- 1 On s’intéresse ici essentiellement à l’action publique environnementale qui vise à gérer et protége (...)
1L’environnement1 est souvent cité comme l’exemple d’un secteur d’action publique marqué par une forte demande d’expertise dans un contexte d’incertitude prononcée des savoirs (Theys et Kalaora, 1992 ; Callon, Lascoumes et Barthe, 2001 ; Godard et Hommel, 2007) : à l’instar du domaine de la santé publique, il se distingue de secteurs plus « routinisés » dans leurs modalités d’expertise et de gestion, comme par exemple celui de la sécurité routière (Gilbert, 1999). Il diffère en revanche du secteur sanitaire par la multiplicité des dispositifs d’organisation de l’expertise que l’on y rencontre. Alors que dans l’action publique sanitaire, le recours aux savoirs a été nettement organisé et uniformisé sur le modèle des agences à la suite de crises et scandales récents (Granjou et Barbier, 2010 ; Keck, 2009 ; Benamouzig et Besançon, 2005), le recours aux connaissances pour l’action publique environnementale semble en effet se caractériser par la coexistence de différents dispositifs parfois anciens et parfois beaucoup plus récents, dans une sorte de foisonnement expérimental. Cette contribution vise à souligner ce foisonnement expérimental et à en proposer des pistes de lecture, en dépit de la multiplicité et du caractère fréquemment bricolé des dispositifs considérés.
- 2 Il faut aussi mentionner les nombreux et importants travaux réalisés dans le cadre du programme de (...)
2Nombre de travaux soulignent, à juste titre, combien le secteur de l’action publique environnementale a été concerné au premier chef par la montée de l’impératif délibératif (Alphandery et Fortier, 2001 ; Blondiaux et Sintomer, 2002 ; Salles, 20062) et par le passage de politiques publiques « substantielles » à des politiques publiques procédurales (Lascoumes et Le Bourhis, 1998). Le tableau qui tend alors à se dessiner est celui d’un « tournant participatif », où les dispositifs participatifs ou délibératifs, dans leur grande diversité, tendraient à se substituer au recours aux experts (régime dépassé de fait ou à dépasser, selon un discours tendant parfois vers le normatif : Callon, Lascoumes et Barthe, 2001). Nous souhaitons pour notre part souligner une vision plus mélangée du foisonnement expérimental en matière de recours aux savoirs dans l’action publique environnementale, en rappelant d’une part que le recours aux spécialistes scientifiques en tant qu’experts continue de constituer une direction importante de création institutionnelle, et en suggérant d’autre part le poids pris par la montée du recours aux indicateurs : à l’exception notable des travaux sur les indicateurs de qualité de l’eau (Bouleau, 2006, 2007), il s’agit là d’une tendance beaucoup moins documentée dans la littérature alors même qu’il s’agit d’un aspect important de l’expérimentation collective dans ce domaine. La participation nous semble alors relever de ce foisonnement expérimental dans la mesure où elle constitue une inflexion (probablement plus qu’un tournant), qui semble concerner tant la construction des indicateurs que la composition de collectifs experts.
- 3 Voir notamment : Cosson, 2009 ; Granjou et Mauz, 2008 ; Mauz, Granjou et Chevallier, 2008 ; ces rec (...)
3Notre réflexion s’appuie sur un ensemble d’enquêtes menées depuis 2005 qui nous ont permis d’appréhender différents dispositifs de production de savoirs pour l’action publique environnementale3. Elle est aussi alimentée par notre propre participation au conseil scientifique de plusieurs espaces protégés (parcs nationaux et réserves naturelles) et au Conseil national de protection de la nature (cnpn). Nous avons ainsi été en mesure de recueillir, parfois de l’intérieur, des renseignements sur les modalités de fonctionnement des différents dispositifs de production de l’expertise naturaliste ainsi que sur les difficultés qu’ils rencontrent et les critiques qui leur sont adressées. Nous avons complété ce matériau par une analyse de documents produits par certains dispositifs ou relatifs à ces dispositifs.
4Nous partirons de la définition de Trepos (1996) pour qui le recours à l’expertise (au sens large de recours aux savoirs dans un processus d’action publique) constitue un investissement, souvent coûteux, visant un gain d’indiscutabilité de l’action. Classiquement, ce gain d’indiscutabilité repose sur l’autorité de certaines personnes, désignées en fonction de leur connaissance ou de leur expérience de la question à traiter : des experts. La première partie de ce texte soutiendra qu’il ne s’agit pas d’une figure dépassée mais au contraire toujours très présente dans l’action publique environnementale, à travers la constitution de comités pérennes ou la consultation ponctuelle d’individus. Nous suggérons ensuite qu’une montée du recours aux indicateurs peut être observée autour des questions de biodiversité. Cette évolution rappelle ce qui a été décrit dans le domaine sanitaire avec le passage de la médecine clinique à la médecine fondée sur la preuve (Mol, 2002 ; Dodier, 2003), marqué par l’imposition de standards de preuve et de processus codifiés et appareillés d’objectivation pour tenter d’arrimer plus solidement la connaissance à l’action et de limiter les possibilités de mise en doute ou de contestation. Le gain en indiscutabilité est alors recherché dans le recours à des dispositifs matériels standardisés plutôt que dans une autorité intuitu personae.
