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Alpi, d’Armin Linke. Getting back to the wrong nature

Alpi of Armin Linke. Getting back to the wrong nature
Alpi de Armi Linke. Getting back to the wrong nature
Emilie Hache
p. 114-127

Résumés

Les représentations de la nature accompagnent toute la modernité européenne. Peintures, dessins, mais aussi poèmes ou chants, elles prirent en particulier la forme du paysage, ce dernier figurant une nature autonome, intéressante pour elle-même, telle que les sciences modernes la construisirent comme leur objet privilégié. Or, la crise écologique que nous traversons aujourd’hui est d’abord une crise du concept de nature. Cette crise interroge alors aussi ces formes de représentation qui jusqu’alors nous paraissaient « naturelles » et qui, se révèlent historiquement et géographiquement situées. Que représente-t-on quand on peint la nature? Nous réfléchirons à cette question à travers l’étude d’un film récent de l’artiste Armin Linke, Alpi, qui réussit à filmer la nature d’une façon non « naturaliste » selon la terminologie de l’anthropologue français Philippe Descola.

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Texte intégral

  • 1 Armin Linke, Alpi, Tretino film commission, 2011.

1Les représentations de la nature accompagnent toute la modernité européenne. Peintures, dessins, mais aussi poèmes ou chants, elles prirent en particulier la forme du paysage, ce dernier figurant une nature autonome, intéressante pour elle-même, telle que les sciences modernes la construisirent comme leur objet privilégié. Or, la crise écologique que nous traversons aujourd’hui est d’abord une crise du concept de nature. De quoi parle-t-on en effet quand on parle de crise écologique ? Qu’est-ce qui est en crise ? On pourrait répondre en premier lieu que c’est le type de lien que la modernité a inventé et entretenu avec les non-humains qui est mis en question. Cette crise interroge alors aussi ces formes de représentation qui jusqu’alors nous paraissaient ‘naturelles’ et qui, se révèlent historiquement et géographiquement situées. Que représente-t-on quand on peint, on dessine la « nature » ? Quelle conception du réel se joue dans ces représentations ? Par exemple, dans les nombreux tableaux et dessins de paysages de montagne avec spectateur, reproduisant notamment les Alpes, la grande chaîne de montagnes se situant au cœur de l’Europe ? Nous essayerons de réfléchir à ce problème à travers l’étude d’un film récent de l’artiste Armin Linke, Alpi1, qui réussit à filmer de façon tout à fait singulière la ‘nature’, et à donner ainsi à voir ces questionnements –théorique, politique et moral– complexes de la manière apparemment la plus simple.

Ne pas filmer la wilderness européenne

2La chaîne montagneuse européenne des Alpes, à cheval sur une petite dizaine de pays, constitue une barrière de 1200 kilomètres entre la Méditerranée et le Danube. De cette montagne, les Européens, mais pas seulement, partagent un imaginaire collectif – qui du plus haut sommet d’Europe, le Mont blanc, qui du trafic routier et des tunnels traversant ce massif, ou encore qui de sa faune et de sa flore au sein du parc naturel de la Vanoise, uniques dans cette région. Son économie est principalement liée à l’élevage et au tourisme estival comme hivernal, c’est-à-dire à la ‘nature’, animale et montagneuse (Knafou, 2004). Outre des enjeux locaux concernant par exemple la bonne gestion des animaux sauvages ou bien la mise en place d’une nouvelle ligne de TGV, cet espace géographique ne semble souffrir ni de conflits majeurs ni d’aversion, qui aurait été liée à un passé malheureux ou bien à une catastrophe écologique récente, mais suscite, sinon de l’indifférence, plutôt une adhésion quasi-unanime se polarisant autour de l’idée de nature.

3Notre rapport à cette montagne n’a pas toujours été ainsi et cet attachement s’inscrit dans une histoire longue. L’intérêt que nous portons à la nature aujourd’hui, en particulier sous la forme de cet amour de la montagne, à travers la préservation de sa faune et de sa flore, ou la restauration de ses villages et ses clochers, est le résultat d’une lente transformation tout au long du xviiie et du xixe siècles. Ce goût pour les Alpes comme espace naturel succède à un sentiment bien différent, plus proche de la terreur et de l’effroi. Un passage du célèbre poème autobiographique de Wordsworth, le prélude, racontant son séjour en France et plus particulièrement dans les Alpes en témoigne:

  • 2 William Wordsworth, The Prelude, book 6, in Thomas Hutchinson, The poetical works of Wordsworth, Ke (...)

