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La lecture événementielle des faits politiques : entre logiques journalistiques et (dés)intermédiation numérique

The event-driven reading of political facts : between journalistic logics and digital (dis)intermediation
La lectura de los hechos politicos a través de eventos : entre la logica periodi’stica y la (des)intermediaciôn digital
Arnaud Mercier
p. 32-51

Résumés

Le but de cet article est de comprendre les mécanismes de « l’événementalisation », à l’époque contemporaine, tout en analysant ce que l’usage des technologies numériques transforme dans les mécanismes sociologiques précédents qui conduisaient à l’émergence d’événements. Nous croisons, pour faire cela, une analyse des valeurs que porte un fait social pour mériter d’être perçu et vécu comme un événement, comme une rupture, avec une analyse du rôle des médias comme découvreurs et/ou amplificateurs de ces faits sociaux. Tout en étant attentif à leur travail d’événementalisation. Enfin, nous étudions le rôle que peuvent avoir les technologies de l’internet (surtout les réseaux socionumériques) dans la possibilité d’assumer ce travail « d’événementalisation ».

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Texte intégral

1Pour les journalistes, l’événement c’est un fait remarquable, inédit, insolite, méritant à ce titre un traitement spécial le mettant en valeur, ce qui en fait un événement médiatique. Pour les spécia­listes des sciences sociales réunis dans ce numéro, il s’agit d’un phénomène qui est vécu comme rupture, par une société ou un collectif, autour duquel une recherche d’intelligibilité s’opère face aux difficultés à l’interpréter. Dans l’espace public démocratique contemporain, ces deux logiques sont obligées de se croiser. Comment ? L’événement est-il obligatoirement reconnu comme tel par les médias ou pas ? Un événement médiatique a-t-il nécessairement ou pas pour fondement un événement ? Puisque la diffusion à l’ensemble d’une société ou du monde d’une information touchant un collectif ayant vécu directement un phénomène, passe essentiellement par les médias, quel rôle jouent-ils alors dans la perception généralisée d’un phéno­mène comme événement ? Fabrication ? Distorsion ? Mise sous l’éteignoir ? Amplification ? Pourquoi des événements deviennent plus ou moins des événements médiatiques ? Quelles logiques journalistiques prévalent pour reconnaître ou accorder une lecture événementielle à un phénomène donné ? Pour répondre à ces questions, il faut d’emblée affirmer que les médias ne sont pas « la condition même d’existence des événements ». Même si la vision développée par Pierre Nora dans son article canonique de 1972 (« Le retour de l’événement ») a pu apparaître comme novatrice à l’époque, il témoigne surtout d’une époque où la fascination pour la montée en puissance des médias audiovisuels en faisait l’alpha et l’oméga de l’accès de la société à la connaissance d’elle-même. Certes, la médiatisation caractérise la modernité mais ce n’est pas forcément le cas de l’événement. Certes, l’événement médiatique est devenu incontournable à analyser aussi bien par les traces audio et visuelles qu’il laisse que par l’impact décuplé que ces traces peuvent procurer en marquant les imaginaires et les mémoires (songeons à l’époque aux images de l’assassinat de Kennedy ou aux premiers pas de l’homme sur la Lune, par exemple, ou plus près de nous à la destruction à la pioche du mur de Berlin par les citoyens allemands et à l’encastrement de deux avions dans les tours du World Trade Center). Mais il ne faut ni tomber dans une forme de fascination technique et audiovisuelle qui ferait de l’événement médiatique la seule forme possible de l’événement, ni se contenter d’une forme de dénonciation des médias et du rôle pernicieux qu’ils joueraient, fatalement, en portant l’accent, de façon forcément exagérée, sur des faits qui acquerraient, artificiellement, un statut d’événement. Déconstruire le discours d’événementalisation des médias est une posture critique utile mais elle ne résorbe pas toute la complexité de la question.

2Car des événements ont existé avant l’invention des journaux (famines, guerres, catastrophes naturelles, découvertes, inventions.) et certains existent sans forcément faire la « une ». De plus, un événement dure tant qu’il produit des effets, et déborde souvent largement le temps de son émergence. Il continue à travailler le corps social même quand les médias n’en parlent plus. Car l’événement se caractérise par la rupture qu’il induit dans les modes de vie, les représentations sociales, par une rupture de l’intelligibilité. L’événement produit « une modification d’un état du monde qui fait que les êtres subissent un changement, passent d’un état (E1) à un état (E2) provoquant un changement de l’ordre des choses, une déstabilisation d’un état stable qui dans son immuabilité se donnait comme évidence de l’organisation du monde » et que « cette modification soit perçue par des sujets (ou que ceux-ci jugent qu’il y a eu modification) » écrit P. Charaudeau (2005, 82). Cette définition met l’accent sur les changements matériels auxquels il faut ajouter les ruptures dans les idéalisations du monde, la déstabilisation pas seulement d’un état stable, mais aussi d’un horizon d’attente, de croyances, largement partagés et stabilisés. Si cette rupture est socialement reconnue et portée par des acteurs, il est très probable que les journalistes ne pourront l’ignorer et en viendront eux-mêmes à le traiter comme un événement au sens journalistique du terme cette fois, c’est-à-dire un fait remarquable. Travail qui pourra contribuer à accentuer l’interprétation événementielle des phénomènes qui circule déjà dans l’espace public.

3Autrement dit, l’événement existe, et les médias le rendent éventuellement public, lui procurent un écho démultiplié, fournissent ou relaient des contextes d’interprétation qui lui donnent son ou ses sens sociaux. « Si l’événement se remarque, s’il possède un certain degré de saillance ce n’est pas tant parce que des procédés de sélection et de hiérarchisation en ont décidé au nom d’intérêts particuliers, mais parce qu’il provoque une rupture de l’intelligibilité qui déborde très largement le champ journalistique. [.] Ce qui signe l’événement est sa capacité à engendrer quelque chose de neuf, à initier. Rupture, chaos, surgissement de l’imprévisible, en tout événement se noue le schéma dramatique d’une genèse » souligne Jocelyne Arquembourg (2006, 14-15).

