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Penser le patrimoine selon une perspective communicationnelle

Thinking about heritage as a communicative fact
Pensar el patrimonio como un hecho comunicativo
Jean Davallon
p. 15-29

Résumés

Dépassant la conception d’une médiation patrimoniale uniquement fonctionnelle et instrumentale, nous souhaitons, à travers ce texte, montrer que la communication est en réalité inhérente aux mode d’existence des objets patrimoniaux dans l’espace public. Si un rapide historique de la notion ne permet pas en effet d’aboutir à une définition claire et précise de ce concept, celui-ci rappelle la grande diversité des objets considérés comme relevant du patrimoine. La valeur patrimoniale n’est donc pas inscrite dans l’objet lui-même mais, tout au contraire, relève d’un processus où la communication est centrale. Par son institutionnalisation, les professionnels entament ainsi un premier processus de signification en recourant à des dispositifs, documentaires essentiellement, qui permettent d’attribuer cette valeur patrimoniale à des objets qui entrent ensuite dans un second processus communicationnel dont le but est d’activer les interprétations élaborées. Le patrimoine est est donc ici pensé comme une construction sociale et sémiotique.

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Texte intégral

1À suivre le sens commun, le patrimoine n’a rien à voir avec la communication. Tout au plus admet-on aujourd’hui sous ce dernier terme la nécessité de faire des dépliants ou un site internet – ou depuis peu, celle d’utiliser les réseaux sociaux – afin de faire connaître son musée, son église, son château ou son centre ancien pour des raisons de survie financière, d’image et/ou d’attraction touristique.

  • 1 Dans les pages qui suivent, je traiterai essentiellement du patrimoine matériel, l’immatériel posan (...)

2Depuis quelques années cependant, la communication est aussi présente sous la forme de la médiation sans que la plupart du temps on reconnaisse à cette dernière son appartenance à la première. Héritière des guides conférenciers, parfois assurée par des conservateurs, elle jouit d’une légitimité et surtout d’une proximité avec le patrimoine sans commune mesure avec les opérations de « communication » évoquées à l’instant. Que la communication soit toujours pensée comme venant se greffer sur l’objet de patrimoine1, perçue comme d’une nature différente de l’objet dont elle est censée faire la promotion, et qu’elle est plus ou moins toujours susceptible de venir parasiter, il suffit pour s’en convaincre de suivre la ligne de partage entre la médiation ou la présentation des objets eux-mêmes –pour être précis : leur mise en exposition ou comme on dit leur « mise en valeur » – et, par exemple le discours scientifique, catalogues ou ouvrages, qui relèvent de l’édition scientifique. Même si au cours des dernières décennies, les réticences les plus fortes des spécialistes du patrimoine à l’égard de la médiation et de la mise en exposition se sont quelque peu atténuées, la communication continue de paraître un supplément de signification étranger à l’objet lui-même. Sur le fond, reste l’idée d’une différence de nature entre le patrimoine et les techniques de présentation, les actions de médiation ou a fortiori ce que l’on appelle couramment « communication ».

  • 2 Cette activité communicationnelle correspond a ce que Jeanneret (2008, 20) appelle « la nécessité d (...)

3Or, pour la recherche en science de l’information et de la communication, cette conception de la communication ne recouvre que la partie fonctionnelle et instrumentale de cette dernière, laquelle n’est opérante que du fait de l’existence de processus sous-jacents qui en constitue le soubassement. Ces processus, plus larges, plus anthropologiques, qui, contrairement à ce que laisse supposer une approche ne retenant que la dimension fonctionnelle et instrumentale, sont largement présents dans la société, pour ne pas dire inhérente au fonctionnement de celle-ci2.

4Penser le patrimoine selon une perspective communicationnelle, c’est évidemment adopter un point de vue qui, conformément à cette conception élargie, considère la communication comme une activité socio-symbolique. Dès lors, c’est l’ensemble du patrimoine qui se trouve éclairé d’un jour nouveau, cette perspective communicationnelle accordant par exemple une attention toute particulière à l’usage de la catégorie de patrimoine et aux modifications qui lui sont liées. Il ne s’agit évidemment pas de faire comme si, tout d’un coup, le patrimoine avait basculé dans le secteur de la communication (au côté des médias ou de la documentation par exemple) – ce qui serait en nier sa spécificité sociale –, mais de prendre en compte la variété des mode d’existence des objets patrimoniaux ; ou si l’on veut, la place qu’ils occupent désormais dans la vie culturelle de nos sociétés.

5J’aurai donc à préciser ce que recouvre cette « activité communicationnelle », mais, pour lever tout malentendu, je commencerai par apporter quelques précisions sur l’évolution de la conception du patrimoine au cours de ces dernières décennies.