« the immeasurable height
of woods decaying, never to be decayed,
the stationary blasts of waterfalls,
and in the narrow rent at every turn
winds thwarting winds, bewildered and forlon,
the torrents shooting from the clear blue sky,
the rocks that muttered close upon ours ears,
black drizzling crags that spake by the way-side
as if a voice in them, the sick sight
and giddy prospect of the raving stream,
the unfettered clouds and region of the heavens,
tumult and peace, the darkness and the light -
were all like workings of one mind, the features
of the same face, blossoms upon one tree -
characters of the great apocalypse,
the types and symbols of eternity,
of first, and last, and midst, and without end
 »2

  • 3 Sur ces premiers espaces à connaître cette transformation, voir Anne Whiston Spirn, « Constructing (...)

4Le poète, cerné par des chutes vertigineuses, des rochers escarpés ou encore des vents glacés, témoigne de la présence du divin dans ces montagnes, dont il retire un sentiment moins réconfortant que proche de la terreur (« the great apocalypse »). Un des termes utilisés dans ce poème pour décrire les Alpes, est celui de wilderness (« bewildered »). L’historien américain William Cronon rappelle en effet que cette dernière, traduite difficilement en français par la nature sauvage ou vierge, fut d’abord un terme négatif désignant des espaces désolés, stériles et hostiles à la présence humaine (Cronon, 1996). C’est vers la fin du xixe siècle que s’opère aux Etats-Unis la transformation sémantique que l’on connaît aujourd’hui de la notion wilderness. Les étendues vides et sans valeur deviennent sans prix, et ces espaces qui incarnaient le contraire du bien deviennent le bien lui-même. La wilderness, dernier espace vierge et intouché par la civilisation humaine, est désormais célébrée pour sa spectaculaire beauté. Les textes de John Muir et de Thoreau célèbrent les premiers parcs nationaux américains de Yosémite et Yellowstone, comme en Europe, un siècle plus tôt, Rousseau construit l’état de nature comme origine perdue de la civilisation, pour lequel les Alpes où il habita lui servirent d’inspiration3. Pas de trace de peur et encore moins de terreur dans ces textes, mais de communion bientôt nostalgique avec la nature.

  • 4 On retrouve ici chez Kant le thème lucrécien du « Suave mari magno » (De la nature, livre deux, tra (...)

5Cronon voit deux raisons à cette transformation: la naissance du sentiment du sublime dans le romantisme européen et le mythe de la frontière américaine. Pour pouvoir se retourner en son contraire, la notion de wilderness devait être à l’origine ambivalente. Or, on trouve cette ambivalence dans le sentiment du sublime élaboré à la fin du xviiie siècle. L’une de ses conceptualisations les plus importantes, en particulier pour nous, du fait qu’elle constitue un exemple absolument unique de cette ambivalence et de transformation de notre rapport à la nature, est celle que propose Kant dans la Critique de la faculté de juger. Face à « des rochers se détachant audacieusement et comme une menace » comme à « l’immense océan dans sa fureur » ou encore devant « les chutes d’un fleuve puissant », c’est-à-dire devant la puissance immense de la nature, Kant (1965) parle bien tout d’abord d’un sentiment de peur et même d’effroi. Devant ce spectacle d’une nature sauvage et hostile, nous nous sentons, dans un premier temps, écrasés et insignifiants physiquement mais aussi, jusqu’à présent, moralement. Cronon rappelle en effet que la notion de wilderness fut d’abord employée dans la bible, pour désigner un espace en marge de la civilisation humaine où l’on peut se perdre. La wilderness, c’est l’endroit où Moïse et son peuple furent condamnés à errer pendant quarante ans pour avoir adoré le veau d’or, et c’est là aussi que Jésus connut la tentation. Autrement dit, ces espaces dépeuplés et sauvages sont considérés hostiles à l’homme également parce qu’ils forment l’antre de Satan, dans lequel l’homme ne pénètre que contre son gré pour subir une épreuve morale. Or Kant, dans le paragraphe cité, substitue à ce sentiment d’effroi celui du sublime en nous mettant à l’abri de la toute puissance de la nature, et ce en nous retirant de la scène en nous mettant dans la position d’un spectateur4 (cf. section suivante). Cette puissance de la nature neutralisée, même s’il s’agit ici plus d’un tour de force rhétorique que d’une véritable maîtrise de cette dernière, comme cela sera le cas au xixe siècle, le spectacle de la nature suscite un sentiment de sublime, en ce qu’il nous fait faire l’expérience sensible de notre liberté, cette dernière étant inversement proportionnelle ici à notre impuissance physique (Hache, Latour, 2009).

  • 5 Roelandt Savery, « Paysage montagneux avec dessinateur », 1606, Paris, Louvre. Ce tableau fait la c (...)
  • 6 Je laisse ici de côté la seconde source de la wilderness constituée par le mythe de la frontière qu (...)
  • 7 Le xixe siècle marque la naissance de l’idée de parcs nationaux et des premiers d’entre eux, en Fra (...)

