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Numérique et services publics en milieu rural : couple infernal de l’aménagement du territoire ? L’exemple des téléguichets dans le département du Lot

Digital and public services in rural areas: the infernal couple for towns and rural planning ? The case of the “téléguichets” in the department of Lot
Númerico y servicios públicos en medio rural :¿pareja infernal de la planificación territorial? El ejemplo de los «téléguichets» en el departamento de Lot
Thibault Courcelle, Marie-Laure Rousseau et Mathieu Vidal
p. 108-125

Résumés

Le téléguichet, borne permettant un accès à distance, est-il un outil révolutionnaire d’aménagement du territoire pour maintenir l’accessibilité des services publics en milieu rural ou est-il un outil participant au délaissement progressif du territoire par les services publics ? Après les premières expérimentations effectuées dans quelques départements français et en particulier dans le Lot, territoire majoritairement rural très touché par les effets de la RGPP, la réponse se révèle complexe et nuancée. Les élus sont en effet partagés entre enthousiasme et résignation face à ce nouvel outil, mais ne souhaitent pas rater l’opportunité d’en avoir un sur leur commune plutôt que de le voir s’installer dans la commune voisine. Quant aux usagers, généralement peu nombreux – ce qui pose question par rapport à l’investissement réalisé –, ils apparaissent a posteriori très satisfaits de l’utilisation des téléguichets.

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Texte intégral

  • 1 La DATAR s’est préoccupée assez tôt de ces questions, que ce soit au travers de son action ou de se (...)

1En matière d’aménagement du territoire, les questions liées aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), même si elles sont déjà relativement anciennes en termes de théorisation par les acteurs de l’aménagement1, sont de plus en plus prégnantes et trouvent aujourd’hui bien des applications pratiques dans ce que l’on caractérise désormais par « l’aménagement numérique du territoire » (ANT). Régulièrement idéalisé dans la mesure où il effacerait les distances (ou du moins certaines d’entre elles), le rôle du numérique dans l’aménagement du territoire fait également parfois « peur » aux différents types d’acteurs ou même aux usagers.

  • 2 Le Programme d’Action Gouvernemental pour la Société de l’Information (PAGSI) est ainsi lancé lors (...)

2Historiquement, en France, l’utilisation des TIC dans les administrations remonte au début des années 1970 avec l’informatisation communale et l’ouverture de lignes spécialisées pour l’échange de données électroniques. Puis ces échanges se sont développés et étendus aux usagers avec l’utilisation du fax et du minitel. Dans les années 1990, le développement de l’Internet (et des technologies qui y sont associées) permet de proposer davantage de services télématiques via la mise en ligne de sites publics destinés dans un premier temps uniquement à informer le citoyen. Pendant plus de dix ans, les politiques publiques se multiplient sans pour autant véritablement maîtriser le phénomène et intégrer de façon pratique le potentiel possible des TIC. À partir de 1998, les plans d’action2 lancés par l’État français se succèdent. Les sites Internet des services publics se généralisent et les formulaires administratifs sont mis en ligne. En 2000, le portail de l’administration française « services-publics.fr » est accessible et possibilité est notamment donnée aux contribuables de faire leur déclaration en ligne dès 2001. L’administration électronique est ainsi lancée et devient rapidement un axe important des politiques publiques. Parallèlement, des évolutions réglementaires majeures légitiment l’intervention publique dans le développement du haut débit au côté des grands opérateurs privés.

3D’après l’étude de Capgemini sur le développement des services publics en ligne dans les pays de l’UE (ainsi qu’en Islande, Norvège, Suisse et Turquie), la France se situe alors à la dixième position concernant la mise en ligne des services publics sur un échantillon de vingt services identifiés par la Commission, et au sixième rang concernant le degré de qualité des services en ligne pour les citoyens et les entreprises (Capgemini, 2007). L’étude précise également que 43% des internautes français3 utilisent les services en ligne, soit 3% de plus que la moyenne de l’ensemble des pays européens. L’évolution de l’utilisation des technologies numériques dans l’accès à l’offre des services publics et leurs usages peuvent donc être globalement considérés comme bien connus.

4La question de l’aménagement numérique des territoires est toujours pleinement d’actualité, comme le montre la parution du rapport du sénateur H. Maurey (Maurey, 2011). Elle est encore plus présente au moment où l’on assiste à un changement des politiques publiques nationales liées aux services publics sur les territoires dans un contexte où justement les territoires ruraux occupent une place particulière. Si le déploiement des infrastructures (les « tuyaux ») est nécessaire, il n’est bien sûr pas suffisant. Pour ce qui est de l’administration électronique, il s’agit de proposer des services et usages cohérents avec les politiques publiques dans leur contexte territorial. Pour H. Maurey « l’usage [des technologies numériques] est rendu d’autant plus indispensable que la présence des services publics en milieu rural (services de l’État, La Poste...) a plutôt tendance à diminuer ». (ibid.)

5Le département du Lot expérimente depuis 2008 des centres appelés « téléguichets ». Ils sont parfois mutualisés entre plusieurs communes qui disposent ainsi d’équipements pour permettre aux habitants des territoires ruraux d’effectuer une multitude de démarches administratives et notamment d’avoir des rendez-vous avec les services publics situés dans les centres urbains (préfectures ou sous-préfectures). Dans le contexte de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) initiée par le Président Nicolas Sarkozy en 2007 afin de réduire les dépenses publiques tout en augmentant l’efficacité des services publics, nous nous interrogeons sur les effets du dispositif « téléguichets ». Constituent-ils une réponse – parmi d’autres – à la réduction progressive ou à l’absence de la présence physique des administrations en zone rurale, ou bien sont-ils un vecteur d’accélération du délaissement des zones rurales en substituant la présence physique par du numérique. En d’autres termes, nous nous demandons si les téléguichets participent à l’aménagement ou, au contraire, au déménagement des territoires ruraux?

  • 4 Douze entretiens semi-directifs menés entre septembre 2010 et juin 2011 auprès de plusieurs types d (...)

