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L’information « locale » et « régionale » sur France 3, les réitérations d’un modèle

Analyse de l’enchâssement des territoires par le 19/20
Local” and “regional” news on France 3, the reiterations of a model. How territories are embedded by the 19/20
Noticias « locales » y « regionales » en France 3, las reiteraciones de un modelo. Análisis del atrincheramiento de los territorios por el 19/20
Benoit Lafon
p. 291-312

Résumés

Depuis 1986, France 3 (anciennement fr3) diffuse le 19/20, un journal télévisé quotidien intégrant une édition nationale et les éditions régionales et locales réalisées par les stations régionales de la chaîne. Cet article entend poursuivre les recherches initiées sur la télévision régionale de service public en questionnant la remarquable pérennité de son modèle de programmation centré sur les jt, et en analysant comment le 19/20 propose un dispositif original, à la fois média local d’information télévisée et média national. Ce journal paradoxal, à la fois varié et intégrateur, a ainsi pour tâche d’homogénéiser différentes éditions territorialisées (plus de 50 chaque jour). Cette analyse retrace l’histoire et l’héritage de France 3 et du 19/20 ainsi que les évolutions du journal depuis sa création, avant de montrer comment les 59 éditions diffusées sur une journée (1 édition nationale, 24 éditions régionales et 34 locales) constituent un espace de communication original, reliant local, régional, national et international, et faisant de ce 19/20 un média de masse territorialisé.

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Texte intégral

1Les journaux télévisés « régionaux » et « locaux » diffusés sur France 3 sont un type de programme paradoxal : activité première (historiquement et économiquement parlant) des stations régionales de France 3, ces journaux sont toutefois produits par des rédactions étroite­ment contrôlées sur le plan de leur gestion par la direction nationale de la troisième chaîne. En effet, « programme carrefour » selon Guy Lochard, le journal télévisé joue un rôle central pour une chaîne de télévision : « inamovible élément de balisage du temps télévisuel, calqué lui-même sur le temps social, il est pour une chaîne un support d’affichage et d’entretien de son « image de marque » » (Lochard, 2005, 37). Cet article entend pour­sui­vre les recherches initiées sur la télévision régionale de service public (Bour­don & Méadel, 1995 ; Colloque cnrs/ Université de Provence/ ina, 1997 ; Lafon, 2000 ; Lebtahi, 2004) en questionnant la remarquable péren­nité de son modèle de programmation centré sur les jt, et en analysant com­ment le 19/20 propose un dispositif original, à la fois média local d’information télévisée et média national.

2Cette originalité avait déjà été pointée en 2004 par la linguiste Patricia von Münchow, qui montrait une « assez grande ressemblance entre le 19/20 et les jt allemands de chaînes publiques » (et ceci à l’opposé du 20 heures de tf1 ou de France 2). Le 19/20 présente en effet selon cette auteure un caractère rubriqué et hiérarchisé : « la presse écrite semble (…) constituer un modèle de journalisme particulièrement contraignant pour le 19/20 » (von Münchow, 2004, 214). Ainsi, le 19/20 occupe une place particulière dans le système médiatique français, à la fois parce qu’il est l’incarnation la plus visible de la télévision régionale en France et parce qu’il a pour tâche d’intégrer et d’homogénéiser différentes éditions territorialisées. Nous faisons ainsi l’hypothèse qu’un rapport rationalisé aux territoires dans une perspective de mise en scène intégrée de ces derniers produit une information plus réflexive, par conséquent plus proche des pratiques d’écriture de la presse écrite (éditions emboîtées).

3En d’autres termes, nous nous attacherons à répondre aux questions suivantes : pourquoi l’information télévisée régionale en France a-t-elle pris en 1986 la figure d’une édition nationale à déclinaisons locales et régionales ? Comment le 19/20 parvient-il à proposer aux téléspectateurs une couverture des territoires cohérente et lisible ? Par quels procédés et mises en scène la cohérence de plusieurs dizaines d’éditions quotidiennes est-elle garantie ? Nous nous appuierons pour répondre à ces questions sur une démarche en trois temps.

4Quelques rappels sur l’histoire de France 3 et du 19/20 permettront de mon­trer les logiques d’institutionnalisation, de stabilisation et de résistance aux mutations de l’information télévisée régionale. Dans un second temps, nous analyserons les génériques et séquences transitoires du journal depuis sa création en 1986 (21 éditions) afin de saisir la construction sémiotique de l’enchâssement des territoires. Cette enquête se poursuivra dans un troisième point de manière synchronique par une analyse de contenu des 59 éditions diffusées sur une journée (édition nationale, 24 éditions régionales et 34 locales) : nous mettrons ainsi en évidence les dispositifs et écritures de l’intégration territoriale construits par France 3, chaîne nationale des régions.

La « chaîne nationale des régions » et l’information : un modèle hérité et réitéré

5Adopter une approche socio-politique du média « télévision régionale » per­met de saisir selon quelles logiques cette chaîne constitue un modèle original qui s’est consolidé au fil des ans, un modèle de « télévision nationale à fenêtres régionales » comme nous en avions fait l’analyse en 2000 (Lafon, 2000). La mise en place et la cristallisation de ce modèle fut en effet progressive depuis la régionalisation de la rtf et le lancement de la troisième chaîne le 31 décembre 1972, mais a semblé acquise suite à l’échec du volet de décentralisation télévisuelle prévue par la loi de 1982. Examinons ces éléments, nécessaires pour comprendre la création en 1986 du 19/20 – program­me d’information central de France 3 – et la situation de la chaîne aujourd’hui, fruit d’un héritage et de certains choix politiques inapplicables.

