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L’expérience visuelle du temps : photographie et territoire du patrimoine

The visual experience of time: photography and territory heritage
La experiencia visual de tiempo : fotografía y patrimonio del territorio
Cécile Tardy
p. 78-95

Résumés

Cette analyse souhaite éclairer la participation de la photographie au processus de transformation du rapport au temps qui affecte les territoires patrimonialisés. Elle met en évidence, au-delà d’un rapport unique au passé, le jeu d’un assemblage de relations temporelles entre la mémoire des groupes sociaux, l’histoire du site et sa patrimonialisation actuelle et en devenir. La photographie est abordée en relation avec le site patrimonial qui la présente et qu’elle représente, dans le dialogue qui se noue entre signe et contexte, au sein de parcours, de dispositions, de dispositifs. Les séries photographiques paysagères contemporaines sont au centre de l’analyse car elles croisent un travail singulier de représentation photographique de la durée et une interpellation du visiteur en quête d’Histoire.

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Texte intégral

  • 1 Voir au sujet des régimes de temporalité de la mémoire, de l’histoire et du patrimoine, le débat ex (...)

1Cet article analyse la communication sociale et symbolique de la photographie sur des sites patrimoniaux. La question posée est celle du rapport au temps opéré par la photographie sur des territoires reconnus pour la relation particulière qu’ils entretiennent avec leur passé, présent et avenir. Dans la problématique du patrimoine, la temporalité est un débat scientifique important, qui cherche à éclairer le rapport particulier entre histoire, mémoire et patrimonialisation1. La photographie est utilisée par les institutions patrimoniales pour exposer ces dimensions temporelles en les donnant à vivre et à comprendre à leurs publics. Cette question est éclairée à propos de l’usage que fait un site patrimonial renommé du sud de la France de la photographie pour régler la relation du visiteur à l’ailleurs du site – son passé et ce qui est absent de son champ visuel –, donner au visiteur à comprendre les histoires du site, l’amener à s’interroger sur les transformations contemporaines vécues par ce site. L’institution patrimoniale ouvre la photographie à la signification documentaire soit en la recontextualisant dans des dispositifs de visite, soit en produisant des photographies de son site dans une démarche de recueil d’information en vue d’en évaluer l’évolution.

  • 2 Le site du pont du Gard s’étend sur 165 hectares. Sur son site web, à la page qui se désigne comme (...)

2Il s’agit de s’intéresser à la façon dont ce type de photographie parvient à documenter le temps dans le cadre d’un site patrimonial où l’enjeu principal est de faire se rencontrer pour ses visiteurs une visite historique focalisée sur un monument imposant (par sa présence physique et son épaisseur historique), et une sensibilisation à la problématique environnementale dans laquelle est géré ce patrimoine. La terminologie de « Site du Pont du Gard » utilisée par l’institution contient l’idée d’une étendue délimitée géographiquement et administrativement autour d’un patrimoine. Au titre de son caractère exceptionnel, un morceau d’espace est extrait de sa vie ordinaire pour le construire comme territoire patrimonialisé et le dédier à une activité touristique2. Dans cet article, le terme de site s’appuie sur cette définition d’un territoire patrimonialisé dans le sens où elle renvoie à un contexte de changements – d’acteurs, d’interprétations et d’actions – qui appellent un rapport au temps spécifique. Au regard de la notion de patrimoine, le territoire revêt prioritairement une dimension temporelle contrairement à sa conception commune en terme de spatialité. Cette compréhension de la notion de territoire à partir de celle du patrimoine est particulièrement mise en évidence dans les travaux d’André Micoud. Il pointe ainsi le problème : « La question à se poser n’est pas celle du rapport direct entre patrimoine et territoire, mais celle du rapport indirect entre patrimoine et légitimité d’un pouvoir territorialisé. Or, comme on le sait, c’est en disant de qui et de quoi il procède, en disant “au nom de quoi” il s’exerce, qu’un pouvoir énonce ce qui le légitime [...]. » (1999, 53). Le site patrimonial est un découpage territorial qui convertit une réalité spatiale en réalité temporelle à travers l’autorité qui s’y exerce. Il s’agit d’examiner comment cet autre regard rendu possible par le découpage territorial trouve un écho dans la photographie.

3Le site patrimonial constitue le contexte institutionnel et spatial d’intégration de la photographie, mais également le sujet à propos duquel elle est mobilisée. C’est le site de sa représentation, en tant qu’il la présente et qu’elle le représente en lui insufflant une présence inscrite dans le temps long de l’histoire du monument, de la mémoire des groupes sociaux, de la patrimonialisation du site. Ainsi, cet article cherche à comprendre comment la photographie tire le fil du temps de l’espace, le temps qui est passé à travers lui, qui est en train de passer et qui va passer sur lui. Le cas étudié présente l’intérêt de développer un travail de production photographique particulièrement original par rapport à ce questionnement, en ce qu’il vise à documenter les transformations actuelles des paysages à travers la mise en place d’un observatoire photographique depuis une dizaine d’années.

  • 3 La notion de « patrimoine vivant » a été explorée dans un article antérieur portant sur l’élargisse (...)
  • 4 L’institution du pont du Gard est ici remerciée pour son accueil, dans le cadre du partenariat avec (...)

4La prise en compte des paysages comme un patrimoine vivant3 interroge l’outil photographique dans sa capacité à représenter le temps futur à partir du présent, à accompagner des projets paysagers et à renouveler les expériences photographiques du temps par les visiteurs4.

La médiation temporelle des photographies du patrimoine

5Photographie et patrimoine s’ordonnent autour de la complexe question du temps. Selon Jean-Pierre Montier (1998), l’originalité de la photographie par rapport aux autres arts visuels n’est pas dans le privilège accordé à la dimension spatiale mais temporelle. La photographie est selon lui un « art du temps », car elle permet de conserver en les fixant les traces de patrimoines à la fois en voie de disparition et ceux – les plus récents – qui sont éphémères. En effet, le mécanisme photographique qui consiste à doubler le prélèvement de l’espace d’un prélèvement temporel fonctionne idéalement dans ce geste de mise en réserve du patrimoine. La photographie conserve en réduisant la temporalité à un simple point et en opérant une nouvelle inscription dans la durée (Dubois, 1983). Cette temporalité photographique de l’ordre de l’indice désigne au présent quelque chose qui a été (Barthes, 1980) et qui fait partie de son être.

  • 5 Dès 1851 se déroule la mission héliographique commandée par la commission des Monuments historiques (...)
  • 6 Pour Caroline Mollie-Stefulesco, chargée du développement de l’observatoire photographique des pays (...)