6Malgré la difficulté à étudier l’impact d’un outil encore en phase expérimentale, nous avons mis en œuvre une enquête qualitative4 sur l’ensemble du département du Lot afin d’étudier les représentations que les élus, techniciens, responsables de services publics et usagers se font des téléguichets existants ou en projet et de mieux comprendre les usages qui sont faits de ces nouvelles technologies. Cet article vise donc dans un premier temps à s’interroger sur l’expérience relative aux téléguichets, qui répond pleinement à la problématique des contraintes rencontrées par le (re-)déploiement des services publics en milieu rural et dont le département du Lot constitue un territoire d’expérimentation. Il s’agira ensuite d’analyser le positionnement des différents acteurs – politiques ou usagers – vis-à-vis de cet « outil » de l’aménagement des territoires.

Le téléguichet : l’exemple type de la dualité du rôle possible des TIC en milieu rural

  • 5 Rappelons que dans cet esprit était créée par décret du 30 décembre 2005 la DGME (Direction général (...)

7Si la France a largement rattrapé son retard en matière d’accès à la société de l’information en quelques années, on observe cependant encore différents degrés de pénétration des TIC dans les pratiques permettant la « modernisation de l’État »5. L’administration électronique a rapproché certains services publics de leurs usagers, avec par exemple la multiplication des formulaires en ligne, des téléprocédures ou la généralisation – qui nous semble aujourd’hui naturelle – de l’usage de la messagerie électronique entre administrés et administrations (voire élus), provoquant ainsi une véritable transformation des habitudes d’usages et de travail.

Les téléguichets en France : principes et expériences

8Les illustrations les plus marquantes de ces dernières années du développement de l’e-administration sont: la déclaration en ligne de la situation mensuelle des chercheurs d’emploi; la mise à disposition (par les archives départementales) des actes de naissance, mariage ou décès (ou, à défaut, et la plupart du temps, le traitement des demandes par voie électronique par les services municipaux); le service de télépaiement des amendes, ou même la déclaration en ligne des impôts sur le revenu (et leur paiement). Ces deux derniers exemples ayant certes tendance à illustrer que l’État est peut-être plus prompt à la modernisation lorsqu’elle lui permet d’encaisser plus rapidement des sommes dues par ses administrés.

9Dans le domaine de l’administration électronique, les services de l’État se sont ainsi bien souvent adaptés aux nouvelles possibilités techniques et à ses nouveaux usages possibles. Réalisant ainsi une partie du « rêve » que faisait Jean-Paul Baquiast6 dans Libération en novembre 1997 avant de rendre en juin 1998 un rapport sur l’impact des nouvelles (sic) technologies de l’information et de la communication sur la modernisation de l’État; rapport dans lequel il annonçait déjà l’importance de la mise en place des « téléguichets de proximité » (Baquiast, 1998), après avoir écrit dans libération: « Imaginons des administrés qui rempliraient des formulaires sur leur PC et n’auraient plus à se soucier des heures d’ouverture des bureaux. Un rêve qui devient simple avec le Net. L’administration paraît si lointaine, si lourde, que l’on n’imagine pas pouvoir lui demander d’utiliser l’Internet pour simplifier la vie des administrés. Pourtant, les désagréments occasionnés par la moindre formalité administrative nous font rêver à des téléguichets. À des sites web qui remplaceraient les formulaires, à des connexions Internet qui se substitueraient aux déplacements ou aux courriers postaux. »7

  • 8 Photo réalisée par les auteurs.

Illustration 1 – Le téléguichet de la cyberbase de la maison des services, à Assier, dans le Lot8

Illustration 1 – Le téléguichet de la cyberbase de la maison des services, à Assier, dans le Lot8
  • 9 En témoigne d’ailleurs, de façon certes anecdotique, le fait que nos correcteurs automatiques souli (...)

10Quinze ans après les préconisations du rapport, et alors que de tels outils étaient déjà à l’époque utilisés dans les pays scandinaves, on ne peut pour autant pas dire que le concept de téléguichet a encore véritablement percé en France.9 Mais les expériences se multiplient depuis quelques temps et leur déploiement semble être concomitant de l’évolution de la place des services publics sur le territoire. Elles s’inscrivent également dans l’un des objectifs de la DGME qui est de « transformer l’État pour un meilleur service aux usagers et un meilleur ratio coût/qualité », sur l’ensemble du territoire.

11Mais finalement, qu’est-ce qu’un téléguichet? Il s’agit en fait d’un système technique permettant à l’usager et à son correspondant du service public (au sens large, en fait) de rentrer en correspondance, à distance, de la façon la plus simple, « naturelle » et complète que possible. Comprenant une liaison vidéo et son, un scanner et une imprimante, le téléguichet a vocation de permettre à l’usager de réaliser un entretien classique, en limitant considérablement son déplacement, en voyant son correspondant en taille réelle, comme si ce dernier était assis, face à lui, derrière un bureau. À ceci près que la transmission de documents de l’un à l’autre se fait non pas « de la main à la main » mais, dans un sens, via le scanner, et de l’autre par l’intermédiaire de l’imprimante.

  • 10 Dans un entretien du 22 juin 2011 à Assier, Anne-Claire Dubreuil, chargée de mission TIC au conseil (...)

12Au-delà des considérations purement liées au rapport possible ou supposé entre la présence d’un téléguichet sur un territoire et le risque de la perte potentielle d’un service public, il est indéniable – les retours des techniciens, des élus et des usagers l’attestent – que le téléguichet effraie souvent les différentes parties, soit en raison de son nom lui-même, soit en raison de l’aspect technique et froid de « la machine ». Lorsque de bonnes conditions d’utilisation sont mises en place, les accompagnateurs de cette expérimentation indiquent néanmoins que cette appréhension se dissipe et que l’intérêt pour le téléguichet semble dès lors avéré10. Parmi ces « bonnes » conditions, citons notamment l’importance de la localisation du téléguichet (de préférence dans une structure largement fréquentée), de son implantation au sein de la structure (une pièce isolée, pour assurer la confidentialité des échanges et des conversations) et surtout de l’accompagnement effectué pour sa prise en main, au moins lors du démarrage de la première utilisation (et bien entendu par une personne maîtrisant pleinement celui-ci; l’animateur d’une cyber-base, par exemple).

