- 1 Loi Organique relative aux Lois de Finances.
- 2 Relative aux Libertés et Responsabilités des Universités du 10 août.
- 3 Responsabilités et Compétences Elargies.
- 4 SYstème de répartition des Moyens à la Performance et à l’Activité.
- 5 Système ANalytique de REpartition de MOyens
1En tant qu’opérateurs de l’État, les universités françaises sont soumises aux nouvelles règles de gestion définies par la LOLF1, votée en août 2001 et mise en place en janvier 2006. En 2007, la LRU2 instaurant le passage aux RCE3, entraîne l’obligation de maîtriser la masse salariale, le patrimoine immobilisé et le pilotage budgétaire de l’établissement. En 2009, l’introduction du modèle SYMPA4, en remplacement du modèle SANREMO5, introduit une méthode de calcul de dotation sur critères dits d’ « activité » et de « performance ». Dix ans auparavant, en1999, les accords de Bologne ont engagé les établissements dans le chantier de l’harmonisation européenne des diplômes et ont, en filigrane, développé les possibilités de comparer différents modes et logiques d’organisation.
2Dans toutes les administrations, la LOLF a initié une culture de performance et d’efficacité dans la gestion des deniers publics. Comme le souligne Calmette (2006), « l’esprit » de la LOLF est directement traduit dans la « lettre » de la loi qui prône l’obligation de « performance ». L’article 51 alinéa 5 de la loi organique du 1er août 2001, indique notamment que les annexes explicatives par ministère accompagnant le projet de loi de finances doivent être complétées par un projet annuel de performances précisant « la présentation des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié ». Ce système de gestion de la performance s’inspire directement du modèle anglo-saxon. Cette approche, avant tout au service d’une vision financière du fonctionnement de l’État, n’est pas sans ambiguïté. Bouquin (2004) a d’ailleurs déclaré, à son propos, qu’il s’agit bien « d’une notion ambiguë maniée par des personnages ambigus ». S’agit-il de la performance économique qui, in fine, concentre l’évaluation du système que l’on étudie, ou s’agit-il d’une notion plus large de performance organisationnelle ? Traduction des exigences de la LOLF pour les universités, la LRU de 2007 ne limite plus la mesure de la performance à la seule procédure budgétaire, mais la diffuse à l’ensemble des activités universitaires (recherche, enseignement, formation, ressources humaines, etc.). De nouveaux acteurs de performance sont ainsi désignés à l’université ; ils se voient attribuer des objectifs de performance évalués par de nouveaux indicateurs, essentiellement mesurés par des cibles quantitatives et volumiques. Ce changement de paradigme, qui s’accompagne d’une innovation instrumentale de gestion, n’est pas sans influence sur le management des universités. Dans cet article, nous faisons l’hypothèse qu’une définition seulement économique de la performance universitaire, en dehors de ses effets sur le partage du pouvoir dans les universités (Baumgartner, Solle, 2010), est particulièrement restrictive en termes de pilotage et de contrôle de gestion. Et nous entendons montrer que les nouveaux instruments d’évaluation ne sont réellement appropriés que s’ils s’avèrent utiles à mesurer la performance organisationnelle globale, celle-là même qui repose sur un corpus de valeurs communes, dans lesquelles les agents se reconnaissent et envers lesquelles ils manifestent une loyauté spontanée, acquise ou contrainte.
- 6 Devenus récemment quinquennaux, ils sont négociés à partir du projet stratégique préparé par l’étab (...)
- 7 Composées des présidents d’université, leur cabinet et les vice-présidents.
3Jusqu’en 1968, les facultés restaient « l’unité pertinente de structuration du système universitaire français » (Solle, 2001) et le producteur essentiel des savoirs académiques nationaux. Puis, la loi Faure a cherché à affaiblir les facultés, tout en proposant parallèlement d’ouvrir l’université sur l’extérieur par le biais des personnalités extérieures membres de leur conseil d’administration. A la fin des années 1980, la signature des contrats quadriennaux6 entre la tutelle et l’université a renforcé l’affaiblissement des facultés et réduit le rôle de la profession universitaire, notamment au sein du ministère où la logique des disciplines s’est trouvée concurrencée par la logique des établissements (Musselin, 2001). Mais, comme ont pu l’observer Mignot-Gérard (2006) et Musselin (2001), le volontarisme et les pratiques plus managériales des équipes présidentielles se heurtent fréquemment à l’absence de relais en interne. De sorte que les réformes successives, essaiment au sein des organisations universitaires une logique de projet, à laquelle les acteurs ne sont pas nécessairement réfractaires, mais qui est assortie de nouveaux systèmes d’évaluation, dont le processus de normalisation ne peut se réaliser ex nihilo. Ce qui n’est pas sans effet sur les représentations de la performance des équipes7 de direction universitaire et sur leurs discours auprès des autres acteurs de l’Université.
4Dans le même temps, l’université en tant qu’organisation prenait le pas sur l’université en tant qu’institution. Et devait faire face à des problèmes d’organisation dont le fonctionnement ne pouvait, en paraphrasant la célèbre formule de Crozier et Friedberg, être changé par décret. En tant que « construction sociale », résultat d’une rencontre entre des volontés et situations d’acteurs partiellement contradictoires, les universités représentent en effet un univers en tension entre trois logiques : i) celle du corps des enseignants ; celle de l’administration ; celle des pouvoirs politiques. Elle ne peut donc être appréhendée comme un acteur homogène. Elle ne peut pas non plus se transformer sans réguler autrement les relations entre ces trois acteurs. Ainsi, pour Simmel (1999), l’autonomie relative des règles et normes permet la socialisation. Par leur autonomie créatrice, les acteurs universitaires doivent se détacher des règles et normes qui les socialisent pour en construire de nouvelles par appropriation de celles qui sont prescrites. Alter (op. cit.) renforce cette idée en décrivant un schème immuable d’innovation : une invention instrumentale, son appropriation, puis une institutionnalisation. Une invention qui ne ferait l’objet d’aucune appropriation –qu’Alter (op. cit.) définit comme « la création d’un sens »– serait destinée à disparaître parce que l’absence de relais de la direction ou des acteurs de terrain ne parviendrait pas à donner une cohérence à l’action collective. Malgré leur antagonisme apparent, la logique de l’innovation est donc complémentaire de la logique d’organisation. Car, l’innovation a besoin de la participation du management pour se développer et nécessite souvent une reconversion de ses normes managériales pour amener le processus de l’innovation à terme : « C’est bien la rencontre entre ces deux logiques qui donne sens à l’invention initiale » (ibidem). L’invention instrumentale crée ainsi des situations paradoxales génératrices de désordres et d’incertitudes qui perturbe la logique d’organisation et nécessitent des adaptations pour tendre vers une appropriation des indicateurs d’évaluation de la performance. Et les directions universitaires sont les premiers acteurs concernés par cette adaptation de l’invention.
