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L’habitat participatif et l’impératif écologique : une utopie réaliste ?

Cohousing and the ecological imperative : a realistic utopia ?
Vivienda colaborativa y el imperativo ecológico : una utopia realista ?
Jeoffrey Magnier
p. 78-93

Résumés

Les nouvelles modalités d’habitat participatif introduisent une adaptation de la question écologique dans la sphère du logement, en faisant du respect de l’environnement une préoccupation de premier plan pour les groupes d’habitants en projet. Avec la montée en nombre des projets adossés voire à l’initiative de bailleurs sociaux, les fortes contraintes de ces derniers en terme budgétaire s’opposent aux souhaits des groupes de futurs habitants, posant les bases d’un paradoxe entre souhait et injonction d’une part, et possibilités d’autre part. Avec un encouragement des pouvoirs publics à ce type d’initiative et des professionnels qui investissent activement ce domaine, l’habitat participatif semble tendre vers un modèle adapté aux problématiques sociétales actuelles, entre « vivre ensemble », participation à la conception et à la gestion et habitat durable. Pour autant, en faire une vitrine du respect de l’environnement semble être un objectif biaisé, car l’équation entre coût nécessaire aux performances énergétiques et possibilité d’investissement semble être, en l’état, déséquilibrée pour les habitants. C’est ce déséquilibre que nous souhaitons interroger à travers l’étude des stratégies des acteurs de cette sphère, même si cela n’entame en rien l’enthousiasme de ces habitants que nous considérons ici comme des citoyens militants de l’économie associative et collaborative, refusant le désenchantement des mouvements communautaires post-soixante-huitards.

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Texte intégral

  • 1 Nous privilégierons un usage sans guillemets de la notion « d’habitat participatif » car malgré son (...)

1L’habitat participatif1 se distingue de la production traditionnelle de logement en raison de son engagement collectif : de la conception jusqu’à la gestion de l’ensemble. Ainsi, dans les habitats participatifs, en plus des logements individuels, des espaces sont mutualisés : buanderie, atelier de bricolage, salle d’activités, espaces verts. Ce type d’habitat est constitué d’un ensemble d’initiatives diverses issu à l’origine de la société civile, assemblé depuis 2010 sous la bannière « habitat participatif » qui tend aujourd’hui à « s’institutionnaliser » voire à se « professionnaliser » (Devaux, 2015 ; D’Orazio, 2012), au sens où sa réalisation mobilise de plus en plus l’intervention de professionnels et d’institutions. Malgré la présence croissante de l’habitat participatif dans les discours politiques, la part de ces logements est, selon les estimations associatives, bien inférieure à 1%, en France.

2L’habitat participatif s’ancre dans la nébuleuse de l’habitat alternatif et sans revendiquer de filiation directe, il a puisé son inspiration, de façon plus ou moins importante, dans des modèles historiques : l’habitat coopératif hlm, le Castorat, les taisibles moyenâgeuses et plus particulièrement, son modèle le plus proche, l’habitat groupé autogéré dont la promotion s’est incarnée à travers le Mouvement de l’habitat groupé autogéré (mhga). Il n’est pas question de révéler une filiation linéaire entre ces éléments mais plutôt de mettre en avant l’influence de certains modèles historiques sur des modèles plus récents, participant à une mythologie distillée dans l’imaginaire des sympathisants de l’habitat participatif, sur fond de participation active à l’acte « d’habiter ». Depuis les dernières expériences du mhga, les logiques, les acteurs et les stratégies urbaines ont évolué. Le mhga se réincarne et marque la rupture symbolique, en 2009, et s’intitule alors « Mouvement Eco Habitat Groupé » (ehg) qui est actuellement l’une des principales associations nationales de promotion de ce type d’habitat. Les meneurs associatifs du mhga restent aux commandes de ehg et proposent une charte répondant aux impératifs de l’époque actuelle où les questions sociales et environnementales deviennent urbaines, davantage que l’autogestion que le mhga défendait ardemment. Cela laisse à penser que la dimension durable est une idée-force « évidente » de l’habitat participatif nonobstant l’hétérogénéité de ses formes et l’appropriation variée dont « l’habitat participatif » fait l’objet.

3C’est l’inscription de l’habitat participatif dans un cadre moderne complexifié du point de vue organisationnel que nous souhaitons mettre en débat pour tenter de démystifier « l’utopie participative » (Villechaise-Dupont, Rui, 2006) et ses possibilités présupposées vastes, notamment comme outil à produire du « durable ». L’habitat participatif est-il une façon de produire de l’habitat durable ? Si oui, dans quelle mesure et comment les arbitrages se font-ils dans une sphère de décisions multipartenariales ? Comment la participation sociale s’arrange-t-elle (ou non) avec l’impératif de durabilité ?

  • 2 Nous avons choisi de maintenir l’anonymat du groupe, car ce dernier est toujours en phase de réalis (...)
  • 3 Ce premier appel à projets fut diffusé en 2011 et fut particulièrement poussé par Audrey Linkenheld (...)
  • 4 La municipalité de Lille octroie une subvention de 7 000 ¤ au bailleur pour une construction neuve (...)
  • 5 En considérant la moyenne de revenu net annuel : 25 507 ¤, en 2012, selon l’insee.