4Interroger les conditions socio-historiques de l’émergence « d’événements politiques en ligne » ne doit pas conduire à tomber dans les mêmes travers. Les technologies numériques ne portent pas en elles-mêmes une force telle, que le web et les outils numériques de captation, de diffusion ou de réception seraient devenues les supports de l’événementalisation ou le lieu de sanctification de ce qui mérite d’être considéré comme un événement ou pas. Il faut plutôt interroger les mécanismes de l’événementalisation à l’époque contemporaine et analyser ce que l’usage des technologies transforme dans les mécanismes sociaux à l’œuvre avant. Il convient donc de croiser une analyse des valeurs que porte un fait social pour mériter d’être perçu et vécu comme un événement, une rupture, avec une analyse du rôle des médias comme découvreurs et/ou amplificateurs de ces faits sociaux et leur travail d’événementalisation, le tout croisé avec l’étude du rôle que peuvent avoir les technologies de l’internet (singulièrement les réseaux socionumériques) dans la possibilité d’assurer ce travail d’événementalisation. A moins d’ailleurs que ce qui se passe sur la toile puisse devenir en soi un fait-événement. Etudier le rôle des ces technologies internet revient ici à poser la question de ce qu’elles changent, apportent de différent ou renforcent, dans les mécaniques sociale et médiatique de l’événementalisation. On distinguera ici au moins trois répercussions de ces technologies de l’internet, associées à la manipulation d’outils numériques, dans ce processus : une indiscutable accélération du tempo politique et médiatique et une évolution des relations entre ces deux univers ; une désintermédiation journalistique faisant de tout citoyen un potentiel rouage de la mécanique d’événementalisation ; l’émergence d’un monde en soi, d’un monde vécu dans l’univers internet, producteur de ses propres événements en quelque sorte. L’ère numérique change le jeu habituel politico-médiatique de l’événement, ou est devenu le théâtre de formes nouvelles d’événements grâce notamment à de nouveaux acteurs de l’événementalisation.

L’accélération du tempo politique et des événements

5Si la vitesse s’impose comme une caractéristique constitutive du travail d’information, les journalistes ne sont pas les seuls concernés. Que ce soit parce que d’autres secteurs d’activité subissent la même évolution, ou parce que les journalistes les mettent sous une pression temporelle accrue, dans le cadre de leurs interactions, de nombreux acteurs économiques, sociaux, culturels ou politiques semblent eux aussi gagnés par les vertiges de l’accélé­ration. Un tel phénomène redessine les contours de l’événement politique.

6La consécration des usages massifs de l’internet, avec pour corollaire l’accé­lération, aboutit à une transformation de la temporalité politique et de la manière d’événementaliser la politique. La politique se compose de quatre temporalités qui ont de plus en plus de difficultés à s’ emboîter : le tempo de l’action gouvernementale, la temporalité électorale, le tempo médiatique, et enfin le tempo de l’urgence.

Le tempo gouvernemental

7Traditionnellement en démocratie, s’opposent la temporalité gouvernemen­tale et la temporalité électorale. Le temps long de l’action publique, la temporalité gouvernementale, ne porte ses fruits que sur plusieurs années, voire une décennie. C’est le temps de la décision, où il faut prendre le temps de cerner une question, de consulter, de convaincre (les parlementaires, les élus locaux, les administrations, les acteurs économiques, les populations concernées). Puis il faut mettre en œuvre pour aboutir à des résultats concrets qui peuvent se faire attendre sur plusieurs années. L’ambition politique est de voir ces résultats être salués dans le temps historique. On songe par exemple, à la politique d’indépendance énergétique via les centrales nucléaires, lancée en France au début des années 1960 et qui ne portera tous ses fruits que vingt plus tard. On pourrait parler de la politique aéronautique française puis européenne avec Airbus, des stratégies de conquête spatiale de l’URSS ou de la Chine par exemple, etc. Autant d’actions qui sont lancées par des gouvernants qui ne seront probablement plus aux commandes lorsque les réussites éclatantes de cette politique seront tangibles.

La temporalité électorale

8Mais pour inscrire leur action dans la durée, les dirigeants démocratiques sont confrontés à l’exigence du renouvellement électoral. Pour durer politiquement, il faut se faire réélire régulièrement. Une partie de leur action est donc conditionnée par les effets que leurs actes gouvernementaux peuvent avoir dans un temps assez proche pour que les électeurs puissent les percevoir. Ces deux temporalités ne sont pas fatalement en phase. L’art de gouverner est, d’une certaine façon, l’art d’assurer un équilibre au milieu des tensions générées par ces deux temporalités. Les élus peuvent différer certaines décisions impopulaires mais nécessaires au pays, pour ne pas gêner leur réélection. Ou prendre des mesures inappropriées à long terme mais dont des premiers effets apparents seront visibles à court terme. Il s’agira de mettre en scène l’action du gouvernement pour afficher une capacité à agir, à influer sur le cours des choses, à l’échelle des mois ou de un ou deux ans. Le temps électoral par définition est assez court et cyclique. Mais pire (du moins pour les professionnels de la politique) ce tempo électoral s’est accéléré, tant il est vrai que la montée des insatisfactions et du sentiment de rejet de la politique et la perception d’une impuissance à agir des gouvernants, font que les gouvernés sont de plus en plus impatients et bouleversent sans doute plus rapidement qu’avant les majorités en place, créant des soubresauts accélérés qui font événement. Citons deux exemples : la défaite électorale de Matteo Renzi en Italie, en décembre 2016 sur son référendum constitutionnel, 3 ans après avoir été largement élu premier secrétaire du Parti démocrate et deux ans et demi après avoir été nommé président du Conseil, grâce à sa forte popularité ; et plus récemment la baisse dans les sondages du président Macron en une année, lui qui avait pourtant été bien élu et obtenu une majorité parlementaire solide. L’usure du pouvoir semble s’accélérer, inéluctablement, même si des pays connaissant une prospérité économique continue, comme l’Allemagne, voient des leaders politiques enchaîner les mandats.

La temporalité médiatique et la réponse politique

9La présence continue des médias et l’usage quasi hebdomadaire des sondages ont introduit une première phase d’accélération dans ce jeu habituel de tension démocratique. La temporalité médiatico-sondagière évalue de façon régulière l’action des gouvernants, et instaure une pression plus forte sur eux pour produire des résultats visibles. Les médias imposent pour partie leur périodicité. On songe aux classements annuels dont certains magazines se font les chantres, qui dressent un bilan annuel des réussites les plus diverses. On songe au droit de suite que certaines rédactions exercent pour établir un bilan, souvent à l’occasion d’une date anniversaire (du vote ou de l’entrée en vigueur d’une loi ; d’un discours public et solennel ; d’un drame ayant entraîné une action publique correctrice, etc.). De façon plus accélérée encore, les médias sont friands de rendez-vous réguliers, au rythme mensuel par exemple, comme les baromètres de popularité, les sondages en tout genre faits par vagues. Les médias n’hésitant guère à présenter comme un événement, comme une rupture, toute forme de variation un peu marquée de l’indicateur statistique ainsi fabriqué : « le premier ministre dévisse », « la côte de popularité du président s’effondre », « la côte de confiance du candidat est en chute libre », etc. Autant de formulations, souvent à l’em­porte-pièce et avec ce qu’il faut d’exagération et de dramaturgie pour attirer l’œil et le public, mais qui rappellent que les médias peuvent construire des données dont les variations suffisent à induire des processus d’événemen- talisation, au-delà de toute action constatée sur le terrain. On a clairement à faire parfois dans ces situations, à des pseudo-événements, l’artificialité de l’indicateur produit faisant corps avec les enseignements excessifs qui en sont tirés et l’exploitation événementielle qui peut en être tirée.