5Dans ce qui suit nous proposons d’apprécier les effets des inventions instrumentales représentées par les nouveaux indicateurs d’évaluation de la performance sur les représentations des directions et, plus globalement, sur le processus d’innovation. Notre travail se situe à la croisée des préoccupations théoriques et pratiques, d’une part, de la recherche en contrôle de gestion des universités (Solle, Baumgartner, 2010 ; Chatelain-Ponroy, 2008) et, d’autre part, de la sociologie de la régulation sociale (Reynaud, 2003 ; Thomas, 2003 ; Boussard, 2001) et de celles de l’entreprise et de l’innovation (Alter, 2005 ; Cleach, 2007). Partant du constat qu’ « une invention doit alors être conçue comme une incitation, à partir de laquelle l’innovation peut, éventuellement, se développer » (Ater, 2005), la nouvelle règle ou norme prescrite ne restera qu’une « invention dogmatique » (ibidem), un rapport de force, si elle ne prend pas sens auprès des acteurs de terrain. Le manager universitaire ne doit donc plus seulement décider, mais il doit également inciter les acteurs universitaires afin qu’ils s’approprient l’invention. Comment les inventions instrumentales prescrites se retrouvent-elles dans les représentations de la performance des équipes de direction universitaire ? En quoi ces représentations participent-elles à l’appropriation des nouveaux indicateurs d’évaluation par les acteurs universitaires ? Telles sont les questions auxquelles nous nous proposons de répondre à partir de l’analyse, dans des situations de gestion les plus paradoxales, des représentations de la performance des équipes de direction et des arbitrages qu’elles opèrent dans l’appropriation des inventions instrumentales, entre les acteurs de terrain et l’autorité de tutelle.
6L’innovation instrumentale représente cependant un type d’innovation spécifique dans la mesure où elle reste encadrée par la direction. Par l’invention, comme par le pouvoir d’institutionnalisation, la direction se situe en aval et en amont du processus. Si elle ne peut décréter le mouvement, elle peut en marquer les limites. La diffusion d’une innovation organisationnelle diffère ainsi de celle d’autres innovations en ce sens que le rôle de la direction reste déterminant. Et c’est précisément ce rôle déterminant que nous essaierons de mettre en évidence pour apporter un contrepied aux discours, souvent consensuels, décrivant les équipes de direction comme les passeurs d’un discours ministériel et non comme des médiateurs devant arbitrer entre les diverses rationalités en œuvre à l’Université pour permettre une appropriation des règles prescrites par la tutelle.
7Les indicateurs d’évaluation sont contextualisés dans les représentations que s’en font les acteurs universitaires en fonction de leur capacité à problématiser la performance universitaire. Et cette contextualisation est assimilable à un processus d’appropriation de ces indicateurs. Comme le suggèrent Boisvert et alii (2003), il s’agit d’un questionnement qui viserait à permettre à chaque individu de cerner les valeurs qui le définissent et qu’il souhaite mettre en pratique, de créer une cohérence entre le discours, les normalisations existantes (ie. la performance vue par la tutelle) et l’action (i.e. la performance au sein d’une université). Ainsi, les effets visés par le système d’évaluation ne se réaliseront que s’ils disposent d’une certaine légitimité, d’une validité normative et pas seulement d’une légitimité légale-rationnelle (Weber, 1995) ou présumée sur le papier (Cleach, op. cit.) qui découlerait de la règle officielle.
- 8 Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.
- 9 C’est une perspective de recherche future que nous envisageons pour comprendre le processus d’innov (...)
8La question de la performance étant une préoccupation majeure du contrôle de gestion (Bouquin, op. cit. ; Dupuy, 2007), il convient de se demander dans quelle mesure la performance peut se diffuser dans les universités à partir de la prescription de nouveaux indicateurs cherchant à l’évaluer ? Au plan méthodologique, l’enjeu est d’utiliser l’analyse des représentations de la performance pour comprendre l’appropriation d’un nouveau système d’évaluation considéré comme une invention instrumentale. Pour la réalisation de cette approche des représentations, les données ont été recueillies par entretien et recherche documentaire portant notamment sur les premières évaluations réalisées par l’AERES8 au cours des années 2009 et 2010. Ont été ainsi interrogées les quatre-vingt équipes de direction des universités françaises (présidents, vice-présidents d’université et leur cabinet). Nous proposons ici d’analyser les réponses apportées à trois questions parmi les trente de notre enquête. Ces trois questions portent : i) sur la définition de la performance de manière générique, ii) sur celle plus spécifique de l’université, iii) et enfin sur celle de l’étudiant. L’approche générale et ouverte de ces trois questions a guidé notre choix car elle permet de mettre en évidence les paradoxes les plus visibles de la gestion universitaire et la manière dont les équipes de direction tentent de les contourner ou de les faire leur, afin d’en faciliter l’interprétation par les autres acteurs universitaires. Si les situations décrites constituent, à notre avis, des exemples intéressants d’appropriation des instruments de mesure de la performance dans un contexte universitaire, elles présentent un biais méthodologique fort, par la synthèse qu’elles imposent. Nous avons en effet privilégié de mettre en exergue les conséquences sur leurs représentations et sur la participation des équipes de direction universitaire à l’appropriation, puis l’institutionnalisation des nouveaux instruments de mesure prescrits. Or, la compréhension complète de ce processus d’appropriation nécessiterait sans doute une approche méthodologique plus exhaustive, approfondissant une série de questionnements, notamment sur l’influence de la diversité des configurations universitaires9.
9Sur le plan théorique, l’étude de la normalisation des indicateurs de performance à l’université renvoie, dans un premier temps, à la question théorique en contrôle de l’émergence des normes de gestion (Solle, Baumgartner ; Chatelain-Ponroy, op. cit.). L’analyse des représentations de la performance des équipes de direction universitaire doit ainsi nous permettre de suivre l’apparition de normes de gestion comme moyens de régulation, la création et l’utilisation de ces indicateurs d’évaluation prescrits donnant à penser qu’ils sont essentiellement fondés sur une rationalité formelle (Servais, 1995) engendrant une régulation strictement technique de l’organisation. Ces instruments sont à considérer aussi comme le résultat et l’enjeu d’une régulation sociale (Boussard, op. cit.) qui, ainsi que le définit Raynaud (2003), peut prendre la forme de régulations établies ou autonomes, et donc, conjointes. Selon nous, ces régulations conjointes constituent des normes de gestion légitimes car elles intègrent les objectifs et les valeurs des organisations et se construisent par les acteurs, d’après l’exercice de leur autonomie. Le double intérêt théorique de notre travail réside donc sa capacité à étudier un problème de gestion (l’émergence de normes de gestion légitime et créatrice de sens) à partir du rapprochement des réflexions de la sociologie de l’entreprise et de l’innovation (Alter ; Cleach, op. cit.) et de la sociologie de la régulation sociale (Reynaud ; Thomas ; Boussard, op. cit.). Ces deux approches convergent en effet autour de la légitimation des normes de gestion en considérant que celle-ci ne devient avérée que si la règle, la norme ou la procédure, s’accordent avec le cadre de références culturelles des individus qui les jugent.
10Sur le plan pratique, une approche sociologique des représentations peut favoriser la compréhension de l’appropriation des inventions instrumentales par les équipes dirigeantes car elle représente la synthèse d’un contexte environnemental (les universités), d’une invention instrumentale (les nouveaux indicateurs d’évaluation de la performance universitaire), et d’un ensemble d’acteurs (les équipes dirigeantes) présentant des rationalités multiples rendant les situations de gestion complexes et paradoxales. Cette appropriation des inventions instrumentales se retrouve-t-elle dans les représentations de la performance des directions universitaires ? En quoi le contenu de ces représentations peut-il favoriser l’appropriation de l’invention instrumentale et l’activation du processus d’innovation défini par Alter (op. cit.) ? Telles sont les principales questions qui guident notre article et auxquelles nous tentons de répondre, en centrant notre analyse sur l’autonomie des acteurs, sur son exercice effectif dans l’appropriation, et sur la légitimation des nouveaux indicateurs et objectifs de performance universitaire. Auparavant, nous revenons sur les définitions des trois concepts que nous associons dans cet article pour analyser la formation des représentations de la performance des équipes de direction universitaire.