4Pour répondre à ces questions interrogeant la dimension de l’habitat durable propre à l’habitat participatif, nous nous appuierons sur les données obtenues dans le cadre de notre thèse de sociologie. Nous nous concentrerons sur deux cas : d’une part un travail d’observation mené depuis trois ans auprès d’un groupe en projet (phase de consultation des entreprises) de la Ville de Lille qui nous permet de toucher au plus près la question de l’application de la valeur écologique. Ce groupe2, lauréat de l’appel à projets édition 2011 de la Ville de Lille3, est caractérisé par son caractère socio-démographique varié. Il est composé de dix foyers, quatorze adultes et dix enfants de 1 à 20 ans, répartis comme suit : six foyers composés d’un(e) adulte célibataire avec ou sans enfants, un couple sans enfant et trois couples avec enfants. La moyenne d’âge des adultes est d’environ 40 ans, mais la fourchette d’âge va de 29 ans à 59 ans sachant que la moitié a moins de 40 ans. Concernant les données économiques, nous nous contenterons de signaler que huit des dix foyers accéderont à la propriété par le dispositif Prêt Social Location Accession (psla)4 et que les revenus d’un couple avec enfant ne doivent pas excéder 3,2 fois le smic soit 50 220 ¤ ou 31 388 ¤ pour une personne seule. Nous pouvons conclure que les habitants ont des revenus moyens voire légèrement supérieurs à la moyenne5. Du point de vue professionnel, nous sommes face à presque 60% de cadres et professions intellectuelles supérieures, 30% de professions intermédiaires et les 10% restants considérés comme inactifs. Actuellement, quatre foyers sur les dix sont présents depuis le début du projet. Le bailleur social attaché à l’opération est l’un des principaux bailleurs sociaux de la Métropole de Lille issu de la fusion des principaux offices municipaux et possède donc un poids important sur le territoire. La pertinence de ce terrain tient dans sa double spécificité avec un bailleur social adossé à une opération, d’une part, et issu d’un appel à projets de la municipalité, d’autre part.

  • 6 Malgré une hausse assez nette des initiatives portées par des municipalités ou des bailleurs, ces c (...)

5D’autre part, et pour ouvrir notre horizon français, nous nous appuierons sur une séquence de terrain menée de janvier à juin 2015, dans le Canton de Genève, où les coopératives d’habitants participatives et la construction durable évoluent de concert dans une « course » au label écologique. La pertinence de ce cas et de cette mise en perspective se justifie sur deux plans : premièrement, dans le fait que là où la France se situe dans un entre-deux sur la question environnementale quand la réappropriation de l’impératif écologique à l’échelle locale remet en question la souveraineté de l’État (Villalba, 2010), le Canton de Genève se caractérise par une mise en application avancée des principes environnementaux et est souvent cité comme exemple pour ses réalisations architecturales, dans une cohérence des différents échelons politiques. Deuxièmement, alors que le mouvement de l’habitat participatif entame un processus d’institutionnalisation en France (Devaux, 2015), il est déjà fortement ancré et pris en charge par divers acteurs : politiques, professionnels et coopératives, dans le Canton de Genève. En outre, la principale différence entre la situation française et la dynamique genevoise tient à la nature de l’initiative : l’habitat participatif reste principalement, dans les chiffres, le fruit de l’initiative citoyenne en France6 selon les porte-paroles associatifs, ce sont les sociétés coopératives qui lancent et dirigent les programmes, dans le Canton de Genève. Nous nous sommes concentrés sur des habitats coopératifs participatifs réalisés par la codha (pour COopérative De l’Habitat Associatif, à but non lucratif) qui est l’un des acteurs majeurs de cette forme d’habitat et qui a gagné, depuis sa création en 1994, une légitimité d’action importante auprès des acteurs politiques, professionnels et financiers. La codha est animée par des valeurs de convivialité, de solidarité, de développement durable et construit des logements sociaux dont les coûts sont contrôlés par l’État. Elle est donc agréée par l’État, à l’instar d’un bailleur social privé traditionnel, mais se démarque par son statut de Société Coopérative revendiquant la pratique de la participation. Nous avons pu mener des entretiens auprès d’habitants de trois réalisations différentes, dont celle sur laquelle nous appuierons notre propos, les Zabouches, marquant le tournant écologique et participatif de la coopérative avec une construction neuve sur un terrain proposé par le Conseil d’État Genevois pour 27 logements (partagés avec la cigue, coopérative de logements pour les personnes en formation) répondant à la norme écologique Minergie. Le droit de superficie fut acquis en 2001, l’emménagement s’est déroulé entre 2005 et 2006 et est aujourd’hui l’une des opérations de référence pour la codha.

6Sur les deux terrains, la méthodologie mobilisée fut qualitative avec des observations et des entretiens nombreux auprès des habitants, des associatifs, des professionnels et des politiques de différentes strates. Le but n’était pas de mener des monographies de lieux, mais de saisir finement la dynamique du territoire et la façon dont les spécificités locales se construisent pour les confronter à la moyenne française. Nous proposons une étude de ces contextes pertinents à étudier du fait de leur dimension écologique importante, mais également au vu des intérêts divergents possibles, instaurant des schémas de décisions complexes et des contraintes multiples consécutives à la participation habitante.

7Appliqués à l’habitat participatif, les principes de l’habitat durable se retrouvent à la croisée des stratégies de trois acteurs : politiques (agents des collectivités territoriales et organismes publics), professionnels et techniciens (architectes, bailleurs, Assistants à Maîtrise d’Ouvrage, maîtres d’œuvres) et habitants (habitants et associatifs dans une certaine mesure ces derniers étant des habitants), ce qui amène à des jeux de négociation individuels et collectifs. Pour visualiser la coexistence de ces intérêts et les limites de la participation sociale dans la quête de la durabilité, nous accorderons un temps à l’analyse des enjeux traversant chaque groupe d’acteurs. La première partie de l’article donnera un cadre politique à la question énergétique en posant les enjeux de la promotion de la durabilité pour les acteurs institutionnels et la façon dont l’habitat participatif a saisi le soutien du politique pour se développer. Dans la deuxième partie, nous mettrons en lumière les évolutions des stratégies professionnelles. Ces dernières restent gouvernées par l’impératif économique et la rentabilité alors qu’elles s’intègrent dans une sphère influencée par l’économie collaborative, obligeant professionnels et habitants à faire des compromis pour contenter les souhaits environnementaux. Notre dernière partie consistera à montrer la valse des négociations du côté des habitants, chez qui la sensibilisation aux aspects techniques et financiers de l’habitat durable mène souvent à des décisions dirigées par des nécessités pécuniaires, par manque ou par déséquilibre entre ambitions écologiques et moyens financiers.

