Navigation – Plan du site

AccueilNuméros101Des garçons à la marge : socialis...

Des garçons à la marge : socialisations sportives et position au sein des réseaux relationnels en milieu scolaire

Boys at the margins: sports socialization and position within relational networks in schools
Niños en el margen : la socialización deportiva y posición dentro de las redes de relaciones en las escuelas
Delphine Joannin et Christine Mennesson
p. 112-129

Résumés

À partir d’une enquête ethnographique d’une durée de deux ans réalisée dans une école publique d’une commune rurale du Sud-Ouest, l’article analyse l’influence des rapports au corps et au sport sur les relations sociales à l’école primaire. Il met en évidence le rôle central de la socialisation sportive ainsi que des rapports sociaux de classe et de sexe dans la position marginale de deux groupes de garçons: les « combattants » et les « garçons distants du sport ».

Haut de page

Texte intégral

1De nombreux travaux s’intéressent au rôle de la participation sportive en matière d’intégration sociale (Falcoz, Koebel, 2005 ; Gasparini, Vieille Marchiset, 2008 ; Guérandel, 2016). Le sport apparaît en effet comme une catégorie d’action publique soutenue par des croyances collectives particulièrement fortes (Gasparini, 2008). Si les dispositifs sportifs visant l’insertion sociale de certains publics marginalisés, et notamment des jeunes garçons des quartiers populaires, peuvent être interprétés comme une manière d’atténuer ou de compenser les difficultés liées à la dérégulation du marché du travail et du marché scolaire (Mauger, 2001), la participation sportive produit néanmoins des effets propres intéressants à analyser. Dans cette perspective, notre parti pris consiste à prendre pour référence la définition de la socialisation proposée par Muriel Darmon (2006), en étudiant dans quelle mesure et de quelle manière les contextes sportifs « forment et transforment les individus ». La participation sportive, centrée sur « un apprentissage par corps » (Wacquant, 2001), peut en effet participer à la construction de dispositions spécifiques.

2Mobilisant les analyses de Pierre Bourdieu (1979 ; 1980), des sociologues du sport regroupés autour de Christian Pociello (1980) montrent ainsi le rôle des pratiques sportives dans la construction de rapports au corps et au monde socialement différenciés. Une seconde génération de chercheurs approfondissent aujourd’hui cette perspective de manière heuristique (Bertrand, 2012 ; Schotté, 2012 ; Sorignet, 2010). Qu’il s’agisse des footballeurs, des coureurs marocains ou encore des danseurs, ces auteurs étudient les modalités concrètes de construction et de mobilisation des dispositions sportives ou artistiques au cours des trajectoires sociales. Comme le mettent en évidence leurs travaux, deux points nous paraissent particulièrement importants pour mieux saisir les effets des socialisations sportives. D’une part, prendre en compte les dispositions antérieurement constituées ; d’autre part, analyser les socialisations concomitantes (éventuellement concurrentes, ou au contraire convergentes). Bernard Lahire (2004) invite ainsi les sociologues du sport à être à la fois « dispositionnalistes et contextualistes ».

  • 1 On peut faire la même remarque en ce qui concerne la géographie (Augustin, 2014) et l’histoire du s (...)
  • 2 Pour une présentation plus détaillée des travaux de Connell et Messerschmidt (2005), le lecteur pou (...)

3Par ailleurs, si la question des processus de différenciation sociale se situe historiquement au cœur des travaux en sociologie du sport, celle des rapports sociaux de sexe apparaît plus tardivement (Louveau, Davisse, 1998)1 et ces deux formes de hiérarchisation restent souvent étudiées séparément. Or saisir les effets de socialisations sportives implique d’analyser conjointement les rapports sociaux de classe et de sexe, comme le montre Carine Guérandel (2016) à propos de la fabrique des filles et des garçons dans les dispositifs sportifs d’un quartier populaire. Plus précisément, et ce conformément aux propositions de Raewyn Connell et James Messerschmidt (2005), il convient de prendre en compte la pluralité et la hiérarchie des « configurations de pratiques » socialement associées au masculin et au féminin, en identifiant leurs variations en fonction des caractéristiques sociales des sportifs et des contextes dans lesquels ils sont investis. Ces auteurs identifient une pluralité de formes de masculinités et de féminité, hiérarchisées entre elles. Une forme de masculinité qu’ils qualifient « d’hégémonique », organisée autour de la promotion de la force physique et de la combativité, se situe en position dominante dans le monde sportif. Néanmoins, elle peut prendre de multiples visages en fonction des contextes socio-sportifs dans lesquels elle s’inscrit2.

4A partir de ces propositions, l’article propose d’étudier les relations entre la socialisation sportive des garçons et leur intégration sociale, en questionnant l’influence des rapports au corps et au sport sur les relations sociales à l’école primaire. Le sport apparaît en effet comme un investissement particulièrement valorisé et valorisant pour les garçons (Connell, Messerschmidt, 2005 ; Messner, 2011). Dans les groupes d’enfants, il constitue le principal critère de popularité pour ces derniers, tandis qu’il revêt un caractère très secondaire pour les filles (Shakib et al., 2011). Cependant, si les garçons ont un intérêt remarqué pour les jeux physiques et sportifs, on observe néanmoins une variété des comportements, des goûts et des pratiques. Les socialisations plurielles et leurs effets, tantôt réciproques, tantôt contradictoires, de même que la variété des trajectoires sociales, scolaires et sportives des enfants, invitent ainsi à déconstruire l’idée que l’ensemble des garçons (ou des filles) partagent une majorité de goûts communs. Plus précisément, l’article met en évidence le rôle central de la socialisation sportive dans la position marginale de deux groupes de garçons d’une classe de cm2, nommés les « combattants » et les « garçons distants du sport ». Sans être dénués de compétences sportives, les premiers valorisent un mode d’engagement corporel qui privilégie l’usage de la violence physique, et qui contribue à les stigmatiser dans l’espace de la cour. Leur socialisation sportive dans des pratiques informelles, autant que leur socialisation familiale dans un milieu populaire précarisé, permettent de mieux comprendre les modes de formation de leurs dispositions agonistiques. Les seconds, qui témoignent peu d’appétence pour les jeux sportifs, occupent également une position marginale. Dans leur cas, c’est une relative absence de socialisation sportive, en raison de formes de socialisation familiale spécifiques, qui explique leur manque de compétences dans ce domaine.

