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Note de recherche

L’expérience d’oscillation identitaire dans des dispositifs lectoriels

The identity oscillation experience in lectorial devices
Hélène Crombet
p. 122-137

Résumés

Nous faisons émerger trois moments (immersion, oscillation, distanciation) par lesquels le lecteur est amené à faire l’expérience de romans de la littérature française du xxie siècle relatant la guerre d’Algérie, entendus comme des « dispositifs » : fondamentalement anthropomorphiques, ces « espaces transitionnels » l’invitent à faire l’épreuve des frontières de son identité, à la faveur de techniques et de procédés narratifs qui le projettent dans la pensée de personnages de fiction singuliers. Nous nous focalisons ainsi sur une expérience de la lecture susceptible de faire émerger une ontologie du lecteur tendue vers l’idée d’autonomisation.

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Texte intégral

Introduction : l’expérience autoréflexive du dispositif lectoriel

1A partir du travail de thèse que nous avons réalisé, nous nous focaliserons sur des extraits de quatre romans de la littérature française du xxie siècle qui ont en commun de relater la guerre d’Algérie à la faveur d’une mise en récit particulière. Le lecteur prend en effet connaissance de cette période de l’Histoire en se projetant dans la pensée d’une multiplicité de personnages de fiction, parmi lesquels plusieurs font montre d’une cruauté notable.

  • 1 Jan Baetens, Thierry Lancien et Yves Jeanneret soulignent l’importance d’une reconsidération du rap (...)

2Les conditions de fonctionnement de cette architexture singulière et les effets qu’elle induit sur la réception sont susceptibles de nous interroger1 : par quels mécanismes le lecteur épouse-t-il le point de vue des personnages ? En se projetant dans des figures douées de malveillance, qu’est-il amené à appréhender de lui-même, dans un processus autoréflexif ? Qu’induit en outre cette pluralité des focalisations sur la lecture ?

  • 2 Ce « cadre communicationnel » fournit des « instructions pragmatiques » au lecteur, destinées à sus (...)
  • 3 L’« engagement » est un « processus psychologique dans lequel le sujet finit par ignorer, au moins (...)
  • 4 Et d’ajouter que « l’entre-deux n’est pas fusion indifférenciée de deux pôles (liberté et contraint (...)
  • 5 Ces « sujets transitionnels » entrent en jeu dans le « travail de “personnation” » de l’individu, a (...)

3Nous proposerons de concevoir ces romans comme des « dispositifs » qui font émerger la notion de médiation interactive, instituant un « cadre »2 communicationnel à travers lequel prend place une situation lectorielle engagée3. Dans notre acception, le dispositif renvoie l’individu à une manière d’être au monde, liée à une construction identitaire de soi : « concept par excellence de l’entre-deux »4, il convoque l’idée d’une vacillation flottante entre dedans et dehors. Tel un « espace transitionnel », le roman entendu comme un « dispositif » permet au sujet de faire une expérience d’oscillation identitaire, par sa rencontre avec des personnages de fiction tels des « sujets transitionnels »5 en lesquels il est amené à s’incarner. Fondamentalement anthropomorphique, il lui offre l’occasion de mettre à l’épreuve ses frontières liminaires dans un processus d’individuation : l’expérience du dispositif articule la problématique essentielle du devenir-autre, à la faveur de personnages entendus comme des figures de différenciation et d’indifférenciation, dont la rencontre suscite l’émergence d’une perspective ontologique comprise dans un processus de subjectivation dual, par l’alternance de moments de battements pendulaires entre dépossession et repossession de soi.

  • 6 Précisons que le « lecteur » évoquera la figure qui fait l’expérience de ces dispositifs singuliers (...)

4A partir d’extraits de romans récents, nous mettrons en évidence trois moments par lesquels le lecteur est amené à faire l’expérience de ces dispositifs, dans un processus d’individuation autoréflexif qui fait émerger une « perspective du sujet »6 (Vanoye, 1979, 26). Après avoir exposé les mécanismes narratifs qui tendent à le projeter dans la pensée de personnages compris comme des vecteurs d’incarnation, nous montrerons que le vertige occasionné par sa rencontre avec des personnages sadiques suscite l’expérience d’une vacillation qui met à l’épreuve les frontières de son identité, faisant écho à un processus d’autonomisation. Nous soulèverons ensuite un mouvement de distanciation du lecteur appréhendant divers points de vue fictifs sur une période singulière de l’Histoire, à travers une esthétique marquée par son « excentricité ».

L’incarnation du lecteur dans des personnages de fiction

Techniques et procédés immersifs

5Afin d’illustrer les mécanismes de projection du lecteur dans la pensée de personnages de fiction, nous prendrons exemple sur deux extraits de romans récents relatant la guerre d’Algérie.

6C’était notre terre s’ouvre sur une narration portée par Claudia Jacquemain, l’une des filles d’une famille de colons installée en Algérie. Dans un récit introspectif, elle se remémore avec nostalgie le faste du domaine dans lequel ses membres demeuraient (Belezi, 2008, 9) :

C’était notre terre
quand je dis que c’était notre terre, je veux dire que nous ne l’avions pas volée, que nous en avions rêvé au temps de nos ancêtres, et que l’Etat français nous avait permis de concrétiser nos rêves en nous vendant une bouchée de pain six cent cinquante-trois hectares de bonne terre africaine
— Te souviens-tu, Henri ?
six cent cinquante-trois hectares réservés à notre seul usage, ça fait beaucoup de collines, de vallées, de bouquets d’agave et de lentisques, d’oueds, de cailloux, d’oiseaux de toutes couvées, ça fait beaucoup de ciel et de nuage
— Te souviens-tu, Henri ?

