- 1 Le terme de mécontentement a été utilisé quatre fois par Durkheim dans Le Suicide, précisément p. (...)
1La réaction individualisée au mécontentement peut être envisagée comme un sujet clé des processus d’intégration et de régulation sociale. Bien que le mécontentement soit causé par l’insatisfaction, il n’est pas simplement à considérer comme un état d’absence de satisfaction. Les besoins ou les désirs sont à l’origine de la satisfaction ou de l’insatisfaction, alors que le mécontentement est un sentiment réflexif de prise de conscience des risques associés à une situation problématique. Comme le dit Durkheim, « si le plaisir n’est pas le bonheur, c’en est pourtant un élément » (Durkheim, 1996, 232). Il affirme que « un vivant quelconque ne peut être heureux et même ne peut vivre que si ses besoins sont suffisamment en rapport avec ses moyens » (Durkheim, 1995, 272). Selon l’idée de Durkheim, le tourbillon illimité des désirs individuels va probablement provoquer de la souffrance individuelle et des dérèglements collectifs (Corcuff, 2011, 203). Pour Durkheim, la nature humaine serait caractérisée par des « besoins » potentiellement illimités apparaissant « insatiables », porteurs d’angoisses et d’anomie. Pour que la très grande généralité des hommes préfère la vie à la mort, selon lui, « il faut que, dans la moyenne des existences, le bonheur l’emporte sur le malheur » (Durkheim, 1996, 225). La notion du « malheur moyen », tel qu’il se trouve exposé dans De la Division du travail social, peut être décrite comme une idée de rapport modéré entre bonheur et mécontentement. Lorsque l’état de mécontentement s’installe, écrit Durkheim, « si le rapport était renversé, on ne comprendrait ni d’où pourrait provenir l’attachement des hommes pour la vie, ni surtout comment il aurait pu se maintenir, froissé à chaque instant par les faits » (ibid.). Pour Durkheim, le nombre des suicides est un indicateur du « malheur moyen ». Il affirme « si donc nous possédions un fait objectif et mesurable qui traduise les variations d’intensité par lesquelles passe ce sentiment (souffrance) suivant les sociétés, nous pourrions du même coup mesurer celles du malheur moyen dans ces mêmes milieux. Ce fait, c’est le nombre des suicides » (ibid., 226). En abordant l’étude du mécontentement à partir des processus de l’intégration et de la régulation, nous pouvons affiner la réflexion théorique en la confrontant aux idées de Durkheim1. Pour lui, l’intégration et la régulation sont les deux dimensions complémentaires du lien social. La notion d’intégration concerne la façon dont un collectif attire à lui l’individu (Steiner, 1994, 43). Elle consiste dans la nécessité d’une « conscience collective » forte et partagée. La notion de régulation vise avant tout à reconnaître l’existence de tensions dans l’espace social et à appréhender les modalités de maîtrise de celles-ci. Elle consiste dans la nécessité d’un corps de règles sociales, d’un « système normatif » (Besnard, 1987). La première agit sur les individus en quelque sorte de l’intérieur, la seconde de l’extérieur. Dans cette perspective, le développement du mécontentement individuel nous amène à la question importante sur l’attente des individus de leur société et l’attraction de l’individu par la société. Le mécontentement a beaucoup de chance d’être individualisé si l’individu est plongé dans un « état d’anomie sociale ». L’objectif principal de cet article est de montrer l’intérêt et les limites du concept d’« immunité » proposé par Durkheim dans son ouvrage Le Suicide, face au mécontentement individuel. Selon cette idée, on peut envisager, en première étape, pourquoi le mécontentement se déclenche et en seconde étape, comment la réaction individualisée au mécontentement aboutit au suicide. Les difficultés de l’existence ne peut pas être une cause déterminante du suicide, comme le dit Durkheim, « il est certain que si, suivant la conception courante, on voit avant tout dans le suicide un acte de désespoir déterminé par les difficultés de l’existence, cette opinion a pour elle toutes les vraisemblances. […] Cependant, si évident qu’il paraisse, ce raisonnement apriori est entièrement faux et les faits ne lui donnent une apparence de raison que pour avoir été mal analysés » (Durkheim, 1995, 174-175). En considérant que le suicide est l’une des réactions individualisées au mécontentement, nous nous référons à la théorie du suicide de Durkheim selon laquelle, les variations du taux de suicide s’expliquent en fonction de l’anomie sociale. Autrement dit, l’idée d’immunité face au suicide cherche principalement à expliquer comment les mécanismes d’intégration et de régulation peuvent protéger les individus mécontents des actes suicidaires. Dans son analyse des variations des taux de suicide, Durkheim montre l’existence d’une relation entre augmentation du taux de suicide et réduction de la régulation de la société sur l’individu. En période de crise économique le nombre de suicide augmente et les individus mécontents les moins bien protégés ont plus de chances de suicider que les autres. Les textes qui forment la pensée sociologique de Durkheim sur le mécontentement sont, avant tout, De la division du travail (dt), puis Le Suicide (s).
