1Nombre de travaux de recherche utilisent aujourd’hui les concepts de médiation, dispositif et médiatisation et ce, dans différents champs scientifiques et professionnels. En sciences de l’information et de la communication, même si leur utilisation duelle est courante, peu de travaux scientifiques s’attachent à circonscrire leur approche épistémologique en abordant les trois concepts conjointement, c’est-à-dire en les considérant comme des concepts relationnels proches, avec des « voisinages entre concepts, entre situations ou entre représentations » (Vergnaud, 1989). R. Quivy et L. V. Campenhoudt proposent de qualifier ces proxémies en concepts systémiques. Pour eux « la rigueur déductive et synthétique caractérise les concepts systémiques. Leur construction repose sur la logique des relations entre les éléments d’un système théorique […] Il est construit par raisonnement abstrait : déduction, analogie, opposition, implication » (Quivy, Campenhoudt, 1995). Un concept systémique se construit à l’aide de dimensions, elles-mêmes éventuellement caractérisées par des composantes et des indicateurs. Ces concepts systémiques se construisent à partir des paradigmes développés par les auteurs du champ scientifique. On situe ce concept par rapport à d’autres concepts et, par déductions, on dégage les dimensions, composantes et indicateurs. « Ce qui fait la valeur d’un concept, c’est aussi sa capacité heuristique, c’est-à-dire en quoi il nous aide à découvrir et à comprendre. C’est le progrès qu’il apporte à l’élaboration des connaissances » (Quivy, Campenhoudt, 1995).
2Ainsi, notre propos est de proposer des contextualisations scientifiques, c’est-à-dire des « façons dont les scientifiques d’un domaine peuvent construire les référentiels dans lesquels ils « font parler », c’est-à-dire donnent du sens aux phénomènes qu’ils ont à analyser » (Mucchielli, Noy, 2005). Cette contextualisation scientifique est nécessaire car une discipline « se réfère à un plan d’objets, qu’elle met en jeu des types de concepts et qu’elle se découpe sur un horizon théorique déterminé » (Foucault, 1971). S'appuyer sur des concepts, sur des paradigmes, des cadres théoriques de référence, des orientations épistémologiques préalables, conduit à les expliciter. L’explicitation fait partie de la démarche du chercheur. Ses connaissances, ses démarches d’explicitations viennent s’ancrer, selon l’expression de Morin, sur des « macro-concepts » (Morin, 1989), définis comme des « amalgames cohérents mais flous, des notions analogiques dans lesquelles le chercheur peut puiser pour trouver un point de départ à sa construction » (Mucchielli, 2005). C’est cette ambition qui nous conduit à proposer une réflexion théorique sur les concepts de médiation, dispositif et médiatisation dans une visée systémique et macro.
3Nous détaillons d’abord ce qui a construit chacun de ces concepts en mettant en avant la manière dont ils sont mobilisés dans les SIC. Puis nous les mettons en relation les uns avec les autres, en dégageant des dimensions propres et des dimensions communes pour ouvrir sur une discussion générale sur les liens qu’ils entretiennent. Nous choisissons de commencer par le concept médiation car il nous paraît central. En effet c’est sur ses caractéristiques que s’appuient ensuite le concept dispositif puis le concept médiatisation.
4Parce qu’elle oscille d’une part entre une myriade de pratiques au point d’être aujourd’hui un véritable phénomène de mode et des approches théoriques très différentes d’autre part, la médiation reste complexe à définir. Elle peut être qualifiée de « concept instable » car elle renvoie à une ambivalence fondamentale puisque nous ne pouvons ni la déduire ni l’induire (Servais, 2016). Cet entre-deux, cette constante fluctuation entre théorie et pratique pose pour C. Servais un problème épistémologique majeur qui l’amène à la suite des travaux de philosophe J. Derrida, à la considérer comme un « quasi-concept » pour désigner la variété infinie de phénomènes auxquels elle renvoie (Ibid.). Dès lors comment définir, appréhender la médiation ? Face à la variété et à la variation des contextes, des acteurs et des situations, nous allons tenter dans cette partie de circonscrire ce concept en dégageant plusieurs paradigmes.
