1Il est des sujets qui sont encore en friche. Soit qu’ils aient peu d’importance dans la vie sociale, soit au contraire que leur importance soit grande mais se manifeste sur le seul plan opérationnel, soit qu’ils se caractérisent par une très grande complexité qui décourage leur saisie. Leur étude présente donc une double difficulté qui tient d’une part aux raisons mêmes qui fondent le peu d’intérêt qu’ils suscitent – c’est-à-dire soit l’absence d’enjeux soit la grande importance de ceux-ci –, et d’autre part à l’absence de cadres théoriques pour les traiter. On pourrait ici reprendre les termes de Kuhn (1983) et avancer qu’ils n’ont pas encore atteint le stade paradigmatique. Autant dire que leur étude présente un intérêt particulier pour une réflexion sur les relations entre action publique et connaissances rationnelles, puisqu’ils présentent en quelque sorte un tableau de cette relation à l’état brut, avant un effort achevé et à peu près accepté de cadrage des pratiques et d’orientation des représentations.
- 1 Entreprises Territoires et Développement (ETD) est une association qui élabore des documents méthod (...)
- 2 On en trouvera une présentation assez complète dans une revue documentaire effectuée en avril 2007 (...)
2Parmi ces sujets, on peut ici mentionner un terme qui recouvre à la fois une notion et un champ d’action : l’ingénierie territoriale. D’innombrables projets ont certes pour objectif de confronter les bonnes pratiques en matière de développement territorial, aussi bien au niveau européen ou mondial que dans de nombreux pays, et de les mettre à disposition de toutes les personnes potentiellement concernées. Des observatoires (ETD, INDL1, etc.) visent non seulement à répertorier les pratiques mais aussi les recherches en cours à ce propos. Des colloques ont régulièrement lieu pour cerner les nouveaux métiers du développement, évaluer les lois ou procédures ou s’interroger sur les logiques de projet des territoires ; des revues (Territoires, La lettre du développement local, etc.) rendent compte de ces colloques et de l’ensemble des développements de ce champ. En France en particulier, du fait de la multiplicité des collectivités territoriales et de leurs chevauchements, s’est développée une littérature d’inspiration plus ou moins foucaldienne sur le rôle des instruments dans l’action publique (Padioleau, 1982 ; Lascoumes, Le Galès, 2004 ; Marchand-Tonel, Simoulin, 2007) ou les « technologies matérielles de gouvernement » (Epstein, 2005), à laquelle s’ajoute une importante littérature « grise »2.
3Pour autant, bien que l’appellation « ingénierie territoriale » soit consacrée, il n’est aisé ni de définir précisément son soubassement théorique, ni de délimiter et de caractériser les outils, pratiques et méthodes qu’elle recouvre, ni de quantifier son apport à la décision publique et la mesure dans laquelle elle influence réellement celle-ci. Nous la définirons comme l’ensemble des techniques qui aident au montage d’un projet territorial, soit sous une forme spécifique (cartographie, diagnostics territoriaux, articles scientifiques, appui au projet, etc.) soit de façon plus générique (mise en forme, lisibilité, etc.), sans préciser a priori quels acteurs sont à l’origine de cet apport : fonctionnaires territoriaux ou nationaux, acteurs consulaires, consultants, etc. Nous chercherons à préciser si cette expertise très différenciée, très inégalement répartie et à faible légitimité théorique et politique s’assimile aujourd’hui à une source d’évolution de l’action publique.
4Notre étude part donc du constat que l’on prend rarement en compte l’ingénierie territoriale disponible ou que l’on s’interroge trop peu sur ses apports dans l’élaboration de candidatures à des programmes régionaux, nationaux ou européens d’attribution de financements. Et ceci, alors même que le développement de procédures d’attribution de subventions par appel à projets est l’un des changements majeurs introduits lors des deux dernières décennies. Dans tous les domaines de l’action publique, on est passé, au moins en théorie, d’une logique de guichet à une logique d’argumentation où prédominent l’aptitude à monter des projets, obtenir des cofinancements et faire cohabiter dans un même construit collectif des acteurs aux intérêts au moins partiellement différents.
5Nous vivons en effet une époque où les territoires sont censés développer une « capacité politique » (Pasquier, 2004), c’est-à-dire une capacité différenciée et inégale à utiliser leurs ressources institutionnelles, politiques et économiques pour atteindre une excellence et des objectifs que, au moins dans une certaine mesure, ils doivent définir eux-mêmes. Tous les territoires n’ont pourtant pas un égal accès aux ressources en ingénierie territoriale, pas plus qu’à aucune autre ressource ; ils n’ont donc pas à leur disposition plus ou moins immédiate et aisée un ensemble de compétences et d’acteurs. Tous n’ont pas non plus une égale capacité à développer et utiliser une ingénierie territoriale adaptée à leurs besoins (par nature évolutifs), c’est-à-dire à se doter de façon différente à chaque étape de leur développement des ressources nécessaires à la poursuite de celui-ci et à son affinement. C’est par conséquent à la fois la façon dont l’ingénierie territoriale modifie l’action publique, son apport cognitif, et les différenciations entre les territoires qu’elle introduit ou conforte que l’on peut interroger.
