- 1 Arrêté du 23 mai 2006 portant sur la liste des diplômes, titres à finalité professionnelle et certi (...)
- 2 Arrêté du 12 octobre 2006 portant sur la liste des diplômes, titres à finalité professionnelle et c (...)
- 3 Les diplômés d’une Licence APAS peuvent, par exemple, intervenir auprès de publics nécessitant d’ad (...)
- 4 Respectivement diplômé d’un master ES, titulaire des différents diplômes fédéraux en basket et insc (...)
1Le système français de formation aux métiers du sport a la particularité de s’organiser autour de deux institutions historiquement concurrentes : le Ministère de la Santé et des Sports (MSS) délivrant, dans le domaine sportif et par l’intermédiaire du secrétariat d’Etat aux sports, les Brevets d’Etat d’Educateur Sportif (BEES), et le Ministère de l’Education Nationale (MEN) auquel sont rattachées les formations STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives). Jusqu’en 2006, avant l’inscription de la licence STAPS « Education et Motricité »1 (EM) puis des licences STAPS « Activités Physiques Adaptées et Santé » (APAS) et « Entrainement Sportif »2 (ES), le BEES a été le seul diplôme inscrit au Registre National des Certifications Professionnelles (RNCP) permettant d’exercer une activité d’animateur, éducateur ou entraîneur dans une discipline sportive contre rémunération. Depuis ces deux dates, les diplômés de licence STAPS, en fonction de leur filière de formation, sont autorisés à animer, éduquer, entraîner un sport auprès de certains publics contre rémunération3. Nombreux sont cependant les étudiants ou diplômés titulaires d’un (ou plusieurs) diplôme(s) délivré(s) par le MSS, parmi lesquels les étudiants STAPS, menant des études dans le domaine de l’entraînement sportif. Une étude du Carif – Oref Pays de la Loire montre ainsi que 57 % des diplômés de la filière ES possèdent au moins une certification Jeunesse et Sport et/ou fédérale et que 33 % possèdent un BEES. Ces diplômes (plus spécifiquement les BEES), acquis avant, pendant ou après leur formation universitaire, fonctionnent comme un « droit d’entrée » dans le milieu sportif associatif, fédéral ou professionnel. Les étudiants ou diplômés STAPS déclarent par ailleurs construire des savoirs au sein de ces formations. Pour deux des diplômés interrogés, Samuel et Gaëtan4, « elles apportent des connaissances à appliquer sur le terrain, des connaissances fédérales, des trucs techniques, tactiques ». Nous nous retrouvons donc face à des professionnels de l’intervention en sports issus de formations différentes.
- 5 Nous nous intéresserons essentiellement aux formations STAPS car elles regroupent davantage d’étudi (...)
2De nombreux travaux, notamment ceux issus de l’anthropologie cognitive située (Durand, 1996 ; Gal-Petitfaux, Saury, 2002), et de la didactique (Amade-Escot, 2003) se sont intéressés à la construction des savoirs des professionnels de l’intervention en sports pendant l’action d’enseignement ; ils appréhendent l’élaboration des savoirs sur un temps souvent très court, l’action ou le cours d’action (Theureau, 1992), et ne s’intéressent finalement pas, en dehors de l’étude de la situation d’intervention, aux origines des savoirs professionnels et à leur « histoire culturelle ». D’autres études (Terral et Collinet, 2007) ont analysé l’utilisation des savoirs scientifiques par les enseignants d’EPS et les entraîneurs pendant l’action professionnelle en intégrant l’analyse des modes de socialisation des acteurs. Ces différentes recherches portent sur les savoirs des professionnels de l’intervention en sports insérés dans le monde du travail. Nous proposons ici d’examiner le processus de construction de ces savoirs au cours de la formation de futurs professionnels de l’intervention en sports et, plus particulièrement, tout au long de leur parcours de formation en STAPS. Nous nous focalisons sur les modes de socialisation (au sein de la famille, du monde scolaire et universitaire, du monde sportif, des amis, du travail, etc.), mais également sur les projections des étudiants en termes d’insertion professionnelle. Nous mettons ainsi en évidence différentes étapes, dans la construction et la mobilisation des savoirs des professionnels de l’intervention en sports, renvoyant notamment aux effets des modes de socialisation universitaire et professionnelle. Sachant que le futur professionnel de l’intervention en sports construit par ailleurs, tout au long de son parcours de formation, des savoir-faire, des savoir‑être et des « rapports au savoir » (Charlot, 1997), éminemment transférables à diverses situations de la vie sociale, nous cherchons plus précisément à comprendre en quoi la formation STAPS5 participe à la formation des professionnels de l’intervention en sports.