Définir le patrimoine : de l’objet aux pratiques

6Il est intéressant de constater que la notion de patrimoine est généralement abordée à travers son historique. Le Dictionnaire de muséologie lui-même, duquel on pourrait attendre une définition de forme classique énonçant les caractéristiques de l’objet à définir, commence aussi par un historique. Babelon et Chastel, on le sait, dans leur ouvrage La Notion de patrimoine, après avoir averti le lecteur que cette notion, toute récente, « couvre de façon nécessairement vague tous les biens, tous les “trésors” du passé » (Babelon & Chastel, 1994 : 11), passent en revue les six formes sociétales, autrement dit les six états du patrimoine (fait religieux, monarchique, familial, national, administratif et enfin scientifique) comme autant de moments historiques. De son côté, Desvallées (1998), contestant le caractère récent de la notion et dressant (aussi) son historique, en vient à préciser que la conception du patrimoine a non seulement varié au cours du temps mais n’a pas forcément la même signification selon les cultures. Il va même jusqu’à relever des variations de cette conception entre les différents pays européens. De la même manière, dernier exemple, mais non des moindres, Poulot, dans son introduction à Patrimoine et Modernité, reprend l’historique qu’il avait établi notamment dans Musée, Nation, Patrimoine pour relever que la notion sert à définir « un état légitime des objets ou des monuments, conservés, restaurés ou dé-restaurés, ouvert au public, etc. et leur garantit une destinée spécifique, qui répond à leur valeur esthétique et documentaire le plus souvent, ou illustrative, voire de reconnaissance sentimentale » (Poulot, 1998 : 9). Ce qui est remarquable dans ces différents exemples (et il serait facile de les multiplier) est peut-être moins le recours à l’approche historique – somme toute relativement attendue au moins de la part de certains des auteurs qui sont historiens – que le fait qu’il sert à étayer une reconnaissance de « la façon nécessairement vague », pour reprendre Babelon et Chastel, dont la notion recouvre les objets qu’elle est censée définir.

7Mais il est tout aussi intéressant de constater que, dans la pratique, cette faiblesse conceptuelle de la notion n’empêche ni qu’elle soit opérante, ni d’attribuer le statut de patrimoine à des objets, ni non plus d’être de plus en plus largement utilisée, revendiquée, étendue. Bien au contraire. Tout semble alors se passer comme si le patrimoine se définissait comme l’ensemble des objets auxquels a été reconnue la qualité, ou plus exactement le statut, de patrimoine. C’est ainsi que la notion de patrimoine va désigner tout à la fois un ensemble d’objets (on parle du patrimoine culturel d’une ville ou d’un territoire), les qualités qui caractérisent ces objets et la catégorie qu’ils constituent (quand par exemple on dit qu’un bâtiment ou des pratiques sont du vrai patrimoine).

  • 3 Comme c’est par exemple le cas de Chastel par exemple avec la création de l’Inventaire, même s’il f (...)
  • 4 On peut noter qu’une conception qui reconnaîtrait le caractère de témoin de l’homme et de son envir (...)
  • 5 Ce changement de philosophie est parfaitement illustrée par l’analyse, au demeurant très avisée de (...)

8L’observation de ce qui s’est passé au cours des cinq dernières décennies en France montre une extension des pratiques d’attribution du statut de patrimoine à des objets nouveaux, qui paraissaient d’autant plus illégitimes à prétendre être candidats au statut de patrimoine que leurs valeurs n’étaient pas immédiatement reconnaissables par les spécialistes, car n’entrant pas dans les critères du champ de l’histoire et de l’histoire de l’art –le point d’orgue étant l’émergence récente de la catégorie de patrimoine immatériel. Les promoteurs de ces « nouveaux patrimoines » – militants, spécialistes des sciences et des techniques, ethnologues, quelques historiens d’art engagés dans la reconnaissance de ces nouveaux patrimoines3 – ont largement contribué à une redéfinition des critères sur lesquels était fondée cette reconnaissance. Empruntant à des champs scientifiques propres à produire de nouveaux critères, ce changement a notamment eu pour effet de rendre apparent, visible, le processus de patrimonialisation, quelles qu’aient pu être les réactions d’une large partie des professionnels et des scientifiques spécialistes du « vrai » patrimoine face à ce qui leur apparaissait comme une inflation, une dilution, voire une dénaturation de la notion. Cette observation nous montre donc comment, derrière ce qui paraît comme une simple extension de la notion de patrimoine, deux philosophies s’opposent. La première correspond à une ontologie de l’objet selon laquelle le caractère patrimonial d’un objet tient à ses propriétés mêmes. Les valeurs qui le caractérisent lui sont intrinsèques et ne peuvent donc qu’être reconnues sans distinction de lieux ni d’époque4. La seconde met plutôt l’accent sur les actions, les pratiques, les documents (voire les discours) qui permettent de faire reconnaître la valeur patrimoniale d’un objet, laquelle tient non seulement à ses caractéristiques propres, mais aussi à son origine, son histoire, ce qu’il représente pour les hommes du présent – et donc l’intérêt que ceux-ci lui porte5.

  • 6 Pour une perspective communicationnelle de la patrimonialisation et des gestes qui la caractérise, (...)
  • 7 Je distingue l’efficacité, qui résulte de stratégies (dimension fonctionnelle intentionnelle), de l (...)