11Le terme d’innovation est employé indifféremment pour désigner un processus de changement et pour le résultat qui en découle. Mais, par définition, ce terme désigne le processus réalisant la nouveauté. Ainsi, une innovation est, selon Barreyre (1980), un processus, c’est-à-dire « un ensemble de phénomènes, conçu comme actif et organisé dans le temps, dont l’aboutissement est une réalisation originale qui comporte des attributs créateurs de valeur ». L’innovation n’est pas « une idée, une pratique, ou un objet perçu comme nouveau par un individu ou toute autre unité d’adoption » (Rogers, 1995, mais le processus produisant cette idée, pratique ou objet nouveau. C’est pourquoi, en cherchant à appréhender les représentations des directions universitaires, nous faisons l’hypothèse qu’elles constituent l’amorce du processus d’innovation par appropriation des inventions instrumentales prescrites par le ministère de tutelle.
12La littérature relative aux innovations connaît un certain développement depuis une dizaine d’années, se structurant principalement autour, notamment, des contributions de Hamel (2008) ou Kim et Mauborgne (2005). Les différentes terminologies employées opèrent une distinction entre innovations incrémentales, perturbatrices et de rupture. Ces dernières reposent sur un changement radical alors que les innovations incrémentales intègrent l’environnement et les routines existantes. Les innovations perturbatrices sont, pour ces auteurs, un sous-ensemble des innovations de rupture créant une rupture technologique. Alter (op. cit.) reprend le concept d’innovation incrémentale mais va plus loin dans l’analyse du processus en opérant une distinction entre invention et innovation. Pour cet auteur, le processus de l’innovation, se décompose en trois temps : i) d’abord, l’innovation prend la forme d’une invention pouvant représenter une règle officielle (Reynaud, op. cit.) car on ne sait pas vers quoi elle mène ; ii) ensuite, lorsque des possibilités de création de valeur sont évidentes, l’invention se confronte aux acteurs de terrain en vue d’une appropriation progressive par ceux-ci ; enfin, la stabilisation de la situation se caractérise par la définition progressive de nouvelles règles sociales visant à intégrer l’innovation, ce qui constitue une institutionnalisation de l’innovation sous la forme de règles autonomes et conjointes, telles que les sociologues de la régulation les définissent. Pour Alter, la réussite d’une innovation ne réside donc pas dans ses qualités intrinsèques, mais dans sa faculté à faire sens aux yeux des individus et à entrer dans les usages sociaux.
13Sur un plan pratique et subjectif, les normes ne doivent leur existence qu’à leurs capacités à intégrer les valeurs sociales des organisations et des agents sur lesquels elles s’appliquent. Sur un plan technique, les normes peuvent être vues comme : i) des principes qu’il convient éventuellement de respecter ; ii) des instruments de mesure et d’évaluation ; iii) des valeurs prises par ces instruments de mesure, qu’il convient éventuellement d’atteindre. Foucault (1977) voit deux formes de normes : les normes disciplinaires qui fabriquent de l’assujettissement individuel et les normes biopolitiques qui, par « l’action concertée de la puissance commune sur l’ensemble des sujets », s’appliquent à un ensemble d’individus par le contrôle de leurs interactions. Foucault ne voit pas d’exercice possible de libertés entre ces deux espaces normatifs, ce qui pourrait consister à nier l’existence potentielle d’une construction des normes de gestion par les agents universitaires. Le Blanc (1998), à la suite notamment de Canguilhem (1966) et d’Ehrenberg (1991), approfondit la réflexion de Foucault en mettant en avant une troisième forme de normes qui existe par sa capacité à relier les deux autres formes : la norme d’autonomie. L’actualité universitaire, mais aussi les impératifs sociétaux qui imposent ou, du moins, incitent à une plus grande autonomie, participent à la construction de cette troisième norme en lui conférant une dimension transversale. Nous sommes en présence d’une norme individuelle et collective qui, par son imposition ou ses mesures incitatives, attribue au sujet une dimension autogestionnaire de ses modes d’appropriation. Pour Le Blanc, l’être humain définit sa propre normalisation à partir de son « automisation » des normes auxquelles il est confronté. Ce processus d’automisation correspond bien en partie à la capacité d’appropriation à laquelle on se réfère dans ce travail pour définir la participation des équipes de direction universitaire au processus d’innovation. Car c’est bien par l’autonomie prise, accordée, voire imposée, que l’université et ses membres vont avoir la possibilité de s’approprier les systèmes prescrits d’évaluation de leur performance.
- 10 Par exemple : le niveau et les clés de répartition des ressources financières publiques.
14Dérivé des mots grecs « auto » et « nomos » signifiant respectivement acte et loi, l’autonomie décrit la pratique de l’autogouvernement. tre autonome, c’est être en mesure d’entreprendre des activités sans demander la permission d’un organe de contrôle. Mais la question n’est pas si simple. Pour Snyder notamment(2002), l’autonomie est toujours relative. La notion d’autonomie est donc polysémique. Associée à l’université, cette notion se distingue selon qu’elle désigne l’autonomie des universitaires, souvent exprimée sous l’expression de « liberté académique », ou l’autonomie des universités, qui désigne alors des établissements bénéficiant d’une marge de manœuvre leur permettant de définir leur politique générale (priorités, allocation des ressources, gestion quotidienne). A la suite de Bourricaud (2008), on peut dire que l’autonomie est un produit « hybride », à « mi-chemin entre le fédéralisme et la décentralisation ». Proche de la conception « fédérale », l’autonomie des universités est comprise comme un compromis par lequel les universités abandonnent à l’État le soin de décider dans un certain nombre de domaines10, tout en gardant l’initiative dans leur domaine spécifique de compétence : le développement et la transmission des connaissances. Dans ce contexte, les universités possèdent une large autonomie vis-à-vis de l’État, cantonné dans un rôle de régulateur. En leur sein, les établissements doivent traiter au quotidien les tensions potentielles et réelles entre leurs membres, en particulier les enseignants et les dirigeants universitaires, les uns soucieux de conserver leur liberté académique, les autres voulant définir et mettre en œuvre une politique d’établissement. Ce modèle est une référence dominante dans le système universitaire québécois (Trottier, Bernatchez, 2005), et américain (Richardson et alii, 1999).
15A l’opposé, proche d’une conception décentralisée, l’autonomie des universités est appréhendée comme une délégation par l’État de responsabilités dévolues aux établissements qui, sous le contrôle de l’instance étatique, bénéficient de marges de manœuvres accrues dans la mise en œuvre de politiques s’inscrivant dans le cadre des stratégies définies au niveau national. Selon cette conception, les universités restent les opérateurs d’une politique nationale. Les universitaires doivent alors composer avec une double tutelle : celle, lointaine, de l’État central où se définissent les grandes orientations et les grandes répartitions de moyens, celle, proche, de l’établissement qui détermine pour partie les conditions d’exercice de la profession et définit la politique locale. Cette conception s’est imposée dans le système universitaire français marqué par un lent processus de décentralisation. Selon ce modèle, les universités s’inscrivent désormais dans une démarche de décentralisation fonctionnelle qui leur accorde des marges de manœuvre accrues en matière dans différents domaines du fonctionnement. Cette conception est désormais partagée par nombre d’équipes de direction et par les autorités politiques et administratives, qui œuvrent dans les contextes distanciés et concurrentiels des espaces européen et mondial de l’enseignement supérieur. Loin d’être hégémonique, elle est néanmoins contestée par un certain nombre d’acteurs universitaires, qui craignent à la fois un pouvoir rapproché (leur université), et une perte de liberté académique en raison d’un pilotage national renforcé (l’État stratège). Comme nous le verrons par la suite, ces contestations ne sont pas sans influence sur le processus d’appropriation des inventions instrumentales, impulsé par les équipes de direction et sur leurs représentations de la performance.