  • 11 Ce programme faisait suite à une première expérimentation lancée en juillet 2005 à la Maison de la (...)

13Différentes régions ou départements français ont mis en place des programmes d’expérimentation de téléguichets, notamment dans le cadre des programmes régionaux « Points Visio Publics » (PVP). Ainsi, par exemple, la région Auvergne11 lançait-elle dès 2006 un programme de déploiement de 60 PVP et 30 bornes « Expert ». De même, dans la Manche, le programme « Manche numérique » maille le territoire départemental avec une vingtaine de bornes et en s’appuyant sur l’expérience des « visioguichets » développée dès 1999.

  • 12 Marsouin, Môle Armoricain de Recherche sur la Société de l’Information et les usages d’internet, es (...)
  • 13 M@rsouin, Daniel Thierry, Non-usages en lieux publics: les automates des visio-guichets de service (...)

14Le centre de recherche M@rsouin12 a d’ailleurs réalisé une étude approfondie sur les téléguichets dans ces deux territoires13, repérant les bonnes pratiques, mais également les carences de telles expérimentations. Au vu des entretiens réalisés lors de notre enquête, ces éléments d’analyses peuvent être généralisés – ou rejoignent en tous cas globalement nos observations de terrain en termes de localisation et d’accompagnement. Ainsi, l’accompagnement réalisé par des « facilitateurs » (qualificatif utilisé dans le cadre du programme « Manche numérique ») maîtrisant l’outil, est souvent décisif pour la réussite de l’expérience et le retour éventuel de l’usager. Les dispositifs pâtissent parfois, de défaillances de matériels ou de soucis de débit pour la visioconférence, voire – ce qui est plus problématique – du manque de disponibilité des conseillers formés, dans certains établissements (et ce, malgré le fait que les entretiens ne se sont pas extrêmement nombreux...), ou d’implication des organismes publics. Un effort doit également parfois être fait sur l’accessibilité de ces bornes aux personnes handicapées. Enfin, il apparaît que certains services concentrent la majeure partie des flux, comme le Pôle emploi en Auvergne, alors que dans le même temps, cet établissement semble vouloir se désengager quelque peu de la démarche des téléguichets, fragilisant ainsi d’autant la pérennité de l’expérience.

15L’un des intérêts du téléguichet est de rationaliser les coûts sur les territoires ruraux tout en répondant au mieux aux demandes des usagers. Mais la question du coût se pose néanmoins. Dans le cadre du programme de maillage du Lot par les PVP , le coût de la borne « Usagers » est d’environ 12 000 € TTC répartis entre les financements de l’État, le conseil régional, le conseil général et le FEDER. Pour la borne dite « Experts » (localisée dans le service public), le montage est sensiblement identique mais à hauteur de 8.000€ auxquels s’ajoute une contribution forfaitaire de 1.000€ de la part du service accueillant et utilisant la borne. Les communes lotoises paient 950€ par an à Orange, partenaire technique de l’expérience. Dans l’absolu et du point de vue purement technique, on peut penser que le coût du matériel est élevé, car il s’agit simplement d’un ordinateur et de périphériques, le tout quelque peu « habillé ». Une partie de ce coût s’explique notamment par la mise en place d’un système de miroirs qui permet d’éviter l’effet « faux jeton » consistant à voir le crâne de son interlocuteur.

  • 14 Cf. par exemple l’expérience des Espaces Publics Numériques d’Ardèche réalisant des entretiens à di (...)

16La contribution financière de la commune au partenaire technique est relativement importante, même si l’opérateur est réactif en cas de problème. La mise en place d’un club des utilisateurs, au niveau national, aura sans doute notamment tendance à permettre de faire un peu pression sur l’opérateur, qui détient le monopole sur ces expérimentations. Mais face à ces coûts relatifs – et du fait de la présence dans les structures intéressées par de tels outils de personnes techniquement qualifiées – on assiste à la mise en place d’expériences parallèles, non labellisées et moins ergonomiques, mais fonctionnant plutôt correctement, grâce à des outils simples, de type Skype et Google Agenda, et en profitant d’un accompagnement adapté14.

17L’ergonomie a un intérêt évident, mais l’objectif étant la performance (via l’économie de temps et de trajet), d’autres outils peut-être un peu plus « bricolés » démontrent tout de même l’intérêt pour de telles démarches et peuvent être amenés à se développer. Si ce n’est qu’à terme, on peut également penser que l’utilisation de la webcam personnelle, au domicile, devrait pouvoir suffire...

Le Lot : un territoire idéal pour une expérimentation à ciel ouvert ?

  • 15 Fiche expérience « Maillage de relais de services publics et émergence de nouveaux métiers », conse (...)

18Les téléguichets – ou visio-relais de services publics, ou points-visio-publics – s’inscrivent dans une démarche d’aménagement du territoire, dans le but affiché de contribuer à « l’amélioration et au maintien » des services publics dans les territoires ruraux permettant d’offrir des services « de proximité et de qualité ». Le département du Lot, qui comporte des spécificités socio-démographiques et territoriales, se fait fort d’une expérience déjà relativement ancienne en matière de TIC et constitue du coup un territoire d’expérimentation intéressant pour la mise en place de téléguichets. Au carrefour de quatre régions administratives, ce département est en effet morcelé du fait de la présence de différentes vallées qui constituent autant de contraintes en termes de mobilité. Par ailleurs, la population du Lot, très largement rurale et relativement âgée (Tornero, 2009), n’est de fait pas la plus disposée à utiliser les TIC. C’est pourquoi, le conseil général a mis en place, depuis les années 2000, différentes expérimentations autour des TIC puis des outils de type téléguichet afin de « mailler le territoire en services de qualité et de proximité tout en réalisant une synergie autour de pôles multiservices et en soutenant la professionnalisation des médiateurs »15. Des liaisons par visio-guichet avec l’ANPE étaient mises en place dès 2004, au sein de la communauté de communes de Cère et Dordogne, par l’intermédiaire de France Telecom. Le conseil général a également profité du programme d’actions innovatrices sur l’Internet public et citoyen du conseil régional (2006) afin de mettre en place le réseau départemental de téléguichets, avant de participer au programme sur les relais de services publics. Au final, sept téléguichets ont été reliés à cinq services distants. Enfin, le dispositif a été complété par le programme des PVP (2008), dont le conseil régional est maître d’ouvrage.