  • 1 Pierre Bourdieu, « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », a (...)

10Les mécanismes institutionnels et le tempo médiatique trouvent aussi des points de rencontre, lors par exemple des questions hebdomadaires des parlementaires au gouvernement, diffusées en direct à la télévision publique. L’exposition audiovisuelle donne aux orateurs de tous bords une opportunité de se mettre en valeur, en chahutant un ministre par exemple. La vie politique s’agite donc, sous la pression des médias ou parce que les médias sont là pour donner à voir. Or, comme l’a bien souligné Pierre Bourdieu, « les hommes politiques sont en représentation, agissent pour être vus agissant »1. Les conditions sont alors réunies pour agiter la vie politique. Les médias cherchent à créer l’événement ou à événementaliser un fait dans des proportions qui ne semblent pas toujours justifiées.

11Cette pression peut devenir un facteur d’ingouvernabilité, auquel les hommes politiques se sentent dans l’obligation de répondre par des déclarations ou des actions spectaculaires immédiates, comme l’a fait Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur puis président de la République. Le président Sarkozy peut être considéré comme la quintessence de l’homme politique qui pense qu’il faut capter l’attention des médias quasiment tous les jours, via la multiplication d’actions de terrain, de coups spectaculaires, de déclarations fracassantes, de révélations intimes, etc. C’est ce qu’écrit avec force Éric Maigret à propos de l’ancien locataire de l’Élysée : « Il est un leader de la troisième vague télévisuelle, après les leaders télégéniques, qui passaient bien dans les médias, s’adaptaient à leur fonctionnement ; après les leaders stratèges, utilisant directement les médias, en amont de leur politique, en visant parfois la manipulation. Sarkozy va au-delà de Blair et de Berlusconi : il n’est pas seulement bon dans les médias, il est devenu un média à lui tout seul, qui plus est un média grand public. Il propose, émet, agit et commente. À droite, au centre, à gauche et ailleurs, tiraillé entre plusieurs significations mais toujours présent » (Maigret, 2008, 14-15). Voilà pourquoi l’auteur parle d’hyperprésident, défini comme « une forme avancée de fusion entre communication et politique ».

12Jean-Gustave Padioleau propose la notion de « popularisme », dans lequel, dit-il, Berlusconi excelle pour appréhender cette nouvelle posture politique adaptée au tempo médiatique. « Le popularisme est une forme générale de l’action politique [...]. Mettre en scène l’agir suffit au popularisme. Impressionner, frapper, décider deviennent des preuves manifestes de l’efficacité. La production d’effets substantiels s’efface devant l’impératif de séduction [...]. Le popularisme manipule, à bon marché, les ressorts du consumérisme de satisfaction d’opinions. Il ne connaît que le tempo de l’urgence, de la vitesse et de l’immédiat. Il renvoie à plus tard les tests de l’action efficace ou, avec adresse, tente de les faire oublier. [...] La logique du popularisme est celle de la succession des « coups », coups d’éclat, coups de pub, coups politiques. Un coup chasse l’autre » (Padioleau, 2003, 103). L’action politique semble alors régie par une dynamique infernale, où le temps du gouvernement se cale sur le rythme effréné des campagnes électorales. Chaque coup étant présenté comme un événement, ce que les médias acceptent plus ou moins, en fonction des contextes.

13Dans un univers médiatique marqué par ce tempo d’accélération, par l’attention portée aux apparences, par la pression exacerbée puis retombante des médias, la sphère politique peut être tentée de s’adapter à ces demandes médiatiques en se calant sur ses exigences, par des artifices qui visent deux objectifs : faire croire qu’on fait quelque chose (effet d’annonce) et habiller astucieusement les mesures prises pour leur donner plus de visibilité, plus de force apparente (effet d’emballage). La pression médiatique engendre logiquement des « réponses » politico-médiatiques, où l’événement est parfois créé plus par une annonce que par une action. L’ancien Premier ministre Michel Rocard s’en plaignit amèrement. Ainsi, « la décision de créer un ministre de la Ville a été uniquement prise pour des raisons de pure symbolique et de médiatisation » (interview à Télérama, 15 novembre 1995), surtout si on se souvient que Bernard Tapie en fut le premier titulaire. Et c’est bien dans cette logique que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur avait conçu sa politique de lutte contre l’insécurité, en la réduisant à une politique du chiffre (Mucchielli, 2008), sous forme de baromètre mensuel de performance, lui permettant de distribuer des bons points et des admonestations aux préfets et aux policiers. Qu’importe si la mise en place d’un tel indicateur a produit une artificialisation des données, en encourageant les forces de l’ordre à agir en fonction des chiffres et non en fonction de l’insécurité réelle, à faire du contrôle routier ou de la fouille d’étudiant, en quête de cannabis, plutôt que patrouiller ou enquêter sur des cas compliqués et graves. Car si un délit est constaté, l’affaire est un flagrant délit, donc le taux d’élucidation global s’accroît. Outre la gestion de son image de premier flic de France efficace, cette technique est une réponse adaptée aux exigences médiatiques modernes, en quête de données chiffrées apparemment objectives, que l’on insère dans des palmarès, des baromètres publiés régulièrement. La publication des chiffres mensuels fait ainsi événement, ils sont disséqués, commentés, comparés. Les hommes politiques ont donc adapté leur style de gouvernance à ces contraintes médiatiques, et font des coups, montent des opérations de communication, cherchent à faire l’événement, en attirant pour cela l’attention des médias. Bien des décisions se réduisent alors à des effets d’annonce ou d’emballage en déconnexion des réalités du traitement sur le fond des problèmes posés.