- 11 Au sein du cadre fixé par la LRU et le passage aux RCE.
16Parce qu’elle participe à la légitimation et l’institutionnalisation des nouveaux indicateurs d’évaluation, l’autonomie dont doivent bénéficier les universités et leurs directions se trouve donc au centre du processus d’innovation, C’est donc par l’exercice de leur autonomie11 que les directions universitaires participent à la fois à l’appropriation des inventions instrumentales par les acteurs universitaires et à la construction de règles autonomes d’évaluation. Selon Reynaud (op. cit.), en effet, les acteurs sociaux « se constituent dans la mesure où ils entreprennent une action collective. Ils existent dans la mesure où ils sont une source autonome de régulation ». Il n’existe donc pas de normes totalement stables, mais seulement des processus de régulation. De ce fait, il convient d’analyser la manière dont les normes se créent, se transforment ou se suppriment. Et c’est précisément c’est enjeu pratique et théorique,, conjoint à la sociologie de la régulation et à celle de l’innovation, que nous approchons dans cet article, par le biais de l’analyse de l’engagement des directions universitaires dans le processus d’innovation et de régulation organisationnelle.
17Avec les universités, nous sommes donc en présence de systèmes non conventionnels qui s’identifient à une stratégie générale, mais qui ont pour caractéristique de disposer d’un niveau d’incertitude, voire de désordre (Morin, 2007), conduisant les managers à ne pouvoir tout programmer ni maîtriser. Ceci les amène, consciemment ou pas, à considérer le management universitaire comme un processus itératif prenant en compte les jeux d’acteurs. En matière d’évaluation de la performance, ce processus est défini par une appropriation des inventions instrumentales qui rapprochent progressivement les objectifs définis par la tutelle des contraintes internes perçues et vécues par les dirigeants universitaires. Quel acteur universitaire, quel enseignant chercheur, lors d’une réunion ou d’une information formelle ou informelle, n’a pas été confronté, de la part des directions universitaires, à une contextualisation ou une simplification contextualisée des règles prescrites par sa tutelle ? C’est précisément cette contextualisation des représentations que nous définissons comme un commencement d’appropriation des nouveaux instruments d’évaluation. Ce qui revient ici, à commencer par mesurer le chemin que parcours une invention instrumentale dans une organisation complexe et paradoxale (Brechet, 1998).
18La littérature en contrôle de gestion ainsi que le discours des acteurs sont clairs et unanimes sur l’orientation stratégique donnée aux universités : l’ambition des universités est de mettre en musique l’offre de formation et de recherche autour des usagers. Dans cet esprit, il ne s’agit ni d’accentuer les cloisonnements entre les départements, ni de supprimer les paradoxes présents dans les établissements, mais bien plus d’encourager les échanges. La logique organisationnelle paradoxale qui paraît la plus appropriée est celle du dialogue. Elle fait également écho à la systémique agoniste /antagoniste (Bernard-Weil, 2002) qui propose un cadre d’analyse général pour dépasser définitivement ces couples d’oppositions (Martinet, 1990). Elle se positionne comme une science de la viabilité en postulant que la viabilité d’un système suppose de penser sa régulation en termes de couples d’opposition, l’agonisme générant des effets synergiques et l’antagonisme générant des effets opposés.
- 12 Espace de cohésion.
- 13 L’informel, la décentralisation, le projet collectif et l’unité.
- 14 Le formel, l’autorité, le projet individuel et la spécificité.
19Dans notre contexte, il existe un agonisme12 induit par l’objectif commun qui fédère les acteurs universitaires : se coordonner autour des missions universitaires pour mettre en œuvre une logique d’efficacité et de résultat. En parallèle, les retours d’expériences parfois décevants des universités qui se construisent autour de cet objectif, révèlent une forte distorsion entre notre idéal-type mythique et la réalité du fonctionnement. Cette distorsion tend à signifier l’existence d’antagonismes locaux dont nous avons dessiné les prémisses en puisant à la fois dans la littérature et dans le discours des dirigeants d’université. Nous utilisons ensuite la systémique comme outil conceptuel pour formaliser les paradoxes en quatre couples, dont la confrontation des pôles distants laisse entrevoir des rapprochements : les premiers13 se réfèrent à l’autonomie, tandis que les seconds14 véhiculent la hiérarchie. Ces parallèles suggèrent ainsi l’existence d’un couple « autonomie-hiérarchie » que nous envisageons comme la colonne vertébrale de l’analyse des représentations de la performance des directions universitaires, autour de laquelle se greffent les sous couples de paradoxes présentées ci-dessous :
Figure 1 – Couples paradoxaux de la régulation
20En définitive, nous proposons une lecture du processus d’appropriation des inventions d’évaluation de la performance par les équipes de direction comme une déclinaison du couple « autonomie/hiérarchie ».
21L’université actuelle est souvent perçue comme trop hiérarchique pour répondre efficacement aux nouveaux enjeux universitaires qui sont en voie de complexification. De nouveaux enjeux stratégiques introduisent du désordre dans un système universitaire rigide, ordonné, et deviennent vecteurs d’ambiguïté. Les réponses à notre enquête suggèrent l’existence de plusieurs zones ambiguës entre pilotage de la performance et contexte universitaire. Et ce sont précisément dans ces zones que les directions universitaires « contextualisent » leurs représentations de la performance. D’abord, il leur est demandé d’être suffisamment formelles et organisées tout en étant informelles et souples pour favoriser la coordination et les initiatives individuelles. L’informel apparaît donc dans les systèmes d’évaluation et de contrôle de la performance comme un vecteur d’information et de réinterprétation du formel, qui permet de dépasser la complexité paradoxale et qui doit être perçu et utilisé comme tel. Ensuite, elles sont en quête d’unité pour harmoniser un système universitaire fortement segmenté tout en conservant les spécificités de chacun ; il faut réaliser l’unité universitaire pour concevoir ce qu’apportent de particulier les différentes parties prenantes ; il n’est pas question que cette quête s’accompagne d’une dilution des spécialités et ce, d’autant plus dans des organisations professionnelles, telles que les universités. Enfin elles disposent d’une grande autonomie de mise en œuvre (niveau local) tout en étant contrôlées sur leurs résultats, ce que nous pourrions exprimer sous forme d’injonction paradoxale telle que « soyez autonomes ! ». Or, un réseau ne se décrète pas plus que s’ordonne l’autonomie. Tandis que l’autorité conduit à se conformer à une norme, l’autonomie offre une liberté morale qui laisse place à l’initiative et à la créativité (Josserand, Perret, 2003). Pour autant, comment être autonome dans un univers sans norme ? L’autonomie n’a de sens qu’en référence au contrôle d’une autorité dont elle se distancie. C’est tout le sens qu’il convient de donner à l’autonomie universitaire dans le cadre de l’appropriation des nouveaux instruments d’évaluation de la performance. Et, last but not least, l’on pourrait encore ajouter qu’elles se forment en réponse à un projet collectif d’amélioration de la performance universitaire, tout en prenant soin de préserver et d’encourager les projets individuels facteurs de dynamisme de l’organisation. Or, si penser simultanément l’individuel et le collectif paraît contradictoire, il n’en reste pas moins que nous n’existons en tant qu’individu singulier qu’en comparaison aux autres individus, chacun d’entre nous ayant des aspirations personnelles à agencer avec des projets collectifs, eux-mêmes ciment d’une société (Avenier, 1997).