19Pour les premières expérimentations de téléguichets dans le Lot, la logique de la répartition géographique a quelque peu été mise à mal par le nombre relativement faible de communes candidates, qui ont donc toutes été pourvues. Ceci explique quelques incongruités dans les choix qui ont été opérés: « Dans l’expérimentation, nous étions à la recherche de candidats et nous avons parfois fait des choses peu logiques dans l’arbitrage, comme d’installer deux téléguichets à moins de 15 km de distance, même si ça correspondait à des bassins de vie très différents. Je pense par exemple à Salviac et Gourdon qui irriguent le nord et le sud du Pays de la Bouriane ou à Leyme dans le Haut-Ségala et Assier dans le Livernon. Mais c’est compliqué de dire “non” à une commune quand on est dans une phase d’appel à projets. » (entretien Anne-Claire Dubreuil, 22 juin 2011).

20On peut également faire ce constat sur la carte des relais de service public équipés de téléguichets produite par la DDT.

Illustration 2 – Les relais de services publics existants ou à créer dans le Lot

Illustration 2 – Les relais de services publics existants ou à créer dans le Lot

21Cette carte fausse la réalité car elle ne prend en compte que la distance géographique de 10km à vol d’oiseau à partir des téléguichets existants (petits triangles) ou en projet (carrés). Pour rendre l’information plus pertinente, il convient de prendre en considération le temps d’accès au téléguichet en fonction des routes et du relief, et d’ajouter en fond la répartition de la population. La carte suivante permet ainsi de prendre en compte cette réalité de terrain et de relativiser la proximité de certains téléguichets existants, comme entre Leymes et Assier. Cette carte, qui prend en considération les téléguichets existants et les villes importantes où une grande partie des services publics sont présents (Cahors, Figeac) permet également de distinguer les « pleins » et les « vides » que l’État souhaite faire disparaître par l’installation de nouveaux téléguichets par le biais du dispositif « Plus de services au public ».

  • 16 Carte réalisée par Frédéric Martorell.

Illustration 3 – Cartographie isochrone des téléguichets présents dans le Lot16

Illustration 3 – Cartographie isochrone des téléguichets présents dans le Lot16

22Par convention, il est pour l’instant interdit de permettre la liaison entre un PVP et un service public directement présent sur le territoire ou à proximité immédiate – ce qui pourrait être pris comme une anticipation du « déménagement » du service public. Le tableau suivant recense les différentes liaisons mises en place – illustrant ainsi la géométrie variable de ces partenariats – ainsi que la localisation géographique du téléguichet.

Tableau 1– Les services proposés dans les téléguichets du Lot

Tableau 1– Les services proposés dans les téléguichets du Lot

Acteurs et usagers : entre « aménageurs » et « déménageurs » du territoire ?

23Les téléguichets, encore en phase d’expérimentation dans la région Midi-Pyrénées et particulièrement dans le département du Lot, sont diversement appréciés de la part des élus qui y voient soit un instrument d’aménagement du territoire, permettant d’y (ré)instaurer des accès aux services publics qui les avaient désertés ou n’avaient jamais été présents, soit un instrument de déménagement du territoire, utilisé pour justifier l’accélération du désengagement de l’État en zone rurale, où les services publics physiques seraient petit à petit remplacés par des accès à distance via le numérique. Les téléguichets ne laissent donc pas indifférents et sont souvent source de difficiles concertations au niveau des communes ou communautés de communes concernées par leur implantation.

Le positionnement des élus ruraux face aux téléguichets : entre crainte, enthousiasme et résignation

24Les élus en milieu rural font face au problème de désertification qui frappe d’abord les espaces reculés ou enclavés. La concentration toujours plus importante des activités et des populations en milieu urbain et dans les zones périurbaines conduit les pouvoirs publics et les opérateurs à réorganiser leurs services pour s’adapter aux nouveaux besoins, notamment en limitant ou en regroupant les unités de trop petite taille en milieu rural. Les principales raisons avancées pour ces réorganisations sont l’adaptation aux transformations de la société et la nécessaire rationalité économique, qui revient à calculer le coût du maintien d’un service dans des zones où il est peu utilisé et le coût de la présence d’un personnel polyvalent et qualifié pour rendre un service de qualité.

25Il est difficile pour les élus d’aller à l’encontre de ce discours sur la rationalité économique lorsqu’il s’agit de l’argent des contribuables. La fermeture de services publics est pourtant incontestablement un facteur d’aggravation des inégalités territoriales. D’une part, les élus sont conscients des réactions en chaîne qu’entraîne la disparition ou la réorganisation de certains services publics: le départ d’emplois d’un territoire s’accompagne du départ de familles, ce qui a des conséquences en cascade sur d’autres services publics avec par exemple la fermeture d’une classe d’école. D’autre part, la présence de services publics à proximité est incontestablement un facteur d’attractivité d’un territoire pour le maintien ou l’installation de nouvelles populations. Face à ce double constat et pour éviter une désertification irrémédiable de leur territoire, les élus recherchent de plus en plus des solutions innovantes. Ces solutions n’émanent généralement pas des collectivités locales, mais sont impulsées par l’État – notamment via la politique de développement du label « Relais de services publics » à partir d’août 2006, laquelle permet de mobiliser des fonds d’État à hauteur de 10000€ annuels pour promouvoir une mutualisation des services en milieu rural – et par la région à travers le Programme Régional d’Actions Innovatrices.

  • 17 Ancien Maire de Figeac, Martin Malvy est président du conseil régional de Midi-Pyrénées depuis 1998 (...)