9Les analyses qui menées par le chercheurs en sciences humaines et sociales ont confirmé l’émergence de ces pratiques, en montrant notamment comment les valeurs de patrimoine étaient le fait de processus d’attribution prenant en compte les propriétés objectales au regard d’une démarche patrimoniale : comme autant de marqueurs venant répondre à des critères. Ces valeurs sont alors des propriétés relationnelles (et non plus objectales). Certes attachées à un objet ou un type d’objets, elles sont un construit social et sémiotique ; les caractéristiques objectales, du fait qu’elles sont retenues par les professionnels, apparaissant alors comme la manifestation – la marque et le signe – du caractère patrimonial de l’objet, de sa patrimonialité. Quant au processus de reconnaissance des traits, de construction des valeurs, de conservation, de valorisation et de transmission, il n’est autre que le processus de patrimonialisation6. Un objet est patrimonial par la pratique qui le constitue comme tel, par l’usage qui en est fait et par ce qu’il fait (les effets qu’il produit : son efficacité et son opérativité7).

10L’arbitraire ou l’absurde possible de l’apparente tautologie dont il était question plus haut – selon laquelle est patrimoine ce qui est reconnu comme tel – se trouve évité, selon une logique caractéristique de la logique pratique, par une mise en concordance d’un faisceau de critères, définissant la catégorie, avec un assortiment de qualités observables qui spécifient les objets concernés. À ceci près que ces derniers, reconnus comme du patrimoine (notamment par les autorités légitimes), possèdent effectivement des caractéristiques qui correspondent aux critères qui définissent le patrimoine, se trouvant institués objets patrimoniaux dotés un ensemble de propriétés constitutives « objectivées ». L’enquête de Heinich (2009) sur l’Inventaire est sur ce point particulièrement éclairante : s’appliquant à un domaine institutionnel et a priori héritier de la conception traditionnelle du patrimoine fondée sur une ontologie de l’objet, elle montre comment une telle concordance entre les qualités et les critères est assurée à la faveur d’un jeu entre les règles définies par les autorités, les procédures mises en place par l’administration et la compétence de spécialistes.

11On comprendra donc aisément que penser le patrimoine selon une perspective communicationnelle – comme d’ailleurs selon une perspective de sciences humaines et sociales, notamment sociologique ou ethnologique, et dans certains cas historienne (encore que l’incompatibilité soit en ce cas moins nette) – soit quasiment incompatible avec une conception qui considère que le caractère patrimonial est inscrit dans l’être des objets (une ontologie de l’objet) ; à condition toutefois que la communication ne soit pas réduite à sa seule dimension instrumentale de promotion du patrimoine auprès des publics. Si une conception du patrimoine (ce qu’il est) est en jeu, elle porte sur les opérations par lesquels les objets deviennent patrimoine ; autrement dit, les pratiques qui contribuent à construire à ces objets un être patrimonial et à établir leur mode d’existence (ce qu’ils sont du fait de ces pratiques) ; pratiques qui ne sont autres que la patrimonialisation.

12Ces pratiques peuvent être regroupées selon deux grands types d’opérations :

  • l’institution du statut de patrimoine (découverte, production de connaissances, déclaration du statut de patrimoine) ;

    • 8 J’emprunte à Cometti (2012 ; 2015) le terme « d’activation » – qui lui-même le reprend à Goodman ([ (...)

    la médiation (exposition et transmission) qui correspond à « l’activation » de l’objet patrimonial lors de son fonctionnement visant les publics présents et futurs (conservation et éventuellement restauration, rapport entre objet et savoir, mobilisation de la mémoire, modalités d’exposition, modalités de « médiation » entendue au sens technique, dénotations et exécutions, enregistrements et plus généralement modes d’existence dérivés, etc.) ainsi que sa réception sociale (rituel de visite, expérience, attitude et intérêt pour l’objet patrimonial8).

13Ce constat et ces précisions posées, il faut néanmoins aller plus loin et envisager les conséquences du fait que le patrimoine est une production culturelle, que ses objets sont des êtres sociaux et signifiants.

Une conception de la communication comme activité socio-symbolique

14Comme je l’ai mentionné en introduction, penser la dimension communicationnelle du patrimoine suppose une conception de la communication qui ne se réduise pas à être exclusivement une action fonctionnelle, technique et instrumentale, mais qui prenne en compte la production de situations, d’ensembles signifiants et de dispositifs.

15Un fait communicationnel peut en effet être défini comme une situation sociale qui met en jeu conjointement des protagonistes (des sujets sociaux producteurs), des processus de signification (une production de sens) et la mise en forme de supports (des dispositifs et des médias). Cette situation sociale prend des formes différentes mais suppose toujours plus ou moins des interactions entre des sujets dotés d’une compétence communicationnelle qui leur permet d’agir notamment en réponse aux actions des autres. Sujets qui peuvent d’ailleurs être regroupés en collectifs réels ou imaginés, plus ou moins institués et organisés.