- 4 Dans ce cas, le gain d’indiscutabilité de l’action renvoie à la fois à un registre d’efficacité – l (...)
- 5 Au sens que donne Pestre (1995, 2003), qui désigne par là les formes contingentes et historiques d’ (...)
5Avec la participation, il s’agit, paradoxalement, d’obtenir un gain d’indiscutabilité en « rendant discutable » (Barthe, 2002) au moins un temps, et en assurant l’ouverture du processus à différentes catégories d’acteurs au-delà des « experts officiels » (van der Hove, 20014). Nous soulignerons pour finir que le recours aux indicateurs et la recherche de participation ne constituent pas nécessairement des voies d’expérimentation divergentes ou exclusives mais qu’elles peuvent s’hybrider, quand il s’agit par exemple de co-construire des indicateurs dans une double visée de connaissance et d’action. En conclusion, nous suggérerons qu’il pourrait s’agir là de trois « régimes politiques de connaissances »5, qu’il convient de penser moins dans un rapport de compétition ou de substitution de l’un à l’autre que dans leurs relations de juxtaposition, de complémentarité et d’hybridation : d’où la notion de « foisonnement expérimental » que nous mettons en avant.
6Dans cette partie, nous montrons qu’une première catégorie de dispositifs de production de connaissances pour l’action publique entend fonder sa légitimité et son autorité sur le recours à des spécialistes nommés comme experts. À partir de quelques exemples, nous soulignons à la fois l’ancienneté de cette forme de recours aux savoirs dans l’action publique environnementale et son actualité, qu’il s’agisse du recours à des individus ou à des collectifs.
7La position d’experts se fonde sur l’idée que certains individus, forts de leurs connaissances et/ou de leurs expériences et nommés dans un cadre officiel, sont à même d’apporter un éclairage en vue de la prise de décisions qui engagent la collectivité : c’est la « légitimité rationnelle-légale » (Restier-Melleray, 1990). La position d’expert permet alors une évacuation de la nécessité de se justifier précisément des énoncés produits. Alexis Roy rappelle ce principe essentiel pour comprendre comment la parole d’expert vaut parole d’autorité : « la performance attendue de l’expert ne réside pas ici dans sa capacité à démontrer systématiquement le bien-fondé de ses énoncés en se pliant à des procédures de certification instituées dans une communauté élargie. Celui-ci est supposé, il est acquis à travers sa nomination » ; les experts sont « libérés des précautions rhétoriques de rigueur » (Roy, 2001).
8Les dispositifs d’expertise présentent toutefois des différences fortes, selon au moins deux gradients. Un premier gradient est lié au nombre d’experts mobilisés et à leur pérennité : des dispositifs mobilisent une seule personne sur une question très précise tandis que d’autres s’appuient sur des comités d’experts dotés d’une certaine stabilité et amenés à s’exprimer sur une diversité de questions en lien avec la gestion et la protection de la nature. La quantité et le type de ressources allouées aux experts (organisationnelles et scientifiques) constitue une deuxième ligne de clivage dessinant un autre gradient le long duquel on distingue, d’un côté, des énoncés d’avis produits en réponse rapide à une question posée et, de l’autre, des études menées sur un temps long, mobilisant des ressources organisationnelles et scientifiques lourdes (état de l’art, travaux expérimentaux ad hoc). Si le recours à des collectifs plutôt qu’à un expert est souvent privilégié – conformément aux recommandations de Roqueplo (1997) ou Hermitte (1997) afin de se libérer des biais ou de l’arbitraire potentiel qui peuvent s’attacher à la consultation d’un seul individu – au cours des dernières années, des dispositifs situés tout au long de ces gradients ont fonctionné simultanément. Par exemple, en 1996, une expertise sur le pique-prune – un coléoptère protégé par la directive « Habitats » – a été commanditée dans le cadre du tracé du projet d’autoroute A28 entre Le Mans et Tours à un jeune scientifique qui venait de terminer au Muséum national d’histoire naturelle une thèse sur les cétoines microcavernicoles, dont le pique-prune. Le dispositif de production de l’expertise s’est ensuite prolongé et complexifié, du fait notamment de contestations. Mais cette phase initiale offre un exemple de dispositif fortement personnalisé (une seule personne, choisie pour ses qualités bien particulières : la réalisation d’une recherche approfondie sur une espèce alors très méconnue), très ciblée (les effets d’un chantier sur une espèce donnée), et mobilisant des ressources relativement conséquentes (durée, dispositif d’étude des arbres et des insectes du secteur). Le cas du Conseil national de protection de la nature témoigne inversement de l’ancienneté du recours aux experts dans l’action publique environnementale. Créé en 1946, le cnpn est une commission administrative à caractère consultatif, placée auprès du ministre chargé de la