- 1 Habermas J., 1986 : Ciencia y técnica como ideología, Madrid, Tecnos. [trad. de l’allemand Wissench (...)
1Dans une définition canonique du concept de technologie, les auteurs de la Théorie Critique la propose comme un projet historique et social « où se projette ce qu’une société et ses intérêts dominants, ont l’intention de faire avec les personnes et les choses »1. Pour eux, analyser une technologie particulière (télévision, photographie, radio) consisterait à identifier les désirs, les besoins mais surtout les intérêts que les pouvoirs dominants, dans un système social donné, sont disposés à offrir aux citoyens qui en sont partie prenante. Poursuivant cette métaphore de la projection, dans le contexte du sujet qui nous occupe, nous nous demanderons si les médias publics locaux d’Andalousie (en particulier la radio locale) sont des espaces où se projettent à la fois les possibilités, et les limites qu’un régime démocratique déterminé est prêt à offrir à la société civile pour sa participation dans la gestion du bien commun.
2En premier lieu, il convient de noter le constat que dresse Cammaerts (2009) sur le résultat contradictoire qui se dégage de l’analyse comparative des politiques de communication des médias communautaires dans le monde en fonction d’une disparité d’axe, avec les pays occidentaux d’une part et les pays en voie de développement d’autre part. Dans les premiers (Ouest), les médias communautaires se voient placés à des positions marginales, mais pour autant ils conservent une grande tradition de lutte pour leur droit à exister, et à obtenir des fréquences ou une reconnaissance politique. On assiste à un constat différent dans un grand nombre de pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud, où des initiatives en matière de diversité sont mises en œuvre pour intensifier la présence de stations locales.
- 2 Voir en référence les commentaires à la loi du texte collectif coordonné par M. Baranchuk, J. Rodrí (...)
3En ce sens, le contraste est frappant si on compare le nouveau cadre législatif en Uruguay (2007) et en Argentine (2009)2 ayant trait aux médias communautaires à but non lucratif avec celui de l’Espagne. D’un côté, on observe qu’un tiers du spectre hertzien est réservé pour les médias communautaires audiovisuels, et de l’autre on assiste à la marginalisation continue et à l’exclusion à laquelle ces mêmes médias sont soumis depuis plus de trente ans au sein de la démocratie espagnole. Pendant que le « phénomène » argentin/ uruguayen est en train de créer une vraie dynamique de contagion dans d’autres pays de la région, la réalité sur le continent européen, malgré des nuances qui peuvent exister entre différents pays, confirme le diagnostic précédemment signalé. C’est dans ce contexte que nous souhaitons focaliser notre réflexion, comme il est indiqué dans le titre, autour des différentes forces et dynamiques qui se projettent sur les radios publiques et locales, et leur attractivité pour meilleur (et aussi le pire) de la démocratie actuelle.
- 3 Mémoire technique du projet.
4Le projet de recherche, intitulé « La radiotélévision publique locale en Andalousie : situation actuelle et incidence sociale » allait dans ce sens. Il partait des principaux objectifs suivants3:
1. Connaître et répertorier la réalité des médias de communication audiovisuelle publics locaux de la communauté andalouse qui contribuent à la structuration territoriale de la région, et à encourager une meilleure participation citoyenne dans ces médias publics de proximité.
2. Disposer d’une étude comparative qui souligne les similitudes et différences essentielles entre les stations locales publiques de radio et de télévision en Andalousie.
3. Connaître le contenu, l’indépendance, la professionnalisation qu’offrent les stations municipales de radio et de télévision en Andalousie, de même que leur préoccupation face aux critères de service public et de la citoyenneté.
4. Évaluer les caractéristiques et les perspectives d’évolution afin de développer des propositions tendant à améliorer leur fonctionnement.
5En 2013, nous avons réalisé la première phase quantitative du projet. Elle consistait en l’administration et l’analyse d’un questionnaire adressé aux stations de radio et télévision locales de chacune des provinces andalouses. Le formulaire utilisé se subdivisait en cinq grandes sections:
1. Fiche technique. Elle regroupe des questions sur la commune où se trouve la station, ses coordonnées postales, adresses électroniques, présence sur les médias sociaux, fréquence de la station.
2. Programme et contenu. Etude des heures de programmation de chaque station, en fonction des pourcentages horaires dédiés à l’information, la participation citoyenne, la culture, le sport, etc.
3. Ressources humaines. Cette partie de l’étude a pour but de recueillir des données concernant le personnel employé et le personnel bénévole de chaque station, et d’établir son niveau de formation académique ou technique.
4. Équipement et installations. Ces questions ont trait aux puissances d’émission des stations, les équipements dont elles disposent (radio, téléphonie, informatique), la dimension des installations, etc.
