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Retour d’experience sur l’expertise médicale ordonnée par le juge projet

Feedback on forensic medical examinations ordered by the case judge
Retorno de experiencia sobre la peritación médica ordenada por el juez del proyecto
Jacques Desbordes et Sandrine Mercier
p. 27-37

Résumés

Les établissements publics de santé sont des lieux d’expertise, et leurs praticiens participent à de nombreuses expertises médicales. Pour cette activité particulière, pour laquelle ils ne sont pas formés, les professionnels peuvent s’appuyer, de part l’organisation du chru de Lille, sur la compétence d’un juriste. La finalité de cette réunion expertale est toute particulière puisqu’il s’agit de vérifier que les pratiques soignantes répondent aux règles de l’art et d’apporter un outil essentiel pour trancher le litige. Cette expertise est de fait plurielle. Paradoxalement chaque acteur a un objectif distinct voire parfois contradictoire avec ceux des autres parties. Néanmoins, cette réunion est un espace d’échange et d’enrichissement des connaissances, échanges qui doivent aboutir à un consensus au service de la légitimisation de la décision. L’acceptation de la décision conditionne la confiance en notre système judiciaire et sa crédibilité.

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Texte intégral

1La pratique de l’expertise individuelle ou collective est omniprésente au sein d’un établissement de santé tel que le Centre hospitalier régional universitaire de Lille (chru), tant dans son activité de soins, de recherche que de formation. Parmi ces activités d’expertise, l’établissement en sa qualité de personne morale peut être amené à participer aux expertises médicales ordonnées par le juge administratif dans le cadre de l’engagement de sa responsabilité administrative. Ce même établissement peut aussi être civilement responsable dans le cadre de la réparation d’un dommage. C’est sur ce point particulier que portera ce retour d’expérience à partir de la collaboration entre un juriste et un praticien en anesthésie réanimation en chirurgie cardio-thoracique et vasculaire.

2Le chru, de par l’organisation de sa délégation aux affaires juridiques favorise la collaboration entre les juristes et les professionnels médicaux et paramédicaux, une collaboration primordiale dans la gestion du contentieux médical dont l’expertise est le centre.

3Cette expertise est une mesure d’instruction consistant pour le juge à recueillir l’avis d’un spécialiste pour l’éclairer sur une question de fait qui requiert les lumières d’un professionnel.

  • 1 Conditions de gravité : un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur (...)

4Dans le domaine de la réparation d’un préjudice corporel suite à un acte médical fautif, les commissions de conciliation et d’indemnisation (cci) créées par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi n° 2002-303) dite loi Kouchner sont compétentes, sous certaines conditions de gravité1 et pour les actes postérieurs à 4 septembre 2001, pour traiter des accidents médicaux fautifs ou non. Leur procédure rejoint celle des juridictions judiciaires ou administratives notamment dans la désignation d’un médecin expert inscrit sur la liste des experts auprès des cours et tribunaux.

5L’expertise médicale ordonnée par le juge consiste donc à faire évaluer par un médecin expert les pratiques des professionnels de santé mis en cause afin de savoir si elles sont conformes aux « règles de l’art » en l’état actuel de la science, et s’appuient sur les recommandations émanant d’autorités reconnues telles que les sociétés savantes ou la Haute Autorité de Santé. L’expertise s’attache à examiner également l’organisation qui dispense les soins. Ce volet de l’expertise rejoint un problème majeur qui sera développé plus loin, celui de la compétence de l’unique expert médical pour évaluer cette organisation.

6La compréhension et donc l’acceptation du rapport d’expertise par les différents professionnels impliqués dans la prise en charge et par les patients sont primordiales. Elles participent d’une part à la responsabilisation des acteurs de santé et à l’amélioration des pratiques professionnelles, d’autre part à maintenir la confiance des usagers quant au respect d’un de leurs droits fondamentaux: le droit de recours renforcé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi n° 2002-303), relative aux droits des malades et notamment à la qualité de la prise en charge. La crédibilité de la décision de justice rendue à la suite de l’expertise représente l’enjeu suprême de cette acceptation. Comment parvenir à cet objectif d’acceptation, et quel est le rôle du binôme médecin-juriste dans cette démarche?

