Navigation – Plan du site

AccueilNuméros86La Poste en milieu rural : une ge...

La Poste en milieu rural : une gestion entre rentabilité et aménagement du territoire

« La Poste » in rural aeras : a management between profitability and spatial planning
« La Poste » en ambiente rural : una gestión entre rentabilidad y planificación territorial
Ygal Fijalkow et François Taulelle
p. 34-49

Résumés

Le service postal, auquel sont très attachés les Français, a connu depuis une dizaine d’années de nombreuses évolutions qui tiennent à la fois du contexte européen mais surtout des changements dans la gestion de l’entreprise La Poste. Derrière le panneau indiquant la présence postale dans l’espace rural se distinguent différentes formes de service en fonction du chiffre d’affaires réalisé. Entre rentabilité et souci d’aménagement du territoire, principe imposé par les pouvoirs publics, La Poste cherche le juste milieu. Ces évolutions produisent des impacts considérables sur les territoires ruraux et sur les habitants. Cet article dévoile la nouvelle organisation postale, ses effets sur l’espace rural et mobilise les résultats d’une grande enquête quantitative auprès des habitants des communes rurales sur les évolutions en cours.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Palmarès Posternak-Ipsos-JDD, Le journal du dimanche, 15 janvier 2012. Ce classement mêle des ensei (...)

1Une récente enquête d’un institut de sondage sur la côte d’amour des usagers-consommateurs1 indique que La Poste arrive en dixième position parmi les entreprises françaises et connaît la troisième plus forte progression dans ce classement sur six mois. Les Français sont très attachés à La Poste qu’ils considèrent comme un service public de proximité. Leur relation est quasiment passionnelle ainsi qu’en témoignent les deux millions de personnes qui ont participé en 2009 à un référendum d’initiative syndicale sur l’ouverture du capital de La Poste. Ce service a pourtant subi ces dernières années bien des transformations. Depuis le 1er mars 2010 à la suite de la loi sur les missions de La Poste, celle-ci est devenue une ESA (société anonyme à capitaux publics) alors que depuis 1991 elle avait un statut d’EPIC. Bien peu d’usagers connaissent ces transformations juridiques qui pourtant révolutionnent la présence postale et ses missions. Quels effets produisent ces évolutions sur l’organisation postale rurale et les communes rurales? Quelle perception les habitants de l’espace rural ont-ils de ces transformations?

  • 2 Plusieurs séries d’entretiens ont été effectuées par nous-mêmes avec des personnels de la Poste, ma (...)
  • 3 Cette enquête a été réalisée par voie de questionnaire et effectuée au téléphone par des étudiants (...)

2Pour rendre compte des évolutions institutionnelles de la présence postale et des enjeux qui se posent pour les acteurs locaux nous nous appuyons sur un travail de terrain mené auprès des responsables de La Poste à l’échelle régionale et locale (pays du Val d’Adour, de Figeac, des Pyrénées cathares et du Sidobre et Monts de Lacaune), des personnels des points de poste2, mais aussi des élus et responsables administratifs des collectivités étudiées. Nous complétons cette approche en montrant comment les populations locales vivent, perçoivent et s’expriment sur la présence postale. Nous utilisons à cet effet des données recueillies auprès de 1 410 habitants3 de communes rurales qui ont, en 2011, participé à une enquête par questionnaire dont l’objectif était de recueillir des réponses dans le domaine des services publics ruraux. L’investigation menée permet de décrire les contours des évolutions à l’œuvre et, ce faisant, de mieux comprendre les effets de la réorganisation postale en milieu rural.

L’entreprise, ses évolutions et ses liens avec le territoire

Le cadre européen est-il à l’origine de toutes les évolutions de La Poste ?

3La construction du marché unique en Europe a eu plusieurs conséquences sur la vie quotidienne des citoyens: la liberté de circulation est la plus connue, même si son corolaire est le durcissement de la politique migratoire aux frontières externes de l’UE. Le grand marché permet des échanges libres de droit de douanes même si sa contrepartie est la concurrence accrue dans différents domaines. Ainsi en est-il des activités du courrier. L’Union européenne est souvent perçue comme la responsable des transformations du réseau postal français. En réalité, si la libéralisation totale du marché du courrier est intervenue en 2011, après une phase transitoire libéralisant d’abord la distribution des colis, l’Europe impose aux États membres un « service universel de qualité » c’est-à-dire le ramassage et la distribution du courrier et des paquets en tout point du territoire européen au moins cinq jours par semaine. Chaque État doit donc garantir ce service à tout habitant de l’Union.

  • 4 Le Monde, 12 mars 2011.

4La décision de changer de statut (passage en société anonyme) pour La Poste est en revanche une décision nationale, et non pas européenne, qui date de 2008. Aujourd’hui, en effet, la majorité des entreprises postales en Europe sont encore publiques et certaines sont propriétés de l’État à 50 voire à 100%. La libéralisation et l’arrivée de nouveaux opérateurs est essentiellement vraie dans le cadre de la distribution de paquets ou de services de courrier spécifiques. En revanche, sur le flux classique de lettres, la concurrence n’est pas encore effective. D’autres raisons expliquent donc que d’ici à 2015, le trafic courrier devrait baisser de 30% 4, parmi lesquelles le développement d’Internet et ses conséquences en termes de dématérialisation des flux qui constitue une véritable révolution pour le secteur courrier. La Poste a d’ailleurs lancé à ce sujet en octobre 2011 une grande campagne de publicité pour la lettre en ligne « en un clic jusqu’à 19h et pour 0,99 centimes », la lettre expédiée par Internet est remise le lendemain par le facteur.