5. Financement. Connaissance des différentes ressources économiques, revenus des stations : apports municipaux, publicité, parrainage ou subventions, entre autres.
6Le développement de la radio publique locale et des radios libres s’est fait en Espagne dans les années 80. Il coïncide avec le premier boom de la fm, la nouvelle réglementation régissant le domaine des télécommunications, mais aussi avec l’arrivée de la démocratie lors des premières élections en Espagne et l’attente de l’arrivée de la « gauche » au gouvernement national (Chaparro, 1998, 2002; Cheval, 1990; Saéz, 2010).
7Cependant, nous pouvons trouver un précédent historique en Andalousie. Selon le chercheur Manuel Chaparro, la première station municipale andalouse a été créée dans la ville de Pozoblanco (Cordoue), c’était celle de la paroisse, lancée en 1974 par le Concordat signé entre l’Espagne et la Santa Sede. La deuxième station de radio municipale apparue en Andalousie a été « La voix de Guadalhorce », dans la municipalité de Pizarra (Malaga), en 1979, lors de la victoire du Parti communiste de l’Andalousie aux élections locales.
8Ces initiatives ont été soutenues par le gouvernement autonome andalou de Rafael Escuredo, pour qui cette question est devenue un enjeu majeur. L’impulsion et le renforcement des radios publiques locales en Andalousie continuent en 1984 avec la Fondation et l’Association des stations municipales d’Andalousie (ema-rtv). Comme indiqué sur leur site, ce réseau de stations est né avec l’objectif de promouvoir la légalisation des radiodiffuseurs municipaux et des citoyens afin de répondre aux demandes de communication dans les centres ruraux ou collectivités défavorisées. Après presque 30 ans d’activité, ema-rtv a été consolidé comme le plus important réseau de médias municipaux d’Espagne, exemple de travail horizontal, de dévouement à la fonction publique et de contenus différents mettant en évidence les municipalités et leurs médias ainsi que ce qui se passe dans les régions et les provinces.
9Cette association à but non lucratif comprend actuellement près de 100 mairies andalouses, 76 radios municipales locales (sur les 305 sous licence existant actuellement en Andalousie) et 25 télévision locales andalouses.
10Par la suite, nous analyserons quelques unes des données les plus significatives recueillies dans la phase quantitative. Mais dans un premier temps, nous allons tenter de synthétiser quelques éléments à caractère théoriques qui vont nous permettre de penser la réalité actuelle des services publics locaux de radiotélévision en Andalousie, au travers des enjeux, des tensions et des forces qui se projettent sur eux; c’est à dire aussi toute caractéristique à même d’augmenter ou de réduire leurs possibilités de se constituer en espaces de participation citoyenne et de service public. Dans un effort de synthèse, on notera les trois dimensions apparaissant dans le graphique suivant:
Source : Victor Manuel Marí Sáez
1. Il s’agit tout d’abord de considérer les Politiques de Communication qui, dans le contexte espagnol, se sont élaborées depuis les débuts de la période démocratique, et notamment dans la dernière période du gouvernement socialiste, alors que se perpétuaient les constantes déjà notées: exclusion des médias citoyens de régulation; limitations techniques et budgétaires imposées à ces médias, ou manque de reconnaissance.
À côté de ce niveau d’analyse, centré en questions de caractère macrostructural, nous voulons également focaliser notre travail, aussi, sur d’autres dimensions situées, pour le dire sur un mode familier, « à ras du sol ». Nous entendons par cela les inerties et les dynamiques institutionnelles qui, dans chaque municipalité et chaque station, affectent les possibilités d’augmentation du niveau de participation citoyenne et d’autogestion au sein de chaque média. Ces facteurs sont liés au degré d’indépendance des médias en fonction de directives plus ou moins explicites qui proviennent du pouvoir politique local; l’autonomie et le niveau de décision dont dispose le personnel qui travaille à la station pour établir les lignes d’action; la capacité du personnel de la station d’exercer son rôle de communicants, dynamiseurs culturels, etc.
2. En second lieu, en tant qu’autre groupe de pouvoirs qui se projettent et affectent les médias audiovisuels publics locaux, se trouvent les puissances du marché. Parmi elles, nous pourrons mettre en relief la pression et l’influence que, l’Union des télévisions commerciales associées (uteca) comme lobby fortement organisé, joue dans le panorama espagnol. Selon la présentation de son site web4, c’est une association constituée en 1998 dans le but primordial de défendre et représenter les intérêts communs des télévisions commerciales dans le cadre national, mais aussi communautaire et international. Son niveau d’influence est tel, que des analystes du Tiers secteur de la communication en Espagne (Meda, 2010), ont pu relever comment les revendications de cette organisation se sont insérées dans le nouveau cadre législatif espagnol, et ont contribué à mettre en place la nouvelle loi: la « Loi uteca ».
