1Pour la deuxième fois en 2015, la France a été frappée par une vague d’attentats. Si le président de la République avait alors répondu aux attaques essentiellement par la télévision, et notamment les allocutions présidentielles, la donne est différente en novembre. Si les attentats de janvier, dans la lignée de ceux de Mohamed Merah en 2012 avaient vu le rôle capital joué par les chaînes d’information en continu, les attentats de novembre semblent avoir mis internet au premier rang. Cette intensité s’est particulièrement retrouvée sur Twitter qui a vu son trafic augmenter, bien plus qu’en janvier (+ 13 %1). Le hashtag #PrayforParis, pourtant peu consensuel12 a été utilisé 6,7 millions de fois en 10 heures contre 6,63 millions pour #JesuisCharlie en cinq jours3. Durant la nuit même des attentats, le hashtag #portesouvertes a largement été utilisé (près de 300 000 utilisations durant la nuit), ainsi que #rechercheàParis. Facebook a également activé le safety check (créé en 2012), une nouvelle procédure qui a permis à des millions (5,4 millions selon les évaluations4) de personnes de rassurer leurs proches en indiquant qu’elles étaient saines et sauves. Si la notion de « réseaux sociaux » ne va pas de soi, nous considérons avec Coutant et Stenger (2012) qu’elle « bénéficie d’une popularité qui rend illusoire son abandon ». A défaut de recouvrir quelque chose de précis, le terme de réseaux sociaux s’impose largement dans le discours médiatique et surtout, en ce qui nous concerne, dans la communication des leaders politiques. Ils deviennent un passage obligé auquel il faut nécessairement se soumettre. Il faudra toutefois éviter de confondre Twitter et Facebook sur lesquels nous concentrerons notre étude. Le premier se veut un site de microblogging permettant aux internautes de s’exprimer via de courts messages (pas plus de 140 caractères). Ce réseau social repose en particulier sur l’immédiateté, les messages, à moins d’être retweetés, n’apparaissant en premier que quelques secondes à l’écran et uniquement pour ceux qui suivent le compte en question. L’important pour toucher un maximum de personnes est ainsi de générer des retweets et d’engranger de nouveaux followers. Facebook beaucoup plus utilisé (il compte plus d’un milliard 600 000 inscrits, et 31 millions en France contre 313 millions de comptes Twitter dans le monde et 6 millions d’utilisateurs en France) se caractérise par une communication plus personnelle, alors que Twitter est encore majoritairement utilisé pour des usages professionnels ou militants. Le partage de photos privées et de messages personnels y est ainsi plus courant, même s’il est également possible sur Twitter. Le public est aussi différent, plus élitiste dans le cas de Twitter, et plus généraliste dans le cas de Facebook (Smyrnaios, Rieder, 2011). Les réseaux sociaux ont pris une place considérable dans notre quotidien, puisque selon les enquêtes sur l’utilisation des médias, les Français leur consacrent près de 2 heures par jour, en moyenne5.
2Ces outils ont pris d’autant plus d’importance dans la nuit des attentats que les réseaux téléphoniques furent rapidement submergés. Les réseaux sociaux ont également tenu informé les internautes des événements qui étaient en train de se dérouler. Si c’est une chaîne de télévision, I-Télé, qui est le premier média à évoquer un attentat (à propos du Stade France), dès 21h35, des tweets ont déjà alerté sur des fusillades dans Paris. Très rapidement la réactivité des personnes présentes sur les lieux s’avère une source d’information plus rapide que celle des autres médias (les premières dépêches d’agence de presse ne tombent qu’à 22h14), y compris des chaînes d’information en continu. Ainsi, si lors des attentats de 2012 et ceux de janvier 2015, BFM-TV comme i-Télé avaient joué un rôle clé dans l’information des citoyens, voyant leurs audiences exploser, les attentats de novembre semblent plutôt avoir été ceux des réseaux sociaux plus rapides et plus à même de rendre compte de la multiplicité des événements dans des lieux différents (les attentats se sont déroulés quasi simultanément en trois lieux différents : le Stade de France, les terrasses des 10e et 11e arrondissements, le Bataclan). Les attentats de novembre sont ainsi multiformes et les contraintes qui sont celles des chaînes de télévision ne leur permettent de répondre aussi vite à l’actualité en train de se faire. Si très rapidement, BFM-TV et i-Télé avaient leurs cameramen sur place en janvier, ils peinent cette fois à bien cibler la localisation des événements, alors que les terroristes sont mouvants. Les réseaux sociaux s’ils alertent les Français ce soir-là participent aussi de la désinformation avec la diffusion de nombreuses rumeurs (attentats à Belleville, au Trocadéro et à Châtelet).