- 6 Source : Note d’information 01.39 du Ministère de l’Education Nationale (DPD C2)
- 7 Ce groupe est composé d’enseignants chercheurs mettant plutôt en œuvre des recherches « fondamental (...)
- 8 Métiers référencés, au niveau de l’INSEE, dans les PCS « artisans, commerçants et chefs d’entrepris (...)
- 9 La catégorie des « professionnalisants » regroupe la quasi-totalité des enseignants d’EPS auxquels (...)
- 10 Répertoriés au niveau de la classification au sein de la PCS « Professions intermédiaires » et nota (...)
3Les métiers de l’intervention en sports apparaissent souvent, au sein des UFR STAPS, comme les plus valorisés. Ceci s’explique non seulement par le poids historique de la formation des enseignants d’EPS, mais également par les caractéristiques des formateurs présents au sein de ces formations. À la différence de la plupart des sections universitaires, la discipline STAPS est composée d’environ deux tiers d’enseignants du second degré – majoritairement professeurs agrégés (PRAG) d’EPS – contre seulement un tiers d’enseignants chercheurs6. Au delà de la diversité de leurs statuts, ils se différencient également par leur conception de la formation d’un futur professionnel de l’intervention en sports. Les « académiciens »7, pour reprendre la catégorisation de Terral (2007), semblent davantage considérer qu’ils forment « un individu avant de former un professionnel ». Ils défendent des contenus de formation basés sur les travaux scientifiques fondamentaux. Leur objectif est de « former à la réflexion en général », de « transmettre aux étudiants un esprit critique », de permettre « un épanouissement personnel ». Les enseignants chercheurs constituent la majorité des enseignants dans les masters ayant pour objectif de former les futurs « cadres » du monde sportif. Par « managers », pour reprendre la catégorisation de Le Roux (2002), ou cadres8, nous faisons référence à des métiers où l’activité professionnelle nécessite plus particulièrement des compétences dans l’élaboration et surtout dans l’évaluation de ces programmes. Les enseignants dits « professionnalisants »9 tendent quant à eux à privilégier la formation d’un professionnel en valorisant la transmission de la culture du milieu, de « savoirs professionnels ». Ces derniers constituent les intervenants principaux dans les formations de niveau licence qui ont pour objectif de former les futurs « techniciens » (Le Roux, 2002), et notamment les futurs professionnels de l’intervention en sports. Par « techniciens », nous entendons les métiers10 dont le cœur d’activité constitue l’intervention auprès d’un public, le « face à face pédagogique » pour reprendre les termes des fiches RNCP. Ces professionnels mobilisent essentiellement des compétences dans la mise en œuvre de programmes d’entraînement, d’éducation, de réhabilitation, etc.
- 11 À la suite de Charlot (1997), nous envisageons le rapport au savoir sous l’angle des processus d’ap (...)
4Nous défendons l’idée que les études STAPS, et plus spécifiquement la diversité des formateurs et des savoirs diffusés ainsi que les exigences des examens, tendent à générer deux types de rapports au savoir : i) un rapport au savoir que nous qualifierons de « pragmatique » et caractérisé par un attrait pour des savoirs directement utiles, notamment pour l’exercice du métier, et un rapport à l’apprendre11 basé sur l’assimilation et la restitution des savoirs ; ii) un rapport au savoir « intellectualisé », caractérisé par un attrait pour des savoirs moins directement utiles, notamment pour l’exercice du métier, et un rapport à l’apprendre basé sur l’appropriation des savoirs afin de comprendre le contexte dans lequel l’acteur évolue. Ces deux types de rapports semblent caractéristiques non seulement du niveau de formation du futur professionnel de l’intervention en sports, licence ou master, mais également du type de métier et du milieu professionnel au sein duquel il envisage d’exercer. Ils renvoient par ailleurs à différentes compétences traduisant « la capacité d’un individu à exercer une activité professionnelle dans un environnement de travail donné, par référence à un ensemble de connaissances, de savoir-faire et de comportements » (Bertrand, Bouder, Rousseau, 1993). Afin de composer avec cette pluralité, nous émettons l’hypothèse que le futur professionnel de l’intervention en sports apprend, tout au long de sa formation, à activer ou mettre en veille certains rapports au savoir, savoirs, savoir-faire ou savoir-être en fonction des contextes sociaux (Lahire, 1998).