5La Poste est donc une entreprise qui se fixe, comme les autres, des objectifs: c’est le cas du plan Ambition 2015 dans lequel le taux de rentabilité qui était de 3,7% en 2010 est porté à 7,6% en 2015. Cette prévision oblige l’entreprise à dégager deux fois plus de bénéfices, ce qui a des conséquences directes sur son organisation territoriale et ses missions.

Derrière l’enseigne un vrai système en mutation

6Les missions de la Poste ont été définies par la loi et relèvent de quatre objectifs. Le premier concerne la distribution du courrier qui représente encore plus de la moitié de son activité, mais la diminution annoncée des volumes fait que 11700 postes ont été supprimés en 2010, un départ à la retraite sur 5 n’ayant pas été remplacé. Le second objectif porte sur l’accessibilité bancaire. La loi postale de mai 2005 a fait de la Poste, la Banque postale. C’est aujourd’hui la principale contributrice au résultat d’exploitation. La distribution de la presse est le troisième objectif. Enfin, l’aménagement du territoire est le quatrième objectif. C’est la loi du 2 juillet 1990 qui a précisé le cadre de cette mission: il s’agit du maintien d’un nombre minimal de points de contacts sur le territoire national soit 17 000 points. La loi définit aussi un autre critère: 90% de la population doit être à moins de 5 km et 20 mn en voiture d’un point de contact. C’est le cas aujourd’hui pour la totalité de la région Midi-Pyrénées à l’exception du Lot qui n’atteint pas encore cette moyenne.

7Pour faire face à ces missions, La Poste a organisé sa structure interne par entités différenciées en fonctions des métiers: l’enseigne, l’accueil, le courrier, les colis et la Banque postale. La connaissance du cloisonnement est extrêmement importante pour comprendre la logique de l’entreprise sur le territoire puisque une entité peut ignorer ce que fait une autre entité sur le même territoire. La question de la présence postale est donc directement liée à l’entité « enseigne ». Dans ce domaine, La Poste organise sa présence en terrains. Ainsi dans le pays des Monts de l’Autan, le terrain de Roquecourbe regroupe plusieurs points de contacts. Ces terrains sont organisés par grands ensembles géographiques regroupant des départements: par exemple, Tarn, Lot, Tarn et Garonne et Aveyron sont ensemble. À partir de ces terrains, La Poste raisonne en points de contact, ce qui nécessite une explication. Derrière le logo jaune sur le mur d’un bâtiment ou d’un commerce se cache en effet des formes de présence fortement différenciées. En termes de management, on parle ainsi de « bureaux centres » et « bureaux rattachés ». Le terrain correspond alors à la zone d’activité d’un bureau centre. Les formes de présence sont de trois types. Les bureaux en régie représentent la forme historique de la présence postale. Le fonctionnement de ces bureaux est assuré par du personnel de la Poste. À l’échelle nationale, 54% des employés ont le statut de fonctionnaires et 46% sont en en CDI. La Poste ne procède plus au recrutement de fonctionnaires depuis 2000 de sorte que, dans deux ans, les salariés de droit privé seront plus nombreux que les fonctionnaires. Dans ces bureaux un guichetier doit maîtriser 500 à 600 opérations différentes, dans le rural une centaine au maximum.

8Les agences postales communales (APC) constituent le second type de présence. Cette solution est proposée par La Poste pour des communes dans lesquelles l’activité est faible: entre 30 et 50 clients par jour ce qui représente une heure d’activité en temps cumulé. Il est nécessaire que la commune prenne une délibération en conseil municipal pour accepter le « déclassement » du bureau auparavant en régie et s’engage à maintenir une activité entre 15 à 18 h par semaine au choix de la commune. La Poste verse alors à la commune une indemnité puisque celle-ci prend en charge la gestion du local et des fluides (eau, électricité etc.). On assiste souvent à une mutualisation de l’emploi du salarié de La Poste avec le secrétariat de mairie. Le montant versé par La Poste aux communes est négocié entre l’association des maires de France et l’État: il représente actuellement 10 000 euros par an en moyenne mais peut faire l’objet d’une bonification si la commune est classée en zone de revitalisation rurale (ZRR) ou en zone de montagne. Concrètement, le bureau postal se compose d’un terminal qui permet d’assurer 80 à 85% des opérations courantes. L’employé ne dispose cependant pas de la vision globale des comptes de l’usager en vertu de la politique de confidentialité. Les différents exemples conduits dans le pays des Monts de l’Autan, l’un de nos quatre terrains de recherche, indiquent que le passage en APC n’a pas réduit le trafic.

9Enfin, la troisième forme de présence est celle des relais commerçants. Ce dispositif présentiel est réservé aux communes les moins dynamiques sur le plan de l’activité et permet donc de ne gérer que les opérations postales les plus simples. La Poste verse 300 euros par mois au commerçant et lui offre aussi des commissions sur les ventes réalisées. Cette solution est présentée par un responsable de terrain du pays des Monts de l’Autan comme « utile au développement des villages, puisque le commerçant a des horaires plus importants en amplitude par rapport à une agence et il peut aussi augmenter son chiffre d’affaires ».

10Au plan national, entre 2002 et 2010, le nombre d’agences postales communales est passé de 900 à 5 000. Les relais commerçants de 400 à 1500. Dans le même temps, les bureaux de La Poste en régie diminuaient de 15 700 à 10 500. Dans le Tarn, on compte aujourd’hui 40 APC et 100 en Aveyron. Le passage d’un statut à l’autre se fait dans un seul sens et ne permet pas le retour en arrière pour des territoires ruraux le plus souvent touchés par un déclin démographique. Même si une dynamique récente de population ou la saison estivale provoquent une augmentation du nombre d’habitants, le plus souvent le changement est irréversible. Les APC et les relais commerçants permettent une mutualisation de plus en plus fréquente autour de ce qui est appelé les « points multiservices » ou encore les « multiples ruraux ». Ce sont des lieux du type « relais de service public » qui regroupent des modalités d’accès aux administrations ou bien des commerces offrant différents services. Sur le terrain de Roquecourbe dans le pays des Monts de l’Autan, on note 4 bureaux en régie, 2 APC et 2 relais Poste.

