Navigation – Plan du site

AccueilNuméros79Connaissances et action publique

Connaissances et action publique

Le cas de la territorialisation de la politique de santé mentale
Knowledge and public action. The case of territorial mapping the mental health policy
Lise Demailly
p. 57-81

Résumés

L’article propose, à propos du fonctionnement du champ de la santé mentale en France, une perspective établissant le lien entre connaissances et choix en action publique. Après quelques considérations théoriques et épistémologiques sur cette articulation, l’article passe en revue les grandes étapes de l’évolution du « secteur psychiatrique » et cartographie les acteurs de la nouvelle territorialisation de la politique de santé mentale. Puis il dégage les connaissances devenues légitimes pour réguler ce domaine d’action publique. Il propose des hypothèses sur le changement du régime français de connaissances légitimes, qui sont donc structurantes de l’action publique.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Action publique au sens de Commaille (2004) et donc en considérant que l’État n’est qu’un acteur pa (...)

1Le syntagme figé « société de la connaissance » prospère à l’ombre du syntagme, plus vulgarisé encore, « société de l’information ». Le succès de ces expressions ne dispense peut-être pas les sciences sociales de les interroger. Faut-il entendre par là que dorénavant la société serait pilotée, gouvernée, produite par la connaissance ? Ou que les connaissances, qui doivent être analysées comme des connaissances « en société », peuvent être la source d’une efficience accrue de l’action collective si l’on mobilise leur caractère social et pluriel ? De sorte que la décision concernant l’action publique1 notamment pourrait être éclairée et légitimée par les savoirs de toutes natures, formels et informels, disciplinaires ou non, neufs, de pointe ou de consensus. Et que l’action publique utiliserait, pour se réguler, des connaissances sous la forme d’outils de description du monde social, de gestion, de prévision, de réflexion, qui s’intégreraient dans un processus de réflexivité collective.

2On propose ici d’analyser l’interaction des connaissances avec l’action publique, dans le champ précis de la santé mentale, sachant que l’actuel processus de territorialisation de la santé mentale a des dimensions à la fois politiques, administratives et sociétales, et fait effectivement évoluer le domaine des connaissances pensées comme légitimes pour concevoir et réguler cette action publique. Cette étude nous mènera à prendre en compte aussi bien l’impact des connaissances scientifiques reconnues que celui de connaissances profanes, informelles, ou traditionnelles. La politique de santé mentale se prête particulièrement bien à de telles interrogations, vu l’abondance des débats publics actuels et des contradictions qui la traversent, l’imminence de réformes importantes, la diversité et la conflictualité des types de connaissances en jeu.

3L’objet de l’article sera donc l’étude des transformations du champ de la santé mentale par une identification du lien entre connaissance et décision. Pour ce faire, on proposera d’abord quelques considérations méthodologiques et épistémologiques, puis on passera en revue les grandes étapes de l’évolution du « secteur psychiatrique » et on cartographiera les acteurs de changement. L’analyse mènera simultanément le décryptage de la territorialisation de la politique de santé mentale déjà étudiée par Biarez (2004), Massé, Vigneron (2006), Kervasdoué (2007), mais qui a connu des développements récents avec la mise en place des ARH (agences régionales d’hospitalisation), puis des futures ARS (agences régionales de santé) et les travaux de la commission Couty (2009) et celui des connaissances mobilisées et mises en œuvre dans et pour cette territorialisation. On poursuivra, dans un troisième temps, en mettant en exergue les contenus de connaissances légitimes pour réguler l’action publique en santé mentale (et corrélativement les groupes d’acteurs sociaux qui les promeuvent et utilisent. Enfin, dans quatrième partie, on proposera des hypothèses sur le changement du régime français de connaissances légitimes et donc structurantes de l’action publique.

Penser les relations entre connaissances et action publique

  • 2 « Knowledge and policy », 6e PCRD Commission Européenne, coordinateurs Bernard Delvaux, Eric Mangez (...)

4L’article s’appuie notamment sur le travail empirique et de problématisation du groupe international de recherche Knowledge and Policy (KP)2. Il ne sera pas possible dans le cadre de cet article de rendre compte de l’ensemble du travail de synthèse bibliographique qui a marqué la première année de travail de KP autour des termes « action publique » et « connaissances » entre autres. S’il a permis d’identifier un vaste champ bibliographique anglo-saxon et français, de dégager un espace de débat et s’il a donné lieu à plusieurs tentatives de synthèses, il n’a pas abouti à un consensus théorique au sein de l’équipe internationale. La question du rapport entre connaissances et action publique engage en effet à la fois des visions différentes de la décision politique (certaines visions faisant la part belle à la rationalité et la linéarité, d’autres à l’irrationalité, au hasard et à l’illusion) ; des visions différentes de la délimitation de connaissances à prendre en compte dans la question traitée (seulement les connaissances scientifiques ou également les connaissances profanes, les connaissances tacites ?) ; des conceptions épistémologiques différentes de la connaissance scientifique ; des théories sociologiques différentes de la production sociale des représentations scientifiques ou ordinaires. Je renvoie donc à l’impressionnant travail de synthèse bibliographique réalisé par Delvaux et Mangez (2009) et je vais préciser tout de suite la façon dont je m’empare de la question.

Éviter l’artefact d’un rapport linéaire et exclusif entre connaissances et politiques

5Le problème épistémologique que pose une recherche sur l’usage des connaissances dans l’action publique est le risque de l’artefact conduisant à envisager principalement la connaissance comme une ressource de la décision politique et de l’économie, à penser l’action publique comme procédant essentiellement de l’état des connaissances. La question pratique serait alors surtout de rationaliser les relations de travail entre producteurs de connaissance et producteurs de décisions politiques (étatiques ou non). De connaître ce qui peut faire obstacle à l’efficacité de telles relations et à l’efficacité des connaissances proprement dites. Il s’agirait parallèlement, dans un souci de « bonne gouvernance », d’identifier les connaissances qui, mises à la disposition des usagers et citoyens, se révèleraient utiles pour mieux les associer à la décision et limiter la responsabilité du politique, étant entendu que l’on serait dans un contexte où les décideurs auraient de plus en plus à gérer l’incertitude (Callon, Barthe, Lascoumes, 2001).

  • 3 Ce terme est difficilement traduisible, mais bien utile car il ne limite pas les « faiseurs de poli (...)

6S’il est sans nul doute légitime de prendre pour objet de recherche l’usage actuel des connaissances dans l’action publique, il importe pour le traiter, et notamment pour pouvoir analyser les obstacles qui font que les relations entre connaissances et politique ne sont pas fluides, de résister à la tentation de la myopie. Car, se focaliser dans l’observation empirique sur une relation linéaire entre connaissances formelles et décision politique ou connaissances formelles et implémentation d’une politique ferait courir plusieurs risques épistémologiques parmi lesquels : i) censurer ce qui dans la décision politique ne relève pas de la connaissance rationnelle, mais des dimensions affectives, idéologiques, morales, des intérêts cognitifs ou de l’intérêt économique ou symbolique, des rapports de pouvoir −toutes choses dont on peut faire l’hypothèse qu’elles sont beaucoup plus prégnantes dans l’action que le choix rationnel et éclairé − ; ii) ne pas identifier les connaissances rationnelles « manquantes » à l’action politique, (manquantes parce que personne ne les a fabriquées bien que certains acteurs en perçoivent la pertinence) ; iii) censurer qu’il existe des connaissances éventuellement utiles à l’action politique, socialement disponibles, mais qui ne sont pas engagées dans la discussion publique, parce qu’elles circulent seulement dans des circuits dominés (profanes par exemple) ; iv) oublier qu’il existe des connaissances qui pourraient être utiles, mais qui sont sous-estimées par les « policy-makers »3 en raison de leur statut informel, intuitif ou expérientiel, ou parce qu’elles sont portées par des acteurs dominés.

7Autre raison d’élargir la focale d’analyse : la prise en compte de l’idéologie, des intérêts et des relations de pouvoir dans la décision politique. Cette dernière ne peut être en effet détachée du champ social, lequel informe également le champ de production des connaissances. De sorte que le champ de la production de connaissances et celui de la décision politique doivent être replacés dans celui, plus large du champ social. Autrement dit, le travail sur l’articulation entre connaissances et décisions propre à l’action publique exige de prendre en compte la totalité des champs et non seulement leur intersection, de tenir compte du rôle du champ social, sans techniciser et sur-rationaliser a priori ni la décision politique, ni la connaissance. On aboutit au schéma aide-mémoire de la figure 1.

Figure 1 – Champ social, décision politique et connaissances

Figure 1 – Champ social, décision politique et connaissances

8Dans le cercle 1 ou espace des décisions, les décisions hors intersection sont influencées, non par des connaissances, mais par des intérêts, des habitus, des idéologies, des valeurs, des « référentiels » (Müller, 2003). A l’intersection de ce cercle et du cercle 2, ou espace des connaissances de tous types, on rencontre 3 occurrences possibles : en partie A, les décisions sont effectivement éclairées par des connaissances formelles (les heureuses rencontres ou collaborations) ; tandis que la partie B révèle un « trou » des connaissances manquantes pour une décision éclairée ; et la partie C un « trou » des connaissances oubliées, méconnues, stigmatisées ou implicites. Quant aux flèches, elles symbolisent l’influence du champ social sur les connaissances, les décisions, les connaissances manquantes, les connaissances méconnues et les décisions influencées par la connaissance.