Une intégration de l’habitat participatif dans une stratégie politique locale

8La Métropole de Lille comme la Ville de Lille adoptent des ambitions se voulant proches de celles de la Région Nord-Pas-de-Calais, en matière énergétique. L’appel à projets, dont le groupe que nous avons étudié est lauréat, émane de la municipalité et la performance énergétique fut l’un des critères majeurs du processus de sélection afin de correspondre à l’image d’une ville dynamique qui se développe sur les domaines sociaux et environnementaux.

9Par exemple, à la page17 du plh de la Métropole Européenne de Lille, on peut lire : « 85 % des logements de la métropole datent d’avant 1990. […] Un partenariat nouveau s’engage avec la Région Nord-Pas-de-Calais dans le cadre de son pacte pour la rénovation énergétique et environnementale du parc de logements. »

10Les objectifs gouvernementaux de lutte contre la précarité énergétique dans l’habitat et les réglementations dans la construction imposant des performances énergétiques toujours plus élevées trouvent écho auprès des échelons politiques locaux. L’appropriation locale de ces directives est soumise à deux éléments : l’historique du territoire et le phénomène d’attractivité (Lamarche, 2003).

  • 7 Cf. Observatoire du bilan carbone des ménages.
  • 8 En effet, la rt 2020 en projet doit se baser sur la Directive européenne sur la performance énergét (...)

11En effet, l’évolution des normes de construction de l’habitat nécessite un renouvellement urbain à moyen terme. Représentant 30 % (en 20117) des émissions globales de gaz à effet de serre, le secteur de l’habitat est, en France, l’un des grands chantiers de la quête à la « durabilité énergétique ». Avec un objectif national supposé à l’horizon 20208 de faire du logement passif le standard de construction, les collectivités territoriales déploient actuellement des outils, des partenariats et des aides financières afin de favoriser la performance et la sobriété énergétique. Cet objectif de « transition énergétique » s’inscrit pleinement dans un revirement de la production urbaine visant à l’obtention des labels nécessaires à la matérialisation de la capacité d’innovation et d’attractivité d’un territoire (Semal, Szuba, 2009 ; Lamarche, 2003).

12Cette transposition locale d’un objectif national nécessite la mise en œuvre de subventions et d’aides financières dédiées aussi bien aux bailleurs qu’aux particuliers (crédits d’impôts cite et cidd, Eco-ptz, tva réduite, par exemple). Les groupes d’habitat participatif n’échappent pas à cette course aux subventions, pour compenser le surcoût occasionné, entre autres, par leurs objectifs écologiques. Ainsi, afin de trouver leur place dans un cadre de plus en plus politisé, les porteurs de projet d’habitat participatif ne doivent pas se contenter de la construction d’un habitat durable, mais ils ont l’injonction de raisonner leur projet dans cette perspective. Les institutions politiques locales mettent en place diverses facilités, notamment financières, afin d’encourager les membres des groupes dont les revenus économiques sont, en général, moyens voire modestes.

13Par exemple, dans le cas du groupe que nous suivons, l’équilibre financier est venu d’une subvention substantielle de la Région Nord-Pas-de-Calais, négociée par le bailleur, afin de réaliser un bardage en bois régional. Cette subvention représentant presque un tiers du montant global de l’opération, a permis de combler un déficit important et a offert quelques améliorations énergétiques sur le bâtiment. Ce surcoût a quatre explications majeures : les équipements écologiques souhaités (comme une cuve de récupération des eaux pluviales, filtrage de l’eau pluviale, entre autres), la situation du terrain à flan de canal qui oblige à des renforcements de la structure, une maison indépendante à l’un des coins du terrain qui oblige à des ajustements coûteux et enfin, les souhaits différents des habitants qui empêchent une standardisation des logements pour abaisser le coût. Dans tous les cas, cela illustre la dépendance des groupes aux aides financières de l’État et des collectivités car ici, sans ces dernières, le projet aurait été avorté, à l’instar d’autres groupes dont les compétences ne permettent pas la négociation des aides. Ces subventions imposent un cahier des charges ambitieux laissant peu de place à l’initiative habitante sur les choix de construction. Le bailleur social, intervenant au titre de financeur de l’opération et de co-maîtrise d’ouvrage avec les habitants, y voit pour sa part le bénéfice de la publicité d’un bâtiment pouvant prétendre à une labellisation.

  • 9 Soit un seuil maximal de consommation de 38 kWh/ m²/ an pour une construction neuve.
  • 10 En parallèle de son ambition de rejoindre les rangs des Green cities en signant la charte d’Aalborg (...)