2Devant les difficultés à étudier un sujet qui touche à la dimension de la subjectivité et qui se considère en même temps comme fait social, l’analyse sociologique de Durkheim ne s’est pas tournée vers la psychologie. En effet, ce n’est pas le « trait de personnalité » à qui il faut attribuer la cause du mécontentement, mais aux contraintes extérieures s’imposant aux individus. Bien que le passage du mécontentement individualisé à l’acte suicidaire soit toujours singulier, selon Durkheim, le mécontentement et la réaction à celui-ci peuvent mieux se comprendre en tenant compte des facteurs sociaux. Le modèle d’interprétation des variations du taux de suicide proposé par Durkheim est capable de rendre compte de l’interaction des différents facteurs. D’une manière générale, le suicide augmente avec l’âge, les hommes se suicident beaucoup plus que les femmes, il varie en fonction de l’état civil et la culture rurale et urbaine. Comme Robert Merton (1957) et Ted Gurr (1970) l’indiquent, dans la vision de Durkheim, il semble que toute rupture d’équilibre est une source de mécontentement, comme il le dit « des tendances qui ne sont pas satisfaites s’atrophient et, comme la tendance à vivre n’est que la résultante de toutes les autres, elle ne peut pas ne pas s’affaiblir si les autres se relâchent » (s, 272). Il précise « Si donc les crises industrielles ou financières augmentent les suicides, ce n’est pas parce qu’elles appauvrissent, puisque des crises de prospérité ont le même résultat; c’est parce qu’elles sont des crises, c’est-à-dire des perturbations de l’ordre collectif » (s, 271). Face aux origines du mécontentement, Durkheim met en avant l’importance d’une part de l’anomie sociale, et d’autre part de la division du travail contrainte.
3Durant la première période de la réflexion de Durkheim, la régulation est la problématique dominante. Le concept d’anomie occupe alors, dans De la division du travail social (1893), une place centrale (Besnard, 1987; Steiner, 1994). L’anomie est portée en germe dans les phases transitoires de l’évolution des sociétés. Elle est définie comme un état de non-régulation ou de dérégulation de la société ou de certaines sections sociales. Durkheim explique que « si la division du travail ne produit pas la solidarité, c’est que les relations des organes ne sont pas réglementées, c’est qu’elles sont dans un état d’anomie » (dt, 360). L’anomie correspond à des phases de transition de l’organisation sociale et ses effets sont décrits par Durkheim comme engendrant des mécontentements et des conduites de type essentiellement émotionnel. Il distingue plusieurs formes d’anomie expliquées par les crises industrielles ou commerciales et par l’antagonisme du travail et du capital lié à la spécialisation des fonctions industrielles. Dans la forme fournie par les crises industrielles ou commerciales, Durkheim estime que « à mesure que le travail se divise davantage, ces phénomènes (les faillites) semblent devenir plus fréquents, au moins dans certains cas » (dt, 344). Les faillites, comme une source de mécontentement, témoignent que certaines fonctions sociales ne sont pas ajustées les unes aux autres. Ce qui prévaut alors, c’est un « égoïsme » (individualisme forcené) puisque, en l’absence de règles collectives suffisamment fortes et justes pour s’imposer à tous, les acteurs ne sont plus guidés que par la recherche individuelle et brutale du profit maximum (Cuin, 2001). Durkheim voit ainsi dans une trop grande dérégulation, un trop grand individualisme, la source de nombre de mécontentements. La seconde forme d’anomie expliquée par l’antagonisme travail-capital renvoie à une situation de déséquilibre, d’un certain ordre perturbé, une harmonie relative entre l’ouvrier et le patron remise en cause. La solidarité patrons-ouvriers, issue des « corporations » du Moyen-âge tend à disparaître. La spécialisation des fonctions industrielles modifie la relation aux autres autant qu’au travail dans la mesure où les ouvriers tendent à se retrouver isolés face à leur tâche. Par l’avènement de la grande industrie, l’ouvrier se sépare plus complètement du patron. « Une fois que cette séparation fut effectuée, les querelles devinrent nombreuses » (dt, 345). Durkheim fait l’hypothèse qu’« en même temps que la spécialisation devient plus grande, les révoltes deviennent plus fréquentes » (dt, 346). Ces mécontentements correspondent à un état émotionnel puissant agité par des sentiments de frustration. Il semble que pour Durkheim tout déséquilibre peut être considéré comme une cause de mécontentement, comme il le dit: « Cependant, ce n’est pas assez qu’il y ait des règles; car parfois, ce sont ces règles mêmes qui sont la cause du mal. C’est ce qui arrive dans les guerres de classes. L’institution des classes ou des castes constitue une organisation de la division du travail, et c’est une organisation étroitement réglementée; cependant elle est souvent une source de dissensions » (dt, 367).
