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Faire du « journalisme européen de proximité ». Le cas d’une radio-école locale

The “European nearness journalism”. The study case of a local scholar-radio
Hacer « periodismo europeo de proximidad ». El caso de una radio-escuela local
Roselyne Ringoot
p. 121-137

Résumés

Cette étude de cas veut mettre en évidence les interactions entre plusieurs sphères discursives à l’œuvre dans la construction de la proximité européenne au local. On situera, dans un premier temps, l’émergence d’Euradion@ntes par rapport à la politique de communication de la Commission européenne, et par rapport à la politique de « ville européenne » menée par Nantes. Il s’agira ensuite d’analyser le régime énonciatif d’un « journalisme européen de proximité » en questionnant cette désignation auto-proclamée comme une nouvelle catégorie journalistique, et en interrogeant la programmation de la radio en tant que mise en scène d’une société d’européen au local. Le dernier volet de l’étude porte sur l’équipe de journalistes stagiaires, « localiers » de l’ « information européenne de proximité. » Censée représenter un microcosme européen ad hoc, la constitution de ce groupe primaire européen s’avère en soi partie prenante du processus de production de l’information. C’est donc tout autant la dimension symbolique des politiques publiques, la construction de la proximité médiatique, et l’identité professionnelle journalistique qui sont ici convoquées.

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Texte intégral

  • 1  L’étude a été menée sur l’année 2010.

1Cette contribution s’inscrit dans une approche questionnant la construction symbolique des territoires à laquelle participent les médias locaux, et interroge également les interactions entre institutions, société civile et médias. Partant du cas particulier d’une radio locale spécifiquement dédiée à L’Europe et implantée dans une ville « moyenne », il s’agit ici d’analyser les dispositifs énonciatif et organisationnel qui visent à positionner ce média en tant qu’entrepreneur d’Europe et simultanément en tant qu’entrepreneur de proximité territoriale. L’Europe érigée en tant que projet éditorial confronte à des difficultés qui ont été mises en évidence dans plusieurs travaux : l’échec du magazine L’ Européen (Neveu, 2004), la prédominance des logiques nationales dans les médias audiovisuels transnationaux proclamés « européens » tels que Euronews ou Eurosport créés dans les années 90 (Baisnée, Marchetti, 2004 ; Chalaby, 2004). Le cas d’Eur@dioNantes est différent dans le sens où, d’emblée, le projet veut articuler la dimension européenne et la dimension locale. Si la question de l’Europe et du local est traitée dans nos travaux antérieurs portant sur la presse écrite (l’Europe saisie comme objet d’information dans la presse régionale, (Ringoot, Utard, 2003 et 2004)), la construction de la proximité en presse de région ( Ringoot, Rochard, 2005), c’est une toute autre perspective qui est proposée ici1. D’abord parce qu’il s’agit d’une radio (rentrant dans la catégorie des médias associatifs), et ensuite, parce qu’il s’agit d’élaborer une approche qui n’est pas média centrée. La radio est en effet appréhendée ici en tant qu’« instrument » de l’action publique, ce qui amène à observer l’imbrication des logiques médiatique, institutionnelle et politique. La notion d’instrument renvoie aux travaux de Pierre Lascoumes qui développent et actualisent le concept de « gouvernementalité » de Michel Foucault. Dans cette perspective, l’information et la communication constituent une catégorie d’instrument qui organise le rapport politique de « démocratie au public » (Lascoumes, 2004). Alors que les apports de Michel Foucault qui concernent le discours et ceux qui concernent la gouvernementalité sont souvent dissociés (Ringoot 2010), ces deux approches sous tendent l’ensemble de ce travail monographique. Interpellée par l’émergence de désignations telles que « information européenne de proximité » ou « journalisme européen de proximité » qui renvoie à un ordre discours journalistique, l’attention s’est aussi portée sur d’autres cadres dans lesquels s’inscrivent la création et la pérennisation de cette radio entièrement financée sur fonds publics. La citoyenneté, la communication et la proximité européenne représentent un enjeu majeur pour la Commission européenne, notamment entre 2004 et 2010, période durant laquelle Eur@dioNantes est apparue. Particulièrement offensive sur la stratégie de communication, la Commission œuvre à cette époque à une mise en discours de la proximité européenne au local, en travaillant sur le contenu des énoncés mais aussi sur les modes de leur production et de leur circulation. Les acteurs qui s’en saisissent au local (les mondes de la culture, l’éducation, le savoir, la politique, le journalisme) affichent un discours conforme et orthodoxe sur la nécessité de rapprochement entre Européens postulés divers et différents. Dans les arènes discursives dédiées à l’Europe, « il s’agit moins de « donner la parole » à des publics incertains, au sein de structures prétendument participatives, que de donner à parler et entendre par l’intermédiaire de représentants » (Lascoumes, 1997). Ce constat porté sur les forums hybrides vaut pour les opérations visant à construire un espace public local-européen, auquel contribue le « journalisme européen de proximité » revendiqué par Eur@dioNantes.

2Cette étude de cas qui veut mettre en évidence les interactions entre plusieurs sphères discursives à l’œuvre dans la construction de la proximité européenne au local, s’articule selon trois entrées. La première partie situe l’émergence de cette radio par rapport à la politique de communication de la Commission européenne, et par rapport à la politique de ville européenne menée par Nantes. La deuxième partie est consacrée au régime énonciatif d’un « journalisme européen de proximité », d’une part en questionnant cette désignation revendiquée par Eur@dioNantes comme une nouvelle catégorie journalistique, d’autre part en interrogeant la programmation de la radio en tant que mise en scène d’une société d’européen au local. La dernière partie porte sur les « localiers » de l’ « information européenne de proximité » en insistant sur la composition de l’équipe de journalistes stagiaires. Censée représenter un microcosme européen ad hoc, la constitution de ce groupe primaire européen s’avère en soi partie prenante du processus de production de l’information. C’est donc tout autant la dimension symbolique des politiques publiques (…), la construction de la proximité médiatique, et l’identité journalistique qui sont ici convoquées.