6Outre le poème de Wordsworth, l’inhumaine beauté des Alpes est célébrée dans les multiples paysages de montagnes peints au cours des trois derniers siècles en Europe, principalement ceux des Alpes et de Bohème. Ils vont des peintures classiques comme celle de Roelandt Savery, « Paysage montagneux avec un dessinateur », jusqu’aux peintures romantiques de Caspar David Friedrich, dont son célèbre « Voyageur au-dessus de la mer de nuages »5. Ces différentes représentations participent à la fabrication du mythe de « la montagne comme cathédrale » (Cronon, 1996), passée du statut de maison du diable à celui de temple sacré, dont hérite et découle notre penchant présent pour la nature. On peut ajouter une dernière raison à cette transformation, qui n’est que l’autre face du sentiment du sublime, pourrait-on dire, en ce que le courant du romantisme est contemporain de la révolution industrielle. Il s’agit de la destruction de la nature engendrée par cette même révolution6. De fait, le sentiment du sublime explique moins d’où vient cet amour pour la nature qu’il ne désigne l’un des points d’articulation autour duquel ce dernier s’est constitué. En revanche, la révolution industrielle peut expliquer l’émergence de ce nouvel attachement. La destruction de la nature, mais aussi le mouvement d’urbanisation sans précédent qui accompagna cette révolution fut contemporain d’un sentiment nouveau pour cet espace désormais perdu ou domestiqué, que l’on ne va cesser désormais de rechercher chez les ‘Autres’ mais aussi chez nous7. Comme le soulignent Ramachandra Guha et Juan Martinez-Alier (2006) dans leur introduction à Varieties of environmentalism, la nature semble « aimée à la mesure de sa destruction ».

Roelandt Savery, « Paysage montagneux avec un dessinateur »

Roelandt Savery, « Paysage montagneux avec un dessinateur »

reproduction © Muzéo 2008

7Or les Alpes d’Armin Linke ne ressemblent pas du tout à cette nature sauvage, ni avant ni après cette inversion des valeurs. Ces Alpes ne sont ni désolées ni sublimes. Linke ne filme pas une wilderness, mais un territoire parcouru par de multiples activités. Un laboratoire de recherche sur les risques hydrauliques et géologiques en milieu montagneux, un centre d’entraînement de la police française dans un ancien bunker, un troupeau de moutons en transhumance, une usine d’extraction de minerai de fer, un mur d’escalade, la ville de Davos durant le Forum économique mondial, dont un agent de la ville nous raconte l’origine de son essor économique liée aux bienfaits de son climat contre la tuberculose, une manifestation lors des Jeux olympiques italiens ou encore une séance de bain de foin dans les thermes de Trente… On ressent une étrange familiarité avec ce qui est montré, exempt de toute transcendance. L’ensemble de ces activités sont filmées comme nous étant contemporaines, ancrées dans le temps présent et non projetées dans un temps mythique des origines. La question est alors d’essayer de comprendre comment Linke réussit à fabriquer avec sa caméra un tel type d’images.

Se « dépayser »

8Cette nature sauvage, effrayante ou magnifiée, que ce soit dans sa version européenne ou américaine, incarne une vision dualiste dans laquelle l’homme se situe en dehors de la nature. Qu’elle soit jugée désolée ou imaginée comme un sanctuaire inviolé, elle est toujours pensée vide d’êtres humains. Or, ce rapport à la nature s’exprime iconographiquement d’une façon précise à travers le genre du paysage. Ce mode de figuration, qui nous peut sembler la chose la plus normale, s’avère en réalité une invention iconographique propre à ce qui s’est appelé la modernité. Nulle part ailleurs qu’en Europe et en Amérique du Nord, et ce depuis seulement quelques siècles, une telle forme esthétique n’a été produite pour représenter le réel (Descola, 2005). Le paysage a émergé pour représenter l’espace, c’est-à-dire le monde physique autonome, représenté pour lui-même, parce que devenu digne d’intérêt en soi. Il figure cet espace homogène et infini de la res extensa cartésienne dont il s’efforce, par son imitation des moindres détails du monde matériel, d’en donner une vision objective (Descola, 2011).