Méthodologie

  • 3 Cette enquête s’inscrit dans le cadre du projet anr normenfan (Prescription des normes, socialisati (...)
  • 4 Même si notre méthodologie d’enquête se rapproche de celle mobilisée par Jean-Luc Canal (2000 ; 200 (...)

L’article s’appuie sur une enquête ethnographique d’une durée de deux ans réalisée dans une école publique d’une commune rurale du Sud-Ouest3. Cette dernière accueille une population socialement mixte avec une prédominance des classes populaires et moyennes. Un même groupe d’enfants a été suivi au cm1 puis au cm2. Les garçons y sont nettement surreprésentés : au cm1 (2010-2011) la classe compte 21 élèves, dont 16 garçons et 5 filles et, au cm2 (2011-2012), 23 élèves dont 14 garçons et 9 filles. Nous avons investi l’espace de la cour d’école, en tant que lieu propice à l’observation des interactions et des pratiques auto organisées (Delalande, 2001), mais aussi les cours d’éducation physique et sportive4, les clubs sportifs fréquentés par certains garçons et des espaces sportifs libres d’accès, comme un terrain de football situé dans le quartier d’habitat social. Nous avons également réalisé des entretiens avec les enfants, avec une partie des parents et avec le personnel éducatif.

5Une première partie présente les deux groupes de garçons, leurs usages des pratiques corporelles et sportives dans l’espace de la cour et leurs relations avec leurs camarades de classe. Dans un deuxième temps, la réalisation des portraits de deux garçons appartenant à chacun de ces deux groupes permet de mettre en évidence les modes de socialisation familiale et sportive à l’origine de la construction de rapports au sport spécifiques, qui jouent un rôle central dans leur marginalisation.

Marginalité et usages du corps

  • 5 Au sein de ce groupe, le niveau et la nature des compétences sportives ne sont pas homogènes.
  • 6 Si les membres de ce groupe ne figurent pas tous parmi les enfants les plus performants scolairemen (...)

6Les observations réalisées ont permis de repérer rapidement un réseau relationnel étendu, relativement stable dans le temps. Il regroupe huit garçons qui se caractérisent à la fois par leurs compétences sportives5 et par leur conformité aux normes scolaires. Ce réseau se réunit notamment pour partager des activités récréatives, le plus souvent physiques et sportives. Il apparaît comme étant remarquablement attractif (les garçons qui en sont éloignés souhaiteraient l’intégrer) et se situe en position relativement dominante, dans la mesure où ses membres sont à l’initiative des activités ludiques les plus prisées par les enfants et occupent par ailleurs l’espace central de la cour. Ce groupe rassemble des garçons appartenant aux classes moyennes et aux milieux populaires stables, en situation de réussite scolaire6. Ses membres entretiennent des contacts sociaux élargis dans leur groupe de sexe mais aussi avec certaines filles. A contrario, d’autres garçons (n= 3), moins intégrés dans ce réseau dominant, ont des relations plus réduites et occupent une place relativement marginale. Ils se distinguent notamment par des usages du corps et du sport différents de ceux prisés par les garçons du réseau relationnel majoritaire. Les « combattants » font preuve de dispositions agonistiques, qui les discréditent dans l’espace de la cour. Un troisième ensemble, les « garçons distants du sport » (n=2), qui maitrisent peu les compétences sportives, sont également la cible de processus de stigmatisation.

Les « combattants » : dispositions agonistiques et distance aux normes scolaires

7Bien que compétents au plan sportif, les garçons « combattants » sont le plus souvent exclus des activités physiques et sportives organisées par les autres garçons. Ils participent rarement, et toujours pour de courtes durées, aux parties de football qui constituent l’une des activités principales de la majorité de leurs pairs. Pourtant, les trois garçons qui composent ce groupe pratiquent cette activité de manière informelle, et en maîtrisent les gestes techniques. Néanmoins, leurs modalités de pratique et les manières dont ils interagissent avec leurs pairs conduisent fréquemment à leur exclusion du groupe. Julian, Thomas et Antoine valorisent en effet l’usage de la violence verbale et physique. Cette caractéristique concerne notamment les relations qu’ils entretiennent tous les trois. Même si leurs comportements s’inscrivent dans un registre ludique, les coups qu’ils échangent sont nombreux, peu retenus et parfois douloureux. Ils valorisent également la « tchatche » (Lepoutre, 1997) et la capacité à défier les normes scolaires et les règles sportives (Mauger, 2009). En se comportant ainsi avec les autres élèves, ils suscitent leur mise à l’écart du groupe :

En eps, pendant le match de football, Julian bouscule Clothilde et continue sa course, ballon au pied, en évitant les adversaires et en ignorant les appels répétés de ses coéquipiers. Plus tard, il fait tomber Hugo en lui donnant un coup d’épaule. La professeure lui demande de sortir immédiatement du terrain et l’exclut définitivement du jeu.

8Julian privilégie une modalité de pratique qui valorise le contact physique avec l’adversaire plutôt que l’esquive, et la réalisation d’exploits individuels au détriment du jeu collectif. Ce rapport à la pratique renvoie à un usage du sport typique des milieux populaires (Bourdieu, 1979 ; 1980), mais également aux compétences valorisées dans les pratiques sportives auto organisées (Duret, Augustini, 1993). Alors que les compétences sportives de ces trois garçons pourraient leur permettre de s’imposer lors des cours d’éducation physique et sportive, leurs modes d’engagements relativement agonistiques les disqualifient. Leur participation à des activités ludiques dans l’espace de la cour se solde également par leur mise à l’écart :

Julian, Antoine et Thomas participent à la partie de chat perché, initiée par des garçons du réseau majoritaire. Cette activité partagée ne durera pas longtemps (moins de 5 minutes). Afin d’échapper au « chat », Antoine pousse une fille qui veut monter sur un muret et lui prend sa place. Thomas essaye de monter sur le dos de son camarade. N’y parvenant pas, il repousse fortement le « chat » et saute sur les marches situées à côté. Leurs comportements, qui ne respectent pas les règles collectivement admises, entraînent les protestations des autres élèves de la classe. Le conflit prend de l’ampleur, et Thomas et Antoine sont contraints de quitter le jeu. Ils s’exécutent de mauvaise grâce, en qualifiant les autres élèves de « gros nazes ».

