Émilie Flon, Les Mises en scène du patrimoine. Savoir, fiction et médiation
Émilie Flon, (2012). Les Mises en scène du patrimoine. Savoir, fiction et médiation, Éd. Hermès-Lavoisier, Collection Communication, médiation et construits sociaux, 223 pages.
Texte intégral
1Qu’est-ce que mettre en scène du patrimoine ? Comment s’y produit le sens ? Autrement dit comment les visiteurs accèdent à la compréhension des dispositifs de mise en scène ? Ou encore, par quels biais les dispositifs de mise en scène du passé dans les expositions traduisent-ils et transmettent-ils le rapport au passé ? Ces questions sont au cœur de l’ouvrage publié par Emilie Flon, intitulé Les Mises en scène du patrimoine. Savoir, fiction et médiation. D’usage très fréquent, l’expression de « mise en scène » fait ici l’objet d’une analyse fine et précise dont l’objectif est de démêler les tenants et aboutissants entre des thuriféraires des mises en scène qui revendiquent l’usage de la fiction et valorisent l’expérience ludique, et des critiques, pour lesquels l’usage de la fiction, en particulier, altère le processus d’authentification des objets présentés et donc le rapport au passé et au savoir. L’auteur, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, présente ici une analyse précieuse des résultats de ses recherches sur ces questions fondamentales. Si le corpus d’Emilie Flon porte sur des dispositifs de musée d’archéologie (en France et au Canada) et leurs interprétations par le public, les résultats et la méthode employée, centrée sur une approche techno-sémiotique, sont largement extrapolables aux pratiques actuelles de mise en scène de patrimoine, au sens large, tournées vers la médiation des connaissances. Le patrimoine est ici considéré comme un média, entité communicationnelle parmi d’autres.
2Premier apport important de l’ouvrage, Emilie Flon aborde frontalement l’expression de « mise en scène » pour en cerner les contours et ainsi poser un cadre cohérent pour les corpus s’y inscrivant (ou qui sont traditionnellement désignés comme tels). L’auteur montre que la notion de mise en scène recouvre trois dimensions. Premièrement, elle n’existe que dans un cadre général qui correspond soit à une dimension idéologique (voir sur ce point l’analyse sur l’ouvrage de François Chappé : Histoire, mémoire, patrimoine : du discours idéologique à l’éthique humaniste, p. 19-20) ou communicationnelle en référence à l’institution et ses ambitions culturelles. Deuxièmement, la mise en scène comprend une mise en récit et une sollicitation sensible des visiteurs (des émotions notamment). Troisièmement, le rôle de la mise en scène est de mettre en sens parce qu’elle a « une fonction intégrative » (p. 23). C’est-à-dire qu’elle organise divers éléments autour d’une logique commune pour faire sens (des vestiges aux objets de médiation par exemple). La référence au théâtre, portée par cette expression, est soulignée. Emilie Flon en relève un élément essentiel pour son objectif : la spatialité. Effectivement, mettre en scène, c’est mettre en espace et de fait cela nécessite d’interroger l’organisation spatiale des reconstitutions pour en comprendre les processus signifiants.
3L’ouvrage articule réflexion théorique sur les mises en scène du passé et analyse fine de dispositifs et interprétations prouvant ainsi que l’usage de la fiction sert, à certaines conditions, l’accès au passé et au savoir. En ce sens, cet ouvrage est d’une aide certaine pour les acteurs en charge de la médiation du patrimoine. L’expression de « mise en scène » renvoie ici aux reconstitutions ou aux décors d’exposition qui recourent souvent à des effets de type spectaculaire ou théâtraux. L’apport central de ce travail est de montrer que les mises en scène ne détournent pas nécessairement le public du savoir archéologique ou historique. Au contraire, l’étude d’Emilie Flon postule que les mises en scène sont utiles pour transmettre le patrimoine sous certaines conditions. Tout d’abord les éléments authentiques (les vestiges) doivent être clairement intégrés à la mise en scène. Le risque étant que les visiteurs ne les identifient pas comme patrimoine. Pour ce faire, deux processus sont essentiels à la mise en valeur des vestiges. Le premier tient à la présence des références informationnelles sur les éléments authentiques (cartels, panneaux). Le second processus tient à l’importance de la disposition des éléments fictionnels pour mettre en valeur les vestiges (et en particulier : le niveau de sol de la scène, la disposition des personnages et des décors). La mise en scène est également constituée d’indices qui construisent le sens et la transmission du savoir. En l’absence de vestiges authentiques, la narration sert de discours sur le passé. Ainsi, l’usage de personnages du passé permet une « relation individuelle » avec le visiteur (p. 30) ; intégré aux différents cadres énonciatifs (qui sont autant de degrés de lecture), le personnage du passé renvoie tout à la fois à la réalité et à la fiction. Ensuite le principe de la reconstitution est d’allier passé et présent par l’expérience de la pratique de la mise en scène par le visiteur tout en permettant la prise de distance, et donc l’accès au savoir et à sa compréhension. Emilie Flon démontre que ce n’est pas parce qu’est créée l’illusion de « revivre » le passé que les visiteurs en perdraient toute logique patrimoniale signifiante. Cette « expérience immédiate » (en référence à l’enargeia de Carlo Ginzburg – p. 16-18 et 203) se révèle au contraire un outil de médiation précieux pour la découverte et la transmission du savoir sur le patrimoine. La mise à distance avec la représentation du passé opère ainsi par les éléments visibilisant le dispositif d’exposition qui s’apparentent aux textes, aux marqueurs d’authenticité et de véridicité, mais aussi à une fonction réflexive (p. 205). L’imagination déployée par les visiteurs est encadrée par le contexte de la mise en scène et opère un remplacement du réel absent (parce que disparu).
4Émilie Flon démontre ainsi que la fiction est partie prenante du dispositif d’exposition. Elle « opère comme un processus organisateur de connaissance, grâce à un monde cohérent qui met en relation des éléments auparavant disparates » (p. 98). Autrement dit, elle connecte le disjoint. Ce faisant, la fiction sert le patrimoine et la transmission du savoir. Une médiation singulière du passé s’opère au présent du dispositif.
Pour citer cet article
Référence papier
Dominique Trouche, « Émilie Flon, Les Mises en scène du patrimoine. Savoir, fiction et médiation », Sciences de la société, 93 | 2014, 131-132.
Référence électronique
Dominique Trouche, « Émilie Flon, Les Mises en scène du patrimoine. Savoir, fiction et médiation », Sciences de la société [En ligne], 93 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 10 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2383 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.2383
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