protection de la nature et destinée à éclairer ses décisions. Sa mission est inscrite dans l’article R133-1 du code de l’environnement. Il est doté d’un comité permanent et de plusieurs commissions spécialisées. Depuis sa création, le cnpn a connu une extension progressive de ses domaines d’expertise, de nouveaux champs de la nature – comme la mer aujourd’hui – étant régulièrement venus s’ajouter aux précédents. Il s’est par ailleurs étoffé et sa composition s’est diversifiée : composé de trente personnes dans sa première formation, il en compte aujourd’hui quarante (vingt membres de droit et vingt membres nommés par le ministre), le projet actuel de nouveau décret du cnpn en prévoyant quarante-cinq, regroupés en cinq pôles. Le cnpn est ainsi une institution vieille de plus de soixante ans, au fonctionnement très codifié et à l’organisation complexe ; il a été amené à prononcer des avis concernant un nombre croissant de questions en lien avec la protection de la nature, mobilisant depuis sa création des centaines de personnes. Plus récemment, en 2004, ont été créés le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (cspnb), ainsi que les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (csrpn). Il s’agit de comités consultatifs dotés d’une mission d’évaluation scientifique des mesures de protection et de gestion des espaces et des territoires. S’appuyant, de même que le cnpn, sur un modèle de comité d’experts pérennes, ils témoignent de l’actualité de la création institutionnelle suivant ce modèle. De même que dans le cas des comités des agences sanitaires, la création de nouveaux collectifs d’experts ne signe pas nécessairement une véritable pluralisation de l’expertise (au sens d’une diversification des acteurs) : elle peut très bien s’allier avec la recherche d’une reconnaissance scientifique forte (sélection des spécialistes d’un domaine), selon une conception très traditionnelle du recours aux experts obéissant à une logique de « purification » scientifique de l’expertise (Granjou, 2004).
9Quelle que soit la forme qu’il prenne, le recours aux spécialistes n’atteint cependant pas toujours l’objectif recherché par les décideurs et gestionnaires qui y recourent, à savoir : fonder et légitimer leurs actions sans critiques possibles.
10Bien que la littérature en sciences sociales ait dénoncé comme illusoire la recherche d’indépendance des individus et même des collectifs (Barthe et Gilbert, 2001), plusieurs témoignages de la part de décideurs et de gestionnaires montrent l’acuité de ce souci et de cette crainte de partialité dans le secteur de la gestion de la nature. La suspicion de dépendance ou de biais est d’autant plus forte que le nombre d’experts mobilisables est réduit et qu’il ne peut y avoir de contre-expertise sur des sujets très pointus, comme dans le cas de maintes espèces méconnues, voire « orphelines » : « sur les chauves-souris, il y a un expert en France, en gros, qui dit : ‘là c’est un site, là y a une population intéressante, là elle est représentative, là il faut ceci cela’. Et on est complètement… tributaires de ce qu’il dit. Là-dessus, moi, je me sens complètement ficelée ; on n’a pas de capacité de… comment dire ? On est obligés de faire confiance » (une personne du ministère de l’écologie). L’idée que les experts sont souvent engagés dans des mouvements de protection de la nature ou de défense d’activités comme l’agriculture en montagne et le soupçon que ces engagements pèsent sur la position adoptée amènent également les commanditaires à mettre en doute l’expertise : « Les experts entre guillemets qui ont été sollicités par le Muséum et qui sont dans les cbn [conservatoires botaniques nationaux] ou dans les cren [conservatoires régionaux d’espaces naturels] ou ailleurs, ben ils sont naturalistes, parfois ils sont un peu militants associatifs protection de la nature. Et ça transparaît dans leur expertise, mine de rien. Parfois on considère qu’ils ont été plus négatifs que…, bon parfois ça peut être dans l’autre sens, il peut y avoir des... mais globalement. Alors c’est pas que je leur fais pas confiance mais je considère que parfois, la perception peut différer selon les personnes et selon la sensibilité des personnes » (idem).
11Bien que les expertises apparaissent plus robustes lorsqu’elles émanent de groupes composés de personnes aux sensibilités variées, les conseils scientifiques d’espaces protégés, composés suivant un principe de diversification des compétences et des spécialités académiques, ne sont pas totalement épargnés par les mises en cause et les problèmes de confiance. Dès lors, dans un contexte où l’action publique environnementale se trouve de plus aux prises avec de nouvelles exigences de justification (évaluation des politiques publiques, montée des contestations de la science…), le recours à des critères de jugement formalisés et à la quantification, plutôt qu’au jugement expert, peut constituer une stratégie alternative dans la recherche d’un gain d’indiscutabilité.
