurs sur la base d’échanges d’informations spécifiques. Les réseaux de soins coordonnés sont construits sur un double marché des soins. Le premier marché est piloté par les assureurs qui mettent en concurrence les producteurs de soins pour passer avec eux des contrats garantissant prix, volumes et qualité. Le second marché concerne les particuliers qui mettent en concurrence les assureurs pour acheter leur couverture sociale sur une offre de base commune mais avec des variantes sur certains types de prestations.

6Aux USA, ce sont les entreprises qui achètent sous cette forme la prise en charge des soins pour leurs salariés, ce sont les « Health Maintenance Organisation ». Cette approche n’aura vu le jour ni en France, ni en Europe d’une manière générale. Mais les tentatives pour réformer l’exercice libéral de la médecine s’appuient pour une large part sur ces analyses.

  • 3 Trois ordonnances seront prises le 24 avril 1996 dont la seconde porte sur la maîtrise médicalisée (...)
  • 4 Expression consacrée par le Code de la Santé Publique art L6321 sq
  • 5 Circulaire n° DHOS/03/CNAM/2007/88 du 2 mars 2007 relative aux orientations de la DHOS et de la CNA (...)

7La réforme dite Juppé, qui se donnait comme objectif de ramener les comptes de l’assurance maladie à l’équilibre, comporte un volet « réseau ». Son ambition est de mettre en place les conditions d’une réforme de la pratique libérale. Travailler en coopération pour harmoniser les prescriptions, réduire les hospitalisations, être mieux organisés pour suivre les patients atteints de pathologies chroniques forment autant d’objectifs assignés aux réseaux. La maîtrise des coûts n’est pas affichée comme un objectif central des réseaux de santé, l’ambition première est une recomposition des pratiques libérales en direction des populations atteintes de pathologies chroniques. Les réseaux constitueraient un levier d’action pour cette recomposition dont un effet économique attendu serait une optimisation des ressources disponibles. Les ordonnances de 19963 instituent des réseaux de soins devenus à partir de la loi du 4 mars 2002 des réseaux de santé. Partis d’une vision purement médicale, les réseaux de soins qui initialement prônent une coordination concernant exclusivement des professionnels de santé, intègrent la dimension médicosociale à partir de 2002 ; ils s’appelleront dès lors « réseaux de santé »4. La circulaire de la CNAM (Caisse nationale d’Assurance Maladie) et de la DHOS (Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins) de mars 2007 rappelle avec force cette orientation. Dès le début de la circulaire il est mentionné à l’alinéa « Prise en charge globale des patients et décloisonnement des professionnels » : « Il vous est demandé de veiller à ce que les financements accordés dans le cadre de la dotation régionale soient conditionnés à la mise en place effective de ce décloisonnement, vérifiable à travers la composition et le fonctionnement des réseaux de santé. Il est important de rappeler à cet égard que le secteur médicosocial est un acteur à part entière des réseaux5 ».

8Aujourd’hui les réseaux issus de ces textes couvrent des réalités très différentes : des actions de prévention, les soins palliatifs, des prises en charge de toxicomanes, des surveillances de patients à haut risque de diabète, néphrologie, cancérologie… mais leur objet est centré sur des situations chroniques où l’accompagnement du patient est au cœur de la réussite des soins. Le principe de base est toujours le même : des professionnels de santé et désormais du social se réunissent pour mettre en commun des pratiques de prise en charge des patients autour de protocoles, pour la vie ordinaire comme dans les situations de crise, lors des sorties d’hôpital et, de façon plus générale, pour retarder l’entrée en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Le financement des réseaux : une solution originale qui valorise le travail de coordination

9L’Agence Régionale d’Hospitalisation et l’assurance maladie donnent l’autorisation d’existence du réseau, elles encadrent l’organisation des réseaux, en assurent l’évaluation et apportent un financement pour cette coordination. En sus, chaque réseau gère pour le compte de l’assurance maladie, des prestations financières qui sont dérogatoires par rapport à la nomenclature générale des actes professionnels. Elles permettent de rémunérer de manière forfaitaire le temps consacré par les professionnels de santé à la mise au point commune de leur plan d’action pour un patient donné. Ces prestations sont des forfaits annuels par patient. C’est une originalité que ne possède aucune autre forme de coordination. C’est un levier d’action particulièrement important pour la reconnaissance par les professionnels de leur appartenance au réseau et du temps qu’ils y consacrent. Le réseau est indépendant des parties, encadré par les articles du CSP, sous contrôle strict de l’Assurance maladie ; il est évalué, et offre de ce fait les mêmes garanties aux patients comme les autres services réglementés par ce Code.

10Le réseau affiche ses objectifs, ses modalités de fonctionnement mais la nouveauté absolue de ce texte est qu’il ajoute, aux clauses communes à toutes les formes de coopération instituées par de textes, un engagement formalisé de tous les partenaires y compris du patient. « Lorsqu’une prise en charge individualisée est proposée dans le cadre du réseau, le document prévu à l’alinéa précédent est signé, lorsque cela est possible, par l’usager ou, selon le cas, par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur, dans les conditions définies à l’article L. 1111-2 ou par la personne de confiance mentionnée à l’article L. 1111-6. Ce document détermine également les règles de cette prise en charge et les engagements réciproques souscrits par l’usager et par les professionnels ». (art D6321-3).

11Ces engagements constituent des obligations et ils donnent au pilote du réseau une position de coordonnateur dont les décisions s’imposent aux acteurs. Si une décision importante, actée par le patient ou par les professionnels est récusée par l’un d’entre eux, voire par le patient, alors le pilote du réseau peut demander à la personne de se retirer du réseau. Situation extrême, mais cette règle assure l’autorité du coordinateur. Cette règle est l’originalité des réseaux de santé et en fonde leur particularité. La force de ce texte permet d’assurer la prise en charge de populations atteintes de pathologies chroniques dans des conditions d’organisation jusqu’alors impossibles à mettre en œuvre du fait de l’autonomie de chacun des professionnels et acteurs. C’est une forme d’encadrement de l’exercice libéral.