7Avant de nous interroger tout d’abord, sur la place de celui que nous nommerons Référent Institutionnel en Expertise (rie), du juriste puis de celle de l’expert désigné, et des évolutions préconisées pour l’amélioration de l’acceptation de son rapport, il est nécessaire de préciser le positionnement, la compétence de chacun des acteurs de cette réunion afin d’appréhender au mieux les conditions nécessaires à la poursuite de cet objectif.

L’expertise médicale ordonnée par le juge: une expertise collective

8L’expertise médicale ordonnée en justice oblige à la rencontre d’univers différents, avec des intérêts pluriels parfois divergents, dans un objectif commun mobilisant des savoirs qui ne sont ni partagés par tous, ni accessibles à tous au premier abord.

Les cinq mondes

9Bien que dans la pratique cette configuration soit rarement rencontrée, la réunion expertale peut réunir cinq catégories d’acteurs: le patient, l’expert, l’établissement ou le professionnel mis en cause, son assureur, et les avocats. Avant d’envisager le rôle de chacun d’eux, nous nous attacherons à celui l’établissement de santé mis en cause.

Le point de vue du mis en cause: le praticien hospitalier

10L’expertise médicale est une pratique incontournable de l’exercice de la profession de médecin. De l’expérience, il ressort que les praticiens hospitaliers ont des difficultés à s’approprier cet exercice et leur participation aux réunions expertales mériterait d’être davantage développée car leur présence y est active. Les raisons pouvant expliquer cette situation sont multiples et il est difficile de les prioriser. Citons toutefois parmi les plus fréquemment constatées ou exprimées, la difficulté de certains professionnels médicaux à admettre la situation d’échec thérapeutique relevant d’un accident médical fautif ou non. Les médecins confrontés parfois à l’agressivité du patient et/ou de ses ayants droit, partagent avec leur juriste leur sentiment d’ « avoir été jeté dans la fausse au lion », sentiment variable en fonction de la capacité de distanciation du professionnel et de son implication dans la prise en charge. L’absence de visibilité ou l’ignorance de l’impact de ces procédures contentieuses sur la prime du contrat d’assurance de l’établissement est aussi un des facteurs liés à la faible mobilisation des praticiens dans l’expertise. L’absence de connaissance juridique et de formation à cet exercice est un autre élément explicatif. Enfin, la gestion de l’agenda professionnel et le contexte de tarification à l’activité sont un frein à s’engager dans ce type de démarche dont la valorisation n’est qu’indirecte et difficile à évaluer précisément.

11A partir de ce constat, différents axes ont été mis en œuvre afin de favoriser la participation des praticiens de l’établissement aux réunions expertales. Ainsi, en lien avec l’assureur de l’établissement, il a été donné aux praticiens la possibilité d’être accompagnés d’un avocat pour la tenue de l’expertise. La présence de ce dernier ayant pour objectif de suppléer le médecin lors de l’approche purement juridique de la conclusion de la réunion d’expertise, de recadrer si nécessaire les interventions virulentes de la victime directe ou collatérale et d’accompagner humainement le médecin dans ce qui peut être vécu comme une épreuve. Les médecins conseils de l’assureur et les praticiens hospitaliers ont été invités à davantage préparer ensemble l’expertise.

12Au sein de l’établissement, l’intervention des correspondants aux affaires juridiques (caj) dans l’accompagnement des médecins a été renforcée. Il leur appartient de mobiliser au travers d’une sensibilisation au contentieux médical les différents acteurs internes à l’établissement, de coordonner les différents acteurs de la prise en charge et de cibler avec leur collaboration et celle du médecin de l’assurance les points qui pourraient être particulièrement discutés en expertise. Dans cette démarche de sensibilisa­tion, une présentation annuelle des contentieux et mécontentements a été systématisée sur l’ensemble des pôles d’activités. Un temps d’échange direct avec les acteurs de notre assureur a été organisé au sein de l’établissement.

13Au sein de la clinique de chirurgie cardio-thoracique et vasculaire, ce travail de préparation associé aux différentes contraintes évoquées précédemment nous a amené l’émergence d’un rie. Son rôle est de donner à l’expert les explications techniques sur les choix des praticiens qui pourraient porter à débat. Sa présence témoigne au patient la « non indifférence », le « non abandon » de l’équipe médicale à la situation qu’il connait. Elle démontre également aux experts et à l’assureur, l’implication et donc l’appropriation du contentieux par l’équipe médicale. Certains experts ont confirmé au rie l’importance de sa participation à l’expertise de préférence ou à défaut des praticiens concernés.

