L’évolution du fonctionnement de la recherche vers un mode projet et ses conséquences sur l’Université : le regard de celle qui accompagne les chercheurs au quotidien
Resúmenes
Este artículo, basado en la trayectoria profesional de su autor, intenta analizar los principales cambios que ha experimentado la investigación publica en Francia durante casi 15 años, sobre todo en las universidades. Los resultados se centraron en la emergencia de una “investigación de proyectos” “à la française”, que implica el desarrollo de nuevas competencias y nuevos puestos de trabajo en el mundo académico como los “project managers” o “Cellules Europa” (departamento). Por último, el artículo trata de analizar, a través del ejemplo del surgimiento y la evolucion de una “Cellule Europa” en una universidad de Toulouse, cómo las universidades pueden organizarse internamente para hacer frente a este nuevo entorno.
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- 1 Le contenu de cet article n’engage que son auteur et pas l’établissement.
1Cet article1 est directement le reflet de mon expérience professionnelle : ayant commencé à travailler dans le monde de la recherche scientifique en 2002, j’ai depuis douze ans vu évoluer, au travers de différents postes dans la sphère publique et privée, l’environnement de la recherche et le contexte dans lequel les chercheurs publics exercent aujourd’hui leur métier. J’ai pu ainsi constater que l’activité de recherche et le métier de chercheur ont connu en France une vraie mutation dans la dernière décennie se traduisant par un financement de la recherche « sur projet » qui s’est imposé peu à peu aux laboratoires et aux individus. Après avoir souligné les principaux traits de cette mutation, nous développerons un éclairage particulier sur la façon dont une université, l’Université Toulouse 1 Capitole, a réagi à ce nouveau cadre stratégique, en mettant en place en 2011 une cellule d’appui au montage de projets, notamment axée sur l’obtention de financements européens pour ses laboratoires et équipes de recherche.
Un monde de la recherche en mutation…
- 2 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/health/4th-framework-program (...)
- 3 < http://www.laas.fr>
2Pendant de nombreuses décennies les laboratoires de recherche français étaient essentiellement financés par des dotations de l’État, et les chercheurs n’avaient pas l’habitude de se tourner vers des sources de financement extérieurs (financements publics, hors contrats de recherche conclus avec le secteur privé) pour mener à bien leur recherche. Ceci était notamment vrai pour les laboratoires en SHS qui n’ont pas en général de gros besoins en équipements ou consommables pour la conduite de leurs travaux de recherche. Un juriste ou un économiste peuvent ainsi travailler de manière relativement isolée, avec essentiellement un ordinateur et un accès à des bases de données. Les sciences expérimentales en revanche, ont elles de plus gros besoins en équipement, et ont donc traditionnellement davantage l’habitude de rechercher des financements ; dès les premiers programmes cadres, dont le 4e programme cadre2 (1994-1998), elles se sont tournées vers l’Union européenne. En arrivant au LAAS-CNRS3 en 2002, j’ai ainsi pu constater que ce laboratoire était déjà engagé de longue date dans les projets de recherche européens relevant du Programme Cadre.
3La dernière décennie a connu cependant un réel changement de paradigme sur le financement de la recherche au sein des établissements et des laboratoires en France. Ce changement a entraîné de nouveaux besoins et de nouvelles exigences pour les laboratoires de recherche publics, ainsi que la naissance de nouveaux métiers au sein des universités et des organismes de recherche, avec l’émergence de personnels dédiés au montage de projets et à l’accompagnement de la recherche, au côté des chercheurs.
4En Europe certains grands pays européens dont le Royaume-Uni avaient déjà une tradition de financement mixte, combinant à la fois des financements récurrents des équipes (via le Higher Education Funding Council for England pour l’Angleterre) avec une procédure avancée de financements sur projets (gérés par des conseils de la recherche – Research Councils – articulés autour de grands domaines thématiques (ex. sciences économiques et sociales).
Naissance de l’ANR et avènement de la recherche sur projets en France
- 4 Cour des comptes, le financement de la recherche, un enjeu national, juin 2013.
- 5 <http://www.agence-nationale-recherche.fr/>
- 6 En 2014 un PIA2 est même annoncé par l’ANR.
- 7 Texte disponible [en ligne] : URL :<http://www.bpifrance.fr/votre_projet/innover/aides_et_financem (...)
- 8 L’Agence Nationale de la Recherche : premiers constats et perspectives, février 2011.
5En France, le changement des modalités de financement de la recherche commence principalement à s’amorcer en 2005, avec la création de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui, sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), a pour mission de « financer et de promouvoir le développement des recherches fondamentales, appliquées et finalisées, l’innovation et le transfert technologique, ainsi que le partenariat entre le secteur public et le secteur privé4 ». La naissance de l’ANR affirme clairement l’émergence d’un nouveau type de recherche, la recherche « sur projets » ; sur son site internet l’ANR affiche ainsi qu’elle « assure la sélection, le financement et le suivi des projets5 ». Après avoir été en charge du financement de projets de recherche « classiques », l’ANR devient en 2010 le vecteur principal pour la mise en œuvre du PIA (Programme d’Investissements d’Avenir)6. Elle confirme ainsi par cette seconde phase, son rôle incontournable d’agence centrale du financement de la Recherche en France (même si d’autres leviers existent en dehors de l’ANR, tels que les appels à projets du Fonds Unique Interministériel (FUI) qui eux relèvent de plusieurs ministères (ministères chargés de l’industrie, de la recherche, du développement durable, de l’aménagement du territoire, des transports, de la défense, de l’équipement, de l’agriculture, de la santé, des services7), et non pas uniquement de la seule sphère de la recherche. La Cour des Comptes souligne dans son rapport public annuel de 2011 que l’ANR a « réussi son inscription dans le nouveau paysage de la recherche, même si elle souligne également quelques caractéristiques qui restent à améliorer en terme de fonctionnement8 ».