26Le cas du village de Cajarc, dans le département du Lot, candidat à l’implantation d’un téléguichet, illustre bien cette problématique. Le maire de Cajarc (et vice-président de Figeac communauté), M. Jacques Borzo, dresse le bilan de l’évolution des services publics dans sa commune de 1200 habitants: « Avant, nous avions la DDE à Cajarc qui est partie à Figeac. Nous avions le Trésor public tous les jours de la semaine, qui ne vient maintenant que deux demi-journées par semaine. Nous n’avons pas tout perdu, mais nous voyons bien que petit à petit, les choses se délitent et je suis assez inquiet. » (entretien du 11 janvier 2011). Face à ce constat, le téléguichet est pour Jacques Borzo un recours qu’il tente de faire installer dans sa commune, même s’il se heurte à des oppositions politiques au sein même de son propre parti: « Aujourd’hui, nous espérons un téléguichet sur Cajarc qui nous mettra en contact avec toutes les structures ou tous les partenaires financiers qui seraient intéressés (la SNCF, GDF, la CAF, la MSA...). Le sous-préfet avait fait la proposition d’installer un téléguichet à Cajarc mais la communauté de communes avait voté contre en considérant que c’est aussi aider l’État à se désengager. Martin Malvy17 était contre également, mais il est revenu sur ses positions. Moi je suis socialiste et je suis solidaire de mes amis, mais il y a aussi un moment où il faut voir en face la réalité du terrain » (entretien cité).

27Cette opposition d’élus face à l’installation de téléguichets est relativement peu courante dans le département du Lot par rapport à d’autres territoires en France, d’après ce qu’en rapporte Anne-Claire Dubreuil: « Je suis amenée à témoigner sur tout ce que l’on fait dans le Lot et quand je vais dans d’autres régions comme récemment en Bretagne, on sent que les élus sont plus réticents. Mais ils ont une desserte en services publics qui est de bien meilleure qualité du fait de leur densité de population et du coup, ils se battent pour maintenir les permanences physiques alors que dans le Lot, elles sont parties depuis bien longtemps ou alors, il n’y en a jamais eu. Les élus lotois préfèrent anticiper et gagner en qualité de service plutôt que de tout perdre. » (entretien cité). Cette adhésion des élus lotois tient aussi beaucoup à l’engagement, par convention, de la région Midi-Pyrénées de ne pas remplacer de permanences physiques existantes par des permanences virtuelles.

28Quant aux motivations que révèlent les arguments avancés, on notera la volonté des élus de ne pas risquer de se faire damer le pion par le voisin. C’est en en tous cas ce que laisse entendre Jacques Borzo: « Avec le bassin de vie qui est le nôtre, environ 6000 habitants, nous en avons besoin et si nous ne le prenons pas, le téléguichet ira chez le voisin » (ibid.). Une fois le maillage territorial des téléguichets définitivement entériné, il sera effectivement difficilement imaginable pour une commune de justifier la demande d’un équipement dont d’autres communes seraient dotées dans un rayon inférieur à moins de quinze kilomètres.

  • 18 Entretien avec Mme Laure Soula le 28 septembre 2010 à Toulouse.
  • 19 Entretien avec Mme Bénédicte Duprès le 11 janvier 2011 à Figeac.

29Pour les communes ou communautés de communes qui se portent candidates à l’implantation d’un téléguichet, il est donc impératif d’agir rapidement. La démarche à suivre est d’envoyer une simple lettre d’intention au conseil régional. Laure Soula, Chef de projet TIC au conseil régional de Midi-Pyrénées, explique comment s’opèrent les choix: « Plus il y a d’intérêt pour les services publics d’être présents sur la commune, plus celle-ci sera choisie rapidement. Une cartographie est progressivement dressée et la sélection en tient compte en excluant les communes situées à moins de quinze kilomètres d’une commune déjà équipée d’une borne. Le choix se fait après accord de tous les partenaires. »18. D’après ce témoignage, l’avis des principaux services publics concernant l’implantation territoriale des téléguichets compterait donc beaucoup dans les choix qui sont opérés par le comité de pilotage. En revanche, même si l’État souhaitait impliquer également les pays dans ce choix, Bénédicte Duprès, directrice du conseil de développement du pays de Figeac, explique que le pays n’a pas de marge de manœuvre dans ce domaine: « Le sous-préfet est intéressé par le projet des téléguichets et voudrait que Cajarc s’équipe. Il est donc venu nous voir car il souhaite que le pays de Figeac s’invite pour redynamiser la démarche. Je n’ai pas de recul sur l’utilisation et l’évaluation des téléguichets existants car les élus et techniciens concernés ne m’en ont pas parlé. De toute façon, nous n’avons pas pu nous investir dans ce projet car sur cette thématique, les élus préfèrent rester à l’échelle de la communauté de commune. »19

30Au vu de la concurrence entre communautés de communes pour l’implantation de téléguichets, voire même entre communes au sein d’une communauté de communes, l’échelon « pays » semble de fait écarté par les maires concernés. Par ailleurs, la mise en place des premiers téléguichets étant très récente – depuis 2008 – il est également difficile pour les élus d’évaluer l’évolution de l’usage qui est fait ou sera fait de ces installations. Qu’en est-il donc des usagers, de leurs pratiques et de leurs représentations?

Des usagers satisfaits, mais généralement peu nombreux...

  • 20 Entretien avec M. Mohamed Saadallah le 10 janvier 2011 à Figeac.

31Les services de l’État encouragent l’implantation des téléguichets dans les milieux ruraux. Pour le sous-Préfet du département du Lot, M. Mohamed Saadallah, les communes des secteurs ruraux doivent s’adapter à l’évolution sociologique et à la transformation de la ruralité en œuvre: « Depuis 1999, 2,5 millions d’habitants – que l’on appelle les néoruraux – se sont installés ou réinstallés dans la ruralité française et ce phénomène devrait s’amplifier avec une augmentation de 11% dans les quinze prochaines années. L’installation de nouvelles populations dans la ruralité est plus demandeuse de services publics, elle est plus mobile et elle utilise plus les TIC. J’essaye donc de faire prendre conscience aux élus de la nécessité d’être prospectif dans l’évolution de leur territoire et de privilégier d’autres équipements publics que les salles polyvalentes »20. L’État cherche donc à influencer et à encourager les élus locaux dans les investissements sur leurs communes. Et cet engouement des services de l’État pour l’installation de téléguichets en territoires ruraux est largement partagé par le conseil régional de Midi-Pyrénées et le conseil général du Lot.