Des professions aux démographies et statuts diversifiés

12Les textes fondant les réseaux n’ont pas donné lieu à un engouement évident. La gestion nationale des réseaux fut un frein considérable, le Conseil d’Orientation des filières et Réseaux de Soins dit Commission Soubie du nom de son président, installée en octobre 1997 validera moins d’une dizaine de réseaux jusqu’en 2002. Il faudra attendre la loi du 4 mars 2002 pour que la régionalisation de la procédure d’agrément des réseaux de santé apparaisse et que les projets abondent. La lourdeur de la procédure, la complexité de la mise en œuvre de « l’analyse des besoins », la signature d’une charte d’engagement de la part des libéraux furent des freins considérables. La coopération, qui n’a jamais été au cœur de l’exercice libéral était un engagement requis avant même que les praticiens ne découvrent l’intérêt pratique de cet engagement. Aujourd’hui, si on veut comprendre pourquoi des réseaux peuvent naître il faut se pencher sur les déséquilibres démographiques de l’offre de soin et l’évolution des comportements hospitaliers issus de la mise en œuvre de la T2A.

Des déséquilibres démographiques durables

13Pour comprendre les enjeux qui tournent autour des réseaux de santé, il faut mettre en regard les évolutions générales de l’offre de soins. Notre attention sera plus spécifiquement démographique. Face au nombre croissant des personnes très âgées et dépendantes, comment évoluent les effectifs des professionnels de santé ? La question serait inutile si les faits sociaux relevaient d’une physique sociale, si les besoins de santé engendraient naturellement les réponses ad hoc. Dans les grandes villes, compte tenu des phénomènes démographiques, des conditions juridiques et économiques de l’exercice professionnel, et de l’évolution de la demande des patients au cabinet médical, les visites à domicile sont de plus en plus difficiles à obtenir. La coordination médicale est défaillante. L’insuffisance globale de l’offre de soins pour le domicile, conduit à chercher des solutions pour rapprocher des métiers relevant de réglementations multiples et de financements d’origines différentes.

14Rappelons quelques constats, dont nous préciserons les implications par la suite, pour situer les enjeux : i) les infirmières constituent une profession numériquement importante mais elles sont encore peu nombreuses à domicile, les 4/5 sont salariées ; ii) la démographie médicale est stagnante et sera en régression dans les années à venir. Les omnipraticiens libéraux sont plus nombreux que les infirmières libérales, et ils sont appelés à diminuer en nombre ; iii) les aides‑soignantes, numériquement aussi nombreuses que les infirmières, sont massivement salariées dans les établissements et dans une très faible proportion dans des services de soins infirmiers à domicile. Leur champ d’action est limité aux soins de nursing ; iv) les aides à domicile et auxiliaires de vie sociale sont des partenaires mal connus bien que stratégiques. Leur champ d’action s’étend aux soins d’entretien de la vie. Elles sont très nombreuses, les plus présentes au domicile des personnes âgées et, à ce titre, constitue une opportunité pour devenir le point d’appui de la recomposition des organisations de travail.

15Cette diminution effective ou relative du nombre de personnes compétentes du côté des seules professions de santé nous conduit à faire l’hypothèse que les réponses aux défis pour assurer des soins de qualité du grand âge et des soins aux malades chroniques, toujours plus nombreux, passent par une plus grande association des compétences « périphériques » avec celles des professionnels de santé.

  • 6 L'impact du vieillissement sur les structures de soins à l'horizon 2010,2020, 2030, 2008, DRESS, Et (...)

16Dans une étude de la DREES parue en août 2008, les auteurs soulignent qu’entre 1998 et 20086 le nombre des journées réalisées en secteur actif des hôpitaux a diminué alors que tant l’épidémiologie que la démographie auraient conduit à prévoir leur augmentation. Ils en concluent qu’il existe, de fait, des possibilités d’adaptation du système de soins de ville, lequel s’avère capable de venir en concurrence de l’offre hospitalière, dans un contexte d’augmentation de la demande liée au vieillissement de la population aux âges élevés. Parmi les conditions évoquées pour que ces adaptations se produisent, les auteurs insistent sur le développement des structures alternatives ou d’aval, dont les réseaux de santé et l’hospitalisation à domicile. Ils mentionnent également tout un ensemble de facteurs qui tendent à réduire les hospitalisations : la qualité de l’environnement humain des personnes âgées, la coordination entre le secteur médicosocial et les établissements de santé, les transferts de tâches entre professions de santé.

17Cette analyse a ceci d’intéressant qu’elle met en avant l’importance primordiale de ce qui se passe en ville, au domicile de la personne âgée. Or, contrairement aux institutions de soin où l’exercice professionnel est strictement encadré et contrôlé, à domicile, une très grande latitude existe. Le domicile du particulier ne saurait faire l’objet des mêmes contrôles « sociaux » que les établissements de santé. Le particulier est chez lui, il finance une partie conséquente des soins dont il a besoin, il est maître de ses choix.