3Au milieu de ce flot d’informations, les mass media traditionnels et les politiques n’ont plus du tout ce que Pierre Nora (1972) appelait « le monopole de l’histoire ». Concernant le travail journalistique, Arnaud Mercier et Nathalie Pignard-Cheynel (2011) parlent de « désintermédiation journalistique », en utilisant les réseaux sociaux, les utilisateurs passent outre le rôle de gate keeper des journalistes. Internet favorise l’abaissement du coût d’entrée médiatique et permet une diversification des prises de parole, notamment de toux ceux qui sont exclus de l’espace médiatique (Badouard, 2016). L’événement, comme les faits qui lui donnent vie devient éclaté, fragmenté suivant les réseaux de communication.
4Au milieu de ce flot de discours, la réaction politique devient capitale pour rassurer dans ce moment à « valeur suspensive » qu’est l’événement comme le dénomment Katz et Dayan (1996). Paul Ricœur (1991, 56) parlait à son tour de « l’impérieuse demande de sens [qui] se fait entendre ». Le politique doit ainsi donner sens à une situation qui n’en a guère en apparence et qui peut donner lieu à la panique généralisée. C’est surtout autour du chef de l’Etat, censé être le garant « de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire » (article 5 de la constitution de 1958), que se fait la réaction politique médiatique. Or, pour celui-ci, imposer son discours lors de tels événement sur les réseaux sociaux n’a rien d’évident. En effet, autant une allocution télévisée lui assure une forte audience et l’assurance d’un relais très important, autant les réseaux sociaux depuis 2012 ne lui ont guère permis de se bâtir un ethos présidentiel - entendu comme mode de présentation de soi (Amossy, 1999). Pourtant, leur usage en politique s’est largement répandu depuis la fin de la décennie 2000. La plupart des leaders politiques nationaux et locaux ont ouvert un compte, au moins sur Facebook, sur lequel ils essaient de diffuser leur parole. Sur les 577 députés de l’Assemblée nationale, plus de 70 % ont un compte sur Twitter6. Toutefois, l’étude d’Alexandre Eyriès et Cassandra Poirier (2013) sur les tweets des leaders politiques français et québecois pendant le campagne de 2012 montre clairement que c’est l’information (c’est-à-dire des messages reprenant les éléments de discours des politiques ou annonçant un meeting) qui domine très largement les messages postés sur ce réseau social (plus de 90 %). L’importance des interactions pourtant au principe même de ces réseaux sociaux n’a pas été totalement intégrée par les politiques, au moins en France. Si les politiques utilisent donc les réseaux sociaux, c’est surtout pour en faire un usage assez similaire au reste de leur communication, résolument top-down.
5François Hollande lui-même a d’abord fait le choix de bouder les réseaux sociaux, après son succès de 2012 - qui avait aussi été un succès sur Twitter, réseau social sur lequel il battait Nicolas Sarkozy en nombre de followers. Son compte Twitter a ainsi été clôturé peu après son investiture, le privant de ce mode de communication pendant les premières années de son quinquennat. Lorsque le journaliste Paul Larrouturou, responsable du Lab d’Europe 1, lui posera la question de cette clôture durant une conférence de presse (16 mai 2013), il ne recevra que l’ironie du chef de l’Etat. Ce n’est finalement qu’en janvier 2014 qu’il réactive ses comptes personnels Facebook et Twitter.
6Par ailleurs, les réseaux sociaux ont été durant le quinquennat, le principal moyen de « Hollande bashing », ce dénigrement de l’action et de la personne présidentielle. On ne compte plus les comptes satyriques ou vindicatifs à l’égard du chef de l’Etat sur les deux principaux réseaux. Le compte « Hollande dégage » recueille ainsi plus de 800 000 likes. S’il souffre d’une absence d’image présidentielle, ce manque est particulièrement visible et grossi sur les réseaux sociaux où ses opposants s’en donnent à cœur joie.