3. Une troisième série de facteurs se répercute sur les médias publics locaux, ils émanent de la citoyenneté active et des mouvements sociaux. À ce stade, notre analyse passe par l’étude des relations à partir de ces facteurs. D’un côté se trouvent les stratégies d’appropriation citoyenne en relation avec les médias publics audiovisuels locaux; dans quelle mesure les citoyens et citoyennes d’une localité particulière, à titre individuel ou organisés (associations, ong, mouvements sociaux, syndicats, etc.) exercent leur droit d’accès aux médias et prennent la parole, dans un exercice d’appropriation civique. De l’autre coté, nous souhaitons analyser le degré d’ouverture et de réception que mettent en avant les gestionnaires de ces médias publics locaux (et, en dernière instance, le gouvernement local) pour ouvrir les espaces audiovisuels à la participation citoyenne dans les médias et dans la vie sociale, politique et culturelle de la localité.
- 5 Le mouvement des Indignés (Indignados en espagnol) ou Mouvement 15-M est un mouvement assembléiste (...)
11En ce sens, le travail du terrain a coïncidé avec l’éclosion du mouvement 15–M dans le panorama politique espagnol5. Sans réduire les possibilités de participation citoyenne aux actions liées à ce mouvement, nous pensons qu’il est pertinent d’analyser la modalités selon lesquelles ce mouvement (son urgence, ses demandes, son agenda thématique, son cycle évolutif, etc.) a pu prendre place dans chacune des stations testées. Il s’agit aussi d’appréhender le niveau avec lequel le pouvoir politique local reçoit les propositions et critiques du mouvement 15-M en direction du pouvoir politique, à propos des déficits de la représentation citoyenne et du manque de transparence dans l’exercice de leurs tâches.
12Le concept du Tiers secteur de la communication (tsc) est déjà explicité dans des travaux de référence comme ceux de Lewis et Booth (1992) ou celui de Chaparro (2002). Ces auteurs suggèrent que les différents modèles qui orientent le développement de la radiodiffusion correspondent à trois logiques radicalement différentes: celle de l’État, celle du Marché et celle de la société civile. Quelle logique caractérise les médias du tiers secteur? Pour ces auteurs, les médias communautaires, à la différence des autres médias, cherchent à partager le pouvoir avec leurs auditeurs, à travers des relations plus démocratiques que celles que les deux autres acteurs veulent établir. De plus, les médias communautaires se situent dans une logique de défense des droits humains, face à la logique du marché ou face à la logique de défense de l’identité et des intérêts nationaux portées par les médias publics ou étatiques.
13Nous considérons qu’une proposition technique de Michel Sénécal (1986) sera très judicieuse, rejointe par une des idées centrales de ce travail: l’identification des caractéristiques propres du tsc et des moyens de communication émanant des mouvements sociaux, à partir des logiques de fonctionnement selon lesquelles sont régies ces médias. En suivant le schéma des trois secteurs, Sénécal identifie la logique de l’appropriation sociale comme étant le propre des médias impulsés par les mouvements sociaux: cette logique de l’appropriation sociale proposée par Sénécal implique, par exemple, de connecter le travail communicationnel avec les processus sociaux qui conduisent à un gain qualitatif de plus d’espace démocratique. C’est une logique qui met l’accent sur les processus (Kaplún, 1998), les liens et les réseaux établis, plus que sur la qualité ou la valeur intrinsèque des produits de communication. Au chapitre final de son livre, Sénécal met le doigt sur les failles, risques et limitations qui menacent les médias communautaires: l’éblouissement que suscitent les outils technologiques et l’exclusion sociale à laquelle peut se soumettre le projet communicatif et politique de démocratisation de la communication (Sénécal, 1986, 150).
14Nous partageons l’insistance de Sénécal sur l’analyse des pratiques de communication, qui sont celles qui, réellement, vont apporter des éléments sur la mise en œuvre de nouvelles logiques, de nouvelles dynamiques et nouveaux styles de communication. De plus, la référence au terme appropriation possède d’amples résonances à l’intérieur de la pensée communicationnelle, dans ses différentes perspectives (Bourdieu, 1980; Thompson, 1999; alai, 2011; Winocur, 2002; Heller, 1977; Flichy, 1993; Willis, 1988; Canclini, 2001; Hamelink, 1999; Sénécal, 1986; Williams, 1980; Morley, 1996).