- 3 De 2005 à 2009, la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, puis à (...)
6C’est à travers un dispositif assez spécifique que nous souhaiterions saisir les apports et la portée de cette ingénierie territoriale, ou plus vraisemblablement des ingénieries territoriales : la politique de labellisation de Pôles d’Excellence Rurale lancée en 2005 par la DIACT (Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des Territoires)3 afin de faire pendant à l’initiative des Pôles de compétitivité antérieurement créée à destination des grandes zones urbaines. L’innovation majeure de cette politique publique était d’en appeler à une philosophie de l’excellence et d’adopter une procédure d’appel à projets. Les candidats étaient appelés à démontrer l’excellence de leur projet et à se positionner dans une démarche axée sur l’innovation et la prospective.
- 4 Selon cette thèse, la politique de la ville est passée dans les années 2000 d’une logique de contra (...)
7La politique des PER rompait ainsi, au moins implicitement, avec une logique (celle notamment des contrats de projet Etat-Région et de la plupart des programmes européens) qui consistait pour les porteurs de projet à s’inscrire dans des rubriques et des modalités de financement préalablement définies et négociées par les financeurs. Par la mise en concurrence des territoires, l’appui sur un zonage (les Zones de Revitalisation Rurale ou ZRR), l’absence de définitions nationales et uniques des projets à proposer et le caractère national de la sélection, ainsi bien sûr que par sa date de lancement, tout à fait comparable à celle (2003) qui est donnée par Epstein, on était bien sûr proche en apparence du « gouvernement à distance » dont celui-ci affirme l’émergence4. Mais cette politique s’en distinguait par l’absence d’un objectif global et d’une stratégie (celle de la démolition des quartiers dans le cas analysé par Epstein) et le fait qu’elle visait plus à l’excellence qu’à compenser des handicaps.
- 5 Ce programme de recherche évaluative a ainsi permis à huit équipes de chercheurs réparties sur tout (...)
8La politique des PER apparaissait donc comme relativement innovante. Or, par rapport à la façon dont les chercheurs peuvent ordinairement analyser ce type de phénomène – soit au mieux par l’étude approfondie de quelques dossiers –, possibilité était qui plus est offerte de creuser les modalités de réponse à un appel à projets sur une échelle beaucoup plus importante puisque l’accès à l’ensemble des centaines de dossiers était ouvert à des chercheurs que la DIACT invitait, là aussi sur la base d’un appel à candidatures, à proposer un projet de recherche sur ces dossiers pour lui permettre d’affiner son action5. L’étude ici présentée repose par conséquent d’une part sur une analyse de contenu de 150 dossiers déposés en 2005 et 2006 auprès de la DIACT par des porteurs de projet qui visaient à faire labelliser leur territoire comme Pôle d’Excellence Rurale (PER), et d’autre part sur 75 entretiens semi-directifs menés en 2009 auprès de porteurs de projet (71) et d’instructeurs et d’évaluateurs de ces dossiers (4).
9La combinaison de ces deux phases avait tout d’abord pour but d’obtenir une vue qui ne se réduisait pas à quelques cas, mais était malgré tout nourrie par une appréhension qualitative. Les dossiers portaient en effet sur des projets très variés, comme par exemple la création de maisons de services à la population, la mise en place de réseaux de chaleur, l’achat ou la mise en valeur de bâtiments dans une perspective touristique, la création de musées, des politiques de filière, etc. L’articulation des deux phases de l’enquête autorisait à rassembler une telle variété en des catégories génériques, tout en en réinterrogeant les irréductibles singularités. Cette combinaison permettait en second lieu d’analyser aussi bien la phase de montage des dossiers et de candidature que, grâce aux entretiens, de saisir également la phase de réalisation, trois ans après la labellisation. Au travers de la construction d’une connaissance sur la mise en œuvre de la politique des pôles d’excellence rurale proprement dite, cet appel à projets permettait donc plus généralement une analyse des modalités d’adaptation d’acteurs locaux à une évolution sensible de l’intervention publique. Il offrait à la fois l’occasion d’une réflexion sur une politique publique saisie dès les premiers temps, au moment où tous les réajustements n’ont peut-être pas été faits, un sujet dont tous ont mesuré l’importance (Kessler, 1998 ; Monnier, 1987 ; Padioleau, Thoenig, 1999), et d’une analyse des procédures de réponse et d’adaptation des acteurs territoriaux lors de la phase de mise en œuvre.