- 15 L’enquête globale et son analyse porte sur un échantillon de quarante réponses d’équipes de directi (...)
- 16 « Selon vous, la performance à l’université est avant tout : »
- 17 « Pour une université telle que la vôtre, être performante c’est : »
- 18 « Diriez-vous que l’étudiant est avant tout : »
22Nous distinguons donc quatre couples d’opposition afin d’identifier la complexité paradoxale universitaire dans laquelle différentes formes de paradoxe puis d’appropriation des inventions vont apparaître. Cette représentation en quatre dimensions de la complexité constitue notre cadre d’analyse de l’appropriation des inventions instrumentales par les directions universitaires régulée selon le binôme « autonomie-hiérarchie ». La réalisation de notre enquête exploratoire15 sur les représentations de la performance se présente comme une observation subjective des effets des nouveaux outils d’évaluation sur les perceptions de leurs médiateurs (équipes de direction universitaire) permettant de mesurer les conséquences de la prescription de nouveaux instruments d’évaluation de la performance universitaire. Le choix de retenir trois questions, parmi les trente proposées, s’est porté sur des questions volontairement très génériques, portant respectivement sur la définition de la performance (question 1)16, sur la performance universitaire (question 2) 17 et l’étudiant (question 16)18. Les réponses mettent en évidence une participation des équipes de direction à l’appropriation des inventions instrumentales par une modification de leurs représentations de la performance pouvant avoir des effets sur la légitimation et l’institutionnalisation des nouveaux instruments auprès des acteurs de terrain.
23Les principes de réforme des universités sont en grande partie tirés des nouveaux outils de la Nouvelle Gestion Publique en tant que critique du modèle hiérarchique-wéberien dit « bureaucratique » (Merrien, 1999). Ils instaurent une logique de résultat qui, comme nous allons le voir, n’est pas sans effet sur les représentations de la performance des directions universitaires et détermine l’appropriation des inventions instrumentales par l’institution. Cette appropriation par contextualisation des inventions instrumentales modifient les perceptions de la performance des directions universitaires autour de représentations informelles favorables à une logique managériale homothétique. Cette immixtion de la gestion « amont » de la performance dans le cadre universitaire se réalise par une appropriation par « inattention » des objectifs de performance universitaire, car elle se développe dans un contexte managérial fait de représentations sociales fortes sur la nouvelle place du client dans les relations économiques et sociales (le fameux « client roi »). Cette appropriation par « inattention » est souvent inconsciente : on comprend donc l’intérêt de l’aborder par les représentations.
24Les réponses des présidents d’université pour qualifier un étudiant –diriez-vous que l’étudiant est avant tout : – peuvent illustrer cette situation paradoxale puisqu’ils sont environ 3/4 à considérer que les étudiants ne peuvent pas être qualifiés de client alors qu’ils répondent à ¨plus de 97 % que les étudiants sont des acteurs de la performance universitaire par leur implication et par la satisfaction de leurs attentes.
Tableau 1 – Appropriation par « inattention » des objectifs de performance
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Plutôt d’accord ( %)
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Plutôt pas d’accord ( %)
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Un client
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26,3
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73,7
|
Un usager
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92,3
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7,7
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Un acteur de la performance universitaire
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97,3
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2,7
|
Une ressource
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66,7
|
33,3
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Une variable stratégique
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50,0
|
50,0
|
25Les réformes universitaires successives, notamment depuis le début des années 2000, ont pour ambition de mettre en œuvre des systèmes d’évaluation de l’efficacité tout en l’encadrant par des mesures de conformité aux programmes publics élaborés au gré des réformes suscitées. On assiste donc à l’apparition de systèmes de pilotage de la performance axés sur une conformité des résultats à des cible, ce qui fait certes entrer l’université dans une logique de résultat, mais qui ne répond pas totalement aux nécessaires autonomie et décentralisation que cette logique suppose. Au contraire, dans ces cas-là, la non-conformité ou l’innovation sont souvent les modèles stratégiques les plus recherchés. En revanche, un paradoxe est né de la logique de construction des systèmes de pilotage au travers de la réforme LRU : celle-ci se focalise sur les résultats par mesure des impacts de l’action universitaire sur son environnement. Or, il est bien plus aisé d’analyser et de trouver des indicateurs sur les processus de travail et sur les prestations fournies que sur les impacts de l’action publique. Ces derniers se déploient en effet dans le temps et sont difficilement évaluables a priori. Aussi, les réformes universitaires ont tendance à orienter l’attention des pouvoirs publics sur les détails opérationnels de la mise en conformité des prestations. Les directions universitaires sont alors amenées à combler le vide ainsi créé et à s’autonomiser en se politisant pour construire des stratégies adaptatives aux indicateurs opérationnels prescrits par l’autorité de tutelle que l’on retrouve dans leurs représentations de la performance. Ceci se vérifie notamment dans les tendances actuelles, orientant une partie de la mesure de la performance locale vers les relations université-entreprises-organismes de recherche.
26En créant des unités de production de services publics bien identifiées, avec des prestations définies et des objectifs précis, la logique de résultat contribue également à définir des sous-systèmes de l’organisation qui fonctionnent de manière quasi autonome en gérant leurs ressources avec une latitude d’action accrue. Cette évolution nuit bien entendu à la cohérence d’ensemble et à la construction d’une identité universitaire. On peut même penser que les systèmes actuels d’évaluation de la performance facilitent le déploiement de stratégies individuelles au détriment des stratégies collectives propres à chaque établissement. Il en va ainsi pour la recherche universitaire pour laquelle des instruments quantitatifs d’évaluation propres à chaque axe de recherche, voire chaque chercheur, déconstruisent les processus de coopération interindividuelle ou inter organisme qui configuraient, en partie, le paysage scientifique français. Dès lors, vouloir agir de manière cloisonnée en morcelant un domaine d’action selon les logiques de spécialisation conduit inévitablement à l’impasse. C’est là que mènent les mandats de prestation et leur évaluation. Ces derniers permettent d’améliorer les processus dans des domaines d’action bien ciblés et à faible complexité. Cette forme de néo-cloisonnement porte préjudice à une efficacité durable de l’action publique ; elle introduit un paradoxe qui n’apparaît pas de prime abord : une stratégie d’optimisation qui divise pour mieux maîtriser, alors qu’elle aboutit à renforcer les logiques de territoire sous-optimales pour le fonctionnement d’ensemble de l’organisation universitaire. Il en va ainsi de la recherche d’une optimisation des publications qui génèrent parfois, dans les universités, des comportements opportunistes en matière d’enseignement, en incitant les enseignants-chercheurs à privilégier les cursus porteurs en matière scientifique (niveau M2 par exemple) au détriment d’enseignements jugés plus délicats ou moins rentables (niveau L1, TD…).