- 12 Entretiens abordant notamment des thématiques relatives au parcours de formation, au parcours profe (...)
- 13 Analyse statistique réalisée à l’aide du logiciel Modalisa
5Dans un premier temps, nous examinons la construction d’un rapport au savoir « pragmatique » et de compétences dans la mise en œuvre de programmes d’intervention, caractéristiques de la formation de « techniciens » de l’intervention en sports ; dans un second temps, nous mettons en évidence la relation entre l’acquisition et la mobilisation d’un rapport au savoir « intellectualisé » et l’élaboration de compétences demandées à un « cadre » de l’intervention en sports formé à un niveau master. Nous soulignons ainsi quelques différences entre futurs professionnels de l’intervention en sports en fonction de leur département de formation, sachant que les carrières des étudiants STAPS révèlent souvent des « bifurcations » (Chevalier, 2007) et des réorientations d’études (changement de départements ou de formations). Nous appuyons notre propos sur un corpus de 27 entretiens biographiques12 menés auprès d’étudiants et de diplômés de licence ou master professionnel s’orientant vers les métiers de l’enseignement, de l’entraînement sportif ou du sport adapté et de la santé. 192 questionnaires13 interrogeant le rapport au savoir et la représentation du métier d’enseignant d’EPS d’étudiants de L1, L2 et M1, quatre années d’observation en tant qu’étudiant et enseignant ainsi qu’une dizaine d’entretiens (parfois informels) avec des formateurs STAPS viennent enrichir notre corpus.
6Les « techniciens » de l’intervention en sports semblent mobiliser non seulement un rapport au savoir que nous qualifierons de « pragmatique », mais également des compétences dans la mise en œuvre de programmes. Nos investigations tendent à montrer que les formateurs attendent ce type de compétences d’un étudiant de licence STAPS ou d’autres formations plus courtes ; le cœur de l’activité professionnelle des emplois visés se situant généralement dans l’intervention auprès d’un public, dans le face à face pédagogique.
- 14 L’analyse des contenus des formations STAPS nous amène à différencier, pour reprendre la catégorisa (...)
- 15 Ces enseignements, dispensés par des PRAG pour la plupart d’entre eux, renvoient à des séances où l (...)
- 16 A partir des catégories établies par les formateurs, nous distinguons deux grands types de « savoir (...)
- 17 97,4 % des primo-entrants STAPS pratiquent un sport (Chevalier et Coinaud, 2008)
7Les savoirs « techniques »14, sont essentiellement dispensés pendant les trois années de licence par des enseignants d’EPS « professionnalisants ». Ils participent au renforcement d’un rapport au savoir « pragmatique ». Lors des deux premières années de formation, les futurs professionnels de l’intervention en sports semblent préférer des savoirs qu’ils qualifient de « concrets ». En début de formation, 91,9 % des étudiants de première année et 89 % de deuxième année mentionnent une préférence pour les enseignements de « pratique des APSA »15. Concernant les savoirs « scientifiques »16, 36,6 % des L1 et 38,3 % des L2 déclarent préférer les sciences de la vie (anatomie, physiologie, biomécanique…). Ces deux types de savoirs sont jugés « concrets » par les étudiants car liés à l’expérimentation ou aux sensations, mais également parce qu’ils les ont déjà côtoyés par le passé (socialisation sportive17 et scolaire). Quasiment tous les étudiants pratiquent ou ont pratiqué en effet une activité sportive encadrée par des éducateurs ou entraîneurs qui emploient régulièrement des termes faisant référence à la physiologie et l’anatomie. Ils ont également suivi des enseignements de sciences de la vie au moins jusqu’en seconde voire terminale pour les titulaires d’un bac scientifique (plus de 50 % de la population enquêtée).