10Selon la grille de lecture que nous avons élaborée, on pouvait distinguer trois dimensions dans la « qualité » d’un dossier : l’excellence objective, l’excellence subjective et l’ingénierie territoriale apparente dans celui-ci. Les critères de l’excellence objective portaient sur les indications qu’il contenait en termes de dynamique, de gouvernance, d’innovation, d’irrigation et de spécification du projet. L’excellence subjective désignait les représentations des porteurs du projet qui apparaissaient au travers du dossier : leur capacité à se projeter dans l’avenir, à se comparer aux politiques menées ailleurs et à remettre en cause leurs compétences déjà acquises. Enfin, l’ingénierie territoriale comprenait les apports en matière de lisibilité du dossier, la capacité à jouer avec le cadre formel imposé par la DIACT, les enrichissements du dossier en termes d’appui au discours (inclusion de délibérations, articles scientifiques, etc.) ou d’appui au projet (réalisation d’études spécifiques, etc.).
11Qualifier et quantifier le recours à l’ingénierie territoriale lors du montage des dossiers PER conduit tout d’abord à souligner que ce recours a été plus rare que prévu et assez pauvre, mais ensuite à insister sur la forte différence entre les dossiers et sur le fait que ce recours s’est souvent révélé déterminant, même s’il faut également tenir compte des phénomènes de lobbying pour réellement en apprécier l’apport.
12Les résultats de notre étude comme les témoignages des acteurs (les « correspondants préfectoraux ») qui ont instruit les quelques sept cents dossiers déposés et aidé les porteurs à les monter, montrent que, sur cent cinquante dossiers, l’ingénierie territoriale déployée par les porteurs de projet à l’occasion de l’élaboration des projets d’excellence n’a pas été très importante en termes de quantité et de qualité. On a par exemple constaté que la présence dans les dossiers de documents à caractère expert ou scientifique, de diagnostics territoriaux ou organisationnels ou de recommandations ou préconisations issues de cabinets de conseil était moins forte que celle à laquelle on aurait pu s’attendre. De même, il est apparu aussi bien dans les déclarations des porteurs de projet que dans celles des « correspondants préfectoraux » lors des entretiens que nous avons menés lors de la seconde phase de l’enquête, que les dossiers PER étaient spontanément présentés comme des dossiers comme les autres : ni la philosophie de l’excellence ni la méthode de l’appel à projets n’y étaient présentées comme des innovations d’importance, des aspects qui singulariseraient ces dossiers par rapport aux autres dossiers de subvention. Le tableau 1 ci-dessous récapitule les témoignages les plus significatifs confortant ce constat général.
Tableau 1 – Déclarations sur la nouveauté des projets PER
Porteurs de projet
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Correspondants préfectoraux
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« Pris individuellement, c’est pas des projets extraordinaires, mais c’était intéressant d’aider le territoire à se structurer autour de cette thématique. On existe depuis 2005, cela a créé une vraie filière professionnelle autour de cette thématique. » (Porteur de projet)
« Je pense que pour nous le PER était surtout un moyen pour avoir des lignes de financement supplémentaires sur nos actions. On n’aurait pas eu les moyens de mettre autant d’argent et je ne sais pas si les collectivités auraient mis cet argent. » (Porteur de projet)
« En fait, nous, on est arrivés avec des projets qui étaient en stock. On avait des idées, ce n’était pas totalement clair, le PER a permis de les formaliser. Cela a été un peu difficile de remettre le projet dans les temps, mais on y est arrivé. » (Porteur de projet)
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« À l’intérieur de la préfecture, on a adopté une organisation courante. Pour moi, c’est une attribution comme une autre. (…) Faire cette sorte d’accompagnement des projets, c’est quelque chose qu’ici on fait couramment. Il n’y a pas une énorme différence entre ce qu’on fait sur un PER et sur un autre projet quel qu’il soit. (…) Avec les PER, c’est quand même des projets plus collectifs. Là quand même, il y a un certain nombre de gens qui s’associent autour d’un même projet. On a un but et il y a plusieurs actions qui vont contribuer à ce but. (…) Il y a un certain nombre de choses qui donnent une dynamique et une image assez moderne finalement. »
« Les porteurs de projet PER sont enthousiastes, mais ils ne sont pas différents des autres. (…) Cela renforce quand même l’image du territoire concerné. Car c’est la reconnaissance d’un savoir-faire. C’est un peu particulier le PER. Tous les projets sont importants, mais le PER donne un nouvel élan, je l’ai ressenti comme ça. »
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13C’est seulement à la réflexion, et le plus souvent quand l’enquêteur les y pousse, que les personnes interrogées mettent en avant des spécificités des PER et notent que ce sont des projets plus collectifs ou plus valorisants pour les territoires. Autant dire qu’une explication vraisemblable est que l’apport en ingénierie territoriale lors du montage de ces dossiers a été plus faible qu’espéré par les acteurs à l’origine de cette procédure novatrice.
- 6 Le fait que la somme des pourcentages soit supérieure à 100 % s’explique par le fait qu’un dossier (...)