Pourquoi France 3 n’est-elle pas un réseau décentralisé de télévisions régionales ?

6Pour répondre à cette question, un rapide rappel historique est nécessaire, puisque les années 1980 furent pour la troisième chaîne des années d’expérimentations, dont les échecs (décentralisation) et réussites (audience des informations régionales, puis locales) cristalliseront la morphologie actuelle de France 3.

7Dans la lignée des réformes de décentralisation territoriale menées après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, la réforme de l’audiovisuel portée par la loi sur la liberté de la communication audiovisuelle du 29 juillet 1982 avait prévu la décentralisation de la télévision : elle ne sera jamais mise en œuvre, fixant durablement le modèle centralisé qui prévaut toujours aujourd’hui. La loi prévoyait en effet la création de douze « sociétés régiona­les de télévision » (art. 51) fonctionnant en réseau et la création de « comités régio­naux de la communication audiovisuelle ». Ces comités, au rôle consul­tatif, ne devaient pas avoir de liens organiques avec les conseils régionaux et devaient être composés de représentants issus du monde professionnel, culturel, etc. Or, devant être financés par les crédits des « collectivités territo­ria­les correspondant à leur ressort » (essentiellement les régions), ils seront purement et simplement oubliés par lesdites collectivités pour des raisons stratégiques (intérêt non compris) et budgétaire (les moyens sont alors acca­pa­rés par la décentralisation territoriale elle-même, la création des conseils régionaux coûte cher. Cet abandon des comités régionaux allait avoir une conséquence directe sur la création des chaînes régionales, puisque deux représentants de ces comités devaient obligatoirement siéger dans le conseil d’administration de chaque société régionale de télévision : sans comités, les sociétés régionales de télévision ne pouvaient exister et il devenait alors impossible de décentraliser fr3. Ainsi que l’analyse S. Regourd, « la désué­tu­de de la loi sur ce point paraît relever d’un processus foudroyant » (Re­gourd, 1985, 63).

8De ce fait, à partir de 1983, la chaîne tentera sous la direction d’André Hol­leaux et Serge Moati une « régionalisation » par les programmes en les aug­men­tant de 35 minutes quotidiennes à près de 3 heures, six jours par semaine. Une nouvelle structure, l’api – Agence des Programmes Interrégionaux –, avait alors pour rôle de gérer et de rationnaliser les nouveaux besoins en programmes des stations régionales, par échanges, co-productions et achats des programmes externes, ces derniers s’étant parfois avérés fort éloignés des standards d’une production régionale originale (l’achat de la série Dynastie par l’api sera ainsi largement critiqué par la presse).

9Ces tentatives ne parviendront pas à résorber les déficits structurels de la chaîne, ni à construire une offre stabilisée de programmes régionaux. Aussi, en septembre 1985, Janine Langlois-Glandier sera choisie par l’instance de régulation, la Haute Autorité, pour succéder à Serge Moati afin de réaliser d’importantes économies budgétaires et de rationaliser les coûts. Cette rationalisation passera par une redéfinition du programme central de la chaîne, celui qui occupe la majeure partie des salariés de l’entreprise : le journal régional.

Le 19/20, un « plan d’ensemble » pour l’information sur la troisième chaîne

  • 1 Conférence de presse du 30 janvier 1986, citée par Bourdon & Méadel, 1995, p. 91.

10Au milieu des années 1980, l’arrivée des chaînes privées (Canal+ en clair, La 5 et tv6, tf1) concurrence directement fr3 aux heures de grande écoute (access prime time). La stratégie des nouveaux dirigeants de la chaîne est alors de mettre l’accent sur l’information, perçue comme la force de la chaîne. J. Langlois-Glandier souhaite profiter de « l’armée de journalistes » composant les rédactions régionales et nationale1. Ainsi est créé le 6 mai 1986 la tranche horaire courant de 19 heures à 20 heures, consacrée uniquement à l’information, le 19/20 : « France 3 avait (et a toujours) des atouts formidables, avec ses 24 bureaux d’information régionaux, ses journalistes qui connaissent la France mieux que personne sur le plan régional et local. J’avais donc imaginé un plan d’ensemble pour l’information sur la chaine : le 7/8, le 12/13 et le 19/20, avec un effort fantastique la première année sur le 19/20. » (Janine Langlois Glandier, 2006). Le slogan retenu, « l’info avant l’heure », cherche à bien se différencier du modèle dominant des actualités télévisées à 20 heures, renforcé par l’arrivée de La Cinq sur ce créneau.

11Cherchant ainsi à « rentabiliser » les sujets tournés en région en tâchant de les intégrer au sein d’un journal national, fr3 provoque un double recentrage : d’une part l’information nationale prend une importance croissante par rapport aux actualités régionales (le 19-20 s’ajoutant au Soir 3), et d’autre part les régions se voient de plus en plus confinées dans leur rôle journalistique, traditionnellement surveillé et instrumentalisé.

  • 2 Si la crise couvait depuis quelques temps déjà, c’est la venue de Christine Ockrent sur a2 et la pu (...)
  • 3 Les avis sont unanimes, quels que soient le syndicat, la fonction ou la région. Ainsi à Marseille, (...)