- 1 G. Regimbeau fait dans ce sens par exemple référence à La théorie de la médiation ou anthropolologi (...)
5En tant que concept, la médiation est étudiée par de nombreux champs disciplinaires. Ainsi, depuis ses origines religieuses à travers les figures des anges ou des prêtres qui sont des médiateurs entre Dieu et les fidèles (Jeanneret, 2005), elle trouve ses racines dans différentes sciences y compris les sciences dites « dures » à l’instar de la médecine, de la sociologie, de la linguistique, de la philosophie, des sciences de l’éducation ou même de la musique1. En sciences de l’information et de la communication, la médiation est un objet de recherche important et elle participe, avec d’autres concepts comme ceux de savoir, représentation, discours, mémoire, catégorie, dispositif à une épistémologie de la discipline (Metzger, 2008). Le concept est mobilisé dans des recherches très variées telles que la médiation culturelle, communicationnelle, informationnelle, organisationnelle ou encore sociétale (Deschamps, 2018) et s’appuie sur des objets différents de médiation : des objets culturels c’est-à-dire relatifs aux activités et institutions culturelles, des objets médiatiques et techniques qui renvoient aux (nouveaux) médias et enfin les nouveaux métiers de la médiation qui appréhendent cette dernière comme technique de communication faisant référence au travail du médiateur comme tiers qui intervient afin de faciliter la communication (Vandeninden in Servais, 2016).
6L’usage de la médiation au sein des SIC revêt selon J. Davallon (2003) trois formes différentes, « un usage ordinaire » qui se réfère à la fois l’idée de conciliation et surtout l’action de servir d’intermédiaire, « un usage opérant » renvoyant à un processus spécifique dans des contextes extrêmement variés et un usage théorique qui concerne les auteurs qui ont la volonté de théoriser le concept. Ces usages bien que différents ont comme point commun la notion de tiers. Le tiers peut se présenter sous diverses formes humaine, institutionnelle ou symbolique (Deschamps, 2018) ; humaine lorsqu’il s’incarne dans la figure du médiateur, institutionnelle lorsqu’il se réfère à une organisation avec une finalité et un système de règles qui organisent la vie sociale, symbolique car il fédère un groupe d’individus à travers un ensemble de valeurs, de pratiques partagées ou de lieux de mémoire (Jeanneret, 2005) à l’image du langage qui peut être considéré comme la première des médiations car il organise les relations entre les hommes et leur donne du sens en leur permettant de représenter symboliquement le réel (Lamizet et Silem, 1997).
7Plus généralement, l’étude de la médiation s’inscrit en SIC dans une volonté de lutter contre l’utopie technicienne selon laquelle dans notre société tout est transparent, immédiat, et donc accessible sans intermédiaire (Jeanneret, 2009). Elle s’attache à démontrer qu’au contraire le savoir et le sens résultent d’un réel travail d’élaboration de la part des passeurs, des intermédiaires de la communication (Ibid.). Cette métaphore du passage pour qualifier cette mise en relation est mise en avant chez plusieurs auteurs (à l’instar de Caillet et Lehalle, 1995 ; Dufrêne et Gellereau, 2001 ; Gardiès, 2012) jusqu’à l’image du pont utilisée par B. Simmonot : « le pont facilite la circulation entre deux territoires séparés, il vient créer une voie de passage pour réunir des espaces éclatés ou pour fournir une alternative à des moyens de communication antérieurs dont on juge qu’ils sont devenus insatisfaisants » (Simonnot, 2014). Ainsi, parce qu’elle constitue un pont, un passage, la médiation est d’abord ainsi pensée comme relation, acte social et constitue en cela une autre manière de penser la communication rendant possible l’échange social alors que les univers de production et de réception du message sont a