  • 21 Rapport d’expérimentation du réseau visio-accueil dans le Lot, Conseil Général du Lot, janvier 2010 (...)

32A chaque inauguration d’un téléguichet dans le Lot, les articles dans la presse régionale – La Dépêche du Midi – font part du gain de temps et de déplacement pour les usagers, et donc de l’apport en terme de « développement durable ». Si l’on conçoit aisément que la création des téléguichets permet de réduire les déplacements des usagers qui, n’ayant plus besoin de se rendre dans les villes concentrant ces services, économisent ainsi du temps, de l’argent et réduisent leur « bilan carbone », encore faut-il que les usagers les utilisent. Une étude réalisée par le conseil général du Lot en janvier 2010 portant sur les huit téléguichets installés dans le Lot entre octobre 2008 et janvier 2009, permet de dresser un premier bilan quantitatif et qualitatif sur l’utilisation des téléguichets21 quelques mois seulement après leur installation. Il en ressort une satisfaction généralement partagée de leur utilisation. Dans les motifs invoqués par les usagers, c’est principalement la proximité (50% des réponses) et le gain de temps (26%) qui sont mis en avant. Seuls 10% des usagers déclarent venir pour l’accès à internet et 16% pour l’accompagnement. Plus des deux-tiers des usagers ne connaissaient pas le lieu où se trouvait le téléguichet et s’y rendaient pour la première fois. Les niveaux de satisfaction des usagers envers l’accueil reçu (94% de satisfaits ou très satisfaits) ou envers la qualité des informations reçues (91% de satisfaits ou très satisfaits) est très élevé et la plupart des usagers estime que le téléguichet a répondu à leurs attentes et en conseillerait l’utilisation à leur entourage.

33Concernant le profil des usagers, près des trois-quarts ont plus de quarante-cinq ans et les deux-tiers d’entre eux sont des femmes. Cette fréquentation très féminine s’explique par le fait qu’en milieu rural, ce sont généralement les femmes qui réalisent les démarches administratives. Le public très majoritairement âgé s’explique par la démographie rurale vieillissante qui se vérifie par l’importance des usages liés à la caisse régionale d’assurance maladie (CRAM). Celle-ci arrive largement en tête des organismes contactés sur l’ensemble des téléguichets avec 57% des entretiens, contre 28% pour la caisse d’allocations familiales (CAF) et 9% pour la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).

34Si le bilan qualitatif de cette étude est largement satisfaisant, le bilan quantitatif, soit le nombre d’usagers par borne, l’est beaucoup moins. Sur les dix premiers mois d’expérimentation (janvier à octobre 2009), l’étude comptabilise à peine 172 entretiens en visioconférence avec les différents services publics, soit une vingtaine d’entretiens par mois inégalement répartis sur les huit bornes. Deux téléguichets situés à Biars et Gourdon comptabilisent entre deux et cinq utilisations par mois, les autres bornes du département comptent moins d’une utilisation par mois. Ce très faible usage s’explique en partie par la nouveauté et le stade encore expérimental des téléguichets, lequel nécessite logiquement un temps d’adaptation pour que l’information circule et que les habitudes changent. À partir d’une analyse sur les téléguichets déployés dans les milieux ruraux en Auvergne et dans le département de la Manche, Daniel Thierry dresse un constat similaire de faible utilisation et explique que pour les usagers: « la confiance envers les techniques déployées ou vis-à-vis des acteurs publics n’est pas mise en cause, mais l’accumulation de dysfonctionnements liés à l’ampleur du programme et une communication mal adaptée aux objectifs n’ont pas permis de lever l’indifférence, voire une certaine inquiétude, des populations attendues au sein de ces espaces » (Thierry, 2011).

  • 22 Entretien avec M. Vincent Labarthe le 10 janvier 2011 à Lacapelle Marival.

35Pour lever l’inquiétude des populations rurales vis-à-vis des téléguichets, deux paramètres sont importants: la localisation de l’équipement et l’accompagnement. Le président de la communauté de communes du Causse Ségala Limargue, Vincent Labarthe, a pu le constater sur son territoire où deux téléguichets ont été installés: « Nous avions deux téléguichets sur notre territoire, à Lacapelle et à Leyme, mais leur fonctionnement dépend beaucoup des personnes qui l’entourent et de la dynamique. Après la période d’expérimentation, nous n’avons pas renouvelé celui de Lacapelle à cause de la trop faible fréquentation car les personnes qui en avaient la responsabilité ne s’en sont pas trop occupées. À Leyme, c’est plus facile car le téléguichet est couplé à la cyberbase, avec des locaux tout neufs et plus appropriés. Ensuite, il faut aussi que les partenaires et organismes adhérents (CAF, Pôle emploi, MSA, missions locales...) communiquent dessus, ce qu’ils ne font pas assez à mon avis. »22. Ce constat est entièrement partagé par Anne-Claire Dubreuil qui rappelle l’importance de l’accompagnement et de la synergie des lieux dans le succès des téléguichets: « La mutualisation est vraiment importante car les téléguichets marchent mieux là où il y a une cyberbase car il faut vraiment un accompagnement et une synergie, alors que dans les maisons communautaires, nous n’y allons pas souvent en tant qu’individus. Si la fréquentation est bonne à Biars-sur-Cere, c’est parce que la personne qui s’occupe du RSP s’occupe aussi du cinéma et, systématiquement, fait la publicité du RSP aux spectateurs. Il faut donc de l’humain et de la pédagogie. » (entretien cité).