12Car en effet, c’est bien, comme l’avait perçu une expertise du ministère de la culture commandée en 1986, l’édition nationale qui « représente la nouveauté de cette tranche horaire et le véritable contenu du 19/20. Elle encadre les séquences régionales dont le Journal Régional » (Butet, 1986, 10). Cette édition devient le cœur du programme, les séquences régionales et duplex étant distribuées depuis le plateau national [cf. annexe 1]. Cette importance particulière accordée à l’information nationale provoquera nombre de tensions pour les années à venir, que plusieurs grèves émailleront. Ainsi en septembre 1988, fr3 avait connu une grève de onze jours, la plus longue depuis l’éclatement de l’ortf2. Les doléances concernaient essentiellement les salaires et le devenir de la société. Des revendications comparables conduiront en novembre 1990 à une nouvelle grève, déclenchée par deux causes : la disparité des salaires (titularisation de journalistes à la rédaction nationale avec un salaire supérieur de 28 % à ceux des rédactions régionales) et les choix rédactionnels du 19/20, accusés d’instrumentaliser les infor­ma­tions régionales3. Ces grèves épisodiques se poursuivront avec peu ou prou les même revendications salariales et inquiétudes sur la reconnais­san­ce des rédactions régionales : fin 1997, fin 2002, fin 2006, ou en 2007-2008 alors que la réforme de l’audiovisuel public se profilait avec les travaux de la commission Copé. Liés aux problèmes structurels de la chaîne, ces conflits récurrents peuvent aussi être analysés à l’aune d’un rapport culturel et politique aux territoires locaux : « on retiendra qu’en France, le local se dessine et se définit, non pas positivement, mais, comme le remarque Isabelle Pailliart (1993) « par opposition d’abord vis-à-vis de l’État, puis de tout ce qui évoque la globalité, la totalité » ».

13Cependant, le 19/20 a su imposer un format original intégrant information nationales et régionales (puis locales) garantissant une audience pérenne, comme le soulignait dès 1988 Jean Cluzel : « L’utopie d’une politique de programmation régionale a heureusement pris fin. La faible audience des programmes régionaux a conduit à une meilleure imbrication entre le programme national et les programmes régionaux : un certain nombre de productions régionales sont diffusées sur le réseau national, ce qui permet d’en mieux amortir le coût. Cette mésaventure dans laquelle fut entraînée fr3 par le législateur de juillet 1982 dénonce, à l’évidence, l’absence de toute réflexion sur l’audience potentielle et le coût réel d’émissions qui ne peuvent être amorties sur une audience réduite » (Cluzel, 1998, 201).

14Depuis, les éditions régionales et locales de France 3 intégrées au 19/20, connaissent toujours une forte audience, en rupture nette avec la moyenne actuelle de la chaîne France 3 (10 à 11 % de part d’audience pour la chaîne, et entre 17 et 20 % pour les éditions du 19/20 selon Médiamétrie). Ce choix opéré en 1986 d’une intégration des éditions régionales puis locales dans un programme national est ainsi réitéré et développé, avec plus ou moins de réussite, comme en septembre 2009 lorsque L. Bignolas tente de démarrer le 19/20 à 18h30, en construisant une session d’information basée sur des duplex avec les rédactions régionales. La formule du 19/20 est depuis revenue à sa durée originelle, et structurée selon le schéma :

Edition régionale avec annonce des titres nationaux (18 min.) / édition locale ou magazine (6 min.) / édition nationale (24 min.).

15Cette formule continue à trouver une audience relativement stable, après une certaine désaffection en 2009 et 2011, due en grande partie à la concurrence induite par l’essor des chaînes de la tnt. Là encore, le maintien d’une struc­turation nationale est présenté par certains dirigeants comme une nécessité permettant de garantir une audience minimum. François Guilbeau, directeur général de la chaîne, déclarait ainsi en 2011 : « Notre mission n’est pas de faire du local pour le public local. […] Aucune chaîne régionale privée n’a été un succès en France, pays très centralisé » (Le Figaro, 29 mars 2011).

16Cette position historique d’un maintien d’une audience nationale forte commence cependant à évoluer, comme on peut le constater dans le rapport d’information réalisé à l’Assemblée Nationale sur le Contrat d’Objectifs et de Moyens (com) 2011-2015 entre l’Etat et France Télévisions : « On ne saurait dissimuler que cette ambition pour les programmes régionaux de France 3 est susceptible d’avoir un impact négatif sur l’audience nationale de la chaîne, ce qui n’apparaît pas vraiment souhaitable dans le contexte actuel. […] Une multiplication d’audiences locales fortes doit sans doute être recherchée tout autant qu’une audience globale nationale satisfaisante » (Gaultier, 24). Ainsi, en l’absence d’un éclatement de France 3 en chaînes régionales indépendantes, les indicateurs sont susceptibles d’évoluer afin de ne plus se focaliser sur la seule audience nationale dont les attentes pourraient être qu’elle soit « satisfaisante » à défaut d’être « forte ». Quoi qu’il en soit, la cohésion de la troisième chaîne continuera à passer par sa visibilité aux heures de grande écoute et la lisibilité de son offre de programmes : un rendez-vous national comme le 19/20 continuera certainement à jouer un rôle central dans la fidélisation des téléspectateurs. Examinons à présent les ressorts de cette fidélisation depuis 1986.

Le 19/20 pour une couverture des territoires cohérente et lisible

17Le modèle d’information proposé aux téléspectateurs de France 3 remonte, ainsi que nous l’avons expliqué, à 1986. Depuis 25 ans, la chaîne propose un rendez-vous quotidien figurant les différents territoires couverts par les bri (Bureaux régionaux d’information) et centres locaux dans un dispositif unifié. Cette notion de « dispositif » peut nous aider à préciser comment la chaîne parvient à unifier plusieurs dizaines d’éditions chaque jour, par l’utilisation d’un habillage, de génériques et de séquences transitoires adaptées. La démarche adoptée pour l’analyse de ce dispositif est diachronique (une approche synchronique étant réalisée dans la partie 3).