6Cependant, dès les premières missions photographiques du xixe siècle consacrées aux monuments (1851) et à la montagne (1882)5, la question du rapport au temps de la photographie apparaît plus complexe. Le principe n’est pas seulement celui de la conservation par l’image d’un état, mais celui de l’accompagnement de la gestion des problèmes de dégradation. Ces entreprises photographiques adoptent un programme consistant à répéter des photographies dans le temps de façon à suivre les travaux de restauration et à en rendre compte (Lebart, 1997). Le domaine du patrimoine apparaît précurseur dans la façon de « faire passer la photographie du domaine des choses, de la présence et de l’existence, à celui des événements » (Rouillé, 2005, 290). La photographie en série n’est plus un seul outil de captation du passé et de la fixation d’états, elle s’ouvre également à l’action présente et à venir. D’autre part, le temps en question est le sujet même de la photographie, son référent, et non plus un effet de celle‑ci. L’espace photographié change de sens, il devient un espace affecté par le temps qui passe, il est le support qui rend mesurable le temps (Ricoeur, 1983, 49). Ce questionnement sur la photographie dans sa capacité à représenter le temps devient d’actualité à partir des années 90, avec le projet des observatoires photographiques des paysages6 de créer une documentation photographique appliquée au suivi des évolutions des paysages en tant que patrimoine vivant.

  • 7 Ces deux façons de désigner l’image correspondent à l’analyse que fait Paul Ricoeur (1986, 33) de l (...)

7La photographie se définit dans sa relation au patrimoine comme un assembleur de temps, à la fois passé, présent et futur. Comme on le verra, elle peut être une « image vestigiale », rappel de la trace d’une vie passée, mais elle peut aussi être une « image anticipante »7 dès lors que lui est appliqué le procédé de la « veille » – répétition des prises de vue à intervalles réguliers – pour analyser et prévoir les évolutions possibles des paysages. Ce qu’il s’agit de comprendre est la façon dont ces structures temporelles de l’image photographique du patrimoine parviennent aux visiteurs d’un site patrimonial en le plaçant dans un certain rapport au temps.

8L’analyse se tient à mi-chemin entre les logiques de production de l’image et leur réception par les visiteurs, cherchant à saisir la photographie au moment de leur transformation en narration pour le visiteur d’un site patrimonial. Lorsqu’elle est disposée pour être vue par les visiteurs, la photographie semble insérée dans un dispositif qui la contraint à raconter quelque chose. Mais la photographie n’est pas soumise au seul vecteur de communication du dispositif qui l’expose : elle s’articule à lui pour fonctionner comme dispositif de visibilité de la durée. Interroger le potentiel narratif des structures temporelles de la photographie revient à suivre Paul Ricoeur dans sa réflexion sur le rapport entre temps et récit, dans sa proposition de « montrer le rôle médiateur de ce temps de la mise en intrigue entre les aspects temporels préfigurés dans le champ pratique et la refiguration de notre expérience temporelle par ce temps construit. Nous suivons donc le destin d’un temps préfiguré à un temps refiguré par la médiation d’un temps configuré. » (Ricoeur 1983, 107-108). Dans cette perspective d’analyse, ce n’est pas l’approche esthétique du temps du patrimoine par la photographie qui est visée, mais la relation entre la mesure du temps du patrimoine par la photographie et sa mise en visibilité pour les visiteurs des sites patrimoniaux. Si leur rapport au passé de ces territoires du patrimoine occupe une place privilégiée dans la pré‑compréhension qu’ils se font de leur visite patrimoniale, la photographie les interroge à partir de registres temporels variés qui empruntent à l’histoire, à la mémoire et à la patrimonialisation. L’analyse replace ainsi sans cesse les photographies dans le contexte du site étudié car c’est dans cette interdépendance que leur proposition d’une construction temporelle prend sens, entre la pré-compréhension que se fait le visiteur de sa venue dans ses lieux et les caractéristiques de leur disposition dans le site.

9Pour explorer ces rapports des visiteurs aux structures temporelles de la photographie du patrimoine, j’ai considéré le contexte du site patrimonial du pont du Gard sur lequel la photographie présente des statuts et des usages très variés et un questionnement temporel qui articule les dimensions paysagère et monumentale du territoire. Le visiteur a la possibilité de dialoguer avec la photographie dans l’espace du musée – centre d’interprétation historique du monument, ce dernier se situant plus loin sur son parcours –, ainsi que sur un sentier culturel et mémoriel serpentant à travers les paysages de la garrigue. D’autre part, l’institution a testé l’exposition de son propre fonds de séries photographiques constituées par son observatoire photographique des paysages depuis plus de dix ans, montrant la patrimonialisation du site à travers les transformations des paysages, entre gestion des aléas naturels et aménagement touristique. Ce dernier exemple occupe une place centrale dans l’analyse conduite ci‑après parce qu’il fait porter l’attention sur le premier degré du fonctionnement temporel de la photographie, avant même sa reprise dans un réel dispositif d’exposition, et aussi parce qu’il mobilise une photographie qui engage un rapport au temps singulier pour le visiteur d’un site historique.

  • 8 Si l’analyse de la réception du cinéma interroge clairement ce décalage entre la contrainte tempore (...)

10Ces jeux temporels et leur imbrication dans la visite patrimoniale d’un même site posent question au regard des décalages qu’ils peuvent susciter chez les visiteurs8, faisant signe tour à tour du côté du vestige historique, de la mémoire d’un groupe social, de l’anticipation du futur. L’examen des photographies portera sur les expériences visuelles de la durée qu’elles suscitent chez les visiteurs, lorsqu’elles se présentent sous la forme de série paysagère, puis de documents historiques au sein du musée et de flash mémoriel au long du sentier culturel.

Court terme et anticipation dans la visite patrimoniale

11L’institution patrimoniale gestionnaire du site du pont du Gard se préoccupe de l’accompagnement de l’évolution des paysages. L’observatoire photographique mis en place en 1997, dès les premiers travaux d’aménagement du site, est conçu comme un outil de gestion et d’évaluation de ses paysages. Il présente aujourd’hui un fonds photographique qui est le fruit de dix années de prises de vue. Ce fonds s’organise en séries photographiques, chacune couvrant l’évolution d’un même point de vue sur cette dizaine d’années. L’institution se pose aujourd’hui la question de l’ouverture de cette collection à ses publics, pour les sensibiliser à la compréhension des paysages comme un patrimoine vivant, évolutif et fragile.

  • 9 La série choisie va de 1997 à 2007, elle en propose 6 images (1997-1998-2002-2003-2004-2007). La vu (...)
  • 10 La procédure d’enquête place le visiteur devant la série des 6 photographies : il sait qu’elles ont (...)
  • 11 Cette enquête s’est déroulée en juillet 2008. Elle s’est inscrite dans une opération plus large ent (...)