11La Poste s’est dotée d’une très bonne information statistique qui lui permet de suivre en temps réel les pratiques des usagers: les bureaux recensent le nombre de visites par jour et la nature des opérations qui font l’objet d’une conversion en points/minute attribués en fonction du temps passé pour réaliser une opération. Ainsi, certaines opérations sont plus valorisées que d’autres: la remise de chèque ne donne pas de point alors que le mandat permet de multiplier les points par 2 ou 3. En dessous de 50 000 points par an, la direction de La Poste considère que la gestion directe n’est plus intéressante. La distribution du courrier n’a pas d’influence sur les bureaux alors que certains élus ont conseillé à leurs administrés de s’abonner à des revues pour faire gonfler les points par bureau. Ce qui compte, en réalité, c’est le dépôt de courrier: par exemple, à Roquecourbe, le responsable du terrain fait tout pour capter les flux de colis. Ainsi dans le chiffre d’affaires de ce bureau, le courrier compte pour 9% (volume et montant) du Tarn sud et 17% pour les colis. 85% de ce chiffre d’affaires est réalisé auprès des entreprises. L’installation d’automates n’a pas d’incidence sur l’emploi puisque les opérations sont imputées sur les bureaux. Les données statistiques traitées depuis Toulouse permettent à La Poste d’adapter régulièrement les contours des terrains. Cette utilisation des outils de géomarketing est une donnée de base de ce service.

Des enjeux sur les territoires

Des conflits d’acteurs ?

12Même si elles sont peu visibles de l’extérieur, le logo jaune étant le plus souvent toujours présent dans l’espace rural, les transformations évoquées ci-dessus donnent lieu à des négociations et oppositions très fortes entre les usagers, les élus et la direction de La Poste. La loi postale a d’ailleurs prévu un ensemble de lieux de concertation pour anticiper les conflits. Ainsi, l’Observatoire national de la présence postale qui existe depuis 2008 compte dans ses rangs deux élus de la région Midi-Pyrénées: M. Thierry Carcenac, Président du conseil général du Tarn et M. Jean Launay député PS du Lot (maire de Bretenoux). Cette commission, prévue dans la loi de mai 2005, a pour objet principal l’attribution d’un fonds de péréquation en faveur des départements (135 millions en 2011). La somme est fixée chaque année à partir d’une négociation entre l’État, l’association des maires de France et La Poste. À l’échelle départementale, les évolutions de la présence postale sont suivies de près par une commission départementale qui produit des « rapport de maillage » indiquant l’évolution de la présence postale.

13En dehors de ces grandes instances, les transformations de la présence postale nécessitent un dialogue au quotidien avec les élus. Or, la structuration de l’entité de La Poste n’est pas simple à appréhender compte tenu de la présentation que nous avons faite de ce système. Pour faire le lien entre cette organisation particulière, ces découpages en métiers et les acteurs locaux, des directions territoriales de La Poste ont été créées. Le directeur de celle de Toulouse a ainsi pour principal rôle de « mettre de l’huile dans les rouages » pour expliquer aux élus les stratégies de La Poste.

14Dans ce dispositif, La Poste essaie d’éviter les conflits. Les instances nationales ou départementales de régulation parviennent le plus souvent à un consensus lors de la prise de décision. En revanche, certaines communes cristallisent des oppositions qui peuvent produire de vrais conflits entre élus et usagers d’un côté, services de La Poste de l’autre. Ainsi dans l’Ariège, en 2008, une mésentente entre le directeur départemental et les élus a conduit ces derniers à ne plus siéger à la Commission départementale.

Du sur mesure pour les territoires : la bonne formule ?

15Les différents dispositifs que nous venons de présenter indiquent le souci des dirigeants de La Poste d’adapter leur présence aux dynamiques socio-économiques des territoires. Dans l’espace rural, les logiques de rentabilité sont atténuées par la mission de service public de l’entreprise. Il est extrêmement difficile de juger si ces adaptations satisfont pleinement les usagers des communes rurales. Il apparaît néanmoins que la transformation d’un bureau en régie vers une autre forme de présence est comprise dans la plus grande majorité des cas. Et le fait que ce soit l’élu au final qui organise les heures d’ouverture et gère les locaux compte pour beaucoup dans cette compréhension; les relations en sont d’autant pacifiées. Ça et là, on observe néanmoins des résistances à ces changements comme, par exemple, à Vidouze, commune de 268 habitants dans le Val d’Adour, où le maire élu en 1996 est en conflit avec La Poste depuis cette date. Il reste opposé à la mise en place d’une APC sur sa commune, alors que le pays du Val d’Adour a été très innovant par la signature d’une convention avec La Poste garantissant une ouverture tous les jours de la semaine avec un temps cumulé de 18h par semaine. L’élu refuse le départ de l’employé de La Poste: « un employé communal, ce n’est pas La Poste, donc ce n’est plus un service public ». Les 900 euros par mois proposés par La Poste à la commune pour assumer ce service lui paraissant insuffisant, il ajoute: « c’est une question de principe, de proximité et aussi une question financière ». Ailleurs, dans une commune proche, la transformation a été acceptée avec résignation: « entre la peste et le choléra on a pris ce qui fait le moins mal ». Et la secrétaire de mairie d’ajouter que l’APC est ouverte bien plus que les 18 h négociées: « quand la mairie est ouverte, La Poste est ouverte ». Les élus soulignent l’évolution de La Poste à travers des signes précis. Par exemple à Mirepoix, les élus indiquent que la nature des relations avec les responsables de La Poste a changé: « quand ils viennent, ce sont des commerciaux ». À Laroques d’Olmes, l’élu explique que la stratégie de La Poste est logique: « dès que l’on veut se débarrasser d’un bureau de Poste, la solution est simple, on réduit le personnel et c’est la pagaille. Les gens vont ailleurs, il n’y a alors plus de volume et ensuite on dit que le bureau ne travaille pas assez, c’est trop facile ».

