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Le football communautaire : enquête dans les clubs alsaciens, France

Community football: investigation of football clubs in Alsace, France
El fútbol comunitario: estudio del caso de los clubes alsacianos, Francia
William Gasparini et Michel Koebel
p. 144-167

Résumés

La pratique sportive de loisir a permis à de nombreux migrants de s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil tout en préservant des réseaux de sociabilité communautaire. Phénomène minoritaire en France, le sport communautaire par origine ethnique ou nationale s’explique par un certain nombre de causes liées aux conditions sociales d’existence mais également aux discriminations et aux stratégies identitaires des clubs historiques locaux, qui peuvent également être interprétées comme des formes de repli communautaire. L’article propose d’interroger la pratique sportive des footballeurs originaires du Maghreb et de Turquie en Alsace afin de vérifier par la preuve si ces populations se regroupent ou non par origine. Première communauté immigrée en Alsace, la communauté turque fait l’objet d’une analyse approfondie.

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Texte intégral

1Tout au long du xxe siècle, la France a accueilli des travailleurs venus non seulement de ses colonies (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, continent asiatique), de ses départements et territoires d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Nouvelle-Calédonie) mais également de toute l’Europe élargie (Italie, Espagne, Portugal, Pologne notamment, puis Turquie). Nombre d’entre eux ont fréquenté les clubs sportifs de leur nouveau pays d’accueil. Riche de son histoire de terre d’immigration, la France est ainsi l’un des pays européens dans lequel on observe le plus grand nombre d’associations sportives métissées. Le football, parmi d’autres disciplines comme l’athlétisme ou la boxe, constitue ainsi l’un des lieux de visibilité de Français dont les exploits renvoient, d’une part, aux liens historiques entre une nation et ses anciennes colonies et, d’autre part, à la diversité du « creuset » national (Beaud, Noiriel, 1990 ; Gastaut, 2008 ; Boli, Gastaut, Grognet, 2010 ; Gasparini, 2008, 2010, 2016).

  • 1 Le terme de « métissage par le football » est fréquemment employé par des journalistes et essayiste (...)

2Historiquement et en général, ces clubs de football ont accueilli les immigrés sans difficulté – du moins pour les meilleurs d’entre eux – dans la mesure où ces sportifs partageaient avec leurs coéquipiers la volonté de concourir à la victoire sportive. Dès lors, le football apparaît à l’avant-garde d’un mouvement de nos sociétés. Après les victoires au Mondial 1998 puis à l’Euro 2000 d’une équipe de France « métissée »1, on pouvait dire à juste titre que la composition des équipes de France est l’histoire en raccourci d’un siècle d’immigration et la marque de la réussite de ses enfants. La victoire des Bleus d’alors revigore – certes de manière éphémère – tout un pays qui s’emballe derrière Zidane et son équipe « black-blanc-beur », sensée symboliser une France plus ouverte à la diversité et dépassant les clivages communautaires (Gasparini, 2008). Mais le mythe du sport intégrateur et de la France unie derrière son équipe ne va pas tarder à se lézarder. La Marseillaise sifflée en 2001 (en présence du premier ministre Lionel Jospin) lors de la rencontre amicale France-Algérie, la présence de Jean-Marie Le Pen et du fn au deuxième tour de la présidentielle de 2002, les émeutes urbaines dans les banlieues françaises en 2005 suite à la mort de deux adolescents dont les images tournant en boucle sur les chaînes internationales en sont des illustrations. Dans un contexte géopolitique et social tendu, le regard de l’opinion sur l’équipe de France « métissée » a changé. Le coup de grâce viendra de la grève des Bleus au Mondial de 2010 en Afrique du Sud. De héros de l’intégration, les joueurs de football issus de l’immigration sont devenus des « traîtres à la nation » (Beaud, 2011).

3Le « football spectacle » crée une caisse de résonance en donnant à voir une activité « intégrant » des populations minoritaires sans qu’aucune enquête ne vienne confirmer ce constat à une plus grande échelle et dans les sports de loisir. Les équipes de football professionnel « multiculturelles » sont-elles le reflet de la société et gomment-elles les fractures ethniques du monde du football amateur ?

4S’agissant d’étudier la fonction d’intégration du sport, nous devons être en garde plus que jamais contre les prénotions au sens de Durkheim, car la « diversité » dans le sport de haut niveau s’offre au regard du spectateur et du téléspectateur et influence ses représentations. La croyance en un sport intégrateur (Gasparini, 2008 ; Koebel, 2010) a d’autant plus d’efficacité que les sports populaires comme le football – mais également la boxe, le basket ou l’athlétisme – fournissent régulièrement des exemples individuels de réussite ou d’ascension sociale pour des jeunes adultes issus de l’immigration. Mais le lien social par le football peut également se réaliser à l’intérieur d’une « communauté » sur des bases nationale, ethnique ou religieuse. Ainsi l’histoire nous montre que ce sont des clubs communautaires qui en grande partie accueillent les immigrés (africains, polonais, italiens, algériens, turcs, etc.) par volonté de pratiquer entre soi et d’exprimer à travers le sport une identité nationale ou ethnique, mais également parce que les clubs « français » se montrent frileux pour intégrer ces sportifs immigrés. Les regroupements associatifs à base nationale ou ethnique dans le football amateur traduisent non seulement l’ambivalence de la construction identitaire des immigrés mais également l’effet des discriminations et du racisme ordinaire vécus sur les terrains de jeu.

  • 2 Pour précision, nous n’aborderons dans cet article que le fait sportif communautaire à partir des o (...)

5Faisant la part belle aux footballeurs professionnels qui ont réussi leur carrière, les archives et les études éclipsent cependant la pratique de masse des immigrés notamment dans le cadre du sport amateur et des associations sportives. Qu’elle soit communale, de quartier, d’entreprise ou communautaire, la pratique sportive de loisir a permis à de nombreux migrants, au-delà de la compétition, d’activer des réseaux de sociabilité communautaire. Quelle est alors la réalité actuelle de ce sport communautaire ? A la différence des recherches sur la question aux Etats-Unis ou dans les pays européens de tradition multiculturaliste, en France, les approches sociologiques du sport communautaire sont plus tardives. En effet, au Royaume Uni tout comme dans les pays nordiques, puis en Allemagne, parallèlement à la participation des joueurs d’origine étrangère dans les équipes de haut niveau, on observe un développement des clubs communautaires dans le football amateur, souvent qualifiés de clubs « ethniques » (Gasparini, Weiss, 2008). Les politiques multiculturalistes de ces pays créent les conditions tant d’une présence sportive communautaire que d’une réflexion académique sur ce fait (Gasparini, Cometti, 2010). En France, au-delà de quelques travaux historiques (par exemple Gastaut, 2003 ; Breuil, 2003 ; Choveaux, 2004 ; Fates, 2005 ; Favero, 2008 ; Fontaine, 2010 ; Brettin Maffiuletti, 2011), le fait sportif communautaire contemporain est finalement peu étudié du point de vue sociologique et à partir d’enquêtes de terrain2. Seuls quelques auteurs le questionnent dans le football amateur (Gasparini, 2007 ; Gasparini, Weiss, 2008 ; Weiss, 2012 ; Solacroup, 2015).

  • 3 Une partie des résultats provient d’une enquête réalisée dans le cadre d’un contrat de recherche du (...)