14Pourtant, si la quête des labels est un enjeu des collectivités territoriales (Villalba, 2010), elle est aussi cruciale pour l’effet publicitaire des professionnels concernés : architecte, maître d’œuvre et bailleur. L’octroi d’un label peut être perçu comme un moyen de renforcer son action territoriale. Le Canton de Genève incarne bien ces croisements d’intérêts. La codha a réalisé les Zabouches grâce à un droit de superficie stratégiquement accordé par le Canton de Genève, actif en termes d’habitat coopératif participatif, et qui a grandement facilité le développement de ce dernier. Ainsi, la codha a pu réaliser le premier logement construit sur la Ville de Genève répondant au label Minergie9, favorisant la consommation d’énergies renouvelables. Ce succès a participé de la visibilité européenne du Canton en matière d’excellence énergétique10. Les habitants suisses que nous avons interrogés ont précisé, sans exprimer de regrets, qu’ils n’avaient pas été consultés sur le choix des matériaux de construction ou sur la philosophie écologique du projet, car cela a été fait en amont, par les techniciens de la codha pour qui cette préoccupation est importante. Si l’écologie est une thématique forte pour le Canton, avec un magistrat de couleur politique écologiste sur la question du logement, ce n’est pas la préoccupation première des résidents pour qui l’intérêt est d’avoir un logement abordable, dans le contexte immobilier tendu de Genève (Pattaroni, Thomas, Kaufmann, 2009). Cela tend à illustrer un décalage des ambitions politiques et personnelles des habitants, dans le Canton.

15Au demeurant, dans le cadre d’un appel à projets, le bénéfice de subventions et/ou de facilités administratives reste plus aisé que pour les projets évoluant en dehors du cadre institutionnel. Même si ces subventions tendent à rendre le groupe d’habitants dépendant financièrement, elles permettent la réalisation de leurs souhaits écologiques grâce à leur étiquette de projet viable. Cela reste aussi dans l’intérêt des institutions de subventionner ces opérations qui feront office de vitrine écologique pour le territoire dans une perspective d’attractivité et de développement économique local (Villalba, 2009). L’habitat participatif est un moyen efficace de promouvoir l’habitat durable, s’il est soutenu par des élus locaux. De Lille à Strasbourg en passant par Genève, les élus locaux et leurs orientations politiques restent les premiers leviers de son développement.

  • 11 Par la réservation du foncier pour un projet d’habitat participatif, par exemple.

16Afin de clôturer ce point, nous pouvons insister sur la relation et la dépendance forte de l’habitat participatif envers les facilités financières, foncières et symboliques11, offertes par les échelons politiques. Cette dépendance est à double sens, car le pouvoir politique peut utiliser cet outil pour remplir ses objectifs d’aménagement durable, tandis l’habitat participatif est tributaire du soutien politique pour s’étendre et répondre aux valeurs environnementales prégnantes chez les habitants. En plus de remplir leurs objectifs, les collectivités territoriales manifestent ainsi leur capacité d’innovation dans une dynamique locale servant des objectifs plus larges que l’habitat ou l’aménagement (Villalba, 2009). Les stratégies professionnelles se retrouvent imbriquées dans ces objectifs politiques. L’aménagement durable est sujet à une évolution des pratiques de la part des professionnels pour trouver des solutions face aux difficultés communes. Dans le cas de la Suisse, cela s’est manifesté à l’échelle de l’habitat coopératif par la formation du Groupement des Sociétés Coopératives de Genève au début des années 2000, en charge de l’arbitrage des délégations de maîtrise aux sociétés coopératives. La France s’est également dotée d’un groupement des professionnels de l’habitat participatif qui travaillent ensemble pour répondre aux difficultés propres à ce type d’habitat et fait notamment collaborer des bailleurs, des Accompagnateurs à maîtrise d’ouvrage (amo) et des architectes pour dépasser le stade de l’expérimental.

Les stratégies professionnelles et l’impératif de rentabilité

17Les réflexions concernant l’habitat participatif, par ses porteurs associatifs, ses habitants et ses professionnels spécialisés, portent sur les conditions de son développement, la reproductibilité des opérations, sans tomber dans la standardisation. En l’état, les opérations d’habitat participatif adossées à un bailleur social interrogent ces derniers du fait des coûts plus élevés que les opérations habituelles qu’ils mènent. Ceci est un des freins évoqués par les bailleurs sociaux lillois déjà investis dans ce type d’opérations sur le territoire, comme l’interlocutrice du bailleur social gérant l’opération que nous avons étudié.

18Extrait d’entretien avec l’interlocutrice du bailleur social : « En l’état, on sait qu’on ne le referait pas dans ces conditions, l’opération n’est pas reproductible, elle est expérimentale et la direction n’est pas d’un grand soutien. Le coût de revient est presque deux fois plus élevé par rapport à notre coût moyen sur les autres opérations. »

19Allant au-delà de la bulle de l’habitat participatif, les professionnels de l’habitat s’inscrivent, comme les collectivités territoriales, dans cette quête à l’innovation et à la durabilité, et ce à deux niveaux : social et technologique. S’ingéniant à rompre avec la logique traditionnelle de production du logement, les architectes, bailleurs sociaux et autres professionnels de la construction du logement tentent d’adapter leurs pratiques et sont en recherche d’innovation tout en intégrant le « savoir d’usage » des habitants (Nez, 2010). L’habitat participatif véhiculant des valeurs positives, les professionnels s’ouvrent donc à ces idées. En témoignent les 25 candidatures d’architectes réceptionnées par le groupe étudié, lors de leur appel. L’enjeu de visibilité et de publicité est grand pour les cabinets d’architectes et de maîtrise d’œuvre, même s’ils ont des difficultés à intégrer la participation des futurs habitants, abordant cette question sous les angles techniques et non celui d’un lieu de vie, dans un langage d’arcane pour l’habitant (Zelem, Beslay, 2011).

  • 12 Selon les travaux de l’Observatoire de la performance énergétique du logement social.
  • 13 Soit l’énergie cachée nécessaire à la production d’un bien industriel (conception, extraction des m (...)
  • 14 Citons par exemple le débat entre scientifiques et industriels du « green business » concernant les (...)