14D’autres indices convergent avec cette hypothèse comme le fait que la très grande majorité des dossiers n’aient été montés que par des équipes réduites, souvent par un seul chargé de mission, très rarement par des équipes représentant de façon équilibrée l’ensemble des parties prenantes. Si l’on se limite aux 71 dossiers sur lesquels nous avons conduit un entretien, on constate que le dossier a été monté entièrement avec les seules ressources internes dans trente-sept cas (soit 52 %). Six dossiers (8,4 %) ont été montés grâce au concours d’un prestataire et dix autres ont été montés en interne mais avec l’apport d’une étude (14,1 %). Neuf dossiers (12,7 %) ont bénéficié de l’appui des services de l’Etat lors de la phase de montage et dix (14,1 %) ont tiré parti de l’aide de consulaires ou de membres du Conseil général ou du Conseil régional6. Au passage, on peut souligner que les sources d’ingénierie territoriale ne se cumulent pas, un seul dossier ayant bénéficié de deux apports. Et que les acteurs commerciaux apparaissent comme très minoritaires, puisque moins d’un quart des dossiers a été monté par eux ou grâce à une étude effectuée par eux. Un autre quart a bénéficié de l’aide des acteurs préfectoraux, consulaires ou relevant de la fonction publique territoriale. Mais la majorité des dossiers a été montée de façon relativement isolée et on comprend à la lecture de ces chiffres que les hybridations entre acteurs relevant de logiques différentes aient dû être minoritaires et que les dossiers aient paru souvent peu innovants à leurs lecteurs et évaluateurs.
15Incontestablement, le contexte de l’appel à projets n’était pas favorable à un recours important et efficace à l’ingénierie territoriale : les territoires visés étaient des zones rurales peu pourvues en ingénierie et le délai pour la mobiliser était de surcroît fortement contraint (trois mois entre la publication de l’appel à projets et la date de remise des candidatures). Sans que cela soit dit officiellement, ce délai drastique s’explique d’une part par le souhait de limiter le nombre de candidatures et d’autre part par la volonté d’accélérer des projets déjà prêts (ou presque), dans une perspective d’accroissement rapide, plutôt que d’en faire émerger de toutes pièces. Pour autant, l’analyse de l’apport de l’ingénierie territoriale ne saurait se résumer au constat de sa pauvreté moyenne.
- 7 On trouve bien sûr aussi des dossiers médiocres qui ont été réalisés par des prestataires. Mais ils (...)
- 8 Ce paragraphe renvoie à une autre publication (Barral, Simoulin, Thumerel, 2010) issue de cette mêm (...)
16Il convient tout d’abord d’insister sur la forte différenciation entre des candidats qui ont totalement pris en charge le montage et ceux qui ont lancé une étude à leurs frais, voire investi dans une mission complète à un consultant. Ainsi, parmi les soixante et onze dossiers, ceux qui ont recouru à une étude ou été élaborés par un prestataire7 sont très majoritairement ceux qui ont été considérés comme les meilleurs dossiers par les évaluateurs et ceux qui ont été labellisés. Si l’on se limite aux dossiers que l’on peut considérer comme les « meilleurs »8, seuls 25 % ont été élaborés en interne. C’est aussi dans cette catégorie que la répartition entre les diverses sources en ingénierie territoriale (consultants, consulaires, etc.) est la plus équilibrée. Au contraire, les dossiers considérés comme les plus fragiles ont été réalisés pour les trois quarts d’entre eux en interne, et aucun n’a été entièrement élaboré par un prestataire. Les entretiens menés auprès des porteurs de projet confirment également le caractère décisif de l’apport en ingénierie territoriale : si l’on s’en tient à trois dossiers (cf. tableau 2), l’un « excellent », le second « moyen » et le troisième de faible qualité, il apparaît que l’apport en ingénierie territoriale est bien corrélé à la qualité du dossier. L’entretien sur le montage du dossier « excellent » montre un dossier où tout a été « co-construit » avec un gros travail en amont, un effort de lisibilité et une réelle tentative pour s’inscrire dans le cadre de l’appel à projets. Au contraire, l’entretien réalisé sur un dossier faiblement noté (et non labellisé) montre un dossier qui témoigne d’une situation de détresse, avec peu de moyens en interne, un refus de recourir à de l’ingénierie externe, des élus qui tendent à faire le travail des agents de développement et des problèmes de méthode – trois ans après la candidature, ce dossier n’a toujours donné lieu à aucune réalisation et a été repris en main par les services préfectoraux.