- 19 Complexité universitaire associée aux paradoxes de sa gestion.
27Il apparaît donc que la complexité paradoxale19 nécessite, de la part des directions universitaires, une « traduction », au sens des sociologues de l’innovation (Callon, Latour, 1985) des nouveaux instruments de performance prescrits, modifiant en retour leurs représentations, de manière conséquente. L’exigence de flexibilité des modes d’organisation et de gestion butent d’emblée sur la nécessaire stabilité des missions de service public, garantie de pérennité, malgré les changements politiques. De plus, la culture des agents est orientée vers la sécurité individuelle, non vers la prise de risque. Or, l’injonction paradoxale qui consiste à rechercher une « flexibilisation » dans une « organisation complexe » (Brechet, op.cit) nécessite de la part des acteurs des adaptations en termes d’objectivation de leurs performances individuelle et collective. Cela est réalisé notamment par une contextualisation des instruments d’évaluation de la performance et de leurs objectifs pour favoriser la compatibilité organisationnelle de la flexibilité recherchée. On peut rechercher cette contextualisation dans les représentations de la performance des présidents d’université qui se trouvent modifiées. Pour définir leur niveau de performance organisationnelle, les directions universitaires semblent en effet privilégier leurs capacités à optimiser leurs ressources actuelles ou à rationaliser leurs coûts de structure. En revanche, la recherche de nouvelles ressources financières ou la limitation de leurs moyens actuels, qui supposent de profonds changements dans leur organisation et donc une certaine flexibilité ne semblent pas constituer des objectifs de performance pour les acteurs internes, alors même qu’ils sont prescrits plus ou moins directement par leur tutelle. 98 % des présidents d’université jugent leur établissement performant lorsqu’il optimise ses ressources et 72 % lorsqu’il rationalise ses coûts de structure ; mais ils sont seulement 51 % à juger leur université performante lorsqu’elle trouve des nouvelles ressources financières et seulement 8 % lorsqu’on limite leurs moyens pour les optimiser.
Tableau 2 – Traduction de la performance et stabilité de l’organisation
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Plutôt d’accord ( %)
|
Plutôt pas d’accord ( %)
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Optimiser les ressources pour dispenser
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97,5
|
2,5
|
Trouver de nouvelles ressources financières
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51,28
|
48,72
|
Faire le mieux possible avec moins de moyens
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7,69
|
92,31
|
Rationaliser les coûts de structure
|
71,8
|
28,2
|
28Face à un paradoxe du type instabilité/stabilité, il semble que les équipes de direction des organisations universitaires tendent à privilégier l’optimisation de la stabilité plutôt que la gestion du changement. Ceci tend à privilégier une lecture de la performance qui favorise l’appropriation de nouveaux instruments et objectifs, apparentée au pilotage de la conformité plus qu’à celui du changement. Il faudrait étudier les modes de gestion du même paradoxe dans d’autres structures publiques pour éventuellement définir une éventuelle homogénéité du procédé dans l’ensemble des organisations publiques.
- 20 Sur l’évaluation des enseignant-chercheurs, sur la gestion budgétaire, sur les primes et décharges (...)
29Les réformes engagées ont tendance à sur-développer les analyses et les indicateurs aboutissant à un sur-pilotage de l’action publique et à la segmentation des services administratifs pour assurer leur évaluation, ce qui tend à développer ainsi un « égoïsme institutionnel ». Ce sur-pilotage génère une transformation des représentations de la performance des dirigeants universitaires de manière à la fois a- et anta-goniste, c’est-à-dire : renforçant la recherche d’une performance conforme ou adaptant les niveaux de performance recherchés aux paradoxes induits. Ainsi, dans leur confrontation avec les indicateurs d’évaluation prescrits, les acteurs universitaires doivent constamment composer avec une culture politique de court terme, le lobbying, les pressions, les influences de toutes sortes, alors que la culture universitaire s’inscrit en contrepoint de la plupart de ces caractéristiques. La créativité universitaire et le goût pour le débat intellectuel entrent en effet en opposition régulière avec le formalisme des nouveaux systèmes d’évaluation notamment quand ceux-ci bousculent la temporalité universitaire et les modes de gestion interne. Et ceci nécessite souvent, de la part des équipes de direction, la mise en place de multiples commissions consultatives20 dont les délibérations ne sont pas sans influence sur les modes d’appropriation des indicateurs d’évaluation prescrits.
30Ces consultations perturbent les représentions des équipes de direction universitaire qui, en réponse, ont tendance à contextualiser les nouveaux modes d’évaluation proposés en se focalisant sur des niveaux de performance qui répondent plus à des objectifs de long terme pour lesquels ils estiment en comprendre les enjeux. De plus, les équipes de direction qui, elles aussi, détiennent une « vision du monde » universitaire axée sur le long terme et sur des négociations internes, vont modifier leurs représentations de la performance de manière à les adapter à la nécessité de maintenir un pouvoir de négociation interne pour chacun des acteurs universitaires. Cette modification représentative ne sera pas sans impact sur la manière dont les inventions instrumentales se verront appropriées par la suite, par les acteurs universitaires. Cette contextualisation des représentations de la performance pourra se réaliser par traduction des objectifs de performance pour qu’ils soient compréhensibles par les acteurs universitaires selon l’hétérogénéité de leurs rationalités. Cette contextualisation structurelle peut prendre diverses formes notamment en fonction de la taille et de l’environnement de chaque université. Néanmoins, on constate, dans leurs représentations, une certaine homonymie des objectifs de performance retenus par les directions universitaires qui va plutôt exclure des objectifs quantitatifs (dépendante de la taille) comme le nombre d’étudiant ou le nombre de diplômes et formations. En revanche, des objectifs portant sur le taux d’insertion professionnelle ou la satisfaction des étudiants ou du personnel seront privilégiés.
31Nous assistons à une modification qualitative des représentations par contextualisation et sélection des objectifs de performance dans une démarche vers l’usager plutôt vers le client. Ainsi, en réponse à la question 1 –selon vous, la performance à l’université est avant tout : – respectivement 30 % et 32 % des directions universitaires considèrent que la performance est plus financière qu’organisationnelle, budgétaire ou de qualité du service et des ressources. Elles privilégient alors une évaluation par des indicateurs qualitatifs tels que, successivement : le taux d’insertion professionnelle, la satisfaction du personnel ou celle des étudiants. En revanche, elles ne voient pas des indicateurs quantitatifs tels que le nombre d’étudiants ou de formations comme représentatifs d’une performance financière. Cette volonté de mesurer un objectif quantitatif par des critères qualitatifs représente bien un paradoxe en partie créé par la confusion entre performance de service et performance financière. Ce paradoxe est dépassé par les équipes de direction, notamment celles dont l’université ne dispose pas d’une taille ou d’une localisation critiques, par la préférence manifeste, dans leurs représentations, pour des indicateurs et objectifs qualitatifs simplifiant (voire supprimant) les effets de taille ou d’environnement liés aux objectifs quantitatifs.
Tableau 3 – Traduction du paradoxe « individuel/collectif » par croisement de la performance financière et des indicateurs d’évaluation
Indication / Perf. Financ.