16Plus on s’éloigne des villes petites et moyennes et plus la crispation semble grande. Nous avons en effet visité des communes rurales dans lesquelles la question de l’éloignement aux services se pose réellement. Dans ce contexte, la disparition du service postal ou sa transformation sont vécues comme un signe de plus du désengagement de l’État envers les territoires de faible densité. Notons toutefois que c’est rarement la transformation de La Poste qui cristallise le mécontentement des élus et des habitants, mais plutôt la juxtaposition voire la superposition dans un temps très court du retrait de l’État via les services publics: cette concomitance pose problème et la transformation de La Poste et des écoles est alors vécue comme le symbole du départ de l’État, en produisant un effet « boule de neige ».

Le regard des habitants du rural sur le service postal

Le maintien de l’accessibilité et la détérioration de l’offre

  • 5 Nous disposons d’un groupe témoin constitué de 1397 habitants résidant dans des villes moyennes sit (...)

17Quel usage les habitants du rural font-ils de La Poste et quelle perception en ont-ils? Comment perçoivent-ils les évolutions en cours? Quelles attentes et opinions expriment-ils sur la réorganisation en marche? Si à l’échelle nationale, La Poste est une des entreprises les plus populaires de France, 84.2% des habitants des communes rurales interrogés dans notre enquête déclarent tout de même qu’elle s’est détériorée et que cela ne va pas changer durant les cinq prochaines années. Même si ce constat est globalement partagé par les habitants de l’urbain (67.2% )5, il est nettement plus marqué dans le rural, quel que soit l’âge, le milieu professionnel ou le secteur d’activité des personnes interrogées. Comment interpréter ce résultat? À quoi font référence les personnes interrogées lorsqu’elles évoquent cette détérioration?

  • 6 Selon nos données, le seuil fixé par la loi de régulation postale de mai 2005 est respecté pour les (...)
  • 7 Les aménagements d’horaires de La Poste de la petite ville de Pompignac ont ainsi conduit une parti (...)
  • 8 Citons pour l’illustrer cet extrait d’entretien mené avec une guichetière d’un point poste « On a p (...)

18Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément penser, ce qui est en cause n’est pas directement lié à l’absence postale et aux temps d’accès trop longs. Si les médias se focalisent souvent sur des collectifs de villageois qui défendent un bureau de poste menacé de disparaître, les habitants que nous avons interrogés se déclarent globalement satisfaits de l’implantation territoriale de La Poste. La plupart d’entre eux (97.7%) estiment même qu’ils peuvent avoir accès à une présence postale à moins de 20 minutes de chez eux6. En fait, la dégradation évoquée concerne d’abord les restrictions d’accès à La Poste. La réorganisation de l’offre postale se traduit souvent par de nouveaux horaires d’ouverture dans les bureaux comme dans les agences postales communales. Le maintien de la présence postale associée à une nouvelle ventilation des horaires n’est pas toujours bien accepté et peut même conduire à l’abandon d’un guichet pour un autre comme le montre le cas emblématique de Pompignac7. Cette réorganisation postale renouvelle le problème de l’accessibilité au service, d’autant que les permanences assurées peuvent varier en fonction des jours de la semaine et d’un point Poste à l’autre. C’est cette rupture entre une action traditionnelle, habituelle, automatique, qui ne nécessitait pas de réfléchir à ce que l’on devait faire pour aller chercher un colis, affranchir une lettre ou retirer de l’argent, qui est vécue par une partie du public comme une nouvelle contrainte. Dans ce domaine, les Relais Poste échappent à la critique puisque l’accès aux services postaux est déterminé par les horaires du commerce qui les accueille. C’est souvent dans l’un des seuls commerces du village – le bar-tabac, l’épicerie ou la boulangerie – que l’on trouve une présence postale. Ici, pas de surprise, les horaires du commerce de proximité sont connus et l’amplitude horaire est suffisamment importante pour s’adresser au plus grand nombre d’habitants, y compris aux actifs peu disponibles. On peut également nuancer la contribution des évolutions horaires au sentiment de détérioration de La Poste si l’on tient compte des efforts qui sont faits par les bureaux et les agences communales pour coller au plus près des habitudes de vie des habitants. D’un côté, la contrainte imposée par La Poste aux communes rurales de ne pas maintenir la même amplitude horaire et de répartir sa dotation globale de 18 heures hebdomadaire a souvent conduit à une meilleure prise en compte des rythmes de vie de la commune8. Mais, d’un autre côté, les nouveaux horaires d’ouverture ne conviennent forcément pas à tous les habitants. Les actifs sont les moins enthousiastes et ne s’en satisfont pas. Ils sont d’ailleurs près d’un tiers à indiquer que pour améliorer leur accessibilité ils pourraient consentir à une délocalisation du service si les horaires étaient plus étendus. Plus mobiles que les autres, ils sont les plus nombreux à dire qu’ils profitent d’un déplacement en ville pour se rendre à La Poste.