Un dispositif médiatique, un titre et un habillage

18Selon M. Mouillaud et J-F. Tétu, « les dispositifs ne sont pas seulement des appareils technologiques, de nature matérielle. Le dispositif n’est pas le support inerte de l’énoncé, mais un site où l’énoncé prend forme. (…) Le site joue le rôle d’un « formant » ou d’une matrice, de telle façon qu’un certain type d’énoncé ne peut apparaître qu’« in situ » (Mouillaud & Tétu, 101). Ainsi, par-delà les techniques et les lieux, le dispositif informationnel de France 3 est-il constitué d’un ensemble de pratiques intériorisées au fil des ans par les équipes de journalistes. Ce dispositif s’est concrétisé et consolidé en 1986 par la création d’un journal unique au titre choisi, le 19/20. Ce titre est à considérer comme celui d’un organe de presse, il s’agit d’un énoncé spécifique dépendant du dispositif, un énoncé à la fois « minimal et dominant » : le « nom-de-journal » (Mouillaud & Tétu, 101). Exposé, mis en avant, le nom-de-journal « 19/20 » a fini par devenir un nom propre, un titre édité par France 3, qui se décline en une édition centrale et unique, l’édition nationale, et en déclinaisons, les éditions régionales et locales.

19Centré sur l’édition nationale à ses débuts, il a évolué et suivi les contraintes et transformations du dispositif d’information mis en place par France 3 : il s’ouvre à l’heure actuelle à 19 heures par l’édition régionale qui doit assurer en ouverture l’annonce des titres nationaux, se poursuit par l’édition locale et enfin l’édition nationale à 19h30. L’unification de ces différentes éditions est assurée par un générique décliné et un « habillage » fort présent, pro­gres­si­ve­ment transformé au fil des ans. En effet, depuis les années 1980, l’inté­gration des programmes régionaux à l’antenne nationale est de plus en plus poussée comme nous l’avons étudié dans la partie précédente, conformément aux politiques de programmation qui visent à produire une grille homogène et sans aspérités. De ce fait, l’habillage des images est un « marqueur identitaire » apparaissant nécessaire et « survalorisé par les agences chargées de les réaliser » (Lochard, 37). Concernant France 3, cet habillage vise à produire une esthétique commune aux programmes national et régionaux, qui doivent être perçus du point de vue du téléspectateur comme issus de la même chaîne. Ainsi cette réalité est-elle affirmée au sein de l’encadrement de France 3, qui appelle à une « démarche de qualité élargie à l’entreprise toute entière, portant en particulier sur la charte graphique de la chaîne » :

« L’habillage est également un facteur important de l’image des antennes ré­gio­nales. Il peut contribuer à rajeunir l’image de la chaîne, donc, indi­rec­te­ment, la structure d’audience des programmes régionaux. Le succès de l’ha­bil­lage actuel démontre l’efficacité d’une présentation qui associe décalage et modernité, découverte et performance, authenticité et esthétique. C’est aus­si grâce à lui que France 3 assume aujourd’hui l’image d’une télévision qui invente et innove, sans perdre son âme ni ses racines » (France 3, 1998, 16).

Les génériques du 19/20 : d’un avant-propos sur le journalisme à un avant-propos sur les territoires

20L’implication des publics, recherchée par le dispositif et appelée « mise en phase » par R. Odin en ce qui concerne la fiction dans son approche sémio-pragmatique, peut être variable, mais se résume la plupart du temps à l’utilisation de deux procédés : les plans d’ouverture et « l’effet générique » (Odin, p76-77). Les modalités de cette mise en phase peuvent être ques­tion­nés dans une approche comparable à dimension historique, afin d’ana­lyser cette recherche d’implication spectatorielle par les génériques – et les transitions et intermèdes – au cours des 25 ans d’existence du programme. Afin de mener cette analyse, nous avons construit un corpus de 21 éditions correspondant à tous les changements de générique et d’habillage du 19/20, depuis son premier numéro. Une frise temporelle complète des différentes versions des génériques est consultable en annexe n° 2, les émissions du 19/20 visionnées sont les suivantes :

06/05/1986 ; 05/05/1987 ; 08/06/1987 ; 05/11/1987 ; 11/05/1988 ; 09/01/1989 ; 22/01/1990 ; 20/05/1991 ; 07/09/1992 ; 13/09/1993 ; 29/09/1993 ; 07/09/1996 ; 06/09/1999 ; 15/09/2003 ; 23/09/2003 ; 25/09/2006 ; 07/04/2008 ; 14/09/2009 ; 05/09/2011 ; 07/09/2011 ; 12/09/2011.

21En 1986, le premier générique du 19/20 est particulièrement travaillé. Il en­chaî­ne 23 plans en 20 secondes, sur un rythme effréné, accompagné d’une mu­sique évoquant des téléscripteurs en action. La description qui en était faite alors par une expertise du ministère de la communication souligne son as­pect réaliste : « Le 19/20 traduit l’objectif principal de rendre compte de la vie des Régions en s’appuyant sur les Rédactions régionales. Il s’ouvre sur un générique d’environ 23 secondes fait d’images réelles, se distinguant des images de synthèse plus souvent utilisées habituellement “Le regard sur le mon­de” avec photos de personnalités nationales et internationales en asso­ciation avec des images de caméras et des flashes hélicoptères » (Butet, 1986, 13). Il est certain en tout état de cause qu’il s’agit là d’une représentation de la profession journalistique dans ses aspects les plus techniques et engagés sur le terrain, puisque sont présentés pèle mêle des plans de reporters, d’appareillages techniques et d’événements d’actualités (cf. tableau suivant).