7En outre, ses publications sur les réseaux sociaux souvent cantonnées au domaine sportif (félicitations après la victoire de sportifs français), à l’hommage aux personnalités décédées, ou à la réaction après un drame, apparaissent peu personnelles et donc guère susceptibles d’un intérêt par les utilisateurs de ces réseaux. Les leaders politiques mondiaux à succès sur ces deux réseaux sociaux (on peut penser à Barack Obama ou à Matteo Renzi par exemple) usent d’une expression plus personnelle, en cela mieux en phase avec la tonalité de ces supports. François Hollande s’y est pour sa part toujours refusé, et ce en dépit des propositions sur ce plan de ses conseillers7. Ses messages apparaissent moins attractifs et donc moins susceptibles d’être viraux comme c’est pourtant le principe sur les réseaux sociaux. Ainsi, si l’écart avec des leaders politiques contemporains et de même envergure comme David Cameron et Matteo Renzi sur Twitter n’est pas massif (ils comptent tous trois une moyenne de 300 retweets par message), sur Facebook l’écart se creuse nettement. François Hollande a ainsi une moyenne de 2500 likes et 300 partages par message, alors que ces chiffres montent à respectivement 3000 et 400 partages pour Matteo Renzi et 5000 et 500 partages pour David Cameron.
8Que son tweet de 0h22, à la suite des attentats du 13 novembre devienne ainsi le plus retweeté de France sur l’année 2015 n’avait donc rien d’évident. Notre but est ainsi de voir, comment dans cette période particulière François Hollande a réussi à toucher une large partie de la population afin de la rassurer et de la mobiliser, alors même que toute présidentialité lui était déniée depuis longtemps. Comment alors que les réseaux sociaux sont censés niveler les relations de pouvoir entre les différents acteurs sociaux (Cardon, Granjon, 2010), la parole présidentielle, pourtant fortement critiquée, parvient à sortir du flot au point de s’imposer comme la référence de cet événement.
9Pour cette étude nous avons choisi de nous concentrer principalement sur Facebook et sur Twitter, les deux principaux réseaux sociaux utilisés en France. Nous nous interrogerons ainsi sur les manières dont la communication du président, en utilisant à la fois son compte personnel et le compte officiel de l’Elysée sur Twitter et Facebook parvient à imposer un message surplombant et ayant un impact jusque-là inédit. Nous nous appuierons sur l’étude des messages publiés les 13 et 14 novembre 2015 sur ses comptes officiels (@elysee) et personnels (@fhollande) sur Facebook et Twitter, ainsi que sur un échantillon des commentaires (Facebook) et réponses (Twitter) à ces posts. Nous soulignerons ainsi les réactions parfois hostiles, au travers d’une étude d’un échantillon de 125 commentaires sur Facebook, et de 100 réponses à ses tweets, consultés directement en ligne, et sélectionnés de manière aléatoire parmi les premiers messages.
10Pour donner plus de profondeur diachronique à notre étude, nous avons confronté ces données à la même méthodologie appliquée aux attentats du 7 janvier. Nous utiliserons aussi, pour compléter, la couverture presse consacrée à la communication du président et de l’Elysée durant cette période, ainsi que sur une série d’entretiens menée auprès de conseillers du chef de l’Etat comme Gaspard Gantzer (directeur de la communication), Medhi Mebarki (responsable adjoint du pôle digital à l’Elysée), Maxime Taillebois (en charge du compte Twitter du chef de l’Etat) et Arnaud Castaignet (membre du Service Veille web de l’Elysée). Nous avons réalisé avec ceux-ci des entretiens non-directifs avec à chaque fois un questionnaire élaboré en fonction de chaque interlocuteur. Grâce à ces entretiens, nous avons aussi eu accès à trois notes sur la visibilité, l’impact, la diffusion des messages du chef de l’Etat sur le web durant cette période réalisées par le Service d’information du gouvernement et les services veille du web de l’Elysée. Ces documents sont confidentiels, à usage interne, et nous ont été présentés uniquement dans le cadre de cet article.