6L’article propose d’interroger la pratique sportive des footballeurs originaires du Maghreb et de Turquie en Alsace afin de vérifier par la preuve si ces populations se regroupent ou non par origine3. Première communauté immigrée en Alsace, la communauté turque sera plus particulièrement étudiée dans un deuxième temps.

Le sport communautaire : construction identitaire et sociabilité populaire

7En Alsace, les immigrés représentent, avec environ 174 000 individus, 10 % de la population totale. C’est un peu plus que la moyenne nationale qui atteint 8,1 %. Comparée aux autres régions de métropole, l’Alsace se situe au deuxième rang, derrière l’Ile-de-France, pour la part d’immigrés dans la population (Morel-Chevillet, 2006). La spécificité locale en matière d’immigration, au moins dès les années 1990, réside principalement dans l’apport relativement plus important de migrants d’origine turque. En effet, si l’on observe aujourd’hui une forte présence turque dans la France de l’Est, c’est entre autres grâce à un taux de distribution très fort en Alsace (33,6 %). Au sein de cette région, les Turcs constituent, avec 28 500 ressortissants, la première population issue de la migration, loin devant les Allemands (23 500) et les Marocains (19 000). À la mi-2004, ils représentaient presque 14 % des Turcs de France et 16 % de l’immigration totale en Alsace, contre 4 % seulement pour l’ensemble de l’Hexagone.

  • 4 Extrait d’entretien, Ligue d’Alsace de Football Amateur, mars 2005.

8Des enquêtes réalisées en Alsace révèlent également que la forte conscience identitaire des immigrés d’origine turque associée à la discrimination « ordinaire » se traduit souvent par un repli communautaire notamment dans le football (Gasparini, 2007 ; Gasparini, Weiss, 2008). A partir des années 2000, la Ligue d’Alsace de Football Amateur (lafa) constate une augmentation des demandes émanant d’associations culturelles ou cultuelles turques (jusqu’alors sans vocation sportive) afin de créer de nouveaux clubs turcs ou de nouvelles sections pour jouer dans le championnat d’Alsace de football. Selon le directeur général de la lafa, « de plus en plus de joueurs d’origine turque choisissent de quitter leur club pour aller jouer dans un club communautaire »4. Très solidaire et fortement structurée, la communauté immigrée turque s’adapte davantage à un modèle « multiculturaliste » qu’au creuset républicain propre à la France, du moins pour les 1ère et 2ème générations d’immigrés. Le sentiment d’exclusion vécu par nombre de travailleurs turcs renforce également la solidarité interne au groupe et contribue à l’apparition de clubs de football faisant largement référence à la Turquie. Le lien communautaire est alors fortement revendiqué dans tous les domaines de la vie sociale, y compris dans le sport.

9Cependant, au-delà d’une seule identité culturelle et de la seule communauté turque, la superposition des ressorts ethniques et des ressorts sociaux semble permettre de mieux comprendre l’émergence d’un club sportif « communautaire » dans la société d’installation. En mettant en exergue les causes sociales du regroupement sportif, l’étude entend aussi dépasser l’opposition classique entre socialisation « communautaire » (Vergemeinschaftung) et socialisation « sociétaire » (Vergesellchaftung) (Weber, 1921). Les modalités de l’engagement sportif de minorités nationales ou de nationaux issus de l’immigration dépendent d’un ensemble de facteurs sociodémographiques, politiques, socio-économiques, culturels et historiques qui, en se combinant, produisent des situations à la fois cohérentes et variées.

10A l’opposé d’une approche culturaliste, postcolonialiste (Blanchard, Bancel, Lemaire, 2005) ou basée sur le paradigme ethniciste (Barth, 1969 ; Sabatier, 2011), nous proposons une interprétation structuralo-constructiviste et interactionniste tant du rôle joué par le football dans la construction du lien social et du rapport à la nation que dans l’effet de la pratique amateur de ce sport dans le vivre-ensemble. Alors que le football est considéré comme un moyen par excellence de créer et maintenir un attachement fort à la communauté nationale, l’existence de clubs « communautaires » est un phénomène que les sociologues peinent à décrire objectivement. Le football communautaire traduit ainsi non seulement l’ambivalence de la « construction identitaire » des joueurs, mais aussi les limites des politiques publiques d’intégration par le sport ainsi qu’une sociabilité et un ethos « populaires ». Dans ce contexte particulier, le football semble opérer comme un vecteur de réhabilitation symbolique pour une minorité ethnique ou nationale aux conditions sociales modestes.

  • 5 Weber (1971) employait le terme « ethnique » avec des guillemets pour souligner les ambiguïtés de c (...)
  • 6 L’intégration communicative concerne les échanges de signification au sein du groupe. La communicat (...)

11En référence à Max Weber, nous considérerons un groupe « ethnique »5 ou communautaire comme un groupe humain, non fondé sur la parenté, partageant une croyance subjective dans une communauté d’origine, à partir des similitudes de mœurs et de souvenirs (Weber, 1971, 416). C’est à partir de ce postulat que nous parlerons de clubs « communautaires », c’est-à-dire des associations qui regroupent majoritairement des joueurs et dirigeants issus d’une même région, pays ou territoire ethnique et nourrissant une croyance subjective dans cette communauté d’origine. Le club sportif joue alors un rôle d’intégration communicative6 pour les sportifs ayant la même origine nationale. La socialisation communautaire qui en découle repose alors sur des attentes de comportements, issues de la coutume ou du respect de valeurs partagées, et elle présuppose une collectivité d’appartenance, notamment une « communauté linguistique » (Weber, 1921). La participation dans une association sportive de type communautaire renvoie enfin à une ethnicité symbolique (Gans, 1979) s’attachant à s’identifier par des signes extérieurs (musique, cuisine, port d’un maillot de football ou d’un drapeau lors de la victoire d’un club turc, etc.) indiquant une référence nostalgique plus qu’une ethnicité qui se définit dans son action politique. Si, pour la plupart d’entre eux, l’hypothèse d’un retour au pays d’origine est de plus en plus illusoire, elle est toujours présente dans les discours et les symboles. A travers la pratique du football entre soi, c’est aussi une « communauté imaginée » (Anderson, 1996) qui se construit.

Méthodologie

  • 7 Ces données ont été collectées dans le cadre de plusieurs enquêtes de terrain : Gasparini (2007), W (...)

12Les analyses développées dans cet article reposent sur plusieurs enquêtes mêlant approches qualitatives et quantitatives. Une première série de données repose sur une enquête approfondie auprès des clubs turcs d’Alsace et en particulier sur une monographie du club turc de Bischwiller, une ville moyenne d’Alsace du Nord7. Comptant plus de 13 % de ressortissants turcs, cette ville est surnommée péjorativement « Turcwiller » ou « Bischtanbul » par certains alsaciens. Des portraits sociologiques de joueurs et dirigeants de l’us Turcs de Bischwiller ont été réalisés entre 2007 et 2012.

  • 8 L’analyse de la répartition et de la composition des clubs à consonance communautaire a été réalisé (...)

13Par ailleurs, une étude quantitative a été réalisée à partir des fichiers des clubs de football et de leurs licenciés de la Ligue d’Alsace de football association (lafa). Les données disponibles dans ces fichiers ont permis deux types principaux d’analyse : une approche à partir des noms des clubs, afin de repérer ceux qui pouvaient être associés à un regroupement de type « communautaire » à partir de leur dénomination8 ; une approche par l’analyse des prénoms des licenciés, seule donnée fiable pour rendre compte des origines culturelles, nationales et/ou ethniques des joueurs, arbitres et dirigeants. Nous avons utilisé les fichiers de licenciés de la lafa de quatre saisons espacées de cinq ans jusqu’à celle de 2014/ 2015, ce qui a permis d’aboutir à un fichier de 12 148 prénoms différents.