Figure 1 – Plans caractéristiques des génériques du 19/20 (en 1986 sur la 1e ligne ; en 1989, 1991, 1992, 1993, 1999 sur la 2e ligne)

Figure 1 – Plans caractéristiques des génériques du 19/20 (en 1986 sur la 1e ligne ; en 1989, 1991, 1992, 1993, 1999 sur la 2e ligne)

22Les versions ultérieures du générique présenteront un caractère largement plus allégé en nombre de plans et une unité formelle accrue, liée à l’essor des pratiques d’habillage des chaînes. Le changement de nom de fr3, qui devient France 3 en 1992, est largement traité dans le 19/20, qui reçoit le pdg de France Télévision, Hervé Bourges, pour un long entretien sur cette nouvelle iden­tité et les nouvelles orientations du groupe. A partir de cette date, les géné­riques présenteront une stabilité accrue, notamment au plan formel : cou­leur bleue dominante, bandes claires horizontales et cartographies ani­mées.

23Les cartes : là réside le point nodal des génériques du 19/20. Initiées en 1991, les représentations cartographiques des territoires couverts par l’actualité du 19/20 ne cesseront de s’enrichir sur le plan graphique. Dans la première ver­sion intégrant un globe en 1991 (19/20 présenté par Paul Amar), fr3 avait scé­na­risé un long travelling d’individus en ombres chinoises symbolisant des rôles sociaux (militaires, religieuses, hommes d’affaires, etc.) se transmettant un globe. Très figuratif, ce générique préfigure cette symbolique de l’actu­a­li­té internationale et du quotidien local. Par la suite, la règle quasi générale sera d’associer les cartes internationales à des noms de localités (villes et ca­pi­tales d’autres pays, villes françaises), afin de mêler par ce procédé le local au national et à l’international. Il s’agit en effet par ces écritures graphiques d’introduire un propos journalistique a priori multiple et hétérogène en lui donnant une introduction, un avant-propos. N. de Mourgues, linguiste s’intéressant au générique de film, considère que ce dernier fait office de seuil, qu’il est un « vestibule » du film (de Mourgues, 37).

24Selon N. de Mourgues, le générique occupe une zone stratégique, une « posi­tion inaugurale », ce qui « permet de le comparer aux incipit de la littérature. Le mot « incipit » vient du verbe latin inci- pere et signifie « il commence » ou plus exactement, (…) “ci commence”, c’est la traduction littérale du latin incipit » (de Mourgues, 37 et s.). Ainsi, l’incipit peut donner des indications de lieux. Dans le cas du 19/20, cette indication est essentielle. Les génériques sont adaptés en fonction de l’édition, afin de figurer le lieu concerné à l’aide du défilement à l’écran du nom des villes situées dans la zone de diffusion (pour un exemple, cf. partie suivante, générique de l’édition Quercy-Rouergue). Le temps est lui aussi concerné par l’incipit, par une indication de l’heure en incrustation. Enfin, l’actant principal du programme, le journaliste présentateur, est introduit par ce même incipit : cela est particulièrement vrai pour l’édition nationale version 2011, où la journaliste C. Gaessler apparaît entrant sur le plateau, et vient au premier plan saluer le téléspectateur. Autre cas intéressant, celui de l’édition régionale Pays de la Loire, où le générique ne s’achève réellement qu’après les titres, une voix off féminine indiquant pendant que le journaliste présentateur va s’assoir : « Le 19 heures, le journal de France 3 Pays de la Loire, Emmanuel Faure ». Dans ce cas, l’incipit est réellement appuyé, le récit du journal peut alors débuter. Une fois lancé, le journal peut alors dérouler son édition (locale, régionale ou nationale) jusqu’à son achèvement, nécessitant la mise en place d’un nouvel incipit. Entre les éditions, des séquences transitoires, « images interstitielles » (Soulages, 36) présentant encore une fois des cartes seront alors insérées, de manière à homogénéiser le 19/20.

Les séquences transitoires : contrer la labilité du 19/20

25Le problème majeur du 19/20 consiste en la labilité du programme, son insta­bi­lité structurelle de par la multiplicité des éditions et des niveaux territoriaux visés. Si la charte graphique permet de maintenir une homogénéité formelle, comment « conserver » l’attention des publics ? Une réponse proposée par le dispositif médiatique France 3 consiste à insérer des séquences transitoires, jouant le rôle de méta-génériques. Ces séquences ne figurent aucun individu, il s’agit, à la différence du « cadre-fenêtre » (interaction du téléspectateur avec un individu filmé qui le regarde, cf. partie suivante), d’un « cadre-fresque [qui] prend appui sur un cadre devenu opa­que » (Soulages, 35). L’écran devient alors selon J-C. Soulages tout à fait « ostentatoire » et mobilise « toute une série d’“indicateurs lecturels”, indispensables pour gommer le handicap de labilité du média de flux » (Soulages, 36).