11Si le chef de l’Etat avait privilégié les allocutions télévisées et les discours symboliques lors des attentats de janvier, il semble avoir, cette fois beaucoup plus utilisé les réseaux sociaux, et en particulier Twitter (Guigo, 2016). C’est néanmoins à la télévision qu’il choisit de s’exprimer pour la première fois à 23h55. Les attentats ont débuté à 21h20 au stade de France avec l’explosion d’une ceinture d’explosif, avant que 5 minutes plus tard un autre groupe ouvre le feu sur les personnes attablées dans des bars, restaurants et cafés dans les 10ème et 11ème arrondissement de Paris. A 21h40, un troisième groupe de terroristes investit la salle du Bataclan et ouvre le feu sur les spectateurs d’un concert du groupe américain The Eagles of Death Metal. Ils tirent sur la foule avant d’abattre un à un les spectateurs survivants. La police intervient à partir de 21h51 abattant vers 22h l’un des terroristes. Puis d’exécution, l’attentat tourne à la prise d’otage, les deux derniers terroristes choisissant de monter à l’étage avec de nombreux spectateurs. Pendant plus d’une heure la police va négocier avec les djihadistes, jusqu’à l’assaut final à 0h18. Lorsque le chef de l’Etat intervient donc à la télévision, l’information des attentats est alors largement connue, mais encore loin de sa conclusion. De même lorsqu’il intervient pour la première fois sur Twitter, la neutralisation des terroristes vient juste d’avoir lieu, seulement 2 minutes avant. Cette vivacité est d’autant plus étonnante que le chef de l’Etat écrit à la main chacun des messages qui sera ensuite posté sur ses comptes personnels8. Cet horaire correspond d’ailleurs plus généralement au basculement d’une communication basée sur les témoins, à une arrivée massive des autorités altertant, rassurant et mobilisant les citoyens par ce biais.
12Le président qui a lui-même vécu l’attentat au stade de France entend montrer la réactivité de l’Etat, comme en janvier où il s’était rendu sur les lieux peu de temps après l’attentat de Charlie Hebdo. En intervenant aussitôt, et même avant la conclusion des événements, il entend également rassurer les citoyens face à « l’horreur » - c’ est le terme marquant employé lors de son allocution - de la situation.
13Depuis les débuts de son quinquennat il a ainsi intégré l’accélération du tempo médiatique liée à l’émergence des chaînes d’information en continu à la fin des années 2000 (via l’apparition de la TNT qui rend l’accès à ces chaînes gratuit) et au développement des réseaux sociaux durant la même période. Cela n’était pas acquis à son arrivée à l’Elysée en 2012. Ainsi, lors des principales affaires qui ont émaillé son début de quinquennat il s’était montré peu réactif, voire à contre-temps sur l’affaire Cahuzac ou l’affaire dite « Leonarda ». La clôture de ses comptes personnels sur les réseaux sociaux n’arrangeait rien à cette situation.
14Dès janvier 2015, lors des premiers attentats qui touchent la France depuis 2012, il se montre particulièrement réactif, comprenant l’enjeu, se rendant très peu de temps après les événements sur les lieux. Son premier tweet date alors de 12h57, soit 1h30 après le début de l’attentat à Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Toutefois, les réseaux sociaux vont prendre en novembre une part plus importante dans la réactivité du président. Ceux-ci sont en effet un outil capital lors des situations de crise. Contrairement à la communication audiovisuelle, le plus souvent médiatisée et commentée par des journalistes, la communication via internet, et tout particulièrement par l’utilisation des réseaux sociaux permet de contrôler son message et son timing. Les critiques peuvent bien sûr pleuvoir, mais la modération du community manager permet éventuellement de les contrôler. Plusieurs leaders politiques ont ainsi fait usage des réseaux sociaux lors de crise qu’ils rencontraient. Ce fut le cas notamment pour la présidente argentine Cristina Kirchner, confrontée à des scandales politico-financiers. Plutôt que d’être mise à l’accusation lors d’une émission télévisée, elle a préféré répondre sur Facebook afin de contrôler au mieux son message.
- 6 Note du service réseaux sociaux.