4Quelques années plus tard, dans son livre Le Suicide (1897), Durkheim définit l’anomie en rapport avec les désirs humains. Durkheim répète sans cesse « qu’il est dans la nature de l’homme d’être un éternel mécontent, d’aller toujours en avant sans trêve et sans repos, vers une fin indéterminée » (s, 287). Dans ce sens, l’un des éléments principaux de la sociologie de Durkheim est fondé sur l’idée que l’homme, livré à sa nature, est un être de désirs illimités qui, sans la discipline imposée par la société, s’épuiserait dans la poursuite incessante de buts qui lui échapperaient toujours. En effet, si les désirs humains ne sont pas limités, si l’homme ne peut se fixer de fin, il est condamné à rester dans un état d’insatisfaction perpétuelle absolument insupportable, comme Durkheim le confirme: « poursuivre une fin inaccessible par hypothèse, c’est donc se condamner à un perpétuel état de mécontentement » (s, 274). C’est la raison pour laquelle, Durkheim insiste sur la nécessité de la réglementation sociale sur la présupposition que l’homme ne trouve pas dans sa « constitution organique » le pouvoir régulateur de ses besoins. Il faut donc qu’une puissance régulatrice les limite, et cette puissance est forcément la société. Mais quelle limite? Durkheim affirme que les passions « ne peuvent s’arrêter que devant une limite qu’elles reconnaissent comme juste » (s, 275). C’est ainsi que la société fixe une échelle sociale économique dans laquelle chaque classe trouve son plafond et est censée s’en contenter. « C’est cette limitation relative et la modération qui en résulte qui font les hommes contents de leur sort […]. L’équilibre de son bonheur est stable parce qu’il est défini et il ne suffit pas de quelques mécomptes pour le bouleverser » (s, 277). Mais pour que les limites aux passions aient été acceptées, il faut que les hiérarchies semblent justes et légitimes. « L’homme reçoit sa loi non d’un milieu matériel qui s’impose brutalement à lui, mais d’une conscience supérieure à la sienne et dont il sent la supériorité » (s, 279). Quand la société est troublée par une crise économique heureuse ou douloureuse, l’état anomique s’installe et par voie de conséquence, la société devient incapable de contrôler les passions libérées des individus. Lors des crises, les individus se retrouvent brusquement « sous-classés » ou « sur-classés » et ne le supportent pas. « En effet, dans les cas de désastres économiques, il se produit comme un déclassement qui rejette brusquement certains individus dans une situation inférieure à celle qu’ils occupaient jusqu’alors » (s, 280). Comme François Chazel (1967) le dit, cette situation anomique est due à un état d’affaiblissement de la régulation sociale qui contribue à détacher l’acteur de l’organisation sociale et de ses principes fondamentaux, le privant ainsi d’un soutien dont il a besoin, et le conduisant vers un état de mécontentement. En effet, les crises économiques augmentent autant les mécontentements que la prospérité, parce qu’elles perturbent un équilibre entre expectatives et moyens. Ce déséquilibre est provoqué par le caractère inopérant des règles sociales qui perdent leur pouvoir structurant pour l’individu. Si le mécontentement se retrouve à l’état chronique dans la sphère économique, c’est que « depuis un siècle, en effet, le progrès économique a principalement consisté à affranchir les relations industrielles de toute réglementation » (s, 283). Le mécontentement résulte donc d’un défaut ou d’une carence d’adaptation ou encore de régulation au sein d’un système social en transformation. Comme l’évoque Alain Touraine (1992), Durkheim craignait que plus avance la modernité, plus s’éloigne le bonheur, plus augmentent les frustrations et les mécontentements. C’est dans ce sens que Besnard (2003) parle des pathologies des sociétés modernes lorsque Durkheim déclare clairement que « le vrai suicide, le suicide triste, est à l’état endémique chez les peuples civilisés. Il se distribue même géographiquement comme la civilisation » (dt, 226). C’est ainsi que Durkheim fait une différence entre la satisfaction croissante de besoins marchands, et les mécontentements des individus. Dans cette direction, Baudelot et Establet (2006) développent l’hypothèse élaborée par Durkheim selon laquelle « la misère protège » puisqu’elle maintient les protections sociales face à l’urbanisation et l’individualisme.