Tableau 2 – Les populations les plus vulnérables

Pas de véhicules

Pas d’équipement Internet

Ensemble de la population

Utilisation impérative d’un véhicule motorisé pour aller à La Poste

48.9%

72%

70.3%

Créer des lieux d’accueil regroupant plusieurs services publics

67.4%

78.3%

80.8%

Installer des permanences tout près de chez vous, mais quelques heures par semaine seulement

77.3%

78.9%

76.4%

Développer les transports en commun

77.8%

70.8%

69.6%

Développer l’accès aux services publics

par Internet

26.6%

25.3%

56.4%

Bénéficier d’horaires d’ouverture plus étendus, mais plus éloignés de chez vous

23.8%

22.5%

27.9%

N= 47

N= 388

N= 1401

  • 9 On gagnerait peut-être à distinguer les localités où l’on trouve des distributeurs automatiques de (...)

19L’autre aspect qui rend compte du sentiment de détérioration concerne la diversité des prestations offertes. Les opérations proposées aux usagers de La Poste varient désormais en fonction des points de contact. Une partie de la standardisation de l’offre de service a disparu avec la déclinaison de la présence postale en différents points de contact. Par exemple, les retraits et les versements que peuvent faire les clients sont limités à une somme de 300 € par compte, et par période de sept jours en agence communale9. Les Chronopost ne sont pas systématiquement proposés, tout dépend du poids du colis. L’offre est encore moins étendue dans les relais commerçants qui en matière postale jouent plutôt un rôle de dépannage et de service minimum. Pour les usagers concernés, le sentiment d’une dégradation est ici clairement associé au fait d’avoir moins de choix et de possibilités d’opérations postales.

  • 10 L’analyse des relations de service s’est efforcée de montrer que la multiplication des réformes dan (...)

20C’est enfin dans le domaine des conditions d’accueil que l’on peut expliquer une partie de la dégradation postale exprimée par les habitants du rural. Les usagers indiquent qu’avec la restructuration des bureaux de poste, c’est une partie des personnels qualifiés, pour qui l’activité de La Poste constitue le cœur de métier, qui a disparu. Il faut dire que dans les agences communales les personnels sont le plus souvent polyvalents et peu formés. C’est encore plus manifeste dans les Relais Poste commerçants où l’activité postale s’affiche comme une activité supplétive et parfois même accessoire. Dans ce cadre, la réorganisation postale et donc de personnel suscite de nouvelles relations de service10 qui ne satisfont pas toujours les usagers. Cette situation n’est pas anodine et revêt un aspect particulier dans un service public que beaucoup de travaux identifient comme la banque des plus précaires et où le traitement des plus démunis repose aussi sur la sollicitude des agents et leur sens de la compassion. Ce traitement « hors normes » ou « hors cadre » a souvent été analysé comme de nouvelles « normes de prestation de cohésion sociale » (Gadrey, Ghillebaert, Gallouj et Duplaa, 1997). La capacité des agents d’accueil à s’impliquer dans les cas qu’ils jugent douloureux et à proposer aux usagers fragiles des solutions n’est-elle pas remise en cause lorsque l’activité postale se réduit à du commerce comme dans les relais commerçant? La réponse à cette question n’est pas simple, d’autant que les personnels des points de contact sont le plus souvent des habitants locaux qui entretiennent de fait des relations de proximité avec les usagers. L’interconnaissance très forte qui caractérise les relations sociales en milieu rural fait oublier le caractère public ou marchand du service. On peut louer les vertus humaines et fonctionnelles de cette familiarité, mais on peut aussi en imaginer les effets pervers. En tout état de cause, elle vient marquer une rupture avec les obligations d’un agent public tenu au devoir de discrétion, d’intégrité et au respect du secret. C’est d’ailleurs pour cette raison que les opérations bancaires sont très limitées dans les agences communales et les relais commerçant.

L’attachement à la proximité et le sentiment d’exclusion

  • 11 97.7 % estiment les petits commerces à moins de 20 minutes et 99 % estiment les écoles élémentaires (...)

21Pour comprendre le rapport qu’entretiennent les habitants du rural à La Poste il faut aussi insister sur sa spécificité. Pour les ruraux, La Poste est clairement un service différent des autres. C’est d’abord un authentique service de proximité qui, pour la majorité de la population enquêtée, se situe à une distance comparable de l’école élémentaire et des petits commerces alimentaires11. C’est ensuite un service que les habitants fréquentent prioritairement à côté de chez eux. Ils sont 91,5% à dire se rendre au guichet le plus proche de leur domicile. En comparaison, l’école et les petits commerces ne bénéficient pas de la même attractivité. Seuls les deux tiers des personnes de notre échantillon envoient leurs enfants à l’école la plus proche de leur domicile et 86.6% fréquentent les épiceries et les commerces alimentaires de proximité. Enfin, La Poste est un service que les usagers disent souvent fréquenter (tableau 1).

Tableau 1 – La fréquence des visites dans les services de proximité (N=1410)

Tableau 1 – La fréquence des visites dans les services de proximité (N=1410)

2278.8% disent aller à la Poste au moins une fois par mois. C’est peu par rapport aux visites dans les petits commerces de proximité, mais c’est beaucoup si l’on admet que La Poste ne répond pas à un besoin essentiel et qu’il existe bien des manières d’éviter d’être aussi assidu au guichet. Depuis longtemps déjà, la Poste propose une gamme de services et de produits diversifiés sur Internet et certains produits postaux (timbres, courrier préaffranchi, etc.) peuvent être achetés ailleurs qu’à La Poste. À travers leurs réponses, les habitants du rural semblent ainsi vouloir signifier leur attachement à la présence d’une Poste de proximité. Le développement de la dématérialisation des échanges qui tous les jours fait perdre des clients à La Poste ne semble pas modérer cette volonté. Lorsque l’on propose aux habitants de se prononcer sur l’usage d’Internet comme forme alternative de recours aux services publics, c’est chez les publics les plus jeunes que cette possibilité est le plus facilement envisagée. Chez les 18-24 ans cette proposition obtient 80.7% d’opinions favorables. Jusqu’à 50 ans c’est en moyenne 70% de la population qui lui est favorable, après 50 ans le nombre d’opinions défavorables ne cesse d’augmenter. Cet attachement des plus âgés à la présence d’un guichet dans leur localité répond sans doute aux difficultés qu’ils rencontrent avec Internet et aux sentiments qu’ils ont d’être fragiles, isolés et moins informés. Mais cet attachement est aussi certainement symbolique. Sans doute parce qu’avoir une Poste dans sa commune c’est aussi avoir le sentiment que la vie collective se maintient et qu’elle peut se développer dans des territoires que l’on sait fragiles.