  • 7 Nous employons cette tournure fréquentative pour qualifier les premières lignes d’un roman qui proj (...)

7Le processus de projection du lecteur contraint de suivre le phrasé cahotant du personnage est radical, à travers cet « incipit in media cogitationes »7 qui l’amène à épouser sa focalisation, dès lors qu’il fait irruption dans l’univers textuel du roman. Nul point ne vient lui permettre une respiration délivrante, dans l’intensité vectorielle d’une psyché marquée par un rythme haché, traduisant l’idée d’une suffocation. Une indication spatiale, « Saint-Gabriel (France) », vient situer la narration à l’échelle géographique. Néanmoins l’aspect temporel n’est pas défini, de la même manière que l’adresse de Claudia à un interlocuteur à l’identité encore inconnue ne paraît pas s’inscrire dans un cadre spatio-temporel bien délimité. En outre la narratrice, en interpellant un autre personnage à la deuxième personne, paraît apostropher le lecteur lui-même, amené à s’incarner dans ce narrataire fictif (Lintvelt, 1981, 30).

8Dans l’extrait suivant du roman Des hommes, le personnage de Février narre la découverte de cadavres de soldats tués par des Fellaghas. Le déchaînement verbal emporte le lecteur à travers cette logorrhée chaotique, traduisant le sentiment d’épouvante qui saisit le personnage lors de cette macabre découverte (Mauvignier, 2009, 244) :

[...] je crois que je ne sais plus du tout ça et par contre je me revois encore restant debout, les jambes qui tremblent et c’était même la colère, la révolte, c’était, je sais pas ce que c’est une telle furie quand on trouve les uns après les autres les copains tous égorgés comme s’ils n’avaient pas eu le temps de sortir de leur lit, je ne sais pas, on peut dire ce qu’on veut, ce qu’on peut, on peut essayer de raconter, de décrire, on peut s’imaginer, on peut essayer de s’imaginer mais en vrai on ne peut pas imaginer ce silence qu’on découvre en arrivant dans la chambrée […].

9Le personnage relate le sentiment d’horreur qui le saisit à la vue des cadavres d’autres soldats par le biais d’une narration heurtée, rendant compte du profond désarroi qui l’a envahi. Ce caractère chaotique est renforcé par la présence des italiques.

  • 8 Notre traduction.
  • 9 Le monologue remémoratif se définit par une « chronologie brisée » et une « relation fragmentaire » (...)

10Dans ces deux extraits de romans, le lecteur est amené à se projeter dans la pensée de personnages en épousant leur focalisation (Prince, 1987, 32)8. En outre les deux extraits mêlent monologues autonomes et remémoratifs9, susceptibles de le projeter dans ce vecteur d’incarnation que constitue le personnage.

Le personnage comme vecteur d’incarnation du lecteur

  • 10 Ce « régime de croyance » correspond à la « part du lecteur victime de l’illusion romanesque » (Jou (...)

11Ces procédés tendent à projeter le lecteur comme lisant10 dans la pensée des personnages. A la faveur de ces mécanismes narratifs, il est susceptible de faire l’expérience d’un processus d’incarnation dans le personnage de fiction entendu comme une illusion de personne.

  • 11 « Le principe, l’âme pour ainsi dire, de la tragédie est [...] l’histoire ; en second lieu viennent (...)
  • 12 Voir par exemple les travaux de Vladimir Propp, Algirdas-Julien Greimas ou Jacques Fontanille.
  • 13 L’ontologie du personnage réside dans une « présence », une « conscience » et une « identité à soi  (...)
  • 14 « [L]’identité des personnages de fiction est indubitable », à l’inverse des « vérités encyclopédiq (...)

12Quoiqu’une conception fondamentalement aristotélicienne ait longtemps prédominé11 jusqu’à l’analyse structurale qui a considéré le personnage comme un « rôle actanciel » ou une « fonction narrative »12, s’est néanmoins amorcée à partir des années 1970 une reconsidération de cette figure entendue comme un pilier autour duquel s’articule un processus de projection du sujet. Après que Philippe Hamon lui conféra la fonction d’« opérateur de lisibilité » (1983, 103-106), François Rastier (1972) devait lui décerner le rôle d’un « médiateur » entre auteur et lecteur13. Mais c’est notamment à l’initiative de Pierre Glaudes et d’Yves Reuter (Reuter, 1987, 1988 ; Glaudes, Reuter, 1991, 1998 ; etc.) que le personnage a acquis une véritable profondeur épistémique. A l’instar d’Umberto Eco (2010), nous suggérons que le lecteur peut être saisi d’un véritable attachement sentimental à l’égard du personnage, pourvu d’une « légitimité textuelle interne » liée à la « fonction aléthique des vérités fictionnelles »14.

  • 15 Daniel Bougnoux, « Le principe d’identification », in Glaudes P., Reuter Y. (1991, 191-194).

13A travers une forme de « relation spéculaire », le lecteur est ainsi susceptible de s’identifier à cet « objet transitionnel » comme « objet de transition et de transfert, quasi-objet de la possession et de la transe »15. Confronté au personnage comme vecteur d’incarnation, il est convié « à essayer de nouvelles dispositions cognitives, un autre corps, un autre rythme, un autre “soi” » (Macé, 2011, 101).