La LRU et le renforcement de l’autonomie des universités françaises
- 9 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTE (...)
- 10 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_aux_libert%C3%A9s_e (...)
6Dans la même période, le paysage de la recherche publique va également être modifié avec le vote de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités, (dite loi « LRU » ou loi Pécresse), initialement intitulée « loi portant organisation de la nouvelle université et communément appelée loi d’autonomie des universités » (Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007)9. Réservée à la sphère universitaire, cette loi prévoit notamment qu’à l’horizon 2013 toutes les universités accèdent à l’autonomie dans les domaines budgétaires et de gestion de leurs ressources humaines, et qu’elles puissent devenir propriétaires de leurs biens immobiliers10. Avec ce texte, les universités peuvent désormais gérer 100 % de leur budget, notamment la partie qui concerne la masse salariale (elles peuvent procéder au recrutement de personnels contractuels). Il est également proposé aux universités qui le souhaitent de devenir pleinement propriétaires de leurs bâtiments, mis à disposition par l’État. Pour celles qui optent pour ce choix, l’État leur transfère la propriété des biens immobiliers affectés. La loi encourage également le développement de fondations (fondations universitaires et fondations partenariales, qui peuvent être crées en partenariat avec des entreprises). En 2009, 85 universités françaises et d’autres établissements ont pu accéder successivement à une autonomie élargie. Elles reçoivent ainsi progressivement de nouvelles compétences. Début janvier 2011 c’est 90 % des universités qui ont opté pour une gestion autonome.
L’AERES et une nouvelle évaluation régulière de la recherche
7Dans la même période l’on voit la naissance de l’ AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Cette autorité administrative indépendante (AAI) française, chargée de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique, est créée par la loi de programme pour la recherche de 2006. Elle est issue de la fusion de trois organismes, le comité national d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNE), le comité national d’évaluation de la recherche (CNER) et la mission scientifique, technique et pédagogique (MSTP). Cette fusion est organisée dans la Loi de programme pour la recherche de 2006. Entre autres missions, cette agence est chargée d’évaluer les activités de recherche conduites par les unités de recherche des établissements et organismes ; elle conduit ces évaluations soit directement, soit en s’appuyant sur les établissements et organismes selon des procédures qu’elle a validées.
- 11 L’obtention de notes moins bonnes (ex. la lettre C) pouvant être une menace pour la survie d’un la (...)
- 12 Rapport d’information fait au nom de la Commission sénatoriale pour le contrôle de l’application d (...)
8L’arrivée de ce nouvel acteur impose aux établissements universitaires et aux laboratoires de recherche une course effrénée vers le meilleur résultat possible. Lors des « vagues » d’évaluation, au niveau de la dimension recherche, toute l’activité scientifique est passée au peigne fin, toutes les publications sont recensées, et on cherche à valoriser chaque colloque, projet national ou européen, à la recherche du décrochage du fameux label « A+ » qui va permettre au laboratoire d’afficher pour une période donnée son excellence scientifique11. L’évaluation est considérée comme une « révolution culturelle » pour le milieu universitaire12 qui se sent scruté, examiné, alors que jamais auparavant (au-delà des rapports d’activités individuels) il n’avait été amené à rendre des comptes sur son activité de recherche. Le processus d’évaluation est perçu comme une intrusion et une brimade par la plupart des chercheurs et directeurs de laboratoires, qui estiment que c’est une perte de temps, qui ne leur permet pas de consacrer ce temps si précieux à la conduite et à la conception de nouveaux projets de recherche.
Complexification des modes de gestion des projets relevant du niveau européen
- 13 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://ec.europa.eu/research/guide/fr/1-4.html>
- 14 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/fp6/index_en.cfm>
- 15 Texte disponible [en ligne] : URL : <https ://www.linkedin.com/groups/Correspondants-Europe-CPU-Co (...)
9Parallèlement à la montée en puissance de l’ANR au niveau national, un
autre phénomène émerge au niveau européen. Alors que dans le cadre du 5e Programme cadre13 (1999-2002) il était encore possible pour un chercheur de piloter et coordonner seul son projet de recherche, avec l’avènement du 6e PCRDT fin 200214 les choses changent radicalement. Les procédures de contractualisation, de management et de reporting sur les projets financés au titre de ce nouveau programme (à partir de 2003 pour les premiers projets) deviennent plus lourdes et plus complexes : le management de projets selon le modèle anglo-saxon s’impose. À partir de ce moment-là, émerge dans les organismes de recherche – notamment au sein du CNRS et de ses laboratoires– un nouveau type d’emploi, celui de « European Project Manager » (ou EPM). La mission de ces salariés d’un nouveau type (souvent des jeunes diplômés qui trouvent là l’opportunité d’un premier emploi) est de prendre en charge tous les aspects non scientifiques des projets de recherche financés par le PCRDT : aspects budgétaires, juridiques, ainsi que souvent la communication du projet et plus globalement le management (suivi journalier, liens entre les partenaires du projet) du projet. Ces EPM deviennent peu à peu les alliés indispensables des coordinateurs de projets, pour qui, ils s’imposent rapidement comme des partenaires précieux. De manière identique, un réseau de « Correspondants Europe15 » se déploie progressivement dans les établissements universitaires, avec l’appui de la CPU et du bureau du CLORA à Bruxelles.