5Dans De la division du travail social, le thème de l’intégration sociale occupe une place importante dans le traitement de la problématique de la réalisation de l’ordre social. Le mécontentement y est interprété comme un effet du caractère contraint de la division du travail. Une désharmonie créée par la structure des positions sociales entre les capacités individuelles et les fonctions sociales serait en effet une condition favorable pour le mécontentement que l’individu ressent de la place qu’il occupe dans la société. Entendons par là que si les mérites individuels ne sont pas justement récompensés, les besoins ne sont pas satisfaits du même coup puisque les besoins correspondent aux moyens qui ont permis de réaliser les accomplissements que la société égalitaire sait reconnaître et récompenser. Face à la forme « contrainte » de la division du travail, Durkheim propose une forme « spontanée » étant capable seule de produire la solidarité. Il précise, « En un mot, le travail ne se divise spontanément que si la société est constituée de manière à ce que les inégalités sociales expriment exactement les inégalités naturelles » (dt, 370). Une cause de mécontentement peut être distinguée lorsqu’une réglementation née de la division du travail qui détermine les rapports mutuels des fonctions, n’assure pas la plus totale liberté qui doit administrer l’accès à ces fonctions. En effet, un déséquilibre entre la liberté de se mouvoir dans une structure sociale et une obligation d’assurer la coordination et la complémentarité des fonctions sociales, peut attiser le mécontentement. Pour Durkheim, l’harmonie entre les natures individuelles et les fonctions sociales ne s’établit qu’à condition d’une « absolue égalité dans les conditions extérieures de lutte » (dt, 371), ce qui est qualifié par certains chercheurs comme l’égalité des chances (Cuin, 1993). Les différentes fonctions sociales doivent être librement accessibles par chacun indépendamment de son origine sociale. Durkheim précise en effet que cette absolue égalité « consiste, non dans un état d’anarchie qui permettrait aux hommes de satisfaire librement toutes leurs tendances bonnes ou mauvaises, mais dans une organisation savante où chaque valeur sociale […] serait estimée à son juste prix » (dt, 371). Pour assurer l’égalité des rapports sociaux, il faut que « les valeurs des choses correspondent exactement aux services qu’elles rendent et à la peine qu’elles coûtent » (dt, 377). Durkheim précise en effet que « si, au contraire, les valeurs échangées ne se font pas contrepoids, elles n’ont pu s’équilibrer que si quelque force extérieure a été jetée dans la balance » (dt, 377). Ces pressions directes ou indirectes qui font obstacle à un consentement juste entre les contractants, contribuent à créer un état de mécontentement. Durkheim développe son analyse: « Si une classe de la société est obligée, pour vivre, de faire accepter à tout prix ses services, tandis que l’autre peut s’en passer, grâce aux ressources dont elle dispose et qui pourtant ne sont pas nécessairement dues à quelque supériorité sociale, la seconde fait injustement la loi à la première » (dt, 378). En effet, la compétition des individus dans la course pour l’accès aux positions sociales suscite un état de mécontentement lorsque la distribution ne s’effectue pas de manière que les positions soient allouées aux individus les plus aptes à les occuper. En d’autres termes, pour Durkheim, ce n’est pas l’inégalité sociale en elle-même qui est tenue pour cause de mécontentement mais bien les conditions dans lesquelles cette inégalité se constitue. Le mécontentement est exprimé ici par Durkheim comme sentiment d’injustice. Le mécontentement se fait ressentir lorsque les règles de la distribution sociale, d’une part, ne respectent pas les inégalités « naturelles » et d’autre part, ne se soutiennent que par la force. « La contrainte ne commence que quand la réglementation, ne correspondant plus à la nature vraie des choses et, par suite, n’ayant plus de base dans les mœurs, ne se soutient que par la force » (dt, 370). Comme Charles Cuin (2004) l’indique, Durkheim présente la transmission héréditaire de la richesse comme le seul obstacle à la réalisation de l’harmonie entre la constitution de chaque individu et sa condition: « […] la transmission héréditaire de la richesse suffit à rendre très inégales les conditions extérieures dans lesquelles la lutte (contre les inégalités) s’engage; car elle constitue au profit de quelques-uns des avantages qui ne correspondent pas nécessairement à leur valeur personnelle » (dt, 371).