  • 4 Par exemple la connaissance de la souffrance au travail.

9Le travail sur les connaissances effectivement mobilisées dans les décisions doit inclure une réflexion sur les trous de la connaissance, du point de vue du chercheur qui observe les apories de la politique publique ou du point de vue de certains acteurs observateurs. Il en va ainsi des connaissances manquantes pour une décision éclairée (B), par exemple une base de données épidémiologiques territoriales précises qui n’existe pas alors qu’elle serait utile ; des connaissances qui auraient pu être mobilisées mais restent infra publiques (C) ; des connaissances qui auraient pu être utiles à la décision publique, mais qui sont méconnues, implicites, voire méprisées, par exemple des connaissances profanes engagées par les usagers ou des acteurs sociaux dominés4. Il ne faut pas non plus oublier les conflits entre connaissances elles-mêmes et conjointement les concurrences et conflits entre détenteurs de connaissances, qui doivent être traités en envisageant la structuration des deux champs eux-mêmes et pas seulement leur intersection. C’est particulièrement nécessaire pour la santé mentale, et même plus précisément pour la discipline académique psychiatrie, écartelée aujourd’hui entre théories différentes. Le travail sur l’espace politique de la santé mentale peut être mené en utilisant le concept de « champ » (Bourdieu, 1987 ; Demailly, Bresson, 2007). L’identification des « courtiers », « traducteurs », « connecteurs » et « marginaux sécants » relève d’une analyse stratégique (Crozier, Friedberg, 1977), d’une analyse des réseaux d’enrôlement et du travail de traduction (Akrich, Callon, Latour, 1988). Il faut aussi garder à l’esprit un paradoxe : les connaissances contradictoires n’entrent pas forcément en débat conflictuel. L’idée que toutes les contradictions donneraient lieu à conflit présuppose paradoxalement une société intégrée et/ou intégralement médiatisée. Or les cloisonnements peuvent être tels entre acteurs que des connaissances différentes et contradictoires circulent et coexistent tout en n’ayant jamais l’occasion d’entrer en débat ou en conflit.

Accepter une pluralité épistémologique des connaissances prises en compte

  • 5 Selon la typologie des connaissances de Lam (2000) et notre traduction. Voir Tableau 2 dans les doc (...)

10Le travail empirique sur les connaissances pose la question de la délimitation du corpus. On refusera d’envisager les connaissances seulement comme des objets détachés qui circuleraient dans la sphère publique (administration, organisations, médias, internet)5. Qu’elles soient profanes, demi-savantes ou savantes, quand elles sont en circulation, les connaissances appartiennent à ceux (producteurs, utilisateurs, courtiers, traducteurs, connecteurs) qui sont impliqués dans l’action publique. Mais, pour certains acteurs, les connaissances engagées dans l’action peuvent être en partie tacites, inconscientes, ou méconnues en tant que telles − et ce quel que soit leur statut social de connaissances profanes, semi-savantes ou savantes − ; tandis que pour d’autres et simultanément, elles peuvent être des connaissances circulantes, archivées (codées) et objectivables sur des supports concrets, papier ou numériques. De sorte que l’acteur n’engage pas son action uniquement à partir des connaissances circulantes et archivées.

  • 6 C’est particulièrement flagrant chez les 10 élus locaux interrogés, quelle que soit leur couleur po (...)

11Ce double mode d’existence empirique de la connaissance, mode archivé (codé)/mode engagé (implicite, incorporé), pose des problèmes quant aux méthodes d’investigation. L’analyse des connaissances engagées dans l’action, la pratique, les conduites, demande de procéder par groupes d’acteurs, identifiés comme acteurs-clés de l’action publique étudiée (pour plus de précisions, voir annexe 2). En ce qui concerne l’investigation, la saisie des références aux connaissances circulantes peut relever, avec toutes les précautions méthodologiques nécessaires, de questions directes : quelle revue lisez vous ? Quel est votre cadre théorique de référence ? Disposez-vous de données sur… ? Sur quel outil vous appuyez vous pour émettre ce jugement ? Mais la saisie des connaissances engagées relève rarement d’une investigation frontale, mais plus de l’histoire de vie : avoir ou non un malade mental dans sa famille, avoir ou non connu de près un suicidaire. La compréhension de la mise en jeu de telle connaissance dans l’action publique peut exiger d’inclure dans l’analyse tel élément de la formation initiale du détenteur de connaissance, qui n’a pas de rapport direct avec le choix assumé dans l’action publique étudiée (ex. : un cadre administratif du système de santé ou un élu local ayant fait personnellement une psychanalyse ou non6). C’est en interrogeant l’individu sur sa formation, ses expériences, ses pratiques, ses stratégies, ses orientations politiques, ses relations de travail avec ses collègues, partenaires ou patients, ainsi que sur des récits d’événements récents, que l’on peut finalement reconstituer la carte de ses connaissances comme connaissances effectivement engagées dans les prises de décisions.

12Dernière précaution méthodologique : il est difficile et artificiel de séparer chez un détenteur de connaissances, qu’il s’agisse d’un policy maker, d’un producteur académique ou d’un acteur local, d’un côté les connaissances concernant spécifiquement l’action publique étudiée, de l’autre le reste de ses connaissances. Il y aurait là, en effet, un découpage arbitraire et techniciste. Il semble au contraire pertinent de postuler, au moins à titre de principe méthodologique, une relative continuité de l’ensemble des connaissances d’un individu, fondée sur sa trajectoire (forme de logique, plus ou moins cohérente, plus ou moins clivée ou contradictoire, mais compréhensible). La carte des connaissances d’un décideur ne doit donc pas concerner uniquement les connaissances spécifiquement utiles pour l’objet empirique de la recherche, ni seulement ses connaissances rationalisées. Enfin, à côté des fils conducteurs de la territorialisation en santé mentale, on a également exploré auprès des acteurs-clés : i) les savoirs sur les orientations du soin en psychiatrie ou en santé mentale (cliniques, théoriques, administratifs …) ; ii) le rapport à l’évaluation (des services, des hôpitaux, des équipements, des professionnels) ; iii) les représentations du trouble psychique et du changement social.

13Résumons donc le cadre du travail présenté : les décisions politiques, qu’elles soient internationales, nationales ou subnationales, ne sont pas conçues comme prises seulement, voire même pas essentiellement, sur la base d’une mobilisation consciente de connaissances formalisées. Même si les connaissances y ont de plus en plus part, les décisions sont aussi grandement déterminées par des intérêts, des valeurs, des idéologies, des réseaux affinitaires. Néanmoins, il est pertinent de s’attacher à la thématique spécifique des connaissances : savoir quels types de connaissances (dans une acception plurielle) sont mobilisés dans la construction des actions publiques ; savoir comment, par qui et pourquoi, devrait permettre d’éclairer des évolutions sociétales d’ampleur.

La territorialisation de la politique de santé mentale en France

  • 7 On peut reprendre ici la distinction introduite par Michel Autès (1995) entre politiques territoria (...)

14La territorialisation en santé mentale est une orientation à la fois internationale (textes de l’OMS, 2001, 2004, 2006) et nationale. En France, elle a des traductions intersectorielles en matière de politiques publiques (elle concerne par exemple également l’Éducation nationale). On définira la territorialisation comme un processus administrativo-politique bi-faces7 par lequel : i) un service, une organisation, une institution gèrent leurs prestations en fonction de la singularité d’un territoire ; ii) les acteurs de ce territoire connaissent un mouvement d’empowerment, que l’on pourrait traduire par la capacité à faire fonctionner une « régulation autonome » (Reynaud 1981) et qui leur permet de participer à la conception de l’action correspondante. En ce deuxième sens, territorialisation est proche de décentralisation si on l’envisage par rapport à l’État central et de démocratie participative si on pense plus à l’inclusion d’acteurs dont jusqu’ici la parole n’était pas prise en compte.

L’histoire de la territorialisation de la santé mentale

15En France, la territorialisation de la politique de santé mentale est une histoire ancienne. Le sens, le contenu et les objectifs de cette politique, et son nom même, ont connu beaucoup de transformations. Peu présente dans les années 1960, la notion de santé mentale s’est peu à peu imposée à la place de « psychiatrie ». Quelques points de repères légaux sont rappelés dans l’encadré qui suit.

La circulaire du 15 mars 1960 à diviser chaque département en « secteurs psychiatriques » d’environ 70.000 habitants. C’est la première territorialisation, dont l’idée remonte aux années 1945, chez des psychiatres désaliénistes. Les établissements psychiatriques reçoivent pour mission de desservir leur aire géographique. Mais les secteurs restent souvent hospitalo-centrés, tandis que les univers professionnels du secteur, du médico-social et du social restent cloisonnés.

L’ordonnance du 24 avril 1996 institue les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et consacre ainsi l’échelon régional comme celui qui est pertinent pour la mise en œuvre des politiques de santé.

La loi du 4 mars 2002 relative à la qualité des soins et l’ordonnance de septembre 2003 donnent une place prépondérante aux régions dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de santé. Le SROS (Schéma Régional d’Organisation Sanitaire) définit des objectifs quantifiés de l’offre de soins par activité et par territoire en distinguant pour la médecine somatique trois niveaux : la proximité, le bassin de vie et la région.