… Et des répercussions aux différents niveaux des universités françaises
- 16 Rapport du Sénat : Texte disponible [en ligne] : URL : http://www.senat.fr/rap/r12-446/r12-446-syn (...)
10Ces nouveaux paramètres ne sont sans conséquence pour les universités françaises. Dès qu’elles optent pour un passage à l’autonomie complète (y compris le patrimoine immobilier), leurs équipes de la gouvernance se trouvent progressivement en charge de la gestion d’« entreprises académiques » et doivent s’adapter à ce nouvel environnement et ces nouvelles contraintes. Les présidents d’université deviennent de véritables chefs d’entreprises. Chaque établissement cherche à se distinguer par son excellence en formation ou en recherche16, les politiques et services de communication se développent fortement : à l’image des universités anglo-saxonnes, une université devient une marque sur laquelle on communique et que l’on affiche.
- 17 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.lexpress.fr/education/versailles-saint-quentin-une (...)
- 18 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.abonnes.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/(...)
11Dans le même temps, les universités doivent faire face à de nouveaux défis en termes de financements : avec des compétences étendues (tant au niveau du patrimoine immobilier que de la gestion des RH) se pose la question de savoir comment on peut maintenir un équilibre budgétaire, sachant que la dotation de l’État n’est pas pour autant en hausse et que les autres leviers financiers (ex. les frais d’inscriptions des étudiants) font l’objet de contraintes fortes également. Quelques années après la mise en place de la LRU on commence à entendre parler dans les médias grand public d’universités en faillite17, d’universités obligées de faire des choix dans le maintien ou pas de certaines antennes universitaires18. Des rapports publics montrent que les universités n’ont pas encore toutes réussi une diversification de leur financement.
12Dans les laboratoires, l’obtention de contrats de recherche devient un véritable enjeu. Il s’agit à la fois de décrocher des moyens financiers venant de l’extérieur, mais aussi de pourvoir aux besoins en termes de recrutement de personnels contractuels (des doctorants notamment) et/ou de l’équipement nécessaire à la conduite des recherches. L’obtention de contrats de recherche plus ou moins prestigieux (ex. une ANR JCJC pour un jeune chercheur ou bien un ERC Advanced Grant pour un chercheur plus sénior) s’affirme peu à peu comme un marqueur de l’excellence en recherche d’un laboratoire. Ironie du sort : pour les laboratoires l’obtention du label d’excellence « A+ » de l’AERES est lui-même un label pouvant favoriser l’obtention de nouveaux contrats de recherche. Pour les laboratoires qui avaient l’habitude de financer leur recherche uniquement sur la base des dotations récurrentes de l’État il y a un cap à franchir pour assimiler le nouveau cadre dans lequel ils évoluent. La recherche sur projets et sur contrat, au sein de sphère publique, reste mal acceptée. Certains chercheurs voient comme une contrainte le fait de devoir aller chercher des contrats, s’estiment prisonniers des priorités scientifiques fixées par tel ou tel financeur public (l’ANR ou l’Union européenne). Pour d’autres, monter et remporter des contrats de recherche c’est la garantie d’être libres (vis-à-vis de son établissement, de son laboratoire, de ses collègues) pour parfois aller explorer d’autres cadres universitaires à l’étranger, coopérer avec des réseaux nationaux / européens / internationaux, et s’enrichir de ces échanges entre chercheurs. Plus prosaïquement, c’est aussi avoir les moyens de financer des doctorants et du matériel ou des missions pour mener à bien une recherche.
13Enfin les conséquences directes de la recherche « sous contrats » s’observent également auprès des jeunes chercheurs et doctorants. Alors que nombre de thèses se font encore en France sans aucun financement support (même si des schémas que d’autres pays nous envient, tels que les CIFRE existent), leur liberté dans le choix des sujets va en effet en diminuant car ils doivent de plus en plus souvent choisir entre une thèse sur un sujet imposé (car financé sur un projet ANR ou européen par exemple) et une thèse sur un sujet de leur choix, mais sans financement sur la durée de réalisation des travaux.
14Dans ce contexte de profondes mutations de la recherche française, les universités, laboratoires et chercheurs « se cherchent ». Des mesures sont prises pour tenter tant bien que mal de s’adapter à ce nouvel environnement. C’est ce que nous allons voir maintenant en relatant le dispositif mis en place par l’Université Toulouse 1 Capitole pour favoriser son inscription dans les réseaux et schémas de financements européens.
L’expérience de l’université Toulouse 1 Capitole via sa cellule Europe
- 19 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.fr.wikipedia.org/wiki/Coordination_des_universit%C (...)
15L’Université Toulouse 1 Capitole (UT1C) est l’une des premières universités a avoir opté pour l’autonomie (elle est autonome depuis le 1er janvier 2009). Héritière d’une longue tradition académique, elle trouve son origine dans la faculté de droit canonique créée en 1229. Forte d’une tradition largement reconnue dans les domaines du Droit et des Sciences Politiques, elle s’est progressivement diversifiée dans sa recherche et ses enseignements dès les années soixante en développant des équipes de haut niveau dans les sciences économiques, le droit, la science politique et les sciences de gestion. La réputation de son école d’économie (TSE) et de son école de management (IAE) a aujourd’hui largement dépassé le cadre des frontières nationales et compte parmi les centres de recherche et d’enseignement de premier plan en Europe (Service de Communication de l’Université). Elle vient tout juste de rejoindre début 2014 le club très fermé de la CURIF19 (Coordination des Universités de Recherche Intensive Française).