9L’imitation de la nature émerge dans la peinture d’Europe du Nord dès le xve siècle, en même temps que la figuration de l’individu mettant l’accent sur l’identité individuelle à travers des portraits réalistes, à l’opposé des portraits de l’Antiquité cherchant à représenter des types. Cette indépendance du monde physique face à face avec l’humain, également autonomisé par son intériorité, nous fait rentrer dans ce que Descola appelle le monde naturaliste. Historiquement et géographiquement situé, il se caractérise par l’invention de la ‘nature’, cette dernière désignant un certain rapport ontologique entre humains et non-humains, partageant la continuité physique des corps, mais se distinguant par leur intériorité (Descola, 2005). C’est l’invention de la perspective qui a rendu possible le paysage comme représentation autonome du monde physique sécularisé. Le monde naturel n’est plus le lieu de scènes d’édification, mais « commence à s’organiser autour de la manière dont il est perçu par un sujet extérieur à l’image ». Ce sujet est mis en scène à travers l’apparition de la figure du spectateur, dont le « point de vue confère une position souveraine sur l’organisation de cette extériorité qu’il enveloppe de son regard » (Descola, 2011: 87). Les peintures mentionnées plus haut de Savery et de David Friedrich, comme le passage cité de Kant, mettaient précisément en scène un spectateur du point de vue de qui, la nature était donnée à voir. Avec l’avènement du monde moderne, le genre mineur qu’est le paysage devient le symptôme d’une nouvelle façon d’être au monde.

10De fait, ce sont des paysages que l’on s’attend à voir en premier lieu dans un film sur les Alpes. Des paysages de montagne sous la neige, de fonte des glaces en été ou encore d’animaux sauvages habitant des régions isolées – aigles royaux, chamois ou encore marmottes. De vallées avec en leur creux des villages fantômes en dehors des périodes touristiques, d’horizons époustouflants comme depuis le haut de la paroi du barrage du Chevril, de grands espaces de pâturages, etc. Or c’est exactement ce qui est absent du film de Linke. Ce dernier réussit à faire un film sur les Alpes sans paysage. Pour cela, il ne filme pas d’une position hors champs, mais quasiment toujours de l’intérieur. Le spectateur ne se situe pas ici en dehors de la scène filmée, mais dedans: dans le laboratoire de météorologie, dans le musée communal, avec les chasseurs alpins, dans la station de contrôle hydraulique, dans le centre de thalassothérapie, etc. Filmant de tellement près, de l’intérieur même de l’action, Linke pousse le geste jusqu’au point où, régulièrement, l’on met un certain temps à comprendre ce qui se passe et à savoir où l’on est. La caméra prend d’abord le point de vue du plus petit, du foin que l’on déplace, de la pierre que l’on taille, de la neige artificielle que l’on projette, avant de révéler le milieu dans lequel cette unité d’action prend place. C’est un film sans perspective si l’on peut dire, au sens où les images produites ne donnent pas à voir une nature autonome, un monde unifié depuis le point de vue distancié d’où on le regarde, mais plutôt des actions entremêlant sans cesse des hommes et des protagonistes non-humains.

Remettre la nature à sa place

  • 8 Le parallélisme entre les deux situations n’est pas une coïncidence, ces deux opérateurs que sont l (...)

11Armin Linke ne filme pas une wilderness, il fabrique autre chose: en multipliant les images des Alpes, en rendant compte presque à l’excès de la diversité des activités engagées dans cette région, Linke esquisse un réseau. Sans chercher à en donner une totalité unifiée, Linke filme des extraits de chaînes d’acteurs, humains et non-humains, en s’efforçant de faire sentir la complexité de l’écosystème constitué. Nous croisons ici l’un des problèmes majeurs des sciences sociales posé par la difficulté de retracer les interactions sociales. La sociologie –mais pas seulement elle – fait régulièrement des sauts en cherchant à en rendre compte, par exemple entre le local et le global, ou en passant de l’individu au système. Afin d’en rendre compte plus fidèlement, il est nécessaire de suivre à la trace ces interactions en refusant toute solution de continuité, mais en dépliant le plus scrupuleusement possible leur moindre trajet. Or, de même que certains ont pu considérer que les sciences sociales avaient besoin « d’aplatir le social » afin de mesurer les distances réelles entre les différents acteurs et ne pas se tromper d’échelle, le médium qu’est l’image, semble nous dire Armin Linke, a besoin d’aplatir la ‘nature’ pour changer de point de vue (Latour, 2006). La métaphore est encore plus parlante ici, s’agissant d’une montagne8. Il ne s’agit pas ici de croire, comme le suggère Latour pour les sciences sociales, que la terre est plate, mais que la montagne est basse, au même niveau que la vallée, afin de s’empêcher de changer d’échelle en court de route (se retrouvant avec une immense montagne et de minuscules personnes perdues dans la vallée), et prendre ainsi la partie (les sommets des montagnes) pour le tout (le territoire géographique des Alpes d’une superficie de presque 200 000 km2).