12L’analyse consiste à interroger la mesure du temps – courte et anticipante – engagée par cette méthodologie de veille photographique, puis à chercher à comprendre la médiation du temps qu’elle configure pour un visiteur qui s’apprête à vivre une expérience temporelle historique séculaire à travers la découverte du monumental aqueduc romain. Elle s’appuie sur un essai de présentation d’une de ces séries aux visiteurs9 dans le cadre d’une expérience de recherche mobilisant la technique d’enquête de suivi du regard du visiteur sur l’image – technique du eye‑tracking – alliée à des commentaires faits par le visiteur durant le temps de son exploration visuelle et à des entretiens post-exploration10. Cette démarche de recherche reposait sur une double hypothèse, à savoir que les structures temporelles se situaient dans le format sériel lui-même et qu’elles faisaient appel chez le visiteur à une mise en récit11.

13Ci-dessous, l’analyse démêle les rapports entre les temps préfigurés dans la production de l’image, leur configuration dans l’exposition d’une série et enfin leur refiguration dans l’expérience du visiteur. Puis elle fait le point sur la façon dont le format sériel invite le regard du visiteur à des explorations visuelles de la durée qu’il met en scène. Enfin, elle interroge la transformation de la série en récit à partir de la question de la séquence photographique la plus à même de raconter ce qui se passe sur les images aux yeux du visiteur.

La lecture contrariée de la durée dans la série photographique des paysages

  • 12 Pour aller plus loin dans l’analyse de la démarche du projet paysager, deux textes me paraissent in (...)

14Le procédé de veille photographique consistant à reprendre la même vue sur un paysage à intervalle régulier pour rendre compte de son évolution suppose une pré-compréhension des paysages en tant que patrimoine vivant. Il impose de sortir d’une conception du patrimoine consistant à préserver des objets de leur transformation pour au contraire gérer une évolution inévitable, comme celle de la vie sociale et économique du grand site touristique patrimonial qu’est le pont du Gard. Le principe photographique consiste à repérer les évolutions des paysages et à accompagner leur transformation vers un avenir réfléchi et décidé par une institution au regard de ses différentes contraintes. La culture du projet paysager est complexe12. Elle défend des logiques d’aménagement qui entretiennent des relations avec une diversité de systèmes cognitifs et d’action tels que l’écologie, l’esthétique, l’éthique, les pratiques sociales, les techniques de déambulation dans l’espace. Si la photographie de paysages requiert de la part du visiteur la reconnaissance de la culture et de l’action paysagère, elle suppose également qu’il perçoive la structure temporelle sur laquelle repose la construction de la série photographique.

15La série photographique entreprend de rendre lisible l’évolution des paysages à partir d’une structure temporelle qui repose sur une conception du temps qui passe. L’unité de mesure du temps pour le paysage ne peut être celui du quotidien. Il est illusoire de se caler sur le jour, c’est-à-dire sur 24 h, pour effectuer une veille photographique. Une telle mesure est impossible à réaliser techniquement, humainement, financièrement, mais surtout elle n’a pas de sens par rapport au rythme de vie des paysages. Si le temps n’a pas eu le temps d’affecter l’espace, il n’est pas mesurable. La série photographique doit résoudre la question de l’unité de mesure qui puisse rendre compte de l’évolution des paysages. En choisissant comme unité de mesure l’année, certains observatoires photographiques des paysages vont être confrontés à l’immobilité de l’image, malgré le principe successif de la prise de vue. Par contre, avec la même mesure annuelle, des territoires plus petits et soumis à une fréquentation très importante, pourront effectuer des mesures du changement. C’est le cas du site du pont du Gard.

16Le public en visite sur un site patrimonial, placé face à ce type de série photographique, est-il en mesure d’en reconnaître – et non seulement connaître – les structures temporelles, et comment orientent-elles sa compréhension et son jugement sur l’action qu’il pense y voir ?

17On verra dans la partie suivante que le site étudié utilise la photographie comme support d’explicitation de l’histoire à l’intérieur de son musée et au sein d’un sentier d’interprétation. Dans ces deux cas, le visiteur est mis en situation de lire la photographie par comparaison avec d’autres qui présentent un écart temporel important (c’est le cas dans le musée) ou avec la situation actuelle des paysages (sentier d’interprétation), ce qui augmente la visibilité de ce qui s’est passé entre temps. Mais quelle lecture peut conduire le visiteur de ce qui est en train de se passer ? Car la photographie documentaire produite par l’institution s’inscrit dans un univers de référence qui n’est pas celui de la reconstitution historique sur le long terme de la vie d’un objet, mais d’une reconstitution par anticipation de la transformation de l’objet. La photographie fait la jonction entre les temps passé, présent et futur. La série photographique expose les effets du temps qui passe par l’intermédiaire des transformations physiques de l’espace à l’échelle d’une unité de mesure du temps annuelle. C’est d’une part une temporalité d’une granularité très fine par rapport à une unité de mesure du siècle ou du demi-siècle ; d’autre part une temporalité inattendue pour le visiteur d’un monument historique. Différents problèmes de lecture se posent à lui.

  • 13 Le visiteur repère une évolution de l’état des paysages à travers la présence massive de végétaux q (...)
  • 14 Certains visiteurs se montrent curieux vis-à-vis d’événements naturels spectaculaires comme une cru (...)

18La série photographique annuelle place le visiteur dans une réflexivité par rapport à la construction patrimoniale d’un objet en train de se faire et non dans la connaissance historique de l’objet, horizon d’attente principal de sa visite. Elle contribue à le décaler de la pré-compréhension qu’il se fait de sa visite patrimoniale en lui demandant une lecture inhabituelle qui l’interpelle non pas pour ce qu’il est venu voir, la longue temporalité historique du site, mais sur l’actualité de son aménagement, sur le temps de gestion du site. Le visiteur est placé dans une conception très différente du projet de conservation patrimoniale liée à la culture patrimoniale complexe des paysages. Il doit se défaire d’une lecture de l’image historique, dressant un constat, pour saisir des actions constitutives du processus de fabrication du paysage relevant à la fois du projet d’aménagement de l’institution et de la gestion des perturbations naturelles. Cette lecture temporelle des paysages lui demande d’acquérir une compétence peu évidente. Certes le visiteur n’est pas totalement démuni face à la représentation du temps dans l’image photographique. Mais dans le cadre de la série paysagère, il doit reconnaître l’empreinte du temps sur l’espace en interprétant les formes paysagères et leurs variations d’une image à l’autre13. Sa lecture de la durée à travers l’évolution des formes paysagères se situe entre l’immobilité de l’image et la succession de la séquence. Malgré tout, certains visiteurs peuvent éprouver une curiosité dans la découverte de nouveaux éléments sur la vie du site14. D’autres au contraire jugent cette temporalité qui leur est contemporaine trop anecdotique par rapport à celle « extraordinaire » du monument datant de l’époque romaine, refusant de compromettre leur propre image spectaculaire de l’aqueduc.