Les services hospitaliers, dont la psychiatrie, sont regroupés dans le cadre de « pôles », entités productives et budgétaires. La « tarification à l’activité » (mode informatisé de description détaillée de l’activité permettant le calcul des budgets des hôpitaux) se met en place progressivement dans les hôpitaux.

La commission Couty, 2009 est chargée de préparer des amendements pour respecter la spécificité de la psychiatrie. Elle propose notamment la création d’un groupement local de concertation en santé mentale, qui engloberait le secteur, et d’un conseil (budget : Sécurité sociale, médico-social, collectivités territoriales et ARS).

Loi « Hôpital Patient, Santé, Territoire » transforme les ARH en ARS et accroît leurs liens avec le milieu médico-social et la médecine de ville. Elle institue les « territoires de santé » et vise une organisation décentralisée et simplifiée ainsi qu’un meilleur ancrage territorial des politiques de santé. Elle propose ainsi un cadre juridique incitant à la collaboration entre les acteurs de la psychiatrie, ceux du secteur médico-social et la médecine libérale.

16La territorialisation de la psychiatrie est donc déjà ancienne en France et sa forme la plus connue, y compris internationalement, est le secteur. La notion de « santé mentale » vient s’y combiner : elle implique la prise en compte d’une souffrance psychique plus large que la maladie mentale au sens étroit du terme, en partie liée à la précarité et impliquant, quant à sa prise en charge, des travailleurs sociaux habitués à travailler territorialement. La territorialisation des actions autour de la souffrance psychique réclame des coordinations interprofessionnelles au-delà de la psychiatrie. Ce pourrait être une extension de la philosophie du secteur, mais les choses se révèlent en fait plus compliquées et les psychiatres évoquent aujourd’hui « la mort du secteur » à cause de la création de pôles qui surplombent la partie hospitalière du secteur, de la mise en synergie possible (diversement appréciée) de sa partie ambulatoire avec le médico-social, le social, les municipalités, et enfin de la conception hiérarchisée de la territorialisation de la santé somatique, très différente de la logique de guichet unique polyvalent et proche que représente le secteur.

17Par ailleurs, la territorialisation induit dans l’administration déconcentrée un besoin de diagnostics territoriaux, d’explicitation et d’objectivation des besoins, de formation de stratégies efficientes, ce qui a développé l’exigence de l’évaluation, laquelle en retour instrumente, assure, et légitime la territorialisation, comme adaptation aux besoins des populations. Elle s’accompagne du développement d’un nombre élevé d’institutions, d’organismes spécifiques et de lieux de concertation qu’il est impossible et inutile de détailler ici. L’essentiel à noter est que la territorialisation permet à de nouveaux acteurs de s’impliquer dans la définition concrète et locale de la politique : il s’agit des élus (de façon très inégale, mais, dans la région étudiée, le Nord-Pas-de-Calais, les élus régionaux sont vraiment impliqués (Michel, 2008) ainsi que les associations d’usagers et de patients.

Les acteurs stratégiques

18Les acteurs-clés de l’action publique en santé mentale à l’heure actuelle peuvent être regroupés en quatre types.

Les agents de la désignation des individus « troublés »

19Ils constituent un arrière-plan sociétal décisif. La désignation est en grande partie le fait de non professionnels (cf. le rôle de la famille dans les hospitalisations à la demande d’un tiers) et de professionnels comme les policiers, les juges, les enseignants, les services d’urgences, les généralistes qui envoient la personne « troublée » à des gens « compétents ». Les représentations profanes du trouble, de la souffrance, du risque et de la sécurité, mais aussi les conceptualisations psychiatriques, les industries pharmaceutiques, les conceptions de l’ordre public, les demandes de soins, les attentes des familles pour leur enfant ou leur adolescent, participent donc de la construction des orientations pratiques en santé mentale.

Les agents de la prise en charge de la maladie mentale et de la souffrance psychique

20La prise en charge implique une activité de soin (« cure », dite aussi « activité thérapeutique ») ou le fait de « prendre soin de » (« care »), c’est-à-dire de protéger, soutenir, garder, héberger, ou, s’il s’agit d’une désignation d’un trouble potentiel, une activité de prévention. Il existe une prise en charge professionnelle hétérodoxe (voyantes, tradipraticiens et guérisseurs), profane : les amis, la famille, les supports sociaux (syndicats, groupes religieux) ; des lieux de prise en charge profanes : café, loisirs culturels (cours d’expression corporelle, ateliers d’arts), groupe d’entraide mutuelle de l’UNAFAM (Union nationale des familles et amis des malades mentaux) et de la FNAPSY (Fédération nationale des usagers de la psychiatrie). Il peut y avoir une certaine porosité entre le champ profane et le champ professionnel (cf. les dispositifs interstitiels, Demailly, 2008). La prise en charge, au sens habituel du terme, est opérée par les secteurs, ces derniers étant extrêmement divers dans leurs organisations et leurs philosophies (Coldefy, 2003 ; Roelandt, 2003) mais aussi par d’autres professionnels (psychiatres du privé, généralistes, qui sont les premiers prescripteurs de psychotropes, homéopathes, psychanalystes, psychothérapeutes). Les travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés, assistantes sociales, auxiliaires de vie, personnels des centres d’hébergement d’urgence) jouent un rôle de plus en plus explicite dans la mise en œuvre des politiques de santé mentale et les urgences hospitalières jouent un rôle central de tri.

Les agents de régulation

21Le premier régulateur de la politique de santé publique est l’État. D’abord au niveau central, avec la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), et la direction générale de la santé. La DHOS conçoit, met en œuvre et assure le suivi de la politique de tarification et de régulation financière des établissements de santé et elle est l’interlocuteur des organisations syndicales et professionnelles du secteur sanitaire et médico-social public et privé. La haute autorité de santé (HAS) diffuse des connaissances scientifiques et « normalise » les pratiques de soins par « l’évaluation scientifique » des pratiques médicales et des processus diagnostiques et thérapeutiques. Elle s’entoure de commissions techniques où les informaticiens et ingénieurs-qualité marginalisent progressivement les médecins. Ensuite, au niveau déconcentré, avec l’ARH, la DRASS et la DDASS (directions régionales et départementales des affaires sociales). L’administration déconcentrée joue un rôle essentiel dans la formulation de la politique mais aussi dans la remontée des informations, des connaissances venues des professionnels et des terrains. On peut envisager ainsi un niveau spécifique de régulations intermédiaires, faisant interagir l’administration déconcentrée, les agences publiques, les élus régionaux, départementaux et municipaux, les usagers et un certain nombre de professionnels qui s’investissent dans la direction locale des politiques publiques.

Les agents producteurs de connaissances technologiques et scientifiques spécialisées

22Les producteurs de connaissances spécialisées participent de la construction des politiques : ce sont les chercheurs (CNRS, INSERM, observatoires régionaux de santé, facultés de médecine, centres hospitalo-universitaires, industrie pharmaceutique). Si leur espace de production et d’influence est surtout national et international, il reste que certaines spécificités régionales peuvent exister autour de certains producteurs de connaissances soucieux qu’elles aient des retombées au niveau régional. Pour le Nord-Pas-de-Calais, c’est en particulier le cas, avec l’exemple du centre collaborateur OMS santé mentale (installé à Lille) et celui de la fédération régionale de recherche en santé mentale Nord-Pas-de-Calais, seule de ce type en France.

Les connaissances légitimes pour réguler l’action publique

23Pour faire une cartographie des connaissances engagées dans la mise en place de la territorialisation, il a fallu, à partir du matériel empirique obtenu (les entretiens et observations effectués sont listés en annexe), opérer un certain nombre de réductions. Nous avons tout d’abord identifié une configuration de culture professionnelle pour chaque groupe ou segment professionnel. L’investigation empirique détaillée fait apparaître une grande diversité des connaissances que possèdent les acteurs liés à la territorialisation, intérieure à chacun des groupes clés. S’il faut un certain forçage pour attribuer à un groupe une configuration de paquets de connaissances, l’opération semble généralement possible, sauf pour les psychiatres et les élus, groupes culturellement trop divisés, pour lesquels on fera apparaître deux catégories. Ensuite, nous avons identifié des « paquets » sociaux de connaissances, de domaine d’expertises. Cette réduction est nécessaire parce que les savoirs thérapeutiques se subdivisent beaucoup : l’orientation comportementaliste, que l’on pourrait croire unie dans son opposition à la psychanalyse, se divise, en fait, en deux tendances, la remédiation cognitive et l’accoutumance à l’autonomie dans la vie quotidienne. Il faut donc opérer des regroupements, les moins arbitraires possibles. Pour construire les « paquets » de connaissances, la démarche la plus pertinente a été de s’appuyer sur les discours des acteurs, en y repérant les coupures qu’ils opèrent eux-mêmes entre leurs expertises propres, les expertises reconnues aux autres, les expertises considérées comme manquantes. Les noms donnés à ces paquets de connaissance ne doivent pas être interprétés dans un sens académique : le paquet nommé « connaissances épidémiologiques » désigne un mixte de connaissances épidémiologiques simples, démographiques et socio-économiques vulgarisées, propre à approcher les besoins de santé d’un territoire.