16La situation sociale de communication n’est donc pas à concevoir de manière simpliste comme une transmission d’information sur le mode de la circulation des paquets de signaux électriques sur une ligne, ni même comme une simple stratégie visant à influencer les gens. Par exemple, la signification implique toujours énonciation et interprétation : même sous la forme très structurée et codée d’un texte ou d’une émission, elle se construit dans un jeu entre la production de ces ensembles signifiants comme objets circulant dans des médias et, au-delà de la simple attribution de sens par le destinataire, ce qu’il en fait. Même si la construction du sens s’appuie sur des règles partagées, elle comprend donc toujours une part d’aléas – ou si l’on veut d’ouverture – et de ce fait d’ajustement et de créativité. Enfin, ce phénomène a d’autant plus d’importance que ces ensembles signifiants (textes, émissions, etc.) n’ont d’existence sociale qu’à travers les dispositifs qui les matérialisent. Les réalités ainsi produites, qu’il s’agisse de simples marques (par exemple la mise en scène de soi), d’échanges verbaux (par exemple la conversation), d’objets médiatiques (comme un livre ou une émission), ou de productions artistiques (comme un tableau, une exposition ou une représentation théâtrale), sont des êtres à la fois signifiants, techniques et sociaux. Ces êtres culturels (Jeanneret, 2008) ne se réduisent donc jamais à de simples « produits » au sens marchand du terme ; et même lorsqu’ils sont issus des industries culturelles, ils ont toute l’épaisseur des interactions et productions sociales, signifiantes, techniques dont ils sont le résultat et potentiellement porteurs de toutes celles (perceptions, interprétations, commentaires, usages, reprises, transformations, etc.) dont ils peuvent être le point de départ.

17Ce rappel, succinct au point d’être caricatural, de ce qui spécifie l’approche communicationnelle mobilisée ici permet de reprendre sur nouveaux frais notre question : de quelle manière le patrimoine est-il un fait communicationnel ?

18Les deux types d’opérations (institution et activation) mentionnés plus haut, si celles-ci se déroulent selon deux moments, ne constituent qu’un seul et même processus, les premières anticipant les secondes et les secondes donnant à l’objet reconnu comme patrimoine les moyens d’exister techniquement, socialement, sémiotiquement et symboliquement. Si l’institution construit un rapport au passé, l’activation (son fonctionnement et sa réception) correspond à ce qu’est et ce que fait l’objet de patrimoine ; à l’interaction qu’il a avec ceux à qui il est destiné dans le présent et le futur ; ainsi qu’au maintien d’un intérêt de générations à venir pour lui. Ces opérations d’activation actent et actualisent la construction du rapport au passé, lui donnant l’épaisseur et l’enjeu sociétal d’une relation que les membres de la société présente, et supposément future, peuvent avoir avec d’autres ayant vécu autrefois, et parfois de surcroît ailleurs.

19Ce qui signifie que :

  1. Ces opérations d’institution et d’activation (ce que l’on appelle communément les activités de production, de valorisation et de transmission du patrimoine) forment une situation mettant en jeu des processus de signification, d’interaction et un recours à des supports qui sont caractéristiques d’une situation de communication.

  2. De manière plus spécifique, les objets patrimoniaux eux-mêmes, enjeux de ces opérations, deviennent par là-même des êtres culturels conjoignant une réalité physique, des savoirs et des processus de médiations.

20Afin de poursuivre notre approche communicationnelle des objets patrimoniaux en développant ces deux propositions, deux précisions complémentaires sur les faits communicationnels sont nécessaires.

  • 9 Ce qui correspond à ce que Turner appelle la « communitas » par opposition à la structure (Turner, (...)
  • 10 Pour des exemples montrant l’étendue de ce phénomène : voir par exemple Lardellier (2013).

21La première concerne la double dimension fonctionnelle et symbolique du fonctionnement de la communication. La dimension fonctionnelle répond à des objectifs et des stratégies, produit des objets qui visent une efficacité cognitive ou décisionnelle en captant et gérant l’attention, construit des dispositifs visant à contrôler la situation et à maîtriser les échanges sociaux. Cette dimension, qui correspond à une visée instrumentale, est la part que l’on retient habituellement de la communication car elle est socialement la plus visible. Pourtant elle est indissociablement liée à une seconde dimension qui échappe, ou plutôt excède cette visée instrumentale. L’opérativité de cette dimension symbolique, si elle est comprise par les sujets sociaux, qui savent à quoi elle correspond et de quelle manière agir vis-à-vis d’elle, échappe à leur maîtrise. Elle implique plutôt la rencontre, la dépense et le don ; elle joue sur un accord des regards, des représentations, des émotions et des pratiques ; elle comporte, y compris sous sa forme ritualisée, une part d’aléatoire liée à la création d’une expérience commune festive entre les participants9. Il est certain que selon les formes de communication, la part prise par l’une ou l’autre dimension peut varier. A priori la création artistique jouera plus par exemple sur la dimension symbolique que les médias d’information. Mais à regarder de près les deux dimensions sont présentes, à des degrés divers, dans toutes le situations de communication10.

  • 11 Je parle d’axe « relationnel » plutôt que d’axe « communicationnel » par opposition à l’axe référen (...)

22La seconde précision porte sur le fait que la production des êtres culturels se déploie à la conjonction de deux axes : un axe relationnel entre les protagonistes engagés dans l’interaction et un axe référentiel entre ces protagonistes et l’univers généré ou présupposé par leurs interactions11. Le fait qu’il y ait signification implique nécessairement que l’objet adressé et/ou interprété représente quelque chose d’absent réel ou imaginaire (ce à propos de quoi on interagit), l’interaction (axe relationnel) contribuant alors à donner de l’épaisseur au monde (réel ou possible) auquel appartient cette chose et à partager à son propos. Ce point a fait l’objet de recherches nombreuses et importantes de la part des chercheurs qui ont étudié soit la fiction romanesque (Eco, [1979]1985) soit, par opposition, le « régime de monstration » à la télévision par exemple (Soulages, 2007).