12C’est la position de face à face entre le spectateur et le paysage qu’il contemple qui ne permet en aucune façon de lier ces deux protagonistes, c’est-à-dire de tracer des interactions entre les deux. Ce mode de figuration rend, de fait, tout aussi visible qu’eux, l’espace infranchissable, spatialement et temporellement, entre les deux protagonistes, dont l’inaccessibilité figure le caractère quasi-sacré de cette nature contemplée. À l’inverse, Linke filme les Alpes non comme un paysage que l’on regarde de loin, mais comme un territoire dont la cartographie est à faire. Les multiples images de Alpi sont comme les premiers relevés d’une nouvelle carte. Ce faisant, Linke dénaturalise les Alpes en les écologisant, c’est-à-dire en mettant à jour les multiples relations entre les êtres hétérogènes habitant ce même lieu.

13Pour autant, la nature n’a pas disparu dans Alpi, mais elle est en quelque sorte remise à sa place. Or qu’est-ce que cette ‘nature’ si ce n’est pas tout à fait l’espace géographique européen constitué par cet arc alpin? Un tableau représentant l’espace homogène et infini d’un paysage alpestre, une station de ski construite dans un centre commercial à Dubaï, décorée d’une thématique alpestre, ou encore un décor ‘naturel’ pour une scène de film bollywoodien. La nature est mise à sa place, dans le sens où les productions culturelles en dérivant sont filmées à la même échelle que les autres activités économiques et culturelles liées aux Alpes, et non de façon métonymique.

  • 9 Cette hésitation devant la question de savoir si Ski Dubai constitue ou non une bonne imitation de (...)

14Ski Dubaï a été construite en 2005 à l’intérieur d’un gigantesque centre commercial. Elle offre une piste de ski, une piste de bobsleigh ainsi qu’un snowpark dans un espace de 400 mètres au sol et 80 mètres sous plafond. Son décor change régulièrement, comme nous le précise l’un de ses responsables interrogés par Armin Linke. Ils font attention à créer une atmosphère rappelant à la fois les Alpes suisses, italiennes, ou encore autrichiennes, mais peuvent accentuer au besoin l’un de ces aspects. La personne interrogée souligne le caractère « magique » de « créer la nature » (i.e. une montagne artificielle avec de la neige). Si ce n’est la dimension magique de cette entreprise employant quotidiennement 200 personnes pour entretenir cette station, cette personne a parfaitement raison de dire que cette station est « exactement comme la nature », cette dernière n’ayant jamais existé autrement que comme une construction. Cette reconstruction des Alpes dans un Emirat permet de suggérer un 3e sens dans lequel on pourrait entendre la notion de wilderness. Après avoir incarné alternativement l’enfer puis le paradis perdu, on pourrait considérer que cette dernière est quasiment devenue une marque dans le capitalisme tardif. Si l’on (ne) cherche (que) la nature, on peut tout aussi bien se rendre dans ce centre commercial de Dubaï que dans le plus grand massif montagneux européen. De fait, cette longue séquence soulève de façon inattendue la question de savoir qui a le mieux compris la ‘nature’, entre les naturalistes qui l’inventèrent, mais pour ce faire eurent besoin de croire qu’elle était naturelle, et tous ceux chez qui ils cherchèrent à l’exporter, qui ne sont pas troublés, n’étant pas naturalistes, d’en montrer l’artifice9.

15La nature est présente également sous la forme de deux tableaux dans le film de Linke. Une première peinture représentant un couple de paysans et leur troupeau de vaches sur fond de montagne, pouvant dater approximativement de la seconde moitié du xixe siècle, et un cyclorama mettant en scène la bataille du Bergisel du 13 Août 1809. En raison du parti pris de l’auteur de filmer de l’intérieur, ces séquences sont très fortes: elles ne font rien moins que remettre également, si l’on peut dire, le paysage à sa place, c’est-à-dire dans un tableau! Un paysage n’est en effet rien d’autre qu’une image peinte d’une certaine dimension. Destiné à représenter le monde physique, la tentation de prendre cette reproduction pour la réalité, si prégnante habituellement, est ici parfaitement levée. Pas au sens, naturellement, où l’on considérerait les spectateurs assez bêtes pour confondre le monde physique avec une toile peinte, mais au sens où l’on serait tenté de prendre cette figuration du réel (impliquant un dualisme ontologique) pour le réel lui-même. Linke arrive à mettre en scène, c’est-à-dire à faire voir ce rapport très particulier au monde qu’est l’ontologie naturaliste, en filmant de vrais spectateurs se promenant dans les deux musées devant une nature littéralement encadrée, se montrant ainsi pour ce qu’elle est, à savoir une image parmi d’autres du réel.