Un média local porté par des politiques publiques

3L’association Radio européenne nantaise se constitue en 2006 dans l’objectif de créer la radio-école Eur@dioNantes. Porté principalement par le binôme formé par la présidente de l’association et la directrice de la radio, le projet articule une activité de formation destinée à des étudiants en journalisme venus de différents pays européens, et une activité de production diffusée sur ondes hertziennes et sur le web. L’autorisation d’émettre sur 101.3 acquise, la radio accueille les premiers stagiaires au printemps 2007, sous le parrainage de Jérôme Clément, président d’Arte France. Fortement personnalisé, le projet Eur@dioNantes s’inscrit néanmoins dans des stratégies liées aux politiques publiques. Si cette radio expérimentale est a priori imputable à une initiative émanant de la « société civile », nous voulons rendre compte de facteurs déterminants qui relèvent des politiques à l’échelon de l’Europe et à l’échelon de la ville.

La politique de communication à l’échelon européen

4Organiser le rapprochement des Européens n’est pas nouveau en soi si l’on considère les programmes de mobilité intra-communautaires du type Erasmus ou les projets transfrontaliers et transnationaux effectifs, par l’action relayée des institutions nationales ou régionales, depuis une vingtaine d’années. Cependant, dans les années 2000, la vice-présidente Margot Wallström, attachée aux « relations institutionnelles et à la stratégie de communication » (2004-2010), impulse une nouvelle politique de communication axée sur la démocratie au public, notamment par le biais du Livre blanc sur une politique de communication européenne de 2006. Elle prône la stratégie du bottom up dans la mesure où il ne s’agit plus d’imposer une communication institutionnelle (néanmoins dynamisée par la refonte du site Europa), mais d’impulser et soutenir des projets aptes à rendre l’Europe proche. « À la massive abstention aux élections européennes de 2004 et à l’échec électoral du traité constitutionnel l’année suivante, la Commission a d’abord répondu par un programme de consultation des eurocitoyens destinée à connaître leurs attentes, leurs opinions et fonder sur celles-ci une nouvelle politique de communication. Dans le lbc [Livre blanc sur une politique de communication européenne], elle proposait quelques mois plus tard d’ordonner de façon plus formelle et systématique toute la communication derrière ses propres services de communication. » (Aldrin, Utard, 2008).

5Présentée comme procédant d’une initiative spontanée en réaction à l’échec du Traité constitutionnel, la création d’Eur@dioNantes s’inscrit dans la dynamique de la nouvelle politique de communication européenne. Le rejet du Traité Constitutionnel Européen est identifié comme l’élément déclencheur dans les discours communicationnels qui accompagnent le lancement de la radio, tout comme dans les articles de presse qui reprennent des citations mettant l’accent sur cet événement originant. Dans l’ensemble, les retombées presse consacrées à Eur@dioNantes personnalisent fortement la structure par un éclairage focalisé sur sa responsable, on note même quelques portraits qui, a fortiori, individualisent le projet2. Le discours rapporté y fait état du non au référendum ressenti comme un « électrochoc », propos également mobilisé lors d’un entretien individuel mené auprès de la directrice : « L’origine du projet Eur@dioNantes remonte à 2005, à l’époque des débats autour du tce et du non au référendum […] Une radio européenne, j’y pensais, j’avais acquis une reconnaissance sur les questions européennes, et je pouvais prétendre aux allocations chômage. Cela ouvrait la possibilité de me consacrer au montage d’un projet »3.

  • 4  Livre blanc pour une politique de communication européenne présentée par la Commission des commu (...)

6De nombreux sites internet dédiés à l’Europe soutenus par les institutions européennes voient le jour après 2005, venant ainsi étoffer l’offre sur la toile autour du modèle fondateur de Cafébabel. Néanmoins, si « les technologies de communication sont importantes, les contacts directs restent toutefois déterminants4 », les rencontres physiques par le biais d’événements culturels, politiques, civiques, éducatifs sont encouragées par le Livre Blanc qui vise particulièrement l’échelon local. Les dispositifs existants doivent être complétés par des actions émanant de « la société civile » de manière à ce que le déficit de proximité européenne soit vécu « par le bas » et conjuré par lui. Philippe Aldrin et Jean-Michel Utard pointent la controverse que suscite cette politique de communication ancrée dans le modèle participatif et positionnant la Commission comme autorité exclusive, et qui aboutira à un réajustement : « Entre les lignes, il s’agit de revenir aux principes des partenariats – avec les institutions et organes mais aussi avec les Etats ou les acteurs locaux −adoptés en 2001 et 2002 (Aldrin, Utard, 2008). Cela dit, au local, les entrepreneurs de proximité construisent leur légitimité sociale sur le socle d’énoncés orientés vers la nécessité de se familiariser aux différentes cultures, de se rencontrer entre Européens, répondant aux politiques de communication européennes.

7Support d’information mais aussi support d’auto-promotion, le site internet formule le « concept » d’Eur@dioNantes comme contribution « à l’édification d’une conscience citoyenne européenne faite de cultures, d’initiatives et de sensibilités diverses venant des quatre coins de l’Europe5. » Le projet de la radio-école est déposé dans le cadre du programme intitulé « Citoyenneté européenne active » perpétué par « L’Europe pour les citoyens » (2007-2013) qui soutient des activités « Dans le but d’associer activement les citoyens au processus d’intégration européenne, elle crée les conditions d’un rapprochement entre les citoyens européens et vise à augmenter le sentiment d’une identité européenne. »6. Composée de jeunes stagiaires originaires de différents pays, la rédaction de la radio-école matérialise un foyer européen dans la ville. Alors que le slogan de la radio, « La diversité européenne au creux de l’oreille », fait écho au credo institutionnel analysé par Jean-François Polo : « la défense de la diversité européenne dans la politique audiovisuelle européenne est devenue le principe sur lequel repose tout le système d’aide européen » (Polo, 2004.) ; maîtres mots du projet d’Eur@dioNantes, la proximité et la diversité font aussi l’objet d’une corporalisation tangible et audible. C’est également dans cette logique d’une Europe phatique et incorporée que se développe en régions le réseau des Maisons de l’Europe, appellation renvoyant littéralement « au chez soi. »

Nantes, « ville européenne »

  • 7  Elle est constituée de la directrice, d’un directeur technique, d’un programmateur musical, d’un (...)
  • 8  Fondé sur une coopération transnationale de six agglomérations travaillant sur la réutilisation (...)