En quoi et selon quelles modalités le patrimoine est-il un fait communicationnel ?

23Il n’est plus guère aujourd’hui que la ruine – éventuellement consolidée mais sans avoir pour autant été mise en valeur – qui ne soit pas un fait de communication. Réalité matérielle, elle peut exister dans la mémoire collective locale ou être l’objet d’une expérience esthétique de la part de randonneurs, mais elle n’est pas prise dans une situation dans laquelle des protagonistes scientifiques, militants, administratifs en auront fait un objet producteur de sens au moyen d’études, de publications, de revendications, de déclarations, un objet activé de surcroît par une médiation. Elle reste donc appréhendée soit à travers l’existence dans la mémoire collective d’un groupe restreint, soit dans sa seule réalité physique.

24Même le monument historique, dont la valeur patrimoniale peut paraître « évidente » (une église ou un château, pour prendre des exemples emblématiques) et qui semble s’imposer du fait de sa seule existence physique a en réalité fait l’objet d’une construction documentaire et communicationnelle, fût-elle minimale, ayant impliqué un collectif plus ou moins important de protagonistes (Fraysse, 2006). Pour prendre l’exemple d’une église de la montagne niçoise (prenons la chapelle médiévale Notre-Dame-des-Fontaines de la Brigue), il existe un savoir qui peut venir pour partie de la mémoire locale (pour l’usage récent), d’études d’érudits ou de recherches universitaires (pour l’origine et son usage ancien), savoir qui se trouve en quelque sorte « attaché » à cette église comme en témoignent les divers documents qui la présentent : on peut ainsi y découvrir son histoire et sa place dans l’histoire plus large des autres églises ou villages proches. Le contenu de cette présentation va être repris par les articles de journaux, les dépliants touristiques, l’encyclopédie Wikipedia, éventuellement par les documents des collectivités qui ont financé sa restauration, etc. Pour les châteaux ou églises qui sont plus renommés, au caractère patrimonial encore plus évident et ayant caractère national plus ancien, « l’évidence » même résulte la plupart du temps d’une longue construction, qui peut avoir commencé au xixe, voire bien antérieurement, et qui s’est généralement trouvée stabilisée et institutionnalisée après la Seconde Guerre mondiale avec la montée de l’intérêt patrimonial. Comme en témoignent les Lieux de mémoire, les représentations circulant sur ces monuments sont portées par ce que l’on peut appeler des discours d’accompagnement diffusés par des ouvrages, par l’institution scolaire, par des émissions, par des outils de promotion touristique, etc., qui contribuent à installer l’évidence de la « nature » patrimoniale de ces monuments. Simplement, la construction sociale et sémiotique de la représentation a été en quelque sorte « oubliée », ayant ainsi fait disparaître l’importance de la dimension communicationnelle dans cette construction, au profit d’une naturalisation de l’objet considéré dans sa seule matérialité, imposant l’idée d’un mode d’existence uniquement de type autographique (Davallon, 2016).

  • 12 La chose est indubitable en revanche pour l’objet patrimonial dit « immatériel » qui n’a d’existenc (...)
  • 13 Voir à ce sujet les réflexions de Rautenberg (1998 ; 2003b).
  • 14 L’inventaire offre un parfait exemple de cette formalisation (Balsamo 2003 ; Heinich, 2009 ; Davall (...)
  • 15 Voir à ce propos Culture & Musées 14 sur « l’écriture du patrimoine « (Tardy, 2009).
  • 16 Ce que Pomian ([1996]1999) appelle un « sémiophore », même si avec ce terme il met l’accent, en ce (...)

25Le développement de la patrimonialisation, inhérent à l’arrivée des nouveaux patrimoines, a contribué à rendre plus visible – en tout état de cause plus facilement repérable – cette dimension communicationnelle dans la construction des objets patrimoniaux. À tel point que j’avancerai l’hypothèse que l’objet patrimonial matériel – qui, je le rappelle, est celui dont nous traitons prioritairement ici – n’existe comme tel aujourd’hui que porté par une activité communicationnelle, et osons dire pour partie constitué par les documents qui résultent de celle-ci ; autrement dit, n’existe que pris dans le jeu de l’institution et de la médiation mentionné plus haut qui est caractéristique de la patrimonialisation12. Sous la pression conjointe des scientifiques engagés dans l’étude de ces objets candidats au statut de patrimoine (notamment, depuis ces dernières décennies, les ethnologues13) et des administrations habilitées à leur attribuer ce statut, s’est en effet progressivement mise en place une formalisation du processus de patrimonialisation. Formalisation qui se traduit, pour un objet donné, par un accroissement des types d’interactions entre partenaires ainsi que des productions afférentes (discussions publiques, appels militants, échanges administratifs, études scientifiques, dossiers et documents divers, articles de presse, etc.), à travers une certaine tendance à reprendre les mêmes formes et à suivre les mêmes procédures en vue de la reconnaissance du statut de patrimoine14. Ces diverses activités infocommunicationnelles contribuent à construire une signification de l’objet, à en faire un être culturel (un être social et de langage15) : il ne sera plus désormais ni une simple réalité matérielle ni même uniquement un objet d’art, mais précisément un objet patrimonial, concept désignant une construction sociosémiotique faite d’une réalité physique venue du passé et de savoir produit au présent se manifestant sous forme de documents et de dispositifs16.