priori disjoints (Davallon, 2003). Elle met en avant un type de communication que nous pouvons qualifier de communication médiatisée c'est-à-dire « toute forme de communication utilisant un dispositif technique et/ou médiatique dans des contextes à finalité variable » (Liquète, 2010). Elle est également contenu car elle désigne « un processus créateur d’un nouveau message » (Gardiès, 2012), ce message lui-même pouvant subir plusieurs interprétations, transformations chez le récepteur augmentant par là-même « les significations à réception » (Ibid). Par ailleurs, la médiation va au-delà d’une simple relation entre acteurs et possède une dimension symbolique. Elle se caractérise par un système de représentations commun à toute une société, et correspond à une forme d’identification sociale, de sociabilité que nous venons d’aborder en évoquant le tiers. Elle devient alors un « métaniveau », une « métacommunication organisatrice de relations entre les hommes » (Deschamps, 2018). Elle est dans ce sens considérée comme « une instance qui assure, dans la communication et la vie sociale, l’articulation du sujet et de sa singularité et la dimension collective et du lien social » (Lamizet, Silem, 1997). Ainsi, elle se construit autour d’une sorte point de fuite (Davallon, 2003) que Louis Quéré évoque notamment à travers la notion de « tiers symbolisant » ce « pôle extérieur d’un neutre, qui, n’étant ni (pour) l’un, ni (pour) l’autre, et occupant une position de référence possible pour l’un et l’autre, les conjoint dans leurs différences » (Quéré, 1982).
8La médiation est donc plurielle et peut être définie autour de plusieurs paradigmes. À la fois contenu et relation, elle se caractérise par la présence d’un tiers et possède plusieurs dimensions : une dimension symbolique à travers laquelle se joue un rapport au monde (Jeanneret, 2005), une dimension langagière car elle se définit comme une communication médiatisée (Gardiès, 2012) et enfin une dimension logistique car elle suppose un dispositif, concept sur lequel nous allons maintenant nous attarder.
- 2 Trésor de la langue française informatisée [en ligne]. CNRS & Université de Lorraine, 1994. Disponi (...)
9Le terme de dispositif a eu au cours de l’histoire divers sens. Désignant d’abord « une partie de texte législatif qui statue impérativement », il s’est appliqué dès le début du XXème siècle aux domaines de la technique et des arts miliaires se référant à « la manière dont sont disposées en vue d’un but précis, les pièces d’un appareil, d’une machine » ou « l’ensemble de mesures, de moyens, disposés en vue d’une fin stratégique »2. Ces définitions aux dimensions législatives, matérielles, stratégiques se retrouvent d’ailleurs toujours dans les différentes acceptions du terme aujourd’hui.
10D’un point de vue théorique, c’est initialement M. Foucault (1977) qui aborde le dispositif comme un « réseau » qu’il est possible de tracer entre les différents éléments d’« un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit ». Pour lui, un dispositif se met d’abord en place pour remplir « une fonction stratégique dominante », souvent pour « répondre à une urgence » (Ibid.). Il a ainsi « pointé, à travers la notion de dispositif, le rôle indispensable des réseaux hétérogènes dans la production des savoirs, des relations de pouvoir, des subjectivités et des objectivités » (Beuscart, Peerbaye, 2006). D’autres champs scientifiques se sont emparés de ce concept, de plus en plus mobilisé, pour exprimer ces intermédiaires qui s’organisent au service d’un objectif et qui visent à relayer ou se substituer à des actions ou relations humaines simultanées. Le dispositif vient ainsi désigner des formes de mise à distance ou d’asynchronie de la communication, qu’elle se déploie dans des organisations, des systèmes éducatifs ou de soins pour n’en citer que quelques-uns.