8Programmatique, le nom propre Eur@dioNantes signifie simultanément le support médiatique, son ancrage territorial et son projet éditorial. L’offre radiophonique et internet proposent, outre les contenus journalistiques, des éléments de programmation musicale et linguistique voués à signifier la diversité culturelle européenne. Avec la participation des bénévoles intégrés dans la programmation, Eur@dioNantes peut ressembler à d’autres médias associatifs européens fonctionnant sur des réseaux de contributeurs et vivant sur fonds publics. Sa particularité réside dans la mission d’information locale et dans sa mission de formation au journalisme. L’équipe des salariés7 qui encadre les stagiaires est donc investie dans un double processus : former les étudiants et produire l’information, avec passage à l’antenne et streaming sur le web. L’autre particularité d’Eur@dioNantes réside dans son mode de financement impliquant tous les échelons publics. Par ordre décroissant, la Communauté d’agglomération, le Conseil général, le Conseil régional, la Ville, la Commission européenne (depuis 2008), le Ministère des affaires européennes abondent au budget global d’Eur@dioNantes. Il s’élève à 400 000 euros, un montant important principalement supporté par Nantes Métropole. En outre, la rédaction d’ Eur@dioNantes bénéficie gratuitement d’un local installé dans le « Quartier de la création » qui regroupent des entreprises du secteur culturel et médiatique, sur l’Ile de Nantes. Lieu hautement symbolique, ce site anciennement occupé par les chantiers navals, devient aujourd’hui le quartier européen et culturel. Le « grand projet de l’Île de Nantes » a bénéficié entre 2004 et 2007 du projet « Revitalisation de friches industrielles »8.

  • 9  Le Journal officiel de la Communauté urbaine de Nantes - mai 2009
  • 10  Député socialiste depuis 1986, président de l’Association des maires de grandes villes de France (...)
  • 11  Elle a la charge de la communication du projet développé depuis 2002 par la Direction générale t (...)

9Capitale régionale, Nantes est insérée dans une communauté d’agglomération d’environ 580 000 habitants qui s’autoproclame volontiers « au cœur de l’Europe9 ». Maire depuis 1989, Jean-Marc Ayrault10 préside également la communauté urbaine. Depuis une vingtaine d’année, la métropole a bénéficié d’environ dix millions d’euros de subventions européennes liées à seize projets et s’est particulièrement investie dans le développement urbain et culturel. La présidente de l’association, peu mentionnée dans la communication promotionnelle d’Eur@dioNantes, s’avère un acteur clé dans le montage du projet, de par sa connaissance des enjeux locaux et européens et sa compétence dans les montages de dossiers transnationaux. Responsable marketing11 au sein de la Société d’économie mixte des transports en commun de l’agglomération nantaise, sa fonction et sa mission de développement de partenariats européens sont gages de légitimité, car Nantes Métropole fait partie du consortium européen Civitas-Vivaldi dédié aux déplacements urbains propres.

  • 12  Eurocities organise six forums thématiques : Culture, Développement économique, Environnement, A (...)
  • 13  « Barcelone, Helsinki, Eindhoven, Stockholm, Nantes, même combat » http://www.nantesmetropole.fr (...)

10Insérée depuis longtemps dans des réseaux européens tels que la Conférence des villes de l’Arc Atlantique, Nantes a construit sa légitimité européenne dans le domaine culturel (La Folle Journée, Le Lieu Unique, Royal de Luxe, Les Machines de l’île de Nantes…) qui assurent une visibilité médiatique au niveau national et international. L’européanisation de Nantes s’est notamment effectuée dans le cadre d’ Eurocités, dispositif mis en place sous le gouvernement Rocard. « Fondée en 1989 [Eurocités] est devenu en dix ans le principal vecteur de diffusion de la méthode du « projet de ville », méthode censée favoriser un consensus local sur les stratégies d’internationalisation à long terme. » (Vion, 2002). En janvier 2009, Nantes est élue à la présidence du « Forum culture » des Eurocités12. Première ville française chargée de cette responsabilité, Nantes s’affirme alors « métropole européenne »13.

Le régime énonciatif du « journalisme européen de proximité »

  • 14  En journalisme, « la loi de proximité » enseignée dans les formations et appliquée dans les réda (...)

11Au regard des objectifs définis par la politique de communication européenne et des objectifs de développement de la ville de Nantes, Eur@dioNantes peut s’appréhender comme un « instrument ». Pour autant, la revendication d’un « journalisme européen de proximité » amène à questionner cette composante journalistique. Considérée plus particulièrement « comme valorisation du « local » et du « concret » » (Kaciaf, 2005, p. 275), la proximité en journalisme recoupe la proximité en politique. « L’idéologie de la proximité serait donc à entendre comme un univers de croyance sur-déterminant le politiquement pensable du moment, la variable temps écrasant la variable partisane. Les professionnels de la politique sont aujourd’hui condamnés à parler le langage de la proximité, ils ne peuvent se distinguer qu’en déclinant ce thème différemment. La proximité serait-elle devenu un obligatoire discursif ? » (Le Bart, Lefèvre, 2005, p. 19). En journalisme, « la loi de proximité »14 est érigée en théorie professionnelle dont les effets d’imposition concernent tout autant les publics que les journalistes que l’on peut analyser en fonction des spécialités journalistiques (Restier-Melleray, 2005) et des identités éditoriales (Ringoot, Rochard, 2005). Eur@dioNantes construit la sienne en inventant une étiquette et les conditions de sa mise en discours : le « journalisme européen de proximité » s’impose comme la marque de fabrique de la radio et comme l’enjeu majeur des « Rencontres Néonet » inaugurales. Sur le plan de l’information, les contenus de la radio mettent en visibilité les acteurs locaux promoteurs d’Europe, en reflétant/construisant le petit monde européen nantais.

Le « journalisme européen de proximité », une nouvelle catégorie ?

  • 15  Voir aussi le cuej de Strasbourg qui enseigne des modules spécialisés sur l’Europe depuis 1991.
  • 16  A partir du moteur de recherche Google, l’occurrence la plus ancienne de l’expression est attrib (...)