26Ces séquences, véritables « images balises », contribuent de la sorte à enchâsser symboliquement les cadres territoriaux et permet de juguler – en partie du moins – l’instabilité structurelle du programme, renforcée par la multiplicité des rédactions et équipes de journalistes. Pour reprendre la terminologie des rhétoriques télévisuelles de J-C. Soulages, ces séquences transitoires sont de véritables « configurations iconico-cinétiques » s’affichant comme des images à contempler, donnant une figuration du territoire national et au-delà, avec la proposition d’un survol à grande vitesse ou d’un surplomb géographique (cf. figure suivante).

Figure 2 – séquences transitoires du 19/20 (versions 1986, 1993, 1999)

Figure 2 – séquences transitoires du 19/20 (versions 1986, 1993, 1999)

27La figure précédente révèle bien les rapides mutations techniques fondées sur la numérisation ayant permis une figuration enrichie des niveaux territoriaux couverts par l’actualité du 19/20. Il s’agit bien d’une traduction sémiotique de ces derniers, rendue possible par l’industrialisation de la communication : « Derrière le paysage coloré des chaînes se dissimulent des “logiques industrielles” […]. Ce travail de façonnage portant sur ce que l’on pourrait appeler le packa­ging des programmes constitue à la fois un levier stylistique et rhétorique, mais surtout un révélateur quant aux visées de leurs producteurs. Un simple regard rétros­pectif sur des images anciennes du média l’atteste immédiatement » (Soulages, 135). Et, en effet, à la France symbolisée en 1986 succèdent des représentations élargies de l’Europe et du monde, à mesure que la rédaction de France 3 peut couvrir plus efficacement l’actualité internationale.

28L’enchâssement ainsi produit discursivement et enrichi par les techniques numériques trouve enfin une expression sur le web, avec l’offre de consultation des journaux télévisés en ligne. Les niveaux territoriaux sont là encore représentés, paradoxalement de manière textuelle et linéaire. Le parcours des internautes, qui peut débuter par une requête sur un moteur de recherche, doit logiquement les mener à la page des jt de France 3, dont on peut voir dans la copie d’écran ci-dessous la structuration.

Figure 3 – Page web de consultation des journaux de France 3 (jt.france3.fr)

Figure 3 – Page web de consultation des journaux de France 3 (jt.france3.fr)

29Paradoxalement, ces techniques d’écritures hypertextuelles produisent une page écran tout à fait classique, juxtaposant logiquement et lisiblement les différentes éditions. Bien évidemment, cette offre en ligne a peu de chances de perdurer sous cette forme plusieurs années, d’autant que France 3 investit en ce domaine (lancement d’une web tv Limousin) comme le souligne le rapport d’activité 2010 du groupe France Télévisions : « France Télévisions a poursuivi son effort en direction des axes prioritaires de développement en matière de numérique, de multimédia et d’interactivité :

  • intensification, sur le plan éditorial, de l’effort sur de nombreuses thématiques ;

  • mise en place des Web tv régionales ;

  • développement de l’offre de contenus vidéo.

  • développement de l’interactivité éducative. »

30Hormis le visionnage des jt en ligne, ces orientation restent toutefois peu institutionnalisées et conservent un caractère expérimental. En 2011, le média télévisuel reste, et de manière accrue avec la numérisation hertzienne terrestre, le mode de diffusion quasi exclusif de l’audiovisuel public régional.

L’enchâssement des cadres : le 19/20 et ses éditions, locale < régionale < nationale 

31Les éditions régionales et locales, insérées comme nous l’avons vu dans le 19/20, sorte de « méta-journal » structuré, proposent quotidiennement un rendez-vous stable aux téléspectateurs. Il s’agit dans ce troisième point de montrer comment ce méta-jt crée un « espace de communication » (Odin, 2006) original, où le téléspectateur est invité à prendre part aux sessions d’informations de « ses » territoires de référence. L’analyse vise à montrer cet enchâssement des territoires et des cadres mobilisés en mettant en évidence le caractère intégré des éditions, c’est-à-dire leur conformité à un modèle central, celui de l’édition nationale.

32L’approche, synchronique, repose sur un corpus constitué en retenant l’ensemble des éditions du 19/20 diffusées sur une journée, le 22 septembre 2011, jour de semaine ordinaire sans événement journalistique particulier. Au total, 59 éditions ont été collectées, réparties comme suit : 1 édition natio­na­le, 24 éditions régionales, 34 éditions locales. L’étude a été menée en deux temps : d’abord une analyse de la conformité des éditions et de leur intégration à la formule du 19/20 (construction d’un indicateur de con­for­mité), puis un examen des procédés d’écritures journalistiques permettant l’enchâssement des cadres, notamment par une figuration croisée des territoires.

Des formules construites selon une charte : une analyse de la conformité des éditions

33Le dispositif du 19/20 s’est vu à partir des années 1990 adjoindre les éditions locales, permettant ainsi de développer un « concept » fort (au sens télévisuel du terme) que développait en 1998 le plan stratégique de la chaîne : « Le premier objectif poursuivi par France 3 sera d’optimiser, dans les différentes tranches d’information (12/13, 19/20 et Soir 3), l’offre portant sur l’agen­ce­ment combiné d’actualités locales, régionales, nationales et internationales, laquelle constitue la proposition spécifique de France 3. Cette déclinaison systématique s’accompagnera d’un effort éditorial important : il s’agira aussi bien d’homogénéiser les différentes éditions que d’améliorer la cohérence entre elles, de façon à proposer des démarches éditoriales complémentaires » (France 3, 1998, 24).