Le tempo de l’urgence absolue

14Enfin, l’arrivée massive des chaînes d’information en continu, des sites d’information et des réseaux socionumériques pour commenter en direct permanent l’actualité, induit une nouvelle accélération de la temporalité politique, celle de l’urgence permanente. On réagit à chaud, sans recul et souvent sans assez de discernement. L’émotion l’emporte. On le voit avec le président Trump, et c’était déjà le cas avec Hugo Chavez au Venezuela, où l’impulsivité des messages publiés sur Twitter devient le chronorythme de l’action présidentielle. On annonce des décisions sur Twitter, sans filtre journalistique, sans travail préparatoire par les communicants. Hugo Chavez alla jusqu’à annoncer par un tweet le limogeage d’un de ses ministres, y compris au premier intéressé. On fait part sans relais et sans délais de ses humeurs (y compris ou surtout de ses sautes d’humeur) via un tweet, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Dès lors, la cohérence de l’action publique s’entoure d’un halo brumeux, les lignes directrices semblant aussi fluctuantes que les états d’âme. Il est de bon ton de railler la versatilité, la futilité, voire la supposée folie de Donald Trump. Mais sa façon de faire de la politique n’est pas que le signe de son idiosyncrasie personnelle, voire de sa névrose. Elle dit quelque chose de notre époque où les médias n’ont plus le monopole de la sélection des faits et de ce qui doit être considéré comme faisant événement. Elle dit l’accélération du tempo politique vers un état d’urgence absolue, d’hyperactualisation du présent, où l’héritage du passé semble un boulet dont il est urgent de se débarrasser, et où le futur ne semble acceptable que s’il n’obère rien de la jouissance du temps présent. On le voit dans la façon dont Donald Trump et ses électeurs rejettent l’idée de « droit des générations futures » (chère au philosophe Hans Jonas) au sujet d’une approche durable du développement et une modération de l’exploitation des ressources terrestres.

15Dans un tel contexte, la parole forte, le propos provocateur est là pour retenir l’attention voire pour faire événement. L’ensemble des acteurs politiques et des médias se sent obligé de réagir, de s’indigner ou d’approuver bruyamment, de rétablir des vérités ou de corroborer le propos. L’événement devient la déclaration et les faits qu’elle met en cause. La pratique du communiqué de presse donnait aux médias une responsabilité de tri : diffuser ou pas le communiqué, en faire état un peu, beaucoup ou pas du tout. A ce jeu, les médias savaient qu’ils pouvaient être instrumentalisés et pouvaient décider d’amoindrir le retentissement attendu d’un propos, lui empêchant ainsi de faire l’événement. Le rapport des choses est désormais inversé. Le président Twitter s’adresse directement à des millions d’abonnés, sans filtre, et sait pouvoir compter sur leur relai pour propager le tweet initial. Dès lors les médias n’exercent plus de filtrage et savent qu’une posture de silence est démonétisée, le propos faisant le « buzz » même sans eux, et cela devient un « tweet stratégique » (Frame, Brachotte, 2015). Pris au piège de la situation, les médias n’ont plus d’autre choix que de parler du message qui fait scandale, du message de rupture et de le consacrer ainsi comme faisant événement. En est l’illustration, la brève déclaration sur Facebook et Twitter d’Emmanuel Macron déplorant le 1er juin 2017 la sortie américaine de l’accord de Paris sur le climat, s’achevant par la pique contre Trump : « make our planet great again ». Les mots du président français mais aussi voire surtout le buzz mondial de son discours sont devenus l’événement.

16Une autre caractéristique de cette temporalité de l’urgence dans le jeu politique concerne l’hystérisation de la compétition politique, au sens de comportements empreints « d’une grande nervosité, d’une exaltation exagérée » nous dit le Trésor de la langue française. Prenons pour exemple la grave crise entre Jean-François Copé et François Fillon autour des résultats du vote des adhérents de l’UMP en novembre 2012, pour désigner le président du parti. La lutte pour le décompte des suffrages exprimés s’est apparentée à une course de vitesse pour désigner le vainqueur dans une phase de flottement et d’incertitude. Sitôt l’initiative prise par J.F. Copé de s’autoproclamer vainqueur, après 23h, le candidat Fillon a réagi en dix minutes pour se proclamer vainqueur à son tour. La lutte d’influence entre les deux postulants a viré au pugilat médiatique car les technologies de l’urgence ont fait leur œuvre. Les caméras des chaînes d’information en continu avivaient les passions, puisque chaque équipe de campagne était sommée de prendre position. Sur les plateaux, le soir même et le lendemain, on voyait les représentants de chaque camp réagir à chaud aux déclarations des uns et des autres, aux tweets d’un « adversaire » que le journaliste scannait de son œil avisé en direct sur son smartphone posé sur la table et republié aussitôt à l’antenne. Parfois le mouvement avançait à sens inverse : un invité sur le plateau, par ses propos, générait des réactions hostiles sous forme de tweet ou de post Facebook et le journaliste vigilant arrivait parfois à demander à son invité sur le plateau de commenter le commentaire qu’on venait de faire sur lui. Dans un tel climat d’effervescence et d’agitation, le calcul et le recul devinrent les grands perdants, au profit de l’impulsivité, de l’énervement, de la réaction à chaud, avec toujours un micro sous le nez pour se défouler ou, à défaut, un réseau numérique personnel. Rappelons à ce propos l’adage adapté à l’heure numérique par Valérie Trierweiler à propos du missile adressé à sa rivale Ségolène Royal en 2012 via son célèbre tweet de soutien à son adversaire socialiste de la Rochelle : « la prochaine fois, je tournerai sept fois mon pouce avant de twitter ». Face à l’effet de déflagration de son petit message, fragilisant jusqu’à la position du président de la République en train de prendre ses marques, chacun a pu prendre conscience qu’un message émis sur un compte personnel pouvait devenir non seulement viral mais aussi recueillir un écho médiatique majeur et faire événement. Il est gravé aujourd’hui encore dans toutes les mémoires. Il a acquis le statut de cas limite à l’aune duquel les commentateurs jugent d’autres tweets politiques faisant le buzz. L’indignation à fleur de peau, le plaisir de décocher un mot vachard, l’emballement pulsionnel réactif, sont autant de moteurs psychologiques pour écrire sur les réseaux socionumériques. Le personnel politique comme les autres internautes. Du moins dans les premiers temps de ces réseaux, car on assiste déjà pour la majorité des politiciens à un certain polissage des propos, la professionnalisation de la communication étant par là aussi. Sauf chez Donald Trump bien sûr, ou chez le président Duterte aux Philippines.

Internet : le théâtre de formes nouvelles d’événements

  • 2 Akoun, André, « La communication démocratique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 94, j (...)

17Dans le schéma traditionnel de la démocratie de masse, la relation du peuple à lui-même et celle des citoyens aux élus et professionnels de la politique, a besoin d’un tiers médiateur appelé la presse. Puisque la société démocratique moderne s’origine contre des régimes reposant sur un fondement transcendant, pour privilégier la souveraineté du peuple, « l’être-ensemble ne peut avoir d’autre légitimité que la communication entre sujets définis originairement comme “libres”. C’est dans le dialogue, dans l’argumentation que devra se former la règle commune »2. De plus, la presse apparaît comme le rouage indispensable du contrôle politique sur les élus du peuple, par le peuple. La naissance de la presse politique révolutionnaire se justifia par un idéal de contrôle public de ce qui se disait dans l’hémicycle. Les premiers journaux vraiment quotidiens paraissent en France au moment des Etats généraux, pour en assurer le compte rendu auprès du public qui ne peut y assister. Alors que le pouvoir royal exerce encore une censure importante sur les feuilles imprimées qui sont publiées avant la réunion des Etats généraux, et qu’il interdit dans un premier temps la publicité des débats, le 19 mai 1789, il est contraint de reculer et de tolérer l’existence de cette presse de compte rendu, dont les députés font un des premiers enjeux des débats.