- 18 Dès le L1 pour les plus « précoces », qui sont généralement ceux dont les socialisations (souvent f (...)
8Progressivement18, les étudiants s’intéressent cependant à des savoirs « techniques » plus intellectualisés. Ils essaient de formaliser les connaissances dispensées dans les enseignements de « pratique des APSA » notamment en retranscrivant les exercices vécus pendant l’enseignement et/ou en essayant de dégager leur logique. Ils commencent à « théoriser » ces formes de savoirs jusqu’à présent essentiellement incorporés sur la base de leurs sensations. Ils les confrontent par la suite, notamment au moment du stage d’intervention réalisé en troisième année, avec des savoirs « techniques » présents dans la littérature. « Sur les activités où tu as un peu plus de vécu, tu réfléchissais vraiment par rapport à ce que tu as fait, ce que tu ferais. […] une fois que tu as réfléchis et que tu as une petite idée, tu prends les livres […] J’avais toujours de la théorie à côté pour adapter et voir si je ne faisais pas fausse route. » (François, étudiant en 1re année de master, à propos de la préparation des séances d’EPS lors de son stage d’intervention). Lors de leur entrée dans l’enseignement supérieur et tout au long des deux premières années de formation, les étudiants semblent essentiellement mobiliser un rapport à l’apprendre basé sur l’assimilation-restitution des savoirs. Pour reprendre les propos de plusieurs étudiants, il s’agit d’« apprendre pour apprendre » dans l’unique objectif de réussir ses examens. Julie, enseignante d’EPS stagiaire, à l’image de nombreux étudiants renchérit concernant les enseignements de sciences de la vie dispensés en L1 : « Quand tu étudies le système urinaire, tu l’étudies pour l’examen. C’était tellement intense et du par cœur, je l’étudiais et je savais très bien que je l’oublierai. […] Il y avait beaucoup de choses à apprendre et je n’avais pas assez de recul pour réutiliser ces connaissances‑là ». L’étudiant construit cependant, dès le L1 pour les plus « précoces » mais surtout en L3, un « regard de futur enseignant », de futur professionnel de l’intervention en sports. Ils acquièrent des savoirs « techniques » afin de les appliquer quand ils seront en situation d’intervention : « Dans tous les cours de pratique des APSA, je remettais sur papier tous les exercices que l’on avait fait, et toujours dans la logique : un jour si je suis enseignante, je me resservirai de ça. En le réécrivant, ça me donnait aussi du sens, j’essayais de retrouver l’objectif de la séance. » (Julie, à propos des enseignements de « pratique des APSA » de L1 et L2).
9Ainsi, le futur professionnel de l’intervention en sports construit-il progressivement non seulement une appétence pour des savoirs « techniques » plus intellectualisés, que nous retrouvons principalement dans les enseignements liés aux APSA, mais également un rapport à l’apprendre impliquant d’acquérir des savoirs « techniques » afin de les « appliquer » dans un cadre professionnel.
- 19 Style de vie marqué par une consommation importante de « produits » sportifs (pratique(s) sportive( (...)