15Le soir des attentats du 13 novembre le web va jouer un rôle important dans la stratégie de réactivité du chef de l’Etat. Outre son tweet de 0h22 qui est par ailleurs réutilisé pour un post Facebook, la vidéo de son allocution est également partagée sur Facebook et Twitter permettant de démultiplier le message audiovisuel avec 1 865 979 vues (1 545 710 vues, sur Facebook, 242 208 vues, sur Twitter, 78 061 vues, sur Dailymotion6). Outre ses comptes personnels, ceux plus officiels de l’Elysée, beaucoup plus utilisés, vont être largement mis à contribution. Avant même son intervention télévisée, le compte @elysee signale que « le président @fhollande est actuellement à @Place_Beauveau avec @BCazeneuve pour faire un point sur la situation ». Les principaux moments de son allocution sont ensuite diffusés quasi- immédiatement sur Twitter via le hashtag #DirectPR. Quelques minutes après son allocution, des photographies de la réunion de crise à Place Beauveau sont mises en ligne (0h06) sur le compte Twitter, afin de donner l’image d’un gouvernement mobilisé. Cette mise en scène du pouvoir réagissant à la crise est inspirée du gouvernement américain, les comptes officiels de la Maison Blanche ayant publié après l’opération contre Ben Laden le 2 mai 2011, une photographie de la cellule de crise autour de Barack Obama. A 1h36, le compte Facebook officiel de l’Elysée met en ligne des images du conseil des ministres exceptionnel qui vient d’avoir lieu ainsi que ses conclusions.
- 7 Slate.fr, « Comment les réseaux sociaux ont couvert les attentats du 13 novembre » de Vincent Man (...)
16Ainsi, cette communication digitale, loin de s’opposer à la communication audiovisuelle la complète. Comme le soulignent Sandrine Roginsky et Valérie Jeanne-Perrier (2014) : « Les médias sociaux ne viennent pas bouleverser le travail de communication politique traditionnelle mais plutôt s’intégrer au dispositif existant ». D’autant que de nombreux Français pratiquent ce soir là le « double screening » - visionnage simultanément de deux écrans, celui d’un smartphone ou d’un ordinateur et télévision7.
17Cette réactivité et l’importance accordée aux réseaux sociaux est le fruit d’une évolution du président à l’égard de cet outil de communication. En effet, alors qu’il a été relativement marginalisé dans la stratégie d’image présidentielle au début du quinquennat, le service web s’est peu à peu étoffé avec le temps. L’arrivée à l’Elysée de Gaspard Gantzer pour diriger un pôle communication unifié - il était éclaté jusque-là entre plusieurs structures parfois concurrentes (Pingaud, 2013) - semble avoir été un tournant.
- 8 Entretien avec Arnaud Castaignet, 16 septembre 2016.
- 9 Entretien avec Maxime Taillebois, 12 septembre 2016.
18L’ancien conseiller en communication de Bertrand Delanoë et de Laurent Fabius comme ministre des Affaires étrangères, a en effet un grand intérêt pour les réseaux sociaux dont il est un fervent utilisateur - à son arrivée à l’Elysée, une photographie de son profil Facebook créera ainsi la polémique le montrant en train de fumer une cigarette que d’aucuns voient comme du cannabis. Il remanie le service web, contribuant à le rajeunir. Celui-ci est nettement étoffé avec une diversification de ses activités. Alors que jusque-là les membres de la cellule web avaient essentiellement pour fonction de répercuter les informations, ils deviennent partie prenante de la conception, pouvant proposer une ligne éditoriale plus adaptée à chacun des réseaux sociaux11. Outre la réouverture des comptes personnels Twitter et Facebook, un compte Instagram a été créé le 2 octobre 2015 après la visite du cofondateur du réseau social, puis un compte Snapchat en janvier 2016 (son ouverture était en réalité prévue pour le 13/1189...). @Elysee_com au printemps 2015 viendra compléter ce dispositif de communication, censé permettre le fact-checking et la riposte sans avoir le besoin de neutralité qu’exige les comptes officiels élyséens.
19En septembre 2015, un nouveau site flambant neuf vient remplacer le site officiel vieillissant de l’Elysée. Les graphismes y sont plus attractifs, et surtout les réseaux sociaux y sont nettement plus présents. Par des pop up le visiteur est invité à suivre les comptes de l’Elysée et les tweets du chef de l’Etat apparaissent sur la homepage. L’internaute est partout incité à partager sur les réseaux sociaux les pages et publications.