- 6 Le développement d’outils de représentation et de mesure des écosystèmes est bien sûr plus ancien : (...)
12Depuis que le principe global de lutte contre l’érosion de la biodiversité, énoncé lors du Sommet de la Terre de Rio de 1992, a été traduit en 2002 à Johannesburg en un objectif plus concret – réduire de manière significative l’érosion de la biodiversité à l’horizon 20106 – diverses batteries d’indicateurs ont été élaborées par des instances nationales et internationales. Leurs objectifs sont multiples : il s’agit à la fois de renseigner sur les changements environnementaux (à court, moyen et long terme), de « parler » aux groupes d’acteurs concernés afin qu’ils puissent se les approprier, mais aussi de contribuer à évaluer l’efficacité des politiques publiques. On peut ainsi penser que la mise en place d’objectifs concrets en termes de lutte contre la perte de biodiversité a suscité une exigence d’évaluation des actions conduites qui n’est pas étrangère au développement des indicateurs dans une logique de recherche de légitimation de l’action publique. L’exemple du changement climatique est ici souvent sollicité pour témoigner de l’utilité de disposer d’indicateurs (apparemment) simples renseignant sur l’état du climat, comme la température moyenne du globe, et permettant d’évaluer les actions, comme l’équivalent tonne de carbone émis (Levrel, 2007).
13Tandis que la Convention sur la diversité biologique a ainsi mis en place une première batterie d’indicateurs en 2004 au niveau international, d’autres indicateurs voient le jour, par exemple dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité française. Afin d’harmoniser ces ensembles disparates d’indicateurs, une instance européenne, le sebi (Streamlining european 2010 biodiversity indicators), a effectué un travail qui a abouti, pour l’Europe et en 2007, à l’expression de 26 indicateurs constituant le cadre de référence auquel doivent désormais s’adapter les indicateurs nationaux. Parmi ces indicateurs, citons pour exemple : l’indicateur « liste rouge » de l’uicn (Union internationale pour la conservation de la nature), calculé pour un groupe d’espèces répertoriées dans la « liste rouge » à partir du nombre d’espèces ayant changé de catégorie entre deux dates (passant par exemple de la catégorie « rare » à la catégorie « menacée », ou l’inverse) ; l’indicateur « oiseaux communs », qui s’appuie sur la variation d’abondance des oiseaux « ordinaires » sur un territoire ; ou encore l’indicateur « trophique marin », fondé sur les niveaux trophiques (rang occupé par un être dans la chaîne alimentaire) auxquels les prises de pêche sont réalisées.
14Pour Porter (1995), la quantification est une technologie de création de la confiance (« trust technology ») mobilisée par des spécialistes lorsqu’ils se trouvent en situation de controverse ou du moins de mise en doute de leurs assertions. Selon lui, la quantification n’est pas une caractéristique intrinsèque de certaines disciplines scientifiques, qui auraient ensuite pris valeur de modèles pour d’autres disciplines et d’autres domaines de connaissance et d’action. Elle s’explique plutôt par l’existence de pressions liées au contexte socioculturel, induisant la volonté des spécialistes d’emporter l’adhésion en développant des arguments d’aspect impersonnel et rigoureux. Le recours aux indicateurs apporte en effet un niveau supplémentaire de crédibilité lié à un effet d’objectivation : grâce aux indicateurs, il semble possible de s’abstraire de la subjectivité qui accompagne nécessairement le recours à une ou des personnes, toujours susceptibles d’erreurs mais surtout d’engagements, de biais et de diverses formes de parti pris.
15Dans le même sens, le recours à des indicateurs peut permettre un gain de crédibilité par la traçabilité du jugement : ils donnent une indication sur le type de raisonnement suivi que l’on peut énoncer et retrouver a posteriori. Alors que la confiance en l’autorité de la parole d’un expert conduit précisément à l’absoudre de toute obligation de justification, ici, la crédibilité du recours aux savoirs provient inversement du processus respecté pour l’élaboration du jugement : il s’agit d’une légitimité non plus substantielle mais procédurale (Joly, 1999 ; Granjou et Barbier, 2010).
16Outre qu’il peut ainsi amener un gain de crédibilité, le recours aux indicateurs constitue aussi une forme d’instrumentation susceptible de permettre une abstraction plus grande vis-à-vis des circonstances temporelles et spatiales que ne le permet le recours aux experts. De même que pour les statistiques (Desrosières, 1993), la « mise en nombres » vise à reproduire les mesures dans l’espace et dans le temps de manière à comparer plusieurs lieux ou plusieurs moments ; elle doit aussi permettre de construire des données agrégées valables pour une totalité, par delà les spécificités locales. La mobilisation des indicateurs peut, en théorie, être prise en charge par n’importe qui (sous réserve d’un minimum de formation et des ressources nécessaires) et de manière identique à plusieurs moments ou en plusieurs lieux (même si la plupart des indicateurs sont construits en vue de s’appliquer à une certaine échelle). Ils ouvrent donc à une reproductibilité du recours aux savoirs, et éventuellement à la possibilité de comparaison entre deux régions du monde ou entre deux périodes temporelles : nombre d’indicateurs s’insèrent dans des processus de suivi ou de tableau de bord.