  • 3 Méthode destinée à écrire aussi vite que la parole, grâce à plusieurs scribes qui ne notent chacu (...)
  • 4 Manin, Bernard, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

18Dans l’Assemblée nationale proclamée, des places sont réservées aux journalistes qui prennent en logographie3 les comptes rendus des séances. On doit à Bernard Maret, la mise en œuvre de cette technique qui lui permit de publier à partir du 12 septembre 1789 le Bulletin de l’Assemblée nationale. Prémices en quelque sorte du Journal Officiel des débats parlementaires. Il imposa une forme nouvelle d’écriture, soulignant les moments dramatiques, imposant les dialogues, en mettant le nom des orateurs en en-tête, pour bien distinguer les auteurs des propos rapportés. Bernard Manin distinguant trois temps dans l’histoire moderne de la représentation, a voulu montrer qu’après le modèle parlementariste, né avec la Révolution, sont apparues au XIXe siècle « la démocratie de parti », puis « la démocratie du public » à l’ère audiovisuelle4, où les médias sont présumés avoir un rôle majeur dans la médiation entre politiques et citoyens.

19Avec cette conception du rôle des médias, il est logique qu’ils soient les auteurs de révélations qui peuvent faire événement, ou qu’ils soient présents pour assurer la publicité à des faits qui font événement dans la société, quand ils ne deviennent pas, par leur impact de masse, les vecteurs d’une événementalisation, assumant le fait de construire comme un événement un fait social, grâce au poids des images et à leur force narrative. Or l’avènement de l’internet et son adoption massive par les citoyens change la donne, dès lors que cela en fait un puissant outil de désintermédiation journalistique.

20En effet, chacun peut sur internet devenir producteur, à un coût quasi nul, de données et d’opinions dont le libre accès les rend potentiellement publics. Un écosystème d’information autonome peut même se mettre en place, la promotion de ce qui a été créé et mis en ligne par les internautes et pour les internautes suffisant à donner de la visibilité et à devenir un phénomène socialement partagé. On voit par exemple que l’industrie musicale a connu une importante évolution avec l’arrivée sur le marché de la création de compositeurs et d’interprètes qui ne passent pas par les fourches caudines des industries phonographiques mais qui préfèrent s’exposer d’abord en ligne et comptent sur la viralité du bouche à oreille numérique pour gagner en visibilité et en réputation. Un cas emblématique est le succès de ce chanteur inconnu de K Pop, le Coréen Psy, qui avec son clip mis sur You Tube a fait l’événement, mondial, en 2012-13, puisque Gangnam Style a dépassé assez vite le milliard de vues (il a dépassé aujourd’hui les 2,7 milliards). Les médias ont bien été obligés de s’intéresser à ce phénomène viral, lui assurant, passé un certain cap, une visibilité nouvelle et renforçant encore le nombre de vues par l’effet publicitaire classique des médias.

Nouvelles ressources, nouveaux acteurs pour l’événementalisation

  • 5 Éric Darras, « La force supposée des hard news », Les Nouveaux Dossiers de l'Audiovisuel, n° 10, (...)

21La lecture événementielle d’un fait dépend parfois de l’existence d’acteurs à même de se mobiliser et de construire une cause ou, au contraire, à ne pas faire advenir des événements. Les médias sont traditionnellement un adjuvant puissant, comme l’a montré Guillaume Garcia (2013) dans son analyse de la défense de cause des « sans », les sans papier, les sans logis, tous ces individus qui ne bénéficient par essence d’aucun capital social et économique pour faire avancer leurs causes. Néanmoins, ils ont bien intégré que les médias pouvaient les servir dès lors que des opérations spectaculaires (comme des occupations d’espaces publics ou symboliques) attiraient l’attention des journalistes et leur donnaient de la visibilité. Visibilité permettant de pouvoir se brancher avec des entrepreneurs généralistes de cause que sont les partis, les associations ou les syndicats, et/ou de faire accéder leurs revendications à l’agenda gouvernemental. Mais, il faut rappeler, comme le fait finement Eric Darras, que les acteurs sociaux sont inégaux dans la lutte pour l’accès à une visibilité sociale et/ou médiatique. « Dans leurs rapports (de force) avec le champ journalistique, les porteurs des causes les plus désespérées, demeurent inaudibles, parce que la surface sociale des victimes reste insignifiante, c’est-à-dire non médiatiquement significative (enfants du tiers-monde, personnes âgées ou travailleurs immigrés) »5.

22Or les outils numériques sont de puissantes ressources pour favoriser des mobilisations, des connexions et des coordinations entre individus, pour permettre d’avoir accès à une forme de publicité sans passer par la médiation des journalistes. La politique par le bas est renouvelée, car les nouvelles technologies favorisent la diffusion ultra-rapide d’informations (mais aussi de rumeurs) et elles aident les formes protestataires de mobilisation à se mettre en œuvre, comme on l’a vu dans des mouvements comme Los indignados, en Espagne, Occupy Wall Street aux Etats-Unis, ou encore, à un degré moindre, le mouvement Nuit debout en France. Les sollicitations de pétition sur des sites dédiés se multiplient ; chaque citoyen peut recevoir par courriel, un appel à manifestation, à boycott, une dénonciation et avoir l’impression d’agir en se contentant d’en faire profiter leur carnet d’adresses. Ajoutons que les formes de militantisme observables en ligne relèvent en partie d’une autre logique que les actions collectives traditionnelles. Lance Bennett parle alors de connective actions (Bennett, Segerberg, 2012). Les auteurs insistent sur le poids désormais, dans nos sociétés individualistes de masse, des « orientations politiques individualisées qui se traduisent par un engagement politique comme une expression personnelle d’espoirs, de modes de vie, ou de griefs » (id., 743). Les logiques affinitaires semblent alors aussi fortes que les logiques d’appartenance sociale ou militante préalables pour adhérer à un mouvement. Un fait d’actualité peut devenir un vecteur d’une mobilisation en ligne au point de faire événement.