18Cette lecture est loin d’être iconoclaste dans la mesure où existe déjà un transfert de compétences, certes à travers un acte pour l’instant délimité. Depuis 1999 un décret autorise les aides à domicile et les auxiliaires de vie sociale à réaliser des aspirations endotrachéales et à recevoir une formation sous le contrôle d’un IFSI (l’aspiration endotrachéale relève très explicitement du décret de compétence des infirmières). L’organisation des soins peut donc être comprise comme la combinatoire de variables que sont : la capacité du patient à en supporter les coûts, la disponibilité des professionnels situés géographiquement à proximité, la qualité des relations du patient avec son environnement humain, l’aide que pourront apporter tous les services disponibles que sont l’hospitalisation à domicile les services de soins infirmiers à domicile, les services d’aides à domicile, les réseaux de santé. Le maintien à domicile d’une personne âgée dépendante se fait à moindre coût pour la collectivité, mais à coût élevé pour elle-même. Ce qui explique l’axe majeur des politiques publiques en direction du maintien à domicile ; encore faut-il collectivement investir suffisamment en direction des aidants naturels pour qu’ils ne désinvestissent pas l’accompagnement de la personne âgée dépendante.

Le cadre juridique spécifique des professions de santé

19L’activité de soins est une activité très réglementée. Toute atteinte au corps est interdite et fait l’objet de sanctions pénales. Les activités de la médecine, de la chirurgie, de la pharmacie, des soins infirmiers, que l’on pourrait assimiler à des atteintes au corps, sont réalisées par exception au Code Pénal. Les articles de ce Code sont d’ailleurs régulièrement rappelés en cas de manquement aux obligations issues des textes qui régissent les professions de santé. L’expression « profession de santé » fait donc très précisément référence aux seules professions dont les conditions d’exercice sont définies dans le Code de la Santé Publique par référence à des diplômes et à des actes autorisés. Les aides‑soignantes dans les établissements de santé et dans les services de soins à domicile, les auxiliaires de vie sociale dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, lorsqu’elles touchent au corps du patient ne peuvent le faire que sous le contrôle des infirmières, car elles n’appartiennent pas aux professions de santé.

La situation des infirmières

20Profession réglementée, bénéficiant d’un monopole d’exercice, les infirmières constituent la première des professions de santé ; par leur nombre, elles en représentent la moitié.

21Au 1er janvier 2008 dans le fichier ADELI on en compte 476 897. C’est aussi une profession en forte expansion on en comptait 452 466 au 1er janvier 2005, et depuis 1990 leur nombre s’est accru de 48,7 %. De toutes les « anciennes » professions dans cet intervalle 1990 – 2005, seules les sages‑femmes (54,6 %) et les masseurs kinésithérapeutes (57,8 %) connaissent une aussi forte progression, les médecins évoluent de 18,9 %, les dentistes de 8,3 % et les pharmaciens de 26,2 %.

22Selon Yvonne Knibielher (2008), on en dénombre environ 80 000 en 1961. Leur nombre aurait donc été multiplié par 6 en près d’un demi-siècle (483400 en 2007). A cette époque les représentants de la profession estimaient les besoins en infirmières pour couvrir la demande hospitalière et les soins en ville au double du nombre observé. Cette évolution démographique indique l’importance du développement du système de santé sous l’impulsion de l’élargissement de la Sécurité sociale à toute la population et du développement économique du pays.

  • 7 Instituts de formation en soins infirmiers. Ils sont 333 actuellement.

23C’est une profession féminisée à 87 % et salariée pour 92 % d’entre elles. Parmi ces salariées 85 % sont des hospitalières. Les autres formes de l’exercice de la profession poursuivent également leur progression (+ 4930). Les IFSI7 n’ont pas connu de diminution de leurs effectifs ces dernières années, les quotas étant au contraire en cours d’augmentation. D’environ 15000 en 1980 les effectifs autorisés dans les IFSI sont de 30000 actuellement. Le nombre des entrants oscille ces dernières années entre 25 et 30000.

  • 8 Notons que les sources récentes disponibles pour connaître cette catégorie d’infirmières sont très (...)

24L’exercice libéral concerne cinq fois moins de professionnelles que l’exercice salarié. Seules 69 619 sont déclarées dans ce mode d’exercice au 1er janvier 2008. Pour cette profession, le chiffre correspond effectivement au nombre réel de personnes exerçant à titre exclusivement libéral, il n’existe pratiquement pas de risque de double compte résultant d’une activité libérale menée conjointement à une activité salariée. Leur progression de près de 9 000 en 4 ans pourrait se poursuivre si les établissements d’hospitalisation limitaient leurs recrutements comme cela est prévu par les plans de retour à l’équilibre financier des hôpitaux publics. Un facteur limitant les installations en libéral fut le texte de 1993, par lequel obligation était faite aux nouveaux diplômés de commencer leur carrière par un emploi salarié, mais de nombreuses dérogations existent. La suppression, dans les faits, de cette obligation concourt à accroître rapidement l’offre de soins en libéral. L’inégale répartition des infirmières libérales sur le territoire et la pénurie observée en de nombreux endroits constitue cependant une forte contrainte qui ne fait pas espérer de changements radicaux sur ce point précis8.

La situation des aides‑soignantes

  • 9 Les professions de santé et leurs pratiques, 2006, DREES, Dossiers Solidarité et santé n° 1
  • 10 Dans le rapport n° 8 du CERC de 2008 « Les services à la personne », il est mentionné p 53 que le n (...)
  • 11 Portrait statistique, Aides‑soignants, 2005, Données de cadrage 1982 2002, DARES

25Le nombre des aides‑soignantes ne peut être connu qu’au travers de l’enquête emploi faite d’un échantillon de ménages constitué à partir du recensement. Exclue du champ réglementaire des professions paramédicales, l’aide‑soignante n’a pas d’obligation de déclaration pour exercer. Il n’existe donc pas de fichier administratif dont le traitement statistique pourrait produire une information démographique. Au 1er janvier 20059 les aides‑soignantes étaient estimées 455 800, un nombre équivalent à celui des infirmières. Les aides‑soignantes ont un exercice uniquement salarié dans des institutions d’hospitalisation, d’hébergement ou des services de soins à domicile. Leur exercice en ville hors de ces structures est possible, mais il se fait alors dans le même cadre juridique que celui des auxiliaires de vie sociale, c’est-à-dire financé par le malade, alors que l’exercice dans les hôpitaux, les services de soins à domicile et les autres institutions d’hébergement ou de soins leur permet de bénéficier de financements socialisés, Assurance maladie ou Etat. Les conditions d’emploi et de rémunérations dans ce contexte institutionnel sont bien meilleures que celles des professionnelles financées par les particuliers10. Les conventions collectives, les conditions de travail ne sont en aucun cas comparables11.