  • 9 Le prénom José peut paraître de prime abord peu lié à une origine. Une vérification supplémentaire (...)
  • 10 Par opposition à cette indéterminée, nous appellerons « origine marquée » les prénoms (français ou (...)

14Les origines les plus fréquemment rencontrées en Alsace – et particulièrement dans le domaine du football – sont les origines maghrébines et turques, assez facilement repérables à travers le prénom quand la famille a décidé d’exprimer à travers celui-ci leurs origines. Pour déterminer ces origines, nous avons travaillé avec des personnes ressources turques et maghrébines qui ont une connaissance étendue des prénoms du fait de leur profession ou de leurs propres recherches, et nous sommes parvenus à une classification sommaire des prénoms les plus fréquemment rencontrés (les 1 120 prénoms rencontrés au moins 20 fois dans les quatre fichiers, soit environ cinq fois au moins dans chacun d’entre eux) en plusieurs origines : arabe (le plus fréquent : Mohamed, 1 683 occurrences dans les quatre fichiers ; Mehdi ; Karim ; Rachid ; etc.), turque (Mehmet et Mustafa, près de 400 occurrences chacun ; Ibrahim, Ahmet, Murat, etc.), arabe ou turque (par exemple Fatih), latine (José9, 713 occurrences, Angelo, Miguel, Giuseppe, etc.), africaine subsaharienne (Mamadou, Ibrahima, etc.), arabe ou africaine (Idriss, Abdoulaye, etc.), autre étrangère (Erwan, Sami, Adel, etc.), française (Nicolas et Julien : plus de 5 000 occurrences chacun ; Christophe, Sébastien, Thomas, plus de 4 000 ; etc.) ou encore indéterminable10 (Noah, Noa, Sacha, etc.).

Tableau 1 : Origine des prénoms les plus fréquents des licenciés alsaciens de football de 16 ans et plus en 2014/ 2015.

Origine des prénoms

Nombre d’occurrences

Pourcentage

Française

39 004

85,9 %

Arabe

3 267

7,2 %

Turque

1 313

2,9 %

Latine

1 034

2,3 %

Autres origines

667

1,5 %

Indéterminée

89

0,2 %

Total

45 374

100,0 %

15Les 11 028 prénoms restants ont fait l’objet d’un classement plus sommaire en origine française, étrangère, et indéterminée (à noter que 5 515 prénoms n’apparaissaient qu’une seule fois dans les quatre fichiers), ce qui a permis d’avoir une idée des origines pour l’ensemble de la population, avec un degré de précision certes moindre.

Tableau 2 : Origine de l’ensemble des prénoms des licenciés alsaciens de football de 16 ans et plus en 2014/ 2015.

Origine des prénoms

Nombre d’occurrences

Pourcentage

Française

42 296

81,3 %

Étrangère

7 968

15,3 %

Indéterminée

1791

3,4 %

Total

52 055

100,0 %

16Le résultat de ce travail minutieux a été intégré au fichier des licenciés, puis complété par des données de l’insee sur l’origine immigrée (de première et deuxième générations) de chaque commune d’implantation des 568 clubs d’appartenance des 52 055 licenciés de 16 ans et plus de la saison 2014/ 2015 et des 631 clubs d’appartenance des 48 585 licenciés de 16 ans et plus de la saison 1999/ 2000.

Des clubs de football alsaciens aux noms à « consonance communautaire »

  • 11 Les communes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse en rassemblent près de 70 %.

17L’analyse des noms des clubs de football affiliés à la lafa nous donne à voir une très grande majorité de clubs dont l’appellation indique la ville, le village ou le quartier d’implantation : fc Barr, us Wittenheim, fc Bischwiller, etc. D’autres clubs tiennent leur nom de l’entreprise à laquelle ils sont – ou étaient à l’origine de leur création – affiliés, comme par exemple le fc Raffinerie Reischstett ou le fc macif Mulhouse. Enfin, faisant référence à l’origine nationale ou ethnique des joueurs ou joueuses, certains noms de club renvoient à des « communautés » spécifiques, comme par exemple l’as Portugais de la ville de Sélestat, l’us Turcs de Bischwiller ou le Mouloudia Club de Mulhouse. Ces derniers – aux noms à « consonance communautaire » – représentent un peu plus de 4 % de la totalité des clubs de football alsaciens. Parmi eux, seuls 35 % sont encore actifs au cours de la saison 2015-2016, soit 16 clubs au total, majoritairement « urbains »11.

18Cependant, au-delà du nom, qu’en est-il des licenciés ? Sont-ils tous forcément originaires du pays mentionné dans la dénomination du club ? L’analyse de l’origine des noms et prénoms des sportifs de ces 16 clubs permet-elle de confirmer ce lien ? Par exemple, le club as Portugais de Sélestat (ville moyenne du centre de l’Alsace) compte-t-il uniquement des joueurs d’origine portugaise ?

  • 12 L’emploi des guillemets renvoie à la double construction identitaire du club : une auto-désignation (...)

19Quatre groupes de clubs se dégagent de l’analyse : les clubs « espagnols et portugais », les clubs « des Antilles et de Mayotte », les clubs « turcs » et un club « algérien »12. La comparaison entre quatre saisons sportives dans une période allant de 1999-2000 à 2014-2015 permet également d’observer des évolutions.

Tableau 3 : Clubs d’Espagnols et Portugais en Alsace.

Tableau 3 : Clubs d’Espagnols et Portugais en Alsace.

20L’analyse des patronymes indique que la plupart des clubs portugais et espagnols voient la part de leur « joueurs d’origine » diminuer sauf pour trois clubs portugais qui maintiennent leurs licenciés ayant des noms/ prénoms à consonance « communautaire » à plus de 70 %. On constate également des variations conjoncturelles en fonction des périodes considérées.

Tableau 4 : Clubs des Antilles et de Mayotte en Alsace.

Tableau 4 : Clubs des Antilles et de Mayotte en Alsace.

21Les résultats de l’analyse nous indiquent une relative stabilité dans les effectifs de joueurs « d’origine » et, en outre, que le plus ancien club des Antillais de Mulhouse comptabilise en moyenne, sur les 4 saisons considérées, environ 50 % de licenciés aux noms/prénoms à consonance de ces régions d’outre-mer.

Tableau 5 : Clubs de Turcs en Alsace.

Tableau 5 : Clubs de Turcs en Alsace.

22Dans les deux clubs ayant une appellation incluant une référence turque, plus de 80 % – voire pour l’un des clubs 99 % – de licenciés, ont des noms/ prénoms à consonance turque. A la différence des clubs espagnols ou portugais, ils restent licenciés sur plusieurs saisons.

Tableau 6 : Club d’Algériens en Alsace.

Tableau 6 : Club d’Algériens en Alsace.

23Le seul club alsacien à la dénomination faisant explicitement référence à l’Algérie rassemble lui aussi plus de 80 % de licenciés aux noms/ prénoms à consonance algérienne.