15Ainsi, par exemple, pour Michel de Certeau (1990), le processus d’appropriation technologique et communicatif est étroitement lié à la vie quotidienne des secteurs populaires, à ses « guérillas de communication », où sont mises en jeu des tactiques de résistance et subversion; pour lui, dans l’appropriation il y a un acte populaire de transformation du sens et de l’expérience. D’un autre côté, pour Martín Barbero (1987) le processus de communication et de « mass-médiation » doit être considéré depuis le lieu de réception comme un moyen pour que la communication sorte du paradigme de la transmission et puisse être comprise comme clé culturelle.
16Le mot appropriation met l’accent sur la capacité de faire sien et d’incorporer ce que l’on n’a pas (une technologie déterminée pour communiquer) à partir de ce qui est connu et de ce que l’on met en œuvre (cosmovisions, imaginaires, logiques de fonctionnement et d’organisation). Les mouvements sociaux s’approprient les médias de communication à partir de leurs objectifs de résistance et de transformation du mécanisme de la globalisation capitaliste. D’une certaine manière leur projet alternatif de société marque les usages qu’ils font des instruments de communication. De plus, les mouvements sociaux mènent à terme, des logiques d’appropriation sociale des médias depuis des structures organisationnelles, qui recherchent l’horizontalité et la participation active de leurs membres. On peut dire qu’au sein des mouvements sociaux, la logique de réseau précède les usages des différents médias de communication. Ces mouvements qui ont été dotés d’organisations flexibles, horizontales et interconnectées les unes aux autres, sont celles qui profitent le mieux des nouvelles possibilités ouvertes à la communication solidaire dans la société-réseau (Castells, 1997).
17Une fois exposé le cadre théorique et les lignes stratégiques de notre travail, nous pouvons analyser les résultats issus de la recherche menée sur le terrain selon la problématique envisagée. Dans une première phase, le projet La radiotélévision publique locale en Andalousie : situation actuelle et incidence sociale s’est consacré à une analyse quantitative de la situation des radios publiques locales dans chacune des provinces andalouses. Les auteurs de cet article, membres de l’équipe responsable de la province de Cadix, ont travaillé sur cet univers et les stations qui y sont localisées.
18Comme on constate sur le tableau 1, le recensement actuel est formé d’un total de 31 stations de radio locales publiques, un chiffre significatif si on prend en compte les dimensions (7 436 km², 1,47% de la superficie espagnole) et la population de la province de Cadix (1 230 594 habitants). En partant du fait que la région compte 44 municipalités on peut dire que le nombre de stations est important.
19Ces médias publics locaux servent, comme nous l’indiquions dans la présentation du projet d’investigation, à structurer un territoire dispersé et complexe comme l’est le territoire andalou, où 50% de la population âgée de plus de 14 ans habite dans des communes de moins de 50 000 habitants.
Tableau 1 – Radios publiques locales dans la province de Cadix
Localité
|
Chaîne
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Année de début
|
ema
|
Ouverte/Fermée
|
1. Alcalá del Valle
|
Radio Alcalá
|
1994
|
Non
|
O
|
2. Arcos de la Frontera
|
Radio Arcos
|
1982
|
Non
|
O
|
3. Barbate
|
Radio Barbate
|
1986
|
Oui
|
O
|
4. Benalup
|
Benalup fm
|
2011
|
Non
|
O
|
5. Benacoaz
|
Radio Benacoaz
|
–
|
Non
|
F
|
6. Bornos
|
Radio Guadalete
|
1995
|
Non
|
O
|
7. Cádiz
|
Onda Cádiz
|
2007
|
Non
|
O
|
8. Castellar de la Frontera
|
Radio Castellar de la Fr.