A chacun son rôle. Les avocats : les défenseurs ; le médecin de l’assureur : le financeur ; le patient : le naïf ; l’expert : l’évaluateur des causes et préjudices

14La présence des avocats lors de l’expertise médicale est rare. Qu’il s’agisse de l’avocat du plaignant ou du mis en cause, leur participation à cette étape préliminaire à la décision n’apporte pas une plus value essentielle. Leur compétence est, en revanche, requise lors de l’audience ou de la réunion décisionnelle de la cci en cas de désaccord de l’une des parties avec la conclusion du rapport de l’expertise soit dans son aspect technique – il préparera sa défense en collaboration avec un médecin – soit dans la qualification juridique de la faute retenue.

15Le médecin de l’assurance est en charge de défendre les intérêts de l’assureur, cette mission l’amène donc aussi à défendre l’assuré. A ce stade, les valeurs éthiques de ces deux partenaires se rejoignent et que s’il ne leur appartient pas de mettre en évidence les éventuels dysfonctionnements, chacun des contractants assume les responsabilités repérées et ne se sont pas fixés pour objectif « de défendre l’indéfendable ».

16Le patient (ou ses ayants droit) attend de la procédure une reconnaissance du statut de victime qu’il estime légitime au regard du vécu de sa prise en charge, élément déclencheur de la procédure tout comme la réparation financière du préjudice qu’il a subi. Ce positionnement s’inscrit dans un contexte sociétal qui tend à refuser le risque et à chercher un responsable à toutes les situations.

17Le rôle de l’expert est donc d’évaluer les pratiques des professionnels. Pour remplir cette mission, il peut s’adjoindre, ou devrait s’adjoindre, la collaboration d’un ou plusieurs sapiteurs dans les prises en charge complexes relevant de compétences plurielles. S’il est fréquent dans le cadre de suspicion d’infections nosocomiales, qu’il mène son expertise en collaboration avec un médecin hygiéniste, de notre expérience, l’expertise n’a jamais réuni un médecin expert en chirurgie suppléé d’un médecin en anesthésie réanimation, expert scientifique de la gestion de la phase péri-opératoire de la prise en charge qui peut être, autant que l’acte chirurgical en lui-même, responsable du dommage.

18Au-delà de cette mission, l’expert se trouve de fait, peut être malgré lui, et peut être sans en avoir complètement conscience, investi d’une mission supérieure qui comprend un certain paradoxe.

La finalité de l’expertise

19Un objectif en apparence paradoxal dont l’atteinte nécessite des savoirs différents et appropriation minimale plus importante pour le malade.

Un objectif caché à la charge de l’expert

20L’expertise s’apparente à une expertise collective puisqu’elle réunit plusieurs acteurs avec des connaissances différentes qui s’enrichissent mutuellement.

21L’expert, c’est-à-dire le médecin inscrit sur la liste des experts des cours et tribunaux, désigné par la cci qui doit rendre un avis, ou par la juridiction qui doit rendre un jugement, est l’animateur de cette rencontre.

22Si de toute évidence, la tenue de cette expertise est collective et participative, il n’en est pas moins vrai qu’une vérité s’impose dans un premier temps: celle de la conclusion des experts désignés. C’est au regard de l’enjeu de la crédibilité de la décision de justice qui sera rendue ensuite que ce dernier se doit de parvenir à l’issue des débats à un consensus. La réunion expertale se doit donc d’avoir pour double objectif de mener une conciliation tout en se positionnant sur la requête du plaignant. Au-delà de sa compétence médicale et ses connaissances juridiques que nous développerons ultérieurement, l’expert se doit de mobiliser un savoir être et d’autres compétences.

23Le patient attend de la part de chacun, mais plus encore de l’expert, de la compassion indispensable pour répondre à son besoin de reconnaissance de sa qualité de victime. L’attention de l’expert à l’analyse des réactions des participants est indispensable pour lui permettre un ajustement en temps réel afin que cette réunion soit bien vécue par les principaux intéressés: le patient et le médecin mis en cause.