Les footballeurs issus de l’immigration se regroupent-ils par communauté ? Ce que nous dit l’analyse des prénoms

24Un autre moyen possible pour tenter d’approcher la réalité de la présence immigrée dans les clubs de football consiste à prendre en compte les prénoms des licenciés. Ce recours est certes complexe et sujet à caution à bien des égards. Mais l’absence d’indication, dans les fichiers de la lafa, de données sur l’origine immigrée des licenciés, et l’absence fréquente de l’indication de nationalité, nous ont conduits à envisager tout de même de passer par le biais des prénoms pour tenter de caractériser l’origine immigrée des licenciés, en particulier lorsqu’il est question de traiter des données numériquement importantes.

25L’attribution d’un prénom à un nouveau-né – par des parents à leur enfant – est un acte hautement symbolique quand il s’agit de s’intéresser à l’identité. En effet, il existe certes une possibilité de choix d’attribution du nom de famille entre celui du père et celui de la mère (ou des deux), mais ce choix est très limité et il est très difficile d’en changer. En revanche, le choix du prénom paraît de prime abord beaucoup plus libre. Cette liberté n’est en fait qu’apparente, et les travaux qui ont porté sur le sujet montrent que les régularités observées sont fortement liées aux époques et à l’appartenance sociale des parents (Coulmont, 2014). Mais pour les populations issues de l’immigration, il est indéniablement un marqueur culturel, permettant soit de garder, par l’héritage familial, un lien puissant avec les origines, soit, au contraire, mais beaucoup moins fréquemment, de marquer une volonté d’intégration en choisissant un prénom caractéristique de la culture du pays d’accueil (entre ces deux attitudes, des stratégies intermédiaires existent également, en utilisant des prénoms culturellement moins marqués). Dans les interactions liées à la vie quotidienne – ici, l’investissement dans un club de football – le prénom n’est qu’un élément parmi d’autres dans la reconnaissance par les pairs d’une possible origine immigrée ou d’une origine ethnique particulière. Le premier d’entre eux reste la couleur de la peau. On peut évoquer aussi la manière dont est maîtrisée la langue française – à quoi s’ajoute l’accent, qui est en grande partie hérité de la famille –, la manière de s’habiller, de se nourrir, d’arranger son intérieur (quand on a l’occasion de pénétrer dans des espaces plus privés) et tout un ensemble de traits dont font partie le nom et le prénom. Ce dernier nous intéresse plus particulièrement dans le domaine de la pratique du football amateur parce qu’il est très utilisé dans les relations entre joueurs.

26Toutes ces caractéristiques, plus ou moins perceptibles, font l’objet de classements plus ou moins conscients de la part de ceux qui les perçoivent et peuvent produire des catégorisations, des ségrégations, des comportements d’attraction ou de répulsion – eux-mêmes en partie socialement hérités – quand il s’agit de choisir un groupe de pairs pour pratiquer une activité (ou quand il s’agit de choisir un dirigeant dans son club de football), étant entendu que la notion de « choix » est elle-même toute relative (les possibilités de choix d’un loisir étant elles-mêmes socialement contraintes).

27Le premier résultat important de cette étude concerne la proportion des licenciés de la lafa portant un prénom d’origine étrangère marquée : il est directement proportionnel à la taille des communes d’implantation des clubs (cf. graph. 1 pour 2000 et graph. 2 pour 2015).

Graphique 1 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2000 selon la taille de la commune d’implantation du club.

Graphique 1 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2000 selon la taille de la commune d’implantation du club.

Graphique 2 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2015 selon la taille de la commune d’implantation du club.

Graphique 2 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2015 selon la taille de la commune d’implantation du club.

Graphique 3 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2015 comparée au pourcentage d’immigrés de 1ère et 2e génération dans des communes de taille comparable.

Graphique 3 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2015 comparée au pourcentage d’immigrés de 1ère et 2e génération dans des communes de taille comparable.

28Le faible pourcentage de joueurs d’origine étrangère dans les villages (entre 5 et 6 % des licenciés) cache une réalité contrastée : 63 clubs (sur les 302 localités de moins de 2 000 habitants comptant un club de football) n’ont aucun joueur dont le prénom rappelle directement une origine étrangère, ce qui représente tout de même un club sur cinq de milieu rural (ce chiffre est doublé si l’on y inclut aussi les clubs où l’on ne trouve qu’un seul prénom d’origine étrangère pour une moyenne de 67 licenciés par club). Pourtant, parmi ces 63 communes, pas une seule ne compte aucun immigré de première ou de 2e génération dans sa population : la plupart comptent une part non négligeable de ces immigrés, 24 d’entre elles comptent même plus de 10 % d’immigrés, et 8, plus de 20 %. On peut alors réellement se demander s’il n’existe pas dans ces villages un phénomène d’exclusion – et/ ou d’auto-exclusion ? – des populations issues de l’immigration (du moins de celles qui portent des prénoms rappelant leurs origines immigrées), et pas toujours cette volonté délibérée, évoquée plus haut, de rejoindre un club « communautaire ». Plus la taille de la commune augmente, plus ce phénomène se raréfie (même si l’on trouve aussi dans des grandes villes quelques clubs dont 100 % des licenciés ont des prénoms à consonance française).

29Qu’en est-il à l’inverse des clubs taxés de « communautarisme » et qui depuis de nombreuses années sont dénoncés pour leur politique d’enfermement sur un pays d’origine particulier ? En 2000, sur les 631 clubs de football recensés, seuls deux atteignaient 100 % de licenciés dont les prénoms avaient une consonance étrangère ; douze autres dépassaient 80 % de prénoms étrangers. Parmi ces 14 clubs, on en comptait trois à très forte dominance turque (plus de 75 %), les autres à majorité de type arabe (dont 8 à plus de 75 %, un seul à 100 %). Quinze ans après, un seul de ces clubs a légèrement augmenté sa proportion de prénoms d’origine étrangère, tous les autres ont vu leur population se diversifier ou n’existent plus en 2015 (pour 8 d’entre eux). A titre d’exemple, moins de la moitié des licenciés de « l’Union sportive des Turcs de Bischwiller » portent des noms d’origine turque en 2015 (ils étaient 78 % en 2000) et le tiers d’entre eux portent des prénoms d’origine française. Pour les clubs pouvant être perçus comme « maghrébins » (en Alsace, les prénoms repérés comme étant d’origine arabe sont pour l’essentiel liés à une origine maghrébine), on ne compte en 2015 qu’une vingtaine de clubs dont la proportion de prénoms de cette origine dépasse 50 %. Ils sont tous implantés dans les villes alsaciennes les plus importantes, et quasiment toujours dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, dans lesquels on trouve précisément la plus forte proportion de population d’origine immigrée. La moitié d’entre eux n’existaient pas encore en 2000. Quelques clubs turcs supplémentaires apparaissent dans le fichier de 2015, notamment dans des villes plus petites (ce qui est beaucoup moins fréquent pour les clubs à forte proportion maghrébine), et la proportion de licenciés d’origine turque par le prénom est en nette progression puisque 38 clubs voient cette proportion dépasser 10 % des effectifs en 2015 (contre 18 en 2000), y compris dans certains villages (cette barre des 10 % est dépassée pour les licenciés dont le prénom est d’origine arabe dans 115 clubs en 2015 contre 79 en 2000). Ces phénomènes sont beaucoup moins marqués pour les joueurs d’origine italienne, portugaise ou espagnole (par des prénoms particulièrement caractéristiques de ces origines) : en 2000, on ne comptait que 33 clubs dépassant ce chiffre de 10 % – et seulement 22 en 2015 – et un autre club au-dessus de 50 %, club dont la proportion tombe à 13 % en 2015).