- 7 C’est sur cette caractéristique dialogique qu’est basée la définition que donne Roqueplo (1997) du (...)
17Notre propos n’est pas ici de laisser penser que les dispositifs fondés sur des indicateurs remplaceraient les dispositifs recourant à des experts. Les deux modèles coexistent en raison du fait que souvent ils ne remplissent pas la même fonction par rapport à l’action et à la décision. Le recours aux indicateurs permet de produire un état des lieux indépendamment d’une demande spécifiée, suivant une logique d’assessment ou de diagnostic, éventuellement reconduit dans le temps ; tandis que7 le recours aux experts se fait plutôt dans un contexte de demande(s) ou de question(s) déterminée(s), notamment en lien avec une production législative ou réglementaire, vis-à-vis de laquelle les experts apportent des éléments de réponse ad hoc. Enfin, ces deux figures, que nous avons séparées et stylisées pour les nécessités de l’analyse, s’hybrident bien souvent dans les dispositifs réels : les comités d’experts peuvent mobiliser des instruments et des indicateurs ; les indicateurs reposent sur l’investissement de spécialistes pour les définir et les alimenter (cf. ci-dessous).
18Nous soulignerons ici que la montée du recours aux indicateurs pose aussi des problèmes vis-à-vis de la recherche d’« indiscutabilité » de l’action et ne saurait constituer de solution passe-partout vis-à-vis des exigences de légitimation et d’évaluation de l’action publique environnementale. L’élaboration d’indicateurs, de même que le recours aux experts et la mise en place de processus participatifs, constituent plutôt trois directions d’expérimentation en matière de recours aux savoirs rationnels dans l’action publique environnementale qui co-existent et tendent, de surcroît, à s’hybrider. Et ces formes d’hybridation contribuent encore à ce foisonnement expérimental.
19La première limite concerne la légitimité des connaissances produites, cruciale pour accroître l’indiscutabilité de l’action publique. L’humain reste en effet au cœur de la construction des indicateurs. L’indicateur « oiseaux communs » repose par exemple sur un programme d’observation et de recueil de données porté depuis vingt ans par le Muséum national d’histoire naturelle ; il mobilise un important réseau d’observateurs amateurs (Charvolin, 2010), ce qui témoigne d’un simple déplacement en amont du recours à une expertise intuitu personae. Tout indicateur obéit à la fois à des exigences de légitimité politique et scientifique : la première privilégie la lisibilité pour un large public (taux d’extinction global des espèces sur la Terre), alors que la seconde privilégie les éléments de preuve et le caractère utilisable de l’indicateur pour le suivi ou la gestion de la biodiversité. Levrel (2007) résume bien les principales tensions que soulève, pour les gestionnaires, la définition des indicateurs pour la gestion de la biodiversité. Les indicateurs sont des instruments approximatifs, des outils d’information partiaux et partiels en dépit de leur apparente universalité : ils se heurtent notamment à leur échelle de pertinence : un indicateur de biodiversité à l’échelle mondiale sera peu pertinent pour décrire des évolutions locales.
20Une deuxième limite rencontrée concerne la pertinence et la faisabilité de l’expertise produite pour l’action publique. Il est en effet aussi souvent difficile de réunir les données nécessaires pour renseigner « les bons indicateurs » que de trouver « les bons experts ». La construction du réseau Natura 2000 en France, en dépit de la volonté de formaliser les sources de connaissances, s’est ainsi effectuée à dires d’experts locaux et avec les données chiffrées disponibles (notamment en lien avec les Zones naturelles d’intérêt faunistique et floristique, znieff) alors même que ces connaissances n’étaient pas forcément adaptées à la logique de gestion des habitats de la directive européenne, et que leur précision et leur disponibilité étaient très variables d’une région à l’autre (Amelot, André-Lamat et Couderchet, 2009 ; Pinton et al., 2007). Par ailleurs, les indicateurs chiffrés autant que les dires d’expert buttent sur un même paradoxe qui rend leur utilisation malaisée : plus l’expertise est composée d’un grand nombre de paramètres et de regards différents, plus elle offre une information intégrée mais plus son interprétation et celle de son évolution sont difficiles. Inversement, plus l’expertise fournit une information ciblée (spécialisée), moins elle est intégratrice et plus sa pertinence est affaiblie par sa sensibilité à des phénomènes aléatoires (Levrel, 2007).