26Cet objet patrimonial, condensation de propriétés physiques et de propriétés idéales (au sens où Genette parle d’objet « idéal » à propos du mode d’existence allographique), va être au centre d’opérations qui non seulement l’instituent comme tel mais celles aussi qui assurent sa médiation. Je dirais qu’il se définit par l’intégration de ces deux types d’opérations : son institution anticipe le fait que son statut de patrimoine lui donne un nouvel usage, essentiellement culturel, d’objet à découvrir, à voir, à parcourir – à qui on rend « visite » – ; la médiation, de son côté, mobilise et met en valeur le lien indiciel que l’objet entretient avec son origine. De cette manière, il se trouve doublement, mais complémentairement, au croisement de l’axe relationnel et de l’axe référentiel : lors de son changement de statut social et lors de sa découverte par le public. Mais il y a plus, puisque chacun de ces moments comporte une double dimension fonctionnelle et instrumentale.

27(i) Commençons par le premier moment. Le changement de statut de l’objet qui d’utilitaire ou frappé d’obsolescence, voire réduit à l’état de déchet, devient un objet doté de valeurs telles qu’il doit être gardé pour être « visité » et transmis, supposent, nous l’avons vu, les interactions de protagonistes (militants, scientifiques, administratifs, etc.) qui visent une efficacité de connaissance et de décision et qui se traduisent par des productions documentaires faisant état du savoir produit.

28Mais existe aussi une dimension symbolique qui réside dans deux choses. D’une part, dans l’émergence d’un intérêt social pour cet objet. Une partie au moins du groupe pour qui il va faire patrimoine va le reconnaître comme ayant une valeur historique et artistique, bref sociale et cognitive pour lui et éventuellement s’engager pour qu’il soit reconnu par d’autres (processus impliquant souvent, nous allons le voir, sa médiation). D’autre part, dans la création d’un rapport au passé alliant une présence de celui-ci dans le présent à travers l’existence de l’objet lui-même porteur d’une altérité d’un passé qui reste profondément étranger aux individus du présent.

  • 17 Ce double aspect caractérise un sémiophore selon Pomian ([1978]1987 et [1996]1999, 205). Précisons (...)

29C’est une des caractéristiques importantes de l’approche communicationnelle que de faire apparaître comment des interactions et productions qui s’adressent tantôt à d’autres scientifiques, tantôt à d’autres militants, tantôt à l’administration, tantôt aux citoyens, en produisant fonctionnellement une connaissance de l’objet et sa reconnaissance comme patrimoine, sur un versant s’inscrivent dans une relation d’appropriation symbolique pour les membres du collectif pour qui il fait patrimoine et sur l’autre participent par le fait même à l’instauration d’un rapport socio-symbolique entre l’objet, tel qu’il existe effectivement dans le présent (ici et maintenant), et ce qu’il fut dans son monde d’origine. Sans cette construction d’une signification et d’un savoir, ce monde d’origine resterait inconnu et l’objet sans valeur pour le collectif présent. C’est ainsi que l’objet patrimonial est constitué par la conjonction de la matérialité même de l’objet, qui fonde son caractère indiciel (axe référentiel), et du savoir latéral sur lui et son origine (axe relationnel) pour un collectif (communauté, groupe) ; il possède ainsi la particularité d’être à la fois présent dans sa matérialité et le représentant d’un invisible17. C’est de cette manière qu’il acquiert la profondeur référentielle de témoin pour les générations présentes et futures (Desvallées, Mairesse, 2011, art. « Patrimoine »).

30(ii) Le second moment, qui constitue l’horizon du premier en ce qu’il se traduit par le retrait de l’objet du circuit des échanges afin de le « réserver » à sa présentation au public et de sa transmission aux générations futures, est caractérisé par la découverte par le public de l’objet patrimonial. L’élaboration de dispositifs de présentation – qu’il s’agisse de mise en exposition (Flon, 2012), de signalétique (Jacobi, 2013) ou de médiation humaine (Gellereau, 2005) – s’appuie évidemment sur les savoirs produits par les recherches et s’adresse au public (axe relationnel). Mais par sa dimension symbolique, ces dispositifs sont caractérisés par la rencontre du public avec l’objet patrimonial lui-même (axe référentiel) dans sa réalité matérielle et sa capacité à mettre en rapport avec l’invisible qu’il représente (le monde d’origine, les êtres imaginaires qui ont produit cet objet et les valeurs dont il est ainsi le vecteur). Il est certain que les interactions, les échanges et les productions de savoir intervenant dans la patrimonialisation, leur rôle dans la connaissance et la documentation des objets patrimoniaux, servent à la découverte, la connaissance et la compréhension de ces derniers par les publics présents ou futurs.