Graphique 4 : Proportion de licenciés à prénoms fréquents de consonance étrangère, selon l’origine et la taille de la commune (2000).

Graphique 4 : Proportion de licenciés à prénoms fréquents de consonance étrangère, selon l’origine et la taille de la commune (2000).

Graphique 5 : Proportion de licenciés à prénoms fréquents de consonance étrangère, selon l’origine et la taille de la commune (2015).

Graphique 5 : Proportion de licenciés à prénoms fréquents de consonance étrangère, selon l’origine et la taille de la commune (2015).

30De manière générale, l’évolution entre 2000 et 2015 est marquée par une forte augmentation de la proportion de licenciés d’origine étrangère par le prénom. Mais là aussi, cela cache un aspect non négligeable de cette apparente plus forte présence dans le paysage footballistique alsacien. Quand on sépare les différents types de licence (cf. graph. 6), on s’aperçoit que les augmentations du nombre de joueurs ne s’accompagne que très faiblement d’une augmentation du nombre de dirigeants d’origine étrangère. Cette absence est particulièrement sensible en milieu rural. En revanche, dans le domaine de l’arbitrage – qui pose de plus en plus de problèmes de recrutement –, la ligue a trouvé parmi les licenciés d’origine étrangère (du moins par leurs prénoms) une manne sans précédent.

Graphique 6 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la LAFA selon le type de licence en 2015.

Graphique 6 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la LAFA selon le type de licence en 2015.

31A noter également que dans le domaine du futsal qui s’est sensiblement développé, les licenciés qui pratiquent exclusivement cette activité sont en immense majorité d’origine maghrébine.

32Enfin, pour toutes sortes de raisons dont une plus grande médiatisation, nous savons que le football féminin a pris de l’ampleur. En Alsace, le nombre de licenciées de 16 ans et plus est passé, entre 2000 et 2015, de 1 435 à 3 325. La forte proportion de dirigeantes (46,3 % des licenciées, contre 22,4 % chez les hommes) correspond plus à la participation de quelques femmes dans des comités directeurs dominés par les hommes (et notamment dans les fonctions les plus élevées, hors poste de secrétaire) et aux effets récents des injonctions ministérielles à l’amélioration de la parité dans ces instances. En effet, les femmes d’origine étrangère y sont particulièrement peu présentes : en 2000, sur 1039 dirigeantes, on ne comptait que 5 femmes dont le prénom était d’origine étrangère ; en 2015, leur nombre est passé à 23, pour un total en augmentation sensible de 1505 dirigeantes.

33Du côté des joueuses de football, la situation n’est guère plus réjouissante : le nombre de joueuses à prénom d’origine étrangère est certes passé de 8 en 2000 (soit 2,1 % des joueuses en Alsace) à 87 en 2015 (soit 5,0 %), mais cette proportion de joueuses d’origine étrangère (5,0 %) reste extrêmement faible par rapport à celle atteinte par leurs collègues masculins, puisque l’ion compte en moyenne chez les hommes 18,4 % de joueurs d’origine étrangère.

L’exemple des clubs turcs en Alsace

34Sur les 568 clubs alsaciens de football en 2015, nous n’avons ainsi dénombré que deux clubs dont le nom fait référence à la Turquie : le fc Anatolie Mulhouse et l’us Turcs de Bischwiller. Or, les résultats de l’enquête par prénoms nous a montré que la proportion de licenciés d’origine turque par le prénom est en nette progression puisque 38 clubs voient cette proportion dépasser 10 % des effectifs en 2015 (contre seulement 18 en 2000). Existe-t-il alors d’une part une spécificité turque en Alsace et, d’autre part, une pénétration des footballeurs d’origine turque dans des clubs « alsaciens » ?

35On constate que le nom du club n’est pas suffisant pour qualifier un club de « communautaire » ou « non communautaire » : par exemple, malgré son appellation, l’as Portugais Sélestat est un club totalement « mixte » dans sa composition (avec seulement 12 % de licenciés originaires du Portugal), alors que l’us Colmar ou l’us Wittenheim, aux noms totalement « neutres », peuvent être qualifiés de clubs de football « communautaires » car les membres de l’équipe dirigeante ainsi que les joueurs sont majoritairement Turcs ou Français d’origine turque. Lorsque l’on s’attache à étudier l’origine ethno-culturelle des joueurs, on s’aperçoit ainsi que certains clubs sont majoritairement fréquentés par des joueurs et dirigeants issus de l’immigration turque comme par exemple l’Olympique Strasbourg, l’Union Sportive de Colmar (ville de 65 000 habitants dans le Haut-Rhin), l’Association Sportive de Benfeld (ville de 7 000 habitants dans le Bas-Rhin) et l’Union Sportive de Wittenheim (ville de 15 000 habitants située en banlieue de Mulhouse dans le Haut-Rhin). D’autres clubs accueillent des footballeurs originaires de Turquie dans une moindre proportion, mais tout de même relativement élevée pour être signalée (environ 20 % des membres). C’est le cas du Sporting Club de Sélestat (17 000 habitants), du Cercle Sportif de Sainte-Croix-aux-Mines (2 000 habitants), du Cercle Sportif du Neuhof (quartier strasbourgeois d’environ 20 000 habitants), du Football Club d’Obernai (11 700 habitants) et du Football Club de Barr (7 600 habitants). Dans toutes ces villes principalement bas-rhinoises (hormis Sainte-Croix-aux-Mines), on observe par ailleurs une forte présence d’immigrés turcs.

  • 13 Voir à ce sujet le dossier spécial « Sport et immigration : parcours individuels, histoires collect (...)

36Pour l’essentiel, ces clubs sont implantés dans des zones rurales. Il est à signaler qu’en Alsace seulement 40 % des Turcs vivent dans les trois plus grandes villes d’Alsace, la population restante s’étant installée dans les petites ou les villes moyennes. Les raisons de cette implantation sont à articuler aux besoins économiques, mais aussi aux opportunités en termes de logement. Déjà majoritairement populaires, les espaces ruraux à proximité de l’agglomération strasbourgeoise sont le territoire d’accueil privilégié par les catégories modestes constituées d’ouvriers et d’employés, parfois précarisées et chassées par le boom immobilier de la métropole. Sur le plan sportif, à leur arrivée, historiquement, peu d’immigrés turcs pratiquent un sport et, s’ils pratiquent le football, ils le font, dans un premiers temps, dans une structure communautaire. En effet, une fois leur situation matérielle résolue, et lorsqu’ils sont encore jeunes, les migrants économiques s’inscrivent dans des associations ou des clubs sportifs regroupant principalement des sportifs ayant la même origine nationale13. Rappelons encore que la lafa a constaté ces dernières années une recrudescence de demandes d’affiliation de clubs « communautaires » de la part d’associations turques jusqu’alors sans vocation sportive, et qu’un certain nombre de joueurs d’origine turque quittent leur club pour s’investir dans un club faisant référence à la Turquie.

Le « club des Turcs »

37L’us des Turcs de Bischwiller est un club intéressant lorsqu’on étudie le regroupement communautaire dans le football. Cité industrielle de l’Alsace du Nord comptant 12 000 habitants, implantée à quelques kilomètres de l’Allemagne et à moins d’une demi-heure de Strasbourg dans le département du Bas-Rhin, Bischwiller compte plus de 13,3 % de ressortissants turcs (c’est pourquoi cette ville est surnommée péjorativement par certains alsaciens « Turcwiller » ou « Bischtanbul »). A la différence d’autres villes alsaciennes qui comprennent principalement des Turcs d’origine rurale, Bischwiller a connu dans les premiers temps (au début des années 70) des migrations d’origine plus urbaines (Istanbul et Ankara) liées à un besoin de main d’œuvre plus qualifiée dans les industries locales. A partir des années 80, on assiste à l’arrivée de populations plus rurales et à un mécanisme de souche (installation définitive), avec le regroupement familial puis avec les alliances réalisées avec un conjoint originaire de la même région, souvent du même village.