23Ce qui caractérise le rapport des habitants à La Poste est également lié à son identité publique. Alors même que les évolutions organisationnelles et commerciales contredisent cette représentation, elle reste perçue comme un service public. C’est d’ailleurs La Poste que les habitants du rural évoquent en premier lorsqu’on leur demande de citer des services publics (CSA, Datar, 2005). Elle est, comme l’école, un emblème de la présence publique en milieu rural. La Poste est à cet égard symbolique parce qu’elle représente un des derniers services publics à être dans les localités rurales quand bien des établissements ne sont déjà plus là. C’est peut-être même parce qu’elle en est un des derniers symboles qu’elle est souvent au centre des polémiques sur les fermetures de services publics en milieu rural. Ce qui se joue dans cette revendication d’une présence postale ce n’est pas seulement le droit à disposer d’un service, c’est aussi la volonté d’être reconnu comme appartenant à la communauté nationale et le souci de défendre sa commune locale vis-à-vis de l’intercommunalité. Défendre la présence postale n’est-ce pas aussi une façon de défendre le maire et son village contre les nouvelles formes d’organisation des collectivités locales? Les habitants du rural ne réclament pas un service postal, mais bien plus que cela. Là où les gestionnaires de La Poste évoquent une crispation idéologique, on peut tout aussi bien voir des habitants qui revendiquent le droit d’obtenir les mêmes services que l’ensemble des Français. Il y a dans cette revendication d’usagers l’idée que la performance publique dépend aussi des réponses apportées, en termes d’équité, de solidarité, de précaution et de responsabilité (Warin, 1999).

24L’attachement que les habitants manifestent à vouloir préserver une poste de proximité est aussi une manière d’exprimer leur loyauté aux employés de La Poste au premier rang desquels on trouve les facteurs. Comme les « instituteurs » de l’école communale, les personnels de La Poste sont, en milieu rural, des figures populaires du service public à qui sont associés des images de dévouement et un sens de l’intérêt collectif. Ces personnels incarnent de manière concrète, dans une relation pratique, un lien avec tous les usagers, y compris ceux qui résident dans des zones reculées ou difficiles d’accès. Dans des territoires où la question du lien social et de la solidarité de proximité revêt une dimension particulière, la présence de La Poste paraît à ce titre essentielle.

L’attente de reconnaissance et de réparation

25À partir des résultats précédents, on peut se demander au service de qui La Poste agit dans les territoires ruraux? Pour le législateur, il ne fait pas de doute que la loi qui fixe les règles de l’implantation postale sert l’intérêt des habitants des communes rurales. Pour La Poste, qui porte une attention grandissante aux coûts et qui négocie sous différentes formes sa présence sur les territoires, c’est la rentabilité qui semble dicter sa conduite. À cet égard, le client qui l’intéresse en priorité est celui qui permet de faire du chiffre. Mais, pour chaque guichetier, comme pour sa direction générale, commerciale ou stratégique, l’usager est d’abord un indice, une statistique qui mesure le trafic d’un point de contact postal. C’est le nombre de visites journalières et les types d’opérations postales réalisées qui octroient des points. Plus l’usager demande une opération qui consomme du temps de travail au guichetier plus le nombre de points augmente. C’est donc moins le prix que la quantité de temps nécessaire pour servir l’usager qui rend compte de la vitalité d’un point poste. L’attention portée à ces indicateurs comptables est particulièrement soutenue en milieu rural. Du point de vue du rapport aux usagers, cela se traduit par une amélioration volontaire ou non de la qualité du service rendu. La part du relationnel, du temps accordé à l’usager est décrite comme étant sans commune mesure avec ce que l’on connaît des guichets de La Poste en zone urbaine. Comme en témoigne le taux de fréquentation important des postes rurales, les usagers paraissent sensibles à cet aspect. Mais ces bonnes conditions d’accueil ne suffisent pas à assouvir le besoin qu’ils ont que l’on reconnaisse leur statut d’usager particulier. Dans ce registre, il y a le sentiment, que nous avons précédemment évoqué, d’appartenir à un groupe social délaissé par les pouvoirs publics. À un moment où l’on dit les citoyens de moins en moins confiants dans les institutions publiques traditionnelles et en crise avec la représentation politique, les réponses des usagers expriment une demande de reconnaissance et de réparation des préjudices subis. Envisagées de cette manière, ces attentes peuvent revêtir un caractère constructif puisqu’elles traduisent le désir de continuer à entretenir des liens avec La Poste sur le même territoire plutôt que de le quitter.