Tableau 2 ─ Trois dossiers types
Le montage d’un dossier qui vise à l’excellence véritable
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Le montage d’un dossier « moyen »
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Le montage du dossier d’un territoire en « détresse »
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« On était parti pour créer des liens avec les filières des pôles de compétitivité, et aussi avec un autre PER. (…) Au début, cela faisait rigoler tout le monde de faire un tel projet ici. Nous, on y croyait, on n’était pas pris au sérieux. Au bout du compte, en harcelant, en allant voir les gens, en étant très actifs, en leur expliquant, tout le monde prenait le dossier au sérieux. (…) On sentait que notre territoire était un peu à la traîne et qu’il n’y avait rien qui se déclenchait. »
« On a fait beaucoup de réunions de travail, tout a été partagé, co-construit. On avait fait avant une étude de faisabilité, d’opportunité. On avait toutes les billes pour répondre. On avait sollicité un prestataire qui nous avait permis de dimensionner et d’avoir une idée déjà des contours qu’on pouvait avoir sur ce projet-là. On avait les dimensionnements, les grandes masses de financement. Je ne sais pas si on y serait arrivés sans cela. »
« On s’est aperçu qu’on était un peu au bout de nos idées. On a fait des groupes de travail, j’avais invité tous les acteurs potentiels du projet. J’ai fait intervenir un consultant deux jours pour des séances de créativité, il y a eu une cinquantaine d’habitants. »
« On m’a beaucoup fait travailler sur la forme et la lisibilité. (…) Chaque fois qu’on avait des partenaires, il était important de mettre en évidence que beaucoup de choses étaient engagées. »
« Pour la prise en compte des critères de développement durable, je me suis fait un petit tableau qui rendait lisibles toutes les actions que je faisais. »
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« C’est un territoire assez pauvre en termes de ressources financières et aussi d’ingénierie. On fait avec des petites équipes. Mais le pays avait réalisé une étude sur les services à la population qui montrait une carence, donc on était sur des choses connues. »
« Avec les projets qu’on avait en couveuse sur le territoire, l’appel à projets est tombé au bon moment et le PER a permis de les mettre en œuvre. On était en recherche de financement mais la phase de conception était faite. »
« On a essayé de répondre à l’appel à projets. On a trouvé que ce n’était pas du tout convivial, on a eu le sentiment d’avoir été scolaires. On a un dossier pas chatoyant. D’habitude, on a des cartes ; là, il y avait un nombre de pages imposé, des rubriques. On a eu une frustration, c’était très encadré. On n’a pas eu le sentiment d’y mettre une touche personnelle. Je ne trouve pas qu’il est extraordinaire, il est très administratif et pas communicatif. »
« La préfecture n’a pas apporté d’appui spécifique au montage de dossier, mais ils ont participé à chaque fois qu’on les a sollicités. Ils ont répondu présent, ils nous ont appuyés pour qu’on puisse bénéficier des crédits. Tout ce qui a été technique, ils ont été présents. (…) Le préfet a été formidable, il nous a permis de booster la candidature car il connaissait bien les circuits de la DIACT. »
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« Le projet n’est pas encore monté. C’était une candidature à un financement parmi d’autres. Il n’y avait rien de clair, aucune étude de faisabilité n’avait été faite. C’était un dossier un peu vide. (…) J’ai fouillé pour votre entretien, il y avait trois feuilles au milieu d’une armoire de fichiers, la secrétaire ne s’en souvenait pas. (…) Je ne sais pas si les élus y croyaient, c’était plutôt un moyen désespéré. »
« C’est une communauté de communes qui a très peu de moyens. Le projet était basique, n’aurait pas marqué l’image du territoire. On n’a pas fait du tout appel à des conseils, il n’y a rien eu de particulier. (…) Les partenaires annoncés dans le dossier n’avaient jamais entendu parler de notre dossier, jamais. (…) En interne, il n’y avait pas de moyens et ils voulaient tout faire en interne. Le président faisait pas mal un boulot d’agent de développement car cela coûtait moins cher. On croyait que c’était un brouillon quand on voyait le dossier. »
« Les élus ont mis quatre ans à comprendre qu’il fallait structurer les choses. Ils n’ont pas contacté les organismes consulaires ou autres qui auraient pu les aider. (…) Ils appelaient tout le temps le préfet, mais ne se rendaient pas compte du point de départ, qu’ils avaient un problème et que ce n’était pas au préfet de le résoudre. Au final, c’est lui qui l’a résolu, mais c’est parce qu’il a été bien gentil. »
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17Il est bien sûr plus difficile de caractériser le dossier « moyen », mais l’entretien dévoile une équipe qui cherche à construire une nouvelle ressource territoriale, ne se sent paradoxalement pas très innovante et a éprouvé des difficultés à sortir du cadre formel imposé par l’appel à projets. De façon plus inattendue, on découvre toutefois une équipe bien épaulée par les services de l’État et qui bénéficie d’une habitude ancienne du travail en commun et de la gouvernance.
- 9 Ce pourcentage très élevé pour les dossiers fragiles s’explique sans doute en partie par le fait qu (...)