L’expérience d’oscillation identitaire dans des dispositifs lectoriels

Une expérience d’altération radicale : la rencontre du lecteur avec des personnages de fiction sadiques

14A travers certains romans de notre corpus, le lecteur est invité à épouser le point de vue de personnages dont nous mettrons en évidence la logique sadique. Quels sont alors les effets de sa projection du lecteur dans la pensée de tels personnages ?

15Double, paradoxal, le système sadique se caractérise par une tension entre un élément personnel et un élément impersonnel (Deleuze, 1967, 22-23) : il est guidé par la « Raison analytique universelle pour expliquer le plus particulier dans le désir », conjuguée à une forme de déchaînement omnipotente, liée à un profond « délire ». Cette logique relève d’une déliaison méthodique et implacable qui s’opère dans le paradoxe d’une jubilation liée à une forme d’indifférence barbare et cruelle, additionnant inlassablement les victimes comme « processus partiels de destruction », en vue d’atteindre l’Idée de négation absolue. Telle une « violence compensatoire » dénuée d’instinct de conservation, le sadisme « prend ses racines dans l’impuissance et [...] en compense les effets » (Fromm, 2002, 37).

16Le personnage du roman Même pour ne pas vaincre relate la violence du front algérien sur lequel il a combattu dans le passé, à travers un monologue intérieur couvrant les soixante premières pages du roman. Plongé dans un état d’enivrement, cet ancien appelé de la guerre d’Algérie narre les actes d’une profonde barbarie qu’il a commis et vu commettre. Tourné vers des fantômes du passé, ce monologue tout en bribes effrénées entremêle des souvenirs obsédants de la Guerre.

17Ce que j’ai vu ? Voir ? Mais les yeux ne servaient plus à voir, dans cette tension qui se dénouait en violence aveugle, dans cette fureur collective de l’instant vengeur, les yeux étaient les trous par lesquels entrait la folie. Ne venez pas me faire rire avec vos imaginations de l’enfer. Sur tous les points du globe où les hommes sortent leurs armes, la réalité est toujours plus infernale. Et puis est-ce qu’il n’en a pas violé une aussi, enfiévré par le venin d’un désir rageur, attisé par une nudité violente ? Est-ce que c’est moi ou un autre qui a tenu une jambe ou un bras comme on tiendrait un animal qui gigote ? Est-ce moi qui ai mis le feu déchiré par un grand rire intérieur ? [...] Qu’est-ce que j’ai fait, vu, tu, qu’est-ce qui m’a complètement dépassé ? On finit par ne plus être sûr, on sait, si on sait, mais entre les cauchemars et la réalité on finit par s’embourber dans un flou douteux, qui ronge ou arrange selon l’instant (Chaumet, 2011, 55).

18Dans la pleine confusion que suscite la remémoration cauchemardesque de ces souvenirs, le personnage n’est guère apte à se représenter l’identité des bourreaux. Tout se passe comme si le personnage ne possédait plus la faculté de sa propre différenciation, dans un phénomène de flottement des frontières de sa propre finitude télescopant son (im)propre point de vue. Précisément, le déchaînement du système sadique a partie liée avec l’« illimité ». Un sentiment éclatant de l’infini saisit l’individu « vers des interprétations fuyantes, les plus opposées à la conscience claire » (Bataille, 1957a, 146). A travers un flot torrentiel, l’élément impersonnel renvoie « à la nature première comme à l’idée délirante de négation », et « représente la façon dont le sadique nie la nature seconde ainsi que son propre Moi » (Deleuze, 1967, 25-26). La focalisation du personnage est ainsi mise à mal, dans un processus d’interversion extatique des différents soldats comme autant de figures dont on peut s’imaginer l’état de fureur meurtrière.

19La Seine était rouge présente la narration du « Harki de Papon », qui évoque sa participation à la journée du 17 octobre 1961 à Paris et témoigne avec fierté des services qu’il a rendus à travers sa fonction (Sebbar, 1999, 37) :

J’ai travaillé à la perfection. On était content de moi. J’ai été promu [...]. Les réseaux fln, j’ai aidé à en détruire, et plus d’un [...]. J’ai été mobilisé avec d’autres pour surveiller les bidonvilles de Nanterre et faire des descentes nocturnes chez les amis du fln, on cassait tout dans les baraques. On a bloqué le pont de Neuilly, le 17 octobre 1961, et le 18, on a encerclé les bidonvilles de Nanterre, ils étaient faits comme des rats.
On a tiré sur des manifestants.
On a jeté des manifestants dans la Seine.

20Le personnage relate le caractère mécanique des exactions qu’il a commises dans la volonté d’atteindre la plénitude d’une perfection régie par une logique de destruction totale, dans une pleine satisfaction de soi : l’individu se réjouit de travailler « à la perfection », sans réfléchir au fond des activités qu’il doit réaliser.

  • 16 François Richard (2009) entreprend l’analyse de ce processus de désubjectivation-resubjectivation q (...)