24Le temps dédié à l’expertise est aussi un élément important, il convient que les parties aient le sentiment d’avoir pu s’exprimer et d’avoir été écouté. Le partage des savoirs doit faire partie intégrante de la stratégie de l’expertise, impulsée voire imposée si nécessaire par l’expert.

25L’argumentation développée par chacun des membres doit être rendue accessible à tous. A défaut il revient à l’expert d’y veiller, cela fait appel à ses quali­és ou ses acquis en matière de communication, de reformulation et de pédagogie. L’objectif est que le patient à l’issue de la réunion d’expertise n’ait pas le sentiment, déjà bien ancré dans la société et largement exprimé par les usagers auprès du caj, soit en amont, soit à l’issue de la conclusion du rapport d’expertise si ce dernier n’est pas en leur faveur, que « les loups ne se man­gent pas entre eux ». Cette impression favorise le recours contre l’avis, ou contre la décision, rendu par les autorités en charge de se positionner sur le litige à la suite de l’expertise. Il en va de même pour le médecin mis en cause ou le rie qui ne doivent pas éprouver le sentiment d’une instruction à charge.

Le savoir du patient

26Le patient n’a pas obligatoirement de prérequis en terme de connaissance médicale ou juridique. Il ne s’appuie que sur sa propre expérience et son ressenti. Ces éléments ne peuvent être considérés autrement que comme une réalité, sa réalité, il convient donc que la réunion expertale lui apporte les explications nécessaires pour modifier sa perception de la situation au vue d’éléments objectifs. Celle-ci s’avère plus complexes quand le patient ne se reconnait pas comme naïf. Ce phénomène est démultiplié depuis le développement de la technologie et l’accès à internet. La fréquentation de sites de malade en difficulté mène parfois à l’identification de situation qui, si elles répondent à un ressenti identique, repose sur une problématique médicale différente. Le risque est alors la désillusion du patient sur les conclusions de l’expertise.

27Le rapport des non médecins avec la science médicale aboutit à une dichotomie entre l’analyse scientifique des pathologies souvent exprimée en pourcentage de guérison ou de survenue de complication et la réalité de chaque cas pris individuellement. L’acte médical s’il est éminemment scientifique, relève aussi en grande part d’une interaction sociale particulière, où un patient remet sa santé, sa vie entre les mains d’un expert, dont il espère le miracle de la vie. Ni le patient, ni le médecin ne choisissent « la maladie », le médecin l’annonce et propose une thérapeutique possible parmi celles validées par les données acquises de la science à un moment donné. Le malade accepte ou non la proposition de soins avec un optimisme par ailleurs indispensable. A cela ajoutons qu’il est communément admis et constaté, que dans ce processus d’annonce et d’information, la mémoire du patient est sélective. Lors de la survenue d’une complication, il s’y est rarement préparée et la subit: « Pourquoi moi? ».

28A ce stade, le malade va devoir appréhender les notions d’accident médical fautif, d’accident médical non fautif, d’aléas thérapeutiques et d’échec thérapeutique sans notion d’accident. Et c’est avec l’apport des connaissances des autres participants qu’il pourra se les approprier correctement et comprendre au mieux la conclusion du rapport.

La légitimité du contenu de la conclusion du rapport d’expertise 

29Le processus décisionnel s’articule autour de connaissances qui se partagent tout en s’opposant. Ce constat nous amène à nous interroger sur les conditions nécessaires pour que le rapport soit compris et donc accepté de tous.

L’avis d’expertise se construit à l’issue d’un débat reposant sur des compétences différentes qui peuvent amener à opposer la vérité scientifique et à la vérité juridique, voire différentes vérités scientifiques

A la croisée des regards: la dichotomie des cultures et des langages

30La difficulté de l’expertise est de se faire comprendre de trois mondes obéissant à des règles et des langages différents, voie ouverte à des incompréhensions majeures.