19Outre le rapport entre long terme et court terme soulevé par la série photographique contemporaine au sein de sites de renommée historique, ces photographies soulèvent la question de leur point d’origine, celui du commencement de la série. Le visiteur est convié à découvrir une certaine trajectoire de la vie du site, celle qui va de l’arrivée de l’institution sur le site à aujourd’hui. Or, sur cette période, le site est entré dans une nouvelle vie, sa conservation nécessitant l’évacuation des personnes qui venaient alors librement dans cet espace, et la réalisation d’un projet d’aménagement visant la gestion des flux de visiteurs sur le site et une découverte culturelle plus ordonnée et contrôlée. Cette disparition du contexte d’usage du site va marquer symboliquement l’esprit de la population qui vit une véritable rupture, de sa pratique, de sa mémoire. La patrimonialisation est en marche avec ses processus d’appropriations et de désappropriations, justifiés par la nécessité de sauvegarder et transmettre un monument historique aux générations futures. Si ces photographies poursuivent la visée technique de gérer le site, elles donnent à voir symboliquement cette période de transformation du site confuse et douloureuse pour la catégorie des publics correspondant à la population le pratiquant antérieurement. Les temporalités de l’opérateur et du spectateur, pour reprendre les termes de Rouillé (2005), sont alors disjointes et peu compatibles. Le point d’origine de la série (la première prise de vue) correspond au commencement de la célébration d’un objet et d’un projet pour les uns, de la perte d’un usage sans interdit pour les autres. Ainsi, la série photographique consiste à « filmer » la rupture de la continuité de la mémoire pour le site patrimonial. L’appréciation de l’évolution des paysages à travers la série photographique est alors influencée par une pré-compréhension de la visite du site qui fait appel à la mémoire d’un groupe social. En son nom, la photographie porte l’empreinte de l’institution qui s’est approprié le site par ses multiples travaux. Car la lecture des paysages n’est pas seulement une lecture de mouvements physiques, celles des variations des formes dans l’image, mais la compréhension d’une action qui s’étend au jugement sur les acteurs qui y sont associés.

20L’entrée dans la lecture des paysages à partir des structures temporelles de la série photographique rencontre des difficultés d’ordre symbolique et sociale. Mais à celles-ci s’ajoute la reconnaissance du dispositif photographique qui commande la fabrication de la série. La photographie en question n’a pas le statut d’œuvre mais d’outil d’étude de processus. Or le visiteur peut être déstabilisé dès son entrée dans l’image par ce problème du statut qu’il accorde à la photographie. À la recherche de la « belle » image de l’aqueduc, il tombe sur des photographies qu’il juge raté, mal composé. La série photographique paysagère dans le contexte de la visite d’un site patrimonial dominé par un monument spectaculaire le prend à contre-pied, non seulement de sa culture paysagère, mais de sa culture photographique. De telles séries photographiques ont leur place dans un dossier de demande de subvention pour travaux et non dans une visite patrimoniale fera remarquer une personne. Pourtant, dans son incompréhension d’une photo qualifiée « de chantier », pointe la compréhension de la temporalité anticipante opposée à celle du vestige : « Je trouve que ça fait photos de chantiers comme quand on fait notre maison et qu’on ne sait pas ce que ça donnera. »

21Si les structures temporelles de la série photographique annuelle sont complexes à percevoir, elles constituent un format intéressant pour développer chez le visiteur d’un monument historique une autre expérience visuelle de la durée.

Le regard au travail sur les formes paysagères

22La série est un outil d’orientation de la lecture du visiteur. Une seule photographie ne restitue pas un sentiment de durée, elle fixe l’image. Mais associée à une séquence photographique, elle n’est plus un document en soi mais le fragment d’un récit qui la dépasse. Le regard du visiteur sur la série ne trompe pas : le mouvement de l’œil peut approfondir une image en s’arrêtant sur celle‑ci, il peut prendre le temps de s’arrêter sur chaque image, mais à un moment ou un autre, son œil suit le mouvement de la série, il effectue des déplacements oculaires rapides de l’une à l’autre, regardant une photo tout en explorant latéralement la suivante.

23C’est par ses « coups d’œil » en va-et-vient que le visiteur reconstitue le mouvement, et non par l’observation d’une trace floue laissée sur l’image. La série photographique place le visiteur dans la problématique de l’histoire de la perception du mouvement.

24« Avant les procédés instantanés, seule la trace floue laissée par les déplacements s’inscrivait sur le cliché : la durée était visible dans l’image. Avec les émulsions au gélatino-bromure d’argent, l’objet en mouvement apparaît immobile, et ses contours sont nettement définis. Accueillie avec enthousiasme, cette faculté nouvelle de la photographie ne fût pas sans provoquer une certaine gêne. On remarque d’ailleurs que la période de diffusion des procédés instantanés coïncide avec un regain d‘intérêt pour les appareils stéréoscopiques. Ces dispositifs produisent des "doubles instantanés, séquence minimale qui réintroduit l’idée de succession (Ristelhueber, 1997)". C’est précisément à travers les successions d’images (en séries ou séquences) qu’est réintroduite sous une nouvelle forme, la notion de durée. » (Lebart, 2000, 6).

  • 15 Le traitement des résultats de l’étude mobilisant la technique du eye-tracking visera à montrer com (...)

25Ce regard comparatif qui va et vient d’une photo à l’autre suit les lignes fortes qui structurent la composition de l’image (le pont en arrière-plan, le parapet à la verticale de l’image). L’orientation du regard du visiteur sur l’image permet de dire qu’il perçoit des éléments, mais les commentaires montrent qu’il ne s’agit nullement d’une orientation dans la compréhension de ce qui lui est montré15. L’exercice lui demande de mettre en œuvre des compétences spécialisées en terme de lecture des formes paysagères et de leurs changements. Le mieux qu’il puisse faire est d’intégrer ce qu’il voit dans sa propre compréhension du site. L’élément organisateur du récit est puisé dans sa mémoire personnelle, son vécu sur le site, ses connaissances. Seules les personnes connaissant très bien le site font la relation entre les transformations du paysage et la crue du Gardon en 2002. C’est l’ouverture de la vue sur le pont comme aménagement touristique et gestion des flux de visiteurs qui correspond à l’interprétation minimale la plus courante de la série.