21Les mythes qui sous-tendent les deux régimes de connaissances, celui de « l’expert omniscient » et celui du « pilote d’avion » devant un tableau de bord d’indicateurs synthétiques et pertinents lui permettant de s’abstraire de la navigation à vue, touchent ainsi leurs limites dans le domaine d’une action publique environnementale marquée par des incertitudes croissantes, et dépendant de systèmes complexes mélangeant dynamiques sociales et dynamiques écologiques. Il est alors pertinent de considérer l’inflexion participative moins comme un nouveau régime qui se substituerait aux précédents, que comme participant à des formes d’hybridation et d’expérimentation inédites à partir des deux régimes de connaissance précédemment exposés, dans lesquelles action publique environnementale et connaissances évoluent conjointement.
22Il semble parfois qu’une lecture en termes de recours à un modèle unique de recours aux savoirs (expertise intuitu personae, indicateurs ou consultation) ne résiste pas à un examen plus approfondi des faits : l’exemple du pique-prune, cité en illustration d’un modèle de recours à un expert individuel reconnu pour sa connaissance académique pointue de cette espèce, témoigne, si on en déroule toute la chronologie, d’une hybridation de différents dispositifs de recours aux savoirs. Ainsi, sur la recommandation des experts du Muséum national d’histoire naturelle (mnhn), un suivi scientifique des populations de pique-prune opéré par des bureaux d’étude en collaboration avec le Muséum a été mis en place dans le but d’acquérir des connaissances sur l’espèce et de produire des indicateurs de l’état et l’évolution des populations. Parallèlement, dans le cadre d’une grande exposition temporaire consacrée à la conservation de la nature, une « consultation » du public a été organisée au Museum en donnant aux les visiteurs la possibilité de « voter » pour choisir parmi les différentes solutions envisagées. Nous développerons ici brièvement deux autres exemples de processus ayant articulé et hybridé dispositif consultatif ou participatif, recours aux spécialistes et usage d’indicateurs : le premier au niveau international et le suivant au niveau national.
23Le premier concerne, au niveau international, la récente dynamique de mise en place d’un « giec de la biodiversité » (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat). Celle-ci a débuté en 2005 par une vaste démarche de consultation – l’imoseb, International mechanism of scientific expertise on biodiversity– visant à faire s’exprimer un grand nombre de groupes d’acteurs (gouvernementaux ou non gouvernementaux) de tous pays sur leurs souhaits et besoins en matière de dialogue entre science et société autour des questions de biodiversité. Ce processus consultatif a abouti à la décision de créer une « plate-forme » – ipbes, International platform for biodiversity and ecosystem services) – dans laquelle des scientifiques reconnus seraient saisis par les gouvernements des pays sur des questions ciblées ; en sus de ce principe extrêmement classique de recours aux experts, l’ ipbes entend aussi s’appuyer sur d’autres formes de connaissances plus traditionnelles et donner une place d’observateurs aux organisations non gouvernementales qui ont été parties prenantes de tout le processus de création du dispositif. Enfin, l’ipbes, est aussi censé fournir des évaluations de l’état des « services » rendus par les écosystèmes (tels que la régulation climatique, la pollinisation des fleurs…), évaluations qui devront reposer sur la définition et l’usage d’indicateurs (notamment monétaires) adaptés. Dans cet exemple, le principe d’ouverture à la discussion a concerné la mise en place des modalités mêmes de recours aux savoirs pour l’action ; en a résulté un dispositif au format apparemment des plus classiques en termes d’ancrage dans l’autorité scientifique, mais qui souhaite en même temps asseoir sa légitimité sur certaines formes d’ouverture moins traditionnelles (acteurs tiers, Traditional ecological knowledge ou « tek »).
- 8 Contrastant avec les dispositifs classiques de mesures agri-environnementales (MAE) ciblés sur des (...)
24Dans notre deuxième exemple, la construction d’indicateurs s’articule avec une logique de consultation, où l’on retrouve à la fois consultation d’experts et consultation des destinataires de la décision publique (ici, des agriculteurs). Il ne s’agit donc plus seulement de produire des connaissances en amont pour l’action, mais d’intégrer la production de connaissances dans l’action. En l’occurrence, il s’est agi de définir une liste de plantes à fleurs dont la présence dans les prairies des agriculteurs servirait de critère au versement d’une aide financière au nom de la préservation de la biodiversité. Le contrôleur devra observer au moins quatre plantes de la liste préétablie sur chaque tiers de diagonale de la prairie contrôlée8.