23Lors de la campagne des municipales françaises, en 2014, un cas illustre la manière dont l’internet ouvre de nouvelles perspectives. Une candidate désignée du Front national à Nevers fait l’objet par ses adversaires d’une étude de son compte Facebook à la recherche d’éléments douteux. Un internaute vigilant va dénicher une photo d’elle, dans sa cuisine, remarquant qu’on devine accroché au mur un drapeau nazi et d’autres signes très litigieux. La polémique se déclenche sur Twitter et Facebook, les internautes demandent au FN de destituer sa candidate. Il va finir par le faire, surtout qu’initiée en ligne, cette polémique ve devenir plus visible encore par sa médiatisation. Le scandale qui fait événement s’est donc déroulé largement en ligne, les médias généralistes n’arrivant qu’après le déclenchement. Dans la même veine, le pouvoir de surveillance citoyenne et donc l’aptitude à faire événement en soulevant des scandales, est illustré par la façon dont le site YouTube a pu contribuer à influencer des électeurs, en 2006, lorsque le candidat sénatorial républicain, en Virginie, le sortant George Allen, a perdu une élection qui semblait gagnée d’avance, suite au visionnage à grande échelle d’une vidéo amateur le concernant. Son adversaire démocrate, Jim Webb avait mandaté des militants pour filmer les petites réunions publiques de G. Allen. Il a alors traité de « macaque » un jeune Américain d’origine indienne qui tournait une vidéo d’un de ses discours, provoquant l’hilarité de ses partisans, tout aussi racistes que lui. Pareille attitude, filmée, a fait l’objet d’un montage et d’une circulation virale qui a déclenché une vive polémique, aboutissant à la défaire électorale d’un candidat sortant que tout désignait comme réélu à coup sûr.

24Twitter offre aussi un bon moyen de créer des communautés de partage, y compris celles qui ne sont reliées que provisoirement par un hashtag, en tant qu’outil de coordination servant à construire un fil conversationnel critique, sur un thème précis, souvent polémique. Ce mot-clé relie ensemble des individus qui ne se connaissent pas, qui ne se suivent pas forcément les uns les autres. C’est la force de cet outil de coordination sociale que d’établir des ponts entre des gens qui s’ignorent. « Chaque utilisateur participant à une conversation forgée par un hashtag possède le potentiel d’agir comme un pont entre la communauté hashtag et de son propre réseau de followers » (Bruns, Burgess, 2011). Il existe donc des situations sociales où le hashtag permet de construire ce que ces auteurs nomment « des publics ad hoc ». Indignations, attaques tactiques ou dénonciations deviennent les ressorts constitutifs de ces groupes qui entrent en lutte et sont à même de peser collectivement pour faire événement ou pour proposer une lecture événementalielle d’un fait. On voit aussi comment Donald Trump a la tentation quotidienne de frapper les esprits, de faire scandale, par des tweets rageurs ou agressifs et qui sont susceptibles d’être déclencheur d’un événement, comme par exemple lorsqu’il fit état d’un appel reçu de la présidente de Taïwan et qu’il évoqua ensuite l’existence de deux Chine, au risque de provoquer le courroux de la Chine continentale, l’émoi du corps diplomatique et de certains congressistes américains. Deux tweets suffirent à déclencher une polémique qui fut traité comme un événement politique par les médias car ils semblaient rompre avec plus de 60 ans de ligne diplomatique américaine.

25Notons aussi que les campagnes électorales de ces deux dernières années ont vu se propager de nombreuses fausses nouvelles (popularisées sous le label de fake news) qui ont pu finir par avoir des incidences sur les choix des électeurs, comme par exemple le message posté sur Facebook au moment de la campagne américaine selon lequel le Pape François appelait à voter pour Donald Trump. L’histoire a été publiée à l’origine par un site appelé WTOE5.News avant d’être repris par un éditeur populaire de fausses nouvelles : Ending the Fed. La viralité entre particuliers a fait le reste. Le 8 novembre 2016, au moment du vote, cette histoire fausse, que le Pape avait été obligé de démentir le 2 octobre, avait recueilli 960 000 likes sur Facebook, selon le décompte de Buzzfeed6. Le lien entre information, médias et événements politiques est donc aussi transformé par ce phénomène. En effet, la désintermédiation journalistique à laquelle on assiste, la floraison de supports de publication (blog, pages Facebook, sites.) dont les codes éditoriaux singent ceux du journalisme professionnel, fait que des données mises en circulation sur internet, présentées comme des informations (au sens journalistique) sont en fait des ragots, des rumeurs ou des mensonges éhontés, mais ils acquièrent un statut d’information. apparente mais pourtant bien réelle aux yeux de dizaines voire centaines de milliers de personnes.

26Ces supports peuvent avoir gagner en crédibilité et sembler fiables. C’est le cas du célèbre Wikileaks, dont l’influence sur le travail de sape en 2016 de l’image d’Hilary Clinton est avérée, puisqu’il a publié les échanges de courriels de son directeur de campagne pour lui nuire. Il n’est pas certain que les médias traditionnels eussent publié ces courriels à cause du caractère de viol de la correspondance privée. Ces nouveaux opérateurs dans le circuit de l’information le font sans réserve et donc contribuent à élargir le spectre des événements scandaleux possibles. On peut dire la même chose de la saisie du politique par des magazines people. La révélation par Closer des photos de F. Hollande se rendant en scooter chez sa maîtresse en étant un exemple édifiant. Mais même pour des sites sans réputation de crédibilité, la mise en ligne d’assertions présentées comme des faits réels peut désormais avoir assez de valeur pour déclencher un événement, d’autant plus que les visées sont manipulatrices tout en étant assez bien cachées. Et souvenons-nous à cet égard, que la révélation en 1998 du scandale des relations sexuelles de Bill Clinton avec une stagiaire de la Maison Blanche, Monica Lewinsky, fut le fait du blog crapoteux The Drudge Report.

27Autre phénomène à évoquer, celui dit du « crowdsourcing ». Il s’agit du cas où les médias trouvent des informations et/ou des témoignages sur des faits à l’aide des comptes ou blogs d’internautes. Tous les cas de figure sont possibles. Celui ou les faits sont mieux couverts, car avec des amateurs disposant d’un outil de captation d’images miniature (caméras de poche, appareil photo numérique, smartphone) les rédactions peuvent espérer avoir partout des images ou des images plus immédiates, plus percutantes, par des gens témoins et qui ont pris l’habitude de photographier ou filmer ce qu’ils voient de non ordinaire. L’événementalisation d’un fait sera rendue plus facile grâce à la capacité de faire image, donc de montrer concrètement ce qui se passe, dans sa crudité au besoin. Les attaques et crimes, les injustices, dès lors que des images attestent de leur réalité, sont plus susceptibles de faire événement. Au Maroc, en 2016, la mort dans une benne à ordure d’un marchand de rue, avec des images prises par des particuliers de ce corps broyé, a déclenché une vague d’indignation et de colère populaire dans les rues du royaume. Le fait divers est passé au rang de fait politique, et même à l’événement politique grâce à la libre circulation de quelques images du cadavre.