Cartographie des connaissances des acteurs-clés

24Ce travail fait apparaître que les domaines d’expertise sont plus ou moins socialement partagés (des plus ésotériques à ceux qui se rapprochent d’un sens commun) et que les acteurs disposent, inégalement, de types d’expertise diversifiés (des acteurs les plus spécialisés à ceux qui sont plus liés à des réseaux divers). On peut identifier, dans un premier pôle, des connaissances plus ésotériques, qu’elles soient confidentielles et/ou faibles. Dans ce premier pôle, nous avons identifié trois types de connaissances :

    • 8 Mot difficilement traduisible et que je laisse donc en anglais : philosophie de l’action qui met en (...)
    • 9 Le lancement d’une recherche sur le nombre d’autistes et leur devenir dans la région se heurte à la (...)

    La connaissance gestionnaire du système de soins lui-même. C’est celle dont l’État a en quelque sorte le monopole, ce qui lui confère un avantage stratégique certain dans les jeux de pouvoir, malgré un gros déficit en données fiables. Le développement de l’évaluation devrait augmenter ce pouvoir de l’État, surtout dans l’hypothèse de l’accountability8, qui fera converger vers les gestionnaires d’énormes flux de données. Actuellement, ces savoirs sont très lacunaires9. Les outils sont lourds et opaques (Autes, Demailly, Dembinski, Belart, 2010).

  1. La pharmacie. Seuls les psychiatres, quelles que soient leurs orientations cliniques, en parlent et maîtrisent bien le sujet. Il y a là un effet de censure remarquable. Il s’agit en quelque sorte d’un pouvoir qui parvient à s’invisibiliser dans le débat public. Après la grande percée des neuroleptiques et des antipsychotiques qui avait révolutionné la pratique psychiatrique et concouru dans tous les pays occidentaux au mouvement de déshospitalisation des malades psychotiques, que ce soit en présence d’une philosophie désaliéniste (France, Italie), ou en son absence (USA), il n’y a plus eu d’innovation pharmaceutique majeure qui révolutionne les soins. Seules des innovations mineures, qui semblent surtout commerciales, ont un impact sur l’extension des désignations et des prises en charge (médicaments pour la dépression ou l’hyperactivité (Pignarre, 2001). L’imagerie médicale du cerveau et les techniques de résonance magnétique sont encore balbutiantes. Bref, l’innovation technologique, malgré certaines avancées des neurosciences, marque le pas actuellement en psychiatrie.

  2. Les connaissances cliniques des prises en charge dans la cité, autre que le centre médico-psychologique (CMP) classique. Elles sont peu développées par les psychiatres et ce sont les usagers qui sont les plus conscients de l’existence potentielle de ce domaine d’expertise et le dénoncent comme « manquant », comme le montre cet extrait d’entretien d’un membre de l’UNAFAM : « Maintenant que la psychiatrie devient ambulatoire, je pense qu’elle peut se poser aussi des questions sur l’évaluation des prises en charge. Par exemple dans les appartements associatifs. R. ne s’y prend pas de la même manière que A., ça serait intéressant de comparer ce qu’en disent déjà les usagers puis peut-être étudier leurs trajectoires. Il n’y a rien de connu là, et on aimerait bien savoir. Après, vous avez par exemple toute une recherche qui pourrait se faire sur les appartements thérapeutiques. Chaque secteur pratique ça de manière personnelle. On est certainement dans une hétérogénéité qui vaudrait le coup d’être étudiée. Chez T., la famille d’accueil thérapeutique participe au séjour de crise, ça dure trois semaines. C’est pas du tout la pratique qu’il y a à B. par exemple, où vous avez des familles où les gens peuvent rester 6 mois, un an. Il y a un gisement d’expériences dans les secteurs de psychiatrie, il faut que ça puisse être questionné et alimenter des programmes de recherche ».

25À l’autre pôle, les connaissances partagées définissent le socle d’un nouveau sens commun autour de :

  1. L’importance des savoirs « épidémiologiques » indiquant les besoins territoriaux des populations et les risques par segment de population ;

  2. La reconnaissance des impératifs de la gestion des budgets et des flux démographiques (de patients, de personnels) ;

  3. La référence aux orientations étatiques du plan santé mentale (PSM, 2005) ;

  4. La norme de la coopération et du réseau pour favoriser l’accès aux soins, leur continuité, le maintien des malades dans la ville (on peut cependant s’interroger sur l’impact réel de cette norme sur les pratiques).

26Nous aboutissons ainsi au tableau 1 (en annexe) qui connecte les groupes-clés régionaux à des paquets de connaissances (ou domaines sociaux d’expertise) dont la combinaison (en colonne) définit la configuration de culture professionnelle pour un groupe donné. Pour une meilleure visualisation, nous avons rangé les groupes des plus éclectiques d’entre eux aux plus monothématiques, et les paquets, des moins partagés (les plus ésotériques en quelque sorte) vers les plus partagés, les plus communs.

  • 10 À ne pas confondre avec les usagers individuels, plus dominés. Les associations d’usagers revendiqu (...)
  • 11 Comme la reconnaissance du « handicap psychique » et la mise en place des groupes d’entraide mutuel (...)
  • 12 Cf. discours du Président de la République sur l’hospitalisation en milieu psychiatrique, Antony – (...)

27La comparaison des groupes à connaissance éclectique et des groupes à connaissances monothématique est instructive. L’État et les associations d’usagers10 manifestent des capacités stratégiques remarquables avec une forte diversification de leurs expertises et donc la capacité à argumenter publiquement sur de nombreux fronts. Les usagers ont d’ailleurs réussi à influencer plusieurs mesures législatives ou réglementaires11. De même, la psychiatrie universitaire en raison de son expertise en biologie du cerveau qui la connecte à la recherche internationale. D’autres groupes, au contraire, apparaissent plus isolés, en position technique ou subordonnée, ayant peu d’influence sur les décisions publiques en santé mentale : c’est le cas des psychologues (comme d’ailleurs ils le reconnaissent en entretien) et celui des élus territoriaux peu impliqués qui ne cherchent pas à se mêler de ce dossier. L’État central (non présent dans le tableau), caisse de résonance de rapports de forces sociétaux, réceptacle et source d’orientations cognitives diverses, propulse l’expertise gestionnaire et manifeste une stratégie proprement politique qui se connecte avec ce que nous avons nommé dans le tableau : « sens commun à tonalité sécuritaire ». Les dernières mesures annoncées12 relèvent de cette orientation qui fétichise la sécurité.

28Qu’en est-il, dans ce tableau français, du rôle des connaissances supranationales ? Selon nos constats, l’Europe est absente du terrain régional. L’OMS n’existe dans le champ que par l’action du CCOMS-France (Lille), lequel est fort actif mais parfois professionnellement isolé. Ce qui ne veut pas dire que les acteurs régionaux soient repliés sur le cadre national, bien au contraire : ils vont chercher idées et expériences en Angleterre, Italie, Norvège et au Québec, mais selon la voie directe des réseaux d’amitié ou des connivences professionnelles. Et puis n’oublions pas l’énorme influence de la psychiatrie américaine, de son industrie pharmaceutique, et des normes académiques qu’elle diffuse.

Le paradigme épidémiologique

29Une certaine transformation globale des rapports de forces symboliques semble se dessiner autour des connaissances qui peuvent prétendre être les savoirs légitimes de la régulation et de la gouvernance. Dans le cadre de la première territorialisation, ie celle des secteurs, les savoirs thérapeutiques psychiatriques étaient ceux qui pesaient le plus dans la régulation. La philosophie clinique du médecin-chef ou de l’équipe était déterminante quant aux orientations théoriques du secteur et quant à son modèle d’organisation des soins (centration sur l’hôpital/usage du CMP comme pivot du secteur/diffusion des soins dans la cité). Tandis qu’aujourd’hui, le mixte entre connaissances épidémiologiques et connaissances gestionnaires de l’offre de soins et son coût, ce à quoi on pourrait, pour simplifier, donner le nom de paradigme épidémiologique (l’épidémiologie n’étant pas une science mais étant instrumentalisée par la gestion), est passé au poste de commande de la régulation politique. Il subordonne la clinique.

  • 13 Au niveau de la représentation nationale, ou même subnationale, les élus médecins sont souvent en p (...)
  • 14 Réunion de travail interprofessionnelle autour d’un même patient dans le cadre des réseaux Ville-Hô (...)
  • 15 Une exception : le premier congrès des équipes mobiles, Lille, mai 2008.