38Du fait de l’ancienneté de leur implantation, les Turcs de la ville de Bischwiller se sont progressivement investis dans la dynamique locale. On observe ainsi une forte activité associative des Turcs, qu’elle soit sportive ou culturelle. Cette ville ne présente pas moins de 70 associations, regroupant des organisations culturelles, sportives, familiales et sociales. On dénombre 27 associations sportives, dont trois clubs de football affiliés à la lafa : le fc de Bischwiller (fcb), club le plus ancien de la ville (affilié en 1920) évoluant en Promotion de District, l’as de Bischwiller Hanhoffen (asbh), club affilié en 1936 évoluant en Première Division de District, et enfin, l’us des Turcs de Bischwiller (ustb), club d’une apparition plus récente (affilié en 1976) évoluant également en Première Division de District.

Inclusion ou exclusion par le sport ?14

  • 14 Cette partie reprend les résultats d’une enquête monographique réalisée en 2007, voir Gasparini (20 (...)

39L’enquêteur s’adressant à un habitant de la ville de Bischwiller : « Pardon, pourriez-vous me dire où se trouve le stade de la Niedermatt ? Réponse: « Ah ! vous voulez dire, le club des Turcs ? ». Premier contact révélateur de la ségrégation de la population turque opérée par certains habitants. La monographie d’un club sportif dans une ville invite alors le chercheur à replacer le fait étudié (le regroupement communautaire) dans son contexte mais aussi dans l’univers symbolique qui lui donne sens. Il est donc important d’analyser le sport comme un élément de style de vie et un marqueur identitaire.

  • 15 Longtemps la société allemande a vécu avec l’idée que les Gastarbeiter (travailleurs invités) d’ori (...)

40La pratique d’un « sport entre soi » à l’ustb et au fcts a longtemps été considérée selon une « conception allemande » de l’intégration, c’est-à-dire comme un « bon » facteur d’intégration, du moins comme une première étape vers l’intégration15. En effet, à leur naissance, les deux clubs ont d’abord servi à accueillir les Turcs passionnés de football qui avaient passé l’âge de la scolarité et ne parlaient pas le français. Excepté l’entreprise ou l’usine qui comptaient de nombreux travailleurs turcs, le club de football était l’une des seules institutions d’intégration pour ces populations migrantes adultes. Mais si ces populations se tournaient vers un club « communautaire », c’est aussi parce que les autres clubs et équipes sportives locales les rejetaient. Dans le cas de Bischwiller, on remarque par exemple que très peu de Turcs ont joué ou jouent actuellement dans le club « historique » de la ville (le Football Club de Bischwiller) : en 40 ans, seuls quatre Turcs étaient licenciés dans ce club « car ils avaient un bon niveau » (A.M., président de l’ustb). Selon lui, « l’intégration par le sport, quand on est bon, ça marche ! ».

  • 16 Extrait d’entretien, 20 février 2005.

41Dans ce contexte, l’ustb affrontait souvent d’autres clubs non seulement sur le terrain de foot mais aussi sur celui de la méfiance, voire quelquefois du racisme « ordinaire » (Gasparini, 2015). En répondant aux incessantes provocations, des bagarres se déclenchaient et le club se voyait infliger des sanctions sportives de la lafa. Le Président de la Ligue ne cache pas ses choix : « je m’oppose formellement à la création de clubs communautaires car cela revient à entrer dans une logique de ghetto, aux antipodes des valeurs véhiculées par le sport en général »16.

Discriminations et liens communautaires par le football

  • 17 Pour une analyse exhaustive des biographies des footballeurs originaires de Turquie pratiquant en A (...)

42Les trois portraits sociologiques de membres du club nous révèlent que le discours de l’intégration par le sport est très souvent contredit par la réalité vécue par les personnes interviewées17.

Un dirigeant de l’US des Turcs de Bischwiller

43Né en France, cet entrepreneur est à la tête d’une entreprise artisanale de peinture. Ses parents sont originaires d’un village du centre de l’Anatolie dans la région de Konya, où il se rend chaque année pour rendre visite à sa famille. Il garde également contact par téléphone et par Internet (« msn, les messageries et la web-cam ») avec des autres membres de sa famille qui vivent en Allemagne, en Autriche et au Pays-Bas.

44Issu d’un milieu populaire (son père était ouvrier dans une entreprise de textile et de confection à Bischwiller), Y. a joué au football de 7 à 17 ans à l’ustb avant de s’investir bénévolement comme dirigeant en 2002. Il justifie son choix par rapport à ses origines turques et ses relations amicales dans la ville (« tout le monde se connaît dans la communauté turque, le club, c’est un grand village »). Pour lui, le football, c’est avant tout « un moyen de communication sans parole » et une école de morale et de discipline (« même dans les grandes équipes, ils ne parlent pas tous français, ni allemand, ils communiquent tous avec le ballon », « le football transmet des valeurs morales, des règles de vie, le respect, le fair-play, le partage, plein de choses… »). Selon lui, les débuts du club ont été difficiles (« le club a été fondé en 1975 par les premiers arrivants et on avait pas beaucoup d’argent »), du fait du manque de subventions municipales et d’infrastructures sportives dans un état « catastrophique » (« les subventions, c’est les gens de notre communauté, les patrons, les entrepreneurs », « de la ville, on ne reçoit rien, pas grand-chose », « pendant longtemps, nous n’avions pas de club house, les gens se changeaient dans les voitures »). Il explique cette situation comme le résultat d’une réticence de la part de la mairie et des autres clubs qui voient l’ustb comme la démonstration d’une volonté de communautarisme (« quand on est l’étranger dans un pays, on est plus surveillé »). Dans un souci d’intégration, Y ; explique également qu’à l’ustb, les membres privilégient l’usage de la langue française, même si « on parle parfois le turc entre nous, ce n’est pas méchant, ça sort automatiquement ».

K., joueur de l’US des Turcs de Bischwiller

45Né en France et âgé de 26 ans, K. est salarié d’une association culturelle d’amitié franco-turque où il occupe la fonction d’agent administratif gérant le Nord-Est de la France. De par son travail, il se place entre les associations situées en France et l’Etat turc, et il fait, selon lui, « un peu partie de toutes les associations franco-turques d’Alsace et de Moselle ». Son rôle est « d’aider la communauté turque », notamment les familles et les personnes âgées dans leur acclimatation au cadre juridique et institutionnel français ; il participe ainsi activement au processus d’intégration à la société française de sa communauté. Issu d’un milieu populaire, il est doté d’un capital sportif important. En effet, après avoir commencé le football à l’asbh, il rejoint l’ustb en 1997 en compagnie « d’une bande de copains » (« on était une bande de 16-17 jeunes de Bischwiller, on se voyait tous les jours à l’école, partout, on était tous des turcs, (…), c’est à partir de là qu’on a eu une équipe de moins de 21 ans »), et ce, malgré « la mauvaise réputation » de son nouveau club (« à l’époque, il y avait beaucoup de frictions et de bagarres entre gitans et turcs, parce qu’en général les turcs ont le sang chaud, (…), ça ne donnait pas envie d’aller jouer là-bas »). Il décrit ce passé sous le signe du racisme et de la discrimination (« partout autour, il y a des patelins, et là-bas, ce ne sont que des alsaciens, et ils se demandent pourquoi ils rencontrent une équipe turque », « sur le terrain, je me suis souvent fait traiter de sale turc », ou encore, « ils disent que la discrimination c’est terminé, mais ce n’est pas vrai quand on a un prénom turc »). Pour lui, le fait que son club accueille majoritairement des turcs s’explique par le refus de la population locale de venir pratiquer le football à l’ustb Il considère ce refus comme « une forme de racisme » à l’égard du club et de ses membres. Malgré cela, selon lui, les relations avec la population locale se sont nettement améliorées depuis quelques années (« ça fait quatre ans qu’avec les dirigeants du club, on a tout fait pour régler ces problèmes »).