21On pourrait penser que le lecteur, mis en présence de telles structures littéraires, serait soumis au joug d’une lecture purement hallucinatoire de l’œuvre. Tout se passerait comme s’il devenait lui-même16 la surface de projection du personnage dans une opération de brouillage qui l’amènerait à ne plus distinguer dedans et dehors, à travers un phénomène de fluctuation de ses frontières identitaires. Mais à travers ce processus de retournement occasionnant une expérience d’altération radicale, qu’est-il amené à appréhender au sujet de lui-même, en se prenant pour objet de son propre regard ?

L’expérience de l’abjection, entre fascination et révulsion du lecteur

22Le lecteur est saisi, dessaisi de lui-même par ce flot intérieur qui semble fonctionner en écho avec sa propre psyché. Il se confronte à une forme d’inhumanité qu’il est invité à rencontrer en lui-même. Comment caractériser cette dualité de la lecture entraînant le sujet aux confins de son identité, à travers des territoires profondément instables qui le révulsent et le fascinent alternativement, en lui permettant de ne pas s’évanouir à travers ce torrent de pensées « trémentielles » ?

  • 17 « [I]l se reconn[aî]t avec dégoût sous la forme du texte qu’il li[t] » écrit Anne-Marie Picard (201 (...)
  • 18 Le terme provient du participe passé passif « abjectus », du verbe « abjicere », signifiant « jeter (...)

23Le sujet ferait la rencontre de cette part archaïque entendue comme « la vérité profonde et le cœur de l’homme » (Bataille, 1957b, 204), versant vers une pulsion instinctive de destruction. En faisant siennes ces pensées étrangement familières17, il serait amené à faire l’expérience de l’abjection18, marquée par son aspect profondément évanouissant : ses « confins fluides [...] remettent constamment en cause sa solidité ». L’objet abject le convoque en le tiraillant, dans un phénomène d’écartèlement qui le place dans une situation de tension pulsionnelle, au risque d’un processus de dépersonnalisation. Jeté, projeté dans un univers liminaire induisant l’ébranlement des frontières de son identité, le sujet soumis à l’abject n’a pas immédiatement la capacité de se déprendre de ce qui le hèle et l’appelle en le concernant, en le regardant. Cette confrontation avec une altérité radicale correspondrait à « l’écroulement des défenses conscientes à partir des conflits qu’éprouve le moi vis-à-vis d’un autre – l’“étrange” – avec lequel il maintient un lien conflictuel [...] » (Kristeva, 1988, 278). Tour à tour personne et personnage se méduseraient et se révulseraient, à travers un processus récursif d’éjection et de projection.

24Le sujet est ainsi amené à faire l’expérience d’une vacillation identitaire entre deux pôles polémiques induisant ce duel en lui, à travers un sentiment de jouissance jubilatoire qui le saisit « mais dans laquelle l’Autre, en revanche, s’empêche de sombrer en la lui rendant répugnante » (Kristeva, 1980, 17). L’abjection « transforme la pulsion de mort en sursaut de vie » (ibid., 22). Dans cette perspective, il s’agirait de penser l’expérience de l’abject comme un « “acte de la purification poétique” : processus lui-même impur, qui ne protège de l’abject qu’à force de s’y plonger » (ibid., 36).

Une expérience d’oscillation identitaire fondamentale

25A travers cette expérience de la dualité « abjectale », le lecteur se repousse et se révulse comme il se fascine en se voyant lui-même reflété, ravi et ravisé par le personnage. L’abjection est tiraillante est tyrannique, qui place le sujet dans le risque de l’effondrement de ses repères identitaires, et alternativement elle le protège de l’annihilation. Cette façon de lire qui procède d’une ambivalence entre fascination et révulsion est susceptible de nous interroger : quelle manière d’être (voir Macé, 2011) fait-elle émerger ? Renvoie-t-elle uniquement à un processus « nostalgique » de reconnaissance originaire, ou ferait-elle écho à l’idée d’une construction identitaire que le sujet expérimenterait en permanence par sa rencontre avec d’autres que lui ?

  • 19 Pascal Quignard (1976, 111-112) soulève l’émergence de cette autoréflexivité du lecteur lui-même de (...)
  • 20 Nous pourrions ainsi parler d’une troublante réversibilité de l’œuvre fictionnelle où le personnage (...)

26Certes, via l’abjection, le sujet serait invité à faire l’expérience d’une fluctuation identitaire déjà vécue qui met radicalement en jeu les frontières liminaires de son identité, au risque d’un processus de dépersonnalisation. Le personnage de fiction semblerait constituer une surface d’identification du lecteur quand, alternativement, le lecteur « regardant regardé »19, saisi à travers une dimension double d’appartenance et de non-appartenance, de (con)fusion et de séparation, d’intrication et de désintrication, se ferait lui-même surface d’identification du personnage, tout se passant comme si celui-ci le regardait, à la faveur d’un processus de chiasme entrelacé20.

  • 21 Edgar Morin (1970, 153) rapporte ce « double » à un « ego alter, que le vivant ressent en lui, à la (...)

27Cependant, nous donnerons crédit aux propos d’Edgar Morin qui devait penser toute projection en un « double archaïque » comme « l’expérience originaire et fondamentale qu’a l’homme de lui-même », dans la mesure où il ne se connaîtrait que comme fondamentalement séparé, « que comme autre, c’est-à-dire projeté et aliéné. »21

  • 22 Le « projet d’autonomie » du sujet se fonde sur le principe d’un idéal jamais réalisé, correspondan (...)