26La crue n’est perçue qu’après lecture des légendes, ce qui relance le parcours du regard sur les images tout en réorientant la compréhension de la transformation du paysage et le jugement sur celle‑ci. Les visiteurs remettent en question leur système de valeur. Les travaux se justifient par la nécessité de canaliser l’eau et non plus par les interventions de l’institution dans le cadre de la gestion des touristes. Un des techniciens travaillant sur le site remet en question son interprétation d’un aménagement de la vue sur le pont pour les touristes par nettoyage des arbres en comprenant avec les légendes la présence d’un « plan d’élagage » lié à la santé des arbres. Les programmes de compréhension des visiteurs changent de valeur, passant d’explications liées aux flux et à l’économie touristiques à des raisons techniques et environnementales en relation avec des valeurs de bien-être de la nature et de préservation du patrimoine et de ses visiteurs. Mais pour parvenir à cette dimension récitative, le format initial de la série qui repose sur une mesure annuelle, se montre insuffisant.

Lorsque la série se fait récit : la révision de l’échelle de la séquence d’information

27La série photographique contemporaine complète, année après année, peut offrir au visiteur un autre accès au site patrimonial et à ses savoirs que l’accès historique proposé par le musée par exemple. L’architecture temporelle de la série – une chronologie annuelle – oriente la lecture du visiteur sur la vie du site à des périodes régulières. Mais la difficulté rencontrée par le visiteur est que le contenu de ce scénario n’a pas été écrit à l’avance, qu’il ne relève pas du choix d’un programme de lecture s’adressant à lui.

28La série photographique est dépendante du format qui l’organise : une prise de vue répétée à la même période tous les ans pour un point de vue déterminé. Les images ne sont pas choisies, le scénario se révélant et s’écrivant à travers le dispositif photographique. Ainsi, l’outil sériel ne permet pas de fixer les événements naturels puisqu’il n’est pas programmé pour cela. Il suffit que l’événement (comme la tempête ou la crue) produise un impact à côté du point de vue défini par la série ou à un autre moment de l’année que celui de la prise de vue pour ne pas être saisi dans l’objectif photographique. Dans la série photographique qui croise la crue du Gardon sur le site du pont du Gard, l’événement ne figure pas en tant que tel. Ce qui est montré, ce sont après-coup les traces du passage des pluies diluviennes laissées sur les paysages. C’est un élément qui déroute le visiteur. Celui‑ci ne reconnaît quasiment jamais l’image en relation avec l’après-crue, qui reste très peu explicite pour lui.

29Cette déroute interprétative est liée à une série qui ne vise pas l’événement naturel mais le temps qui passe. La structure temporelle du récit présentée au visiteur est en quelque sorte incorporée dans les paysages eux‑mêmes.

  • 16 Lors d’une expérience antérieure de présentation des fonds photographiques créés par l’observatoire (...)

30Ces séries contemporaines s’avèrent peu parlantes pour les visiteurs, même si elles orientent le regard vers un travail comparatif producteur d’interrogation. Le déficit d’interprétation peut être corrigé par l’écriture d’un scénario de lecture de la série après‑coup. Les visiteurs comme l’institution proposent une écriture sérielle qui reconstruit après‑coup la visibilité de l’événement (la crue). L’opération consiste à prélever des images en nombre restreint – trois en général – pour composer des raccourcis temporels – avant, pendant, après. Ce n’est plus une série potentiellement sans fin mais un intervalle de temps qui définit un commencement, un événement et une fin. La légende peut venir affiner cette structure du récit16 en décrivant la transformation visuelle à partir d’indicateurs temporels et en désignant d’une part l’opérateur de la transformation, la crue – et non l’institution –, d’autre part l’administration du remède, les travaux de réhabilitation entrepris par l’institution. La série s’ouvre au récit lorsqu’elle est articulée à une action et à un point de vue. Selon Ricoeur : « Si, en effet, l’action peut être racontée, c’est qu’elle est déjà articulée dans des signes, des règles, des normes » (1986, 113). La mise en récit de la série contribue à effacer sa dimension ouverte sur l’avenir – car elle ne constitue pas une fin narrative – pour revenir à une écriture de l’histoire du site. La capacité anticipante de l’outil se refuse au scénario, rejetant l’événement au profit de la durée. Ce faisant, la série dans sa totalité laisse de côté le programme de visite du public sur un site patrimonial, en quête d’histoires et d’Histoire.

31Cette réduction de la série photographique et son accompagnement par des légendes canalisent fortement l’interprétation possible des évolutions du site, éliminant la mise en intrigue favorable à la curiosité du visiteur et plaçant ce dernier dans la même situation que la lecture d’un guide papier. Pour limiter l’effet de fermeture de la perspective historique dans le cadre d’une série commentée selon le point de vue d’un auteur, un autre usage de la photographie a été pointé par les visiteurs. C’est celui de la transformation de la série en « dispositif de monstration » (Davallon 1999, 208) du site patrimonial, au même titre que l’exposition, qui dispose des choses pour les montrer. Plutôt que de soumettre les visiteurs à une lecture experte des variations des formes paysagères du site du pont du Gard à travers des séries photographiques, le principe serait de les convier à lire la photographie in situ, pour leur permettre d’appuyer leur interprétation de l’image photographique sur le constat de l’écart entre la représentation photographique et le paysage qui se présente concrètement à eux. Dans une précédente initiative d’exposition des photographies par l’institution, celle-ci suggérait d’ailleurs à ses visiteurs de réaliser par eux-mêmes cette mise en relation entre l’image et le réel, avec la formule suivante : « En vous promenant sur le site, vous pourrez observer directement l’évolution du paysage. »

  • 17 J’emprunte ici à la théorie sémiotique dite « intégrationnelle » de l’écriture de Roy Harris. Le si (...)

32Si l’on imagine la disposition de ces photographies sur le site, il n’y a plus de complexes mises en récit photographique mais un seul dispositif de monstration du site par l’image photographique. La mise en contexte de l’image dans le site réel ne se réaliserait plus dans la tête des gens avec les nécessaires efforts de mémorisation de leurs parcours, de leurs connaissances, de leurs souvenirs, mais dans une mise à disposition au sein de la visite. Cette seule disposition permettrait de ramener la photographie dans le programme de visite et de compréhension du visiteur. Cependant, c’est le site lui-même qui serait touché dans son statut en devenant le contexte gestionnaire de la signification de la photographie17. Or la patrimonialisation du site du pont du Gard a suivi une conception de son aménagement à l’opposé de cette idée : toute forme de médiation du monument doit être invisible. Le musée a été conçu enterré et le sentier d’interprétation est éloigné du pont, implanté dans la garrigue aux alentours.