9Ainsi, les « combattants » entretiennent des relations conflictuelles avec les garçons mais aussi avec les filles de leur classe. Ils prennent un malin plaisir à provoquer ces dernières, leur signifiant ainsi leur intérêt, même si celui-ci n’est pas réciproque.

  • 7 La mère de Julian est sans emploi depuis plusieurs années et son père est maçon (intérimaire). La m (...)

10Si leurs usages du corps et leurs modes d’interaction contribuent à les isoler, leur faible légitimité scolaire et le processus de stigmatisation dont ils sont l’objet renforcent leur investissement dans une « culture de la provocation » (Beaud, Pialoux, 2002). Dans ce contexte, leurs compétences agonistiques apparaissent comme les seules ressources mobilisables. Julian, Thomas et Antoine, dont les familles appartiennent aux fractions inférieures des classes populaires7, sont en effet confrontés à des difficultés scolaires (ils ont redoublé une classe et sont peu investis dans les tâches scolaires). La professeure des écoles en charge de la classe estime par ailleurs qu’ils sont difficiles à gérer et dénonce fréquemment leur comportement devant les autres élèves :

« Toujours en train de faire les idiots ceux-là. Mais on a toujours des élèves perturbateurs. C’est vrai que quand Julian fait l’andouille, je ne vais pas avoir la même attitude qu’avec une Gabrielle ou Stéphane qui ne bougent pas. »

11Ce faisant, elle contribue ainsi à leur étiquetage, processus largement relayé par les autres élèves, qui interprètent leurs difficultés scolaires et leur comportement comme un défaut d’intelligence (« ce sont des gros débiles » (Stéphane), « ils ne servent à rien à part à faire chier leur monde » (Marius)). Ainsi, les comportements des « combattants » ne sont pas toujours à l’origine de leur exclusion :

Thomas traverse la partie de la cour où les garçons jouent au football et attrape le ballon au vol. Il dribble et esquive les autres. Cela ne dure pas longtemps. Marius arrive à sa droite et le pousse, et Stéphane récupère le ballon. Les garçons s’approchent alors de Julian et réprouvent son comportement : « Dégage », « non mais ça va pas », « trop débile le mec ».

12En s’invitant dans la partie de football, Thomas tente de s’insérer au réseau relationnel dominant, dans un domaine où il estime être compétent. Néanmoins, l’appréciation négative dont il fait l’objet se traduit par son éviction du groupe.

13Exclus des parties de football, les « combattants » investissent des jeux interdits ou des activités déjà abandonnées par leurs camarades. Au delà de leurs pratiques ludiques agonistiques, qui simulent différentes formes de combat, ils apprécient les défis physiques, notamment quand il s’agit de transgresser les règles établies (comme de courir dans des espaces interdits pour cet usage, de sauter sur le rebord des fenêtres, ou encore de pénétrer dans les toilettes des filles).

Antoine et Thomas entrent dans les toilettes des filles. Les filles en sortent alors en courant. Elles sont trempées et des éclaboussures sont encore projetées par l’encadrement de la porte. La directrice intervient et les deux garçons sont punis.

14Comme le montre Sylvie Ayral (2011), défier les règles scolaires et sportives constitue pour les garçons un moyen de se valoriser. Néanmoins, dans le contexte enquêté, ce comportement contribue aussi à leur marginalisation.

  • 8 Jouer avec des enfants plus jeunes qu’eux leur permet également de s’opposer à des adversaires qui (...)

15Julian, Thomas et Antoine s’engagent également dans des parties de billes, activité dépréciée par les garçons de leur classe. Ils choisissent comme adversaires des élèves plus jeunes qu’ils jugent moins performants8, pour s’assurer une issue favorable. En revanche, ils jouent peu l’un contre l’autre. L’objectif de leurs activités ludiques, qu’il s’agisse des billes ou du football, étant de (re)construire une image plus positive d’eux mêmes en faisant la preuve de leur compétence, voire de leur supériorité, ils cessent de s’investir s’ils ne parviennent pas à leur fin, et/ ou mobilisent leurs dispositions agonistiques si nécessaire.

16Ainsi, le goût et les compétences de Julian, Thomas et Antoine pour l’affrontement physique (et verbal) jouent un rôle important dans leur marginalisation. Néanmoins, on peut considérer ce processus comme circulaire : la force des processus de stigmatisation auxquels ils sont confrontés renforce leur usage de la violence physique. La situation de ces trois garçons met ainsi en évidence les coûts importants (Dulong, Guionnet, Neveu, 2012) relatifs à la socialisation dans des contextes familiaux et sportifs qui, nous le verrons, se distinguent nettement de la forme scolaire (Vincent, 1994). Bien loin des « combattants », un deuxième groupe de garçons occupe une place marginale dans la classe : les « garçons distants du sport », qui se caractérisent avant tout par leur manque de compétences sportives.

Les « garçons distants du sport » : une faible conformité aux normes de genre et d’âge

17Comme les garçons du groupe précédent, Hugo et Pablo partagent peu d’activités ludiques avec leurs pairs, et disposent d’un réseau relationnel restreint. Néanmoins, dans leur cas, le processus de marginalisation ne résulte pas de l’usage de compétences agonistiques et d’une distance aux normes scolaires, mais prend au contraire sa source dans leur manque de maitrise des compétences sportives et leur faible conformité aux normes de genre et d’âge.

18Pablo et Hugo s’investissent essentiellement dans des activités ludiques qui ne nécessitent pas de compétences physiques et sportives, comme les jeux d’imagination, les jeux de cartes « pokémon », ou encore les combats de toupies « B Blade », qui sont prisés par les garçons plus jeunes. Ce sont également les seuls garçons à dessiner dans la cour (comme de nombreuses filles). Ainsi, les activités ludiques de ces deux garçons les discréditent doublement auprès de leurs camarades de classe : d’une part, ils choisissent des pratiques inadaptées à leur âge (du point de vue de leurs pairs), d’autre part, ils transgressent également les normes de genre. Leur engagement dans ces activités s’explique essentiellement par leur manque de compétences sportives, qui les exclut des activités du réseau masculin dominant.