18S’agissant d’action publique, il n’est enfin pas surprenant qu’il faille faire intervenir la variable politique pour pondérer l’impact de l’ingénierie territoriale lors de la phase de montage. Nombre de porteurs de projets ont cherché à faire jouer leurs appuis politiques ou leurs réseaux professionnels et il faudrait être bien naïf pour croire que le résultat de la procédure de labellisation a seulement résulté des différences de qualité des dossiers : « J’ai fait le travail nécessaire pour soutenir le dossier dans mon réseau […] j’ai touché certaines personnes dont je pressentais qu’elles auraient pu être dans le comité de sélection. Je savais qu’il y avait une présélection au niveau du département et de la préfecture de région. J’ai fait en sorte de bien expliquer, de donner de la lisibilité. » (porteur de projet). « On a parlé quand même à quelques personnes avec lesquelles on a de bonnes relations, les deux sénateurs et le député […]. Ils ont bien fait leur boulot auprès du ministre (…) il y avait déjà beaucoup d’élus qui étaient au courant, les conseillers généraux, les conseillers régionaux, ils étaient déjà informés et cela a peut-être été plus facile. » ( autre porteur de projet). Selon les entretiens, on peut évaluer à environ 30 % le nombre de dossiers qui ont bénéficié d’un fort appui politique. Ce pourcentage moyen varie bien sûr selon la qualité des dossiers, et il est surtout élevé pour les meilleurs dossiers (36 %) et les plus fragiles (57 %)9, tandis que les « moyens » sont au contraire moins appuyés politiquement (23 %). Autrement dit, le fort soutien politique explique sans doute que des dossiers peu convaincants aient été labellisés, tout comme il a sans doute contribué à ce que les dossiers les plus portés par les élus soient aussi ceux sur lesquels aient le plus investi les chargés de mission, voire les consulaires et les services de l’État.
19La phase de montage est certes essentielle pour comprendre comment et combien l’ingénierie territoriale peut influencer l’action publique, et en l’espèce un processus de sélection, mais elle n’épuise bien évidemment pas l’étude de la relation. Il nous faut désormais regarder la phase de réalisation pour déterminer si l’ingénierie a effectivement transformé les dossiers, les a améliorés, ou si elle a simplement contribué à convaincre les évaluateurs mais réserve aussi des mauvaises surprises.
20L’étude de cette seconde phase nous permet de voir que bien d’autres variables que la seule qualité des dossiers pèsent sur leur réalisation et que, de façon surprenante, ce sont souvent les « meilleurs » dossiers, les plus riches en ingénierie territoriale et connaissances rationnelles, qui connaissent les plus grandes difficultés de réalisation. On est en second lieu frappé par l’importance des retombées offertes par la labellisation, alors même que le label conféré est peu explicité.
21Prendre en mesure la relation entre action publique et connaissances rationnelles suppose, on l’a vu, de prendre en compte au premier chef l’importance des phénomènes de soutien et d’appui des élus, tout comme des réseaux professionnels. Mais on aurait tort de considérer que ceux-ci jouent uniquement dans le sens de la labellisation et de la réalisation des projets : alors que les porteurs de projets labellisés sont en pleine finalisation de leurs conventions, l’approche des élections municipales se traduit, dans un premier temps et dans la plupart des cas, par le gel de la situation puis, dans certains cas, par la remise en cause de la coalition qui avait porté le projet.
22De façon surprenante, ce sont assez nettement les meilleurs projets qui sont le plus remis en cause par ces élections et, plus généralement qui connaissent des difficultés de réalisation. Si la plupart des meilleurs projets (au sein de notre échantillon de cent cinquante dossiers) déclarent une très forte satisfaction quant aux résultats obtenus, environ 20 % sont proches de l’abandon, un taux très élevé puisque le taux officiel d’abandon de l’ensemble des PER labellisés était de seulement 5,8 % au moment de notre enquête. Bien évidemment, comme toute procédure de sélection, l’évaluation de dossiers de candidature est exposée aux déconvenues liées à la plus ou moins grande capacité des candidats à montrer leur meilleur profil et à cacher leurs faiblesses, et il est possible que les meilleurs dossiers ne correspondent pas toujours aux meilleurs projets. Mais, sans méconnaître ce fait, on peut ajouter une double interprétation qui s’appuie dans les deux cas sur l’ambition des projets de ce type. Parce qu’ils sont plus ambitieux, ils sont sans doute plus exposés au risque que des projets plus classiques de développement d’une filière ou de services d’accueil aux populations. « Entre le dossier qui a été déposé et l’état actuel du projet, il y a une distorsion. Le projet était pharaonique, il y avait absolument tout dedans. On a travaillé avec un cabinet pour le repositionner. On a supprimé des choses, mais le site sera hautement environnemental, on ira bien plus loin que ce qui était prévu sur ce point. » (Porteur de projet). Par ailleurs, précisément parce qu’ils visent l’excellence, les porteurs de projet se déclarent sans doute plus facilement et plus souvent en difficulté que d’autres qui connaissent également des obstacles, mais se satisfont davantage des résultats partiels obtenus. C’est ainsi que l’on peut interpréter l’aveu de difficultés par des projets qui ne sont pas officiellement en situation d’abandon et ont des taux d’engagement de crédits de 90 % ou 100 %.