La cellule Europe : un dispositif d’appui aux enseignants-chercheurs
- 20 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ut-capitole.fr/recherche/equipes-et-structures/>
- 21 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/fp7/index_en.cfm>
- 22 L’intitulé même de mon poste (chargée de mission pour le financement européen de la recherche) au (...)
16En matière de développement et de coopération internationale, l’UTC1 a fortement développé ces dix dernières années les accords internationaux avec d’autres établissements académiques parmi les plus renommés. Au plan des formations, cela a engendré l’essor de double-diplômes permettant aux étudiants de devenir pleinement des citoyens européens, au travers de l’obtention de diplômes reconnus dans plusieurs pays européens. Au plan de la recherche, cette piste a été ouverte par la réponse aux appels à projets européens. Mais le départ a été modeste ; il manquait jusqu’à ces dernières années une véritable dynamique. C’est pourquoi, à la fin de l’année 2010, la vice-Présidence en charge des relations européennes a recruté un(e) chargé(e) de mission, spécifiquement sur la question des projets de recherche européens. Il s’agissait de monter au sein d’UT1C une « Cellule Europe », en charge de l’appui aux chercheurs, comme il en existait déjà dans un grand nombre d’autres universités françaises. Je fus ainsi recrutée en mars 2011 – en CDD de deux ans transformé ensuite en CDI – en tant que « chargée de mission pour le financement européen de la recherche », avec une double mission : i) accroître la participation des équipes de recherche de l’Université (au nombre de 15, réparties entre le droit, la gestion, l’économie, l’informatique, la communication et les mathématiques20) aux appels à projets du (alors) 7e programme cadre européen pour la recherche et le développement technologique21 (2007-2013) ; ii) faire en sorte d’accroître22 la part des ressources de l’université issue de contrats de recherche européens.
- 23 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.abonnes.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/ (...)
17Diplômée en sciences humaines et ayant travaillé précédemment dans un laboratoire de sciences dites « dures », le premier travail à mon arrivée à l’UT1C a été de me familiariser avec la culture disciplinaire spécifique au droit, aux sciences de gestion et à l’économie. J’ai vite réalisé qu’à la différence des sciences dures qui obéissent à peu près au même modèle, j’avais là affaire à trois disciplines bien spécifiques, avec chacune leur mode de fonctionnement. L’autre différence avec le monde de la recherche que j’avais côtoyé jusque-là a été le statut d’enseignant-chercheur (régit aujourd’hui par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche – dite Loi Fioraso). Ayant préalablement travaillé pour le CNRS, j’avais davantage l’habitude de « chercheurs à temps plein » alors que statutairement les missions des enseignants-chercheurs en France comprennent 50 % de temps de recherche pour 50 % d’enseignement23 (sauf décharges ou modulations d’enseignement accordées dans des cas particuliers et sur demande). J’ai donc passé les premiers mois de ma nouvelle mission à découvrir, au travers d’interlocuteurs privilégiés identifiés par moi ou que l’on m’avait désigné, les différentes facettes et particularités de mon nouvel univers.
Une identification fine des thématiques de recherche
18Concernant plus spécifiquement la recherche, j’ai cherché à établir une cartographie des domaines de recherche de près de 450 enseignants-chercheurs, à la fois à l’échelle des laboratoires et des individus eux-mêmes. L’objectif était pour moi, au-delà des grands champs disciplinaires (droit, économie, gestion) de comprendre ce sur quoi les chercheurs travaillaient. Je ne m’arrêtais à pas des appellations disciplinaires telles que « droit social » ou « stratégie d’entreprise », je cherchais systématiquement à comprendre quelles étaient les champs d’applications de ces recherches : par exemple la règlementation en termes de RSE en France et au Québec, la problématique de la justice dans les rapports au travail. Ceci car, dans les appels à projets de l’Union européenne ce n’est pas une discipline qui est appelée, mais bien des sujets de recherche, des sujets de plus en plus avec un ancrage sociétal (d’autant plus dans le nouveau programme cadre européen Horizon 2014-2020).
19Sur la base des rapports AERES de la campagne d’évaluation 2010 (qui avait eu lieu juste avant mon arrivée) et différents documents rédigés par les laboratoires de recherche de l’Université, j’ai progressivement créé ma cartographie des thématiques de recherche de nos quinze laboratoires, et fait un travail de recensement de mots-clés. Mots-clés qui me servent à repérer si tel ou tel laboratoire pourrait ou pas s’inscrire dans tel ou tel programme / appel à projet européen.
