Albert Ogien, Sandra Laugier, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique
Albert Ogien, Sandra Laugier, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique, Paris, La Découverte, 2014, 282 pages
Texte intégral
1Dans Pourquoi désobéir en démocratie ?, paru en 2010 à La Découverte, Albert Ogien et Sandra Laugier proposaient une lecture morale et politique de la désobéissance civile, dont les manifestations se sont depuis étendues et diversifiées, ce qui a motivé ce prolongement de leurs analyses. Dans ce nouvel ouvrage, ils continuent de considérer l’influence de ces contestations sur le renouvellement des formes de « l’activité politique » ainsi que sur la redéfinition et la promotion de « l’idéal démocratique ». Ils s’attèlent à définir et à circonscrire ce qu’ils nomment un « priIl s’agit d’un ouvrage essentiellement théoriquesaire cette tentative d’analyse tout aussi globalisante, même si cela implique que les auteurs fassent l’impasse sur des enquêtes plus localisées et ancrées dans différentes études de cas. Il s’agit d’un livre essentiellement théorique, qui invite à une prise de distance réflexive suite aux nombreux ouvrages qui se sont essayés, durant ces évènements et directement après, à l’analyse des occupations de lieux publics à travers le monde, d’Occupy Wall Street, du Printemps arabe, etc. Albert Ogien et Sandra Laugier font néanmoins de nombreuses références à des cas concrets et à des situations particulières, sur base d’une étude bibliographique fouillée des travaux décrivant ces mobilisations et/ou en ébauchant une analyse. Ils cherchent ainsi à défendre la légitimité de ces mobilisations et s’appuient sur la philosophie politique et les théories de la démocratie pour mener une « enquête conceptuelle » sur ce qu’englobe ce terme. Au cœur de cet ouvrage ne se trouve pas un éclairage sur les idéologies liées à ces mouvements ou sur les résultats obtenus, mais bien sur des pratiques, autant de « nouvelles formes de l’action politique » (p. 21). En effet, il importe de comprendre si elles sont porteuses d’une dimension politique ou, au contraire, si elles ne sont « que l’expression passagère d’une exaspération » (p. 45).
2Les auteurs formulent l’hypothèse suivante: ces formes « traduisent l’évolution de la conception que les citoyens ordinaires se font de la démocratie et reflètent la transformation du rapport qu’ils entretiennent au politique » (p. 21). Relevant véritablement du politique, ces pratiques doivent être prises au sérieux, bien (voire d’autant plus) qu’elles s’expriment en dehors du système existant. Cet appel à « une nouvelle extension de la citoyenneté » (p. 184) doit pouvoir être entendu comme tel. La demande d’une « démocratie réelle » qui se trouve exprimée dans ces rassemblements et mobilisations relève d’« une critique des failles, des lacunes et des mésusages de la démocratie » (p. 25), sans en contester pour autant les fondements, au contraire des mouvements réactionnaires qui sont ici laissés de côté. Aux modèles de la démocratie « participative, « élitiste », « autoritaire » ou « populaire », il faut désormais ajouter celui de la « démocratie réelle », promu lors de ces mobilisations, qui repose sur « la volonté de dépasser les limites du système représentatif en trouvant les moyens d’ouvrir la définition et le contrôle de l’activité du gouvernement aux citoyens ordinaires » (p. 275) tout en tâchant d’offrir plus de visibilité à « ceux et celles qui demeurent exclus, partout, de la démocratie » (p. 280).
3Ce livre se veut aussi un plaidoyer en faveur d’une ouverture à une conception nouvelle du politique, qui puisse reconnaître une nature politique à des pratiques qui n’intègrent pas pour autant des éléments tels qu’un objectif de conquête du pouvoir, des hiérarchies, des stratégies, etc. Se limiter à une telle vision du politique empêcherait de reconnaître sa présence là où on n’a pas l’habitude de le regarder, et d’ainsi manquer des recompositions intéressantes à l’œuvre. Il s’agit de réhabiliter le citoyen et le rôle qu’il peut jouer au sein de la démocratie, mais aussi de considérer sa compétence à sa juste valeur: « pour produire une critique – raisonnée ou passionnelle – du bien-fondé et de la justesse des actes et des décisions de leurs gouvernements, les citoyens n’ont rien à savoir de plus que ce qu’ils savent déjà du régime dans lequel ils vivent » (p. 262). Pour les auteurs, les évènements qui se sont produits ces dernières années « s’inscrivent dans le temps long du changement social » (p. 265), ils ne manqueront pas d’influencer, dans le futur, nos démocraties et le fonctionnement de ce qui relève de la politique. Si cette tentative de tracer les contours d’un « principe démocratie » est à saluer et propose une série de pistes de réflexion intéressante, elle laisse malgré tout – consciemment – en suspens plusieurs questions, et non des moindres. Par exemple, dans quelle mesure ces mobilisations peuvent être avoir un impact et une efficacité sur les décisions politiques au quotidien? Ne risquent-t-elles pas de se substituer à des formes d’action plus continues et intégrées, plus spécifiquement orientées vers l’obtention d’un résultat? Quelle place donnent-elles véritablement aux avis divergents et, à force de chercher une unanimité dans la voix exprimée, ne finit-on pas par n’obtenir en guise de revendications qu’un consensus assez mou et peu ambitieux? Un principe partagé par un certain nombre de citoyens à travers le monde suffira-t-il pour endiguer les velléités qui s’expriment un peu partout à l’encontre de la démocratie?
Pour citer cet article
Référence papier
Lionel Francou, « Albert Ogien, Sandra Laugier, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique », Sciences de la société, 94 | 2015, 233-234.
Référence électronique
Lionel Francou, « Albert Ogien, Sandra Laugier, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique », Sciences de la société [En ligne], 94 | 2015, mis en ligne le 30 juin 2016, consulté le 18 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2578 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.2578
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