  • 12 Ce diplôme est de même niveau que le Diplôme d'Etat d'Aide‑soignant dans les catégorisations de dip (...)

26Les aides à domicile et les auxiliaires de vie sociale : un statut fragile, un rôle crucial Nous notons cette proximité avec les aides‑soignantes pour rappeler que les soins en ville sont officiellement prodigués de manière principale par deux catégories d’acteurs : les infirmières sous la forme libérale et les aides‑soignantes dans le cadre des services de soins sous le contrôle d’une infirmière. On doit y ajouter les auxiliaires de vie sociale, titulaires du Diplôme d’Etat d’Auxiliaire de Vie Sociale (DEAVS)12. Les auxiliaires de vie sociale n’ont pas d’apprentissage sur les soins dans leur formation, d’où la distinction des titres. A domicile, cependant, les tâches auprès de malades réalisées par les unes et par les autres se confondent parfois.

  • 13 Rapport public de la Cour des Comptes de novembre 2005, rapport Jeandel, Pfitzenmeyer et Vigouroux (...)

27Avant l’auxiliaire de vie sociale, il y a l’aide à domicile. C’est une employée de maison, une personne sans qualification dont les tâches sont souvent cantonnées au ménage et à la confection des repas ou à l’accompagnement humain de la personne âgée pour éviter les dégâts dus à l’isolement. La grande dépendance et la maladie font de ces aides, des personnels indispensables pour tous les actes de la vie quotidienne y compris la surveillance des prises de médicaments. Car tous les malades ne bénéficient pas d’un passage quotidien d’infirmier ou d’un service de soins. Conduire ces aides à domicile au DEAVS serait une solution, sans cesse rappelée dans les divers rapports traitant de l’évolution des services à domicile13 et des filières de soins à domicile, mais qui n’est mise en œuvre que très partiellement. Leur salaire étant versé par la personne âgée elle-même, l’effet prix la dissuade d’employer du personnel qualifié. Certains Conseils Généraux ajustent le versement de l’APA (Aide personnalisée à l’autonomie) à la qualification de l’employée, ce qui n’est ni obligatoire ni généralisé mais semble cependant se profiler.

28De surcroît, les aides à domicile et auxiliaires de vie sociale sont payées à l’heure travaillée. Leur contrat de travail, par exception à la règle générale du Code du travail, est à durée mensuelle variable d’environ 30 %. Les durées des déplacements entre deux clients n’étant pas ou peu indemnisées, ces professionnelles ont le plus souvent des salaires mensuels qui sont une fraction du SMIC, leurs revenus sont une combinaison de salaires et de transferts sociaux liés à leur situation familiale.

29Les termes d’aide à domicile et d’auxiliaire de vie sociale tendent souvent à être confondus car la proportion d’auxiliaires de vie sociale est très faible. Combien de personnes travaillent dans ce secteur ? Si on y inclut la garde d’enfants ce serait environ 1200000 personnes, dont la moitié serait rémunérée selon les procédures chèque emploi service et chéquier PAJE (garde d’enfants).

30Cette profession est stratégique pour répondre aux défis du grand âge à domicile. Par son statut de salarié à temps de travail variable et rapidement mobilisable, elle contribue à la souplesse requise pour répondre, avec les infirmières libérales, aux sorties d’hospitalisation rapidement décidées. LaT2A, nouvelle forme de tarification des hôpitaux qui lie rémunération de l’hôpital à la nature des soins et à la durée du séjour, conduit les services d’hospitalisation à prescrire rapidement des retours à domicile alors que les solutions ne sont pas toujours trouvées pour la suite des soins aux patients. Le domicile est la réponse possible du fait de la disponibilité des infirmières et des services d’aide à domicile.

31Ces éléments conduisent à considérer que le couple infirmière – auxiliaire de vie sociale est à construire pour offrir un service de prise en charge de malades à leur domicile dans des conditions de sécurité et de qualité acceptables. Le passage à un nouveau mode d’organisation des rapports entre ces deux professionnelles suppose d’articuler le « que fait‑on ? » et « comment le fait‑on ? ». Sortir les auxiliaires de vie sociale de la domesticité pour aller vers une technicité reconnue par le biais d’un compagnonnage infirmier reste encore à performer et à développer. Une recomposition des définitions des professions pourrait advenir, c’est la conclusion du juriste Joël Moret-Bailly (2008) pour qui « les professions de santé sont actuellement définies en référence à leurs diplômes ainsi qu’aux actes qu’elles peuvent pratiquer. Elles pourraient, à l’avenir, être redéfinies en privilégiant la référence à leurs missions ».

Les médecins

  • 14 Sources : La démographie médicale à l’horizon 2025, 2004, DREES, Etudes et Résultats, n° 352 – Carr (...)

32Compte tenu de la forte hiérarchisation économique et symbolique caractéristique du secteur santé, mentionner cette profession en fin de l’analyse pourrait paraître surprenant si l’objet de notre réflexion ne portait pas sur leur place dans le dispositif de la prise ne charge de patients à domicile. L’attention étant portée sur les infirmières libérales et les métiers connexes au domicile du patient, la démographie des médecins14 sera présentée sous l’angle d’une population dont l’évolution s’avère paradoxale.