20À mon arrivée à l’université, sur les conseils de la chargée de communication, je me suis appuyée sur tous les rouages de la communication interne (newsletter, magazine, présence aux réunions du conseil scientifique) pour faire connaître ma présence et ma mission auprès des équipes de chercheurs. Le leitmotiv de cette communication était de leur faire prendre conscience, collectivement et individuellement, du fait qu’ils n’étaient plus seuls face à la mécanique des appels à projets européens, mais qu’ils avaient vraiment quelqu’un à leur disposition pour démystifier et dé-dramatiser ce type de candidatures pour leurs projets de recherche. Pendant les premiers mois mon téléphone ne sonnait pas, ce qui était un peu inquiétant eu égard aux efforts de communication déployés et à la compétence que je leur proposais. Puis, peu à peu, les chercheurs ont été orientés vers mon bureau, se sont donnés le mot (ils m’envoyaient leurs collègues une fois que j’avais bouclé un projet pour eux), etc. Au fur et à mesure que je rencontrais de nouveaux acteurs de l’université intéressés par la dimension des projets de recherche, à l’échelle nationale ou européenne, je les ai tous ajoutés à ma mailing list de diffusion (liste incrémentée au fil des rencontres) des appels à propositions, appels à candidature et autres opportunités de financement d’actions relevant de la sphère recherche. Petit à petit d’autres personnes ont demandé à recevoir aussi cette information perçue comme nouvelle et intéressante. Ma connaissance fine des laboratoires de recherche de l’Université m’a progressivement permis, de connaître les sujets de recherche d’une grande partie des chercheurs. J’ai ainsi progressivement pu passer d’une veille stratégique et d’une diffusion de l’information aux laboratoires, à l’échelle plus précise et spécifique de chaque enseignant chercheur, étape nécessaire pour répondre à des attentes individuelles, hors du champ des projets collaboratifs impliquant plusieurs partenaires. Souvent il est nécessaire de passer par un premier entretien en face à face pour comprendre les sujets de recherche du chercheur (sénior ou doctorant), saisir la nature du projet ou de la problématique (s’agit-il d’un besoin de mobilité, de combien de temps, quel est le stade d’avancement du chercheur dans sa carrière, etc. ?) afin de commencer à formuler des éléments de réponse. Tout ce travail nécessite une grande patience, une écoute attentive, mais aussi une reformulation des problèmes pour tenter d’aller vers telle ou telle solution. Cet accompagnement individualisé est d’autant plus fort quand il s’agit de monter des dossiers de candidature qui touchent au parcours professionnel et personnel, tels que les bourses Marie Curie pour la formation et la mobilité des chercheurs et les bourses du Conseil européen de la recherche (ERC), tout comme quand il s’agit d’aiguiller un doctorant sur son devenir professionnel d’après-thèse et les possibilités de post-doc à l’international.
L’inscription dans des réseaux de pairs : un atout précieux au quotidien
- 24 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.cpu.fr/publication/memento-des-programmes-europeen (...)
- 25 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.horizon2020.gouv.fr/cid74103/le-reseau-des-pcn.htm (...)
- 26 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.horizon2020.gouv.fr/pid29756/erc.html>
- 27 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.erc.europa.eu/>
- 28 http://www.horizon2020.gouv.fr/cid73935/le-pcn-erc.html
21Dès mon arrivée, j’ai également tenu à m’inscrire dans des réseaux de pairs. J’ai commencé par le réseau des correspondants Europe de la CPU, animé par l’antenne du CLORA à Bruxelles. L’UT1C était formellement affiliée à ce réseau (il suffit d’être un établissement membre de la CPU et de travailler sur les questions européennes pour le rejoindre), mais j’ai travaillé à notre inscription réelle dans ses activités. Peu à peu je me suis ainsi investie dans plusieurs groupes de travail, et j’ai été volontaire pour la réalisation de travaux collectifs qui pouvaient bénéficier à tous les membres du réseau. Etre membre d’un réseau c’est une chose, mais en devenir acteur en est une autre. Récemment, j’ai ainsi notamment participé, avec une douzaine de collègues et homologues, à la rédaction d’un ouvrage collectif sur les nouvelles opportunités de financement européen sur la période 2014-202024. Mais la plus grande force de ce réseau des correspondants Europe est sans conteste sa force en terme de système d’information et d’entraide. Système d’information car du fait du bureau de la CPU et du CLORA à Bruxelles les correspondants Europe ont accès en avant-première aux documents de travail de la Commission européenne sur les futurs programmes et schémas de financements, ce qui permet d’avoir une longueur d’avance. De plus, le réseau se réunit trois fois par an à Bruxelles (mars – juin – novembre), ce qui permet d’échanger de vive voix sur les difficultés rencontrées, de monter des sessions de formation internes au réseau (ceux ayant plus d’expérience sur un élément vont transmettre leur savoir aux autres) et surtout de recevoir pendant une journée entière des représentants des différentes institutions et organismes européens pour avoir des éclairages privilégiés sur les programmes en cours et les actions à venir. L’entraide se traduit également au quotidien par une mailing list, qui rassemble près de 200 personnes en France (toutes issues des membres de la CPU). C’est un formidable réseau qui permet de poser une question à ses pairs et d’obtenir rapidement une réponse, un document, un autre contact pour solutionner une difficulté en cours localement. L’autre force de ce réseau est depuis le lancement d’Horizon 2020 la présence de correspondants Europe dans tous les Points de Contact Nationaux (PCN) du programme25. Je fais ainsi partie (depuis la fin du 7e Programme Cadre, septembre 2012) du Point de Contact National relatif au Conseil Européen de la Recherche26 (ERC27). Les correspondants Europe qui sont membres de PCN ont pour mission de servir de « helpdesk » pour les collègues (CPU ou non) et les chercheurs qui montent des projets Horizon 2020 sur cette partie du programme : réponses aux questions par mail, téléphone et animation de réunions d’information pour bien faire connaître chaque partie du nouveau programme cadre auprès des communautés scientifiques localisées partout en France sur le territoire national. Ma participation au PCN ERC28 fait aussi partie du rayonnement scientifique de l’Université Toulouse 1 Capitole dans la mesure où le nom de l’Université est mentionné dans chacune de mes interventions. Au niveau national, j’ai également souhaité rejoindre différents réseaux d’entraide et de soutien dont le réseau CAP ANR, réseau encore relativement informel qui regroupe les personnes en charge du montage des projets ANR au sein des établissements.