12La formulation « journalisme européen » est aujourd’hui banale dans les discours professionnels, et par ailleurs utilisée et questionnée par les sociologues (Bastin, 2003, Baisnée, 2003). Au-delà des médias européens ou de la spécialisation Europe au sein de médias, des organismes tels que l’Association des journalistes européens (aje, section française de l’aej, Association of european journalists, créée en 1961), l’European Journalism Training Association ou The European Journalism Center (of Maastricht) créés au début des années 90, structurent « le journalisme européen ». Tout comme les formations spécialisées (universités de Paris 2, de Paris 3, de Reims) et les séminaires proposés dans les écoles agréées par l’aje, émergeant dans les années 200015. On notera également en 2005 la création du « prix Louise Weiss du journalisme européen » par la même aje qui affiche Eur@dioNantes dans ses « liens amis ». En revanche, l’étiquette « journalisme européen de proximité » s’avère beaucoup plus récente et a priori liée à la création d‘Eur@dioNantes16.

13Si les journalistes sont la cible des institutions européennes depuis plusieurs décennies, y compris ceux des médias régionaux, la formulation « journalisme européen de proximité » n’apparaît pas jusqu’alors. Dans l’environnement local d’Eur@dioNantes, d’autres médias pro-européens préexistent mais aucun ne formule ce label. Ouest France, premier quotidien français, affiche et revendique un engagement pro-européen de longue date, sans pour autant mentionner cette expression. Même au sein des « stages Europe », une formation destinée à tous les journalistes (session de 3 jours très intensifs in situ, dans les institutions de Strasbourg et Bruxelles avec accès à des séances plénières, rencontres de députés ou de fonctionnaires au sein de débats et de conférences ad hoc), on ne se réfère pas au « journalisme européen de proximité »17. Les journalistes les plus qualifiés sur l’Europe, officiant à la rédaction en chef ou en rédactions locales, n’adoptent pas cette désignation quand ils parlent de leur pratique. En dehors du journalisme mainstream, le magazine en ligne Fragil.org, financé par les collectivités locales se définit en tant que « média culturel et social réalisé dans la métropole nantaise… ouvert sur l’Europe18 », alors que le journal étudiant Europa (présent aussi à Strasbourg) « a pour but de favoriser l’échange d’information entre les jeunes d’Europe. Mieux connaître nos voisins permet de rendre palpable un sentiment d’appartenance et rendre concrète la notion de citoyenneté européenne. Notre projet allie ainsi une vocation européenne participative à une démarche pédagogique19. » Très proche de celui d’Eur@dioNantes, le lexique de ces médias européens locaux exclut malgré tout la formule « journalisme européen et proximité ».

14Cette désignation pose la question de la construction médiatique de la proximité tout autant que celle de la coproduction de catégories par les institutions européennes, les acteurs médiatiques et les journalistes. Co-financée par la dg Culture et communication, la manifestation Néonet organisée par la fondatrice de la radio évènementialise le lancement du média tout en le positionnant comme modèle à reproduire dans les villes des régions européennes. Des journalistes et des professionnels des médias de différentes nationalités ainsi que des formateurs d’écoles de journalisme participent à cette rencontre débat20. Le site internet de la radio valorise Néonet sous forme d’un document intitulé « L’information européenne de proximité »21. Cette synthèse articule des éléments d’information et de réflexion, des paroles rapportées, des photographies, de manière à mettre en scène la construction collective de la catégorie « journalisme européen de proximité ». Faisant le constat de multiples carences en matière d’information européenne, la synthèse s’attache à démontrer comment « la proximité » peut résoudre les problèmes pointés et s’avère une nécessité. « Utiliser les sources de proximité (…) et développer des réseaux de correspondants »22, qui sont les méthodes du journalisme de proximité, sont ainsi importées dans la pratique d’un journalisme européen.

15Formulé dans tous les documents institutionnels et communicationnels d’Eur@dioNantes, la formule « journalisme européen de proximité » sera reprise un an plus tard par le réseau Micro Europa qui « a pour objectif de développer de nouvelles pratiques et outils d’information sur les affaires européennes par le biais d’une approche de journalisme européen de proximité et grâce aux efforts combinés de médias audio locaux (radios fm et/ou web) ». Financé par la dg Communication et culture, Micro Europa est créé en octobre 200823. Il « met à l’honneur la dimension locale de l’Union européenne, convaincu qu’il s’agit de la meilleure interface pour informer les Européens. En renforçant leur niveau d’information sur l’Union européenne, en leur permettant de mieux connaître leurs voisins européens, l’information peut favoriser leur citoyenneté active et la participation à la démocratie européenne »24. Le discours est bien rôdé. Le président de Micro Europa qui a participé aux « Rencontres Néonet » de Nantes est aussi responsable de la section Presse et information de l’Institut des Hautes Études des communications Sociales de Bruxelles (ihecs)25. Il y impulsera un module de formation continue prônant « Le « journalisme européen de proximité » (qui consiste à faire le lien, au plan du journalisme, entre la dimension politique de l’Europe et les effets pratiques sur le terrain local)26 ». Le réseau Micro Europa s’est réuni à nouveau à Nantes en juin 2010. Par ailleurs, en juin 2011, Eur@dioNantes organisait une journée intitulée « Première rencontre du journalisme européen de proximité ». Ici encore, il s’agit d’organiser un espace de discussions dans lequel interviennent des journalistes, des politiques et des institutionnels27.