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Taux d’insertion professionnelle
|
Satisfaction du personnel
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Satisfaction des étudiants
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Nombres d’étudiants
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Nombres de formations
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Cela dépend
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0,145
|
0,159
|
0,174
|
0,043
|
0,029
|
Plutôt d’accord
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0,116
|
0,101
|
0,101
|
0
|
0
|
Tout à fait d’accord
|
0,043
|
0,043
|
0,043
|
0
|
0
|
Total
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0,304
|
0,304
|
0,318
|
0,043
|
0,029
|
32Il y a bien transformation des représentations de la performance par contextualisation et par sélection qualitative des objectifs pour les légitimer et donc les rendre compréhensibles et opérationnels par rapport à un ensemble de personnels soucieux d’efficacité financière mais aussi de performance dans l’exécution de leurs missions de service public. Ceci est particulièrement prégnant dans les universités qui sont des structures d’expertise professionnelle, où les processus de négociation sont perçus comme des mécanismes de résolution des conflits entre personnes initiées et parlant le même langage. Ce mode de régulation propre à l’organisation universitaire est perturbé par les injonctions paradoxales recherchant une autonomie des acteurs dans un système toujours plus coordonné. Cette coordination universitaire ne perdure encore à l’université que grâce au maintien des solidarités entre et dans des corporations de personnel qui, de tout temps, ont pris l’habitude d’appréhender les conflits internes par la négociation en instances paritaires. Aussi, cette nécessité de maintenir un espace de négociation entre les membres de l’organisation universitaire se trouve renforcée dans les représentations des équipes de direction.
33Le discours entourant les différentes réformes universitaires est unanime : l’implication et la participation de tous les collaborateurs sont nécessaires en vue de relever les nouveaux défis que rencontrent les universités. Or, l’incertitude devient une réelle norme de gestion des ressources dans le monde universitaire où se développe concurrence entre établissements et précarisation des contrats de travail. Même s’il se veut incitatif et mobilisateur à l’image de ce qui se fait dans le secteur marchand, ce mode de gestion peut être très inefficace dans l’environnement universitaire où l’implication des personnels a toujours été obtenue par une référence forte au respect des missions de service public et des corps professionnels. Au-delà de l’identité des agents publics, c’est la définition de leurs métiers, avec les valeurs qui leur sont attachées, qui est remise en question. Or, le désir de métier est toujours présent dans les universités : le sens du travail et des activités professionnelles est un élément central en rapport avec la motivation des agents. Les nouveaux indicateurs d’évaluation de la performance ne peuvent atteindre une certaine légitimité qu’à la condition de respecter les valeurs professionnelles des universitaires qui intègrent des espaces de négociation et de résolution des conflits entre pairs. A travers leurs représentations, les équipes de direction universitaire semblent attacher une importance significative à ces valeurs et influencent ainsi le processus d’appropriation de ces inventions instrumentales par les autres acteurs.
34Ce paradoxe qui naît de la confrontation de l’invention instrumentale de gestion avec la complexité universitaire et la diversité des rationalités modifie les représentations de la performance des directions universitaires en accordant la primauté à des indicateurs et objectifs de performance jugées légitimes et porteurs de sens. Ces modifications se retrouvent dans de nombreuses représentations recueillies auprès des équipes de direction. Elles se manifestent dans les réponses obtenues, à travers deux sous-paradoxes : celui opposant la qualité des résultats obtenus et celle des procédés mis en œuvre et celui confrontant la recherche de situations homogènes dans les universités et le développement de spécificités universitaires.
- 21 A la différence du client qui porte beaucoup plus son appréciation sur la performance finale de la (...)
- 22 Voir note n° 18
35Si les clients ne se préoccupent que de la prestation qu’ils peuvent obtenir, les usagers s’inquiètent des processus qui mènent à la livraison des prestations. L’usager participe en effet à la co-construction des prestations universitaires, ce qui le rend attentif à la qualité et à l’efficacité des processus des productions universitaires21. Ainsi, les systèmes d’évaluation de la performance universitaire ont souvent pour vocation de vérifier cette conformité à un niveau de prestation par la définition de cibles à atteindre (en matière d’insertion professionnelle, de réussite universitaire, de taux d’encadrement, etc.). S’il a l’avantage de déterminer des objectifs quantifiables et identifiables, ce mode d’évaluation néglige une grande partie des vocations de service public que l’on peut attribuer aux prestations universitaires. Car l’évaluation de la performance est, dans un tel système, centrée sur le résultat de la prestation universitaire sans préoccupation sur la qualité, la satisfaction ni l’efficacité des moyens mis en œuvre. Or l’usager, quel qu’il soit n’évalue pas la performance universitaire uniquement en fonction du résultat de la prestation, mais aussi en fonction de l’image qu’il s’en fait. Ceci est particulièrement vérifiable à partir des représentations de la performance que nous avons étudiées. Ainsi, lorsqu’on leur demande de définir l’étudiant22, les équipes de direction ont surtout tendance à le considérer comme un usager plus qu’un client, à une écrasante majorité (92 % et seulement 26 %). Ce qui signifie bien que les équipes de direction contextualisent les objectifs de performance orientés « client » pour les traduire et les orienter vers l’usager dont les attentes et les perceptions de la performance sont plus facilement identifiables. Ce rapprochement entre performance universitaire et usager permet ainsi d’orienter les objectifs universitaires non seulement vers les résultats mais également vers la performance des processus de production. C’est ainsi que l’étudiant est majoritairement perçu (97 %) comme un acteur de la performance universitaire et comme une ressource universitaire (67 %). La traduction opérée par les équipes de direction grâce à une contextualisation de l’indicateur d’évaluation permet ainsi de donner du sens et une certaine cohérence aux objectifs généraux de performance universitaire, en fixant des règles autonomes axées à la fois sur les résultats des prestations et sur leurs modes de production.
36Cette appropriation par « enrichissement » des objectifs de performance répond à un besoin de légitimation des instruments d’évaluation qui se construit à partir d’agents opérationnels et de leurs connaissances des processus de production. Les directions universitaires construisent donc des régulations autonomes plus ou moins formelles, à partir de leur degré de maîtrise des « systèmes productifs ». Elles traduisent et transforment leurs représentations de la performance pour les rendre compatibles avec leurs connaissances des processus universitaires. Depuis une dizaine d’années, on constate une évolution sensible dans le monde universitaire, incitant à mesurer la performance des enseignements et des formations auprès des étudiants à partir d’indicateurs propres à chaque université, voire à chaque formation. Cette évolution est aussi représentative d’un besoin d’enrichissement et d’autonomie des instruments d’évaluation de la performance. Lors de la conception d’un nouvel indicateur de la performance, ces considérations incitent à définir le degré d’« autonomie-hiérarchie » que l’on souhaite attribuer aux agents publics et à leurs directions car ce degré d’autonomie-hiérarchie facilite en retour l’adaptation des représentations de la performance (celles des équipes de direction) et favorise l’appropriation de l’invention instrumentale par les autres acteurs.
37Les directions universitaires mettent en avant la nécessité de développer des indicateurs spécifiques et semblent négliger une partie les objectifs de performance affichés comme indispensables à la compétitivité des universités françaises. Ainsi, la performance dans les classements internationaux ou la reconnaissance scientifique des universités, promues par la LRU et le passage aux RCE, sont assez peu définies par les équipes de direction comme des objectifs légitimes de performance. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils entendent par université performante, les responsables d’université répondent majoritairement (à 77 %) qu’il ne s’agit pas d’un établissement qui satisfait aux exigences des classements internationaux ni à celles d’autonomie financière voulues par la LRU (56 %). En contrepartie, les préoccupations de performance des dirigeants semblent porter majoritairement sur la définition d’objectifs spécifiques (90 %), sur le développement de collaborations université-entreprise (87 %) et, à un degré moindre, sur l’investissement socio-économique localisé (52 %).