19Par exemple, pendant les cours d’éducation physique et sportive, Hugo et Pablo peinent souvent à réaliser les exercices proposés.

  • 9 Les cours d’eps étaient assurés par un éducateur sportif, en présence de la professeure responsable (...)

L’éducateur9 leur demande de slalomer balle au pied entre des plots avant de faire une passe à un des deux élèves positionnés sur le coté, pour que ce dernier marque un but. Hugo ne parvient pas à slalomer, s’arrête puis fait une passe peu précise à Antoine. Pablo slalome en courant à très faible allure puis tire directement au but et rate son tir. Les autres élèves rient.

  • 10 Hugo a été diagnostiqué comme dyspraxique. Une assistante d’éducation l’aide une dizaine d’heures p (...)

20L’attitude d’Hugo face à l’exercice témoigne à la fois de difficultés de compréhension10 et de réalisation. La prestation de Pablo révèle la faiblesse de ses compétences sportives mais aussi une volonté de faire comme les autres garçons, en tentant de marquer. Ce faisant, il ne répond pas aux consignes et suscite les moqueries de ses camarades. Les cours d’éducation physique et sportive exposent particulièrement ces deux garçons à des formes de stigmatisation répétées. Par exemple, les autres élèves les sélectionnent systématiquement en dernier, et à contrecœur, pour constituer leurs équipes. Ils sont également fréquemment la cible de propos disqualifiants, qui questionnent leur appartenance de sexe :

Marius et Ethan doublent Hugo puis Pablo en passant devant l’institutrice. Marius lui lance alors « allez fifille lève les pieds », et Ethan ajoute « et ferme la bouche tu vas gober des mouches », puis ils s’éloignent en rigolant.

21Ainsi, leur manque de goût et de compétences pour les activités ludiques appréciées par les autres garçons de leur classe, comme la stigmatisation dont ils sont l’objet, ne les incitent pas à rejoindre leurs pairs. Cependant, même s’ils investissent des espaces à l’écart des activités des autres élèves, ils sont malgré tout la cible privilégiée de certains de leurs camarades, et notamment des « combattants », qui trouvent là une occasion de se valoriser.

Pablo dessine dans un coin de la cour lorsque Julian et Antoine s’approchent. Il cache son dessin. Julian attrape la feuille de papier et part en courant dans la cour avant de la froisser. Pablo, comme figé, ne s’élance pas à leur poursuite. Il décide d’aller en informer la professeure. Pendant son explication, il se met à pleurer.

22Le choix d’espaces retranchés, l’absence de réactions face aux provocations, les pleurs et le fait de solliciter la professeure sont interprétés par les autres élèves comme des signes de faiblesse. Ainsi, tout en évitant les autres garçons, Hugo et Pablo ne sont pas pour autant intégrés dans les groupes de filles :

Gabrielle : « Ah non pas Pablo. Nous on reste entre filles. Des fois on joue avec Pierre, Marius, Rudy et les autres. »
Chlothilde : « Pablo il est trop la “loose” »
Célia : « Ouais un bébé qui chouine ! »

23Alors qu’elles s’investissent volontiers dans certains jeux physiques avec les autres garçons de la classe, Gabrielle, Clotilde et Célia insistent sur le manque de conformité de Pablo et Hugo aux normes d’âge pour justifier leur souhait de rester « entre filles ». La position de ces deux garçons dans le groupe classe est ainsi très dépréciée. Leur exclusion des réseaux relationnels féminins montre que des garçons peuvent être doublement dominés, par les garçons, mais aussi par les filles. Ce constat questionne le caractère « absolu » de la position subordonnée des femmes par rapport à celle des hommes, conformément aux critiques adressées par Demetrakis Demetriou (2015) au modèle de la masculinité hégémonique de Connell.

  • 11 Hugo appartient à une famille des classes populaires. Sa mère est sans emploi et son père est agent (...)

24Par ailleurs, comme pour les « combattants », si ces garçons « distants du sport » sont relativement isolés, les relations qu’ils entretiennent entre eux ne sont ni très complices, ni très fréquentes, ce qui confronte ces élèves à une forte solitude. Le « groupe » formé par Pablo et Hugo est moins homogène sur le plan social que le précédent11. Ils rencontrent tous les deux des difficultés scolaires, mais ces dernières semblent moins durables pour Pablo. Ou plutôt, dans le cas de Pablo, ces difficultés scolaires récentes paraissent directement liées à la dégradation de ses relations avec ses pairs. Ce processus progressif a débuté au cours de l’année de cm1, lorsque les pratiques récréatives des autres garçons se sont davantage spécialisées autour des jeux physiques et sportifs. Sa mère explique en effet que son fils était bien intégré dans le réseau relationnel dominant jusqu’à l’année précédente. De son point de vue, son exclusion est à l’origine de la détérioration de son rapport à l’école :

« Jusqu’à présent il a toujours aimé l’école. Bon, mardi il m’a téléphoné en larmes, il voulait plus aller à l’école. Mais bon, c’était un petit peu latent depuis, depuis quelque temps. Pablo était très bon, y’avait aucun problème et là l’institutrice elle me dit oui, il n’est pas admis par le groupe parce qu’il a des attitudes de bébé. Et je sais que tout va ensemble parce que, il est très sensible, il est un peu comme moi, dès qu’il est triste, il a les larmes. Donc forcément, ça donne encore plus d’arguments à ses copains pour le traiter de bébé ou de fille, et ça lui fait encore plus de peine. Alors du coup, il n’a pas envie d’aller à l’école et les notes baissent. »

  • 12 Hugo est partiellement protégé de cette expression de la violence symbolique par la présence fréque (...)

25La violence symbolique dont est victime Pablo en raison de sa distance aux normes générationnelles et de genre a peu à peu modifié son rapport à l’institution scolaire. Dans son cas, la perte de goût pour l’école ne relève pas de l’absence de dispositions scolaires, mais plutôt d’un contexte peu favorable à leur expression, qui vient perturber sa capacité à les mobiliser. Pour Hugo12 et Pablo, le coût de leur absence de compétentes sportives est particulièrement élevé.