31Mais, il est tout aussi certain qu’une des questions majeures qui se pose reste la mobilisation de l’intérêt et de l’attention des publics pour ces objets ; et surtout sa pérennisation. C’est la fonction de la diffusion des documents de promotion, de l’édition de vulgarisation, des reprises par les médias des différentes informations pour produire des articles ou des émissions, des usages ou des citations à des fins touristiques (Fraysse, 2009) – sans compter, dorénavant, les commentaires ou les photos présents sur internet ou les réseaux sociaux – ; diffusion qui fait exister l’objet à travers des représentations. Toutes ces modes d’existence dérivés visent à le conforter, tout en infléchissant éventuellement ces représentations et en cherchant à les installer dans la durée.

  • 18 Il est certain que selon le type de musée ou de patrimoine, la « présence » de ces êtres humains es (...)
  • 19 Ce que Dulong appelle « la piété pour les objets du passé » (Dulong, 1998 : 180sq). Si comme l’affi (...)

32C’est donc le second apport de l’approche communicationnelle que de rappeler que cette visée fonctionnelle d’une appropriation par le public se nourrit nécessairement de l’expérience qu’il peut avoir avec les objets et leur médiation, que cette expérience fait partie de la médiation et que la médiation vise non seulement une connaissance de l’objet mais, nous l’avons déjà relevé, à travers cette expérience la création d’une relation à ces objets et aux êtres qui les ont créés, qui sont ainsi des sortes d’êtres imaginaires à la fois incroyablement proches, presque familiers, et totalement distants et lointains18. Elle contribue aussi à produire pour les membres du collectif pour qui ces objets font patrimoine leur intérêt et leur attachement à eux et le sentiment de partager une identité commune à travers cet intérêt et cet attachement communs. C’est d’ailleurs cette opérativité symbolique qui différencie les pratiques de patrimoine, qui comportent toujours une dimension de célébration, de l’histoire centrée quant à elle sur la production de connaissances (Lowenthal, [1996] 1998a ; 1998b). Sous cet angle, le rituel de la visite n’est que la célébration, par des collectifs éphémères de visiteurs, de la découverte de ces objets par ceux qui les ont trouvés et qui ont reconnu leur valeur. Un des effets symboliques, non des moindres, est ainsi le sentiment d’une communauté d’appréciation, dans l’espace et le temps, du caractère sublime de ces objets19.

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Bibliographie

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Notes

1 Dans les pages qui suivent, je traiterai essentiellement du patrimoine matériel, l’immatériel posant d’autres problèmes qu’il n’est pas possible de développer dans les limites de cette contribution. Pour une première approche de ce dernier, je me permets de renvoyer par exemple à Davallon (2015).

2 Cette activité communicationnelle correspond a ce que Jeanneret (2008, 20) appelle « la nécessité dans laquelle les hommes se trouvent de créer des ressources et des situations qui les confrontent les uns aux autres en tant que producteurs de sens ». Un des premiers à avoir formalisé cette conception de la communication est Quéré (1982). Elle est aussi évidemment proche de l’anthropologie de la communication dont les « précurseurs » ont relevé l’importance de celle-ci dans la vie sociale (Winkin, 1996).

3 Comme c’est par exemple le cas de Chastel par exemple avec la création de l’Inventaire, même s’il faut préciser que c’est au titre de leur valeur historique et artistique que les objets sont inventoriés (Chastel, 1990).

4 On peut noter qu’une conception qui reconnaîtrait le caractère de témoin de l’homme et de son environnement aux objets de patrimoine en général, sans prendre en compte les modalités de production spécifiques (la patrimonialisation), risquerait un retour à une position essentialiste et le concept de témoin perdrait alors toute valeur discriminante. C’est à mon avis une des limites possibles d’une caractérisation des objets à partir de leur « muséalité ».

5 Ce changement de philosophie est parfaitement illustrée par l’analyse, au demeurant très avisée de ses caractéristiques, que fait Poulot de la création des écomusées (1993 : 363) : « Aujourd’hui, écrit-il, l’écomusée vise à faire advenir à la conscience du social les ressources – les richesses – dont celui-ci dispose sans le savoir : le travail de sauvetage et d’enregistrement est remplacé par une entreprise de révélation et d’interprétation. La seule inscription possible de ce nouveau patrimoine relève de l’ordre du discours, en l’occurrence le propos savant qui le reconnaît en construisant de l’intelligibilité, puis le façonne en objet de communication. » Pour un autre point de vue, voir Rautenberg (2003a) à propos de ce qu’il appelle le « patrimoine social » et celui, certes plus récent encore de Cominelli (2012) qui porte sur la relation entre savoir-faire, communauté et biens communs et qui permet de mesurer l’écart entre le constat de l’historien et la position d’une spécialiste de la dimension sociale du patrimoine culturel immatériel.

6 Pour une perspective communicationnelle de la patrimonialisation et des gestes qui la caractérise, je me permets de renvoyer à Davallon (2002 ; 2014).

7 Je distingue l’efficacité, qui résulte de stratégies (dimension fonctionnelle intentionnelle), de l’opérativité qui relève de la dimension symbolique.