20Cependant, les innovations techniques que les professionnels, en collaboration avec les habitants, souhaitent mettre en œuvre peuvent avoir un coût important sur le projet et nuire à sa rentabilité ou son équilibre financier. Qui plus est, à moyen et long terme, la « performance énergétique » n’est pas forcément synonyme de « performance économique » car la fabrication et le recyclage, l’entretien, les réglages (souvent mal maîtrisés), la maintenance de ces équipements, ne sont pas garants d’une facture énergétique moindre12. Des compromis sont ainsi faits, pouvant aller dans deux directions : la substitution d’un équipement énergétique par un autre, moins coûteux (à l’achat), ou le refus du partenaire financeur ayant la mainmise sur le budget (Rochon, 2014), le pouvoir de celui qui possède l’argent restant le plus puissant si l’on en croit le sentiment des habitants. La déclinaison de l’habitat durable dans le domaine de la construction a créé un véritable marché auquel est soumis l’habitat participatif. Cette économie « verte » cherche à maximiser ses profits et mise pour cela sur l’innovation technologique. Néanmoins, cet élan de la durabilité dans la construction combiné aux impératifs financiers laissent songeur sur le coût environnemental de certains équipements car « l’énergie grise »13 reste une problématique sous-abordée, reléguée au second plan par l’effet publicitaire de certains produits dits écologiques14 misant sur la performance du produit fini (Bordigoni, Berthou, 2014).

21L’encouragement à l’usage d’équipements dit à « énergie propre » tend à mettre au second plan, pour les professionnels – et pour les habitants – les conditions de production de ces matériaux. L’architecte du groupe lillois a répondu favorablement à la demande habitante d’avoir des panneaux solaires, sans s’être questionné sur la pertinence du choix ou sur les alternatives à cette solution, certes financièrement intéressantes sur la rentabilité à moyen et long termes, mais dont l’impact environnemental peut être contradictoire avec l’idée écologique. Si le recours à ces équipements est banalisé dans la pratique (relevant du « bon sens » architectural), le questionnement des professionnels en matière d’impact environnemental de ces matériaux est un processus en cours.

22La confrontation du coût de la performance énergétique aux contraintes budgétaires du bailleur pour la construction reste généralement soumise à la priorité économique. Des négociations sont possibles pour abaisser la qualité des matériaux de construction (et donc le coût), mais il est également envisageable, pour les professionnels – particulièrement le bailleur – d’opposer un veto, faisant fi des souhaits du groupe. Le bailleur, en tant que financeur de l’opération, possède donc un pouvoir important sur la destinée du projet, car c’est à lui qu’appartient l’arbitrage final par son statut de maître d’ouvrage délégué par le groupe. Le nombre d’opérations d’habitat participatif soutenues par un bailleur social ne faisant que croître15 par la sollicitation directe des groupes ou des villes, cet acteur tend à devenir l’une des pierres angulaires du développement de l’habitat participatif du fait de ses compétences, de son implantation sur le territoire et de la garantie dont profite ainsi le groupe d’habitants.

  • 16 Récurrence d’un propos, révélateur de l’imaginaire populaire, émis par des visiteurs lors de rencon (...)

23En effet, l’enjeu actuel des associations de promotion de l’habitat participatif est son ouverture à un public plus large et plus diversifié économiquement et socialement (Devaux, 2014) pour justifier le statut de « 3e voie » pour l’habitat que le ministère du Logement ambitionne dans l’article dédié de la Loi alur. Certains bailleurs sociaux voient ici un levier d’action pour produire du logement social plus valorisant pour les habitants et ainsi rehausser leur image extérieure, à l’instar du bailleur social de l’opération étudiée à Lille qui travaille activement depuis quelques années à une image plus « humaine », pour contrer l’image de superstructure à construire du logement bon marché. Ce raisonnement s’applique particulièrement aux bailleurs sociaux historiques et massifs qui tentent d’introduire les éléments du marketing à leurs politiques locales (Mezrahi, 2001). Des bailleurs sociaux plus récents et à petite échelle, motivés par un projet d’innovation sociale important, ont également investi ce domaine, comme Habitat de l’Ill qui est adossé à cinq opérations lauréates des appels à projets de la Ville de Strasbourg. Ainsi, ces bailleurs, historiques ou nouveaux venus, intègrent l’habitat participatif dans une dynamique évolutive et apprennent progressivement ce que signifie la co-construction avec un groupe d’habitants, les éloignant de la logique traditionnelle de la production de logement. Néanmoins, cette intégration du bailleur dans un projet, comme celui étudié, prônant le lien social et la solidarité au fort accent écologique, doit répondre à un impératif d’accessibilité financière pour les futurs occupants. Ainsi, pour les bailleurs, ces opérations doivent répondre à un double enjeu : une logique de rentabilité de l’opération proprement dite afin de ne pas sortir des logements non-rentables qui ne seraient plus accessibles aux ménages modestes, et éviter un effet vitrine trop important, pouvant laisser penser à un clientélisme à destination d’habitants perçus comme des « bobos »16.

24De fait, pour arbitrer ces différents enjeux, le bailleur social ajuste plusieurs variables. Dans le cas étudié, la principale est celle de la performance énergétique, car celle-ci a un coût important, facilement compressible, et ne remet pas en cause la finalité du projet. Cette logique d’action et de compression des coûts de la performance énergétique illustre une difficulté d’adaptation des professionnels à la question de l’habitat participatif dans un contexte d’exigence de rentabilité. Le cas Suisse nous permet de mettre en lumière l’appropriation de l’habitat participatif et de ses enjeux, pour les professionnels. Là où les professionnels français, et plus particulièrement les architectes, tendent à travailler dans une logique coûteuse d’addition de logements individuels, les architectes suisses optent pour une standardisation des logements individuels permettant de réduire les coûts du bâti afin de mettre l’accent sur les performances énergétiques et les espaces communs.