Mettre en scène une société d’européens

16Le bi-média nantais met en visibilité d’autres organismes sous-tendus par les mêmes valeurs, sachant que ces derniers légitiment en retour la présence de la radio-école. Des partenariats sont noués autour d’actions et de projets culturels d’envergure européenne et internationale qui fournissent une matière première informationnelle. La radio-école collabore par exemple avec l’association Euro-Ecole ou le Centre culturel européen de Nantes qui fédère les centres bi-nationaux. « Les Quinzaines culturelles » consacrées à un pays européen chaque année sont soutenues par Eur@dioNantes, qui est aussi partenaire média des « Rencontres littéraires » organisées par l’association Impressions d’Europe. La radio-école nantaise est membre adhérent et partenaire de La Maison de l’Europe de Nantes créée en 2005, dont le site se positionne en tant que « portail de l’Europe à Nantes ». A l’instar de ses consœurs, son objectif est de favoriser le partenariat entre les acteurs oeuvrant pour l’Europe, et d’afficher les actions européennes dans les différents domaines culturel, éducatif, économique et social : « Il faut exprimer la volonté d’Europe à Nantes et en Loire-Atlantique, la façon qui nous est propre de vivre l’Europe. Nous devons aussi découvrir dans cette Europe, faite de culture, d’habitudes, de politiques si différentes, ce qui est propre à chacun et ce qui est commun28 ». Depuis octobre 2007, La Maison de l’Europe diffuse sur Eur@dioNantes fm une émission hebdomadaire intitulée Mon Europe à moi, accessible aussi en podcast. Eur@dioNantes a ensuite développé des liens avec La maison de l’Europe de Mayenne et celle de Rennes et Haute Bretagne, et a créé sur la grille de programme la rubrique Maison de l’Europe.

17Comme analysées dans d’autres cadres de recherche, « les connexions universitaires apparaissent particulièrement saillantes » (Mischi, Weibein, 2004) et se concrétisent dans notre cas par l’insertion d’émissions mensuelles dans la grille de la radio et archivées sur le site. Une collaboration avec les enseignants de science politique de la Faculté de droit de Nantes (porteurs du projet d’un institut européen) fonctionne dès 2007. Les étudiants de l’université réalisent une émission sur des questions de politique européenne et locale intitulée En quête d’Europe. Rumeurs d’archi est une autre mensuelle consacrée à « l’architecture européenne » réalisée avec la Maison de l’architecture installée sur l’Ile de Nantes, à côté de la radio. Depuis janvier 2010, l’Institut d’études avancées de Nantes « scrute la recherche européenne et internationale » dans l’émission Les tribunes de l’iea, animée par un de ses conseillers scientifiques et sociologue, alors qu’une autre mensuelle - L’heure centralienne - consacrée aux sciences dures, accueille des élèves ingénieurs, des doctorants, des enseignants-chercheurs ou des étudiants de master. Des liens sont aussi noués avec l’Institut d’études politiques de Rennes en accueillant des étudiants étrangers inscrits au Certificat d’études politiques ou des étudiants français de la filière journalisme.

  • 29  Euradion@ntes collabore avec le magazine étudiant Europa créé en 2004 à l’université de Nantes, (...)

18L’incarnation de l’Europe à Nantes portée par la radio et ces différents organismes promoteurs d’Europe ne se limite pas aux relations bilatérales. Des manifestations interconnectent les acteurs et les institutions comme par exemple « L’Europe fait son mur », qui s’est tenue en octobre 2009. Organisée par La Maison de l’Europe de Nantes, le magazine Europa29 et Eur@dioNantes, en partenariat avec la Commission européenne, Nantes Métropole, le Centre culturel franco-allemand, cet événement conjuguait art (fresque réalisée par un collectif de grapheurs sur un mur éphémère, débats (écrivains, journalistes, historiens) et médias (plateaux radio et supplément Europa). Mais on pourrait également remonter à l’inauguration de la radio en mai 2007 insérée dans les festivités de la Semaine de l’Europe, ou encore citer le festival Univerciné. Par ces partenariats et ces choix éditoriaux, la radio contribue à rendre visible et à animer une société d’Européens largement ancrée dans l’élite culturelle et universitaire locale.

Les localiers de « l’information européenne de proximité »30

  • 30  « Nos objectifs : mettre en avant l’information européenne, proposer de l’information locale ave (...)
  • 31  De 21 heures à 7 heures du matin, il s’agit d’émissions musicales.
  • 32  La production des bénévoles s’élève à 6 heures de programmation quotidienne, celle des permanent (...)

19Diffusant et rediffusant en continu31sur la bande fm, la radio peut aussi s’écouter en direct sur le site internet grâce au flux audio streaming haut débit. Les émissions sont également accessibles en différé sur le site via les podcasts32. La programmation de la radio matérialise l’Europe sur les ondes en réservant des tranches horaires à ses partenaires : Arte radio, la Deutsche Welle qui fournit trois émissions d’actualités européennes en vo (anglais, français, allemand), Rai uno en italien, rne en castillan, Euranet en plusieurs langues. Mais c’est finalement l’équipe de rédaction qui concrétise au local le creuset linguistique et culturel européen. Composée d’étudiants en stage long, la rédaction incarne une Europe miniature à travers ces apprentis journalistes. La diversification des nationalités et la production des journalistes stagiaires valorisent la diversité linguistique (audible à l’antenne) et culturelle (proposition des sujets). L’inter connaissance fondée sur le travail en équipe restreinte dans un lieu circonscrit administre la preuve de la proximité européenne. Si Eur@dioNantes s’affiche comme le miroir du local européen ou de la société des européens nantais, elle s’affiche aussi comme le miroir de sa propre rédaction européenne, proposant ainsi une version incarnée de la proximité.

La rédaction : un groupe primaire européen

20En comptabilisant la promotion actuelle, 75 stagiaires de 22 pays d’origine ont participé à la production d’Eur@dioNantes (dont 15 français). Cette population est fortement féminisée (56 femmes / 19 hommes). L’Allemagne est la nation étrangère la plus représentée (11), suivie par l’Espagne (7), la Belgique et le Royaume Unis (6), la Hongrie (5), l’Italie (4), l’Irlande (3), alors que la Suède, le Portugal, et la Roumanie ont 2 représentants chacune. D’autres pays sont représentés par un individu, dont deux derniers entrants dans l’Union (Lettonie, Lituanie) et trois en dehors (Canada, Russie, Suisse). Avec 9 étudiants en moyenne (écart entre 7 et 13), les promotions sont composées de manière à diversifier les pays d’origine, mais il y a parfois des doublons (par exemple 3 Allemands, 2 Belges, 2 Anglais, alors que les Français sont sur-représentés à 3 reprises). Si globalement l’écart d’âge se situe entre 21 et 32 ans, on note un rajeunissement dès la deuxième équipe, tendance qui se confirme aujourd’hui avec une baisse de l’âge moyen passant de 26 à 24 ans. Les diplômes mentionnés indiquent que le plus bas est le Bachelor, le Master étant le plus haut. Sur les 75 étudiants, 31 signalent une spécialisation en journalisme ; ils sont principalement répartis sur les quatre dernières promotions (21). Les autres spécialisations représentées sont communication/culture/médias, littérature/ langues, sciences politiques/ études européennes/ relations internationales. Cinq étudiants sont passés par un Institut d’études politiques. On constate que le profil type des candidats retenus est caractérisé par les prédispositions avérées des populations estudiantines européanisées : maîtrise d’au moins une langue non-maternelle, mobilité à l’étranger. Des entretiens menés auprès de la deuxième promotion dans le cadre d’un mémoire de recherche confirme le capital économique et culturel élevé, la socialisation à l’Europe par les voyages familiaux et scolaires (Hamon, 2008).