8 J’emprunte à Cometti (2012 ; 2015) le terme « d’activation » – qui lui-même le reprend à Goodman ([1987]2009) – afin de désigner les conditions impliquées dans le fonctionnement des œuvres –, tout en l’élargissant aux conditions symboliques et sémantiques, remettant ainsi en cause la dissociation entre objet et conditions d’activation : « Ce que nous appelons une “œuvre d’art” répond moins à des propriétés qu’à une fonction et à des usages, plus ou moins projetables dans des objets, en relation avec un contexte et un arrière-plan socialisés, identifiables par un fonctionnement qui fait interagir les éléments d’une situation » (Cometti (2012). Reste à préciser que, dans le cas présent, mais cela ne semble pas incompatible avec la définition proposée, il faut y inclure la réception. Le terme d’activation a le mérite d’éviter une confusion sur ce qu’il faut entendre par médiation.

9 Ce qui correspond à ce que Turner appelle la « communitas » par opposition à la structure (Turner, [1969]1990).

10 Pour des exemples montrant l’étendue de ce phénomène : voir par exemple Lardellier (2013).

11 Je parle d’axe « relationnel » plutôt que d’axe « communicationnel » par opposition à l’axe référentiel, comme c’est souvent l’usage, afin d’éviter les embarras de langage autour de « communicationnel ».

12 La chose est indubitable en revanche pour l’objet patrimonial dit « immatériel » qui n’a d’existence sociale – autrement dit n’est perceptible par des sujets sociaux – qu’à travers sa manifestation (son exécution et, sous une forme parcellaire, sa dénotation, c’est-à-dire sa mémoire, sa description, sa transcription, les règles d’exécution, etc.), même si en tant que fait culturel, il immane, dirait Genette, sous forme d’objet idéal. C’est pourquoi on peut dire que les nouveaux patrimoines se situent entre le monument (ou l’œuvre d’art) conservé comme bien incontestablement doté d’une valeurs artistique et historique avec un mode d’existence autographique et l’objet patrimonial immatériel. Ils s’inscrivent ainsi dans une montée de la place occupée par les savoirs ainsi que de la relation au public dans la définition des objets patrimoniaux – donc, au bout du compte, dans un processus de visibilisation et d’affirmation de la dimension communicationnelle au sein de la patrimonialisation.

13 Voir à ce sujet les réflexions de Rautenberg (1998 ; 2003b).

14 L’inventaire offre un parfait exemple de cette formalisation (Balsamo 2003 ; Heinich, 2009 ; Davallon, 2016). Des recherches récentes menées sur les villes et pays d’Art et d’Histoire (Navarro, 2015) ou sur les itinéraires culturels du Conseil de l’Europe (Gaillard, 2015) montrent le degré de complexité que peuvent atteindre ces interactions et leur formalisation administrative.

15 Voir à ce propos Culture & Musées 14 sur « l’écriture du patrimoine « (Tardy, 2009).

16 Ce que Pomian ([1996]1999) appelle un « sémiophore », même si avec ce terme il met l’accent, en ce qui concerne les objets patrimoniaux, sur le changement de mode d’existence sociale de l’objet matériel : passage d’objet physique (de « chose »), pouvant aller jusqu’à être réduit au stade de déchet, à un objet porteur de signification. Les commentaires en fin de l’article laisse apparaître une proximité de posture sous-jacente à son approche de l’histoire des sémiophores avec celle sous-jacente à l’approche communicationnelle des objets patrimoniaux en tant qu’êtres culturels. Mais alors que la première vise à retrouver les transformations intervenues dans le temps ou leur présence dans des strates présentes venues du passé, la seconde porte son attention sur les conditions, les modalités et les conséquences de cette transformation d’objets en sémiophore, sur le devenir et l’usage de ces derniers dans notre société (à travers les opérations désignées plus haut comme institution et médiation).

17 Ce double aspect caractérise un sémiophore selon Pomian ([1978]1987 et [1996]1999, 205). Précisons que l’invisible dont il est ici question n’a ici rien d’ineffable ; il s’agit plutôt d’un monde utopique, un monde humain, absent, étranger et pour partie imaginaire (comme représentation symbolique construite), parce que disparu. De ce point de vue, pour reprendre et préciser ce que je disais dans la note précédente à propos de l’approche communicationnelle, cette approche appliquée à la patrimonialisation permet de comprendre comment ce sémiophore est produit ainsi que la nature de son fonctionnement.

18 Il est certain que selon le type de musée ou de patrimoine, la « présence » de ces êtres humains est plus ou moins sensible (à titre d’exemple, Trouche et Lambert, 2009).

19 Ce que Dulong appelle « la piété pour les objets du passé » (Dulong, 1998 : 180sq). Si comme l’affirme Pomian (2003, 13sq), le musée est « un des moyens que chaque génération utilise pour faire un sacrifice aux générations après elles », il faut probablement, si l’on suit la logique du don, voir dans ce sacrifice, qui se traduit par l’obligation de garder, la conséquence de la reconnaissance d’une dette vis-à-vis de ceux qui ont produit ces objets.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Davallon, « Penser le patrimoine selon une perspective communicationnelle »Sciences de la société, 99 | 2016, 15-29.

Référence électronique

Jean Davallon, « Penser le patrimoine selon une perspective communicationnelle »Sciences de la société [En ligne], 99 | 2016, mis en ligne le 13 février 2019, consulté le 10 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/5257 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.5257

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Auteur

Jean Davallon

Centre Norbert Elias, équipe Culture & Communication, umr 8562, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.
jean.davallon orange.fr

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Droits d’auteur

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