33208 191 médecins sont recensés dans le répertoire ADELI. Le médecin généraliste ayant été mis au cœur de l’organisation de la médecine ambulatoire, l’importance numérique de cette catégorie de médecins est centrale pour la prise en charge à domicile des personnes âgées malades. L’exercice libéral de la médecine payée à l’acte en secteur conventionnel 1 domine largement le paysage de la médecine générale. Les 68 532 omnipraticiens libéraux ont en charge la totalité des patients âgés à leur domicile. Mais ce nombre est quasiment inchangé depuis un quart de siècle. L’évolution démographique attendue est une décroissance d’environ 10 % des effectifs médicaux jusqu’en 2025 pour atteindre le niveau des années 1980. Compte tenu de cette diminution, énoncer qu’il pourrait y avoir prise en charge à domicile des personnes âgées par les médecins libéraux relèvera très vite du mythe.

34Cette fluctuation étonnante face à l’évolution de la demande s’origine dans la crainte historique de ces professionnels de voir leurs revenus baisser sous l’effet de la concurrence15. Le discours dominant a pratiquement toujours été celui de la pléthore médicale (Bungener, 1984). Du numerus clausus à 8 500 environ dans les années 1970, ce nombre sera réduit à partir de 1978 pour atteindre 3 500 nouveaux entrants étudiants par an en 1993. Parallèlement des mesures d’incitation au départ à la retraite furent prises en 1988 et elles furent d’actualité jusqu’en 2003. Aujourd’hui, le discours s’inverse, la pénurie est avérée. Déjà, certains départements voient leur densité médicale diminuer rapidement ; le passage à la retraite des générations du baby‑boom accentuera le phénomène.

35L’hypothèse des prévisions utilisées ici retient un nombre d’entrants en 2e année de médecine de 7 400 étudiants. A comportements inchangés, la perspective indique que le nombre des médecins va diminuer pour atteindre 186 000 en 2025. Si cette approche globale était analysée au niveau spatial, du côté des omnipraticiens libéraux, ce serait de démédicalisation de l’offre de soin dont on pourrait parler. Cette situation démographique éclaire les discussions en cours sur les transferts de compétences, les partages de tâches et toutes formes nouvelles de coopérations entre les professions pour assurer les soins aux populations âgées. Cette situation plaide pour le développement du droit limité à prescription dont l’exemple avancé est celui de la pilule du lendemain par les infirmières scolaires, mais qui pourrait être nettement étendu dans plusieurs domaines des soins pour la gériatrie à domicile. Ainsi selon Moret-Bailly (2008) « Les modes de définition des professions de santé sont sans doute à un tournant de leur histoire. Le système de santé doit, en effet, faire face à des difficultés de démographie professionnelle, qui posent la question du transfert d’une partie de l’activité de certaines professions, et notamment de la profession médicale, vers d’autres intervenants… Ces évolutions structurelles ne peuvent pas être sans conséquence sur les frontières, donc sur les définitions des différentes professions ».

L’exemple du réseau de santé Cormadom

36Avant l’avènement de la médecine moderne, les soins étaient faits à domicile. La garde malade était la personne dédiée aux soins aux malades. Seules les personnes riches pouvaient en assurer le coût. C’était une personne de confiance, expérimentée et dévouée que l’on logeait, nourrissait, rétribuait. Les pauvres se soignaient comme ils le pouvaient, recevant parfois la visite et le secours d’une personne charitable. Le passage de la garde malade à l’infirmière se fera très lentement entre la guerre de 1870 et la seconde guerre mondiale. Le mot infirmière à domicile connaîtra son plein développement lorsqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la sécurité sociale financera sur le modèle de la médecine libérale des soins faits par des infirmières libérales.

37Surprenante évolution : depuis le XIXe siècle il existe une tradition de médecine sociale. Les dispensaires auraient pu servir de point d’appui à une organisation des soins à domicile. Yvonne Knibieler (2008) parle ainsi « d’un rendez‑vous manqué : l’hygiène sociale ». L’approche hygiéniste n’est pas totalement nouvelle. Ce sera la première forme de gouvernement des peuples (Fassin, 2005). Au siècle de l’industrialisation, les dispensaires furent envisagés par les médecins qui les dirigeaient, comme les postes avancés de la lutte contre les fléaux sociaux associés à cette mutation. Puis l’hygiène sociale a pris son essor dans la mouvance des idées pasteuriennes et du contrôle de la population urbaine. La guerre de 1914 imposera les infirmières visiteuses. Il s’agit de porter secours à la population dont l’état de santé se détériore. A la fin de la guerre la Fondation Rockefeller, la Croix Rouge américaine apportent une aide déterminante pour développer les dispensaires et le travail des infirmières visiteuses. Leur champ d’action s’élargit aux soins à la vie de la famille, au travail, à l’école. Les assurances sociales dès 1930 apparurent comme une chance pour le développement de ces activités. En fait, l’arrivée des antibiotiques après la seconde guerre mondiale, innovation majeure dans le domaine des soins curatifs, a semblé pouvoir rendre caduque la prévention. Une césure s’est opérée : la sécurité sociale ne s’occupait que des soins, et d’autres branches de la protection sociale s’empareront des questions sociales. Ainsi, la fonction d’assistante sociale se détache progressivement de celle de l’infirmière, et cette dernière sera cantonnée dans les soins curatifs.

38Aujourd’hui l’afflux de patients chroniques à leur domicile conduit à reconsidérer le soin dans toutes les dimensions de la vie du patient. La question sociale, un temps mis de côté, resurgit.