25C’est d’abord dans le cadre d’un programme de recherche entre l’inra et le parc – donc entre experts académiques et gestionnaires – qu’une première liste de plantes indicatrices de la biodiversité des prairies agricoles a été ébauchée. Cette liste a ensuite été soumise à un groupe d’agriculteurs pour validation. Plusieurs plantes ont été enlevées de la liste (silène enflée, origan…), d’autres ont été ajoutées (populage des marais, trolle d’Europe…), et le nom de certaines a été simplifié en privilégiant le genre à l’espèce (campanule plutôt que campanule rhomboidale par exemple). Trois critères principaux ont été utilisés pour ces choix : i) le fait que les plantes soient caractéristiques de prairies riches en biodiversité (approche scientifique phytosociologique) ; ii) qu’elles soient des plantes à fleur à floraison longue et assez fréquentes sur le territoire pour être facilement reconnaissables ; iii) qu’elles aient, sans que ce soit prouvé de façon scientifique, une « valeur fromagère » c’est-à-dire qu’elles aient une contribution aromatique à la typicité de la tome des Bauges. Sans fondement scientifique, ce troisième critère, encore plus que le second, montre la prise en compte d’un savoir profane du monde agricole, qui s’hybride avec le premier critère scientifique dans la définition de la liste de plantes. Après cette phase initiale de définition de la liste de plantes, un premier concours « prairies fleuries », en 2007, a permis de tester et modifier la liste. La crainte était que les agriculteurs dédaignent un concours « écolo » de « petites fleurs » ; or il n’en a rien été puisque la moitié des agriculteurs présents dans le secteur concerné ont participé, accueillant sur leurs parcelles un jury d’experts à compétences variées (agronomique, écologique, apicole et paysager). Sur place, les membres du jury délibéraient et justifiaient leur note, ce qui suscitait un moment de débat avec l’agriculteur sur ses pratiques et le croisement de sa vision avec celles des experts. Largement médiatisé (TF1, France Inter, affiches, Internet…), le concours a contribué à déplacer la vision des agriculteurs sur leur travail : même si la biodiversité n’est pas pour eux une fin en soi, c’est un moyen d’obtenir une production de qualité et une reconnaissance de leur travail par le grand public et par des scientifiques, ce que facilite l’indicateur de résultat. Un consensus a finalement été trouvé entre l’enjeu agricole (définir des plantes relativement faciles à obtenir et repérer dans des prairies d’usage agricole) et l’enjeu naturaliste (définir des plantes qui ne soient pas trop communes et vaillent comme indicatrices d’une certaine qualité environnementale).
26L’hybridation entre consultation d’experts naturalistes (scientifiques ou gestionnaires) et consultation des agriculteurs observée lors de la phase de construction de la liste de plantes s’est poursuivie lors de la mise en œuvre des contrats, au moment de la vérification de la présence des plantes par des contrôleurs : l’idée d’un contrôle sur le terrain et fondé sur un savoir accessible, donc discutable par l’agriculteur tranche en effet avec les contrôles pratiqués le plus couramment dans le monde agricole (sur les aides de la politique agricole commune par exemple), qui sont ciblés sur des documents formels, et lors desquels la relation entre « l’expert contrôleur » et l’agriculteur est très déséquilibrée. Dès la première année, 65 contrats ont été signés sur le territoire du parc, pour une surface de 875 hectares. Fin 2009, ce sont plus de 2 000 ha et 130 agriculteurs qui ont été concernés, ce qui marque un engagement fort dans cette action publique contractuelle. Aujourd’hui, l’expérience s’étend à treize parcs naturels régionaux et cinq parcs nationaux, et le projet de premier concours national « prairies fleuries » a été labellisé au titre de « 2010, année internationale de la biodiversité ».
27Que pouvons-nous tirer de cet exemple pour illustrer notre propos ? Le succès de l’opération et le consensus global qu’elle suscite montrent d’abord un bon degré de confiance et de légitimité de l’expertise produite, laquelle hybride les avis d’experts et des agriculteurs lors des trois temps forts que nous avons décrits : la définition de la liste de plantes ; le concours ; la mise en œuvre de la mesure contractuelle le contrôle de son résultat. Partant du principe que toute expertise est conventionnelle et non absolue, cette confiance résulte d’un déplacement de la légitimité de l’expertise du contenu vers le processus. Dans la ligne droite des écrits d’Habermas, cela signifie que « la décision légitime (…) est celle qui résulte de la délibération de tous : c’est le processus de formation des volontés qui confère sa légitimité aux résultats, et non les volontés déjà formées » (Manin, 2002). Cet exemple montre ensuite que les indicateurs peuvent être de bons objets intermédiaires à caractère performatif pour l’action : « dans une perspective de médiation, l’objet intermédiaire n’est pas là pour transporter, mais pour transformer, pour aider à composer entre des situations et des points de vue hétérogènes sur la situation à caractériser ou sur la solution à chercher » (Mélard, 2008). De ce point de vue, la liste de plantes indicatrices est l’occasion d’hybrider des connaissances technico-scientifiques à visée universelle avec des connaissances profanes à pertinence locale, de faire converger les façons d’interpréter les indicateurs, et en cela les cadres de pensée et d’action des acteurs concernés. Cela a des conséquences directes sur la pertinence de l’expertise produite pour l’action publique environnementale : ce qui compte, plus que la représentativité technico-scientifique de l’expertise, c’est la dynamique d’appropriation, d’apprentissage, de construction de nouvelles relations entre acteurs, et l’action collective qu’elle permet d’impulser concrètement. L’indicateur co-construit « qui parle à tous », et les échanges suscités autour de la note du comité d’expert pendant le concours ont donné un sens concret à l’enjeu de préservation de la biodiversité pour l’agriculteur et permis d’aboutir à des contractualisations qui constituent les premières bases d’une action collective de préservation de la biodiversité. En cela, l’inflexion participative entraine une complexification des rapports entre connaissance et action, une hybridation des régimes de connaissance, qui permettent d’apporter des réponses aux limites de légitimité, et de pertinence, que nous avons soulignées. L’avenir nous dira si ce foisonnement expérimental produit des fruits pérennes...