6Durkheim évoque le mécontentement en lien avec l’état de trouble, d’agitation suscité par le mal de l’infini, suicide anomique (s, 305). Les mécontentements soulevés par l’anomie et la division du travail contrainte peuvent pousser les individus aux réactions suicidaires lorsque les institutions protectrices sont affaiblies. Durkheim affirme que le suicide ne concerne pas que les aliénés ou les troubles mentaux, et il en conclut que la dimension psychique devait être exclue de l’analyse de ses causes sociales. Il précise que « les conditions sociales dont dépend le nombre des suicides sont les seules en fonction desquelles il puisse varier; car ce sont les seules qui soient variables » (s, 364). Refusant l’hypothèse selon laquelle « le suicide ne serait qu’une affection individuelle » (s, 20), Durkheim conclue que les suicides maniaque, mélancolique, obsessif et impulsif ou automatique « ou sont dénués de tout motif, ou sont déterminés par des motifs purement imaginaires » (s, 31). Dans l’introduction de son ouvrage Le suicide, Durkheim donne la définition suivante: « On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même, et qu’elle savait devoir produire ce résultat » (s, 5). Démontrant l’existence du suicide comme un acte volontaire et conscient dans une société donnée et dans un temps donné, l’analyse de Durkheim présente une typologie qui est issue de l’observation de corrélations entre taux de suicide et indicateurs sociaux. C’est ainsi que Durkheim essaye de construire une théorie du suicide (Besnard, 1987) par la mise en relation des variables comme l’âge, le sexe, l’état civil et la sous-culture avec le suicide. Contre les théories psychiques concentrées sur les troubles individuels, Durkheim établit que le suicide est un fait social, une tendance collective qui dépend de l’état des processus de régulation et d’intégration. Le modèle d’explication de Durkheim se fonde en mise en écart des facteurs extra-sociaux (folie, race, hérédité, climat, imitation). Les statistiques annuelles du suicide en France dont Durkheim dispose pour les années 1870-1890 contiennent une liste des motifs présumés des suicides (misère et revers de fortune, chagrin de famille, amour contrarié, jalousie, etc.), mais il exprime que cette statistique des motifs de suicide est suspecte: hâtivement recueillie par les agents, souvent subalternes, chargés de service d’informations. Il ajoute « on ne saurait donner comme base à une explication des suicides des informations aussi suspectes » (s, 144). L’analyse de Durkheim débute sur le rôle de la société, quand il explique que « Notre intention n’est pas de faire un inventaire aussi complet que possible de toutes les conditions qui peuvent entrer dans la genèse des suicides particuliers, mais seulement de rechercher celles dont dépend ce fait défini que nous avons appelé le taux social des suicides » (s, 15). Durkheim explique alors les variations du taux de suicide en fonction de la pression régulatrice et du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu. Durkheim distingue quatre types de suicide (égoïste, altruiste, anomique, fataliste). L’intégration sociale se définit comme une forme d’attraction de l’individu par un dense réseau de liens sociaux, qui fournit à l’individu les identités collectives. L’individualisme excessif a pour résultat de favoriser l’action des causes suicidogènes. Durkheim précise que « Dans le suicide égoïste, c’est à l’activité proprement collective qu’elle fait défaut, la laissant ainsi dépourvue d’objet et de signification » (s, 288). Il explique « Il en résulte que les raisons de vivre nous manquent […]. Parce que nous avons été initiés à une existence plus relevée, celle dont se contentent l’enfant et l’animal ne peut plus nous satisfaire et voilà que la première elle-même nous échappe et nous laisse désemparés » (s, 228). Durkheim ajoute un second facteur, la pression régulatrice. Dans la situation anomique où la régulation sociale est perturbée, le mécontentement soulevé par les désirs illimités peut être individualisé et passer au suicide anomique. Au pôle opposé du suicide anomique (réglementation insuffisante), Durkheim propose un autre type de suicide même si peu d’importance à savoir le suicide fataliste (réglementation excessive), qui « résulte d’un excès de réglementation; celui que commettent les sujets dont l’avenir est impitoyablement muré, dont les passions sont violemment comprimées par une discipline oppressive. C’est le suicide des époux trop jeunes, de la femme mariée sans enfant » (s, 311).
7La société est un pouvoir qui règle les individus. Pour Durkheim, « Entre la manière dont s’exerce cette action régulatrice et le taux social des suicides il existe un rapport » (s, 264). Le suicide anomique lié à une perte de repères provoquée par l’affaiblissement de règles. Les crises économiques, le veuvage et le divorce risquent d’affaiblir les capacités des règles en suscitant des situations anomiques qui favorisent la réaction suicidaire au mécontentement individualisé. Les crises économiques ont sur le penchant au suicide une influence aggravante. Les crises économiques, heureuses ou malheureuses, augmentent les suicides, parce qu’elles sont des perturbations de l’ordre collectif. Durkheim affirme que « toute rupture d’équilibre, alors même qu’il en résulte une plus grande aisance et un rehaussement de la vitalité générale, pousse à la mort volontaire » (s, 271). Autrement dit, selon Durkheim, la tendance au suicide n’est pas liée à la richesse ou à la pauvreté. Dans une période de changement social rapide, « les règles traditionnelles ont perdu de leur autorité au moment même où les passions auraient besoin d’une plus forte discipline » (s, 281). Ce ne sont pas les conséquences matérielles des détresses économiques qui influent sur le suicide. Dans une situation de crise économique, les besoins individuels ne peuvent plus être satisfaits comme ils l’étaient auparavant, or le mécontentement individuel affaiblit la résistance des individus. Dans le monde du commerce et de l’industrie, note Durkheim, une situation de dérèglement ou d’anomie s’observe « à l’état chronique ». Il explique que « Depuis un siècle, le progrès économique a principalement consisté à affranchir les relations industrielles de toute réglementation » (s, 283). Dans ce contexte, « le développement de l’industrie et l’extension presque indéfinie du marché » ont aggravé le déchaînement des désirs. L’individu n’étant plus calmé dans ses désirs par des mécanismes régulateurs puissants, il devient mécontent de manière individuelle et apte au suicide. Dans l’état d’anomie économique, Durkheim montre que « les fonctions industrielles et commerciales sont, en effet, parmi les professions qui fournissent le plus au suicide » (s, 287). En effet, la réaction des fonctions industrielles et commerciales est plus sensible aux fluctuations de la situation économique. Durkheim compare ensuite les taux de suicide dans les domaines du commerce et de l’industrie aux taux de celui dans le monde agricole. Il se trouve qu’en état d’anomie, les agriculteurs sont moins touchés par le suicide, alors que les patrons et les rentières sont les plus atteints. Mais, pourquoi? Il explique que « l’industrie agricole est celle où les anciens pouvoirs régulateurs font encore le mieux sentir leur influence et où la fièvre des affaires a le moins pénétré » (s, 287). Outre les crises économiques, l’affaiblissement de règles se constate dans le cadre des « crises familiales » à l’occasion d’un veuvage ou d’un divorce.