39La logistique du domicile met en jeu beaucoup d’acteurs, elle est par nature complexe. Elle se construit dans un face à face entre des personnels toujours en situation de domesticité, les aides à domicile, et des professionnelles très qualifiées, les infirmières et pour la question des droits des patients, les assistantes sociales. L’articulation des trois n’est pas seulement rendue difficile par des écarts de niveau de qualification et de culture, mais aussi par des différences structurelles dans le rapport au travail du fait des statuts et des revenus.

40L’infirmière est rémunérée à l’acte par l’assurance maladie, ses soins sont donc sous le contrôle de l’autorité de l’Etat ou de ses agences, sa reconnaissance professionnelle ne se discute pas, elle est socialement acquise. Il en est de même de l’assistante sociale financée par le Conseil général dont elle est le plus souvent salariée. L’auxiliaire de vie sociale, rémunérée à l’heure est très fréquemment salariée par la personne malade elle-même, elle dépend de son autorité tant pour le contenu de ce qui doit être fait que du comment on le fait. Sa compétence est toujours discutée, les revenus issus de son travail sont généralement insuffisants et complétés par les transferts sociaux.

41Ces distinctions de statut et de mode de rémunération sont à conserver en perspective car ils sont à la source des difficultés majeures de toutes les coordinations actuelles, le cadre juridique des réseaux de santé est le seul cadre juridique qui permette de les dépasser dans le contexte français. Le réseau de santé, tel que défini par le Code de la santé publique, est une modalité de recomposition des partages de tâches et d’activités entre ces professions, fussent-elles réglementées. Il représente en cela un lieu potentiel d’expérimentation pour renouveler les cadres organisationnels existants.

42Le propos ici développé est de mettre en valeur le coté novateur des ordonnances de 1996 et de leur ouverture au secteur médicosocial en 2002 à partir de l’expérience originale du réseau de santé gérontologique, Cormadom[16]. Ce réseau est construit sur le couple infirmière/aide à domicile qui est ainsi mis au cœur de l’action de prise en charge des patients âgés en retour d’hospitalisation. Cette modalité est sécurisée de deux façons : d’une part le réseau dispose d’infirmières coordinatrices rompues à la gériatrie hospitalière, d’autre part les relations avec les services de gériatrie des hôpitaux de Lyon permettent un recours en urgence à ces services sans passer par les services d’urgence. Cette organisation répond à la fois à l’objectif de prise en charge de malades sur la durée et d’abaissement des coûts de prise en charge, notamment par des recours très limités à l’hospitalisation. Le pilotage des décisions, en étroite relation avec le secteur médicosocial, prend en compte l’économie du domicile (compétence des professionnels du secteur social), et pas seulement l’économie de la pathologie (compétence des professionnels de santé).

43Ce réseau est né de l’observation de l’activité des aides à domicile (Schwartz, 2002) et du travail des infirmières libérales, de leurs coopérations, parfois de leurs affrontements, et de ce que disent les médecins généralistes de ces professionnelles. Le médecin traitant n’est pas absent du dispositif mais seule son expertise et sa compétence en matière de prescription des soins sont requises, il est au même plan que les autres professionnels. La coordination du réseau assurant le pilotage complet de la situation n’est pas médicalisée, le directeur est un cadre issu de l’industrie. Les textes précisent un objectif, celui de la prise en charge des besoins d’une personne, ils ne donnent aucune indication sur le comment de la réponse. La réponse réseau est une focalisation sur le malade et non sur la maladie ou l’organe. Le réseau de santé est une coordination centrée sur la personne, c’est une logistique individualisée qui tient compte de ses fragilités. Le coordinateur est le pendant de ce que les Canadiens mettent sous le vocable « gestionnaire de cas » : « Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins…

44Ils sont constitués entre les professionnels de santé libéraux, les médecins du travail, des établissements de santé, des groupements de coopération sanitaire, des centres de santé, des institutions sociales ou médico-sociales et des organisations à vocation sanitaire ou sociale, ainsi qu’avec des représentants des usagers» (CSP, artL6321-1).

45Même si dans la pratique les réseaux sont généralement pilotés par des médecins, les professionnels de santé n’en sont pas les responsables obligés. L’approche réseau marque un écart absolu avec les pratiques de type hospitalières où l’organisation est focalisée sur la maladie ou l’organe. Pour le pilote du réseau tous les problèmes du patient de quelques natures qu’ils soient sont à prendre en considération au même plan, il y va de la possibilité de soigner. Le réseau gère un domicile au sein duquel se trouve un patient. L’économie du domicile intervient dans la possibilité de soigner et dans la qualité du soin final. La qualité des professionnels ne suffit pas pour produire des soins de qualité, la qualité de l’organisation de la vie dans le domicile est un facteur aidant ou pénalisant. Il s’agit d’une logistique dimensionnée à la situation certes pathologique, mais également familiale et économique du patient. Le réseau Cormadom construit une coopération entre tous les intervenants nécessaires pour un patient âgé à son domicile. Il cherche en cela à répondre à la question : comment articuler au mieux des possibilités, les ressources humaines et financières du patient aux exigences des soins ? Par exemple, si les protections sont financées par l’hôpital lors d’un séjour d’hospitalisation, à domicile la dépense relève de la personne ; le réseau cherche le fournisseur le moins onéreux. Si le service de portage de repas n’existe pas sur la commune, le réseau cherche une autre solution pour assurer la disponibilité de repas. Si le patient est trop lourd et les aides techniques insuffisantes, le réseau planifie le passage d’une aide à domicile au moment de la présence de l’infirmière pour un travail à deux physiquement moins difficile. Les patients ou leurs environnements agressifs à l’égard des tiers font l’objet d’une surveillance accrue afin que les conditions de sécurité des professionnels soient assurées. Lors d’un retour d’hospitalisation le réseau veille à ce que le logement soit prêt, fourni en médicaments, les ordonnances disponibles.