28Dans cet article, nous avons fait le choix de dégager quelques pistes de lecture autour d’une vision panoramique des formes de recours aux savoirs pour l’action publique environnementale, en nous appuyant sur plusieurs exemples sans approfondir de cas d’étude particulier. Nous y avons montré notamment la coexistence d’une multiplicité de dispositifs de recours aux savoirs pour l’action publique environnementale, en suggérant que ce domaine d’action semble caractérisé, probablement plus que d’autres, par une très forte dimension d’expérimentation dans les modalités de recours aux connaissances pour l’action. La nécessité d’agir dans l’incertitude – mais aussi, de plus en plus, de montrer le bien-fondé des actions entreprises – semble ici conduire à un véritable foisonnement expérimental plus qu’à une standardisation ou à une bureaucratisation de l’expertise, constatée dans un domaine également marqué par l’incertitude comme la santé publique : comités d’experts pérennes sur un modèle classique, consultations ponctuelles de spécialistes, agences visant à l’alimentation de tableaux de bords, batteries d’indicateurs de suivi de la réalisation d’objectifs stratégiques, listes d’espèces… Nous avons d’abord voulu insister sur l’importance d’un certain nombre de tendances qui nous paraissent insuffisamment traitées dans nombre de travaux sur le recours aux savoirs pour l’action environnementale : la permanence et l’actualité des dispositifs de recours à des experts nommés pour leur autorité de spécialistes, l’importance du développement récent de dispositifs basés sur des indicateurs, ainsi que leur hybridation et leur complexification sous l’influence de la logique participative. La diversification des personnes impliquées dans la prise de décision – incluant, à côté des spécialistes académiques, des amateurs, des riverains, etc., dans de vastes « forums hybrides » – semble alors bien contribuer à ce foisonnement expérimental, dont elle constitue une dimension importante sans être toutefois la seule.
29Il semble ici important de noter que les acteurs, loin de pouvoir choisir librement dans un catalogue de solutions, doivent souvent faire avec les moyens du bord. Ainsi, suivant les objets ou domaines considérés, il peut exister, ou pas, des experts, des indicateurs, des données ; il ne suffit pas non plus de vouloir ouvrir le débat pour que les participants affluent. Il ne s’agit donc pas simplement de proposer une forme de classement ou de mise en ordre de ces dispositifs, mais bien de considérer leur foisonnement comme lié aux tentatives de répondre, souvent dans l’urgence, à des demandes et à des questions par divers bricolages improvisés. Les débats et les controverses que suscite la mise en place de tel ou tel dispositif de recours aux savoirs contribuent en outre à faire évoluer les modalités d’organisation de l’expertise et à expérimenter de nouveaux dispositifs. La « productivité sociale des controverses » soulignée par Lascoumes (1999) au niveau du contenu des options de gestion de divers dossiers vaut donc aussi au niveau de l’organisation même de l’expertise. Il semble ainsi que l’on se dirige dans le secteur de l’environnement vers une diversification des régimes politiques de connaissance plutôt que vers l’esquisse d’un régime unique, d’un modèle d’expertise uniformisé et « clés en main ». Il est alors tentant de proposer une lecture de ce foisonnement expérimental en distinguant plusieurs « régimes politiques de connaissance » selon les sources de crédibilité ou d’autorité des savoirs (autorité du spécialiste, objectivité des chiffres, ouverture du processus de consultation…) qui visent, in fine, à fonder une plus grande indiscutabilité de l’action.
30Ces résultats paraissent ouvrir un champ de recherche, aujourd’hui peu approfondi en sciences sociales, et visant à ouvrir la « boîte noire » du recours aux indicateurs dans l’action. Car, s’il existe une littérature d’orientation normative visant globalement à définir les caractéristiques de l’indicateur de biodiversité idéal, très peu de travaux s’intéressent aux conditions et aux modalités pratiques d’élaboration des indicateurs ainsi qu’à leur mobilisation dans les processus de choix et de décision. Mener des études empiriques sociologiques sur les collectifs de définition des indicateurs, sur les enjeux et conditions pratiques de leur utilisation et sur les diverses critiques qui leur sont adressées, permettrait d’alimenter une vision plus large et plus précise des modalités actuelles de recours aux savoirs dans l’action publique, dans le secteur environnemental et au-delà.