30Si la montée de l’esprit gestionnaire excède largement le cas de la politique de santé mentale et investit de nombreux secteurs de l’action publique, l’affaiblissement de l’intérêt pour la clinique demande explication. La subordination de la clinique est en fait possible, parce qu’elle s’est faite avec le consentement tacite de ceux qui auraient les moyens de la défendre. Plusieurs arguments expliquent cette subordination : i) certains psychiatres, comme d’autres catégories de médecins, en milieu et fin de carrière, préfèrent s’intéresser à la politique13 et, dans ce cas, délaissent la clinique ; ii) nombre d’entre eux restent fixés à une définition disciplinaire de la psychiatrie et à une clinique classique et ne s’intéressent pas à la santé mentale, et donc pas à la clinique spécifique du soin du handicap psychique ou de la souffrance psychique dans la cité ; iii) d’autres, moins nombreux, sont des innovateurs militants en santé mentale mais, entre l’invention des pratiques (telles que les « appartements thérapeutiques », les CMP « éclatés », les « consultations avancées », les « équipes mobiles d’intervention », les « intervisions interprofessionnelles »14, le travail en réseau) et la communication publique autour de ces innovations, ils n’ont plus de temps pour la recherche clinique et redoutent peut-être l’évaluation des pratiques nouvelles qu’ils mettent en place, dans une période où la légitimité de celles-ci est encore mal assurée. En tout cas, ils ne sont pas, sauf exception15, à l’initiative de débats sur les cliniques de ces nouvelles pratiques de soins. Il est également fréquent que des psychiatres refusent toute forme d’évaluation au non d’une clinique ineffable, inévaluable, d’une spécificité irréductible de la psychiatrie et d’une autonomie professionnelle sans compromis ; tandis que d’autres jugent indispensable (ou évident) de se couler dans les standards de la recherche biomédicale et pharmacologique et de son mode d’administration de la preuve (alors qu’une recherche clinique, portant sur des pratiques telles que celles évoquées par notre interlocuteur de l’UNAFAM, demanderait bien évidemment des méthodologies en partie qualitatives et des approches pluridisciplinaires sur une durée supérieure à six mois). Dès lors, la clinique reste pour eux un savoir de seconde zone dont ils acceptent la dévalorisation scientifique et symbolique.

  • 16 Par exemple les signataires de la pétition « Sauvons la clinique ».

31Bref, dans tous les cas de figure, ceux qui pourraient défendre la clinique, une clinique inventive, une clinique débattue et légitimée en preuves par une recherche spécifiquement clinique, ne le font pas et acceptent de fait, même s’ils peuvent développer des formes de résistance clandestines, la subordination de la clinique à d’autres types de savoirs. Certains acteurs estiment explicitement que cette subordination de la clinique « psy. » est un progrès pour la qualité des soins, à cause des éventuelles routinisations critiquables d’une pratique encore marquée par l’aliénisme. Les défenseurs de la nouvelle gestion peuvent faire partie de la mouvance humaniste. D’autres16 estiment que c’est une vision à courte vue. Car cela n’est pas sans effets en soi : devenant une technologie sociale ou médicale parmi d’autres, la clinique est appelée à la rationalisation, à la standardisation, à l’homogénéisation des pratiques, à l’industrialisation des organisations (spécialisation et segmentation des clientèles, division accrue du travail) (Demailly, 2005). Même si elle se réfugie dans les interstices du travail réel (par opposition au travail prescrit), sa légitimité affaiblie favorise la routine, par appauvrissement du débat public.

32Outre cet effet sur la clinique elle-même, la minimisation de sa place dans la décision en politique de santé mentale n’est pas sans risque spécifique pour cette politique. D’abord parce que la perte de valeur symbolique de la clinique comme espace d’autonomie professionnelle et d’invention personnelle ne favorise pas le renouvellement des soignants (démographie des psychiatres du public), ni celle de leurs compétences (perte de savoir-faire des infirmiers en santé mentale). Ensuite, parce que les décisions prises à l’échelon international, national ou régional, butent sur des difficultés lors de leur application. Ce n’est pas en effet par décret ni par protocole standardisé que des équipes sanitaires et des équipes du social peuvent apprendre à se coordonner et à coopérer réellement autour des patients (et avec eux) dans la ville et à montrer l’exemple de la non-stigmatisation des malades. Enfin, parce que les logiques comptables, en subordonnant la clinique, ont une pente naturelle à retraduire ses idées : la dé-hospitalisation devient réduction des coûts d’hébergement social, la simultanéité de soins et de l’accompagnement devient leur alternance, la banalisation voulue de la maladie mentale dans l’hôpital général devient le pillage du budget de la psychiatrie, etc. Le premier changement observé est donc que tout se conjugue pour l’appauvrissement des savoirs cliniques et la réduction de leur influence régulatrice sur l’action publique en santé mentale.

L’instrumentalisation des connaissances scientifiques

  • 17 « Gouverner, c’est s’appuyer sur des modèles d’action qui, de plus en plus, se drapent d’une exigen (...)

33Un deuxième changement concernant le rôle politique des connaissances affecte le rapport entre le pouvoir politique et les connaissances scientifiques. Le pouvoir politique n’est, nous l’avons dit, qu’un acteur parmi d’autres de l’action publique. La connaissance formalisée n’est qu’une partie de connaissances, et les connaissances scientifiques ne constituent qu’une partie des connaissances formalisées. Donc la question du rapport entre pouvoir politique et connaissances scientifiques est plus étroite que celle du rapport entre action publique et connaissances que nous avions traité auparavant. À cette question, on peut répondre que le pouvoir politique est de plus en plus attentif aux connaissances scientifiques, mais dans un rapport d’instrumentalisation. Il tente de se légitimer en utilisant certaines connaissances scientifiques, choisies pour leur commodité : elles semblent intouchables17, elles relèvent d’une rationalité économique et de la rationalité calculatrice, elles écartent les doutes et les débats (il faut du savoir présenté comme irréfutable), les tergiversations éthiques (qui l’embarrassent), ainsi que les savoirs du singulier (dont il ne sait que faire). Il n’existe en psychiatrie que très peu de connaissances présentant ces caractéristiques, sur le modèle de la médecine des preuves. Du coup, le pouvoir politique instrumentalise les connaissances scientifiques qui peuvent jouer le rôle de contraintes symboliques en masquant, au passage, le statut divisé et conflictuel des connaissances scientifiques en psychiatrie. Il en écarte donc certaines. Par exemple, dans les débats sur la dangerosité des malades mentaux et les risques de récidive, les travaux proprement scientifiques, prouvant qu’un malade mental a plus de chances statistiques d’être une victime qu’un criminel, sont écartés. Les connaissances effectivement utilisées sont finalement relativement simples. Elles se résument à un mixte de comptabilité, parfois à courte vue, et de données concernant la gestion de la population soignée et de ses flux, de la demande et de l’offre de services. Ces savoirs peuvent être intégrés à des outils télématiques de contrôle. Mais ils fonctionnent en partie de manière fictionnelle, avec un rapport déformé a la réalité vu tous les biais involontaires ou les distorsions volontaires introduits par les acteurs de base dans le cas des banques de données impliquant une collecte par les terrains). De plus, leur fonction de pilotage est faible : ils ne sont pas capables de prévoir ou d’aider à prévenir les dysfonctionnements sanitaires (le nombre élevé de suicides dans certaines situations par exemple).

34Dans leur utilisation pratique au cours de l’action politique, ces savoirs ne sont jamais isolés d’un substrat idéologique, d’une mise en forme rhétorique, d’un « référentiel » (Müller 2003) : les besoins de la population comme priorité, le refus du gaspillage, la recherche de qualité, les bienfaits de l’évaluation, les bienfaits de la concurrence, les bienfaits de la sécurité, les droits des victimes…Mais, dès que le contenu de ces connaissances le dérange, comme nous venons de le voir dans l’exemple de l’éventuelle dangerosité des malades mentaux, le pouvoir politique préfèrera s’appuyer sur des connaissances du sens commun, profanes ou médiatiques, qui lui apparaissent alors plus sûres pour la réussite de son action. L’anti-intellectualisme – et son corollaire le populisme – sont aussi, ne l’oublions pas, une ressource possible du pouvoir politique. Or la psychiatrie fait traditionnellement partie de l’arsenal du maintien de l’ordre public et de la paix sociale. La connaissance rationnelle est écartée si elle contredit la stratégie politique.

Quel changement du régime français de connaissance ?

35Comment modéliser les résultats obtenus quant aux contenus des connaissances ayant prétention à être les mieux à même de réguler l’action publique ? Comment opérer une montée en généralité pour rendre possible la comparaison internationale ? Comment caractériser le régime politique de connaissance, autrement dit le type de légitimité de la gouvernance qui se met en place ou, autrement dit encore, les caractéristiques de la « société de la connaissance » à la française ?

36La tentation dans les recherches internationales en sciences sociales va naturellement à la recherche de la plus grande simplicité et lisibilité. En l’occurrence, l’hypothèse la plus simple pour la synthèse et la modélisation des changements de l’action publique est d’écrire que l’on passe d’un régime bureaucratique de connaissances et à un régime post bureaucratique. Les connaissances des réseaux locaux seront classées comme post bureaucratiques, ainsi que toutes les pratiques manifestant une « bonne gouvernance », autrement dit celles où l’État se met en retrait, devient modeste, et travaille en réseau, avec des intérêts et des groupes privés, en qualité de partenaire à peine supérieur aux autres acteurs sociaux. Seront aussi classées post bureaucratiques les pratiques qui, au lieu de valoriser la règle et la conformité à la règle, tendent à faire place à une valorisation des résultats (Duran, 1999). Les différences entre pays sont alors réduites à une place sur une échelle : la plus ou moins grande capacité à sortir de la bureaucratie pour passer à la post bureaucratie. La résistance aux injonctions est dénoncée comme attachement à la bureaucratie. On peut alors « noter » les systèmes nationaux sur cette échelle, qui est, au fond, évolutionniste. L’avantage d’une telle modélisation est sa simplicité et sa lisibilité. Mais elle a un coût. Un premier coût est l’activation de tentations idéologiques au sein même du travail scientifique, ce qui est révélateur de la fragilité de celui-ci. D’un côté, des chercheurs assimilent le « post bureaucratique » au nouveau management public, à la recherche de qualité, de réactivité, de prise en compte de l’usager (en gommant totalement les questions de rapport d’influence des groupes d’usagers, la question des inégalités de santé et celle de l’orientation politique et éthique des pratiques). De l’autre, d’autres chercheurs assimilent le modernisme au néolibéralisme et à tous ses méfaits en matière de production d’inégalités. Un deuxième coût théorique est l’écrasement des distinctions analytiques et de possibles décalages entre niveaux d’analyse : les professionnalités et les connaissances sont pensées comme complètement dépendantes des types organisationnels, des modes de régulation et des injonctions qui en découlent, sans marge d’initiative possible.