26Les deux groupes présentés dans cet article sont donc marginalisés pour des raisons différentes. Les « combattants » mobilisent des usages du corps et des registres d’interaction jugés trop violents pour intégrer le groupe des garçons sportifs, tandis que les garçons distants du sport sont assimilés à des filles et/ou à des garçons plus (trop) jeunes. Dans les deux cas, pourtant, les dispositions corporelles et sportives des enquêtés jouent un rôle central dans leur mise à l’écart du groupe classe. Deux portraits de l’un des garçons de ces deux groupes permettent de mieux saisir les logiques sociales qui ont contribué à leur formation.

Marginalité et modes de socialisation

27Analysons l’articulation des modes de socialisation de deux garçons appartenant aux deux groupes précédemment identifiés. Thomas, un garçon « combattant », a acquis des dispositions agonistiques dans le cadre d’une socialisation intensive au sein d’un groupe de pairs, qui accorde une place importante aux pratiques sportives informelles. Dans le cas de Pablo, la socialisation familiale occupe une place centrale, et elle apparaît comme étant centrée sur les pratiques artistiques, et peu orientée vers les pratiques sportives.

Thomas: socialisation sportive et distance aux normes scolaires

28Thomas appartient à une famille des milieux populaires en situation de précarité économique, installée dans l’unique quartier d’habitat social de la commune. Il a grandi dans un quartier populaire d’une grande ville du Sud. Il a pratiqué le football de 6 ans à 8 ans, dans un club situé dans l’un des quartiers d’habitat social de sa commune d’origine. En sus de cette pratique associative, il participait également à des parties de football auto organisées. Comme le montre Elsa Zotian (2010), le football pratiqué dans certains clubs des quartiers populaires et les pratiques sportives informelles organisées dans ces espaces peuvent contribuer à l’intériorisation de la « loi du plus fort » et familiarisent à l’usage de la violence physique. Les modes de socialisation qui y sont observés sont en effet relativement éloignés de la forme scolaire, tant dans les formes d’apprentissage proposées, peu structurées, que dans les registres de langage et les modes d’interaction privilégiés :

29Thomas, parlant du football pratiqué avec ses pairs dans le quartier : « Le foot. C’est très différent d’ici (de ce que l’on peut faire dans le cadre scolaire). Tu ne peux pas faire ce que tu veux. Si tu ne veux pas te prendre des claques faut respecter... Y’a des copains du collège, y’a des grands, c’est difficile de jouer avec eux. Ils sont plus forts et ils nous frappent parfois »

30Thomas signale la relative brutalité par laquelle s’exercent les rapports de domination notamment des plus grands, des plus âgés et des plus compétents vers les plus petits, les plus jeunes et les moins performants. Dans ce contexte, il n’apprend pas à réguler son comportement et à acquérir ainsi l’autonomie nécessaire à une intégration réussie en milieu scolaire (Thin, 1998) ou en milieu sportif institutionnalisé. Thomas s’est en effet inscrit dans le club de football de la commune peu après son arrivée, mais il a fini par abandonner la pratique, estimant qu’il était contraint à sortir du terrain plus fréquemment que les autres. En se tenant à distance du sport organisé et en fréquentant intensément le terrain de football du quartier, il intériorise des usages du corps et des registres d’interaction agonistiques, grâce auxquels il tente ensuite de s’imposer à son tour :

« En passant à proximité du quartier où vivent Julian et Thomas, je vois qu’ils jouent au football avec des amis. Soudain, Julian s’énerve et bouscule un garçon pour récupérer le ballon. « Espèce de connard c’est à moi ». Il le pousse brutalement et lui hurle « dégage, va voir ta mère ! ». Thomas le soutient en l’injuriant à son tour et en le traitant de « fiotte ». »

31Les pressions hétéronormatives étant particulièrement présentes dans les milieux les plus défavorisés, afficher une certaine dureté et privilégier des interactions sur le mode dominants-dominés permet d’affirmer son appartenance au groupe des hommes. Au côté des pairs côtoyés dans son quartier, Thomas construit ainsi une forme de masculinité populaire « contre-culturelle » (Mauger, 2009) dont la force physique constitue la ressource principale (Lepoutre, 1997 ; Sauvadet, 2006). Ce modèle de comportement est en effet particulièrement intéressant à s’approprier pour des garçons dominés socialement (Beaud, Pialoux, 2002). Cependant, les activités sportives partagées avec ses pairs se traduisent par un apprentissage « par corps » (Wacquant, 2001) d’une forme de sociabilité qui le discrédite dans le contexte scolaire (Millet, Thin, 2005).

  • 13 Les parents de Thomas n’ont pas répondu favorablement à l’entretien. Il convient donc de relativise (...)

32L’influence considérable de la « socialisation du dehors » (Guérandel, 2016) dans la formation des dispositions agonistiques de Thomas s’explique par la moindre influence de sa socialisation familiale. Son investissement prolongé dans des réseaux relationnels masculins résulte en effet d’un style éducatif parental très permissif13 (Lahire, 1995), fondé sur l’idéal type du « développement naturel » (Larreau, 2003) caractéristique des familles des classes populaires. Ses parents exercent en effet un faible contrôle sur ses fréquentations et ses activités (« A la maison, je fais ce que je veux »). Thomas sort ou regarde la télévision quand il le souhaite. L’organisation de la vie familiale, caractérisée par un ordre moral domestique peu contraignant (Lahire, 1995), ne facilite pas son inscription dans des contextes institutionnels (sportifs et scolaires).

33In fine, le mode de socialisation familiale de Thomas s’oppose partiellement sinon totalement, au mode de socialisation scolaire (Thin, 1998). Il autorise et renforce en ce sens les apprentissages réalisés dans le cadre des pratiques sportives informelles avec les pairs du quartier. Sans céder au misérabilisme, qui interprèterait les difficultés à s’inscrire dans des contextes institutionnels comme une défaillance éducative ou un manque de compétences, on peut faire l’hypothèse, comme Stéphane Beaud et Michel Pialoux (2002), que les bénéfices associés aux compétences agonistiques dans certains espaces sociaux fonctionnent en même temps comme des stigmates, dès lors que les normes de comportement renvoient aux normes valorisés par les classes moyennes et favorisées.