36Le succès ou l’échec de l’implantation d’un téléguichet est donc largement déterminé par des particularités locales qui tiennent à la fois au lieu et à la personne en charge de l’accompagnement. Le constat général de faible utilisation peut également s’expliquer par la préférence pour certains usagers d’un contact « physique » avec leur interlocuteur où la mise en confiance commence généralement par une poignée de main.

37Malgré l’engagement de la région Midi-Pyrénées de ne pas substituer des téléguichets aux permanences physiques, la crainte ou la suspicion de certains usagers de voir les téléguichets remplacer peu à peu la présence physique de ces services sont souvent sous-jacentes. Et le non-usage des téléguichets est alors une forme de résistance pour de ne pas contribuer à un « déménagement » des derniers services de leur territoire.

38L’implantation de téléguichets en milieu rural ne fait pas toujours l’unanimité tant auprès des élus que des usagers et apparaît être un sujet qui peut susciter controverses et polémiques. Le département du Lot, qui a pour principales caractéristiques d’être essentiellement rural et relativement peu peuplé sur un assez vaste territoire, en plus d’avoir déjà une longue expérience en matière de développement et d’usages des TIC, a donc pour ces raisons pleinement bénéficié du partenariat avec le conseil régional de Midi-Pyrénées pour expérimenter depuis 2009 les téléguichets. Il est bien entendu difficile de dresser un bilan exhaustif de l’impact territorial et en terme d’usages de ce dispositif, trois ans seulement après l’implantation des premiers téléguichets, alors même que le territoire lotois n’est pas encore complètement « maillé ».

39Le téléguichet est-il un outil d’aménagement ou de déménagement des territoires ruraux? Si la question a le mérite d’être simple, la réponse est nécessairement complexe et nuancée. Il est indéniable que le téléguichet présente de nombreux atouts, dont principalement celui d’apporter une offre de services publics en un seul lieu et de mettre en relation directe les usagers avec les organismes de services sans qu’ils aient à faire de longs et coûteux déplacements, préjudiciables en terme de temps et de développement durable. Ce dispositif innovant est donc un facteur d’aménagement du territoire qui fait partie, avec les relais de services publics, des rares solutions dont disposent les élus pour tenter de faire face à la désertification de leurs territoires par les services publics soumis aux objectifs de rationalité économique renforcés, depuis 2007, par la RGPP. Le maintien ou le développement de l’offre de services publics sur un territoire est pourtant un facteur d’attractivité indispensable pour « faire vivre » ce territoire, y maintenir sa population ou accueillir de nouveaux habitants et lutter contre la perte de services publics et/ou aux publics.

40L’implantation de téléguichets soulève cependant un certain nombre de questions, voire de craintes, de la part des élus et des usagers. D’abord, en termes de rationalité économique, on peut s’interroger sur la rentabilité de ces bornes relativement coûteuses pour l’investissement de départ et l’entretien au vu de leur très faible utilisation actuelle. La crainte souvent sous-jacente est que le téléguichet devienne un instrument de « déménagement » du territoire, avec le remplacement progressif des permanences physiques des services publics par des permanences virtuelles. La convention signée par la Région l’engage pour cinq ans à ne pas remplacer les permanences physiques existantes par des entretiens à distance, mais une fois le téléguichet en place, un changement de décision politique pourrait changer la donne et justifier cette crainte. Dans ce cas, la création d’emplois générée par le besoin d’un « animateur numérique du territoire » pour chaque borne ne remplacerait alors pas les emplois directs et indirects liés à la présence physique des services publics sur le territoire.

41Enfin, les usagers dans les territoires ruraux étant de plus en plus équipés chez eux de matériel informatique et de connexions haut débit, nous pouvons nous poser la question du maintien du dispositif des téléguichets sur du plus long terme. Dans un contexte où l’État cherche à dématérialiser de plus en plus ses services publics, ceux-ci pourraient bientôt proposer à leurs usagers des entretiens directement depuis leur domicile, par exemple à l’aide d’une webcam et d’un logiciel de type Skype. L’intérêt de se rendre à un téléguichet ne concernerait alors plus que les usagers non équipés ou ressentant le besoin de l’accompagnement par un animateur.

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Bibliographie

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Maurey (H.), 2011, Aménagement numérique des territoires: passer des paroles aux actes, Rapport d’information fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire n° 730 (2010-2011), 135 p. Texte disponible en ligne: URL: <http://www.senat.fr/rap/r10-730/r10-7301.pdf>

Thierry (D.), 2011, Non-usages en lieux publics: les automates des visio-guichets de service public, C@hier de recherche M@rsouin (Mesure et analyse des usages numériques), n° 03, 116 p. Texte disponible en ligne: URL: <http://www.marsouin.org/IMG/pdf/Cahier_de_recherche_marsouin_mars_2011.pdf>

Tornero (M.), 2009, Population du Lot: les nouveaux arrivants portent la croissance, INSEE, numéro 122-46, 6 p. Texte disponible en ligne: URL: <http://www.insee.fr/fr/insee_regions/midi-pyrenees/themes/six_pages/6p_n122_46/6p_122_46.pdf>

Vetois (J.), Naulleau (D.), Lobet-Maris (C.), 2007, Administration électronique, où en sommes- nous?, Paris, L’harmattan, 219 p.

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Notes

1 La DATAR s’est préoccupée assez tôt de ces questions, que ce soit au travers de son action ou de ses schémas prospectifs.

2 Le Programme d’Action Gouvernemental pour la Société de l’Information (PAGSI) est ainsi lancé lors du premier comité interministériel pour la société de l’information le 16 janvier 1998, puis transposé à l’échelle régionale avec le PARSI. Sans tous les citer, évoquons par exemple le plan Re/SO 2007 « pour une République Numérique dans la Société de l’Information », mis en œuvre par le gouvernement de Jean Pierre Raffarin en 2002, qui amorce ainsi la dématérialisation des procédures administratives les plus courantes pour les citoyen; la création de l’Agence pour le Développement de l’Administration Electronique (ADAE) en février 2003 pour simplifier et rapprocher les systèmes d’information administratifs et le programme ADELE « Administration ELEctronique » 2004-2007 – doté d’un budget de 1,8 milliard d’euros – marquent le point de départ de l’e-administration. Les « Assises du Numérique », lancées en 2008 par le Président de la République N. Sarkozy et son Premier ministre F. Fillon, permettent également l’élaboration d’un plan global de développement de l’économie numérique, le plan « France Numérique 2012 ». À l’échelle européenne, l’Agenda numérique, adopté en mai 2010, constitue l’un des sept axes majeurs de la stratégie « Europe 2020 ».