  • 18 Visible dans la réunion des end users (utilisateurs potentiels de la recherche KP) organisée à Aix (...)
  • 19 Tous les pays qui s’éloignent de la bureaucratie, − la France, la Norvège, l’Ecosse, et la Hongrie (...)

37Une autre tentation serait de déclarer la modélisation impossible. L’infinie diversité du réel est tout à fait évidente au fur et à mesure que l’on se rapproche des matériaux bruts : il y a beaucoup de différence entre la façon dont la territorialisation se met en place à Aix Marseille et à Lille18. Mais, sauf à renoncer à la sociologie et à passer à la littérature, le travail sociologique n’implique t-il pas de « réduire » la diversité du réel, tout en évitant que cette réduction ne soit réductrice ? Résister à la simplification implique de distinguer des niveaux analytiques. Analyser le modernisme organisationnel ainsi que ses effets sur les systèmes de santé mentale et le rôle qu’y jouent les connaissances, implique de distinguer cinq axes d’investigation et d’analyse, en admettant la relative spécificité des logiques à chaque niveau, ce qui permet des jeux d’acteurs des décalages, des résistances et des inventions. Ces 5 axes sont : i) les professionnalités (développement de nouvelles compétences exigibles, transformation du mode de professionnalisation) ; ii) les organisations (transformation de la structure des organisations et de leur relation à l’environnement, de leur mode de gestion) ; iii) le mode de régulation (mode spécifique d’articulation ou de juxtaposition de sources de régulation de contrôle ou autonomes, hiérarchisées ou « horizontales » ; iv) le mode de construction de la légitimité (comment l’action publique se légitime t’elle, si elle s’éloigne du modèle rationnel légal classique ? ; v) les orientations, valeurs éthiques et finalités politiques (quels principes, quelles valeurs régissent la répartition des ressources matérielles et symboliques ?). Explicitons davantage les points iv et v : l’éloignement par rapport au modèle bureaucratique wébérien (déclin du règlement dans la manière de traiter les problèmes et de prendre les décisions, déclin de la légitimité de la simple conformité, attention à la qualité, à la performance et au résultat) semble pouvoir se faire dans deux directions que l’on définira ici de manière idéal-typique : post bureaucratique et néo-bureaucratique (Mendes, 2006 ; Pollitt Bouckaert, 2004). Le paradigme post bureaucratique impliquerait la prédominance de la construction d’un accord général local sur les objectifs et sur les modalités d’action, après débat public, avec un souci plus démocratique que technocratique de la qualité, un rôle important des régulations autonomes, de la participation (donc du débat ou du métissage de connaissances de toutes origines, y compris profanes). Dans le paradigme néo-bureaucratique, le débat sur les finalités tendrait à se concentrer sur la production de connaissances servant l’efficacité et l’efficience, valeurs cardinales, la construction et le respect de procédures (qui viendraient remplacer les règlements du mode de domination bureaucratique)19.

  • 20 Politique est pris ici au sens d’orientations, de finalités, de valeurs et non pas de politique pol (...)

38Un autre niveau spécifique d’ambiguïté du nouveau management public concerne les finalités politiques qu’il sert de fait. À l’intérieur de l’économie de marché globalisée, plusieurs orientations politiques20 sont compatibles avec le modernisme organisationnel ainsi qu’avec les régimes de légitimité post ou néo bureaucratique. Ces finalités influencent les commandes publiques et privées de connaissances et le financement de la recherche, elles orientent la priorité pratique donnée à certaines connaissances dans la prise de décision politique ou dans l’argumentation de celle-ci.

Tableau 2 – Mode de légitimité et régime de connaissances

Tableau 2 – Mode de légitimité et régime de connaissances
  • 21 À un pôle, de sensibilité « sociale », le but du pouvoir politique est de lutter à la racine des in (...)
  • 22 La loi du 9 septembre 2002 et la circulaire DHOS du 16 juillet 2007 prévoient que l’hospitalisation (...)

39La première tension concerne le statut de la valeur égalité21. La seconde oppose le souci de sécurité et les libertés individuelles, l’humanisme dans le soin. Le rôle de l’idéologie sécuritaire favorise la production de rapports administratifs et d’expertises qui en appellent à la perception du risque et à la dangerosité des malades. La position scientifique (exemplifiée par Anne Lovell dans le cadre du débat sur la dangerosité des malades mentaux) ne se diffuse ni dans les représentations profanes, qui ont leur propre consistance et leur propre genèse sociale, ni dans la position administrative qui, tout en euphémisant la stigmatisation, ne cesse de l’attiser par exemple en commanditant des rapports sur le sujet. La question de la sécurité déplace les alliances et les argumentations. Associations d’usagers, psychiatres traditionnels et psychiatres « communautaires » (désaliénistes) se retrouvent pour dénoncer des atteintes aux libertés et droits de l’homme avec les projets d’enfermement des délinquants sexuels post-détention, le durcissement de la sortie de l’hospitalisation d’office, la « sécurisation » de l’hôpital que les militants antialiénistes avaient réussi à ouvrir, la confusion entre hospitalisation sans consentement et dangerosité. Mais la création des UHSA22 montre que les lignes de partage passent aussi à l’intérieur des personnes ou divisent les camps de manière imprévue.

Conclusion : la territorialisation française en santé mentale comme exemple d’étatisation néo-bureaucratique

    • 23 Politique de santé mentale telle que ses promoteurs militants l’ont portée : politique de proximité (...)

    Le processus de territorialisation qui affecte actuellement les politiques publiques de santé mentale en France présente des aspects complexes, ambigus, encore incertains quant à leur dessin final, mais on peut risquer à leur propos la thèse d’un phénomène d’étatisation néo-bureaucratique. Étatisation avec décentralisation et déconcentration certes, mais montée de l’État comme agent régulateur, à côté des agents privés qui offrent des biens et des services sur le marché des soins, et avec un relatif déclin de la régulation professionnelle. Par rapport au marché, à l’État de droit et aux experts mondialisés, le modèle professionnel perd de sa légitimité, comme trop fermé (et donc antidémocratique et somme toute « ringard ») malgré ses tentatives pour s’adapter. Cela se traduit en termes de connaissances, l’État (déconcentré) devenant le principal producteur, gardien, bibliothécaire et utilisateur de connaissances, aux dépens des professionnels. Les ARS vont faire converger en un même point, dans des organisations relativement lourdes, les expertises des services déconcentrés de l’État jusque là émiettés, mais aussi celle des puissants médecins conseils de la Sécurité sociale. Elles sont censées réguler non seulement les services psychiatriques, mais aussi, de manière plus légère, le privé associatif du médico-social, la médecine libérale de ville, et mobiliser les élus, les associations d’usagers. La logique est alors celle d’un aménagement du territoire, sur un périmètre de 4 millions d’habitants ou plus, lui même découpé en sous-régions −les « territoires de santé » d’environ 300000 habitants − sur la base d’une expertise en épidémiologie pour identifier les « besoins » des populations, avec ciblage des populations à risque. Le secteur23 n’y est plus qu’une survivance. L’offre de soins est pensée de plus en plus de manière intersectorielle, mobile, voire hiérarchisée, car la gestion de la santé mentale est « attirée » par le modèle du territoire en MCO (médecine, chirurgie, obstétrique). Par ailleurs, l’ARH entreprend discrètement de lutter contre l’hétérogénéité clinique des secteurs psychiatriques (par exemple inciter vivement les secteurs trop exclusivement marqués par la psychanalyse à offrir davantage de rééducation comportementaliste) et donc limiter l’autonomie médicale (sur ce point en accord avec l’UNAFAM, associations des familles de patients). Alors que la première territorialisation s’articulait à un rôle discret de l’État en matière de santé mentale, une multiplicité de citadelles médicales psychiatriques autonomes, un rôle important des savoirs thérapeutiques cliniques, des organisations artisanales et polyvalentes, l’État déconcentré et décentralisé de la seconde territorialisation est fort et centralisateur. Il prend pour objet la santé mentale plutôt que la psychiatrie dans une logique de santé publique, et capte une expertise qui dédaigne les savoirs cliniques pour plutôt traiter de grands nombres, donner la priorité à l’épidémiologie, gérer des populations statistiquement segmentées en groupes en danger et/ou dangereux. Le sens global de la nouvelle articulation, en terme de modes de régulation et de pouvoir est, ici comme dans d’autres secteurs de la société française, la montée conjointe, néo-bureaucratique, de l’État et du marché, le déclin corrélatif de la régulation professionnelle (le déclin du pouvoir médical exclusif en l’occurrence, déclin que certains citoyens ou certains médecins appellent et que d’autres déplorent), et l’instrumentation du pouvoir par de puissants outils de gestion procéduraux visant des populations. La « société de la connaissance » à la française apparaît ainsi, à travers l’étude du cas de la santé mentale, de style néo-bureaucratique, accordant la priorité pour sa propre régulation aux connaissances procédurales et de contrôle des flux et des risques.