L’Europe de la recherche n’est pas à la portée de tous
22Connaissant les exigences et le formalisme des projets européens du programme-cadre il m’est vite apparu qu’il ne serait pas possible d’amener tous les chercheurs et tous les laboratoires sur ce type de programmes. Certains avaient auparavant besoin de passer par les différentes « marches » de l’« escalier des possibilités de financements ». Pour certains la réponse au besoin du moment passait davantage par une subvention du Conseil régional Midi-Pyrénées (délais plus courts que ceux des appels à propositions européens pour obtenir un financement, financement d’un montant plus modeste qui suffit à combler certains besoins), ou bien un projet ANR. J’ai ainsi pu définir en fonction des laboratoires et des chercheurs des stratégies d’accès aux financements publics de la recherche, qui pouvaient (ou pas) arriver à l’échelon européen. L’idée étant aussi de ne pas risquer des échecs en envoyant sur des appels à projets européens des chercheurs qui risquaient d’échouer et ainsi de se décourager sur ce type de financements.
23Pour certains chercheurs, je sais aujourd’hui à horizon 2-3 ans sur quels types d’appels à propositions je veux les amener. Il est ainsi possible, dans certains cas, quand il y a une bonne connaissance des potentiels et besoins, de définir des stratégies à moyen terme pour une montée en puissance dans l’inscription dans une logique d’appel à projets, si possible européens, et ce tant au niveau des laboratoires que des individus. Cela permet de programmer la soumission de projets au moment opportun pour les chercheurs concernés, afin d’optimiser leur CV parfois (attendre la parution d’une série de publications par exemple) pour tenter de renforcer les chances de succès de ces candidatures.
Des résultats…
24Peu à peu, les efforts continus ont permis de mieux connaître les enseignants-chercheurs e de mieux évaluer leur potentiel en termes de positionnement sur les appels à projets européens. Des résultats encourageants ont été obtenus, j’en retientrai trois :
- 29 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.eacea.ec.europa.eu/index_en.php>
- 30 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.irdeic.ut-capitole.fr/>
25Le premier montage de gros projet européen a eu lieu au printemps 2012 et s’est soldé par l’obtention en 2012 du label « Centre d’Excellence Jean Monnet » de la Commission européenne. Ce projet a été impulsé par la vice-présidente en charge des relations européennes. Ce professeur avait en effet repéré que d’autres universités françaises également pointues en droit (dont Rennes et Grenoble) avaient réussi à décrocher le label d’Excellence « Centre d’Excellence Jean Monnet » en répondant aux appels à propositions de l’Agence Executive EACEA29. Comme il y avait un appel ouvert au début de l’année 2012, j’ai examiné les règles d’éligibilité et le dossier de candidature. Je me suis lancée dans la rédaction d’une proposition UT1C, articulée autour des compétences de l’IRDEIC30 (Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé) et de l’Institut Européen du Droit (LIED qui fédère toutes les formations en droit ouvertes sur l’international et délivrant nos doubles-diplômes). En prenant en compte les orientations souhaitées par l’IRDEIC un projet complexe, j’ai construit la proposition à cheval sur les dimensions recherche et formation, tout en mettant en exergue la richesse de l’université sur le domaine précis de l’intégration européenne qui est le fondement même des actions Jean Monnet. Le dossier a été rédigé et soumis en l’espace d’un mois. Six mois plus tard environ nous avons eu la bonne surprise de voir ce projet retenu, du premier coup, pour un financement à hauteur de 75000 euros par l’Agence Executive EACEA. Ce fut là le premier succès en terme de projets européens pour la Cellule Europe de l’UT1C.
- 31 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/mariecurieactions/index_fr.h (...)
- 32 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.appliphp.univ-tlse1.fr/LEREPS/spip/>
26Le deuxième exemple s’est soldé par l’obtention, en 2013, de la 1ère bourse Marie Curie sortante (International Outgoing Fellowship) de la Commission Européenne. Fin 2012, lors d’une réunion d’information sur les bourses Marie Curie pour la mobilité et la formation des chercheurs31, à l’attention des doctorants de l’un des laboratoires de l’Université, le LEREPS32, j’ai rencontré un jeune doctorant qui soutenait sa thèse quelques semaines plus tard. Il m’a fait part de son souhait de partir au Canada pour compléter ses travaux de thèse qui portaient sur l’agriculture périurbaine en Midi-Pyrénées. Je l’ai rencontré à nouveau après la soutenance de sa thèse, afin de vérifier sa motivation et ses capacités à postuler sur une bourse individuelle Marie Curie de type IOF (International Outgoing Fellowship). D’un commun accord au terme de cet entretien nous avons estimé que toutes les conditions requises étaient réunies pour se lancer dans la réponse à l’appel à projets 2013. Je l’ai ainsi accompagné pendant les neuf mois de préparation de sa candidature, accompagnée d’une stagiaire d’un master 2 de science politique. Nous l’avons toutes les deux guidées dans la rédaction de son projet, et avons participé à la définition de la stratégie de présentation de son projet. Quand on rédige une candidature à un appel à projet, il ne s’agit en effet pas que de science, mais bien de véritable stratégie. À cet égard, mon métier correspond à ce que je qualifie de « marketing scientifique ». Car il s’agit de vendre un projet au financeur retenu pour une candidature, et non pas uniquement un écrit scientifique destiné à être publié. Soumis en août 2013, le projet a été retenu par l’Agence Exécutive Recherche de la Commission européenne en décembre 2013 (il a été classé premier du panel Économie, avec 99,2 points sur 100). Le lauréat est depuis quelques semaines au Canada où son projet démarre dans quelques jours, pour trois ans de post-doctorat (deux années au Canada et une année de réintégration en France financées par la bourse). Ce travail d’accompagnement pour l’obtention d’une bourse Marie Curie fera l’objet fin mai d’une présentation au MESR en présence de représentants de la Commission européenne.