8Après avoir étudié l’effet de l’anomie économique sur le lien entre le mécontentement individualisé et le suicide, Durkheim s’intéresse à l’effet de la crise du veuvage et surtout du divorce sur la réaction suicidaire au mécontentement. Pour Durkheim, l’anomie domestique par veuvage provoque beaucoup moins de mécontentement des époux que l’anomie conjugale par divorce. Selon lui, « le veuvage est un trouble non moins complet de l’existence; il a même, en général, des suites beaucoup plus douloureuses puisqu’il n’était pas désiré par les époux, tandis que, le plus souvent, le divorce est pour eux une délivrance. Et pourtant, les divorcés qui, en raison de leur âge, devraient se tuer deux fois moins que les veufs, se tuent partout davantage, et jusqu’à deux fois plus dans certains pays » (s, 294). Constatant que « les divorcés des deux sexes se tuent entre trois et quatre fois plus que les gens mariés et sensiblement plus que les veufs » (s, 293), Durkheim cherche à l’expliquer. Il affirme que « Ce n’est pas dans les prédispositions organiques des sujets, mais dans la nature intrinsèque du divorce qu’il faut aller chercher la cause de cette remarquable relation » (s, 293). En effet, il met en relation le taux de divorce et l’immunité au suicide des personnes mariées par rapport aux veufs. Durkheim montre que le taux de suicide est plus élevé parmi les individus veufs ou divorcés que parmi les individus mariés. Produisant un affaiblissement du lien matrimonial, la « possibilité du divorce » modifie l’effet du mariage sur le suicide. Durkheim précise: « Il faut que l’institution même du divorce, par l’action qu’elle exerce sur le mariage, détermine au suicide » (s, 303). Rappelons que, selon Durkheim, le mariage a un effet protecteur pour les hommes mariés relatif aux hommes célibataires, mais aggravant pour les femmes mariées par rapport aux femmes célibataires (s, 301). Selon Durkheim, le divorce réduit ces deux effets contraires. Autrement dit, la diffusion du divorce augmente le coefficient de préservation des épouses, alors qu’elle diminue celui des époux. Le renversement de la règle qui voit chez l’homme le plus bénéficiaire dans le mariage n’aurait d’autre cause que la possibilité du divorce. Il suffit que le couple marié soit affaibli par l’incertitude de l’avenir pour que « un état de mécontentement accroît les chances de suicide » (s, 305). Durkheim fait l’hypothèse ainsi, plus les divorces sont fréquents, plus les époux sont à risque de se suicider par rapport aux célibataires hommes et plus les épouses sont préservées du suicide par rapport des célibataires femmes. Pour prouver cela, il essaye de neutraliser l’effet propre du mariage en raisonnant sur les couples mariés sans enfants et les couples mariés avec enfants. Il constate que les hommes mariés sans enfants se donnent la mort moins que les célibataires, mais bien plus que les hommes mariés avec enfants, alors que les femmes mariées sans enfants se tuent davantage que les célibataires. Mais les femmes mariées avec enfants sont protégées du suicide, relativement aux célibataires, en raison de l’immunité apportée par la présence d’enfants. En d’autres termes, dans le cas de mécontentement, le lien familial protège davantage la femme face au suicide que l’homme. Selon Durkheim, c’est la société domestique (la vie familiale) et non la société conjugale (le fait d’être marié) qui préserve l’état de mécontentement du suicide. Généralisant l’analyse de la relation divorce-suicide, Durkheim compare les taux des gens mariés à ceux des célibataires là où le divorce existe (Bade, Prusse et Saxe) et là où il n’existe pas (Italie et France) et se demande si la possibilité du divorce modifie l’effet du mariage sur l’aptitude au suicide des deux sexes. Voici une preuve de plus, dit-il. Il conclue que « Dans les pays où le divorce n’existe pas, la femme est moins préservée que son mari. Au contraire, dès que le divorce est pratiqué, le mari est moins préservé que l’épouse » (s, 299). Les données du Grand-Duché d’Oldenbourg aident Durkheim à trouver en effet qu’à Oldenbourg non seulement le mariage, mais aussi le veuvage profite davantage à la femme qu’à l’homme. Comme en France c’est l’inverse, Durkheim en conclut que « dans une même société, la tendance au suicide, à l’état de veuvage, est, pour chaque sexe, fonction de la tendance au suicide qu’a le même sexe à l’état de mariage » (s,203). En effet, l’immunité au suicide dont jouissent les deux sexes dans le mariage se prolonge dans le veuvage et le désavantage, pour la femme, et l’avantage, pour l’homme, dus au mariage se réduisent à mesure que cette institution perd de l’importance dans la société. Alors que le veuvage ne modifie pas l’effet du mariage sur l’aptitude au suicide des deux sexes, le divorce fait changer sensiblement cet effet du mariage sur la réaction suicidaire des deux sexes au mécontentement. Besnard (1997) estime que la proposition selon laquelle plus le divorce est pratiqué, plus la femme est préservée du suicide dans le mariage relativement à la célibataire (s, 302) était encore valable en France un siècle après sa formulation.