I., entraîneur de l’US des Turcs de Bischwiller

46Agé de 27 ans, I. est ouvrier dans une entreprise de fabrication de roulements à bille à Haguenau. Ses parents sont originaires d’un village de Turquie dans la région de Trabzon, où il se rend chaque année pendant une semaine pour passer des vacances et surtout rendre visite à sa famille (« quasiment les trois quarts de ma famille sont là-bas, au village… », « je garde le contact parce que ça fait du bien de se ressourcer »). Bien qu’il soit « fier de ses origines », Ismail nous explique qu’il se sent intégré (il est marié avec une tunisienne qu’il a rencontrée en France). Issu d’un milieu populaire (son père était ouvrier), il pratique le football depuis l’âge de 9 ans. Titulaire d’une licence de joueur à l’ustb depuis 1998, il occupe la fonction d’entraîneur-joueur depuis 2004. Auparavant, il a joué « chez les Turcs de Haguenau » (« là-bas, le président, il m’avait trouvé du travail »). Il justifie son investissement dans le club des Turcs de Bischwiller par ses origines turques, ses relations amicales et la famille (« mon père était un membre co-fondateur du club en 1975 » ; « l’origine, ça joue énormément, je veux dire, un turc, il a plus de chance de venir chez nous…, dans l’autre club des « alsaciens » – le fcb –, on n’est pas très bien accueilli ».

47Son principal souhait est de faire monter son équipe en Promotion, pour donner du « plaisir » aux joueurs tout en essayant de changer la mauvaise réputation du club en améliorant son image (« à l’époque de la première génération, il y avait beaucoup d’embrouilles, trop de bagarres, pas de discipline, c’est difficile d’effacer cette image »). Il attribue la nouvelle image plus positive du club à l’action du nouveau président (A., animateur socioculturel à la ville de Bischwiller). Cependant, I. ressent un profond sentiment d’« injustice » par rapport aux installations sportives dont dispose son club (« aujourd’hui, on est la meilleure équipe de la ville, et on a le terrain le plus pourri ! C’est abusé comme je ressens de l’injustice »). Les problèmes matériels de son club, il les attribue à une certaine forme de « racisme » ou de « discrimination », notamment de la part de la ville (« y a un problème avec la ville », « on nous a déjà dit que 2 clubs de foot à Bischwiller, c’est suffisant ! » « Les gars de la ville, ils ne se sont jamais déplacés pour nous voir, alors qu’on a fait un super gros parcours en championnat et en coupe d’Alsace », « on n’a aucun soutien »). Pour I, le seul club qui a de l’avenir à Bischwiller, c’est l’ustb (« ils aimeraient qu’on fasse une fusion parce qu’ils n’ont pas d’avenir au fcb , pas de jeunes. Chez nous, tous les jeunes turcs veulent venir jouer »). Dans son club, il estime contribuer à l’intégration par le sport, notamment au niveau du récent métissage de son équipe (« Le club est en train de changer. Il y a quelques années, il n’y avait pas de français. Aujourd’hui, il y a un début de mélange dans l’équipe, des français, des turcs, des arabes… », « avant, les français de l’équipe et les turcs, ils n’allaient jamais au bistrot ensemble et maintenant ça change »). Enfin, I. privilégie explicitement l’usage du français dans le club, « par simple respect pour les non turcs » et pour éviter de reproduire une situation qu’il avait connu dans certains clubs alsaciens où « les joueurs parlaient l’alsacien entre eux ».

Conclusion

48Pour comprendre la réalité du sport communautaire dans un espace local, il convient de repérer ses formes et son importance par l’enquête sociologique. L’analyse des noms des clubs apporte un premier niveau de connaissance mais largement insuffisant. L’approche par les prénoms des joueurs permet une analyse plus fine et indique la présence du fait communautaire dans des clubs au nom totalement « neutre ». Mais la compréhension de la présence de clubs de football à caractère communautaire nécessite également de reconstituer la totalité du l’espace sportif associatif local (Gasparini, 2004) pour saisir d’une part le sens de l’ouverture ou du repli associatif et, d’autre part, les conditions historiques et sociales d’émergence d’un sport entre soi. Cet espace peut être analysé en termes de champ des associations (au sens de Sayad, 1999) conduisant des « immigrés » à se constituer en association communautaire dans une logique non seulement identitaire mais également de rapport de force avec les associations locales historiques et leurs dirigeants d’origine alsacienne. L’analyse par les prénoms montre que le « repli communautaire » – expression visant le plus souvent exclusivement les populations immigrées ou d’origine immigrée – peut tout aussi bien qualifier les clubs qui – volontairement ou non – se replient sur des membres d’origine supposées françaises (ou alsaciennes) en excluant de fait des joueurs aux origines ethniques plus marquées. Ce second phénomène apparaît beaucoup plus fréquent que le premier et concerne principalement le milieu rural.

49Mais les stratégies d’ouverture ou de repli s’incarnent aussi dans les dirigeants des clubs qui portent également un passé marqué par une histoire d’émigré. Le sport de compétition – ici le football – apparaît finalement comme l’une des sources de valorisation pour une jeunesse qui connaît l’échec scolaire (ou du moins les voies scolaires de relégation) et l’exclusion sociale pour celle provenant des groupes sociaux les plus démunis. Pour certains immigrés stigmatisés, gagner un match sportif peut prendre l’importance et la valeur des victoires « dans la vie ». Le sport n’est pas un monde à part, mais un univers ouvert à la réussite sociale, un domaine où des victoires sont probables. Pour des jeunes précaires, ces clubs permettent également de consolider un capital social (Bourdieu, 1980) qui peut, dans certains cas, conduire à une embauche ou un stage professionnel dans des entreprises communautaires.

50Contrairement aux discours convenus sur l’intégration par le sport, l’enquête souligne le paradoxe du football amateur : d’un côté, une fonction majoritaire de métissage et brassage culturel ; de l’autre, un regroupement communautaire (certes minoritaire) dans la sphère associative qui s’explique par un certain nombre de causes liées au pays d’émigration, aux conditions sociales d’existence des Français issus de l’immigration mais également aux discriminations et aux stratégies identitaires et « communautaires » des clubs historiques locaux.

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Sayad (A.), 1999, La double absence : des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil.

Solacroup (R.), 2015, Une histoire de l’associationnisme sportif marocain dans la Communauté Urbaine de Bordeaux (1978-2005). Une approche comparée avec le cas portugais, Thèse de doctorat en STAPS, Université de Bordeaux

Weber (M.), 1971, Economie et société, Paris, Plon [1ère éd. 1921].