16Le panorama d’Innsbruck est une fresque géante sur près de 1000 mètres carrés, offrant en quelque sorte le point d’aboutissement de ce mode de figuration avec lequel dialogue le film d’Armin Linke. Très à la mode au xixe siècle, le phénomène des panoramas est une imitation à l’extrême de la nature comme espace homogène et infini, ces derniers proposant une mise en scène de la totalité (Comment, 1997; Latour, 2006). Comme le souligne Descola « la figuration d’un morceau de pays tend à une description exhaustive du monde qui (…) pourrait être infiniment continuée, les côtés du tableau n’ayant pas ici de rôle constructif mais matérialisant seulement le découpage arbitraire que le peintre effectue dans la profusion du visible » (Descola, 2011). C’est littéralement ce à quoi aboutit le dispositif du panorama, en projetant sur un mur une image peinte figurant une totalité cohérente, donnant ainsi l’illusion au spectateur de pouvoir contempler depuis son propre point de vue l’univers infini.

  • 10 Ramachandra Guha, Martinez-Alier, art. cit., p. xiv (ma traduction).

17Enfin, pour ceux qui pourraient objecter à l’auteur que la nature ne se réduit pas à cette station de ski artificielle ou à un tableau, aussi grand soit-il, mais existe bien ‘réellement’, Linke donne la parole à un vieux paysan italien. Loin du discours attendu sur la vie à la montagne plus authentique qu’une vie à la ville, cet homme nous parle de la dureté de sa vie, de sa solitude, maintenant que les quelques maisons voisines ont été abandonnées par leurs habitants. Il nous fait part surtout de son désir de jeunesse de faire sa vie loin d’ici qu’il n’a pas réalisé, n’ayant pas réussi à passer outre l’accusation d’ingratitude de son père. Parler ici d’un retour au premier sens de la wilderness serait inexact parce que ce dernier semble ne jamais l’avoir quitté. Cette séquence rappelle que cet amour de la nature – i.e. une nature aimable et accueillante –, est d’abord celui de ceux qui n’y habitent pas, d’urbains favorisés qui s’y rendent pour se reposer. Pour ceux qui y habitent et en vivent, ce milieu reste d’abord un lieu de labeur. La « conscience écologique (greenness) [non les conflits environnementaux eux-mêmes] est le luxe ultime de la société de consommation »10, et le mouvement environnemental dans les pays du Nord qui hérite de ce rapport à la nature doit s’interroger sur ce à quoi – et à qui – il est attaché quand il défend la nature.

Politiser les Alpes

18La confusion entre la nature et les Alpes étant levée, s’engagent des questions concernant l’ensemble des habitants de ce territoire, requérant des décisions collectives non court-circuitées par une partie d’entre eux (Hache, 2011). Certains sont évoqués dans le film, comme le forum économique de Davos, la controverse autour d’une nouvelle ligne de TGV entre la France et l’Italie, ou encore les problèmes de pauvreté et de solitude en milieu rural. Chaque issue articule un certain nombre d’humains et de non-humains, très loin de cette scène imaginaire entre des humains d’un côté et des non-humains de l’autre. À qui est destinée cette nouvelle ligne de train à grande vitesse, alors que les prix pratiqués dans ce type de transport ne donnent accès qu’à une minorité de la population? Mais aussi à quel prix, et sur le dos de qui, se construira cette ligne, qui devra contourner et isoler un peu plus les villes moyennes sur son trajet, fragilisant au passage de nombreux écosystèmes? Ces protestations, qui eurent lieu pendant les Jeux Olympiques d’Italie en 2006, posent aussi en creux la question de la pertinence du maintien de ce genre d’évènement en pleine crise économique et écologique, pour lesquels pays riches et moins riches dépensent des sommes insensées pour construire des infrastructures aussi gigantesques que provisoires, exigeant de détruire les écologies urbaines et rurales existantes. La destruction du milieu rural en particulier nécessite de réfléchir aux liens entre les subventions européennes et le marché mondial, entravant la mise en place d’une agriculture non intensive, recréant localement de la richesse à la fois sociale et biologique. À ce propos, on peut souligner l’ironie du parallèle entre la très chic petite station de sports d’hiver accueillant le forum économique mondial, totalement barricadée, isolée, dont on ne voit strictement rien, et l’aveuglement dans lequel les dirigeants et experts de ce forum semblent ainsi reçus.

  • 11 Armin Linke, texte de présentation, Alpi, septembre 2010.