31Le praticien hospitalier ou rie soumit à l’expertise se trouve projeté dans une discipline qui n’est pas la sienne: le médico-légal voir le juridique. Il doit s’imprégner, rapidement, de la culture du droit. Ces cultures se rejoignent pourtant dans leur raisonnement en ce sens où le médecin met en œuvre des recommandations en les adaptant à une situation particulière, le juriste s’appuie sur une loi généraliste qu’il doit appliquer dans une situation particulière. La perception du rôle de la loi est souvent associée à la notion de « Juste », et il lui faut dépasser cette approche. La loi est aussi au service d’un projet de société qui a, par exemple, abouti à la création des cci afin d’indemniser l’aléa thérapeutique ou l’accident médical non fautif et de faire couvrir ces risques par la solidarité nationale; ceci venant enrichir les dispositions en faveur de la protection sociale.

32Un autre point d’achoppement entre le médecin et la loi concerne son applicabilité. Les attentes prévues par la loi en matière d’information du patient illustrent ce phénomène, le médecin a souvent le sentiment que si il répond aux exigences juridiques, il n’agit pas toujours dans l’intérêt de son patient, en apportant une information anxiogène qui gène la décision du patient. La discussion scientifique a principalement lieu entre les deux hyper-spécialistes, l’expert et le praticien hospitalier et vient enrichir le savoir scientifique du médecin de l’assureur. Le médecin de l’assurance a souvent, une formation généraliste avec des connaissances spécialisées acquises au gré des expertises. La plupart des médecins conseils de l’assureur exercent cette activité à temps plein, ils ont le plus souvent suivi une formation en droit médical ou en expertise.

33La conclusion de l’expertise sur l’engagement de la responsabilité ou non du mis en cause, autour de la notion de l’accident médical, de l’aléas thérapeutique, de la notion de fautif ou non, se discute surtout entre le médecin expert et celui de l’assureur.

34La notion de complication « évitable » semble problématique, en effet pour le monde médical, toute complication est potentiellement évitable, alors que cette notion pour le monde juridique semble liée à la mise en œuvre des moyens nécessaires à l’éviter, Cette discussion n’est pas toujours accessible au rie et à fortiori au médecin mis en cause. Le médecin de l’assurance et le médecin hospitalier se complètent, leurs savoirs cumulés permettent une discussion équilibrée avec l’expert.

35A ce stade de notre expérience nous nous interrogeons sur l’opportunité que le rie enrichisse ses compétences en suivant une des formations en droit médical ou en expertise. Il nous faut pour nous positionner, répondre aux questions suivantes: La plus value de cette spécialisation justifie-t-elle cet investissement important pour le rie? Comment la valoriser en interne?

La compétence scientifique de l’expert peut faire débat

36Les experts sont désignés par l’autorité en charge de la procédure (cci ou tribunal), à partir d’une liste de médecins agréés. Les candidatures pour l’inscription sur ces listes se font auprès du tribunal de grande instance. S’agissant des experts judiciaires, les inscriptions sont réalisées par la Cour d’Appel, sur dossier. Elles sont valables pour une période de cinq ans. Il n’y a pas de liste identique devant le juge administratif, simplement des tableaux d’experts établis sans inscription par le président du tribunal administratif.

37Comme discuté précédemment, l’expert désigné est souvent spécialiste de la pathologie ayant motivée la prise en charge. Afin de prévenir le risque de collusion, l’expert n’exerce pas dans la même région que le praticien mis en cause. Cependant, que ce soit au cours de leur formation, au sein des sociétés savantes ou au travers de participation à des colloques, les liens entre les spécialistes sont incontournables, ce d’autant plus s’ils exercent une fonction universitaire. Ces liens sont par ailleurs indispensables au partage des savoirs permettant de faire progresser la science médicale. L’expert doit donc être particulièrement vigilant à se départir d’un avis préétabli conscient ou inconscient sur son confrère. Il a par ailleurs la possibilité au nom des deux grands principes d’impartialité et d’objectivité de se récuser. Cette situation ne s’est jamais présentée alors que nos praticiens nous font régulièrement part de relations professionnelles tendues avec l’expert désigné.

38Il faut bien reconnaître et surtout comprendre la difficulté rencontrée par certains médecins à être évalués par un confrère parfois moins reconnu que lui. Une situation fréquemment rencontrée par les praticiens exerçant au sein d’un chru, par définition, centre d’expertise et de référence. L’expert a la possibilité de soulever son incompétence à examiner une prise en charge. Nous avons rencontré cette situation une seule fois au cours de six années d’expérience.