46Pour les associations d’aide à domicile le réseau se soucie de faire initier la demande de l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie à l’hôpital pour assurer la rétroactivité de la prise en charge au jour du retour à domicile, la décision intervenant dans les trois mois. Pour le médecin c’est l’assurance de disposer des informations dont il aura besoin, d’un rendez-vous téléphonique avec son collègue hospitalier s’il le souhaite, pour l’infirmière l’assurance d’une prescription correctement rédigée, des matériels et produits à disposition, d’un patient correctement chauffé, disposant de linge propre, d’un remplaçant au moment de ses congés.

47Pour tous, le coordinateur assure la gestion des inévitables conflits quelle qu’en soit l’origine. Le suivi des mises sous tutelle, la formation à la prise en charge des patients atteints de maladies cognitives, l’organisation des remplacements, la gestion des alertes transmises par les intervenants, sont assurés par le pilote du réseau. En un mot le réseau sécurise les conditions de travail des professionnels, assume la recherche des informations pertinentes pour chacun d’entre eux, en organise et en facilite la circulation.

48En réalité, Cormadom ne représente pas une innovation absolue, car toutes les coopérations qui sont reconnues pertinentes assurent les interfaces nécessaires entre les interventions de tous les spécialistes. Elles réduisent l’incertitude sur les conditions d’intervention, laissant à chaque professionnel la charge de gérer les aléas liés à son champ d’intervention. Mais le cadre juridique du Code de la santé publique donne à ce réseau plus qu’à toute autre forme de coordination une légitimité inégalée vis‑à-vis des professionnels libéraux. Il limite notamment le principe du libre choix du professionnel par le patient, libre choix qui empêche de fait d’influer les pratiques des professionnels. Le patient s’engage vis-à-vis du réseau, il délègue au réseau le choix de ses prestataires de service. C’est une vraie nouveauté. La coordination est rendue possible du fait de l’autorité qui lui est ainsi conférée. Elle propose une élaboration commune et acceptée contractuellement par tous d’un plan d’intervention qui évolue autant que de besoin, sous son autorité. Le réseau articule toutes les dimensions sanitaires, économiques et sociales intéressant le patient. Sa proposition une fois actée par toutes les parties sert de référence pour les actions et décisions quotidiennes.

49Aujourd’hui, la clientèle du réseau est conforme aux prévisions, démographiques et épidémiologiques, sur une agglomération telle que Lyon : des personnes âgées de plus de 80 ans, de GIR 1[17] à 3 pour plus de la moitié, 70 % ont besoin de 5 interventions hebdomadaires ou plus. Enfin, 60 % d’entre elles sont atteintes de troubles du comportement ou cognitifs majeurs.

50Cette présentation à l’instant T ne rend pas compte des aléas de l’histoire du réseau. De la formulation de l’idée en 1999 à sa mise en œuvre en 2004, il aura fallu essuyer le refus de la CNAM qui récusait le centrage sur le secteur médicosocial, lequel ne sera possible qu’après les modifications apportées par la loi du 4 mars 2002. Les associations d’aide à domicile, les services territoriaux des Conseils généraux et des villes, tous spécialisés sur la personne âgée, ont vu d’un mauvais œil l’arrivée d’une nouvelle structure qui prétendait faire la coordination qu’eux-mêmes disaient assurer. Les médecins libéraux furent peu attentifs, mais leurs organes de représentation contestaient le fait que la coordination puisse leur échapper. En fait Cormadom s’insère sur un « marché » où les opérateurs se partagent une clientèle au mieux de leurs intérêts et contraintes. Les cas lourds sont envoyés sur l’hôpital, les autres gérés dans le silence qui entoure classiquement le domicile.

51Deux facteurs ont contribué à la réussite de Cormadom : d’une part, avec la T2A le retour à domicile des patients lourds devient insupportable pour les professionnels de santé libéraux qui se voient obligés de prendre en charge des patients qu’ils avaient eux‑mêmes dirigés sur l’hôpital pour qu’il en fasse son affaire ; d’autre part, l’offre de Cormadom s’est positionnée uniquement sur les situations problématiques pour apporter aux professionnels de santé les services qui leurs permettent de réinvestir leur mission de soins aux plus malades. Par analyse constante des besoins des professionnels, des conditions de leur acceptation ou de leur refus, des solutions proposées qui ont emporté leur adhésion, les salariés de Cormadom ont élaboré un ensemble de pratiques et de savoir‑faire qui les mettent en phase avec leurs interlocuteurs.

52Cela porte tout autant sur l’information que chacun attend. Tel médecin souhaite avoir l’IRM sur son bureau, tel autre le compte rendu seulement, telle infirmière a besoin d’un certain type de matériel, une autre ce sera un autre genre… Les hôpitaux sont relativement peu soucieux de ce qui se passe loin de leurs murs. Sauf pour les retours à l’hôpital où les accords deviennent de plus en plus nombreux pour reprendre, à une date négociée, un patient connu du service et dont l’état requiert une nouvelle expertise hospitalière. Avec cette sorte de partenariat, la relation ville/hôpital devient féconde, elle évite l’anonymat et de ses conséquences en matière d’examens et d’orientation du passage par la case « service d’urgence ».