|
–
|
Non
|
F
|
9. Conil de la Frontera
|
Radio Juventud
|
1987
|
Non
|
O
|
10. Chiclana
|
Radio Chiclana
|
1985
|
Non
|
O
|
11. Chipiona
|
Radio Chipiona
|
1982
|
Oui
|
O
|
12. El Bosque
|
Radio El Bosque
|
1983
|
Non
|
O
|
13. El Puerto de Santa María
|
Radio el Puerto
|
1999
|
Non
|
O
|
14. Grazalema
|
Radio Grazalema
|
1990
|
Non
|
O
|
15. Jerez de la Frontera
|
Onda Jerez
|
1986
|
Oui
|
O
|
16. Prado del Rey
|
Radio Prado del Rey
|
1996
|
Non
|
O
|
17. Jimena de la Frontera
|
Radio Jimena
|
–
|
Non
|
F
|
18. La Línea de la Concepción
|
Rtv. La Línea
|
–
|
Non
|
O
|
19. Los Barrios
|
Radio Los Barrios
|
–
|
Non
|
F
|
20. Medina Sidonia
|
Radio Medina
|
–
|
Non
|
F
|
21. Olvera
|
Radio Olvera
|
–
|
Oui
|
F
|
22. Puerto Real
|
Radio Sol Puerto Real
|
–
|
Non
|
F
|
23. Puerto Serrano
|
Radio Puerto Serrano
|
–
|
Non
|
F
|
24. San Fernando
|
Radio Isla
|
–
|
Oui
|
O
|
25. San Roque
|
Radio San Roque
|
–
|
Oui
|
O
|
26. Sanlúcar de Barrameda
|
Radio Sanlúcar
|
1986
|
Non
|
F
|
27. Tarifa
|
Radio Tarifa
|
1995
|
Oui
|
O
|
28. Trebujena
|
Radio Trebujena
|
1998
|
Oui
|
O
|
29. Ubrique
|
Radio Ubrique
|
1984
|
Non
|
O
|
30. Vejer de la Frontera
|
Radio Vejer
|
–
|
Non
|
O
|
31. Villamartín
|
Radio Villamartín
|
–
|
Oui
|
F
|
Source: Victor Manuel Mari Saez
20Cette réalité sociale, géographique et démographique fait que les espaces ruraux, auxquels la plus grande partie de ces stations appartiennent, sont essentiellement et uniquement desservis par ces médias publics.
21Le graphique 2 nous permet de le voir et confirme que sur 21 stations de la province de Cadix qui sont actuellement en fonctionnement, 16 appartiennent à des communes de moins de 50 000 habitants, où il n’existe pas de stations commerciales privées parce qu’il n’y a pas pour elle de marché rentable.
Graphique 2 – Nombre d’habitants des principales localités de la province de Cadix
Source: Victor Manuel Mari Saez
22D’un autre côté, à travers une première lecture du tableau 1, nous constatons que sur l’ensemble des stations, 10 sont fermées (grisés). En s’interrogeant sur les raisons de cette situation, les arguments recueillis sont fondamentalement au nombre de deux:
-
la crise économique affecte les communes et celles-ci, dans des politiques d’ajustement, ferment les stations de leur localité.
-
les changements de majorité politique après les dernières élections municipales (2011) ont motivé les fermetures de stations.
23Si nous mettons en relation ces arguments et le schéma originel (concrètement, avec le bloc « Politiques de Communication »), nous constatons que les mesures adoptées sont étroitement liées à la carence de politique de communication nettement définie à l’égard de ce type de médias; une politique qui assurerait leur permanence et leur stabilité dans le temps, en faisant de ces médias de proximité une garantie claire de la normalité démocratique. Dans le niveau micro de ce bloc, nous avons aussi identifié une série d’inerties et de dynamiques institutionnelles qui se répercutent sur la gestion de ces stations. Dans ce cas, les inerties et dynamiques ont un caractère négatif, et consistent, fondamentalement, en:
1. la priorité donnée à la baisse de budget consacré à des politiques sociales et de service public (comme dans ce cas) avant toute autre chose.
2. la mise en avant des intérêts partisans face aux projets municipaux de longue durée.
- 6 Parti conservateur.
- 7 Parti social-démocrate.
- 8 Parti regroupant une série de forces politiques de gauche, menés par le Parti communiste.
24On retrouve cette situation analysée sur le graphique nº 2, consacré aux partis politiques qui gouvernent les localités où fonctionnent des radios locales publiques. Dans le cas de la province de Cadix, presque 60% de ces mairies sont gouvernées par le Parti populaire (pp)6, 21% par le Partido socialista obrero español (psoe)7 et près de 16% par Izquierda unida (iu)8.
25D’un autre côté, si on prête attention aux municipalités de la province de Cadix qui ont fermé une radio locale publique, on constate que la plupart (8) sont gouvernées par le psoe, 7% par le pp et 7% par iu.
26A partir de l’analyse comparée des deux graphiques, l’idée que ces médias sont plus en relation avec les partis de gauche n’est pas confirmée. À partir des données obtenues dans la province de Cadix, on voit que le contraire se produit: il y plus de radios locales se situant dans des municipalités gouvernées par le pp, et le nombre de stations qui ont été fermées dans des communes gouvernées par le psoe est plus important qu’ailleurs.
27Ces données sont également susceptibles d’être revues dans la perspective d’une droitisation progressive de la carte politique de la province de Cadix, une réalité également au niveau régional, où le pp, ou autres appellations politiques sous lesquelles ce parti politique s’est présenté (Alianza popular), a conquis un espace politique croissant en Andalousie.