Pablo : socialisation familiale aux pratiques artistiques et distance aux normes de genre

  • 14 En sixième, Pablo arrête le basket mais continue les cours de piano et prend l’option chant. Ces ch (...)

34Pablo est fils unique et grandit dans une famille des petites classes moyennes. Ses parents sont séparés depuis qu’il a 7 ans et il vit chez sa mère. Il fait du basket (depuis 1 an), des arts plastiques (1 an), du solfège (4 ans) et du piano (6 ans) dans le cadre associatif. Au contraire des garçons de son école, le sport associatif occupe une place très secondaire dans sa socialisation. Il a choisi le basket14 encouragé par ses parents, qui souhaitent développer la sociabilité de leur fils compte tenu de ses difficultés d’intégration au groupe classe.

« Pour Pablo, je me suis dit que s’il faisait comme les autres, qu’il rencontrait des copains au sport ce serait bien. Parce que les autres ils sont plus proches à l’école comme ils font du sport ensemble » (mère de Pablo).

35L’injonction à faire du sport lorsqu’on est un garçon est tellement forte que Pablo poursuit le basket sans y trouver un réel intérêt. Son faible engagement et l’absence de participation à des compétitions montrent toutefois que la correspondance entre goût et pratique n’est pas systématique (Ohl, 2004) et que pratiquer un sport collectif ne suffit pas à construire des dispositions agonistiques.

36Si le sport occupe une place marginale dans la socialisation de Pablo, il est en revanche très investi dans les activités artistiques et manuelles, qu’il partage avec sa mère, sa grand-mère ou sa cousine :

« Il s’est mis à faire des bijoux en pâte fimo. Il aime bien. Mais depuis tout petit quand je faisais les boucles d’oreilles tout ça, il me les préparait puis il faisait des créations »

37Les activités associatives de Pablo, comme les activités manuelles partagées en famille, l’inscrivent dans des réseaux relationnels majoritairement féminins. Ainsi, Pablo n’apprend pas à interagir conformément aux modalités d’interaction privilégiées par les garçons de sa classe. Loin d’être trop engagé physiquement, comme ses camarades du premier groupe, il se caractérise par une forte distance à la compétition et aux situations d’opposition (y compris verbale), que ses pairs du même sexe affectionnent. Ces activités développent par ailleurs des dispositions favorables à l’expression de ses sentiments, quand la retenue dans ce domaine apparaît comme un élément central dans la construction du masculin (Messner, 1992). Les apprentissages réalisés par Pablo dans le cadre familial et associatif construisent ainsi des compétences très différentes de celles de ses pairs. Sa singularité s’observe également au niveau de ses goûts musicaux, qu’il ne partage pas non plus avec les élèves de sa classe. Ses parents l’initient en effet à la musique classique, témoignant ainsi d’une « bonne volonté culturelle » (Bourdieu, 1979) caractéristique de la petite bourgeoisie :

« Je lui fais toujours écouter de la musique classique, chez son père aussi. Donc c’est venu de, de lui-même et puis il aime. Il aime et il est doué. Donc on va aussi souvent que possible écouter des concerts. Voilà, on essaye de l’intéresser. »

38Si les pratiques éducatives des parents de Pablo peuvent surprendre au regard de leur position sociale (la mère est artisan, le père commerçant), leur rapport au sport et à la culture permet de mieux comprendre leurs pratiques éducatives. En effet, ni son père, ni sa mère n’ont pratiqué de pratique sportive compétitive. Inversement, ils accordent une importance centrale aux « arts », témoignant d’une proximité avec les aspirations propres aux classes moyennes cultivées. La mère de Pablo, par exemple, affirme avoir de nombreux amis « artistes » et qualifie de la même manière sa propre mère (« elle est très artiste ma mère, elle sait tout faire »). Comme le montrent Mennesson, Bertrand et Court (2016), ce rapport privilégié aux activités artistiques s’accompagne d’une forte critique de la compétition sportive et des sports appropriés par les garçons des milieux populaires, tels que le football. L’éducation de Pablo s’organise ainsi autour d’un style de vie cultivé qui ne favorise pas son investissement dans les pratiques sportives.

39Au delà de cette caractéristique, deux éléments contribuent également à éloigner Pablo du monde sportif. D’une part, ces parents défendent une position égalitaire en matière d’éducation des filles et des garçons, qui s’observe notamment dans les fractions cultivées des classes moyennes (Mennesson, 2011). Sa socialisation familiale permet ainsi l’intériorisation d’un certain nombre de dispositions socialement associées au féminin. D’autre part, les pratiques éducatives parentales correspondent parfaitement au modèle d’une « inculcation systématique », qui limite le temps passé et les effets de la socialisation entre pairs dans des contextes informels (Larreau, 2003). Ainsi, la mère de Pablo exerce un contrôle strict de ses fréquentations et son fils invite peu d’amis au domicile parental. En ce sens, les pratiques éducatives parentales, en limitant le contact avec les pairs et en l’éloignant du monde sportif, compliquent involontairement son intégration au groupe classe, dans un contexte scolaire rural où les élèves des fractions cultivés des classes moyennes sont nettement minoritaires.

Conclusion

40L’expérience des garçons analysée dans cet article permet d’étudier les rapports entre la participation sportive et les relations sociales d’une manière renouvelée, en s’intéressant aux effets des usages du corps et du sport sur l’intégration en milieu scolaire. Dans les deux cas, les dispositions corporelles intériorisées dans le cadre d’activités associatives et/ou informelles placent les enquêtés dans une position défavorable au sein du groupe classe (et notamment du réseau masculin). Privilégiant un usage agonistique du corps et du sport, et peu dotés en capital scolaire, les « combattants » tentent de participer, de manière inadéquate, aux activités ludiques sportives qui constituent le centre d’intérêt principal des autres garçons. Dépourvus de compétences sportives, les garçons « distants du sport » s’excluent eux-mêmes des jeux physiques, et donc du réseau majoritaire, afin de ne pas s’exposer à des commentaires désobligeants sur leurs faibles performances. Deux « configurations de pratiques » (Connell, Messerschmidt, 2005) occupent ainsi une position dominée dans ce contexte où les compétences sportives forgées dans des cadres associatifs proches des normes scolaires se situent nettement en position hégémonique. Néanmoins, ces deux groupes de garçons ne sont pas seulement déclassés parmi les garçons, ils n’attirent pas davantage la sympathie des filles. Ce faisant, ces dernières participent également à l’hégémonie des garçons sportifs et conformes aux normes scolaires, en rejetant ceux qui adoptent d’autres comportements. Comme le montrent McGuffey et Rich (1999), les garçons les mieux positionnés dans la hiérarchie imposent finalement leur système de valeurs, et le rapport au sport occupe une place centrale dans leur mode de classement. Enfin, dans la lutte engagée entre les « outsiders » pour ne pas occuper la place la plus dépréciée (Elias, Scotson, 1997), les garçons « distants du sport » constituent la cible privilégiée des « combattants ».