La remontée du passé dans le contexte de l’absence

33Dans ce jeu de camouflage entre la médiation et le monument, la photographie trouve d’autres voies pour exposer la durée en empruntant à l’histoire ou à la mémoire. Si la médiation de la patrimonialisation d’un site par la photographie peut s’avérer une gageure tant elle déplace les attentes et les compétences du visiteur, la référence à l’histoire et à la mémoire du site place le visiteur dans une expérience de la durée plus classique.

34L’analyse consiste à poursuivre l’interrogation sur la monstration de la durée opérée par la photographie dans le contexte d’un site patrimonial qui se donne comme contrainte de régler l’absence du monument – en tant que marqueur spatial historique du site – dans la vue du visiteur du musée, et l’absence du groupe social ayant cohabité antérieurement avec le site – exerçant les activités artisanales et paysannes notamment au xixe siècle. La photographie est mise en relation avec deux dispositifs d’exposition du site patrimonial qui exercent sur elle leur stratégie communicationnelle pour orienter sa réception (Schaeffer, 1987). L’analyse vise à comprendre la place de la photographie au sein de ces dispositifs.

Voir l’ailleurs : le document photographique historique

  • 18 « […] Le Pont du Gard est classé monument historique sur la première liste établie en 1840. Son env (...)

35Le musée, conçu à l’écart de l’aqueduc afin de ne pas entrer dans le champ visuel des visiteurs du site, abrite en milieu fermé une exposition permanente présentant l’aqueduc dans l’histoire. Le recours à l’image vidéo et photographique marque l’ensemble de l’espace muséal pour suggérer cet objet monumental qui ne peut être présent dans le musée, ni physiquement bien évidemment, ni visuellement. Cette image construit une ambiance, évoque l’ailleurs temporel, l’époque romaine. Le musée fait également usage de photographies d’archéologie pour évoquer le travail scientifique qui permet d’authentifier et de développer les connaissances sur le site. Dans une dernière brève partie – le visiteur est déjà happé par la sortie –, le musée présente un chapitre intitulé « Un monument historique » dans lequel sont énumérés les étapes de la reconnaissance officielle du pont romain comme patrimoine national puis mondial18. Une attention particulière est prêtée à la mission héliographique du milieu du xixe siècle consacrée à l’inventaire des richesses monumentales des régions de France, ancêtre des observatoires photographiques des paysages, dont une prise de vue en 1886 est consacrée au pont du Gard. Bien d’autres photographies la côtoient, évoquant la vie du pont jusqu’aux années 2000.

36Sans entrer dans le détail de la façon dont le dispositif d’exposition supporte l’interprétation de la photographie, en transforme le support, la met en scène dans tout l’espace du musée, je pointerai que la photographie est très peu exposée comme telle, car son importance est dans l’empreinte de l’objet qu’elle porte et qu’elle montre à travers elle. La photographie vient pallier le déficit de l’exposition à être un dispositif de monstration de l’objet patrimonial central en se substituant à celui‑ci. Elle n’a plus besoin d’assurer la position énonciative, elle est énoncée par le dispositif d’exposition. La série photographique analysée précédemment porte l’empreinte de la durée, la rend visible dans son processus de succession d’une même vue à un rythme annuel. Elle fonctionne en tant que dispositif énonciatif de sa propre image et porte dans ses structures mêmes la monstration de la durée. La dimension énonciative du temps par la photographie au sein du musée est ressaisie par le dispositif d’exposition qui l’inscrit sans ambiguïté dans la temporalité longue de l’histoire de l’aqueduc.

Écouter le site : les flashs mémoriels

  • 19 La notion de pèlerinage pour aborder ce type de circuit culturel est empruntée à Jean Davallon avec (...)

37L’intitulé du sentier d’interprétation « Mémoires de garrigue : Histoires d’un paysage méditerranéen » situe d’emblée la photographie au sein d’un dispositif qui traite de la mémoire. L’objet célébré n’est pas le pont dans sa monumentalité mais les paysages qui l’entourent, plus intimes et ordinaires. Le sentier se déroule à l’écart du circuit touristique principal qui mène à l’aqueduc. Le site du pont du Gard offre ainsi à ses visiteurs la possibilité d’un double cheminement temporel, l’un vers l’histoire romaine, l’autre vers la mémoire paysanne. Dans les « pèlerinages »19 proposés par ces deux circuits culturels vers les deux hauts lieux du site du pont du Gard, l’aqueduc et les paysages – mis en scène à travers la construction en fin de parcours d’un panorama –, la photographie est ou non présente. Pour l’un, la médiation photographique n’a pas lieu d’être : la présence imposante du monument au visiteur lui sert elle-même de médiation vers l’ailleurs – ses ancêtres romains. Pour le second, elle participe d’un aménagement subtil, qui consiste à faire cohabiter deux « micropélerinages ».

  • 20 La conceptrice du sentier soulignait, lors de notre entretien, l’important travail de documentation (...)

38Le premier consiste à guider le visiteur vers un point culminant du circuit, le panorama. Le second attire son attention tout au long du cheminement, lui faisant découvrir à travers des photographies, déposées au sol à une quinzaine d’endroits et reproduites sur des pierres, les activités disparues par lesquelles les paysans entretenaient le paysage de garrigue. Le dispositif du circuit déroule sa signification autour de cette opposition, entre l’attraction du visiteur vers la position haute du panorama, et la conduite de son regard vers le bas avec les photographies au sol. La photographie est ainsi associée à la dimension « basse » des paysages, à la terre, et à ceux qui l’ont travaillée. Ces deux façons de déplacer le visiteur vers l’ailleurs en le sortant du temps présent de sa promenade s’articulent pour constituer la portée symbolique et sociale du sentier. Si le panorama organise une médiation avec un ailleurs géographique par rapport au point où se tient le visiteur, la puissance symbolique de l’ailleurs temporel qui marque la rencontre du visiteur avec cet autre que lui dans le passé en est absente. La photographie vient subtilement combler ce vide. En tant que dispositif d’énonciation, elle prend à sa charge la monstration de la durée, et ceci de deux manières. D’une part, elle met en scène le passé dans l’image elle-même à travers des marqueurs temporels comme les vêtements des personnes représentées, les outils agricoles, les types de travaux, l’usure du cliché. D’autre part, la photographie se fait monstration du passé à travers l’identité de l’opérateur de la photographie et l’événement que la prise de vue a représenté pour lui à son époque20.