  1. À la puissance de calcul, elle joint une réflexivité faible. De nombreux outils d’évaluation ou de description du travail sont peu consensuels, mais leur technicité (et le manque de volonté politique) les met à l’abri du débat démocratique. Par ailleurs, de nombreuses connaissances apparaissent « manquantes » sur les terrains, alors qu’elles seraient nécessaires pour le pilotage des établissements. La rationalisation attendue des organisations et des pratiques ne suit pas. Par exemple, la Haute autorité de santé s’attaque à la question de l’élaboration de « bonnes pratiques » en psychiatrie. Mais c’est méthodologiquement difficile de construire des évaluations rigoureuses : que vaut une évaluation à six mois, par exemple, qui n’envisage pas les rechutes ? D’autre part, en rester à un point de vue technique et ne pas tenir compte des questions éthiques aboutit à des décisions contestées : à quoi sert de produire une « bonne pratique » de la contention ou un protocole de la mise à l’isolement, si toute une série de médecins-chefs désaliénistes sont opposés par principe à ces pratiques qu’ils voudraient éradiquer ? Les tentatives de rationalisation par articulation des connaissances et des décisions rencontrent ainsi bien des obstacles.

    • 24 Nous avons observé plusieurs innovations qui ne pouvaient être présentées dans le cadre de cet arti (...)
    • 25 Par exemple, les travaux de la Fédération de recherche en santé mentale du Nord-Pas-de-Calais assoc (...)

    Il ne faudrait pas penser la société de la connaissance néo bureaucratique comme monolithique. Même si cet article n’a pu leur donner leur juste place (cela relèverait d’un autre texte), il ne faut pas oublier que des lieux d’initiative historique et de créativité institutionnelle se déplacent : ceux que nous avons observés, que ce soit dans le champ de l’éducation ou celui de la santé mentale, sont maintenant quasi exclusivement interprofessionnels, partenariaux et en alliance avec des usagers24. Le rôle des usagers dans la production directe des connaissances (même si elles ne sont pas forcément bien formalisées) et dans l’appel à la production des connaissances est croissant. Ce rôle implique des débats et ceux-ci invitent à une non-routinisation des pratiques de soins et d’accompagnement. Que les connaissances rationnelles vraiment utiles soient encore en grande partie « manquantes » et qu’elles restent à construire, des acteurs locaux en prennent conscience et essaient de se constituer en producteurs collectifs de connaissances25. Ces capacités d’initiatives échappent au modèle néo-bureaucratique par leurs caractéristiques inter- professionnelles, interdisciplinaires et partenariales (professionnels/usagers). Et, fait nouveau, elles se développent dans des réseaux qui ne sont plus formatés dans un cadre national, mais qui sont conjointement locaux, nationaux et internationaux.

Haut de page

Bibliographie

Akrich M., Callon M., Latour B., 1988, « L’art de l’intéressement. L’art de choisir les bons porte-parole », Annales des Mines, Gérer et comprendre, n° 12, 14-29.

Autès M., 2005, « Proximité et démocrate. Une adéquation incertaine », Informations sociales, 2005/1, n° 121, 46-55.

Autès M., Demailly L., Dembinski O., Belart C., Larde Ph., 2010, Les outils de régulation de l’action publique en santé mentale en France : outils gestionnaires et outils statistiques, Rapport D13 France santé, Knowandpol, Commission Européenne/CLERSE.

Biarez S., 2004, « Une politique publique : la santé mentale (1970 – 2002) », Revue française d’administration publique, n° 11, 517-531.

Bourdieu P., 1994, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil.

Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil.

Cantelli F., Jacob S., Genard J.-L., de Visscher C., (dir), 2006, Les constructions de l’action publique, Paris, L’Harmattan.

Codelfy M., 2007, « La prise en charge de la santé mentale », Etudes et statistiques, La documentation française.

Commaille J., 2004, « Sociologie de l’action publique », in L. Boussaguet, S. Jacquot et P. Ravinet (éd.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris : Sciences-Po Les Presses, 413-421.

Commaille J., Jobert B., (dir.), 1998, Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : Librairie générale de droit et de jurisprudence.

Crozier M., Friedberg E., 1977, L’acteur et le système : Les contraintes de l’action collective, Paris, Editions du Seuil.

Delvaux B., Mangez E., 2009, Towards a sociology of the knowledge-policy relation, Integrative report Knowandpol, Commission européenne/Université Louvain La neuve.

Demailly L., 2008, Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et des activités professionnelles relationnelles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Demailly L., Chéronnet H., Mossé Ph., 2009, L’usage des connaissances dans la construction de l’action publique : La territorialisation de la politique de santé mentale, Rapport D10 France santé, Knowandpol, Commission Européenne/CLERSE, LEST.

Demailly L., Delabroise P., 2009, Les enjeux de la déprofessionnalisation. Études de cas et pistes de travail, Socio-logos n° 4.

Gaudin J.-P., 2002, Pourquoi la gouvernance ?, Paris, Presses de Sciences Po.

Hildreth P-.J., Kimble C., 2002, « The duality of knowledge », Information Research, 8(1), paper no. 142, [https://InformationR.net/ir/8-1/paper142.html]

Howlett M. et Ramesh M., 2003, Studying public policy. Policy cycles and policy subsystems, Oxford University Press.

Ihl O., (dir.), 2006, Les ‘sciences’ de l’action publique, PUG.

Kervasdoué D. et al., 2007, « Territoires en santé mentale : du décloisonnement au partenariat », Pratiques Sociales, n° 1, 1-71.

Kosa I., Maury C., Mélotte A., Mossé Ph., Ozga J., Schoenaers F., 2008, Knowledge and Policy in Education and Health. Challenging State legitimacy in 8 European countries: facts and artefacts, Integrative report, Knowandpol, Commission européenne.

Lam A., 2000, « Tacit knowledge, organizational learning and societal institutions: an integrated framework », Organization studies, 21/3, 487-513.

Lovell A., 2005, Rapport de la commission « Violence et santé mentale », Travaux préparatoires à l’élaboration du Plan Violence et Santé en application de la loi relative à la politique de santé publique du 9 aout 2004.

Massé G., Vigneron E., 2006, « Territorialité et santé mentale », Pluriels, n° 60, juillet.

Maury C., Mossé Ph., Daumerie N., Roelandt J.-L., Politiques et acteurs : Vers une administration ouverte, Rapport D6, La santé mentale en France, Knowandpol, Commission européenne/ LEST, CCOMS-EPSM.

Mendes J., 2006, « La réforme du système administratif portugais : new management public ou état néo-wébérien », Revue française d’administration publique, n° 119/2006/3.

Muller P., 2003, Les politiques publiques, Paris, PUF.

Offner J-M., 2006, « Les territoires de l’action publique locale. Fausse pertinence et jeux d’écarts », Revue française de science politique, vol 56, n° 1, février, 27-47.

Pignarre P., 2001, Comment la dépression est devenue une épidémie ? Paris, La Découverte.

Pollit C., Bouckaert G., 2004, Public Management Reform. A comparative Analysis, Oxford University Press.

Reynaud J.-D., 1997, Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin.

Vrancken D., Schoenaers F., Mélotte A., 2009, An experimentation: the therapeutic projects, D10 Belgique santé Reconfigurations of the Belgian health sector, Knowandpo, Commission européenne/ U. Liège.

Documents de travail

Couty E., 2009, Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie, Rapport présenté à Madame Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la santé et des sports, Établi par Monsieur Edouard Couty, Conseiller Maître à la Cour des Comptes, 29 janvier.

Michel H., (dir.), 2008, le rôle des élus dans l’organisation de l’offre de soins. L’exemple des conseillers régionaux et des présidents de conférence sanitaire de territoire de la région Nord-Pas-de-Calais, Module interprofessionnel de santé publique, EHESP, 30 p, Multig.

Mission nationale d’appui en santé mentale, 2008, « Le CMP, unique ordonnateur de soins, le CMP pivot du secteur ? », Pluriels, n° 68, octobre, 1-4.

Haut de page

Annexe

Tableau 1 – Paquets de connaissance et acteurs-clés de l’action publique en santé mentale au plan régional

Tableau 1 – Paquets de connaissance et acteurs-clés de l’action publique en santé mentale au plan régional

Tableau 2 – Typologie des connaissances de Lam (2000)

Tableau 2 – Typologie des connaissances de Lam (2000)

Source : cf. note 5.