  • 33  Les candidatures se font en ligne, une centaine a été enregistrée cette année 2010 les stagiaire (...)

21Dans le dossier de candidature33, outre les demandes classiques d’identification (état civil, cursus), les étudiants sont amenés à renseigner une rubrique particulière portant sur les contacts médiatiques dans les pays d’origine susceptibles d’être mobilisés pendant le stage. La rubrique consacrée aux engagements associatifs ainsi qu’une question portant sur la coopération éventuelle de pairs du pays d’origine permettent également d’évaluer le potentiel du candidat à mobiliser des sources de proximité permettant d’endosser le rôle de journaliste localier européen. Greffé sur le modèle Erasmus, le dispositif de formation est resserré autour d’un petit effectif en apprentissage durant 6 mois. Le partage de cultures, de pratiques et d’expériences nationales est imaginé comme aboutissant à une culture et des pratiques européennes. La salle de rédaction concrétise le vécu d’un « quotidien européen ».

22Sur le site internet, une photographie met en scène cette communauté (ex team européenne, promotion 2007-2008 : Ina l’Allemande, Vanessa la Portugaise, Elsa la Suédoise, Fabian l’Allemand, Reka la Hongroise et Kilian le Français... La parité n’est toujours pas respectée !), complétée par une présentation individuelle avec photographies et indication de la ville d’origine à l’appui34. On cultive l’effet « L’auberge espagnole », référence cinématographique sur laquelle s’appuie un reportage de France 335 consacré à Eur@dioNantes. Outre les séquences tournées à la rédaction, le sujet débute sur un plan filmé dans l’appartement d’une étudiante russo-lettone et intègre des images sur le groupe attablé à la terrasse d’un café. Dans une étude portant sur le traitement des élections européennes de 1999, nous avions dégagé le lien entre incarnation symbolique, utilisation des stéréotypes nationaux, et sémiotisation d’une Europe au local à travers une série de portraits d’Européens anonymes dans le quotidien régional Ouest France (Ringoot, Utard, 2003). Dans le cas d’Eur@dioNantes, ce constat est radicalisé dans le sens où le média rend l’Europe tangible en matérialisant une communauté européenne microscopique créée de toutes pièces, dans laquelle les différences culturelles sont valorisées. A l’antenne, les langues maternelles parlées par les stagiaires et/ou leurs accents étrangers marquant leur expression en français, mettent littéralement L’Europe « au creux de l’oreille36 » des auditeurs. Dans le même temps, les stagiaires sont sollicités pour proposer des sujets informatifs susceptibles d’être traités en croisant l’ancrage local nantais et l’ancrage local de leur pays d’origine.

La routine du localier européen

23La formation technique consiste à maîtriser le matériel (magnétophone, micro) et les logiciels d’enregistrement des voix (interviews sur le terrain et interviews téléphoniques en cabine équipée), le montage audio dont celui de l’enrobé (séquence insérant des commentaires et des sons), le travail en studio (voix, débit, tonalité). Elle est couplée à l’apprentissage des genres, des formats et de l’angle : interview (terrain, cabine, studio), micro-trottoir, dossier, papier d’ambiance. Le travail « assis » consiste à rédiger des brèves pour le journal ou la revue de presse européenne, des billets. L’agenda est programmé sur 15 jours lors de la conférence de rédaction du vendredi qui dure au moins deux heures, alors que la conférence de rédaction quotidienne d’environ une heure permet de faire le point sur le suivi des sujets.

  • 37  Elle est présentée comme « Toute l’actu locale et européenne. Politique, social, culture, enviro (...)

24Les temps forts de l’actualité quotidienne produite par la rédaction se déclinent sur La matinale (8h-9h), Nantes Europe Express (12h-13h) et 18h en Europe (18h-19h), où se côtoient des émissions de facture européenne classique (Le journal de l’Union Européenne, des traitements ponctuels comme celui des élections européennes), l’actualité internationale, nationale et locale incontournable. Il s’agit d’entrecroiser plusieurs stratégies discursives qui jouent sur le multilinguisme, la thématisation, les sujets d’information, les ancrages locaux et nationaux. La tranche 18h en Europe37 enchaîne par exemple le 26 mars 2010, un flash d’information sur le Conseil régional et le cumul des mandats, parlé en anglais mais insérant les propos d’élus rapportés en français (Local european news), des sujets d’actualité (pédophilie, minarets en Suisse, etc) en version originale provenant de trois radios étrangères (Radioscope), un dossier en français sur la Mission opérationnelle transfrontalière (Nomade in Europe). Les stagiaires exercent une activité routinière de localier, en couvrant les conférences de presse et les manifestations mises à l’agenda par les encadrants, et/ou en produisant des brèves à partir de sites internet (français, étrangers ou spécialisés sur l’Europe comme Euractiv ou Euranet). A ceci s’ajoute l’impératif de couvrir les événements à dimension européenne.