25En définitive, les habitants se retrouvent donc soumis aux choix du bailleur social dans la prestation énergétique de leur bâtiment. Si le projet s’inscrit initialement dans une dynamique de co-construction, la légitimité d’action revient implicitement au financeur. Afin de préserver un projet dans lequel un bailleur a investi temps et argent, ce dernier peut aisément faire des compromis sur la qualité des équipements utilisés pour le bâtiment, car malgré ce bémol sur la qualité technique, cela s’inscrit toujours dans les maître-mots actuels des bailleurs sociaux : un habitat durable et accessible pour un meilleur vivre-ensemble. De fait, le groupe se retrouve intégré dans un schéma de décision préexistant, une machine déjà calibrée et il doit s’adapter à ce cadre pour négocier avec ses partenaires, en adopter leurs temporalités, leurs exigences et leurs contraintes. Il semble alors pertinent d’interroger les stratégies et les représentations des habitants de la conception durable de leur logement et du respect de l’environnement, qui s’inscrit souvent au-delà de la seule sphère du logement.

De la formation technique des habitants jusqu’au désenchantement

26Financée par le bailleur, mais choisi par les habitants, la mission de l’amo recouvrait plusieurs axes : former les habitants à des méthodes collectives de travail, accompagner le groupe pour l’aiguiller dans ses choix (études exploratoires, projections), animer des arbitrages épineux au sein du groupe, servir d’intermédiaire entre le groupe et le bailleur. Il est intervenu auprès des futurs habitants du projet lillois dès le départ et sa première action fut d’inciter le groupe à « rêver son projet » pour souder le collectif. Néanmoins, suite aux premiers revers concernant les estimations budgétaires négatives de la construction, un habitant nous a fait part de son sentiment « d’avoir une bonne gueule de bois ». Cela a contribué à une relative tension entre le groupe et l’amo. Précisons qu’avant cette première estimation, les habitants ont travaillé un an et demi de façon mensuelle sur le projet, l’ont rêvé et lui ont donné forme. Cette première estimation a donc eu l’effet d’un revers brutal à la base d’une phase active de travail auprès des partenaires pour trouver des solutions permettant de concilier les impératifs financiers, sociaux et de durabilité.

27Le groupe étudié, membre de l’association Eco Habitat Groupé, doit adhérer moralement à ses valeurs, comme celle-ci extraite de la charte datant de 2009 : « La consommation énergétique de l’habitat doit être limitée voire totalement compensée par une production au moins équivalente avec un recours systématique aux énergies renouvelables ». Remarque d’un habitant et acteur associatif régional d’Eco Habitat Groupé : « Il faut être honnête, on peut souhaiter de la mixité sociale, respecter l’environnement, des espaces communs, mais pour tout ça, il faut l’argent qui va avec ! ».

  • 17 Par l’accueil de femmes vieillissante en difficulté économique et sociale, en locatif social.
  • 18 Ce parallèle est une illustration caricaturale et ne reflète pas la variété importante de formes ex (...)

28L’ambition écologique n’est pas, malgré les idées reçues, une valeur partagée par l’ensemble des groupes d’habitat participatif. Nous avons pu dévoiler durant notre travail de recherche l’importance de la temporalité des dynamiques avec des idées autogestionnaires fortes et de renforcement des liens sociaux pour les pionniers de l’habitat groupé autogéré (1970-1990) ; là où l’habitat participatif (depuis le milieu des années 2000) donne la part belle à la mixité, au lien social et à l’écologie (D’Orazio, 2012) – dans le discours, au moins. Ces leitmotive bien différents nous invitent à prendre du recul avec l’idée d’une filiation évidente entre ces expériences car ces motifs suggèrent des structures et des stratégies d’acteurs divergentes. La préoccupation environnementale active est donc assez caractéristique des projets rassemblés sous le nom « habitat participatif ». Cette bannière commune ne signifie pas des ambitions globales partagées et l’on retrouve des projets aux valeurs variées : de l’opération des Babayagas de Montreuil, au projet social très fort17 sans ambition environnementale prévalente, à celle d’Eco-Logis de Strasbourg à la dominante écologique sur fond d’accession à la propriété18.

  • 19 Par l’usage du vélo au quotidien, la restriction des trajets en avion, alimentation raisonnée, par (...)

29En outre, si les profils varient d’un groupe à l’autre, il en est de même des représentations de la notion de « durabilité » dans un même groupe. Pour les habitants que nous avons interrogés, le fossé se creuse entre ceux de plus de quarante-cinq ans qui souhaitent « habiter durable » pour limiter l’impact du coût de l’énergie sur le budget et les moins de 45 ans s’inscrivant dans une idée du « vivre durable » et qui prêtent attention à leur impact sur l’environnement19. Nous pouvons expliquer cette frontière de l’âge par l’époque de la socialisation des individus qui ont aujourd’hui 45 ans ou plus et qui ont été éduqués dans une société marquée par les idées de mai 1968, dont l’acculturation à la question écologique a été plus tardive, le plus souvent sous l’angle des économies d’énergie (et financières). Concernant les jeunes, ils se sont construits en parallèle de l’urgence environnementale et raisonnent par le biais de la protection de l’environnement. Le but est commun à travers la construction d’un habitat respectueux de l’environnement même s’il sert des desseins individuels variés, entre recherche de la performance et quête de sobriété énergétique. De fait, un processus de formation des habitants se met en place afin de mettre en application les valeurs du groupe. Pourtant, l’apprentissage par le biais des professionnels partenaires peut aboutir à un miroir déformant pour les habitants où les décisions doivent être prises, de facto, en fonction de la variable économique.