28Par conséquent, nous pourrions émettre l’hypothèse que cette expérience de vacillation identitaire ne renverrait pas uniquement à un processus de reconnaissance originaire mais qu’elle ferait écho à un processus d’individuation lié à la rencontre avec des figures de différenciation et d’indifférenciation, comme matériau d’élaboration de son propre discours. A travers l’expérience de tels dispositifs, le personnage constituerait le jalon catégoriel d’une construction identitaire de soi marquée par un travail d’autonomisation22 dynamique et permanent.

La distanciation du lecteur à travers une esthétique de l’excentricité narrative

29Il nous a semblé fondamental de nous interroger sur la mise en récit de la Guerre d’Algérie relatée dans ces romans, multifocaux et sporadiques, sur lesquels nous nous sommes fondée. Cette communication de l’Histoire met en question le rôle du récepteur dans la mesure où elle l’invite à reconstituer de lui-même l’agencement des faits qu’ils lui sont présentés à travers une esthétique de l’excentricité narrative. Celle-ci s’articule autour d’une pluralité de témoignages qui livrent leur point de vue partiel et fragmentaire sur cette période de l’Histoire, induisant une distanciation du lecteur qui doit lier ces différentes focalisations, dans une co-construction du sens.

La distanciation du lecteur à travers une esthétique de l’excentricité microscopique

  • 23 Cette « “vision stéréoscopique” » permet au sujet de prendre connaissance d’une « vision plus compl (...)
  • 24 Cette situation d’émiettement s’articule autour d’une autorité narrative fondée sur une forme d’hor (...)

30Tous les romans que nous citons proposent au lecteur de prendre connaissance de l’Histoire à travers une texture « stéréoscopique »23, dans une opération de télescopage des points de vue. Telle une « “mosaïque-rhapsodie-marqueterie” à la clôture artificielle » (Sangsue, 1987, 12), la mise en récit met en je(u) une convocation de singularités hétérogènes qui s’accordent, se nuancent, et parfois se contredisent réciproquement quant à leur vision de l’Histoire, en s’augmentant mutuellement. Wolfgang Iser qualifie cette forme narrative de « perspective par échelonnement » qui se ramifie à travers un « éventail de points de vue » dénués d’« orientation centrale »24 où l’auteur, tel un véritable « scripteur », confronte des « je-s parlants » (Kristeva, 1970, 16-17) sans donner de résolution au lecteur.

  • 25 A partir de l’analyse d’une série de portraits de disparus du World Trade Center, publiée quelques (...)

31Plusieurs points de vue sont ainsi mobilisés à la faveur de cette esthétique en montage qui ne prétend pas être exhaustive, mais qui permet de « montre[r] l’hétérogénéité de l’Histoire et du rapport que des groupes et/ou individus entretiennent avec elle » (Fleury, 2014, 10). Nous pourrions rapprocher cette narration discontinue de ce qu’Adeline Wrona appelle « le récit d’individu »25 : elle fait parler des anonymes dans une situation de redéploiement narratif qui manifeste « les témoignages que la société elle-même donne à lire, pour déterrer ceux qu’elle dépose sans le vouloir ni le savoir dans ses bas-fonds obscurs » (Rancière, 2007, 29). Parole est donnée non pas aux « grands hommes », mais à qui ne l’a traditionnellement pas, à travers un régime de narrativité qui consacre l’importance « des individus, des aventures, et en priorité du privé » (Bernard, 1996, 7).

32Fragmentée, elle manifesterait une pensée du « décept » entendue comme renonciation à la plausibilité d’un discours total, qui s’accomplirait dans une parfaite linéarisation (Laplantine, 2003, 146-148). Ces voix, symphoniques et asymphoniques, se relaient ainsi une parole intérieure en ramifications constantes et en tout petits liens, ouvrant au (mé)tissage d’un panorama complexe sur une période de l’Histoire.

  • 26 En ce sens, nous ne saurions reprendre l’acception foucaldienne ou agambienne du dispositif parce q (...)

33Dans cette perspective, il ne saurait être question de concevoir la lecture de telles formes narratives portées par une pluralité auctoriale comme pleinement absorbée26. Bien plutôt, le lecteur serait surpris par la mise en œuvre de procédés comme autant d’« effets de distanciation » l’invitant à prendre du recul, à travers une réception active de l’œuvre dont le caractère fictionnel serait évidemment exposé (Brecht, 2013, 30).

La distanciation du lecteur à travers une esthétique narrative marquée par son caractère aporétique

34Nous émettons l’hypothèse suivant laquelle l’esthétique de ces romans reposerait sur une présentification de l’absence essentielle à la relation de l’Histoire. A travers une narration tout en pointillés, ces mises en récit mettent en évidence, elles donnent à voir les aspérités, les irrégularités, les incertitudes liées à l’appréhension d’événements du passé, ce qui contraint le lecteur à prendre du recul.

35Notre corpus se caractérise effectivement par une narration de l’Histoire de la guerre d’Algérie singulière : le lecteur est mis en présence des doutes et des incertitudes des personnages, dont la mémoire apparaît défaillante.

36Dans le roman La Seine était rouge, un personnage cherche à décrire le bidonville parisien où elle vivait avec sa famille, dans le contexte du mois d’octobre 1961 (Sebbar, 1999, 25) :

J’étais petite. Sept ans peut-être. Je me rappelle. On habitait au numéro 7. Le chiffre 7 était écrit sur la porte en bois, avec de la peinture blanche. Le facteur, je sais pas comment il s’y retrouvait, pour le courrier. Des rues sans nom, des rues fantaisistes, souvent illisibles, des rues… Si on peut appeler ça des rues… Nous, c’était la rue de la Fontaine, parce que le point d’eau n’était pas loin.