25Les étudiants ont également la mission d’élaborer des sujets moins en prise avec « l’actualité chaude » qu’ils présentent à l’antenne au sein des journaux ou de l’émission L’Europe on devrait l’écouter plus souvent (15h-16h). Il s’agit de sujets pouvant provoquer un intérêt humain et sociétal par delà les frontières tout en étant traités au local (les compagnons du devoir en France et en Allemagne (le 8/2/2011), les aires d’accueil en Europe (à Nantes et en Belgique, 3/2/2011), le relogement des sinistrés des boues toxiques en Hongrie (1/2/2011), etc. Poussés à mobiliser leurs contacts dans leur pays d’origine, les stagiaires officient en tant que correspondants pour forger des passerelles entre l’actualité nantaise et un ailleurs européen. Les choix témoignent « d’un fort attachement aux valeurs de solidarité sociale, de respect des droits des minorités, de défense de l’environnement, etc. » (Hamon, 2008, p. 74).

  • 38  Interviews de députés européens en séance plénière, dont ceux de la zone Ouest

26Les étudiants quittent rarement Nantes, sauf en cas de couverture d’événements soutenus par diverses institutions européennes. En 2010, l’équipe réalise deux documentaires sonores portant sur la simulation du Conseil européen financée par la Représentation de la Commission européenne en France et impulsée par Nouvelle Europe avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences-Po Paris et Franchement Europe, association des étudiants du Master Etudes européennes de Paris iii. Le 17 avril, une partie de l’équipe réalise des émissions en direct des Etats généraux de l’Europe à Strasbourg (EuropaNova, Notre Europe, Mouvement Européen-France). En juin, toute la rédaction se déplace à Strasbourg pour réaliser deux jours de direct38 sur les « Elections européennes, un an après » au Parlement européen. En novembre, une stagiaire couvre, au sein de l’équipe de l’ European Youth Press, les Assises Internationales du Journalisme ainsi que le 60ème anniversaire de la Convention européenne des Droits de l’Homme organisé par le Conseil de l’Europe qui se déroulent à Strasbourg, alors qu’une autre étudiante est envoyée à Istanbul, pour la Rencontre Médiatique Européenne, également sous l’égide du Conseil de l’Europe.

Conclusion 

27Puisant dans le répertoire du journalisme local, Eur@dioNantes a créé une programmation que l’on peut formuler en termes de « miroir » du local-européen nantais, en prenant toutefois la précaution de définir le reflet comme un construit médiatique. Parallèlement, l’Europe s’incarne dans la salle de rédaction et sur les ondes, par le biais d’une équipe d’apprentis journalistes matérialisant un creuset européen. Promus localiers européens, ils travaillent comme des localiers ordinaires, mais produisent en sus des sujets concernant la région ou la localité de leur pays d’origine. Envisagé comme valeur informative prégnante (new worthyness), le local donne matière à transplantation sous l’angle européen. Cela dit, l’information institutionnelle garde une place prépondérante et la radio construit également sa notoriété en participant aux actions de communication des institutions européennes notamment à Stasbourg.

  • 39  Document de prospective transmis en février 2010.
  • 40  La subvention en vigueur (60 000 euros) pour l’année 2011n’a pas été reconduite par la commissio (...)

28S’inscrivant dans une stratégie communicationnelle au service de l’Europe et portée principalement par les collectivités locales, tout en défendant une posture journalistique et une mission de formation, la radio est à la croisée de plusieurs logiques. Selon la présidente de l’association, ces caractéristiques confrontent la structure à « une forte concentration sur l’action : tant pour la production côté équipe salariée que sur la rédaction quasi permanente de dossier de demande de financement pour l’équipe associative39 ». A priori émanation de la société civile et de l’esprit associatif, Eur@dioNantes doit faire face à l’impératif de productivité en gérant l’incertitude liée aux mécanismes de financements européens40. Dépendant principalement de la communauté urbaine, la radio valorise l’européanité d’une ville inscrite dans le processus d’ « émergence des villes comme acteurs de plus en plus autonomes et capables de relations internationales et, donc de mise en réseaux européens » (Mischi, Weisbein, 2004). A partir du milieu des années 2000, Nantes finance Eur@dioNantes, puis un autre média atypiques et ciblés : la revue d’urbanisme et de culture bimestrielle Place publique, dirigée par un ancien journaliste d’Ouest France.

  • 41  Prix de l’initiative européenne en 2007 (Maison de l’Europe et le Club de la Presse Européenne, (...)
  • 42  Quelques éléments sont disponibles sur le Rapport d’activité 2010 d’Euradion@ntes : Etude du pub (...)

29Plusieurs indicateurs semblent affirmer le succès d’ Eur@dioNantes : la distinction par des prix41, son insertion dans la réticularité de l’internet européen via la couverture d’ événements, ses partenariats locaux, le nombre de candidatures de stagiaires, son statut de poisson pilote du réseau Micro Europa. L’évaluation de l’audience de la radio préconisée par la Commission et commanditée par la directrice d’Eur@dioNantes à Médiamétrie indique aussi de bons résultats42. Mesurer les effets du média sur « le sentiment d’une identité européenne » paraît en revanche plus délicat, tout comme évaluer le devenir du « journalisme européen de proximité ». Mis en œuvre par quelques supports subventionnés et porté par une logique de formation professionnelle, il interroge les frontières entre journalisme de service public, communication politique européenne et marketing territorial.

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Bibliographie

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Notes

1  L’étude a été menée sur l’année 2010.

2  Voir la rubrique Presse sur le site de la radio : http://www.euradionantes.eu/index.php?page=comPresse

3  Entretien du 19 février 2010

4  Livre blanc pour une politique de communication européenne présentée par la Commission des communautés européennes en 2006, p.7

5  Présentation du « concept », http://www.euradionantes.eu/index.php?page=concept

6http://europa.eu/legislation_summaries/culture/l29015_fr.htm).

7  Elle est constituée de la directrice, d’un directeur technique, d’un programmateur musical, d’une chargée de communication-webmaster, et de deux journalistes.

8  Fondé sur une coopération transnationale de six agglomérations travaillant sur la réutilisation du patrimoine et associant des partenaires publics et privés.

9  Le Journal officiel de la Communauté urbaine de Nantes - mai 2009

10  Député socialiste depuis 1986, président de l’Association des maires de grandes villes de France de 1995 à 1997.

11  Elle a la charge de la communication du projet développé depuis 2002 par la Direction générale transport - énergie de la Commission européenne.