30En effet, pour le groupe lillois suivi, cet apprentissage des enjeux concrets de l’habitat participatif s’est effectué par trois principaux canaux : par l’Accompagnateur à Maîtrise d’Ouvrage, qui a doté le groupe d’outils méthodologiques de travail, l’a aidé à établir un projet précis en animant des réunions ; avec les représentants du bailleur social, notamment sur les questions financières et architecturales par des rencontres formelles ; enfin, durant les réunions inter-partenaires faisant intervenir les habitants, le bailleur, l’architecte et le maître d’œuvre. Ce dernier axe s’avère crucial, car là où les habitants conçoivent un habitat selon leur idéal avec l’amo, y compris sur la performance énergétique des bâtiments, ce sont durant ces réunions que les acteurs se confrontent à l’inadéquation entre leurs projections et les contraintes budgétaires. A l’exception de l’accompagnement de l’amo, l’apprentissage des habitants se fait « sur le tas », au rythme du montage du projet et peut être poursuivi en interne de deux façons : par des compétences techniques présentes au préalable chez un habitant (par sa profession, par exemple) ou par la tâche d’un groupe de travail de mener des recherches sur un aspect précis pour ensuite partager avec le groupe.

31La formation technique de ces habitants par ces canaux professionnels peut altérer la vision des habitants puisqu’elle est réalisée par des acteurs gouvernés par un réalisme économique. La personnalisation des logements présentant un coût important et le bailleur étant limité dans son budget pour préserver la rentabilité et l’accessibilité du logement, les habitants se retrouvent à choisir dans un panel de propositions préétablies. Ce décalage entre pratiques habitantes, contraintes professionnelles et ambitions de l’initiateur ne se retrouve pas dans le Canton de Genève, car dans le cas de la codha et d’autres Sociétés Coopératives pratiquant la participation, l’aspect architectural global de l’immeuble (ainsi que ses équipements) est souvent acté avant le recrutement des foyers pour qui le choix se limite à des aménagements intérieurs minimes. La participation pour les habitants s’exprime avant tout dans la gestion quotidienne et par les événements organisés par les habitants. Il y a consensus après des échanges autour d’une priorisation des valeurs du groupe et des limites au renoncement : certains accommodements sont donc acceptés individuellement et collectivement.

  • 20 Chronologiquement, avant l’octroi de la subvention régionale.

32Ainsi, cette priorisation des valeurs s’est réalisée, dans le cas lillois, avec l’encouragement de l’amo, par la seule variable financière. Dans une logique de rationalisation budgétaire, ce dernier a laissé un choix simple au groupe : l’abandon d’un logement locatif très social (servant l’objectif social du groupe) ou la suppression d’équipements écologiques (matérialisant la teneur écologique du projet) pour résorber une partie du déficit20. Ce choix s’est posé au groupe et un compromis a été trouvé sur l’abandon d’un logement locatif très social, ce qui a valu le départ de deux ménages insatisfaits des évolutions du groupe sur le volet social. En ce sens, on peut considérer ces habitants comme des utopistes rationnels ayant conscience qu’ils ne dérogent pas aux contraintes financières et qu’ils doivent effectuer des compromis sur les envies individuelles.

33Somme toute, le groupe est intégré dans un schéma préexistant, où il est financièrement dominé, et où les habitants sont en apprentissage en confrontation aux objectifs professionnels. Cela nous permet de constater comment une valeur théorique comme le respect de l’environnement est mise en pratique par le groupe, et fait l’objet d’un travail de négociation individuel et collectif. Même si le groupe se présente comme un ensemble relativement homogène dans la prise des décisions afin de peser dans les négociations, il n’en demeure pas moins une somme d’individualités dotées d’intérêts et de stratégies personnels plus ou moins prompts à la conciliation (Blatrix, 2002).

Conclusion

34Bien que la participation sociale soit au cœur des expériences d’habitat participatif, ces dernières se situent actuellement dans une dynamique complexe d’institutionnalisation qui fait cohabiter étroitement, de façon inédite, plusieurs types d’acteurs : les institutions dont le soutien symbolique et financier est indispensable, les professionnels détenteurs d’une technicité (architectes et maîtres d’œuvres) et de capacités financières (bailleur) et les habitants forts de leur maîtrise d’usage. Ce mouvement remet en question l’imaginaire prescriptif des techniciens de l’aménagement d’après-guerre en faveur d’une recherche de l’innovation sur deux plans : social et environnemental. Cette course à l’innovation est soutenue par un cadre formel de politique publique, à l’échelle nationale et locale pour une réduction des consommations d’énergie dans le logement, créant une certaine attractivité pour les professionnels de la construction.

35Ce schéma complexe fait interagir des stratégies propres aux acteurs et met parfois en opposition les intérêts de chacun d’entre eux, notamment en ce qui concerne les ambitions écologiques du groupe lorsqu’il est confronté aux contraintes économiques du financeur. Cela appelle à nuancer de façon assez large l’impact de la participation sur l’impératif actuel de durabilité. La forme de l’habitat participatif occasionne des évolutions dans la pratique des acteurs institutionnels et de la construction. De plus, ce processus d’institutionnalisation, né de l’attraction réciproque entre les institutionnels (pour l’aspect publicitaire et d’outils aux politiques publiques) et les partisans (pour la diffusion et le soutien), a intégré cette forme d’habitat dans des schémas décisionnaires préexistants, la plaçant à la collusion d’intérêts des groupes d’acteurs. Cela astreint à une adaptation du groupe aux temporalités et aux exigences professionnelles et, plus particulièrement, au primat économique dans les opérations de construction, même si cela signifie amputer certaines valeurs fondatrices du groupe, sociales et/ou écologiques.