28Au rang de ces images amateurs qui dérangent et peuvent être l’objet d’une événementalisation, on compte nombre de prises de vue de violences policières faites aux Noirs américains et qui viennent mettre à mal les versions officielles, plus ou moins tronquées, plus ou moins truquées. Cette évolution remonte à 1991 avec l’affaire Rodney King à Los Angeles. Un voisin avait filmé des policiers blancs en train de rouer de coups un automobiliste noir lors d’une interpellation. Ces images amateurs étaient passées en boucle sur les télévisions du monde entier et leur répercussion politique et judiciaire fut très large. Plus près de nous, on peut citer le cas d’Eric Garner qui est mort étouffé le 17 juillet 2014, au cours d’une interpellation musclée de la police de New York, alors que dans une vidéo amateur devenue virale, on le voyait plaqué au sol répétant : « je ne peux pas respirer ». Les réseaux socionumériques ajoutent une part d’émotion instantanée plus grande encore. Comme en juillet 2016 où un homme de 32 ans a été tué dans la banlieue de Minneapolis par un policier au cours d’un contrôle routier banal. Une femme présente dans la voiture, a diffusé en direct des images de l’homme agonisant, sur Facebook Live. Et à la vitre, on voit un policier pointant son arme en direction des passagers ne portant aucun secours à l’agonisant. Cette vidéo à forte charge émotive, a été rapidement vue plus de deux millions de fois. Ici, un cran supplémentaire est franchi, puisque l’information produite par des amateurs devient une information diffusée en direct, ce qui renforce les effets de réaction pulsionnelle. Il faut dire que les indices énonciatifs réagencent la relation victimes / spectateurs puisque une partie des informations qui circulent sont tournées par les victimes ou leurs proches et que la charge d’identification du spectateur s’en trouve décuplée. C’était le cas lors du Tsunami de 2004 en Thaïlande et Indonésie ou l’effet événement a été d’autant plus grand que de nombreuses images tournées par celles qui allaient devenir des victimes, contribuèrent à la fois à multiplier et à dramatiser les témoignages sur la catastrophe. « Elles attestent puissamment de ce qui s’est passé car elles sont les seules à pouvoir le montrer. [.] Elles sont ainsi, non seulement la trace d’un objet mais aussi celles d’un instant, moment unique d’un surgissement, irruption impensable de l’imprévisible devant des regards incrédules » (Arquembourg, 2011, 129).

Essai de typologie des événements politiques médiatico- numériques

29L’événementalisation par les médias se comprend comme la combinatoire de caractéristiques faisant coïncider les valeurs portées par un fait social, avec l’action décisive d’entrepreneurs d’événementalisation, et les grilles d’appréhension du monde des journalistes qui octroient de la valeur à certains faits plus qu’à d’autres, le tout dans un contexte socio-historique favorable. Le phénomène couvert doit être dramatique, spectaculaire, particulièrement illustratif et perçu comme introduisant une rupture. Il doit permettre de mobiliser les catégories de jugement des journalistes, autorisant des interprétations fondées sur des schémas canoniques, comme ceux des valeurs démocratiques (la chute d’un régime dictatorial est un événement international), des bons sentiments (l’œcuménisme, la fraternité universelle, le pacifisme...), de la fatalité humaine (les catastrophes naturelles), ou du dépassement de l’homme (l’exploit technologique ou sportif par exemple).

  • 7 Pour une application du concept à l'analyse d'un événement précis, cf. Mercier A., « Comprendre l (...)

30C’est le sens de la notion de newsworthiness créée par Galtung et Ruge en 1965, à propos des informations de politique étrangère. Les inventeurs de ce concept ont dégagé 12 critères donnant une valeur journalistique potentielle à un fait. La probabilité qu’une occurrence (quelque chose qui survient) fasse l’objet d’une appropriation journalistique et d’une couverture large et partagée, voire d’une événementalisation, dépend de l’intensité de ces « valeurs informatives », de l’ampleur de leur accumulation et de leur équilibre. Ces caractéristiques d’origine sont les suivantes : la fréquence ; l’inattendu ; la négativité ; la conflictualité ; la « meaningfullness » (l’aptitude à faire sens) ; la non ambiguïté ; la référence à l’élite des nations ; la référence aux élites ; la personnalisation ; la consonance médiatique ; la continuité médiatique ; la compétition des faits. En 2001, Harcup et O’Neill ont proposé une relecture de ces critères pour les redéfinir selon une liste de 10 items, en proposant des regroupements de critères initiaux excessivement subdivisés, et en intégrant l’évolution du système médiatique et de certaines de ses tendances lourdes liées à la montée en puissance du pouvoir de l’image et des médias audiovisuels. Cette nouvelle définition des principales « valeurs informatives » aboutit à la liste suivante : le pouvoir des élites ; la célébrité ; le divertissement ; la surprise, la négativité ; les nouvelles positives ; l’ampleur perçue (« magnitude ») ; la pertinence pour l’audience (« relevance ») ; le suivi médiatique ; l’agenda médiatique7.

31Nous avons en 2006 dégagé quatre circuits, illustrant les chaînes d’interaction conduisant ou non à l’émergence d’un événement, afin de souligner la complexité des liens entre événement et médias et de refuser les analyses trop simplistes qui sont trop souvent mises en avant.

  • le pseudo événement (Daniel Boorstin, 1961) : un artefact, fabriqué selon les techniques du marketing, utilisant toutes les ressources de mise en scène et mise en récit existantes, est servi aux médias dans l’espoir que les journalistes le valideront et donc le traiteront comme un événement ;

  • le non événement : la proportion de publics sensibilisés et/ou de médias intéressés à l’enjeu est si faible que le phénomène reste largement non relayé, ignoré et ne devient donc pas un événement social, même s’il en possédait nombre de caractéristiques ;

  • l’événement par les publics : des acteurs interprétant un phénomène bien réel comme événement, trouvent des publics comme relais, par des canaux de diffusion propres, dont la plupart sont aujourd’hui numériques (pétitions électroniques, blog ou site Internet, mailing, comptes de réseaux socionumériques...), et finissent par sensibiliser des journalistes à leur cause, élargissant le potentiel des publics touchés et se sentant concernés, et donc amplifiant la reconnaissance sociale du phénomène comme événement. Les technologies numériques deviennent un précieux outillage pour accroître la performance d’une action de construction de cause et de sensibilisation visant à accéder à l’espace public médiatique et donc au jeu politique ;

  • l’événement par les médias : une campagne de communication efficace d’acteurs sociaux auprès de journalistes ; l’implication particulière d’un média par son travail d’investigation ou ses liens privilégiés avec un acteur social ; l’anticipation des attentes supposées des publics, font des médias le support privilégié de mise au jour d’un phénomène aussitôt interprété comme un événement, lecture que les publics peuvent accepter et s’approprier, amplifiant du coup l’événement. Et bien sûr la présence des productions médiatiques en ligne accroît encore leur capacité de diffusion et donc de mise en visibilité de leurs récits.