20On le voit ainsi, les réseaux sociaux sont devenus un élément clé de la stratégie présidentielle. Ils ont pour but de toucher un public réputé plus jeune et qui s’est rapidement détourné de lui après mai 2012, alors même qu’ils représentent une forte proportion de ses électeurs (59 % des 18-25 ans ont voté François Hollande au second tour contre 41 % pour Nicolas Sarkozy10). Par une adaptation de sa communication vers plus de réactivité, François Hollande va réussir à toucher une large frange de la population dans une période où nombreux sont les internautes à utiliser les réseaux sociaux pour s’informer et réagir.
21Au cœur de la communication présidentielle depuis plusieurs mois, c’est véritablement avec les attentats que le chef de l’Etat parvient à toucher une large partie de la population. Son tweet « Face à l’effroi, il y a une Nation qui sait se défendre, sait mobiliser ses forces et, une fois encore, saura vaincre les terroristes » va ainsi être le plus grand « succès » de Twitter en France en 2015 avec près de 57 000 retweets. Sur Facebook, pour le même message, on comptabilise plus de 23 000 partages et 252 000 likes (dont 99 émoticônes larmoyant et seulement 10 émoticônes “en colère”). Au total, il a été vu 13 229 819 de fois (4 643 375 vues sur Twitter, 8 586 444 vues sur Facebook).
22Le compte du président qui plafonnait depuis 2012 autour de 1 million bondit à 1 310 000 à la suite des attentats de novembre, ce qui lui permet de réaffirmer sa primauté parmi les leaders politiques français sur Twitter (le second est Nicolas Sarkozy avec alors autour de 1 million de followers11). Sur Facebook, il gagne 130 000 nouveaux likes dans les deux semaines suivant les attentats dépassant les 700 000 likes, ce qui le place alors second sur ce réseau social derrière Nicolas Sarkozy, alors en perte de vitesse12.
23Sur les comptes officiels, il obtient aussi des scores bien différents de ceux à l’ordinaire. Le compte Twitter de l’Elysée ne dépasse pas d’ordinaire la dizaine de retweets. C’est cette fois plusieurs milliers de retweets de ces messages qui sont effectués (le maximum étant atteint avec le tweet reprenant son discours télévisé : « L’Etat d’urgence sera proclamé et les frontières seront fermées », suivi par la vidéo de son allocution à 6 600 retweets). La vidéo de son allocution atteint presque 18 000 partages sur Facebook.
- 13 Traduction : « Le président français François Hollande déclare l’état d’urgence, expliquant que l (...)
24Le soir des attentats ce message présidentiel s’impose donc par ces chiffres sans précédent comme le message de référence, largement relayé, notamment à l’étranger. C’est ainsi en faisant référence au discours présidentiel que Snapchat décide de créer des filtres 0h08 : « French President François Hollande declares state of emergency, says France will close its borders13. »
- 14 Entretien avec Gaspard Gantzer, 12 novembre 2016.
25Pour autant, ce succès de la stratégie web n’a pas été anticipé. En dépit, des attentats de janvier, la cellule web de l’Elysée n’a pas cherché à prévoir ce que pourrait être une communication de crise lors d’un attentat, considérant que « chaque attentat est singulier ». C’est donc sur le moment que s’est faite la focalisation sur les réseaux sociaux, afin de répondre au mieux aux caractéristiques protéiformes de l’événement qui venait de se produire. Plus qu’en janvier les attentats de novembre, par leur simultanéité à plusieurs endroits de Paris, pouvaient favoriser les mouvements de panique et un chaos généralisé. Il fallait donc rassurer au plus vite, en utilisant le medium le plus proche des citoyens et le plus instantané14. Enfin, le directeur de la communication du président souligne que Twitter permettait au chef de l’Etat de continuer, comme en janvier, à avoir une communication sobre, et qui permette à tout un chacun de se l’approprier.
26Il nous faut maintenant chercher à comprendre les causes d’un tel écho du message présidentiel. Qu’est-ce qui dans sa formulation et son contexte lui permet de s’assurer une telle capacité de partage ?