- 23 Voir question n° 2, note n° 17
Tableau 4- Traduction du paradoxe général/spécifique des objectifs de performance23
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Plutôt d’accord ( %)
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Plutôt pas d’accord ( %)
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Satisfaire aux exigences des classemts internat.
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22,5
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77,5
|
Accéder à une autonomie financière
|
43,59
|
56,41
|
Trouver de nouvelles ressources financières
|
51,28
|
48,72
|
Etre un acteur socio-économique fondamental
|
52,50
|
47,50
|
Développer les collaborations universités-entreprises
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87,50
|
12,50
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Avoir des objectifs et les atteindre
|
90,00
|
10,00
|
- 24 . Conseil d’Administration et Conseil Scientifique ou Conseil des Études et de la Vie Universitaire
38Par conséquent, un recours à l’évaluation des spécificités universitaires semble réclamé par la majorité des sondés afin de participer à la construction des systèmes d’évaluation autonome et légitime. La norme et le cadre d’autonomie accordé officiellement aux universités sont ainsi activés par les directions pour traduire dans leurs représentations le paradoxe des discours, dans un contexte où les spécificités locales rendent complexes l’exercice d’une évaluation homogène et générique. Cette autonomie des acteurs se retrouve donc au centre du processus d’innovation car elle favorise la construction de représentations autonomes de la performance : l’appropriation des inventions instrumentales par les acteurs universitaires à partir d’enjeux spécifiques à chaque université est réalisée. Il est ainsi assez commun dans les conseils délibératifs des universités24 de constater un appel, de la part des usagers, à des évaluations prenant en compte aussi les spécificités de taille, de localisation ou encore de discipline, pour évaluer notamment les formations et les équipes de recherche. Cette pression, elle aussi, ne reste pas sans incidence sur les représentations des équipes de direction et sur le discours transmis aux membres de l’organisation.
39Les représentations de la performance que nous avons observées dans cet article sont le fruit de réinterprétation et de contextualisation des indicateurs et objectifs de performance. Nous les analysons comme une étape initiale du processus d’appropriation des nouveaux instruments d’évaluation, qui participe à l’institutionnalisation progressive des innovations instrumentales par l’apparition de règles autonomes et conjointes d’évaluation. Il s’agit donc d’une appropriation impulsée par les directions universitaires rapprochant le contexte universitaire et l’innovation de gestion par le biais de leurs représentations de la performance. Cette appropriation se manifeste dans les représentations de la performance des directions mais, par les médiations qu’elles opèrent à travers les discours managériaux notamment, celles-ci confirmeront le processus d’appropriation par les acteurs de terrain. Nous nous sommes volontairement limités à l’étude des représentations des directions universitaires car celles-ci déterminent significativement le discours sur la performance dans les universités et la diffusion des nouveaux instruments de la performance auprès des autres membres de l’université. Pour nous, l’arbitrage subjectif réalisé par les équipes de direction universitaire constitue une première étape dans l’appropriation des inventions instrumentales d’évaluation. Il conviendra, dans des recherches futures, de poursuivre la description de ce processus d’appropriation, en approfondissant encore l’analyse des représentations des directions puis celles des autres acteurs universitaires.
40Les représentions formulées par les directions universitaires sont souvent négligées car jugées simplistes ou du moins conformes au discours ministériel, alors qu’elles intègrent une grande part de la complexité des organisations. Les traductions opérées dans les représentations des directions universitaires font vivre des relations internes et sont souvent d’une richesse bien supérieure à celles prescrites par une autorité administrative hiérarchique. Les adaptations subjectives peuvent être considérées comme une ressource précieuse à mobiliser, comme un gisement d’adaptabilité et de productivité des innovations instrumentales. Ces adaptations prennent la forme de régulations autonomes car elles se développent contre les régulations venues d’en haut en affirmant l’autonomie des acteurs et permettent une appropriation des nouveaux instruments d’évaluation. Définir le processus de régulation comme un compromis entre des régulations concurrentes, fait apparaître l’innovation instrumentale comme une « régulation autonome et conjointe » (Reynaud, op. cit.) et une construction sociale qui n’est stable que si les acteurs lui accordent une légitimité. Les innovations instrumentales de gestion et la manière dont elles se construisent peuvent contribuer fortement, comme nous l’avons présenté dans cet article, à la compréhension du rôle des directions universitaires dans l’appropriation des nouveaux systèmes d’évaluation et la construction de leur légitimité.
41Dans les universités, les régulations sont concurrentes et les objectifs de performance sont multiples, ce qui rend complexe le processus d’appropriation des nouveaux instruments et objectifs de performance : les représentations se perfectionnent itérativement à partir de l’apparition de nouvelles situations paradoxales. Ici, notre préoccupation a été d’essayer de simplifier la lecture des représentations de la performance des directions universitaires en démontrant, à travers l’identification de quatre situations paradoxales, que les directions intègrent et dépassent les paradoxes générés par l’apparition d’une invention instrumentale. L’objectif était de mettre en évidence les adaptations des représentations de la performance des équipes de direction face à quelques exemples manifestes de situations paradoxales générées par les inventions instrumentales. Il restera sans doute à approfondir cette analyse en confrontant encore ces représentations avec d’autres situations paradoxales universitaires afin de mesurer la robustesse de cette méthode d’analyse.
42Les limites de cette recherche peuvent provenir essentiellement de deux sources : les choix théoriques qui ont été opérés dans ce travail et les contraintes empiriques liées aux limites techniques de l’étude quantitative. En dépit du ton plutôt affirmatif que nous avons pu avoir dans l’exposé des résultats de la recherche, ceux-ci n’ont guère de caractère définitif ou universel. Néanmoins, ces résultats peuvent nourrir les réflexions théoriques futures et stimuler la réalisation de nouvelles recherches sur le sujet de l’émergence des normes de gestion, à partir d’inventions instrumentales ou sur des sujets connexes soulevés ici. Les intérêts pratique et théorique de l’analyse des représentations de la performance des managers par les paradoxes exposés dans ce travail gagneront à être vérifiés dans d’autres organisations afin d’étudier la congruence et la récurrence de nos résultats, notamment lors de l’élaboration ou du changement des instruments de contrôle de gestion. En termes méthodologiques, pour repousser les limites des résultats empiriques, la réalisation d’une recherche analogique sur d’autres acteurs universitaires sera, bien sûr, également d’un grand intérêt pour prolonger l’analyse du processus d’appropriation des inventions instrumentales et pour rechercher les représentations des directions dans celles des autres acteurs. Enfin, l’étude des liens entre autonomie des organisations et innovation instrumentale pourraient être approfondie à l’université par une analyse de l’appropriation des autres inventions progressivement diffusées par les réformes universitaires.
43Ces perspectives de recherche prolongeront l’analyse du processus d’innovation instrumentale dans les universités. De plus, elles décrivent l’autonomie des acteurs comme un processus, lui aussi progressif, représentant un enjeu majeur de la réussite des innovations universitaires, essentiellement dans leur phase d’appropriation.