32Les évolutions constatées depuis dix ans nous conduisent à compléter cette typologie en intégrant ces outils numériques à notre typologie initiale mais aussi en y ajoutant un cas de figure.

  • l’événement viral sur le web : les internautes s’informant et se suivant les uns les autres, ils n’ont plus forcément besoin de la médiation des journalistes pour découvrir des faits. Mieux même, chacun peut devenir l’informateur des autres, par le partage et le commentaire (Mercier, Pignard-Cheynel, 2018). L’univers du web peut alors se vivre comme un écosystème informationnel autonome qui produit « ses » événements, avec des logiques propres qui ne sont pas forcément en phase avec les valeurs informatives de la newsworthiness journalistique. On trouvera une forte proportion de la valorisation des productions des sans grade, de ceux qui ne font pas partie des élites, qui n’ont pas accès aux médias. On trouvera également des faits « alternatifs », contestataires, qui font événement car justement ils s’opposent à ce qui se dit et circule dans les médias (thèses complotistes, faits déformés). La posture liée à la culture LOL, à cette idée qu’il ne faut jamais trop se prendre au sérieux sur les réseaux socionumériques peut devenir également un critère d’événementalisation.

Conclusion

33En matière politique, la mécanique de l’événementalisation s’est donc complexifiée et enrichie de nouveaux outils et de nouvelles logiques sociales. Il ne faut pas y voir une révolution définitive, enterrant, une fois pour toute, les logiques anciennes. L’affaire des emplois d’assistants parlementaires familiaux présumés fictifs de François Fillon est là pour nous le rappeler. C’est un hebdomadaire centenaire, publié exclusivement sur papier journal, qui ne met aucun de ses articles en ligne, peu actif sur les réseaux socionumériques, qui a sorti les données mettant en cause la probité du candidat issu des primaires de la droite. C’est un magazine d’information télévisé qui en a remis une couche en exhumant une interview vidéo de Pénelope Fillon donnée en 2007 à une consœur britannique. C’est encore le Canard enchaîné qui publie le 3 octobre 2018 le fac similé d’un fichier Excel fichant les responsables du syndicat FO d’une manière insultante et arbitraire, obligeant son Secrétaire général Pascal Pavageau à démissionner moins de sept mois après son élection. Qu’à l’ère des réseaux socionumériques la polémique ait pris de l’ampleur, que la parole se soit libérée pour le critiquer sévèrement (ou pour critiquer l’acharnement de la presse, du reste) cela ne fait aucun doute. Mais les journalistes ont fait événement sur du papier ou sur un écran de télévision.

34Ce qui est certain en revanche, c’est que les logiques d’événementalisation se sont en quelque sorte démocratisées et dans certains autonomisées du contrôle journalistique, au point de rompre avec les principes fondateurs du métier : la vérification des faits et la sincérité des énoncés exposés comme étant vrais. Un univers parallèle à celui des médias cohabite avec lui. Des exposés de faits y circulent librement, posés comme alternatifs à tous les sens du terme : car relevant d’un agenda alternatif (on n’en parle pas ou peu dans les principaux médias grand public), car exposés de manière alternative (les mises en scène et en récit peuvent différer des canons de la présentation journalistique), car relevant d’une vision du monde et d’un rapport au monde alternatifs, où l’opinion personnelle et la volonté de convaincre les autres se débarrassent des principes rationalistes et journalistiques de vérification, recoupement, de crédibilité, pour créer des événements à partir de faits supposés, déformés, mensongers. L’événement politique se mue dès lors dans un univers singulier où la lutte dominante n’est plus entre médiatiser et événementaliser un fait pour qu’il soit perçu de tous pour ce qu’il est et ceux qui cherchent à faire taire les médias et à dégonfler le processus d’événementalisation en minimisant et dissimulant les faits.

35La lutte qui tend à devenir la plus lourde de sens, oppose plutôt les tenants d’une événementalisation reposant sur la publicisation de faits exemplaires et attestés via les médias et ceux qui utilisent des supports numériques alternatifs pour construire d’autres événements à partir de faits douteux, de fausses données, en retournant l’accusation contre les médias. Ce sont les médias qui ne répercutent pas ces faits, qui refusent de leur octroyer la valeur d’événement qui sont fautifs, manipulateurs, pour tout dire : coupables. C’est l’idée popularisée sous l’appellation fourre-tout de « post vérité », alors même que le mensonge a toujours fait partie de la vie politique, comme Nicolas Machiavel a su si bien le décrire dès le début du XVIIe siècle dans Le Prince. Dans cette logique nouvelle, non seulement ce ne sont pas les médias qui font l’événement, mais c’est ce qui ne fait pas l’objet de l’attention des médias qui mériterait de faire événement. Parce que ce silence serait la preuve qu’ils ont quelque chose à cacher, qu’ils sont en collusion avec le monde politique démocratique, celui qu’il faut chasser du pouvoir pour mettre en place une « vraie alternance », celle capable de déceler et de célébrer les faits. alternatifs.

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Notes

1 Pierre Bourdieu, « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », arss, février-mars 1981, n°36, 15.

2 Akoun, André, « La communication démocratique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 94, janvier- juin 1993, p. 66. Voir aussi Barbrook, Richard, Media freedom. The contradictions of communication in the Age of Modernity, Londres, Pluto Press, 1995.

3 Méthode destinée à écrire aussi vite que la parole, grâce à plusieurs scribes qui ne notent chacun qu'une partie préalablement définie du discours.

4 Manin, Bernard, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

5 Éric Darras, « La force supposée des hard news », Les Nouveaux Dossiers de l'Audiovisuel, n° 10, mai-juin 2006, 57.

6 >http://www.cnbc.com/2016/12/30/read-all-about-it-the-biggest-fake-news-stories-of-2016.html>.

7 Pour une application du concept à l'analyse d'un événement précis, cf. Mercier A., « Comprendre le traitement médiatique du ‘printemps arabe' à l'aune de la newsworthiness », in Guaaybess T., dir., Cadrages journalistiques des « révolutions arabes » dans le monde, Paris, L'Harmattan, 2015, p. 47-67.

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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Mercier, « La lecture événementielle des faits politiques : entre logiques journalistiques et (dés)intermédiation numérique »Sciences de la société, 102 | 2017, 32-51.

Référence électronique

Arnaud Mercier, « La lecture événementielle des faits politiques : entre logiques journalistiques et (dés)intermédiation numérique »Sciences de la société [En ligne], 102 | 2017, mis en ligne le 10 juillet 2019, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/6896 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.6896

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