27Le succès des messages du 13 novembre au soir n’est pas pas que quantitatif, mais aussi qualitatif. En général prompts à la critique, les commentaires des internautes sont ici beaucoup plus modérés. Les attaques à l’égard de la politique de François Hollande existent mais elles sont nettement plus rares qu’à l’ordinaire. Ainsi, sur un échantillon des 125 premiers messages postés sur le statut Facebook « Face à l’effroi », on comptabilise 24 % de commentaires négatifs contre 40 % de positifs et 36 % de « neutres » - qu’il est difficile de répertorier comme négatifs ou positifs à l’égard du président. Sur Twitter nous avons sélectionné les 100 premiers tweets et la proportion de commentaires négatifs s’avère encore plus faible avec seulement 15 % de tweets négatifs contre 46 % de tweets positifs et 39 % de neutres. D’ordinaire, les tweets présidentiels sont beaucoup plus soumis aux critiques (entre 40 et 60 % selon Maxime Taillebois18).
28Si le soir du 13 novembre, les messages présidentiels sur les réseaux parviennent à toucher largement, bien plus que tous ses messages précédents, et même ceux de janvier 2015, c’est en raison du contexte particulier des attentats. Alors que ceux de janvier touchaient des cibles précises, et de longue date visées par les terroristes, les attaques ont cette fois-ci pour but de faire un maximum de victimes. La focalisation dans un quartier animé de la capitale, sur les terrasses, dans une salle de concert, aux abords d’un stade, vise plus particulièrement la jeunesse parisienne, adepte de tels lieux, en particulier un vendredi soir de novembre plutôt doux. C’est cette même jeunesse qui alimente en grande partie les réseaux sociaux. C’est la conjonction entre une stratégie de plus en plus orientée vers cette communication digitale et les principaux acteurs de l’événement qui donne une ampleur inégalée à cette communication.
29Mais nous faisons également l’hypothèse que si le message présidentiel connaît ce succès c’est aussi en raison de sa formulation. Si les réseaux sociaux sont souvent des lieux de « clash », d’oppositions frontales et véhémentes, le succès d’un message est lui proportionnel à sa capacité à rassembler. Le « succès » d’un message sur les réseaux sociaux est aussi dépendant de sa capacité à livrer une partie plus intime de soi-même. C’est là toute la difficulté pour les leaders politiques qui sont aussi en charge d’une fonction officielle.
30Nous avons déjà pu évoquer le succès sur Twitter de Matteo Renzi, parmi les personnalités politiques les plus suivies d’Europe. S’il s’assure une telle visibilité et des taux de partages et de retweets bien plus importants que ses homologues c’est parce qu’il use d’un ton différent de ceux-ci. Il n’hésite pas à se mettre en scène dans sa fonction. Ainsi, il met en ligne des selfies depuis son bureau de président du Conseil comme le 14 septembre 2014. Sa photo de profil ne le montre pas en costume, mais naturel, souriant, dans un style très amateur. A ses débuts au Palais Quirinal, il propose de dialoguer directement avec les citoyens à l’aide du hashtag : #Matteorisponde. De même Barack Obama en 2012 fait s’envoler le nombre de retweets battant alors un record avec une photo le montrant dans les bras de sa femme après sa réélection et ayant pour commentaire « four more years ».
31François Hollande n’avait jamais connu de tels succès jusque-là. Son premier tweet dépassant le millier de partage est aussi lié aux attentats de janvier, le 7 janvier 2015 (« La liberté sera toujours plus forte que la barbarie. Notre meilleure arme, c’est notre unité. », 38 000 retweets). Alors que nous avions vu que François Hollande n’était guère adepte des messages personnels, dans le tweet repris par la suite sur Facebook il se livre un peu plus, parlant d’« effroi » et d’ « horreur » comme dans son intervention télévisée beaucoup plus émotionnelle que lors des attentats de janvier.
32Son premier objectif est de rassurer et de montrer que toutes les dispositions ont été prises pour « la neutralisation des terroristes ».
33Ses messages sont très personnels, en particulier ceux relayés sur les comptes officiels employant volontiers le « je » pour montrer la force de décision du chef de l’Etat : « J’ai demandé des renforts militaires pour être sûr qu’aucune autre attaque ne puisse avoir lieu » (compte Twitter de l’Elysée, 23h54).