Annexe méthodologie du D10 France

Au niveau national : travail documentaire, entretiens avec 4 acteurs nationaux, dont Mr Couty, utilisation des acquis du rapport D6 (acteurs nationaux et région PACA)

Étude détaillée sur la Région Nord Pas de Calais
Entretiens enregistrés : 6 directeurs de centres hospitaliers, 15 médecins-chefs de secteur, 4 responsables administratifs régionaux, dont le directeur de l’ARH2 coordonnateurs du plan régional de santé publique et un référent des programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins, 2 représentants des associations d’usagers, 5 professionnels (psychologues, infirmiers psychiatriques, directeur de centre social), 2 professeurs de CHU, 1 membre du Centre collaborateur OMS-santé mentale, 10 élus municipaux (maires ou adjoints à la santé), 1 élu régional.
Cinq études de cas (observations, discussions, documentation, séances enregistrées) ont été réalisées sur les argumentations déployées autour d’événements significatifs ou d’inflexions significatives :

  1. Le double meurtre de l’Hôpital de Pau (assassinat de deux soignants par un ex-patient) événement local largement médiatisé au niveau national, tant par la presse que par le ministre ;

  2. Le virage sécuritaire de la politique nationale et sa mise en forme locale : les ambiguïtés des acteurs autour de la création d’une UHSA dans la région lilloise ;

  3. Une innovation locale d’envergure nationale en matière de territorialisation : Les équipes mobiles et leur premier Congrès à Lille ;

  4. Une innovation locale : la Fédération régionale de recherche en santé mentale 59-62 ;

  5. Une avancée d’origine nationale et sa mise en forme locale : la modification du rôle des usagers et la création des GEM (groupes d’entraide mutuelle).

Haut de page

Notes

1 Action publique au sens de Commaille (2004) et donc en considérant que l’État n’est qu’un acteur parmi d’autres du processus politique, dans lequel interviennent des acteurs privés, la société civile (Cantelli et al., 2006).

2 « Knowledge and policy », 6e PCRD Commission Européenne, coordinateurs Bernard Delvaux, Eric Mangez, Cerisis, U. Louvain la neuve. Douze équipes de recherche au total, dont cinq travaillent sur la santé mentale : Belgique, France, Écosse, Norvège, Hongrie. Merci à Hélène Chéronnet CLERSE-Lille et Philippe Mossé LEST-Aix Marseille.

3 Ce terme est difficilement traduisible, mais bien utile car il ne limite pas les « faiseurs de politiques » aux décideurs formels.

4 Par exemple la connaissance de la souffrance au travail.

5 Selon la typologie des connaissances de Lam (2000) et notre traduction. Voir Tableau 2 dans les documents de travail.

6 C’est particulièrement flagrant chez les 10 élus locaux interrogés, quelle que soit leur couleur politique : leur information sur la politique de santé mentale est faible et leurs représentations très dépendantes des « hasards » des expériences personnelles (maladie d’un proche…).

7 On peut reprendre ici la distinction introduite par Michel Autès (1995) entre politiques territorialisées descendantes mobilisant le territoire comme lieu d’une mise en œuvre (que l’on espère plus ajustée) et des politiques territoriales construites de manière ascendante depuis les territoires . Cf. également Castel (1995).

8 Mot difficilement traduisible et que je laisse donc en anglais : philosophie de l’action qui met en avant le fait de devoir de rendre systématiquement des comptes ; ne traduction rapide pourrait être : l’évaluation généralisée.

9 Le lancement d’une recherche sur le nombre d’autistes et leur devenir dans la région se heurte à la grande variabilité des méthodes de diagnostic. Les praticiens chercheurs prennent conscience que certains confrères refuseront de répondre à la question pour ne pas assener des diagnostics dont eux-mêmes ne sont pas assurés. La discussion soulève aussi le problème de la montée en flèche du nombre d’autistes dans les statistiques nationales depuis plusieurs années et suspicion est jetée sur les systèmes de classification et leur caractère très relatif. L’idée de mener une comparaison des chiffres obtenus par les pédopsychiatres et de chiffres qu’on pourrait obtenir en faisant repasser aux enfants un examen standardisé est vivement refusée. Le débat aboutit au fait qu’il faut faire d’abord une enquête sur les méthodes de diagnostic utilisées dans la région et qui sont en fait non connues au sein même du milieu professionnel, avant de pouvoir faire une étude du devenir des enfants autistes (cf. observation au conseil scientifique de la Fédération régionale de recherche en santé mentale 59-62, 2008).

10 À ne pas confondre avec les usagers individuels, plus dominés. Les associations d’usagers revendiquent une expertise profane et commanditent aussi des études et recherches.

11 Comme la reconnaissance du « handicap psychique » et la mise en place des groupes d’entraide mutuelle, deux mesures impliquant des dépenses publiques.

12 Cf. discours du Président de la République sur l’hospitalisation en milieu psychiatrique, Antony – mardi 2 décembre 2008, <http://www.psychiatrie-desalieniste.com/Sinistre-2-decembre-2008.html>. « Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière pour empêcher le passage à l’acte. Et vous savez fort bien, mieux que moi, que les patients dont l’état s’est stabilisé pendant un certain temps peuvent soudainement devenir dangereux ».

13 Au niveau de la représentation nationale, ou même subnationale, les élus médecins sont souvent en position de quasi monopole dans les débats. De même l’expertise politique dans le domaine de la santé (les « rapports » auprès du gouvernement) est quasi exclusivement confiée à des médecins.

14 Réunion de travail interprofessionnelle autour d’un même patient dans le cadre des réseaux Ville-Hôpital

15 Une exception : le premier congrès des équipes mobiles, Lille, mai 2008.

16 Par exemple les signataires de la pétition « Sauvons la clinique ».

17 « Gouverner, c’est s’appuyer sur des modèles d’action qui, de plus en plus, se drapent d’une exigence d’objectivité », se parent d’une image de scientificité, Ihl, 2006.

18 Visible dans la réunion des end users (utilisateurs potentiels de la recherche KP) organisée à Aix par Philippe Mossé, dans les réactions des représentants de L’ARH de PACA au récit des mises en œuvre de celle du Nord.

19 Tous les pays qui s’éloignent de la bureaucratie, − la France, la Norvège, l’Ecosse, et la Hongrie dans l’échantillon KP) − ne le font pas de la même façon : la Norvège et l’Ecosse s’orientent vers des systèmes post bureaucratiques. Par ailleurs, tous les pays ne viennent pas d’un point de départ qui serait un système bureaucratique. Ainsi, la Belgique, à partir d’un état initial de total cloisonnement de ses (riches) équipements privés en santé mentale est en train de réinventer le secteur (Vranklen et al., 2008) et la bureaucratie classique.

20 Politique est pris ici au sens d’orientations, de finalités, de valeurs et non pas de politique politicienne représentée par la dite « gauche » et la dite « droite ».

21 À un pôle, de sensibilité « sociale », le but du pouvoir politique est de lutter à la racine des inégalités, lesquelles sont « naturelles » dans une économie de marché ; la conception des services publics, c’est-à-dire des services qui sont dérogatoires du droit commun, est large, en extension et en intension. Au second pôle, néo-libéral, le but du pouvoir politique est de permettre l’enrichissement d’acteurs privés et d’accroître leur poids dans la décision politique ; il ne lutte pas contre les inégalités à leur racine, il met l’Etat au service de l’élargissement du marché, de l’amenuisement des services publics en tant que dérogatoires au droit commun et corrige après coup, par des politiques sociales, la pauvreté la plus criante qui menace le lien social et l’ordre public. Les réformes et les restrictions budgétaires qui frappent la psychiatrie publique comme le reste de la santé, la mise en place de la tarification à l’acte laissent penser à un virage néo-libéral, qui inquiète aussi bien les soignants que les cadres administratifs intermédiaires de l’Etat.

22 La loi du 9 septembre 2002 et la circulaire DHOS du 16 juillet 2007 prévoient que l’hospitalisation avec ou sans consentement des personnes détenues atteintes de troubles mentaux se ferait dans les établissements de santé, au sein d’unités spécialement aménagées (UHSA) : la sécurité du personnel et celle de la société − empêcher les évasions de détenus − constituent le premier argument ; la possibilité d’hospitalisations pour des personnes fréquemment malades et mal soignées, le second. La création des UHSA suscite des débats idéologiques, éthiques, politiques, une concurrence des expertises.

23 Politique de santé mentale telle que ses promoteurs militants l’ont portée : politique de proximité, de présence dans la ville, voire dans les quartiers, demande l’association d’élus « Elus, Santé Publique & Territoires », de polyvalence d’action du réseau local de soignants et d’accompagnants.

24 Nous avons observé plusieurs innovations qui ne pouvaient être présentées dans le cadre de cet article : consultations psychiatriques dispersées dans la ville dans un secteur, équipes mobiles pour adolescents, groupes d’entraide mutuelle des usager

25 Par exemple, les travaux de la Fédération de recherche en santé mentale du Nord-Pas-de-Calais associent les usagers.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 – Champ social, décision politique et connaissances
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/2766/img-1.png
Fichier image/png, 88k
Titre Tableau 2 – Mode de légitimité et régime de connaissances
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/2766/img-2.png
Fichier image/png, 77k
Titre Tableau 1 – Paquets de connaissance et acteurs-clés de l’action publique en santé mentale au plan régional
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/2766/img-3.png
Fichier image/png, 46k
Titre Tableau 2 – Typologie des connaissances de Lam (2000)
Légende Source : cf. note 5.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/2766/img-4.png
Fichier image/png, 11k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Lise Demailly, « Connaissances et action publique »Sciences de la société, 79 | 2010, 57-81.

Référence électronique

Lise Demailly, « Connaissances et action publique »Sciences de la société [En ligne], 79 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2017, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2766 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.2766

Haut de page

Auteur

Lise Demailly

Professeur de sociologie, CLERSE-CNRS, Université Lille 1, MESHS 2 rue des canonniers 59800 Lille, lise.demailly[@]univ-lille1.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search