34La terminologie est sur ce point évocatrice : la notion d’« agencement combi­né » montre bien la volonté de relier les éditions en leur donnant une lisibilité unique, reposant sur un code commun. Il s’agit d’unifier les éléments cons­ti­tu­tifs du journal télévisé, par exemple la scénographie, question aussi an­cien­ne que le programme lui-même, comme le constate M. Coulomb-Gully, notant que l’on « pourrait résumer l’histoire du jt par celle de ses différentes scénographies » (Coulomb-Gully, 63). La mise en scène, le placement et la posture du journaliste et autres intervenants est prévue et codifiée, elle prend place dans le studio, véritable « embrayeur spatio-temporel » (Coulomb-Gully, 67).

35En se fondant sur ces divers éléments, nous nous sommes employés à définir un indicateur du degré de conformité des 24 éditions régionales à l’édition nationale sur 12 points, construit en attribuant une note de 1 à 3 sur les quatre critères suivants :

  • posture du journaliste (scénographie indicative) : correspondance aux postures de C. Gaessler dans l’édition nationale lors de l’annonce des titres et tout au long du JT (debout, intervenants aussi) ;

  • rappels structure, horaires, éditions : soin apporté à définir au début et en clôture les diverses éditions et leur enchaînement ;

  • charte graphique et éléments visuels : conformité dans l’utilisation des arrière plans, les éléments de mobilier, les codes couleurs ;

  • titres nationaux : correspondance des titres nationaux annoncés dans l’édition régionale avec ceux de l’édition nationale.

36En effet, l’édition nationale reste l’édition centrale sur laquelle les inves­tis­sements en « habillage » se concentrent. Ainsi que l’indique le communiqué de presse diffusé en septembre 2011 par France 3 : « Plus aéré, plus ouvert, plus transparent et modulable, le nouveau décor du plateau de l’info nationale est aussi plus moderne et plus dynamique. Il favorisera les déplacements et sera configuré pour accueillir, aux côtés des présentatrices et présentateurs, des invités ou les journalistes experts de la rédaction [...]. Associée au nouveau décor, l’infographie sera également clarifiée et renforcée pour contribuer à une meilleure compréhension de l’information » (France 3, communiqué de presse, 01/09/2011).

37Les résultats de l’analyse, consultables en totalité en annexe 3, laissent entrevoir une assez forte homogénéité des éditions régionales, les scores de l’indice de conformité variant de 7 à 11 points (cf. synthèse dans le tableau suivant).

Tableau 1 – Conformité des éditions régionales à l’édition nationale du 19/20

Tableau 1 – Conformité des éditions régionales à l’édition nationale du 19/20

38Globalement conformes à l’édition nationale, faisant du 19/20 un programme assez cohérent, certaines éditions régionales s’en distinguent par la posture du journaliste (assis, cadré de près), par la charte graphique (arrière plans per­son­nalisés en couleurs et photographies) ou un rappel quasi inexistant de la structure du 19/20. La figure suivante donne une indication des différences constatées entre l’édition Aquitaine (score de 7) et celle des Alpes (score de 11).

Figure 4 – Comparaison des scénographies des éditions Aquitaine et Alpes avec l’édition nationale

Figure 4 – Comparaison des scénographies des éditions Aquitaine et Alpes avec l’édition nationale

39On le voit, les postures, cadrages et codes couleurs varient, l’édition des Alpes (à droite) étant visuellement beaucoup plus proche de la nationale que l’édition Aquitaine, qui privilégie des plans rapprochés (journaliste assis) et des teintes bleu vert (et non le bleu et les fonds de carte standard de l’habillage général). Globalement, les différences restent toutefois limitées. Les éditions locales (plus brèves, 6 min.) présentent en revanche une diversité accrue et s’éloignent formellement beaucoup plus de l’édition nationale. Pour ces locales, nous nous sommes bornés à établir une typologie de leur formule, afin de les classifier en fonction de leur intégration plus ou moins forte au 19/20 (cf. tableau suivant).

Tableau 2 – Typologie et degré d’intégration des éditions locales au 19/20

Tableau 2 – Typologie et degré d’intégration des éditions locales au 19/20

40Comme on peut le constater, la figure dominante des éditions locales est un journal « tout images » introduit par un journaliste en extérieur, que l’on retrouve à la clôture de l’édition. L’habillage est minimal, hormis un générique personnalisé listant les villes concernées par l’édition. A la différence du cadre fresque évoqué précédemment, il s’agit plutôt d’un « cadre fenêtre », « simulacre d’interaction entre l’acteur télévisuel et le sujet regardé/regardant » (Soulages, 33). L’édition locale avec le journaliste sur le terrain produit ainsi une « visagéification » de l’information locale, permettant une proximisation accrue. La figure du journaliste ainsi construite est une incarnation du témoin de l’événement : il s’agit donc de différentes « scénarisations de l’information télévisée, celles du studio en conférant au présentateur un rôle de pivot, celles du terrain pour lesquelles, désormais, cette visagéification de la parole-témoignage s’est imposée comme un gage d’authenticité » (Soulages, 33).

L’enchâssement des cadres : dispositifs et écritures de l’intégration terri­to­riale

41En dépit des spécificités évoquées précédemment, le 19/20 reste toutefois un journal assez fortement intégré, dont la cohérence interne repose certes sur un habillage commun des éditions, mais aussi sur une figuration croisée des niveaux territoriaux. La figure suivante indique quelques-uns des procédés de cette figuration croisée.