37Dans ce monologue remémoratif surgissent les défaillances de la mémoire du personnage dont les souvenirs, brouillés, lui reviennent difficilement à l’esprit. Dans cette perspective, le lecteur est amené à appréhender de l’Histoire passée ce témoignage intermittent livré sous forme de « fragments », comme « du réel morcelé, [...] des traces fugaces et infinitésimales » (Candau, 2002).

38Dans un passage situé au début du roman Des hommes, le personnage relate une soirée organisée par Solange, inquiète de l’état émotionnel de son frère, ancien appelé de la guerre d’Algérie (Mauvignier, 2009, 19).

Solange est arrivée.
C’est-à-dire, je me trompe, elle s’est seulement retournée vers lui. Oui, c’est ça. Elle était à côté. Puisqu’elle était juste à côté
[...].
Elle a laissé un moment avant de parler. Parce que, au début, elle n’a pas compris qu’il était venu vers elle lui tendre ce paquet qu’il n’avait pas donné au même moment que les autres. Comme si lui, bien sûr, naturellement, il n’aurait pas à faire comme les autres. Il n’aurait pas à se mêler aux autres. Mais peut-être je lui prête des intentions qu’il n’a pas eues.

39Le personnage fait ainsi part des doutes qui l’assaillent et des hypothèses qu’il émet en vue de pallier les incertitudes de sa mémoire.

  • 27 L’écriture de l’Histoire procède d’un « moyen de représenter une différence. » L’opération historiq (...)

40Ces récits fictionnels paraissent mettre en évidence l’absence essentielle à la relation narrative de l’Histoire. Cette idée est susceptible de nous conduire à la notion de « représentance » ou « lieutenance », comme « attente attachée à la connaissance historique des constructions constituant des reconstructions du cours passé des événements » (Ricœur, 2000, 359). Elle constitue la condition essentielle des « rapports entre les constructions de l’histoire et leur vis-à-vis, à savoir un passé tout à la fois aboli et préservé dans ses traces » (id., 1985, 183). Est ainsi mis en exergue, à travers les témoignages sporadiques et chancelants des personnages, un principe de discordance narrative éminemment liée à la relation de l’Histoire. Ces romans rendent donc visibles, ils donnent à voir les points d’opacité inhérents à l’absence de ce qui est séparé27, dans la manifestation de l’obscurité, d’une béance essentielle à l’appréhension d’événements du passé.

  • 28 Carlo Ginzburg (2010, 385) prône une méthodologie de l’historiographie qui tienne compte des lacune (...)

41Tout se passe comme si le lecteur était mis en présence du caractère fondamentalement aporétique du recueillement de l’Histoire marqué par un vis-à-vis essentiellement étranger : des « hypothèses », des « doutes », des « incertitudes »28 qui lui sont constitutifs. Il est ainsi confronté à la présentation de témoignages paraissant être livrés avant tout travail de représentation, de mise en agencement par leur auteur, qui n’aurait pas pris la peine de mettre en ordre, d’arranger les faits suivant les témoignages fictifs qu’il lui donnait à lire.

  • 29 On peut s’interroger sur le caractère inachevé de la narration de la guerre d’Algérie telle qu’elle (...)

42Par conséquent, le lecteur devrait reconstituer la cohérence de l’Histoire telle qu’elle lui est livrée, tout se passant comme si sa mise en récit était en train de se faire29, sans avoir été au préalable configurée linéairement en vue de sa bonne intelligibilité. Il est ainsi contraint de se distancier de ce qu’il lit, dans la mesure où il doit faire l’effort de reconfigurer de lui-même les événements qui lui sont livrés de manière brute et abrupte, sous formes de bribes esquissées.

« Faire l’œuvre avec l’auteur » : une forme de gravitation centrifuge de la lecture

  • 30 « Un texte veut que quelqu’un l’aide à fonctionner » (Eco, 1965, 62-64).
  • 31 « [L]’originalité de l’organisation, son caractère inattendu, par rapport au système de probabilité (...)

43Le texte littéraire, tel un « tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir », ne saurait fonctionner sans l’activité performative du lecteur dont il requiert une « initiative interprétative »30 (Eco, 1965, 62-64). Mais il l’invite d’autant plus à « faire l’œuvre avec l’auteur » (ibid., 34-35) qu’il lui communique une information caractérisée par son aspect entropique31.

44Cette esthétique de la discontinuité nous semble donc susciter un plein effort de participation de la part du récepteur, à travers le rapport qu’il entretient au dispositif communicationnel qu’il lui est donné d’appréhender. Quoique ce « manège » des focalisations puisse susciter une sensation de vertige, la dissonance narrative est également susceptible de favoriser un phénomène de distanciation, le lecteur devant lier en les lisant ces différentes visions qui lui sont proposées. Il ne ferait qu’approcher les faits tels qu’ils se seraient réellement déroulés en prenant connaissance des témoignages fictifs des personnages dont les points de vue respectifs s’articulent autour d’une narration caractérisée par son aspect multifocal. Dans cette perspective, la lecture serait marquée par l’idée de gravitation centrifuge, le récepteur tournant tout autour d’une mise en récit qui s’opère dans une forme de décentrement du réel exorbité, frôlé, approché par fragments dont il doit faire l’effort de reconstituer la cohérence.