23Enfin, il est notable que les « meilleurs » projets, beaucoup plus que les autres, même s’ils ne multiplient pas les sources et les apports en ingénierie territoriale, ont recours à un apport externe. On peut faire l’hypothèse qu’ils ajoutent ainsi aux difficultés de coordination entre les acteurs du territoire celles liées aux acteurs externes et entrent dans une forme de spirale où l’accumulation de connaissances implique d’y faire toujours davantage recours, un engrenage particulièrement risqué dans un territoire rural faiblement doté et qui a parfois joué une bonne partie de son devenir sur un grand projet. De façon assez proche de l’analyse schumpétérienne des grappes d’innovation (1999), on aurait en fait ici un mécanisme de grappes de connaissances qui pousserait à des investissements croissants dans l’ingénierie territoriale dont les rendements seraient peut-être également croissants mais le coût se révélerait parfois difficilement soutenable.
24Dans des cas sans doute extrêmes, l’ambition des « meilleurs » projets peut être telle qu’ils apparaissent presque comme une violence faite au territoire et comme un enjeu des élections municipales. L’excellence peut ici quelquefois s’assimiler à un facteur de risque, par l’ampleur des changements qu’elle suppose pour un territoire qui est perçu comme à réorienter entièrement, ce qui suppose aussi un effort de formation et d’adaptation conséquent des habitants : « C’est une communauté de communes plutôt rurale, plutôt enclavée et plutôt en difficulté au regard démographique. L’idée, c’était de tirer le territoire vers le haut, de profiter de ce dossier pour bien mettre en place une stratégie d’amélioration du centre bourg. Par exemple, à l’entrée du bourg, il y avait un bâtiment absolument affreux, qu’il fallait faire tomber. C’était aussi faire prendre conscience aux acteurs du territoire de la nécessité, si on voulait accueillir des touristes, que le reste de l’environnement et du village suive. (…) Le projet était plus large que le dossier. Il s’agissait de s’occuper des points noirs paysagers, de la qualité paysagère globale du village, et de former à l’accueil les agents socio-économiques du village (…). Cela débordait largement le fait de faire le PER. (…) Cela a changé avec l’élection municipale. Officiellement, on a dit que c’était un projet trop ambitieux financièrement. » (porteur de projet). Ce cas n’est bien sûr pas emblématique de l’ensemble des « meilleurs » dossiers, mais, comme beaucoup de cas extrêmes, il illustre en revanche particulièrement bien les problèmes potentiels des dossiers « excellents » qui exigent beaucoup de leur territoire d’appartenance et de réalisation. Un cas classique en action publique où le porteur de projet est en avance ou en décalage sur son territoire, où sa vision nourrie par une comparaison avec l’extérieur et par une réelle compétence est peu assimilable par le terreau auquel il la propose … ou l’impose.
25Il est incontestable que le succès de la candidature a eu un « effet label » pour les projets retenus : « On a eu un effet de boost pour un regard extérieur. C’est-à-dire qu’on a crédibilisé le territoire par rapport à de grandes institutions comme la région. On a pu afficher le territoire du pays comme un territoire sur lequel il y avait un PER. » (porteur de projet). Nombreux sont les porteurs de ces projets à nous confier avoir vu le regard des autres changer sur leur territoire. Ils ont souvent le sentiment que celui-ci a changé de statut, qu’il a été davantage identifié, eu une image de dynamisme et que leur parole a eu plus de poids lors des réunions : « Il y a un effet d’entraînement, on a été intégré dans un projet national. Cela nous procure un effet boule de neige au niveau national, on est intégrés dans des programmes de R/D avec des grandes entreprises. » (porteur de projet). Ils sont nombreux également à souligner qu’on leur a demandé souvent leur dossier, que celui-ci a servi de modèle à des tentatives similaires, ou qu’ils ont reçu des coups de téléphone pour demander des conseils. « On a été l’un des territoires actifs dans la construction d’une association nationale dans notre domaine. On a déposé un projet INTERREG 4C de deux millions d’euros en lien avec l’Espagne, l’Italie, la Roumanie et la Pologne. Je suis en réseau d’abord avec la chambre des métiers, avec tous les artisans. On a des coups de téléphone pour savoir si le projet est prêt. Le fait d’avoir le PER a complètement crédibilisé notre démarche. » (porteur de projet)