10La mobilisation d’un rapport au savoir « pragmatique » nous semble par ailleurs s’inscrire dans un « style de vie » (Bourdieu, 1979) que nous qualifierons de sportif19 et dont nous avons pu montrer (Gojard, 2009) qu’il peut être un frein à la réussite dans les études et à l’accès à certains métiers (notamment ceux de niveau cadre comme le professorat d’EPS par exemple). Les deux premières années de formation tendent à renforcer ce style de vie, souvent déjà très ancré du fait de leur engagement au sein d’un club sportif depuis de nombreuses années ; elles sont également souvent vécues par les étudiants comme le prolongement de leur carrière « amateur » (Chevalier et Coinaud, 2008) dans la mesure où ils ont entre huit et dix heures d’enseignements de « pratique des APSA » par semaine. Nombre d’entre eux se rendent quotidiennement en cours (hors enseignements de « pratique des APSA ») vêtus d’un survêtement et de baskets et munis d’un sac à dos. Les interactions dans le cadre d’enseignements en salle de classe se caractérisent souvent par une spontanéité dans la prise de parole, des bavardages fréquents, la recherche d’ambiances « sympa et cool » pour citer certains interviewés. Si ces savoir‑être peuvent constituer un frein pour accéder à certains métiers (nous évoquons ici davantage des compétences visant l’accès et moins l’exercice du métier), certains employeurs en sont également friands. Comme l’évoque un formateur de licence ES interrogé : « Tu sais, nos étudiants, on les forme souvent à faire les intellos alors que certains professionnels, ce qu’ils recherchent sur le terrain, ce sont d’abord des gens opérationnels, des gens qui assument leur côté sportif, leur personnalité et qui n’ont pas honte de se mettre en survêtement comme j’ai pu le voir chez plusieurs collègues enseignants ». D’après notre enquête, les étudiants du département ES (même au niveau master) entretiennent souvent des relations très étroites avec le milieu sportif associatif en tant que pratiquants, éducateurs et/ou dirigeants ; ils tendent à rester plus fortement ancrés dans un style de vie sportif. Nos observations montrent qu’ils semblent avoir des comportements moins « scolaires » et se distinguent quelque peu des autres étudiants par leur tendance à parler fort, de manière spontanée, à s’interpeller régulièrement. Certains disent également avoir « des difficultés à rester assis sur une chaise trop longtemps ».
11Conçues comme un assemblage de savoirs, savoir-faire et savoir‑être, et associées à un rapport au savoir « pragmatique », ces compétences semblent se construire pendant les années de licence et être également très présentes chez les étudiants et diplômés du département ES. Ces derniers attendent souvent de la formation qu’elle leur dispense des savoirs « techniques » considérés comme des solutions concrètes aux problèmes rencontrés dans l’activité professionnelle. Erwan, diplômé d’une licence ES et actuellement éducateur territorial des activités physiques et sportives, critique d’ailleurs le caractère insuffisamment « utile », « applicable » de la formation STAPS lorsqu’il explique qu’« en entraînement [sportif], ça reste très abstrait et très scolaire […], mais il n’y a aucune mise en relation avec la réalité, la réalité des choses. Tout ce que j’ai pu apprendre étaient dans des conditions idéales sauf que dans la réalité les conditions idéales on les a jamais ».
12On note par ailleurs que les rapports aux savoirs sont étroitement liés à la représentation des compétences nécessaires à l’exercice du métier visé que se font les jeunes mais également les formateurs. Les prag EPS, très présents dans les enseignements de licence, considèrent en effet généralement qu’il faut avant tout privilégier la diffusion de savoirs « techniques » et de savoir-faire qui fournissent souvent directement des principes pour orienter l’action : « Au bout d’un moment, je crois quand même qu’il faut le dire, il y a des connaissances enseignées en formation qui ne servent à rien. On a quand même des étudiants qui doivent montrer qu’ils sont opérationnels. Or, ce que l’on nous renvoie souvent lorsqu’ils vont en stage c’est qu’ils ne savent pas faire grand-chose. C’est comme s’ils ne connaissaient pas les connaissances de base du métier. C’est à se demander ce qu’on leur apprend en formation. En plus maintenant, on dit beaucoup plus clairement qu’avant que l’on souhaite former des professionnels. »
- 20 Théories (parfois qualifiées de didactiques) de l’enseignement des sports, sciences humaines et soc (...)
13Nous avons pu noter et développer dans d’autres travaux (Gojard, 2006 ; Gojard, sous presse) que réussir ses études et obtenir ses diplômes exige le passage d’un attrait pour des savoirs « concrets », pour reprendre les termes de certains étudiants interrogés, à une réflexion sur des savoirs plus « abstraits »20. Il s’agit donc pour le futur professionnel de l’intervention en sports de construire et mobiliser un rapport au savoir « intellectualisé » et des compétences dans la conception et l’évaluation de programme. C’est d’autant plus le cas que les formations considérées, notamment le département EM, mobilisent des connaissances scientifiques issues des sciences humaines et sociales ou de la didactique scientifique et préparent à des métiers de niveau « cadre ».
14Nous venons de voir que l’étudiant construit progressivement et en relation avec certains savoirs techniques un rapport plus « intellectualisé » aux savoirs. Ce rapport au savoir semble par la suite, notamment en L3 (L2 pour les étudiants le plus « précoces » qui sont souvent inscrits au sein du département EM), se transférer aux savoirs « scientifiques » mais également se renforcer en relation avec ces derniers. Et l’évolution des savoirs diffusés au sein de la formation ainsi que des exigences des examens participent à cette dynamique.