26S’ajoute à cela l’impression de devoir prendre à leur charge une partie des dépenses que n’engagent plus les services publics. Cet aspect est évoqué à propos des déplacements qu’ils doivent faire pour aller à La Poste. Ainsi, pas moins 70.3% des publics interrogés déclarent que l’usage d’un véhicule est nécessaire pour se rendre au point postal le plus proche. Les populations qui n’ont pas de véhicule et qui ne disposent pas d’équipement Internet peuvent à cet égard être plus vulnérables que les autres (tableau 2). Dans notre échantillon 48.9% de ceux qui n’ont pas de véhicule et 72% de ceux qui n’ont pas Internet à leur domicile affirment qu’il est indispensable d’être motorisé pour se rendre à La Poste.

27Si l’utilisation d’un véhicule n’est pas nouvelle, la distance physique qui sépare les usagers du point de contact paraît encore plus contraignante quand les horaires d’ouverture ne conviennent pas ou quand toutes les prestations postales ne sont pas disponibles dans une agence communale ou dans un relais commerçant. C’est le même type d’argument que les habitants évoquent lorsqu’ils endossent les habits du contribuable mécontent de sa collectivité locale à qui ils reprochent de leur faire payer le salaire du personnel qui assure la présence postale communale. Ce type d’argumentation n’est pas sans poser la question de l’acceptabilité sociale, d’autant que parmi les solutions privilégiées pour faciliter l’accès aux services publics ce sont toujours celles qui proposent de maintenir la proximité spatiale qui remportent l’adhésion du plus grand nombre. Dès lors, l’accès aux services en ligne peuvent-ils être envisagés comme une réponse aux attentes de proximité des habitants? On peut en douter au regard des solutions retenues par l’ensemble des populations interrogées, et notamment par celles qui n’ont pas de véhicule ou n’ont pas Internet (tableau 2). L’alternative des services en ligne pourrait ainsi involontairement renvoyer vers les guichets les usagers les plus vulnérables.

28La présence postale en milieu rural est une vraie question d’aménagement du territoire. Comme nous venons de le voir, l’État continue de faire de La Poste un acteur important de sa présence. La modification du statut de la société a cependant complètement réorganisé son rapport au territoire. Les garde-fous actuels sont des moyens extrêmement puissants pour stabiliser la présence postale. Sans eux, le maillage territorial de La Poste serait à coup sûr extrêmement différent. Les maires sont à ce titre devenus des acteurs des politiques postales. L’État et La Poste ont souhaité les associer à la prise de décision, sans que leur marge de manœuvre soit très grande. Ils participent ou subissent de fait le renforcement des inégalités entre les communes.

29Selon la logique actuelle, plus les territoires sont isolés plus l’offre postale est réduite: les relais commerçants proposent ainsi une offre de services moins diversifiée que les agences postales communales, dont l’offre est moins importante que dans les bureaux. La transformation d’un bureau de poste en point relais revient ainsi à pénaliser les catégories de population les plus défavorisées, celles qui n’ont ni les moyens financiers ni les possibilités de transport pour se rendre plus loin, dans une poste plus performante. La Poste participe ainsi, malgré elle, à la ségrégation des habitants isolés auxquels elle réserve une offre de second choix. En somme, l’offre postale est le reflet de la ségrégation spatiale et contribue aussi à l’organiser ou à la renforcer. Cet aspect est partiellement compensé par un meilleur contact entre usagers et agents et par des horaires plus adaptés, mais est-ce suffisant?

30Dans les années à venir, si les tendances au vieillissement et à la paupérisation du rural se confirment, La Poste risque d’être confrontée à ce qu’il est désormais commun de qualifier un « débordement du social » (Informations sociales, 1999). Dans de nombreuses zones rurales, La Poste s’adressera prioritairement aux usagers les plus fragiles (les personnes âgées et les personnes au revenu modeste) qui fréquentent les établissements les plus proches et recherchent un accueil physique. Comment ce service pourra-t-il répondre à cette sollicitation qui sort du cadre de la relation entre prestataire de service postal et usager? Il faudrait se garder d’envisager une spécialisation de l’accueil pour ces publics « en difficulté » sans anticiper les effets qui pourraient se produire (Siblot, 2005).

31Alors même que les habitants du rural reconnaissent ne pas rencontrer de difficultés pour accéder au guichet, le maintien d’une présence postale constitue pour eux, et à différents titres, un authentique sujet de préoccupation. En tant qu’usagers, ils regrettent la dégradation de l’offre de service postal; en tant que citoyens, ils dénoncent les limites de l’action des pouvoirs publics à maintenir un service public rural; en tant qu’habitants, ils manifestent leur inquiétude face à la défection des commerces et des services des communes où ils vivent. À cela s’ajoute le sentiment qu’ils ont de devoir accepter de faire des kilomètres supplémentaires, de s’adapter aux nouveaux horaires et de consentir à employer un agent communal pour assurer un service qui jusque-là était pris en charge par La Poste. Jusqu’où et pendant combien de temps ces habitants accepteront-ils de compenser ce déficit de présence sur leur lieu de vie?

32De son côté, La Poste ne cherche pas nécessairement à diversifier son offre de service pour répondre aux besoins des habitants des zones rurales. Pourtant, pour les élus comme pour l’État, la présence d’agents de La Poste au quotidien dans les zones rurales devrait permettre d’asseoir un certain nombre de dispositifs dans le cadre de la revitalisation de l’espace rural. C’est ainsi que des expériences ont pu être menées sur le portage de repas à domicile par les facteurs ou encore sur la formation des facteurs au passage à la TNT. Ces expériences ont été peu développées à ce jour.

Haut de page

Bibliographie

Adam (H.), 2010, « Privatisation réalisée, privatisation en cours: des télécommunications à La Poste », in L. Bonelli et W. Pelletier, (dir.), L’État démantelé, enquête sur une révolution silencieuse, La découverte, 260-265.

Bauby (P.), 2009, « Est-on obligé de privatiser la Poste? » Télérama, 9 décembre.