39La réunion expertale peut aussi amener à opposer différentes vérités scientifiques. Les préconisations médicales reposent sur des choix validés par les sociétés savantes. Pour une même pathologie, les acquis de la science peuvent parfois permettre plusieurs choix, plusieurs techniques, pour une même intervention… L’écueil pour les deux spécialistes en présence est, alors, de s’inscrire dans une « guerre des écoles ».

40Du point de vue des praticiens mis en cause, il serait préjudiciable à la qualité de l’avis de l’expert que ce dernier tende accorder plus de temps à son activité d’expert qu’à son activité de médecin. Cette situation pourrait générer, à un terme plus ou moins éloigné, une déconnexion avec les pratiques et leurs évolutions.

Des pistes pour éviter soit la contre expertise, soit l’appel contre l’avis ou contre la décision de justice

41La compréhension et donc l’acceptation de la conclusion du rapport d’expertise repose aussi sur l’organisation par l’instance juridictionnelle de l’activité d’expertise, une organisation perfectible. Celles-ci sont dépendantes de la qualité du retour de la réunion expertale et de la conclusion qui en découle, effectué par le binôme institutionnel auprès des praticiens mis en cause.

Le retour en interne s’apparente à un partage des savoirs et des connaissances acquises lors de la tenue de l’expertise

42Les premières conditions à l’efficacité de ce retour résident en amont de la réunion d’expertise: la qualité de l’auto-évaluation du praticien sur sa prise en charge, en collaboration avec le médecin de l’assureur et le juriste pour les attendus légaux ou réglementaires permet de se préparer aux éventuelles observations négatives du rapport de l’expert.

43Le respect de la liberté du praticien mis en cause, de se défendre lui-même, ou de faire appel au rie, est indispensable. Le bilan, depuis la mise en place de cette organisation, révèle qu’à toutes les expertises auxquelles un praticien était présent, il s’agissait du rie. Ce mandat lui est confié dans le cadre d’une relation de confiance. Cette confiance lui est accordée au regard de sa compétence initiale et de sa capacité à porter l’argumentation d’un confrère d’une autre spécialité. Bien que cela semble évident, il faut tout de même préciser que ce dernier doit avoir une appétence particulière à cet exercice

44Si la compétence technique du rie est indispensable, d’autres facteurs doivent faire consensus auprès de la majorité des acteurs médicaux de la clinique pour que ces derniers lui confient la défense de leur prise en charge. Cette confiance est aussi motivée par les qualités personnelles, le savoir faire et les acquis du rie. Le rôle de l’expert et du rie comprennent de nombreuses similitudes, la différence essentielle réside dans le fait que l’un d’eux a en charge d’évaluer les causes et les préjudices à l’origine du litige. Tout comme l’expert, le rie mobilise, donc, en plus de son savoir, un savoir être et des qualités personnelles que sont la distanciation, l’objectivité, la compassion, la rigueur, le pragmatisme, la communication….

45Le retour est principalement porté par le rie, le juriste étant en soutien pour la compréhension juridique. Une partie qui s’avère parfois complexe pour le juriste qui se retrouve face aux mêmes difficultés que l’expert et le médecin de l’assurance liées à la dichotomie des cultures. C’est notamment le cas pour les infections nosocomiales dont le régime de responsabilité sans faute implique que la responsabilité de l’établissement est retenue alors que la prise en charge a été réalisée dans les règles de l’art et génère un inévitable sentiment premier d’« injustice ».

46Le binôme doit veiller à effectuer un retour factuel, dépourvu d’appréciation personnelle et à la non stigmatisation de l’équipe médicale. Leurs seuls objectifs doivent être la compréhension du rapport. En dehors de la situation d’une faute personnelle qui fait l’objet d’une information particulière auprès du chef de pôle, le retour est effectué exclusivement auprès de l’équipe médicale ayant pris en charge le patient. En effet, la confidentialité sur ce rapport d’expertise est une attente forte de beaucoup de praticiens mis en cause. Les axes d’améliorations en matière d’organisation ou d’évolutions des pratiques générales sont envisagés à partir de plusieurs rapports d’expertises anonymisés. Le retour auprès des professionnels mais aussi du plaignant peut être optimisé par l’organisation en elle de la mission d’expertise par la justice