- 21 8 à 10 heures par semaine sur les 24 à 26 heures d’enseignements hebdomadaires.
- 22 Il est important de noter, en master, l’absence d’enseignements de « pratique des APSA ».
15Les savoirs « scientifiques » prennent une place de plus en importante au détriment des savoirs « techniques » lors des années de master. Les savoirs « techniques » essentiellement dispensés par des enseignants « professionnalisants » apparaissent comme les savoirs organisant majoritairement les trois années de la licence STAPS. Quant aux savoirs « scientifiques » diffusés par des enseignants chercheurs « académiciens » ou « professionnalisants », malgré leur place relativement importante (si l’on analyse les maquettes de formation) lors des années de licence21, ils constituent véritablement aux yeux des étudiants la pierre angulaire des contenus de formation des deux années de master STAPS22.
16Les étudiants sont de plus en plus évalués, notamment à partir de la troisième année, sur leurs capacités à construire une problématique, à organiser un raisonnement, à résoudre des études de cas ou à rédiger des rapports en s’appuyant sur des savoirs « scientifiques ». Cette dynamique amène les étudiants à s’intéresser à certains savoirs « scientifiques » et notamment aux savoirs issus des sciences humaines et sociales. Ces connaissances qu’ils qualifient souvent d’« abstraites » renvoient à des idées et des théories impliquant davantage d’abstraction et l’assimilation de concepts et de théories. Elles ne sont par ailleurs souvent pas directement utilisables par les futurs professionnels, mais « amènent les étudiants à développer un certain niveau d’abstraction, d’intellectualisation, de réflexion » aux dires des enseignants « académiciens » qui constituent la majorité des formateurs présents en master. Ces savoirs contribuent également à la construction d’un rapport à l’apprendre impliquant d’assimiler des savoirs afin de comprendre notamment l’action professionnelle et son contexte. La rencontre avec un professionnel, un étudiant ou un formateur qui devient un « autrui significatif » (Mead, 1963) participe à ce processus, comme en témoigne Léa (enseignante stagiaire agrégée d’EPS) : « Quand j’ai passé l’agrég, j’ai eu [un formateur] qui m’a beaucoup aidé et qui m’a vraiment fait réfléchir. Il a réussi à me lier la théorie et la pratique, et à me dire : ‘à l’agrég, ils te demandent de réfléchir d’une façon qui te sera utile sur le terrain’ ».
17Concernant les étudiants de formations plus longues comme des masters professionnels STAPS ou les étudiants préparant des concours de niveau « cadre », les formateurs cherchent davantage à transmettre aux étudiants des capacités de conceptualisation et d’analyse, des compétences dans la conception et l’évaluation de programmes d’entraînement, d’éducation ou de réhabilitation. Selon les propos rencontrés chez plusieurs formateurs, « ils doivent être capables d’anticiper les évolutions de la structure, d’avoir une vision prospective ». Nombre d’académiciens se situent, à l’inverse des « professionnalisants », dans une conception moins « applicationniste » de la formation d’un étudiant : « Pour moi, on ne forme pas à appliquer des procédures. L’intérêt de la formation scientifique est qu’elle forme à la réflexion en général et, c’est cela former un professionnel car c’est avant tout quelqu’un qui s’adapte à des situations changeantes plutôt que de ne faire qu’appliquer ce qu’il a appris en formation. […] Mon problème n’est pas de les former pour être uniquement opérationnel à court terme. On vise une formation d’un professionnel plus profonde, on vise le long terme » (un psychologue expérimentaliste « académicien »).