26Cependant et au contraire d’autres programmes, les PER se signalent par la très grande diversité des porteurs de projet et des projets qui ont obtenu la labellisation. Les porteurs peuvent être des conseils généraux, des pays, des communautés de communes, des GAL, etc. Il est au surplus assez fréquent que le porteur de projet réel soit différent de celui qui est affiché, pour des raisons juridiques ou qui tiennent à l’évolution de la gouvernance. En ce qui concerne les projets, ils peuvent aussi bien correspondre à des services à la population (maison de santé, télémédecine, etc.) qu’à la mise en place d’une centrale de chaleur, à la mise en réseau de maisons de la petite enfance, etc. Autrement dit, un même label est attribué à des projets d’une rare diversité, ce qui peut amener à s’interroger sur la signification de ce label. Cette interrogation est générale, aussi bien chez les porteurs de projet que chez ceux qui ont conçu la politique des PER. Tous reconnaissent, et la plupart du temps déplorent, le caractère peu « excellent » de certains projets, y compris parmi ceux qui ont été retenus, et la faiblesse de la concurrence qui a régné entre les candidats. D’abord parce qu’il n’y a pas toujours eu pléthore de candidatures, et ensuite parce qu’il y a souvent eu des négociations quant aux projets en lice et une régulation de la mise en concurrence de ces projets : « Il y a eu une candidature de plus que ce qui a été retenu à la fin. (…) Après il n’y a pas eu foison d’idées qui aurait fait qu’on aurait eu besoin d’éradiquer la moitié des projets. D’autant plus que cela s’est fait dans un temps relativement contraint. Même si on dit qu’il fallait que les propositions soient matures, en fait ce n’était pas toujours le cas. » (correspondant préfectoral). De sorte que la rareté des candidatures dans un département ou la mobilisation de très forts soutiens politiques peut ainsi expliquer la labellisation d’un dossier moyen. Mais c’est moins le fait que la sélection soit par nature imparfaite, phénomène bien connu et généralement perçu comme inévitable, que l’opacité du label décerné qui conduit ses promoteurs à s’interroger in fine sur la nature et les conséquences de leur action.
27Comme toujours, l’intentionnalité de l’action ne garantit aucun résultat et oblige même à s’interroger finalement sur ce qu’on a voulu faire. Avoir mis en demeure les territoires de proposer leur propre définition d’une excellence que l’on ne caractérisait pas a priori, pour leur permettre d’obtenir un label, amène finalement à rendre la signification réelle de celui-ci problématique alors qu’il faisait pourtant tout le prix de l’action conduite et de l’ingénierie investie par les territoires candidats. Autant dire que l’on est sans doute moins ici face à un gouvernement à distance que face à une politique qui parie fortement sur le symbolique, qui cherche moins la centralisation qu’un recours à une déconcentration dont elle n’a plus tout à fait les moyens.
28On est bien sûr loin ici de l’hypothèse selon laquelle la connaissance rationnelle pourrait devenir la source principale du changement social ; on est plutôt face à une mise en lumière assez claire des limites à une place déterminante des connaissances dans le processus de décision propre à l’action publique. Certes, l’ingénierie déployée lors du montage et de la réalisation des dossiers s’est parfois retrouvée décisive, peut-être même d’autant plus décisive qu’elle était plus rare. On ne saurait donc la considérer comme sans effet. Pour autant, elle s’est révélée moins présente que ce à quoi on pouvait s’attendre et les dossiers de candidature s’en sont retrouvés d’autant moins riches en connaissances et contenu. Qui plus est, la comparaison de la phase de montage du dossier et de celle de réalisation du projet montre que la qualité de la première ne garantit pas celle de la seconde, tout au contraire même puisque ce sont souvent les dossiers les plus ambitieux et ceux dans lesquels leurs porteurs avaient le plus investi qui ont connu les plus grandes difficultés de réalisation.
29On retrouve ici un phénomène souvent mis en lumière par les approches cognitives : l’absence d’influence univoque des idées et le caractère souvent imprévisible de leurs effets et conséquences. L’une comme l’autre dépendent d’une part de leur contexte d’application et d’autre part du moment de leur réception et de leur appropriation. Peter Hall (1989) et Kathryn Sikkink (1991) ont ainsi montré qu’un même discours, le keynésianisme pour le premier et le développementalisme pour la seconde, pouvaient mener à des résultats très différents selon les pays qui accueillaient un même discours et le moment où il les touchait. On ne saurait ici oublier dans cette perspective que la politique des PER a été mise en œuvre lors d’une crise économique dont l’ampleur était imprévue lors de son lancement.
30C’est là aussi un élément pour comprendre que ce sont les dossiers les plus « riches », les plus novateurs, les plus ambitieux, qui ont souvent éprouvé les difficultés les plus prononcées. Ces difficultés s’expliquent en partie par l’ambition même de ces tentatives, et par le fait qu’elles ont mis en œuvre une ingénierie qui impliquait presque par nature un entretien permanent et parfois un investissement cumulatif, ce dont certains territoires ruraux n’avaient peut-être pas les moyens lors du montage de leur dossier ou ne les avaient plus lors de sa mise en œuvre du fait de la fragilisation induite par la crise économique. Ni l’accumulation ni la sélection de connaissances rationnelles ne sont ici de nature à permettre le dépassement des apories propres à l’action publique et notamment de l’impuissance de la volonté politique face à l’aléa.