- 33 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.fondation-laffont.fr/fr/>
27Le troisième exemple a trait à la montée en puissance et au dépôt d’un projet ERC en sciences de gestion. En 2014, forte de mon expérience de PCN ERC, et connaissant mieux les chercheurs, j’ai pu cibler un petit groupe de chercheurs à qui j’ai proposé de déposer un projet ERC. Plusieurs types de bourses du Conseil Européen de la Recherche existent : depuis la bourse Starting Grant (pour les chercheurs ayant entre 2 et 7 ans après l’obtention d’un doctorat) jusqu’aux bourses Advanced Grants, qui s’adressent, elles, aux chercheurs confirmés sans limite d’expérience (au-delà de 12 ans après le doctorat cependant). Avec une jeune maitre de conférences en sciences de gestion nous avons travaillé pendant les premiers mois de l’année 2014 au montage d’un projet de type Starting Grant. Ce projet a été soumis avec 477 autres projets dans le panel SH de l’ERC. Au moment où nous écrivons ces lignes, le premier résultat de la phase d’évaluation n’est pas encore connu. Alors que l’Université Toulouse 1 Capitole est déjà impliquée en tant que tierce partie dans plus d’une dizaine de projets ERC (portés par la Fondation Jean Jacques Laffont33), si ce projet est retenu, ce sera le tout premier projet ERC que l’Université pourra pleinement revendiquer.
28Ces trois exemples suffisent à eux seuls pour montrer la valeur ajoutée qu’une cellule Europe ou cellule ingénierie de projets de recherche peut apporter à un établissement universitaire. Ils démontrent également le rôle central qu’une telle cellule peut jouer, au carrefour des services et forces scientifiques d’un établissement. D’autres expériences dans d’autres établissements montrent également que plus on étoffe ce type de structures au sein d’un établissement, plus il y a de retombées en termes de nombre de contrats et de montants financiers obtenus.
...mais le chemin est encore long
29Au fil des accompagnements et des dossiers montés, les enseignants chercheurs sont de plus en plus nombreux à trouver le chemin de mon bureau et, peu à peu, une vraie relation de confiance s’est créée avec eux. Mais ma mission atteint aujourd’hui ses limites : je reste seule pour appuyer le montage des projets (tous niveaux) de recherche de l’université. En période de pics de dépôts de projets, il arrive que plusieurs laboratoires et chercheurs déposent pour la même date limite. Ces multiples sollicitations sont certes le gage d’un succès de la cellule, mais je crains toujours en pareille situation de ne plus pouvoir apporter la même qualité d’accompagnement à tous les chercheurs, tout en ne pouvant me résoudre à du simple traitement systématique de dossiers, car ma mission suppose un réel accompagnement du chercheur tout au long des différentes démarches menant à l’obtention d’un projet.
30Parallèlement, je réalise peu à peu, et mes collègues du réseau des correspondants Europe me disent la même chose, que ce nouveau poste, cette nouvelle mission au sein de l’université, rencontre encore des difficultés d’acceptation. Tout comme mes homologues dans d’autres établissements, je travaille sur une matière (la recherche à l’échelle européenne) qui impose une dimension transverse de mes actions (la mise en place d’un projet entraîne la prise en compte de paramètres relevant de différents services (ressources humaines, agence comptable, communication, direction scientifique) et un rôle central au carrefour des différents acteurs des autres services de l’établissement. Ceci n’est pas sans poser quelques soucis à des structures administratives davantage habituées à fonctionner de manière cloisonnée et pas toujours avec de fortes interactions sur les mêmes dossiers. L’autre élément qui étonne et surprend est le fait que je suis toujours en train de travailler dans l’urgence, dépendant tour à tour des calendriers des différents appels à projets. J’ai souvent besoin d’une information dans la journée alors que pour mes collègues bien souvent le temps de la réaction dans le traitement d’un mail est davantage de l’ordre de la semaine. Enfin, l’ultime difficulté de ma mission, par nature isolée car je suis seule au sein de l’établissement sur ce créneau, réside dans le fait que la plupart des documents, guides, et textes que je manie à longueur de journée sont en langue anglaise, ce à quoi l’administration même de l’université m’oppose régulièrement la loi Toubon qui exige que les écrits votés par les instances de l’établissements soient en français. À l’heure de l’internationalisation de la recherche et de la prégnance forte d’un environnement européen, ne serait-ce qu’au niveau des financements obtenus, ces constats font quelque peu sourire. Je suis parfois malheureusement obligée de traduire quelques pages d’un Grant Agreement en français pour que les autres services puissent mettre en œuvre ce que la Commission européenne et ses agences exécutives attendent de nous.
- 34 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.loria.fr/~quinson/blog/2014/0407/Desole_pour_ce_pr (...)