39Si avec les séries photographiques sur les paysages dont elle est l’auteur à travers l’observatoire, l’institution patrimoniale court le risque d’associer son image et son pouvoir aux perturbations vécues par le site, elle s’inscrit à travers ses anciens clichés en acteur conciliateur entre la patrimonialisation et la mémoire du site. C’est elle qui réunit ces traces de mémoire, les rapproche, les transforme en parole locale. Dans ce sentier, l’institution passe le relais énonciatif à la photographie sans l’inscrire dans un récit historique qui la domine et la lisse temporellement mais en lui demandant d’assurer la remontée du passé à travers une série de « flash » photographiques qui jalonnent l’itinéraire.

40En faisant s’exprimer par l’image un tiers, l’institution ouvre la photographie à un sens autre que visuel, celui de l’ouïe, demandant aux visiteurs d’entendre ce que lui raconte ce groupe social qui l’a précédé dans la pratique du site.

41L’analyse entreprise dans cet article interpelle la façon de définir la photographie autrement qu’un simple support d’enregistrement mécanique permettant de mémoriser le passé des territoires. Premièrement, elle est comprise comme une modalité d’écriture qui permet de fixer ce qui est mobile (même la mobilité lente des paysages), de faire exister matériellement un « objet » paysager, de rendre présentes plusieurs instances dans l’acte de prise de vue et de réception. Deuxièmement, elle constitue une médiation dans la construction d’un rapport au passé pour des territoires en devenir patrimonial. En questionnant la dimension temporelle de la photographie, il s’agit de comprendre ce qui caractérise son fonctionnement dans la construction non pas d’un rapport unique au passé d’un site patrimonial mais d’un faisceau de relations temporelles. L’examen a porté sur les trois rapports au temps engagés respectivement dans la présentation d’une série photographique contemporaine, dans l’exposition au sein du musée, dans un sentier mémoriel, le tout situé au sein du même site patrimonial. Le premier rapport au temps observé introduit une référence au futur en donnant à voir l’objet monumental dans son contexte de patrimonialisation tout en instaurant sa reconnaissance d’objet patrimonial ; le deuxième établit une connaissance historique du monument – l’aqueduc – dans le site ; le troisième construit une continuité de la mémoire dans le rapport au site pour le groupe social qui s’estime représenté – culturellement ou par descendance – tout en faisant jouer ce souvenir dans un apprentissage plus distancié concernant les paysages. Ainsi, le problème que l’analyse a eu à résoudre n’est pas celui de la représentation esthétique du temps par la photographie mais celui de l’expérience visuelle proposée au visiteur d’un site patrimonial de différents régimes de temporalités entre patrimonialisation, histoire et mémoire.

42La difficulté a consisté à se tenir au plus près de la photographie pour comprendre son rôle dans le processus de transformation du rapport au temps qui affecte les territoires patrimonialisés. Un examen attentif a porté sur la monstration du temps par la photographie, qui s’exprime non seulement dans la composition expressive des images ou dans les marqueurs temporels qui contextualisent l’image au sein d’une époque, mais également dans le format sériel, dans les instances énonciatrices en jeu, dans le dialogue entre la photographie et le site à travers des parcours, des dispositions, des dispositifs. La photographie permet au visiteur d’adopter une position d’extériorité qui rompt avec la continuité des paysages pour accéder à la compréhension et à la visibilité de leurs temporalités. La photographie est ainsi à la fois une pratique de mise en visibilité du patrimoine paysager qu’elle délimite et découpe, et un outil d’écriture du temps qui est mis au service de la question patrimoniale posée par la sauvegarde du vivant.

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Bibliographie

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Notes

1 Voir au sujet des régimes de temporalité de la mémoire, de l’histoire et du patrimoine, le débat exposé par Jean Davallon dans le cadre d’une analyse de la patrimonialisation comme « filiation inversée » (2006, 98–126).

2 Le site du pont du Gard s’étend sur 165 hectares. Sur son site web, à la page qui se désigne comme celle de l’accueil par son intitulé « bienvenue », l’institution tient à ne pas réduire le site à l’aqueduc romain : « le monument, patrimoine mondial de l’humanité, vit désormais dans un environnement naturel de 165 ha de paysages méditerranéens » <http://www.pontdugard.fr/>. Il est bien évident que plus largement, ni l’activité touristique, ni le patrimoine monumental, ni le patrimoine paysager ne se réduisent au site ainsi défini par ses limites administratives. L’aqueduc traverse bien d’autres communes, les paysages méditerranéens n’ont pas de frontières nettes, le développement touristique stimulé par la présence de ce patrimoine mondial de l’humanité joue sur un territoire plus vaste. L’objet de la recherche n’est pas d’analyser ces multiples extensions et les enjeux de développement territorial qui s’ensuivent. Il s’agit d’examiner la relation au temps générée par le classement en terme de « site » patrimonial à travers l’usage qui est fait de la photographie par l’institution patrimoniale.

3 La notion de « patrimoine vivant » a été explorée dans un article antérieur portant sur l’élargissement du patrimoine rural aux patrimoines vivants tels que les paysages et les produits de terroir. Nous soulevions la question de l’évolution de la conservation patrimoniale pour des objets insérés dans la vie économique et sociale vers des logiques de gestion de transformations (Davallon, Micoud, Tardy, 1997).

4 L’institution du pont du Gard est ici remerciée pour son accueil, dans le cadre du partenariat avec le laboratoire Culture et Communication et l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.

5 Dès 1851 se déroule la mission héliographique commandée par la commission des Monuments historiques pour recenser le patrimoine architectural français. Puis l’Administration des forêts, plus exactement ses services de restauration de montagne (RTM) créés en 1882, lance une opération photographique d’envergure pour lutter contre la dégradation des montagnes. Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française (1854-1868) faisait appel à l’utilisation de la photographie pour attester de l’état de ruine des monuments.

6 Pour Caroline Mollie-Stefulesco, chargée du développement de l’observatoire photographique des paysages au début des années 1990 par le ministère de l’environnement, le cœur du problème est le devenir des paysages. La donnée temporelle devient évidente à prendre en compte : « Paysage, photographie et temps désignent le programme dont la responsabilité m’a été confiée en 1991. L’idée d’appréhender le paysage dans sa quatrième dimension, celle du temps, répondait à une préoccupation qui a toujours accompagné mon exercice professionnel ». Caroline Mollie-Stefulesco évoque là son intérêt pour les jardins et pour l’évolution du végétal (1997, 4). Ce travail sur la matière vivante apparaît central dans la définition des paysages par l’observatoire photographique. La photographie n’est alors pas considérée comme un outil de captation des beaux paysages mais un outil de saisie du temps qui passe sur les paysages.

7 Ces deux façons de désigner l’image correspondent à l’analyse que fait Paul Ricoeur (1986, 33) de la référence par l’image aux choses passées et futures. Il utilise également les expressions d’« images-empreintes » et d’« images-signes ».