34Surtout il adopte un ton très rassembleur, voire combatif. Pour rassurer et mobiliser il met en valeur la capacité du pays à se défendre (« Face à l’effroi, il y a une nation qui sait se défendre »). Il inscrit également cette lutte contre le terrorisme dans la continuité rappelant que ce n’est pas le premier attentat et anticipant ainsi les éventuelles critiques sur son action en matière de sécurité. Dans son tweet suivant, daté du 16 novembre, il parle même de « détruire le terrorisme ». Pour éviter tout amalgame ou que de tels attentats divisent la communauté nationale, le tweet de son compte officiel à 23h56 invite à « faire preuve d’unité et de sang froid. Nous devons nous devons appeler chacun à la responsabilité ».
35Pour mieux souder les citoyens, il renvoie comme lors des attentats de janvier à la « barbarie » des terroristes à laquelle il oppose l’unité des Français, et l’« invincible unité de la culture » (tweet du 17 novembre). Un tel discours consensuel est à même de répondre aux attentes des internautes face à de tels événements. Comme ont pu le montrer Nathalie Pignard-Cheynel et Brigitte Sebbah (2015), à propos de l’Affaire DSK, les utilisateurs du microblogging ressentent le besoin d’exprimer leur appartenance à une communauté, de faire partie d’un tout face à ces moments de crise. Selon ces deux auteures, c’est un moyen de surmonter le traumatisme. Conclusion
36Au travers de cette étude on voit que le « succès », qui n’avait rien d’assuré, du principal tweet de François Hollande durant la soirée du 13 novembre est à la fois dû à des facteurs externes et internes. L’intensité de l’événement et la capacité des réseaux sociaux à s’imposer comme des moyens d’information essentiels à ce moment ont mobilisé une large population. Cette attention aux réseaux sociaux a rencontré une stratégie présidentielle qui a peu à peu intégré les contraintes nouvelles de l’évolution médiatique. L’accélération de l’information avec l’émergence des médias en continu et le développement des réseaux sociaux ont amené, après une série de déboires, le président François Hollande à investir les médias sociaux. Le service dédié à ce secteur à l’Elysée s’est largement étoffé avec le temps et adapté à la réactivité des réseaux sociaux (Mercier, Pignard-Cheynel, 2011). Le choix des termes utilisés a lui aussi son importance, en optant pour un discours consensuel et combattif, le président de la République a rendu l’action de partage moins coûteuse, y compris pour tous ceux qui pouvaient lui sembler opposés.
37Toutefois, loin d’apparaître comme un point de basculement, il s’agit plutôt d’un « moment » 13 novembre. Si le bénéfice des followers supplémentaires engrangés à la suite de cette communication et des événements s’est maintenu, le nombre de partages et de retweets n’a pas substantiellement augmenté et est même revenu aux taux moyens jusque-là. Par ailleurs, les critiques dans les commentaires de ses messages publiés sur les réseaux sociaux au moment des attentats s’accentuent avec le temps. Alors que la proportion est quasi nulle après leur publication au contraire des messages positifs de remerciement et de soutien, ils se multiplient les 14 et 15 novembre. Surtout si on compare cette fois-ci les commentaires de ses comptes personnels avec ceux des comptes officiels, assez étonnament on s’aperçoit que c’est vers ces derniers que se tournent les critiques. La proportion y est très forte - sur une étude des 135 premiers tweets répondant à « L’Etat d’urgence sera proclamé et les frontières seront fermées », plus de 70 % sont négatifs contre moins de 15 % de positifs. Devant ces résultats surprenants nous avons souhaité comparer avec les tweets élyséens et présidentiels du 7 janvier et avons trouvé des résultats assez similaires. On voit donc une sorte de glissement. Dans des circonstances particulières, les critiques n’osent pas se faire directes, sur le compte personnel du chef de l’Etat, mais plutôt sur le compte de la fonction où l’attaque paraît moins frontale. C’est en tout cas une hypothèse qu’il faudrait étayer au travers d’une étude plus large de ces « réponses » aux tweets présidentiels.
38Loin donc d’être comme dans les sondages ou les médias un « moment de grâce », de suspension de la bataille politique, les attentats semblent être sur les réseaux un moment de glissement des attaques personnelles vers des lieux où celles-ci semblent être moins coûteuses à exprimer car ne s’attaquant pas directement à la personne.