18Les étudiants semblent par ailleurs intégrer l’idée, en relation avec une socialisation « scientifique », que la prescription est moins évidente, moins directe, moins générale aussi car plus « située » dans un contexte précis ; elle est donc plus complexe et nécessite d’abord de bien comprendre et analyser le contexte avant de vouloir prescrire. « Les cours sur les pathologies, ça pouvait nous aider à mieux expliquer aux personnes et donc aussi à mieux adapter notre pratique sportive. […] La psycho, je trouvais que c’était vachement intéressant parce que du coup tu comprenais mieux certains comportements. » (Laure, diplômée de licence EM et master APA). Les savoirs scientifiques aident les acteurs à mieux comprendre et analyser l’action professionnelle et son contexte. Ils alimentent voire enclenchent une réflexion en apportant un autre regard sur la situation d’intervention et son contexte. Valentin, étudiant en L3 EM s’orientant vers le métier d’enseignant d’EPS, se réfère par exemple à la sociologie de l’éducation : « Tu passes d’une situation où tu es dans le système scolaire, où tu n’as pas vraiment conscience de ce qui s’y passe, à une situation, où tu as un regard extérieur sur le système où tu as été pendant 15 ans. Tu as été pendant 15 ans à l’école, et poum l’année d’après tu commences un peu à comprendre comment ça marche, pourquoi dans tel ou tel lycée tu n’as pas les mêmes chances de réussir, pourquoi si tu es dans telle ou telle famille, tel ou tel quartier tu n’auras pas les mêmes chances, si tu es une fille ici ou là-bas. ».
19L’acquisition de compétences dans la conception et l’évaluation nécessite par ailleurs de la part de l’étudiant un travail visant à acquérir un nouveau langage et, plus globalement une prise de distance avec un « style de vie sportif » (excepté pour les étudiants souhaitant exercer dans le milieu du sport de compétition) afin de construire des savoirs propres à un milieu professionnel tel celui de l’enseignement de l’EPS (Gojard, sous presse) ou du monde médical (métiers de l’APA). « La catégorisation et la classification des handicaps, c’est chiant, mais tu es obligé de le faire. […] pour pouvoir connaître le vocabulaire médical… Et surtout quand tu as un chef de service qui te dit : lui c’est un comme ça, à toi de voir ce que tu fais avec lui ; il ne va pas te préciser : il a eu ci, il a eu ça. Au moins tu sais que quand il te dit ça, c’est… en fait, c’est du jargon scientifique quoi. Il te parle comme un professionnel et tu es obligé de le savoir. C’est une clé de lecture ». (Laure)
20Pour la clarté de notre exposé, nous avons différencié les « techniciens » ayant construit des compétences dans la mise en œuvre de programmes sur la base de savoirs « techniques », des « cadres », disposant d’une plus grande culture scientifique et davantage orientés vers la conception et l’évaluation. Nous avons également montré l’existence de deux types de formations, celles de niveau licence du département ES, et celles de niveau master du département EM, qui semblent constituer deux sphères de socialisation universitaire amenant les futurs professionnels de l’intervention en sports à acquérir des rapports au savoir et des compétences particulières en fonction de la nature des savoirs diffusés, des formateurs côtoyés et des exigences des examens. Ces découpages se révèlent toutefois trop analytiques. Notre enquête montre en fait que le futur professionnel semble devoir apprendre à activer ou inhiber en fonction du contexte (Lahire, 1998) les compétences et les rapports aux savoirs appropriés. Réussir ses études nécessite, en effet, même pour un futur professionnel de l’intervention en sports formé à un niveau « technicien », de construire à minima un rapport au savoir « intellectualisé » et des compétences dans la conception de programmes. Les futurs professionnels de l’intervention en sports formés au niveau master mobilisent également, dans le cadre de leur activité professionnelle, des savoirs « techniques » et des compétences dans la mise en œuvre. Ils doivent avoir des idées et agir en visant directement cet objectif. Nombre de cadres du monde sportif devenus « managers » et n’enseignant plus les APSA évoquent d’ailleurs l’utilité de leur passé d’intervenant et des savoirs techniques associés dans leurs nouveaux métiers.
21Il semble dès lors nécessaire de considérer que tant les savoirs dits « techniques » que « scientifiques » participent à la construction de compétences que nous pourrions qualifier de « professionnelles », c’est‑à-dire utiles à l’accès et à l’exercice du métier. Les étudiants se trouvent donc face à la contrainte d’apprendre à lier différents savoirs, savoir-faire, savoir-être et rapports au savoir qu’il s’agira d’apprendre à activer ou à inhiber pour s’adapter aux contraintes de l’insertion professionnelle et de l’exercice du métier visé.