Csa Opinion-Institutionnel, 2005, Enquête nationale sur les services publics en milieu rural, Service d’information du Gouvernement, DATAR, France.

Dornier (D-M.), 2010, « Mutualisation des services publics en milieu rural », La Gazette des communes, 4 octobre.

Dornier (D-M.), 2009, « En tournée avec les facteurs des Cévennes, Le Monde 2, 3 octobre 2009.

Fijalkow (Y.), 2006, Usagers ou consommateurs? France Télécom ou la dérégulation du service public, Toulouse, PUM.

Fijalkow (Y.), 2005, « La vie au guichet, relation administrative et traitement de la misère. Le sens du travail. Chronique de la modernisation de guichet. L’État au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics », Sociologie du travail, vol 47, n° 4, octobre décembre, 537-540.

Gadrey (J.), Ghillebaert (E.), Gallouj (F.), Duplaa (D.), 1997, « Analyser les prestations de cohésion sociale “hors cadre” des services publics et leur coût: le cas des relations de guichet à La Poste », Politiques et Management Public, vol 15, n° 4, 119-144.

Ifop, 2011, Les Français et l’argent liquide, sondage réalisé auprès de 1003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, pour le compte de la société WINCOR NIXDORF.

Informations sociales, 1999, Les institutions face au débordement du social.

Martin (E.), 2011, La présence postale en milieu rural, l’exemple du pays de Figeac et du pays du Sidobre-Monts de Lacaune, Mémoire de master, Université de Toulouse, France.

Siblot (Y.), 2005, « “Adapter” les services publics aux habitants des “quartiers difficiles”. Diagnostics misérabilistes et réformes libérales », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 159, 70-87.

Warin (P.), 1999, « La performance publique: attentes des usagers et réponses des ministères », Politiques et management public, vol. 17, n° 2, 147-164.

Haut de page

Notes

1 Palmarès Posternak-Ipsos-JDD, Le journal du dimanche, 15 janvier 2012. Ce classement mêle des enseignes publiques et privées.

2 Plusieurs séries d’entretiens ont été effectuées par nous-mêmes avec des personnels de la Poste, mais aussi par Elsa Martin, étudiante en M2 (2011).

3 Cette enquête a été réalisée par voie de questionnaire et effectuée au téléphone par des étudiants de la licence de sociologie du Centre universitaire Jean-François Champollion entre mars et juin 2011.

4 Le Monde, 12 mars 2011.

5 Nous disposons d’un groupe témoin constitué de 1397 habitants résidant dans des villes moyennes situées sur les territoires de l’étude (Foix, Pamiers, Tarbes, Pau, Figeac, Cahors et Castres). Ce groupe témoin a été soumis aux mêmes questions que celles qui ont été posées aux habitants des communes rurales.

6 Selon nos données, le seuil fixé par la loi de régulation postale de mai 2005 est respecté pour les territoires étudiés puisque, selon cette dernière, 90 % de la population d’un département doit trouver un point de contact postal à moins de 5 km de son domicile.

7 Les aménagements d’horaires de La Poste de la petite ville de Pompignac ont ainsi conduit une partie de la clientèle à faire défection. Le rétablissement par le maire, Denis Lopez, des horaires originels a vu le nombre de clients passer de 30 par semaine à 300 (Documentaire, la Poste : la chasse aux économies est ouverte, novembre 2010, émission Capital).

8 Citons pour l’illustrer cet extrait d’entretien mené avec une guichetière d’un point poste « On a pris les heures d’ouverture avec l’école. Voilà, neuf heures... L’école c’est neuf heures- midi donc, je suis là à midi et quart donc les mamans si elles n’ont pas eu le temps elles peuvent encore passer. Maintenant c’est bon, on a pris nos marques, c’est le matin... Le mercredi c’est ouvert, on peut venir le mercredi matin, le samedi c’est ouvert le matin. »

9 On gagnerait peut-être à distinguer les localités où l’on trouve des distributeurs automatiques de billets, des localités où rien n’existe en compensation de l’absence d’une agence postale. Il faut néanmoins avoir à l’esprit que les comportements de retrait diffèrent selon les critères d’âge et de localité. Ainsi, un sondage réalisé par l’IFOP en 2011 dévoile que les retraités (64 % ) et les habitants de communes rurales (54 % ) préfèrent se rendre à l’intérieur de l’agence pour retirer de l’argent, une minorité utilisant les distributeurs dans la rue (respectivement 28 % et 39 % ).

10 L’analyse des relations de service s’est efforcée de montrer que la multiplication des réformes dans le service public s’observe dans la compétence relationnelle des agents en interaction avec les usagers (Fijalkow, 2005).

11 97.7 % estiment les petits commerces à moins de 20 minutes et 99 % estiment les écoles élémentaires à la même distance.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Tableau 1 – La fréquence des visites dans les services de proximité (N=1410)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/1674/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 77k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Ygal Fijalkow et François Taulelle, « La Poste en milieu rural : une gestion entre rentabilité et aménagement du territoire »Sciences de la société, 86 | 2012, 34-49.

Référence électronique

Ygal Fijalkow et François Taulelle, « La Poste en milieu rural : une gestion entre rentabilité et aménagement du territoire »Sciences de la société [En ligne], 86 | 2012, mis en ligne le 01 juin 2012, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/1674 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.1674

Haut de page

Auteurs

Ygal Fijalkow

Maître de conférences en sociologie, CUFR Champollion et chercheur au CERTOP (UMR CNRS-Université de Toulouse), ygal.fijalkow@univ-jfc.fr

Articles du même auteur

François Taulelle

Professeur de géographie et aménagement, CUFR Champollion, chercheur au LISST (UMR CNRS-Université de Toulouse), francois.taulelle@uiv-jfc.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search