8 Si l’analyse de la réception du cinéma interroge clairement ce décalage entre la contrainte temporelle du dispositif cinématographique et le temps vécu par le spectateur (Ethis, 1999), la photographie insérée dans des dispositifs de visite d’un site patrimonial ne peut se décrire comme un cadre temporel imposé au visiteur. Il s’agit plutôt de saisir la façon dont l’institution patrimoniale distille au détour de ses dispositifs de médiation mobilisant la photographie un rapport au temps plus complexe que celui de l’histoire du monument qu’elle abrite.

9 La série choisie va de 1997 à 2007, elle en propose 6 images (1997-1998-2002-2003-2004-2007). La vue est prise sur le pont, depuis les terrasses de la rive gauche du site. C’est un endroit qui a été inondé et déstructuré par l’importante crue de 2002. Des travaux d’aménagement ont alors eu lieu.

10 La procédure d’enquête place le visiteur devant la série des 6 photographies : il sait qu’elles ont été prises sur le site du pont du Gard entre 1997 et 2007. La consigne lui est donnée de les regarder et de dire ce que cet ensemble de 6 photographies lui raconte. Dans un second temps, il découvre la même série photographique exposée sous la précédente mais présentant des commentaires écrits sur la photographie elle-même qui l’informent sur ce qui se passe d’une photo à l’autre.
Cette procédure de départ a été complétée très rapidement de façon à ce que le visiteur approfondisse l’exploration visuelle et pousse plus loin ses commentaires verbaux. D’une part, dans la consigne il lui est précisé qu’il y a un avant et un après la crue ; d’autre part, une tâche lui est donnée consistant à lui demander de ne garder que trois photos de la série pour raconter cette histoire de l’aménagement du site et de la crue. Il lui est aussi demandé s’il pense nécessaire d’ajouter des photos qui ne sont pas présentes dans la série présentée et qui l’aiderait à comprendre ce qui se passe.

11 Cette enquête s’est déroulée en juillet 2008. Elle s’est inscrite dans une opération plus large entreprise par une équipe de chercheurs du laboratoire Culture et Communication de l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse visant à expérimenter la technique du eye-tracking en muséologie pour des objets d’étude nécessitant un déplacement des sujets : parcours du regard dans la comparaison de deux tableaux (Hana Gottesdiener, Jean-Christophe Vilatte, Grazia Nicosia), au sein d’une salle d’exposition (Émilie Flon, Jean Davallon) et devant la série photographique paysagère (Cécile Tardy). Cette dernière a été testée auprès de 17 personnes. Je remercie pour leur aide Hana Gottesdiener et Maria Rosario Saraiva.

12 Pour aller plus loin dans l’analyse de la démarche du projet paysager, deux textes me paraissent intéressants à lire, tous deux parus dans le numéro 7 de la revue Les Carnets du paysage (2001). Le premier est celui de Jean-Pierre Boutinet qui place au centre de sa réflexion la notion de projet appliquée au paysage. Le second est celui de Jean-Marc Besse pour son exploration du rôle de la cartographie dans la projection paysagère.

13 Le visiteur repère une évolution de l’état des paysages à travers la présence massive de végétaux qui va s’amoindrir et laisser la place à des éléments bétonnés qui construisent une perspective visuelle vers le pont. De « sauvage », le paysage se bétonne sous l’influence de l’homme. Il perçoit des formes qui perdurent à travers la série, comme la ligne horizontale du pont, tout en lui associant un fort changement qui la rend plus ou moins visible.

14 Certains visiteurs se montrent curieux vis-à-vis d’événements naturels spectaculaires comme une crue. D’autres dialoguent à travers de telles images avec leur culture ethnographique et s’intéressent au côté making off de l’histoire de la patrimonialisation du site.

15 Le traitement des résultats de l’étude mobilisant la technique du eye-tracking visera à montrer comment le regard du visiteur parcourt la série en comparant le mouvement de l’œil qui va et vient d’une photo à l’autre avec le temps d’approfondissement sur une image.

16 Lors d’une expérience antérieure de présentation des fonds photographiques créés par l’observatoire, huit panneaux ont été accrochés à l’extérieur du musée, présentant chacun trois photos extraites d’une même série. L’un d’eux, centré sur l’événement lié à la crue, légendait ainsi chacune des trois photos :
« 2001 : Les terrasses arborées.
2002 : Les terrasses juste après la crue.
2005 : Les terrasses après réhabilitation, la vue sur le monument est réouverte. »

17 J’emprunte ici à la théorie sémiotique dite « intégrationnelle » de l’écriture de Roy Harris. Le signe écrit n’existe pas indépendamment de son intégration dans un contexte, que ce soit son support matériel d’encadrement, l’espace de sa localisation et le programme d’activité dans lequel est engagé le lecteur.

18 « […] Le Pont du Gard est classé monument historique sur la première liste établie en 1840. Son environnement est site classé depuis le 13 septembre 1973. Aujourd’hui, la Direction régionale des Affaires culturelles instruit un dossier de protection globale de l’ensemble des vestiges de l’aqueduc. En décembre 1985, le Pont du Gard est inscrit au patrimoine mondial par l’Unesco, consacré comme chef-d’œuvre du génie créateur humain, témoignage exceptionnel de la civilisation romaine, inscrit dans un site et un paysage tout à fait remarquables. »

19 La notion de pèlerinage pour aborder ce type de circuit culturel est empruntée à Jean Davallon avec toutes les nuances que lui-même apporte. Cette notion permet de souligner que la visite d’un circuit n’est pas un seul parcours où le visiteur déambule mais « un cheminement tendu vers un lieu porteur d’une exceptionnelle signification ». Toutefois, si elle permet d’interroger la portée signifiante et culturelle de certains circuits, elle n’est pas utilisée pour discuter du rapprochement scientifique entre le culturel et le cultuel (1999, 145).

20 La conceptrice du sentier soulignait, lors de notre entretien, l’important travail de documentation effectué pour recueillir ces images. Deux d’entre elles ont été données par le fervent opposant à l’arrivée de l’institution et aux transformations du site.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Tardy, « L’expérience visuelle du temps : photographie et territoire du patrimoine »Sciences de la société, 78 | 2009, 78-95.

Référence électronique

Cécile Tardy, « L’expérience visuelle du temps : photographie et territoire du patrimoine »Sciences de la société [En ligne], 78 | 2009, mis en ligne le 13 mars 2020, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/8716 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.8716

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Auteur

Cécile Tardy

Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Centre Norbert Élias Laboratoire Culture et Communication, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse (74, r. Louis Pasteur, 84 029 Avignon cedex 1).
cecile.tardy[at]univ-avignon.fr

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