31Le monde de la recherche en France a connu divers changements ces dernières années. Une instance d’évaluation en remplace une autre, une loi pour l’enseignement supérieur et la recherche succède à une autre en apportant son lot de mutations et nouvelles orientations. Cette évolution conforte néanmoins une tendance lourde : celle d’une approche de la recherche par projet, et d’un financement par projet. Au grand dam des chercheurs et enseignants-chercheurs pour qui constamment passer du temps à monter des dossiers et des demandes de financement devient une course infernale. Certains en viennent même à s’excuser publiquement auprès de leurs collègues d’avoir obtenu un contrat de recherche34, ce qui montre le degré quelque peu absurde de cette marche forcée vers la recherche sur projets, que certains établissements ont encore des difficultés à absorber.
32Si au niveau global il reste encore des difficultés pour que le monde de la recherche s’adapte à ces changements, au niveau de celui ou celle qui accompagne les chercheurs, ce mode de fonctionnement permet encore de belles aventures humaines. Car chaque montage de projet est aussi une rencontre avec un chercheur, une passion, un domaine de recherche et ses méthodes. En cas de sélection, les financements obtenus décuplent l’enthousiasme des équipes, en cas de non sélection, il reste toujours la richesse d’une relation humaine et intellectuelle des phases de préparation, discussion, montage ou rédaction.
Notas
1 Le contenu de cet article n’engage que son auteur et pas l’établissement.
2 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/health/4th-framework-programme_ en.html>
4 Cour des comptes, le financement de la recherche, un enjeu national, juin 2013.
5 <http://www.agence-nationale-recherche.fr/>
6 En 2014 un PIA2 est même annoncé par l’ANR.
7 Texte disponible [en ligne] : URL :<http://www.bpifrance.fr/votre_projet/innover/aides_et_financements/aides/ aide_aux_projets_collaboratifs_des_poles_de_competitivite_fui>. Les appels du FUI sont désormais gérés par BPI France.
8 L’Agence Nationale de la Recherche : premiers constats et perspectives, février 2011.
9 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT000000824315>
10 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_aux_libert%C3%A9s_et_responsabilit%C3%A9s_des_universit%C3%A9s>
11 L’obtention de notes moins bonnes (ex. la lettre C) pouvant être une menace pour la survie d’un laboratoire de recherche au sein d’une université.
12 Rapport d’information fait au nom de la Commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois sur la mise en œuvre de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, Avril 2013. Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000213/>
13 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://ec.europa.eu/research/guide/fr/1-4.html>
14 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/fp6/index_en.cfm>
15 Texte disponible [en ligne] : URL : <https ://www.linkedin.com/groups/Correspondants-Europe-CPU-Conf %C3 %A9rence-Pr %C3 %A9sidents-6506118/about>
16 Rapport du Sénat : Texte disponible [en ligne] : URL : http://www.senat.fr/rap/r12-446/r12-446-syn.pdf : L’autonomie des universités depuis la LRU : le big bang à l’heure du bilan.
17 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.lexpress.fr/education/versailles-saint-quentin-une-universite-au-bord-de-la-faillite_1316657.html>
18 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.abonnes.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/ 2013/12/02/l-universite-de-montpellier-iii-sauve-son-antenne-de-beziers_3523672_1473692.html>
19 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.fr.wikipedia.org/wiki/Coordination_des_universit%C3%A9s_ de_recherche_intensive_fran%C3%A7aises>
20 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ut-capitole.fr/recherche/equipes-et-structures/>
21 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/fp7/index_en.cfm>
22 L’intitulé même de mon poste (chargée de mission pour le financement européen de la recherche) au sein de l’université reflète bien la nécessité pour l’établissement qui m’emploie de rechercher des financements complémentaires pour mener à bien son activité de recherche.
23 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.abonnes.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/2013/ 12/02/pour-pierre-boudes-enseignant-chercheur-une-double-mission-difficile-a-concilier_3523668_ 1473692.html>
24 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.cpu.fr/publication/memento-des-programmes-europeens-2014-2020-pour-lenseignement-superieur-la-recherche-et-linnovation/>
25 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.horizon2020.gouv.fr/cid74103/le-reseau-des-pcn.html>
26 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.horizon2020.gouv.fr/pid29756/erc.html>
27 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.erc.europa.eu/>
28 http://www.horizon2020.gouv.fr/cid73935/le-pcn-erc.html
29 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.eacea.ec.europa.eu/index_en.php>
30 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.irdeic.ut-capitole.fr/>
31 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.ec.europa.eu/research/mariecurieactions/index_fr.htm>
32 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.appliphp.univ-tlse1.fr/LEREPS/spip/>
33 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.fondation-laffont.fr/fr/>
34 Texte disponible [en ligne] : URL : <http://www.loria.fr/~quinson/blog/2014/0407/Desole_pour_ce_projet_ ANR/>
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Referencia en papel
Gaëlle Covo, «L’évolution du fonctionnement de la recherche vers un mode projet et ses conséquences sur l’Université : le regard de celle qui accompagne les chercheurs au quotidien», Sciences de la société, 93 | 2014, 40-55.
Referencia electrónica
Gaëlle Covo, «L’évolution du fonctionnement de la recherche vers un mode projet et ses conséquences sur l’Université : le regard de celle qui accompagne les chercheurs au quotidien», Sciences de la société [En línea], 93 | 2014, Publicado el 01 junio 2016, consultado el 08 octubre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2313; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.2313
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