Weiss (P.), 2010, « Au cœur de la vie associative des Turcs de Bischwiller (Alsace) », in Boli (C.), Gastaut (Y.), Grognet (F.), dir., Allez la France. Football et immigration, Paris, Gallimard, p. 58-59.

Weiss (P.), 2012, La fabrication du regroupement sportif « communautaire ». Enquête sociologique sur les clubs de football « turcs » en France et en Allemagne, Thèse de doctorat en staps, Université de Strasbourg.

Weiss (P.), 2013, « Tel père, tel fils ! Les clubs de football turc en France et en Allemagne », Diversité, n° 171, 52-57.

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Notes

1 Le terme de « métissage par le football » est fréquemment employé par des journalistes et essayistes depuis la fin des années 1990. Idée du xixe siècle, le métissage désigne le mélange des sangs, du point de vue racial. Amselle (1990) souligne que cette notion est liée au polygénisme, c’est-à-dire à la théorie selon laquelle il y aurait, dès le départ, une pluralité de souches humaines ayant donné les différentes races. Très employée aujourd’hui dans plusieurs mondes (mode, littérature, musique, spectacle, sport, culture en général), elle désigne quelque chose comme le libre mélange des genres, sur fond de mélange des couleurs de peau. Gastaut (2008) l’a ainsi employé dans son ouvrage sur le football pour étudier le sens et les retombées symboliques de la victoire de l’équipe de France « black-blanc-beur » en 1998. Facteur d’intégration mais aussi caisse de résonance des comportements racistes, le football pose pour lui la question du métissage et de la place de la différence culturelle au sein de la société française.

2 Pour précision, nous n’aborderons dans cet article que le fait sportif communautaire à partir des origines nationales et/ou ethniques. Ce qui n’exclut pas l’existence d’autres formes sportives communautaires, de genre, de classe, de loisir ou corporatives. Voir Gasparini (2007) « Le sport, entre communauté et communautarisme » et Koebel (2014) sur une « communauté de loisir ».

3 Une partie des résultats provient d’une enquête réalisée dans le cadre d’un contrat de recherche du CNRS sur le sport communautaire réalisé en 2016 sous la direction de William Gasparini, auquel ont contribué Michel Koebel, Sandrine Knobé, Axel Nguema Edou et Flavien Bouttet (e3s, Université de Strasbourg).

4 Extrait d’entretien, Ligue d’Alsace de Football Amateur, mars 2005.

5 Weber (1971) employait le terme « ethnique » avec des guillemets pour souligner les ambiguïtés de ce terme.

6 L’intégration communicative concerne les échanges de signification au sein du groupe. La communication, entendue alors comme échange de signes, permet de préciser le degré de cohésion et de solidarité du groupe, voire la manifestation de certains symptômes d’isolement ou de clivages dans les formes et les contenus de communication. Voir Callède (1987).

7 Ces données ont été collectées dans le cadre de plusieurs enquêtes de terrain : Gasparini (2007), Weiss (2010-2012).

8 L’analyse de la répartition et de la composition des clubs à consonance communautaire a été réalisée en 2016 par Sandrine Knobé, ingénieure de recherche au laboratoire « Sport et sciences sociales », Université de Strasbourg.

9 Le prénom José peut paraître de prime abord peu lié à une origine. Une vérification supplémentaire par les noms de familles des joueurs de football en Alsace porteurs de ce prénom montre que seuls 7 % d’entre eux n’ont pas un nom de famille à forte consonance latine, d’où son maintien dans cette catégorie.

10 Par opposition à cette indéterminée, nous appellerons « origine marquée » les prénoms (français ou étrangers) où le caractère étranger ou non est facilement reconnaissable.

11 Les communes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse en rassemblent près de 70 %.

12 L’emploi des guillemets renvoie à la double construction identitaire du club : une auto-désignation par les joueurs qui revendiquent leur appartenance à une identité ou une communauté imaginée et une assignation identitaire ou une stigmatisation par les autres clubs et équipes qui rencontrent ces clubs à consonance communautaire.

13 Voir à ce sujet le dossier spécial « Sport et immigration : parcours individuels, histoires collectives » de la revue Migrance 22, 2003.

14 Cette partie reprend les résultats d’une enquête monographique réalisée en 2007, voir Gasparini (2007) « Les associations sportives turques d’Alsace : regroupements communautaires et échanges sportifs ».

15 Longtemps la société allemande a vécu avec l’idée que les Gastarbeiter (travailleurs invités) d’origine étrangère n’étaient là que de passage. Ceci a justifié, jusque dans les années 2000, le développement de politiques soutenant les actions collectives des minorités ethniques au détriment d’une réelle réflexion sur l’intégration desdits « migrants » dans la société. De ce fait, les regroupements ethniques ont été banalisés dans le cadre associatif, en particulier dans les clubs de football puisque, selon la conception allemande, le club sportif « ethnique » est considéré comme une première étape vers l’intégration nationale. Voir Gasparini, Weiss (2008).

16 Extrait d’entretien, 20 février 2005.

17 Pour une analyse exhaustive des biographies des footballeurs originaires de Turquie pratiquant en Alsace, voir Gasparini & Weiss (2008) ou Weiss (2012).

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Table des illustrations

Titre Tableau 3 : Clubs d’Espagnols et Portugais en Alsace.
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Titre Tableau 4 : Clubs des Antilles et de Mayotte en Alsace.
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Titre Tableau 5 : Clubs de Turcs en Alsace.
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Titre Tableau 6 : Club d’Algériens en Alsace.
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Titre Graphique 1 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2000 selon la taille de la commune d’implantation du club.
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Titre Graphique 2 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2015 selon la taille de la commune d’implantation du club.
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Titre Graphique 3 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la lafa en 2015 comparée au pourcentage d’immigrés de 1ère et 2e génération dans des communes de taille comparable.
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Titre Graphique 4 : Proportion de licenciés à prénoms fréquents de consonance étrangère, selon l’origine et la taille de la commune (2000).
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Titre Graphique 5 : Proportion de licenciés à prénoms fréquents de consonance étrangère, selon l’origine et la taille de la commune (2015).
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Titre Graphique 6 : Origine des prénoms des licenciés de 16 ans et + de la LAFA selon le type de licence en 2015.
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Pour citer cet article

Référence papier

William Gasparini et Michel Koebel, « Le football communautaire : enquête dans les clubs alsaciens, France »Sciences de la société, 101 | 2017, 144-167.

Référence électronique

William Gasparini et Michel Koebel, « Le football communautaire : enquête dans les clubs alsaciens, France »Sciences de la société [En ligne], 101 | 2017, mis en ligne le 24 mai 2019, consulté le 10 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/6469 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.6469

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Auteurs

William Gasparini

Professeur à l’Université de Strasbourg, Jean Monnet ad personam professor lauréat d’une chaire européenne en sociologie du sport, appartient à l’équipe de recherche e3s Sport et sciences sociales (ea 1342, faculté des sciences du sport, Le Portique, 14 r. René-Descartes, 67084 Strasbourg).
william.gasparini[at]unistra.fr

Michel Koebel

Professeur à l’Université de Strasbourg, membre de l’équipe de recherche e3s Sport et sciences sociales (ea 1342, id.), ses recherches portant sur la sociologie de l’espace politique local, dont le milieu associatif peut constituer l’une des composantes.
mkoebel[at]unistra.fr

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Droits d’auteur

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