28Cependant, même en partant du fait qu’à l’origine l’impulsion des radios locales publiques avait le soutien des partis de gauche, elles n’ont pas eu le même appui que dans d’autres pays voisins de l’Espagne. Ainsi, si on compare les mesures prises par le gouvernement de François Mitterrand à son arrivée au pouvoir (1981), avec les mesures développées par le gouvernement de Felipe González, un an plus tard (1982), on constate une différence de traitement accordé dans les deux cas aux médias publics locaux (Cheval, 2011, 120). Un an après l’accession en France de Mitterrand au pouvoir, se produit, en Espagne, la victoire du psoe et de Felipe González. Les espoirs de ceux qui pensaient que les radios libres, communautaires ou citoyennes allaient recevoir en Espagne un traitement similaire à celui reçu en France, ont été brisés.
29Dans cette section nous nous sommes attachés au schéma initial proposé pour l’analyse, d’une part au niveau macro (les politiques de communication en matière de médias communautaires) et d’autre part au niveau micro, centré sur l’analyse des dynamiques et inerties institutionnelles qui facilitent ou rendent difficile le développement des médias communautaires publics locaux. Sur ce dernier niveau, nous avons noté la fermeture de dix stations de la province de Cadix, justifiée par le changement d’équipe municipale ou par des réductions budgétaires, qui sont la preuve de l’absence de volonté politique pour assurer la continuité de ces médias.
30En outre, le fait que la fermeture de stations locales soit menée par des équipes municipales conduites par le psoe, le pp et iu, nous fait prendre conscience du malaise que représente pour le pouvoir local l’existence de médias qui, en général, n’entrent pas dans les logiques de contrôle des partis aux pouvoir.
31Le fait que les radios locales publiques soient contingentées dans leurs revenus publicitaires de par la loi et, que l’enveloppe financière liée aux subventions municipales soit limitée, fait que ces médias, en général, se trouvent soumis à la loi des trois « p » analysés par les experts latino-américains dans le domaine: c’est à dire que ces radios ont l’habitude d’être pocas, pequeñas y pobres (peu nombreuses, petites et pauvres). Elles sont Peu nombreuses, au regard des licences attribuées aux stations privées et commerciales ou aux radios publiques et institutionnelles; Petites de par leur rayon d’action; Pauvres si on tient compte des restrictions imposées pour leur pérennité et leur financement.
32Un autre élément en lien avec les inerties et dynamiques institutionnelles concerne l’accountability et son accès en tant qu’information à caractère public, notamment par rapport aux médias publics locaux. Du point de vue de la recherche, il est véritablement très complexe d’accéder aux informations souhaitées. Ce qui, à nouveau, met en évidence les carences sur ce sujet à deux niveaux:
-
le manque d’un cadre normatif clair en relation avec la nécessaire publication des comptes (accountability) des institutions publiques, et l’inexistence d’une loi de transparence et d’accès à l’information
-
le défaut d’une culture et certaines habitudes des employés publics municipaux, qui ne permettent pas de répondre aux demandes citoyennes d’information à ce sujet.
33En ce sens, nous pensons qu’il faudra inclure dans le rapport issu de cette étude des recommandations qui renvoient à ces problématiques fondamentales.
34Un deuxième niveau d’analyse concerne les pressions du secteur marchand qui s’exercent pour limiter la présence et l’activité des médias publics locaux ou des médias communautaires. Actuellement, ces pressions atteignent un niveau très élevé, comme en témoigne une recherche récente (Meda, 2010). Faisant écho à leurs demandes et revendications, des associations de médias communautaires (comme la remc9) ont décidé de baptiser la loi Générale de Communication Audiovisuelle, approuvée par le Congrès des Députés en mars de 201010, « le droit uteca », à cause des pressions et influences exercées sur cette loi par l’Union de télévisions commerciales associées.
35L’uteca se place comme un des foyers les plus actifs parmi ceux qui orientent les politiques de communication en Espagne sous un angle néolibéral. Selon cette stratégie, les médias communautaires et les médias publics locaux se retrouvent avec des possibilités limitées d’existence et de croissance, parce qu’ils sont perçus comme une concurrence potentielle de la part des médias privés et commerciaux.
- 11 Une définition générale du capital cognitif consiste à souligner à la fois le rôle central de la co (...)
36En ce sens, Ramón Zallo (2010, 12), dans son analyse de la politique de communication du gouvernement Zapatero, établit deux étapes. Dans la deuxième, qui correspondrait à la deuxième législature, l’emphase est passée du service public à la concentration; de la décentralisation à la centralisation; de l’extension de la connaissance à son accumulation et appropriation depuis le capital cognitif11, du modèle keynésien à un retour tardif au modèle néolibéral. Zallo développe ces idées plus précisément:
37Par conséquent, nous pouvons constater que l’État se pose comme un autre acteur influant les politiques de communication en direction d’un chemin clairement favorable aux intérêts d’un nombre limité d’acteurs du marché (les chaines privées), et au détriment d’une politique active de défense aussi bien des médias institutionnels publics locaux que des médias du tiers secteur.