45A travers un bouleversement du schéma canonique de la transmission communicationnel, le lecteur devrait ainsi faire l’effort de reconstituer de lui-même l’agencement apparemment informel des faits tels qu’ils lui sont livrés, tout se passant comme si l’acte de reconfiguration de la mise en récit semblait advenir avant la mise en récit elle-même.

Conclusion : l’expérience du dispositif et la subjectivation du lecteur

46Nous nous sommes demandé comment, à travers sa pratique d’un dispositif particulier, le sujet était invité à s’appréhender dans un rapport autoréflexif à lui-même : nous avons ainsi souhaité mettre en question cette situation communicationnelle interrogeant par réverbération une part qui lui est constitutive.

47Incarnation, oscillation et distanciation ont constitué trois moments par lesquels nous avons cherché à saisir les enjeux liés à l’expérience de ces romans entendus comme des dispositifs. Ceux-ci donnent lieu à un balancement alternatif entre dépossession et repossession de soi, à la faveur de personnages entendus comme des « sujets transitionnels ». A la faveur de la rencontre avec des figures de différenciation et d’indifférenciation, le sujet est amené à mettre à l’épreuve les frontières liminaires de son identité, dans l’émergence d’une perspective ontologique marquée par son aspect dynamique.

48La lecture de ces romans, pensés comme des dispositifs, nous a permis de mettre en exergue un phénomène de vacillation favorisé par l’« abjection », comme émotion « duelle » faisant naître une éprouvante épouvante, une situation de tension conflictuelle entre un processus de dépersonnalisation régressive et l’émergence de la conscience morale du lecteur, mis en présence du réel dans sa brutalité « obscène » (Forest, 2007, 47). Le sujet serait ainsi invité à s’appréhender dans un rapport autoréflexif d’altérité radicale lié à une expérience d’oscillation identitaire fondamentale.

49Ce processus de distanciation serait favorisé par la mise en récit excentrique d’une période singulière de l’Histoire dont il prendrait connaissance. Leur caractère multifocal nécessite de la part du lecteur qu’il lie, de lui-même, ce qu’il lit en reconstituant ces fragments de discours de son propre chef, à travers ces dispositifs narratifs tout en montage.

  • 32 Nous reprenons l’expression de Michel de M’Uzan (2005, 18-22) : « espace intermédiaire », cette « z (...)

50Dans une dimension opératoire nous pourrions dire que le dispositif, entendu comme un « espace transitionnel »32 fondamentalement anthropomorphique, donne au sujet la possibilité de se construire, de se déconstruire et de se reconstruire à partir de figures de subjectivation représentant des matériaux d’élaboration de son (im)propre discours. La construction identitaire du sujet reposerait ainsi sur l’idée qu’il se laisserait deterritorialiser, territorialiserait et déterritorialiserait un autre territoire, un autre monde, un autre mode d’être, par une traversée permanente dans le labyrinthe du multiple. Cette expérience l’amenant à entrer dans la pensée d’une pluralité de personnages dissensuels l’invite effectivement à faire l’épreuve périlleuse de l’hétéronome, en écho avec un processus d’autonomisation dynamique et permanent.

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Notes

1 Jan Baetens, Thierry Lancien et Yves Jeanneret soulignent l’importance d’une reconsidération du rapport entre le dispositif et le « récepteur » dans le cadre du processus de transmission du message littéraire, à travers les études menées en sciences de l’information et de la communication (Payeur, 2011).

2 Ce « cadre communicationnel » fournit des « instructions pragmatiques » au lecteur, destinées à suspendre les contraintes inhérentes à la « communication documentaire » (Caïra, 2011, 79).

3 L’« engagement » est un « processus psychologique dans lequel le sujet finit par ignorer, au moins partiellement, où le dirigent ses sentiments et son attention cognitive » (Goffman, 1991, 339-340).

4 Et d’ajouter que « l’entre-deux n’est pas fusion indifférenciée de deux pôles (liberté et contrainte, réalité et imaginaire, sujet et objet), mais attestation d’un espace de médiation irréductible entre ces deux-ci. » (Peeters, Charlier, 1999, 19-22).

5 Ces « sujets transitionnels » entrent en jeu dans le « travail de “personnation” » de l’individu, amené à faire l’épreuve de ses frontières identitaires dans un processus d’autoréflexivité dynamique. (M’Uzan, 2005, 18-22).

6 Précisons que le « lecteur » évoquera la figure qui fait l’expérience de ces dispositifs singuliers, le terme de « sujet » étant réservé à une dimension ontologique.

7 Nous employons cette tournure fréquentative pour qualifier les premières lignes d’un roman qui projette instantanément le lecteur « au milieu » de la pensée chaotique d’un personnage.

8 Notre traduction.

9 Le monologue remémoratif se définit par une « chronologie brisée » et une « relation fragmentaire » entre présent de la narration et évocation de souvenirs ; le « monologue autonome » est à la recherche de la « simultanéité de l’expérience » (Cohn, 1981, 210-211, 225).

10 Ce « régime de croyance » correspond à la « part du lecteur victime de l’illusion romanesque » (Jouve, 2001, 82).

11 « Le principe, l’âme pour ainsi dire, de la tragédie est [...] l’histoire ; en second lieu viennent les caractères. » (Aristote, 1990, 94).