Figure 5 – Modes d’intégration des territoires par les éditions régionales et locales

Figure 5 – Modes d’intégration des territoires par les éditions régionales et locales

42L’intégration des niveaux territoriaux est en premier lieu le fait d’une figuration des espaces géographiques national et international dans les éditions régionales (cf. figure 5, ligne du haut). Sans le nom de l’édition indiqué dans un bandeau au bas de l’écran, on pourrait penser qu’il s’agit d’un jt international, ce qui gomme nettement une éventuelle spécificité régionale. Ainsi, bien qu’il s’agisse d’une édition régionale, la figuration de l’information par le dispositif ne laisse pas transparaître le caractère localisé de l’information, mais au contraire intègre le propos régional dans un décor où l’international est présent et figuré sur les cartes continentales en arrière-plan.

43Un deuxième procédé consiste à opérer un duplex : le cas de l’édition régio­na­le Pays de la Loire est sur ce point exemplaire en opérant quotidien­nement une liaison avec les deux éditions locales diffusées sur ce territoire. L’édition locale Plein Centre ajoute une dimension supplémentaire au duplex, le début de l’édition locale se déroulant dans le studio même de la régionale. Dans ces cas, la « locale » apparaît comme une édition dépendant de l’édition régiona­le, elle en est le prolongement.

44Enfin, dernier procédé, le générique lui-même est un élément d’intégration des niveaux territoriaux. Le générique des éditions locales figure en effet une carte du monde de laquelle les noms des villes de la locale surgissent dans un effet de zoom : l’appartenance du territoire local au méta-territoire l’encadrant est ainsi signifiée. Le territoire local est alors relié aux territoires faisant l’objet des éditions qui l’encadrent, l’édition régionale et la nationale.

45L’utilisation de tous ces procédés par le 19/20 se rajoute aux traits linguis­ti­ques mis en évidence par P. von Münchow, à savoir « une prépondérance du discours indirect par rapport au discours direct » (von Münchow, 214), c’est-à-dire de discours où « le journaliste du jt se fait l’exégète du sens d’un acte de d’énonciation : il domine par son point de vue. À la monstration par le discours direct répond la maîtrise par le discours indirect » (von Münchow, 134). Les journalistes du 19/20 se doivent d’expliquer de manière récurrente tout au long des éditions l’organisation du journal et sa logique, ce qui crée une distanciation vis-à-vis des événements relatés, un rapport davantage rationnalisé aux territoires.

46L’information télévisée régionale, ainsi soumise à une contrainte de cohérence et d’enchâssement des cadres territoriaux permise par le dispositif du 19/20, constitue un espace de communication original, reliant local, régio­nal, national et international. Grâce à ce journal, central en termes de stratégie de programmation, la télévision régionale française trouve – contrairement aux télévisions locales hertziennes – une audience pérenne et significative, et peut dès lors continuer à être ce média de masse territorialisé, figure originale réitérée depuis création au milieu des années 1960.

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Bibliographie

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Annexe

Annexe 1 – Organisation interne du 19/20 (Butet, 1986)

Annexe 2 – Frise temporelle des génériques du 19/20 depuis 1986

Annexe 3 – Grille d’analyse des 24 éditions régionales du 19/20, 22 septembre 2011

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Notes

1 Conférence de presse du 30 janvier 1986, citée par Bourdon & Méadel, 1995, p. 91.

2 Si la crise couvait depuis quelques temps déjà, c’est la venue de Christine Ockrent sur a2 et la publication de son salaire mensuel de 120 000 francs qui a mis le feu aux poudres le 17 septembre. Les autres sociétés de l’audiovisuel public ont suivi a2 et le conflit s’enlisera jusqu’au 1er octobre.

3 Les avis sont unanimes, quels que soient le syndicat, la fonction ou la région. Ainsi à Marseille, Sampiero Sanguinetti déclarait-il : « Le 19/20 était jusqu’au début 1990 la vitrine des régions. Au fil des semaines, il est devenu un journal national » (Bourdon & Méadel, 1995, p. 94).
A Lyon, Pierre Lachaux, délégué snj, affirmait : « Ce n’est plus la vitrine des régions. Nos sujets, lorsqu’ils sont repris, sont souvent réécrits ou commenté depuis Paris ». Cf. Sorgue (Pierre), « La fronde des bureaux régionaux à fr3 », Libération, 30 novembre 1990.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Plans caractéristiques des génériques du 19/20 (en 1986 sur la 1e ligne ; en 1989, 1991, 1992, 1993, 1999 sur la 2e ligne)
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Titre Figure 2 – séquences transitoires du 19/20 (versions 1986, 1993, 1999)
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Titre Figure 3 – Page web de consultation des journaux de France 3 (jt.france3.fr)
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Titre Tableau 1 – Conformité des éditions régionales à l’édition nationale du 19/20
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Titre Figure 4 – Comparaison des scénographies des éditions Aquitaine et Alpes avec l’édition nationale
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Titre Tableau 2 – Typologie et degré d’intégration des éditions locales au 19/20
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/2262/img-6.png
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Titre Figure 5 – Modes d’intégration des territoires par les éditions régionales et locales
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Pour citer cet article

Référence papier

Benoit Lafon, « L’information « locale » et « régionale » sur France 3, les réitérations d’un modèle »Sciences de la société, 84-85 | 2012, 291-312.

Référence électronique

Benoit Lafon, « L’information « locale » et « régionale » sur France 3, les réitérations d’un modèle »Sciences de la société [En ligne], 84-85 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2262 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.2262

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Auteur

Benoit Lafon

Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, gresec, ea 608, Université Grenoble 3.
benoit.Lafon@u-grenoble3.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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