19D’autres questions propres à ce territoire ne sont pas évoquées, mais constituent la suite logique du film de Linke. Qu’en est-il, par exemple, de la reconversion de son économie, si ce ne sont pas seulement les jeux olympiques, mais toute l’industrie des sports de neige qui est remis en question, du moins comme loisir de la classe moyenne? Se tournera-t-il vers son tourisme régional, en inventant de nouvelles traditions liées à ses fromages de Savoie et ses églises à bulbe (Hobsbawm, Renger, 2006), ou bien peut-il espérer d’autres avenirs? Comme, par exemple, devenir un espace d’entraînement pour l’armée et la police européennes, mais aussi pour des festivals, des expérimentations scientifiques, ou encore, on va y revenir, servir de décor de cinéma. Linke souligne son attachement à montrer ce territoire comme un « laboratoire de la modernité »11 et, l’on pourrait ajouter, à l’avant-garde des problématiques écologiques. Si les Alpes ne sont plus fantasmées comme avec une nature vierge, la question se pose en effet de savoir qui habite et partage ce territoire, et comment. Comment doit-on, par exemple, composer avec certaines espèces d’animaux sauvages en voie de réintroduction comme les loups? Comment, également, concilier éleveurs, agriculteurs, marmottes et visiteurs du parc naturel de la Vanoise? (Mauz, 2005).

20Autrement dit, sortir de la nature permet de laisser enfin la place au politique. La première séquence du film de Linke en avait donné finalement le ton dès l’ouverture. Celui-ci commence par des images du tournage d’un film indien dans un village des Alpes que l’on suppose destiné au marché de Bollywood. L’étonnement devant le fait qu’un tel tournage se passe dans les Alpes, qui ne constituent pas vraiment le décor habituel des chansons de Bollywood, laisse place à des conjectures sur des questions de droit et / ou de tarif. Mais pour des anciens modernes naturalistes, cette scène est véritablement troublante: la nature (authentique, ‘réelle’) des Alpes prise comme décor de quelque chose d’aussi exotique qu’un clip indien populaire… Si cette séquence jette le trouble, c’est parce que les modernes ont inventé l’exotisme comme le contraire de la nature, l’exotisme étant le sentiment éprouvé devant le monde des « Autres », relégués au rang de prémodernes depuis l’invention des sciences modernes. La nature en tant qu’espace homogène et infini inventé par elles ayant été prise pour une vérité exclusive, tout autre rapport au réel fut rétrogradé en deçà de ce dernier que l’on appellera désormais moderne. Un film bollywoodien, mettant en scène la culture locale composée de toutes sortes de divinités, constitue un exemple type d’objet culturel exotique (Latour, 1991; Stengers, 1993). Or, pour que ce rapport de domination fonctionne, le monde ‘exotisé’ a toujours dû être tenu loin de, temporellement mais aussi spatialement, du monde moderne. Le trouble vient du fait que cette séquence opère un télescopage entre deux réalités n’étant pas censées se croiser sans s’annuler (la nature moderne et le monde pré-moderne). Ce faisant, c’est comme si les protagonistes de cette scène, en venant tourner un film dans une vallée des Alpes, trouaient le temps, le temps anachronique, mythique, hors d’ici et de maintenant, dans lequel ils étaient relégués parallèlement au mythe de la wilderness (Fabian, 2006).

21On peut se demander si, finalement, plus que pour des questions de droit ou d’argent, le réalisateur de ce film n’aurait pas choisi cet endroit pour nous exotiser à son tour, ou du moins pour filmer notre exotisme, en prenant les Alpes, la nature à l’européenne, comme toile de fond de son script. Cette scène pourrait prétendre contribuer au projet un peu désespéré de Chakrabarty de « rendre son regard » (Chakrabarty 2009) à cette tradition intellectuelle européenne qui, malgré son ignorance des histoires non européennes, notamment indiennes, est aussi utile qu’inadéquate pour comprendre cette société. Ici, ce sont à des subalternes (Guha,, 1982) que Linke demande d’ouvrir son film pour, littéralement, nous rendre notre regard en nous ouvrant les yeux sur notre exotisme naturaliste…

  • 12 C’est moi qui souligne.

22En réponse à cette crise écologique, un certain nombre de propositions sont en train d’émerger, et d’être expérimentées au niveau tant théorique que figuratif. La force de la figuration serait de « donner à voir l’armature ontologique du réel » (Descola,, 2011)12 et en ce sens, en modifier le mode reviendrait à toucher bien plus qu’à des images. De fait, en refusant de filmer d’un point de vue extérieur le monde physique, Linke filme un monde dénaturalisé et ouvre des pistes pour rendre compte, figurativement, du type de lien en train de se construire dans un monde écologisé. Mais Linke fait plus que ça encore dans ce film: il rend visible des liens entre des mondes que les sciences humaines, européennes du moins, ont jusque-là largement ignorées dans leur analyse des problèmes écologiques, alors que ces derniers sont essentiels pour comprendre la complexité des enjeux. Un tel travail est loin de suffire à mettre en péril l’agencement naturaliste, mais en touchant au cadre même de nos représentations, en donnant à voir un monde sans nature, il participe à l’émergence de propositions écologiques et démocratiques nous donnant quelques raisons d’espérer.