38Parallèlement à ce niveau macro, montrant la présence d’une logique de marché dans la conception des politiques de communication (et les conséquences qui en découlent pour les médias communautaires), il s’agit de considérer le niveau micro dans lequel cette logique du marché est également présente. Pour cela, nous porterons notre attention à la programmation des stations locales publiques. Cela nous permettra d’établir une série de comparaisons entre le niveau organisationnel et juridique de ces médias (ce qu’ils disent être) et le niveau pratique (ce qu’ils font).
39Concrètement, notre observation se concentrera sur la présence effective dans la programmation d’éléments liés à la participation citoyenne. Nous partons de l’hypothèse que les médias conventionnels (publiques et institutionnels ou privés et commerciaux) font pression de plusieurs manières sur les médias locaux publics en ce qui concerne le modèle de radiodiffusion. Par exemple, un des effets serait l’extension du modèle des radios thématiques musicales au cœur de la programmation de ces médias citoyens.
Graphique 3 – Heures dédiées à la participation citoyenne par les radios locales publiques de la province de Cadix
Source: Victor Manuel Mari Saez
40Le graphique 3 permet d’observer les heures dédiées à la participation citoyenne dans les radios locales publiques de la province de Cadix. La plus grande partie d’entre elles (60%) consacrent entre une et cinq heures par semaine à ces thématiques. Les stations appartenant au segment suivant (20%) dédient entre cinq et dix heures de leur programmation à ce type d’émissions. À l’autre extrême, seulement 10% des radios consacrent plus de vingt heures par semaine à ces créneaux en relation avec la participation citoyenne.
- 12 Pour une étude plus détaillée de cette question, on pourra consulter (Marí, 2010).
41À un autre niveau et de plus, il sera important de réaliser une étude un peu plus détaillée sur ce que signifie dans la pratique ce vaste concept de la « participation citoyenne ». Au cours des interviews téléphoniques réalisées lors de la phase qualitative, nous avons pu recueillir des interprétations un peu plus larges et divergentes sur cette question. Pour certaines radios, ce concept (« participation citoyenne ») inclus des programmes réalisés par les collaborateurs de la station. Dans d’autres cas, ce sont des organisations ou organismes sociaux, un représentant d’un collectif social (par exemple, un immigrant) qui peuvent prendre la parole. Mais il y a aussi des stations qui englobent sous ce concept les appels des auditeurs qui participent à certains programmes de la station. Alors que les deux premiers concepts de la participation citoyenne signalés nous renvoient aux modèles de communication horizontaux et participatifs, qui historiquement ont caractérisé aux médias communautaires12, le troisième concept ne se différencie guère des pratiques conduites dans les deux autres types de stations.
42Un autre indicateur qui peut être utilisé dans cette partie, est celui qui fait référence à la participation des bénévoles et des sympathisants. Cette participation arrive à son plus haut niveau quand il comprend l’engagement et l’implication dans la gestion de la station. Quelques auteurs (Chaparro, 2009; Gumucio, 2001; Jankowski, 2002; Lewis, 1992) proposent que l’autogestion de ces médias est une preuve d’un pouvoir citoyen qui n’est pas que verbal et proclamé, mais qui participe aussi directement aux actions.
43À ce propos et à partir du travail quantitatif réalisé avec les stations de la province de Cadix, nous avons analysé la présence du personnel non rémunéré. En règle générale, ces médias comptent une variété de collaborateurs. D’un côté, on trouve des employés rémunérés, cette catégorie est normalement composée par du personnel qui travaille pour la localité, et qui a été mandaté pour exercer son travail au sein de la radio locale. On remarque aussi que d’autres personnes reçoivent une gratification économique pour leur travail à la radio, sans que cette rémunération implique un contrat de travail stable. De l’autre coté, on observe que les équipes sont aussi composées de collaborateurs bénévoles, volontaires, qui sont des personnes qui font partie de la vie quotidienne de la station, mais qui ne perçoivent pas de rémunération pour leur travail.
Graphique 4 – Nombre de bénévoles et collaborateurs dans les stations de radio publiques de Cadix
Source: Victor Manuel Mari Saez
44Selon le graphique ci-dessus, presque 30% des stations n’ont aucun bénévole et un tiers d’entre elles (33%) ont entre un et trois collaborateurs. Ces deux catégories représentent plus de 60%, et sont représentatives de l’organisation des radios locales publiques de la province de Cadix. On peut remarquer que ces 5% de stations qui ont plus de vingt collaborateurs pour la gestion quotidienne de la station contrastent avec le taux d’implication du personnel payé.