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Notes

1 Nous privilégierons un usage sans guillemets de la notion « d’habitat participatif » car malgré son émergence dans la société civile, cette appellation est couramment admise dans la communauté scientifique. De même, c’est cette appellation que nous utiliserons au fil de cet article, car nous nous concentrerons sur des groupes récents se réclamant explicitement de ce mouvement. Nous n’omettons pas l’hétérogénéité des formes d’habitats incluses dans cette appellation et tâcherons de qualifier finement les opérations.

2 Nous avons choisi de maintenir l’anonymat du groupe, car ce dernier est toujours en phase de réalisation du projet avec des arbitrages délicats. Pour la même raison, nous resterons également dans les grandes lignes concernant l’aspect budgétaire.

3 Ce premier appel à projets fut diffusé en 2011 et fut particulièrement poussé par Audrey Linkenheld, conseillère municipale chargée du logement à Lille. Il prévoyait l’octroi de trois terrains pour des projets d’habitat participatif dotés d’un projet social et environnemental. Des réunions publiques se sont déroulées afin d’instaurer un espace de rencontre pour les intéressés laissant place à la création des groupes. Les noyaux des groupes se sont donc créés dans ce cadre institutionnel et les autres habitants se sont greffés par un processus de cooptation informel (formalisé au fil de la pratique du groupe). Au terme de la consultation, à l’été 2012, deux des terrains ont été attribués à des groupes qui avaient commencé à travailler en partenariat avec un bailleur social lors de la constitution du dossier. Le troisième terrain n’a pas été octroyé. Le groupe est l’un des deux lauréats.

4 La municipalité de Lille octroie une subvention de 7 000 ¤ au bailleur pour une construction neuve au titre du psla dont la popularité a baissé ces dernières années auprès des ménages.

5 En considérant la moyenne de revenu net annuel : 25 507 ¤, en 2012, selon l’insee.

6 Malgré une hausse assez nette des initiatives portées par des municipalités ou des bailleurs, ces cinq dernières années, relevées également par ces derniers. En effet, l’habitat participatif peut émerger de différentes façons, de l’initiative citoyenne, municipale ou encore d’un bailleur. La nature de l’initiative va avoir des effets le projet, notamment sur la constitution et la solidité du groupe : cooptation dans le cercle social existant au début du groupe dans un cadre « citoyen », rencontres dans le cadre formalisé et dédié dans le cas d’un appel à projets par des réunions publiques ou encore, mise en relation entre des habitants sélectionnés par un bailleur à l’intérieur de son vivier (comme dans le cas de la codha, par exemple). La façon dont le groupe se crée et son cadre d’émergence semblent avoir un poids assez important sur les conditions de sa pérennité et conditionne, en partie, le champ des possibles avec ses partenaires.

7 Cf. Observatoire du bilan carbone des ménages.

8 En effet, la rt 2020 en projet doit se baser sur la Directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments. Source : <http://www.lemoniteur.fr/article/le-bepos-sera-un-habitat-passif-etienne-vekemans-president-de-la-maison-passive-26460768> (consulté le 28 août 2015).

9 Soit un seuil maximal de consommation de 38 kWh/ m²/ an pour une construction neuve.

10 En parallèle de son ambition de rejoindre les rangs des Green cities en signant la charte d’Aalborg avec pour objectif d’augmenter de 100 % l’utilisation des énergies renouvelables d’ici 2050.

11 Par la réservation du foncier pour un projet d’habitat participatif, par exemple.

12 Selon les travaux de l’Observatoire de la performance énergétique du logement social.

13 Soit l’énergie cachée nécessaire à la production d’un bien industriel (conception, extraction des matières premières, transformation, transport, commercialisation, recyclage).

14 Citons par exemple le débat entre scientifiques et industriels du « green business » concernant les panneaux photovoltaïques dont les doutes sur le coût environnemental en termes de fabrication et de recyclage sont réels mais occultés par les incitations financières de l’Etat pour l’installation de ces équipements. Ces dernières font bénéficier d’une image positive « d’énergie propre » à ces équipements, dans l’imaginaire populaire (Mathis, 2004).

15 <http://www.union-habitat.org/le-mag/bloc-notes/habitat-participatif-de-l%E2%80%99utopie-%C3%A0-la-r%C3%A9alit%C3%A9>.

16 Récurrence d’un propos, révélateur de l’imaginaire populaire, émis par des visiteurs lors de rencontres publiques dans la Métropole Lilloise.

17 Par l’accueil de femmes vieillissante en difficulté économique et sociale, en locatif social.

18 Ce parallèle est une illustration caricaturale et ne reflète pas la variété importante de formes existantes.

19 Par l’usage du vélo au quotidien, la restriction des trajets en avion, alimentation raisonnée, par exemple.

20 Chronologiquement, avant l’octroi de la subvention régionale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jeoffrey Magnier, « L’habitat participatif et l’impératif écologique : une utopie réaliste ? »Sciences de la société, 98 | 2016, 78-93.

Référence électronique

Jeoffrey Magnier, « L’habitat participatif et l’impératif écologique : une utopie réaliste ? »Sciences de la société [En ligne], 98 | 2016, mis en ligne le 09 février 2019, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/4890 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.4890

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Auteur

Jeoffrey Magnier

Doctorant en Sociologie, clerse-umr 8019, Université Lille 1 (bât. sh2 – 59 655 Villeneuve-d’Ascq cedex).
jeoffrey.magnier gmail.fr

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