12  Eurocities organise six forums thématiques : Culture, Développement économique, Environnement, Affaires sociales, Mobilité et Société de la connaissance.

13  « Barcelone, Helsinki, Eindhoven, Stockholm, Nantes, même combat » http://www.nantesmetropole.fr/1241428152360/0/fiche___document/

14  En journalisme, « la loi de proximité » enseignée dans les formations et appliquée dans les rédactions est notamment définie par quatre composantes : « psycho-affective, géographique, chronologique et vie en société » (Agnés, 2002).

15  Voir aussi le cuej de Strasbourg qui enseigne des modules spécialisés sur l’Europe depuis 1991.

16  A partir du moteur de recherche Google, l’occurrence la plus ancienne de l’expression est attribuée à Euradiona@ntes.

17  Durant l’observation que j’ai menée en 2008 en immersion sur une session de stage, cette expression n’a pas été formulée, ni dans les documents, ni à l’oral.

18 http://www.fragil.org/fragil/419.

19http://www.journaleuropa.info/FR_qui.html.

20  Ce qui donne lieu à de nombreuses retombées presse : Ouest France, rtbf ( Radio Télévision Belge Francophone), Couleur 3 - Radio Suisse Romande, et sur le web (Europocket tv, rfi, European Journalism Center de Maastricht).

21http://www.euradionantes.eu/index.php?page=neonet.

22  « Les correspondants sont un moyen de trouver des contacts de proximité pour « incarner » l’Europe. » Synthèse des actes, p.17.

23  C’est aussi en 2008 qu’est lancé le réseau Euranet « consortium paneuropéen qui regroupe des radios publiques et privées de 13 pays de l’Union Européenne ». Porté par Radio France Internationale et de la Deutsche Welle en association avec seize radios internationales et nationales, Euranet, financé par la Commission européenne, veut « améliorer la couverture médiatique venant d’Europe et traitant de l’Europe, et [de] faire ainsi évoluer la communication sur le vivre-ensemble en Europe, afin d’encourager la création d’une société civile européenne. » Le réseau Euranet s’est aussi associé à des radios étudiantes dont Euradion@ntes.

24« Micro Europa the Students Radio Network (réseau des radios étudiantes)» site Micro Europa. En 2009, 3 thèmes de reportages ont été traités par différentes radios dont Euradion@ntes : le gaspillage alimentaire, les minorités dans l’UE, les élections européennes.

25 Marc Sinnaeve, président de Micro-Europa, et président de la section presse et information, rend compte de l’influence décisive de la rencontre Néonet dans l’article: « à l’école du journalisme européen de proximité », Agenda interculturel n°275.

26http://www.ihecs-fc.be/perfectionnement-en-journalisme/journalisme-europeen-de-proximite-niveau-avance.html.

27http://www.euradionantes.eu/index.php?page=20juin&lang=pt.

28http://www.maisoneurope-nantes.eu/.

29  Euradion@ntes collabore avec le magazine étudiant Europa créé en 2004 à l’université de Nantes, proposant une édition papier et un site internet. Ce gratuit défendant la citoyenneté européenne fonctionne sur un mode participatif avec 300 contributeurs à travers l’Europe.

30  « Nos objectifs : mettre en avant l’information européenne, proposer de l’information locale avec une sensibilité européenne, donner une plus grande visibilité à toutes les initiatives innovantes en Europe, valoriser la création artistique émergente européenne », http://www.euradionantes.eu/index.php?page=concept.

31  De 21 heures à 7 heures du matin, il s’agit d’émissions musicales.

32  La production des bénévoles s’élève à 6 heures de programmation quotidienne, celle des permanents et stagiaires à 9 heures (Rapport d’activité 2010).

33  Les candidatures se font en ligne, une centaine a été enregistrée cette année 2010 les stagiaires recrutés perçoivent une indemnité mensuelle de 400 euros.

34  Voir la rubrique « Rédac’ » : http://www.euradionantes.eu/index.php?page=redac.

35  Accessible sur le site d’Euradion@tes.

36  Slogan de la radio.

37  Elle est présentée comme « Toute l’actu locale et européenne. Politique, social, culture, environnement… Les décryptages et les reportages de la rédaction d’Euradion@ntes pour comprendre l’Europe vue d’ici… et vécue las-bas ! »

38  Interviews de députés européens en séance plénière, dont ceux de la zone Ouest

39  Document de prospective transmis en février 2010.

40  La subvention en vigueur (60 000 euros) pour l’année 2011n’a pas été reconduite par la commission de Viviane Reding (vice-présidente en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté) dont dépend actuellement la radio

41  Prix de l’initiative européenne en 2007 (Maison de l’Europe et le Club de la Presse Européenne, avec le soutien du Parlement européen), mention spéciale du jury au prix Louise Weiss du journalisme européen en 2009, ordre du mérite décerné à la directrice en 2010

42  Quelques éléments sont disponibles sur le Rapport d’activité 2010 d’Euradion@ntes : Etude du public des associatives, Janvier-Juin 2010, sur la population des 13 ans et plus, écoute du lundi au vendredi sur une zone de 477 700 habitants. Plus d’un tiers des individus connaissent Eur@dioNantes, l’audience cumulée sur 7 jours représente 35900 individus connaissant la station et déclarant l’écouter tous les jours, presque tous les jours ou 1 à 2 fois par semaine. 12.8% de la population sondée ont l’habitude d’écouter la radio (connaissant la station et déclarant l’écouter tous les jours, presque tous les jours, 1 à 2 fois par semaine ou moins souvent).

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Pour citer cet article

Référence papier

Roselyne Ringoot, « Faire du « journalisme européen de proximité ». Le cas d’une radio-école locale »Sciences de la société, 84-85 | 2012, 121-137.

Référence électronique

Roselyne Ringoot, « Faire du « journalisme européen de proximité ». Le cas d’une radio-école locale »Sciences de la société [En ligne], 84-85 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/1878 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.1878

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Auteur

Roselyne Ringoot

Maître de conférences en sociologie, Centre de recherches sur l’action politique en Europe (crape), umr 6051, Institut d’études politiques de Rennes
roselyne.ringoot.1@sciencespo-rennes.fr

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Droits d’auteur

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