9Les femmes se suicident moins fréquemment que les hommes. Durkheim constate que la fréquence du suicide chez les hommes est quatre fois supérieure que chez les femmes (dt, 227) et il en résulte que « le suicide est une manifestation essentiellement masculine » (s, 39). Durkheim explique que la relative immunité des femmes face au suicide « est beaucoup plus un effet des causes sociales que de causes organiques » (s, 389). Si le passage du malheur à l’acte suicidaire chez les femmes diffère de celui chez les hommes, selon Durkheim, ce n’est pas parce que la femme diffère physiologiquement de l’homme, c’est parce qu’elle participe moins que lui à la vie collective (Besnard, 1973). Il précise que « les deux sexes ne participent pas également à la vie sociale. L’homme y est activement mêlé tendis que la femme ne fait guère qu’y assister à distance » (s, 442). Comparé aux hommes, les femmes sont beaucoup moins engagées dans la vie collective, elles se sentent donc « moins fortement l’action bonne ou mauvaise » (s, 335). Autrement dit, la femme se suicide moins que l’homme parce qu’elle est moins exposée à des sources de mécontentement. De cette interprétation de Durkheim peut se dériver l’hypothèse selon laquelle plus l’individu est engagé dans la vie collective, plus il est possible de se sentir le mécontentement face à face aux variations et contraintes des conditions sociales. C’est parce que « la sensibilité de la femme est plutôt rudimentaire que très développée, qu’elle vit plus que l’homme en dehors de la vie commune » (s, 231). Selon Durkheim, la différence entre la femme et l’homme se réfère à l’opposition nature-société: dans De la Division du travail social, il explique que « la femme est moins mêlée que l’homme au mouvement civilisateur » (dt, 227) ou encore dans Le Suicide, l’homme est décrit comme « presque tout entier un produit de la société » tendis que la femme est un être « resté bien davantage tel que l’avait fait la nature » (s, 443). Évidemment, la citation doit être replacée dans son époque et dans son contexte. Il semble que pour Durkheim la distance avec la vie sociale (affaire publique, politiques publics) a pour effet de rencontrer les causes du mécontentement. Constatant que le taux de suicide féminin va en diminuant depuis le début du xixe siècle, Durkheim en conclut que « la civilisation, en devenant plus urbaine, semble avoir eu pour effet de différencier davantage les deux sexes. La femme, à la ville, est tenue plus en dehors de la vie sociale sérieuse et, par suite, en subit moins les effets » (Durkheim, 1906-1909, 512). C’est bien à une différence de participation à la vie collective entre les sexes que renvoie Durkheim pour expliquer la différence entre les mécontentements chez les femmes et hommes et leurs taux de suicide.