41Si ces deux groupes partagent l’expérience de la stigmatisation et de la relégation, les logiques sociales à l’origine de leur exclusion diffèrent. Pour les premiers, les modes de socialisation familiale construisent une forte proximité avec les pratiques et les goûts parentaux, éloignés du sport. Pour les seconds, l’importance de la socialisation par les pairs à l’extérieur de tout cadre institutionnel, consécutive à un mode d’autorité parental relativement aléatoire, se traduit par une distance aux normes scolaires. Dans les deux cas cependant, les modes de socialisation de ces enquêtés les éloignent de normes scolaires, de genre et/ou d’âge, qui structurent les relations sociales entre enfants dans le contexte observé, et les coûts relatifs à ce manque de conformité se traduisent par leur position marginale. L’expérience de la relégation de ces deux groupes d’enquêtés permet également de pointer, en creux, les bénéfices que les garçons du réseau dominant tirent de leurs compétences sportives et scolaires, acquises pour partie par un investissement durable dans des contextes sportifs institutionnalisés et « scolarisés ».

Haut de page

Bibliographie

Augustin (J.-P.), 2014, « Mixité, genre et sports : les allégories de la “supériorité” masculine ». in Ayral (S.), Raibaud (Y.), dir, Pour en finir avec la fabrique des garçons, vol. 2, Loisir, Sport, Culture, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 29-35.

Ayral (S.), 2011, La fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège, Paris, Presses universitaires de France.

Beaud (S.), Pialoux (M.), 2002, « Jeunes ouvriers à l’usine. Notes de recherche sur la concurrence garçons/filles et sur la remise en cause de la masculinité ouvrière », Travail, genre et sociétés, n° 8, 73-103.

Bertrand (J.), 2012, La fabrique des footballeurs, Paris, La Dispute.

Bertrand (J.), Mennesson (C.), Court (M.), 2014, « Des garçons qui n’entrent pas dans le jeu de la compétition sportive : les conditions familiales d’une atypie de genre », Recherches familiales, n° 11, 85-6.

Bertrand (J.), Court (M.), Mennesson (C.), Zabban (V.), 2015, « Introduction. Socialisations masculines, de l’enfance à l’âge adulte », Terrains et Travaux, n° 27, 5-19.

Bourdieu (P.), 1979, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Minuit.

Bourdieu (P.), 1980, Le sens pratique, Paris, Minuit.

Canal (J.-L.), 2000, « Ethnographie d’une classe de 6ème en éducation physique : des règles du jeu… aux jeux avec les règles », Corps et culture, n° 5, 57-78.

Canal (J.-L.), 2002, Ethnographie d’une classe ordinaire de sixième en éducation physique et sportive : l’épreuve des limites, thèse de doctorat en staps, Université de Montpellier I.

Connell (R.), Messerschmidt (J.), 2005, « Hegemonic Masculinity: Rethinking the Concept », Gender & Society, vol. 19, n° 6, 829-859.

Darmon (M.), 2006, La socialisation, Paris, Armand Colin.

Delalande (J.), 2001, La cour de récréation. Pour une anthropologie de l’enfance, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Demetriou (D.), 2015. « La masculinité hégémonique : lecture critique d’un concept de Raewyn Connell », Genre, sexualité & société, n° 13, <http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/3546>.

Dulong (D.), Guionnet (C.), Neveu (E.), 2012, Boys don’t cry ! Les coûts de la domination masculine, Presses universitaires de Rennes.

Duret (P.), Augustini (M.), 1993, Sports de rue et insertion sociale. Paris : insep.

Elias (N.), Scotson (J.-L.), 1997, Logiques de l’exclusion. Enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, Paris, Fayard.

Falcoz (M.), Koebel (M.), 2005, Intégration par le sport : représentations et réalités, Paris, L’Harmattan.

Gasparini (W.), 2008, « L’intégration par le sport : genèse politique d’une croyance collective », Sociétés Contemporaines, n° 69, 7-23.

Gasparini (W.), Vieille-Marchiset (G.), 2008, Sport, politiques publiques et quartiers populaires, Paris, Presses universitaires de France.

Guerandel (C.), 2016, Le sport fait mâle. La fabrique des filles et des garçons dans les cités, Presses universitaires de Grenoble.

Lahire (B.), 1995, Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieu populaire, Paris, Gallimard/ Seuil.

Lahire (B.), 2004, L’Esprit sociologique, Paris, La Découverte.

Larreau (A.), 2003, Unegal childhoods : class, race and Family Life, Berkely, University of California Press.

Lepoutre (D.), 1997, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob.

Louveau (C.), Davisse (A.), 1998, Sports, école, société, la différence des sexes, Paris, L’Harmattan.

Mc Guffey (C. S.), Rich (B. L.), 1999, « Playing in the gender transgression zone : Race, class and hegemonique masculinity in middle childhood », Gender & Society, vol. 13, n° 5, 608-627.

Mauger (G.), 2001, « Les politiques d’insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 136-137, 5-14.

Mauger (G.), 2009. La sociologie de la délinquance juvénile, Paris, La Découverte.

Mennesson (C.), 2011, « Socialisation familiale et investissement des filles et des garçons dans les pratiques culturelles et sportives associatives », Réseaux : Communication, Technologie, Société, n° 168-169, 87-110.

Mennesson (C.), Bertrand (J.), Court (M.), 2016, « Forger sa volonté ou s’exprimer : les usages socialement différenciés des pratiques physiques et sportives enfantines », Sociologie, vol. 4, n° 7, 393-438.