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Bibliographie

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Whiston Spirn (A.), « Constructing nature: the legacy of F. L. Olmsted », in W. Cronon, Uncommun Ground, op. cit.

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Notes

1 Armin Linke, Alpi, Tretino film commission, 2011.

2 William Wordsworth, The Prelude, book 6, in Thomas Hutchinson, The poetical works of Wordsworth, Kessinger publishing, 2007 (1805). S’agissant de poésie, je préfère en donner la version originale.

3 Sur ces premiers espaces à connaître cette transformation, voir Anne Whiston Spirn, « Constructing nature : the legacy of Frederick Law Olmsted », in W. Cronon (dir.), Uncommun ground, op. cit., p. 91-113. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes, GF-Flammarion, 1992. Plusieurs textes de Rousseau mentionnent son séjour dans les Alpes, notamment Les Confessions, GF Flammarion, 1991. « Après avoir un peu cherché, nous nous fixâmes aux Charmettes, à la porte de Chambéry, mais retirée et solitaire comme si l’on était à cent lieues. Entre deux coteaux assez élevés est un peu vallon nord et sud au fond duquel coule une rigole entre des cailloux et des arbres. Le long de ce vallon, à mi-côté, sont quelques maisons éparses, fort agréables pour quiconque aime un asile un peu sauvage et retiré. (…) O Maman ! dis-je à cette chère amie en l’embrassant et l’inondant de larmes d’attendrissement et de joie, ce séjour est celui du bonheur et de l’innocence. », Les Confessions, livre cinquième, p. 260-261.

4 On retrouve ici chez Kant le thème lucrécien du « Suave mari magno » (De la nature, livre deux, traduit par H. Clouard, GF Flammarion, 1992), mais avec un ajout de taille : celui de la dimension de supériorité morale qu’en retire le philosophe.

5 Roelandt Savery, « Paysage montagneux avec dessinateur », 1606, Paris, Louvre. Ce tableau fait la couverture du catalogue de l’exposition de Legrand et al., (1990). Caspar David Friedrich, « Voyageur au-dessus de la mer de nuages ou l’homme contemplant une mer de brume », huile sur toile, Kunsthalle, Hamburg, 1818.

6 Je laisse ici de côté la seconde source de la wilderness constituée par le mythe de la frontière qui ne concerne que la version américaine de cette notion. Sur cette question, voir l’ouvrage classique de l’historien Frederick Jameson Turner, The frontier in american history, University of Michigan Library, 2006 (1893).

7 Le xixe siècle marque la naissance de l’idée de parcs nationaux et des premiers d’entre eux, en France et aux Etats-Unis comme le plein essor de la passion ambivalente pour les natures ‘vierges’ des empires coloniaux, d’Inde ou du continent africain. Voir par exemple, Joseph Conrad (1980, [1894]). Au coeur des ténèbres, traduit de l’anglais par J.J. Mayoux, GF Flammarion, 1980 (1894).

8 Le parallélisme entre les deux situations n’est pas une coïncidence, ces deux opérateurs que sont la nature et la société fonctionnant ensemble, l’une assemblant les non-humains en les séparant des humains, tandis que l’autre assemble les humains en les séparant des non-humains (Latour, 2006 : 238). Sur cette question, voir également (Latour, 1999).

9 Cette hésitation devant la question de savoir si Ski Dubai constitue ou non une bonne imitation de la nature rappelle en miroir inversé les réticences du public face aux modifications par Frederick Olmsted, l’ingénieur de la wilderness américaine (notamment des chutes du Niagara et du parc de Yosémite), des paysages ‘naturels’ qu’il avait créés, sous prétexte qu’il ne devait pas toucher à la nature… L’anecdote est racontée par Anne Whiston Spirn, « Constructing nature : the legacy of F. L. Olmsted », art. cit., p.111. Sur un rapport radicalement différent entre l’original et sa copie, voir par exemple Grimaud (2007).

10 Ramachandra Guha, Martinez-Alier, art. cit., p. xiv (ma traduction).

11 Armin Linke, texte de présentation, Alpi, septembre 2010.

12 C’est moi qui souligne.

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Table des illustrations

Titre Roelandt Savery, « Paysage montagneux avec un dessinateur »
Crédits reproduction © Muzéo 2008
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/docannexe/image/1575/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 100k
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Pour citer cet article

Référence papier

Emilie Hache, « Alpi, d’Armin Linke. Getting back to the wrong nature »Sciences de la société, 87 | 2012, 114-127.

Référence électronique

Emilie Hache, « Alpi, d’Armin Linke. Getting back to the wrong nature »Sciences de la société [En ligne], 87 | 2012, mis en ligne le 01 avril 2013, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/1575 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.1575

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Auteur

Emilie Hache

Sociologue, ehache@u-paris10.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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