47Dans la deuxième partie de son rapport de 2004 « Célérité et qualité de la justice » au Gardes des Sceau, la mission présidée par Jean Claude Magendie, Président du Tribunal de Grande Instance de Paris émet plusieurs propositions pour que l’opération d’expertise soit mieux reconnue par ceux qui en bénéficient ou qui y sont contraint. Parmi celles-ci un certain nombre permettrait aux mis en cause d’améliorer sa réactivité et la qualité de celle-ci, notamment par l’établissement d’un pré-rapport à l’expertise qui préciseraient les points qui feront l’objet d’une discussion particulière et une argumentation plus exhaustive et mieux objectivée avec la communication de résultats d’étude scientifique, de recommandations des sociétés savantes…

48Une autre préconisation émise par la Compagnie des Experts Judiciaires de la Cour d’appel d’Angers (ceja) relative au respect par l’expert de la mission qui lui a été confiée, mission qui dans certains cas pourraient également être mieux définit, est d’ouvrir la possibilité aux parties, en cas de défaillance d’alerter le magistrat ayant ordonnée et déterminer les contours de l’opération d’expertise.

49De notre expérience, il résulte une incompréhension quant à la prise en compte des dires réalisés à l’issue de la réception du rapport d’expertise ou des réponses apportées aux réserves émises dans le rapport. Cette absence de transparence quant à la prise en compte des réponses apportées est également relevée par le ceja.

50Enfin un délai de convocation d’une durée permettant une meilleur préparation de l’expertise est souhaitable (il n’y a pas de délai prévu par la loi mais les avocats et compagnies d’experts recommandent des délais allant de trois semaines à deux mois).

51La question de l’inscription des médecins sur la liste des experts et du choix de l’expert par le magistrat sont deux éléments majeurs. Pour les expertises ordonnées par le juge judiciaire, l’inscription du médecin est réalisée par la Cour d’Appel suite à l’examen d’un dossier, pour une durée de deux ans lors de la première puis de cinq ans pour les suivantes. L’autorité judiciaire n’a pas le pouvoir d’organiser ni la formation juridique des experts ni l’évaluation des experts, mais elle radie les experts qui ne donnent pas satisfaction et qui sont repérés ou signalés en général par les juges des tribunaux de grande instance en charge du contrôle des expertises.

52Chacun des acteurs de l’expertise médicale ordonnée par la justice doit éviter de s’inscrire dans un positionnement de principe et d’opposition et d’avoir une approche distanciée de cette expertise. Le rôle de l’expert en sa qualité d’animateur de la réunion expertale est essentiel au partage des arguments et donc des savoirs des différents participants. Une expertise réussie est une expertise interactive au cours de laquelle chaque acteur enrichi de ce savoir partagé parvient à une conciliation, possibilité qui pourrait être ouverte à l’expert comme le préconise le rapport Magendie. Ce partage des savoirs va au-delà de la réunion expertale: il est également le pilier des débats soit devant la cci soit devant le tribunal.

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Bibliographie

Magendie J.-Cl., 2004, Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès, rapport au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, La Documentation française, coll. des rapports officiels.

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Notes

1 Conditions de gravité : un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 24 %., ou un arrêt de temporaire des activités professionnelles pendant une durée de six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de un an ou des gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égaler à un taux de 50 % pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze ; à titre exceptionnel une inaptitude définitive à exercer l’activité professionnelle antérieure à l’accident médical, ou si l »accident médical l’affection iatrogène ou infection nosocomiale occasionne des trouble graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacques Desbordes et Sandrine Mercier, « Retour d’experience sur l’expertise médicale ordonnée par le juge projet »Sciences de la société, 95 | 2015, 27-37.

Référence électronique

Jacques Desbordes et Sandrine Mercier, « Retour d’experience sur l’expertise médicale ordonnée par le juge projet »Sciences de la société [En ligne], 95 | 2015, mis en ligne le 05 juillet 2016, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2600 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.2600

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Auteurs

Jacques Desbordes

Médecin anesthésiste réanimateur, chru de Lille.

Sandrine Mercier

Correspondante aux affaires juridiques, chru de Lille.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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