10À propos de l’effet de la civilisation sur le lien entre malheur et suicide, Durkheim insiste que « le suicide n’apparaît guère qu’avec la civilisation » (dt, 226). En premier pas il montre que sur les cartes du suicide, les pays où l’activité scientifique, artistique, économique est portée à son maximum (l’Allemagne et la France), sont les lieux de « prédilection du suicide ». Au contraire, les pays comme l’Espagne, le Portugal, la Russie sont relativement indemnes. Un pays comme l’Italie, qui est encore quelque peu protégé, perd de son immunité à mesure qu’il progresse (dt, 226). Puis, Durkheim s’intéresse au degré de civilisation en rapport avec le taux de suicide des populations actives. Il déclare que « Les classes de la population fournissent au suicide un contingent proportionné à leur degré de civilisation. Partout, ce sont les professions libérales qui sont le plus frappées et l’agriculture qui est le plus épargnée » (dt, 227). Ensuite, en considérant qu’avec la société moderne se développe l’individualisme, Durkheim insiste sur le fait que c’est le suicide égoïste qui fournit le plus gros contingent de suicide dans les pays européens. « Le type de suicide qui est actuellement le plus répandu et qui contribue le plus à élever le chiffre annuel des morts volontaires, c’est le suicide égoïste » (s, 406). Enfin, l’exposition des deux sexes au suicide dans le mariage est différente selon le milieu. En passant de la province à la Seine, l’immunité des femmes mariées au suicide augmente-t-elle en même temps que celle des hommes mariés diminue. Pour l’expliquer, Durkheim insiste sur l’importance du rapprochement de la France urbaine de la France rurale. Il confirme que « le suicide sévit plus fortement sur les villes que sur les campagnes. La civilisation se concentre dans les grandes villes; le suicide fait de même » (dt, 227). La comparaison entre la province française et le département de la Seine (s, 204 et 297) fait apparaître, selon Durkheim, que le mariage protège davantage l’homme en province qu’à Paris et inversement l’immunité des femmes plus préservée à Paris qu’en province. La modernisation des sociétés, qui passe par les villes et entraîne une déstabilisation de l’institution du mariage, profite à l’épouse et nuit à l’époux du point de vue de la réaction suicidaire au mécontentement individualisé. Il constate que « le coefficient de préservation des époux est sensiblement moindre dans la Seine qu’en province » (s, 297). Développant son analyse, Durkheim calcule les taux de suicide des gens mariés et des veufs ainsi que leurs coefficients de préservation relativement aux célibataires. Il établit de la sorte que, en province, où les époux sont plus protégés que les épouses, les veufs se tuent moins que les veuves, tandis que dans la Seine, où les épouses sont les plus préservées, les veufs se tuent plus que les veuves. Durkheim, qui établit, d’après les données françaises, l’existence de deux constitutions morales différentes à l’origine de l’inégale exposition au suicide de l’homme et de la femme dans le mariage, s’appuie ainsi sur des données européennes d’ensemble pour déceler la nature de ces constitutions et suggérer qu’on a affaire à un phénomène répandu.
11Quelle place Durkheim a-t-il réservée au sentiment de mécontentement lorsqu’il se penchait sur le lien social (intégration et régulation sociale) pour expliquer l’acte suicidaire? L’acte suicidaire peut être considéré comme une réaction individuelle au mécontentement crée par les facteurs sociaux. Durkheim conceptualise le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique grâce à la théorie du lien social, ce qui revient à faire du taux de suicide un indicateur de malheur moyen, puis il rapporte cet indicateur à différents groupes sociaux, calcule des coefficients de préservation du suicide et les compare. Pour Durkheim, le nombre de suicides qui n’apparaissent guère qu’avec la civilisation, est l’indicateur qui explique les variations d’intensité du mécontentement moyen suivant les sociétés. Selon lui, le progrès économique et l’extension du marché ne réussissent pas à constituer « un solide capital de bonheur » sur lequel on peut vivre aux jours d’épreuves (s, 285). Les excitants agréables ne présentent pas tous des conditions favorables à supprimer les causes de mécontentement. L’intensité du bonheur humain est donc limitée et il y a un maximum qu’elle ne peut pas dépasser. Il y a longtemps, exprime Durkheim, que la division du travail serait arrivée à sa limite extrême d’accroître notre bonheur, ainsi que la civilisation qui en résulte. « Si la division du travail produit la solidarité sociale, il arrive cependant qu’elle a des résultats tout différents ou même opposés » (dt, 343). Selon Durkheim, le malheur augmente, « soit que les causes de souffrance se multiplient, soit que la force de résistance des individus diminue » (dt, 226). Dans le cas où les causes de mécontentement ne peuvent pas être supprimées, pour empêcher que la réaction au mécontentement individualisé tombe dans l’acte suicidaire, il est nécessaire que la force sociale de résistance des individus se renforce. L’apport de la théorie sociologique de Durkheim nous permet de proposer qu’autant l’appartenance aux institutions protectrices (famille, syndicat, association, etc.) pour l’individu est forte et diversifiée, autant les chances du passage du mécontentement à l’acte suicidaire sont diminuées. Selon Durkheim, un état d’équilibre entre les effets de la personnalité, de la communauté et du progrès pourrait mettre l’individu à l’abri contre toute idée de suicide, lorsqu’il exprime « Il n’y a pas d’idéal moral qui ne combine, en des proportions variables selon les sociétés, l’égoïsme, l’altruisme et une certaine anomie. […] Mais que l’un d’eux vienne à dépasser un certain degré d’intensité au détriment des autres, et, pour les raisons exposées, il devient suicidogène en s’individualisant » (s, 363). L’influence de cet état d’équilibre peut dépendre des trois facteurs: la nature des individus qui composent la société, la nature de l’organisation sociale et les événements inattendus.