3 Pour l’évolution du nombre d’internautes en France, cf.: http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/nombre-internautes-france.shtml (lien vérifié valide le 25 XI 2012).

4 Douze entretiens semi-directifs menés entre septembre 2010 et juin 2011 auprès de plusieurs types d’acteurs: spécialistes et experts des services publics étudiés; acteurs politiques et institutionnels; responsables de ces services publics.

5 Rappelons que dans cet esprit était créée par décret du 30 décembre 2005 la DGME (Direction générale de la modernisation de l’État), dépendant du Ministère du Budget mais à l’action transversale; création résultant de la fusion de quatre structures dont l’Agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE), elle-même créée par un décret du 21 février 2003.

6 « Vivement le Téléguichet! », Libération, 28 novembre 1997. Fonctionnaire du MINEFI, J.-P. Basquiat a créé en 1995 le site web www.admiroutes.asso.fr, non-officiel, œuvrant pour la modernisation des services publics par Internet, ainsi que l’association (Loi 1901) Admiroutes, qu’il préside toujours aujourd’hui.

7 Libération du 28 novembre 1997, http://www.liberation.fr/ecrans/0101230212-vivement-le-teleguichet (lien vérifié valide le 25 XI 2012).

8 Photo réalisée par les auteurs.

9 En témoigne d’ailleurs, de façon certes anecdotique, le fait que nos correcteurs automatiques soulignent encore le terme, toujours inconnu.

10 Dans un entretien du 22 juin 2011 à Assier, Anne-Claire Dubreuil, chargée de mission TIC au conseil général du Lot, déclarait: « Il n’y a pas eu de réaction négative de la part des usagers, car c’est la médiation humaine qui a permis de tout dédramatiser. Même s’il y a un bug technique, dès lors que les usagers viennent et qu’il y a un animateur, ça les rassure. »

11 Ce programme faisait suite à une première expérimentation lancée en juillet 2005 à la Maison de la Communauté de communes de l’Emblavez (Haute-Loire).

12 Marsouin, Môle Armoricain de Recherche sur la Société de l’Information et les usages d’internet, est un Groupement d’Intérêt Scientifique géré par Telecom Bretagne et mis en place par le Conseil Régional de Bretagne pour fédérer les recherches, publiques et privées, sur les usages régionaux des TIC afin d’accélérer leur diffusion dans la région Bretagne.

13 M@rsouin, Daniel Thierry, Non-usages en lieux publics: les automates des visio-guichets de service public, Cahier de recherche, 2011/03, 116p.

14 Cf. par exemple l’expérience des Espaces Publics Numériques d’Ardèche réalisant des entretiens à distance, via Skype, avec Pôle emploi: http://www.netpublic.fr/2010/03/visio-skype-des-entretiens-a-distance-avec-pole-emploi (lien vérifié valide le 25 XI 2012)

15 Fiche expérience « Maillage de relais de services publics et émergence de nouveaux métiers », conseil général du Lot. http://www.installation-campagne.fr/medias/cdr/maillage_relais_services_publics_et_emergence_nouveaux _metiers_cg_lot.pdf (lien vérifié valide le 25 XI 2012).

16 Carte réalisée par Frédéric Martorell.

17 Ancien Maire de Figeac, Martin Malvy est président du conseil régional de Midi-Pyrénées depuis 1998 et président de Figeac communauté qui compte 36 communes pour 28000 habitants.

18 Entretien avec Mme Laure Soula le 28 septembre 2010 à Toulouse.

19 Entretien avec Mme Bénédicte Duprès le 11 janvier 2011 à Figeac.

20 Entretien avec M. Mohamed Saadallah le 10 janvier 2011 à Figeac.

21 Rapport d’expérimentation du réseau visio-accueil dans le Lot, Conseil Général du Lot, janvier 2010, 23p.

22 Entretien avec M. Vincent Labarthe le 10 janvier 2011 à Lacapelle Marival.

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Table des illustrations

Titre Illustration 1 – Le téléguichet de la cyberbase de la maison des services, à Assier, dans le Lot8
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/1732/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 88k
Titre Illustration 2 – Les relais de services publics existants ou à créer dans le Lot
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/1732/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 164k
Titre Illustration 3 – Cartographie isochrone des téléguichets présents dans le Lot16
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/1732/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Titre Tableau 1– Les services proposés dans les téléguichets du Lot
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/1732/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 880k
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Pour citer cet article

Référence papier

Thibault Courcelle, Marie-Laure Rousseau et Mathieu Vidal, « Numérique et services publics en milieu rural : couple infernal de l’aménagement du territoire ? L’exemple des téléguichets dans le département du Lot »Sciences de la société, 86 | 2012, 108-125.

Référence électronique

Thibault Courcelle, Marie-Laure Rousseau et Mathieu Vidal, « Numérique et services publics en milieu rural : couple infernal de l’aménagement du territoire ? L’exemple des téléguichets dans le département du Lot »Sciences de la société [En ligne], 86 | 2012, mis en ligne le 01 juin 2012, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/1732 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.1732

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Auteurs

Thibault Courcelle

Enseignant contractuel en géographie, CUFR Champollion, post doctorant au LISST (UMR CNRS-UTM), thibault.courcelle@uiv-jfc.fr

Articles du même auteur

Marie-Laure Rousseau

Contractuelle au LISST, mlr811@gmail.com

Mathieu Vidal

Maître de conférences en géographie, CUFR Champollion et chercheur au LISST, mathieu.vidal@univ-jfc.fr

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Droits d’auteur

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