Messner (M.), 1992), Power at play. Sports and the Problem of Masculinity, Boston, Beacon Press.

Millet (M.), Thin (D.), 2005, Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question sociale, Paris, Presses universitaires de France.

Octobre (S.), 2005, « Pratiques sportives et jeunes en difficulté », in Falcoz (M.), Koebel (M.), dir., Intégration par le sport : représentations et réalités, Paris, L’Harmattan.

Ohl (F.), 2004, « Goût et culture de masse : l’exemple du sport », Sociologie et société, vol. 36, n° 1, 209-228.

Piaget (J.), 1932, Le jugement moral chez l’enfant, Paris, Alcan.

Pociello (C.), dir., 1981, Sports et sociétés. Approche socio-culturelle des pratiques, Paris, Vigot.

Sauvadet (T.), 2006. Le capital guerrier. Concurrence et solidarité entre jeunes de cité, Paris, Armand Colin.

Schotte (M.), 2012, La construction du “talent”. Sociologie de la domination des coureurs marocains, Paris, Raisons d’agir.

Sorignet (P.-E.), 2010, Danser, enquête dans les coulisses d’une vocation, Paris, La Découverte.

Terret (T.), 2004, « Sport et masculinités. Une revue de questions », staps, vol. 25, n° 66, 209-225.

Thin (D.), 1998, Quartiers populaires. L’école et les familles, Lyon, Presses universitaires de Lyon.

Vincent (G.), dir., 1994, L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, Presses universitaires de Lyon.

Wacquant (L.), 2001, Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille, Agone.

Zotian (E.), 2010, « Les dimensions sociales de la pratique du football chez les garçons de milieu populaire », in Octobre (S.), Sirota (R.), dir., Enfance et Cultures : regards des sciences humaines et sociales. Actes du colloque, Paris.

Haut de page

Notes

1 On peut faire la même remarque en ce qui concerne la géographie (Augustin, 2014) et l’histoire du sport (Terret, 2004).

2 Pour une présentation plus détaillée des travaux de Connell et Messerschmidt (2005), le lecteur pourra notamment se reporter à l’introduction du numéro de la revue Terrains et Travaux, consacrée aux socialisations masculines (Bertrand, Court, Mennesson et Zabban, 2015).

3 Cette enquête s’inscrit dans le cadre du projet anr normenfan (Prescription des normes, socialisation corporelle des enfants et construction du genre) dirigé par Christine Mennesson et Gérard Neyrand.

4 Même si notre méthodologie d’enquête se rapproche de celle mobilisée par Jean-Luc Canal (2000 ; 2002) pour observer une classe de 6ème en eps, notre démarche est néanmoins très différente. En effet, d’une part, notre attention se porte notamment sur les différences de comportement à l’intérieur même des groupes de sexe, et n’oppose pas systématiquement l’ensemble des garcons à l’ensemble des filles ; d’autre part, ces variations intra-sexe sont analysées en fonction des caractéristiques sociales, scolaires et sexuées des enquêtés.

5 Au sein de ce groupe, le niveau et la nature des compétences sportives ne sont pas homogènes.

6 Si les membres de ce groupe ne figurent pas tous parmi les enfants les plus performants scolairement, aucun d’entre eux ne rencontre de difficultés scolaires particulières.

7 La mère de Julian est sans emploi depuis plusieurs années et son père est maçon (intérimaire). La mère d’Antoine fait quelques heures de ménage chaque semaine et son père est chauffeur routier. La mère de Thomas est employée dans une grande surface et son père est chômeur depuis environ un an.

8 Jouer avec des enfants plus jeunes qu’eux leur permet également de s’opposer à des adversaires qui acceptent encore des variations dans la manière de codifier les règles du jeu (Piaget, 1932).

9 Les cours d’eps étaient assurés par un éducateur sportif, en présence de la professeure responsable de la classe.

10 Hugo a été diagnostiqué comme dyspraxique. Une assistante d’éducation l’aide une dizaine d’heures par semaine depuis le ce2.

11 Hugo appartient à une famille des classes populaires. Sa mère est sans emploi et son père est agent de production. La famille de Pablo appartient aux petites classes moyennes. Sa mère est créatrice de bijoux et son père, commerçant, tient une petite boutique de minéraux dans un village.

12 Hugo est partiellement protégé de cette expression de la violence symbolique par la présence fréquente de son assistante de vie scolaire.

13 Les parents de Thomas n’ont pas répondu favorablement à l’entretien. Il convient donc de relativiser en partie ses propos, car on peut imaginer qu’il survalorise volontairement le faible contrôle dont il fait l’objet. Néanmoins, l’enquêtrice a fréquemment observé la présence de Thomas dans son quartier, y compris à des heures relativement tardives.

14 En sixième, Pablo arrête le basket mais continue les cours de piano et prend l’option chant. Ces choix confirment son éloignement vis-à-vis de la pratique sportive en général.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Delphine Joannin et Christine Mennesson, « Des garçons à la marge : socialisations sportives et position au sein des réseaux relationnels en milieu scolaire »Sciences de la société, 101 | 2017, 112-129.

Référence électronique

Delphine Joannin et Christine Mennesson, « Des garçons à la marge : socialisations sportives et position au sein des réseaux relationnels en milieu scolaire »Sciences de la société [En ligne], 101 | 2017, mis en ligne le 24 mai 2019, consulté le 11 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/6371 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.6371

Haut de page

Auteurs

Delphine Joannin

Docteur de l’Université Paul Sabatier, chercheuse associée au sein du cresco (Centre de recherches Sciences Sociales Sports et Corps, ea 7914, Faculté des Sciences du Sport et du Mouvement Humain – 118, rte de Narbonne 31062 Toulouse cedex 09).
djoannin[at]laposte.net

Christine Mennesson

Professeure de Sociologie à l’Université Paul Sabatier, spécialiste des formes de construction du genre dans le domaine des activités physiques et sportives, et directrice du cresco (Centre de recherches Sciences Sociales Sports et Corps, ea 7914, Faculté des Sciences du Sport et du Mouvement Humain – 118, rte de Narbonne 31062 Toulouse cedex 09).
christine.mennesson[at]univ-tlse3.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search