53C’est en retenant une pratique revue et corrigée en continu qu’a pu être assurée l’implantation de Cormadom dans un espace professionnel déjà organisé, aux alliances ou absences de coopération bien instituées, sur « un marché » dominé traditionnellement par les fournisseurs d’aides techniques. Aujourd’hui, sur un territoire où exercent environ 550 médecins omnipraticiens libéraux, Cormadom travaille avec 165 d’entre eux dont un bon tiers adhère pleinement à l’objectif poursuivi. Ceux-ci assurent désormais 40 % des entrées dans le réseau sans passer par la case hospitalisation. 110 infirmiers libéraux, 80 kinésithérapeutes, 48 structures d’aide à domicile, 16 prestataires de matériel, 6 SSIAD et 8 orthophonistes sont les partenaires réguliers de Cormadom. Composé de deux infirmières de coordination d’une assistante sociale, d’un directeur à temps partiel et d’une assistante de direction, le réseau a pris en charge 275 patients au cours de l’année 2008, la file active des patients supervisés à leur domicile au 31 décembre 2008 est de 208 patients avec un pic à 250. La coopération avec les professionnels du secteur social, les aides à domicile en particulier, est encore à performer et les modalités de professionnalisation de ces aides à domicile est toujours bousculée par les politiques publiques de l’emploi qui privilégient la réduction des chiffres du chômage de préférence à la construction d’un secteur d’activité identifié. Sera-t-on, un jour, face à la configuration d’un marché du travail fermé au bénéfice des auxiliaires de vie sociale ? Au sens où Catherine Paradeise (1988) l’a défini, c’est-à-dire au terme d’un processus de professionnalisation qui aboutirait à la stabilisation institutionnelle du rapport de travail. Le rapport entre les diverses catégories de professionnels dans le champ de la prise en charge de malades chroniques à domicile serait alors identifié par tous.

54L’objectif affiché par les politiques publiques de recomposition de l’offre de soins de ville pour les malades chroniques semble pouvoir être atteint, mais les conditions requises vont au-delà d’une injonction économique ou de l’établissement d’un cadre règlementaire facilitateur. L’accord des professionnels est conditionné par un travail sur les modes d’organisation et de pilotage de façon à assurer une qualité de vie adéquate autant du côté des patients que des professionnels. L’investissement des professionnels de santé sur une mission de prise en charge de malades chroniques à domicile constitue à la fois une perspective prometteuse et un défi, compte tenu de ce que ni leur formation, ni leur mode d’exercice ne les conduisent à être à l’aise avec la mise en discussion des domaines d’intervention et des modes de coordination que cette évolution semble requérir, en particulier avec des professionnels du champ social.

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Notes

1 Le sujet fut initié par des chercheurs comme Annie Triomphe et Etienne Barral issus du premier DEA d’économie de la santé créé par Henri Guitton au début des années 1970 à Paris.

2 Principe des assurances « sociales »

3 Trois ordonnances seront prises le 24 avril 1996 dont la seconde porte sur la maîtrise médicalisée des dépenses de soins, en posant les bases d’un encadrement de la médecine libérale.

4 Expression consacrée par le Code de la Santé Publique art L6321 sq

5 Circulaire n° DHOS/03/CNAM/2007/88 du 2 mars 2007 relative aux orientations de la DHOS et de la CNAMTS en matière de réseaux de santé. Ce paragraphe est en première page et en gras dans le texte original.

6 L'impact du vieillissement sur les structures de soins à l'horizon 2010,2020, 2030, 2008, DRESS, Etudes et résultats, n° 654 - Ministère de la Santé, Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.

7 Instituts de formation en soins infirmiers. Ils sont 333 actuellement.

8 Notons que les sources récentes disponibles pour connaître cette catégorie d’infirmières sont très peu nombreuses. Seuls une étude qualitative de la DREES publiée en 2006 et les travaux de recherche d’une infirmière libérale, Marie Claude Daydé sont disponibles. VILBROD (A.) DOUGUET (F.), 2006, Le métier d’infirmière libérale, Document de travail n° 58, 2 tomes.

9 Les professions de santé et leurs pratiques, 2006, DREES, Dossiers Solidarité et santé n° 1

10 Dans le rapport n° 8 du CERC de 2008 « Les services à la personne », il est mentionné p 53 que le nombre d’heures hebdomadaires travaillées est de 14 pour les salariées employées par des associations employeurs. Ce chiffre ne tient pas compte des temps de transport entre deux « clients », temps qui ne sont pas rémunérés, alors qu’ils le sont pour les aides‑soignantes des services de soins à domicile. Il est également précisé que, compte tenu de ce mode de rémunération, le temps d’intervention rémunéré peut difficilement excéder 25 à 30 heures par semaine.

11 Portrait statistique, Aides‑soignants, 2005, Données de cadrage 1982 2002, DARES

12 Ce diplôme est de même niveau que le Diplôme d'Etat d'Aide‑soignant dans les catégorisations de diplômes de l’Education nationale, et de même niveau indiciaire dans les conventions collectives de l’aide à domicile.

13 Rapport public de la Cour des Comptes de novembre 2005, rapport Jeandel, Pfitzenmeyer et Vigouroux d’avril 2006, le plan Bas mars 2007, le rapport n° 8 du CERC février 2008.

14 Sources : La démographie médicale à l’horizon 2025, 2004, DREES, Etudes et Résultats, n° 352 – Carrière des médecins généralistes : les inégalités entre générations, 2008, DREES, Série études et recherche, Document de travail n° 75.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Riondet, « Les réseaux de santé : enjeux de recomposition et de coordination des domaines d’intervention des professions »Sciences de la société [En ligne], 76 | 2009, mis en ligne le 31 mars 2020, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/9284 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.9284

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Auteur

Jean Riondet

Directeur de l’Institut International Supérieur de Formation des cadres de Santé, Hospices Civils de Lyon, jean.riondet@chu-lyon.fr, président fondateur du Réseau de santé CORMADOM 75
cormadom[at]wanadoo.fr

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