45Le faible indice de participation du personnel et des bénévoles dans les radios locales publiques de la province de Cadix, peut être considéré comme un autre indicateur pour mesurer le niveau de « commercialisation » du Tiers secteur de la communication dans cette région. Face à la logique du don propre au tiers secteur, d’autres logiques s’imposent au moment de réguler les liens des citoyens avec la gestion concrète et quotidienne de ce type de stations.
46L’époque d’exécution du projet La radiotélévision publique locale en Andalousie : situation actuelle et incidence sociale coïncide avec l’émergence et maturation du mouvement 15-M dans la réalité sociale et politique espagnole. Même s’il est vrai que la participation citoyenne ne se limite pas seulement à ce mouvement, car coexistent d’autres formes de participation sociale et politique, on peut voir que d’une certaine manière la mobilisation du 15-M interpelle les modes traditionnels de canalisation de l’engagement sociopolitique des citoyens.
47Plusieurs initiatives de communication ont émergé du panorama espagnol, liées d’une manière ou d’une autre au mouvement 15-M. Une des plus importantes fut peut-être celle du projet Ágora Sol Radio13. Comme le souligne ses partisans sur le site Internet du projet, dès le début du mouvement 15-M, le besoin de donner la parole aux indignés est apparu comme une évidence. Au sein de la commission communication du mouvement, une sous commission radio a vu le jour pour donner naissance à une station qui a commencé à émettre le 26 mai 2011. Par la suite, une fois passé le temps de l’effervescence majeure du mouvement, le projet a maintenu une programmation réduite, mais stable, tout au long de la semaine.
48En ce qui concerne le mouvement 15-M, et sa communication, il faut, aussi, faire référence au traitement spécial dont il a fait l’objet dans les programmations des radios communautaires (ce fut le cas de la part de l’Union des Radios Libres et Communautaires de Madrid, ou du Réseau Étatique des Médias de Communication) et sur les ondes des médias publics locaux, tel le réseau ema-rtv.
49En creusant dans cette direction, la phase qualitative de la recherche, nous permettra d’explorer les modalités selon lesquelles le mouvement du 15-M a occupé une place informative significative dans les médias publics locaux d’Andalousie. À un niveau beaucoup plus spécifique, nous essayerons d’évaluer l’influences du mouvement du 15-M et des expériences comme Ágora Sol Radio, dans la réactivation de la participation citoyenne au sein des médias publics locaux.
50Suite à l’itinéraire emprunté dans cette recherche, et en retournant vers la perspective d’analyse proposée initialement, nous pensons que les médias audiovisuels publics et locaux d’Andalousie sont des espaces privilégiés qui permettent d’identifier la qualité des démocraties locales. Dans le contexte actuel de crise économique et financière, avec un paradigme social, politique et civilisationnel, nous pouvons constater, que les médias du tiers secteur constituent des victimes de plus de la crise. La fermeture de ce type de stations et les compressions budgétaires auxquelles elles se voient soumises sont, entre autres, des indicateurs de la l’absence de priorité donnée aux espaces de communication citoyenne au sein des politiques municipales.
51En deuxième lieu, notre travail nous permet constater que les médias du tiers secteur, sont, parfois, inédits viables au sens donné par Paulo Freire. Les radios locales publiques constituent des possibilités non explorées (inédites) et à la fois viables, dans l’actuel contexte historique, pour mener à bien des initiatives communicationnelles propres de la part du Tiers secteur de la communication. Pour cela, il faudra mettre un frein aux inerties et aux visions réductionnistes provenant tant du pouvoir local que du marché afin que la logique de l’appropriation citoyenne prédomine au sein de ces médias.
52Enfin, troisièmement, nous pensons qu’il est nécessaire de compléter l’approche quantitative de cette étude par une perspective d’analyse à caractère qualitatif afin de sorte qu’il soit possible d’identifier les stations locales, dont les pratiques communicationnelles se caractérisent par un rôle central accordé à la question de la citoyenneté. L’étude systématique des « bonnes pratiques » en communication radiophonique du tiers secteur, fournira des éléments suffisants pour pouvoir établir l’espace et les caractéristiques propres, à partir desquels la communication citoyenne peut se différencier des styles et pratiques mises en œuvre par l’État ou le marché. Ainsi, cette communication citoyenne deviendra un indicateur dont il faudra tenir compte, de plus en plus, dans la relance et l’institution de processus démocratiques.