12 Voir par exemple les travaux de Vladimir Propp, Algirdas-Julien Greimas ou Jacques Fontanille.

13 L’ontologie du personnage réside dans une « présence », une « conscience » et une « identité à soi » (Rastier, 1972).

14 « [L]’identité des personnages de fiction est indubitable », à l’inverse des « vérités encyclopédiques » qui peuvent sans cesse être mises à l’épreuve (Eco, 2010).

15 Daniel Bougnoux, « Le principe d’identification », in Glaudes P., Reuter Y. (1991, 191-194).

16 François Richard (2009) entreprend l’analyse de ce processus de désubjectivation-resubjectivation qui anime le lecteur, amené à s’appréhender lui-même à travers l’expérience d’une « hallucination négative ».

17 « [I]l se reconn[aî]t avec dégoût sous la forme du texte qu’il li[t] » écrit Anne-Marie Picard (2010, 17), soulevant le risque d’une lecture où le récepteur peut se rencontrer, peut y rencontrer sa propre noirceur.

18 Le terme provient du participe passé passif « abjectus », du verbe « abjicere », signifiant « jeter loin de soi », « rejeter au loin ». Pour les références qui suivent, voir (Kristeva, 1980).

19 Pascal Quignard (1976, 111-112) soulève l’émergence de cette autoréflexivité du lecteur lui-même devenu objet du spectacle qu’il lit dans l’expérience de l’altérité la plus radicale : « Dans la trêve obscure et amère du livre il découvrit l’expérience de chacun immergé sans baptême en spectacle, en démonie visible [...] ».

20 Nous pourrions ainsi parler d’une troublante réversibilité de l’œuvre fictionnelle où le personnage se refléterait en nous (Genette, 1966, 18).

21 Edgar Morin (1970, 153) rapporte ce « double » à un « ego alter, que le vivant ressent en lui, à la fois extérieur et intérieur, tout le long de son existence ».

22 Le « projet d’autonomie » du sujet se fonde sur le principe d’un idéal jamais réalisé, correspondant à « la domination du conscient sur l’inconscient ». Il repose sur l’idée de la construction permanente d’un discours autonome, prenant pour matériau le discours de l’Autre comme une part d’hétéronomie qui s’autonomise en permanence et qui constitue la possibilité de la créativité sans cesse renouvelée du sujet (Castoriadis, 1975, 155).

23 Cette « “vision stéréoscopique” » permet au sujet de prendre connaissance d’une « vision plus complexe du phénomène décrit » (Todorov, 1966, 141-142).

24 Cette situation d’émiettement s’articule autour d’une autorité narrative fondée sur une forme d’horizontalisation participative (Iser, 1985, 208-211).

25 A partir de l’analyse d’une série de portraits de disparus du World Trade Center, publiée quelques jours après l’attaque du 11 septembre 2001, Adeline Wrona (2005) soulève l’importance de cette forme narrative centrée sur la singularité de l’individu dans le contexte médiatique et culturel contemporain.

26 En ce sens, nous ne saurions reprendre l’acception foucaldienne ou agambienne du dispositif parce qu’elle conçoit sa pratique comme unilatérale.

27 L’écriture de l’Histoire procède d’un « moyen de représenter une différence. » L’opération historique devrait être saisie dans une double perspective : elle présentifie le passé et « représent[e] ce qui fait défaut. » (Certeau, 1974, 57).

28 Carlo Ginzburg (2010, 385) prône une méthodologie de l’historiographie qui tienne compte des lacunes, des manques inhérents à l’appréhension de l’Histoire passée.

29 On peut s’interroger sur le caractère inachevé de la narration de la guerre d’Algérie telle qu’elle est mise en récit dans ses romans : tout se passe comme si, telles des « histoires inchoatives », « non encore racontées », elles étaient en train d’être racontées, elles avaient besoin d’être racontées. Voir (Ricoeur, 1984, 141-144).

30 « Un texte veut que quelqu’un l’aide à fonctionner » (Eco, 1965, 62-64).

31 « [L]’originalité de l’organisation, son caractère inattendu, par rapport au système de probabilités établi, la désorganisation qu’elle entraîne dans ce système, déterminent un taux maximum d’information. » (ibid., 79-81).

32 Nous reprenons l’expression de Michel de M’Uzan (2005, 18-22) : « espace intermédiaire », cette « zone limite » à travers lequel le « je, le Moi-Je se spécifie aléatoirement » met à disposition du sujet un « spectre d’identité » dans la possibilité de vivre, toujours différente, l’expérience d’un dessaisissement de soi en miroir qui s’opère à la condition d’un dérobement de soi-même.

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Pour citer cet article

Référence papier

Hélène Crombet, « L’expérience d’oscillation identitaire dans des dispositifs lectoriels »Sciences de la société, 99 | 2016, 122-137.

Référence électronique

Hélène Crombet, « L’expérience d’oscillation identitaire dans des dispositifs lectoriels »Sciences de la société [En ligne], 99 | 2016, mis en ligne le 13 février 2019, consulté le 21 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/5613 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.5613

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Auteur

Hélène Crombet

Docteur en Sciences de l’information et de la communication, laboratoire mica (ea 4426), ater, ufr Sciences des territoires et de la communication, Univ. Bordeaux Montaigne.
helene.crombet gmail.com

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