11Naturellement le champ de l’information-communication a également utilisé et développé la compréhension de ce concept : il est analysé « du point de vue de son rôle médiateur au travers d’objets concrets dans le contexte global des organisations » (Couzinet, 2019). Dans cette perspective, pour les SIC, dispositif peut par exemple « servir » à désigner et comprendre plusieurs niveaux d’agencements intentionnels d’éléments documentaires dans des espaces organisés. Ainsi, le terme de dispositif info-communicationnel, est utilisé pour englober ces différents niveaux qui paraissent le constituer. Information et communication sont des « objets solidaires, mais distincts, de connaissance scientifique, indépendance solidaire symbolisée par le tiret unissant « info » et « communicationnel » (Couzinet, 2009). Si nous avons vu l’importance du terme dispositif pour instrumenter la communication, celle d’information est peut-être plus récente. Pourtant, si nous considérons l’information comme étant le contenu de la communication, celle-ci devient consubstantielle de la communication. La logique de désignation de dispositif info-communicationnel prend alors tout son sens. Le concept « dispositif » s’envisage donc dans un processus social de communication : « on ne peut imaginer un dispositif qui ne soit conçu et aménagé par les hommes à travers leurs rapports de communication ; réciproquement, ce sont les dispositifs qui donnent forme aux rapports de communication et ceci selon les différents aspects sous lesquels on peut les envisager » (Meunier, 1999). Ainsi, le dispositif est porteur de missions et d’enjeux qui, par le traitement documentaire, facilitent l’accès à l’information dans un processus de communication. En ce sens il s’envisage comme un intermédiaire facilitateur de construction des connaissances. En effet, un dispositif info-communicationnel propose, via une forme d’énonciation, un lieu de structuration des connaissances, de réception et d’appréhension de l’information. Il peut être ainsi appréhendé comme un « dispositif porteur d’informations dormantes transformables en connaissances, c’est-à-dire capables de contribuer à la modification d’une action » (Ibid.). Usagers et concepteurs participent à la définition du dispositif qui certes, les contraint mais qui construit, par-là même, une part de leur identité et de leur être singulier.
12L’énonciation d’un dispositif s’entend comme la manière de donner à voir l’organisation des savoirs, c’est donc une proposition mise en œuvre afin de faciliter leur circulation. Par ailleurs, le processus énonciation – réception dans un dispositif représente la circulation et l’élaboration de sens dans des situations de communication, autrement dit d’échanges. « La communication suppose de la technique, mobilise des intentionnalités, mais crée un espace plus riche qu’une seule transmission de ce qui lui préexiste (représentation, intention, position, rapport au monde). Accepter un concept riche de la communication en tant que composante structurante du social est un enjeu » (Jeanneret, 2008). L’information est préexistante à cette circulation et implique traduction, réécriture ou structuration, diffusion, accommodation, prise en compte de l’environnement et de l’éventuelle usure de l’information. Le récepteur doit ainsi reconnaître l’intention de l’énonciateur, être acteur du processus et avoir confiance dans le dispositif. Les dispositifs sont donc considérés comme des « artefacts communicationnels qui amplifient la communication, organisent l’interaction humaine, modifient les modes de production de gestion et de traitement de l’information » (Agostinelli, 2009), ils sont, eux-mêmes indissociables des médiateurs qu’ils soient « des médiateurs sociaux « naturels », des médiateurs humains, des dispositifs complexes » (Mucchielli, 1995). Ces médiateurs fonctionnent comme des « organisateurs » latents de la communication et agissent aussi bien sur le contenu des échanges c’est-à-dire sur l’information, que sur la forme et le support, c’est-à-dire le document, au travers notamment de l’organisation des savoirs et du traitement de l’information.
13Même si d’autres champs scientifiques, comme les sciences de l’éducation et de la formation ont également largement étudié la notion de dispositif, il nous semble qu’à partir des éléments issus du champ des SIC que nous venons de décrire, « il est possible de circonscrire la notion de dispositif comme un univers construit et structuré, que sous-tendent une organisation intellectuelle, un aménagement matériel, et qui est porteur et médiateur de savoirs. Le dispositif dans ses dimensions humaines englobe les concepteurs et les usagers, qui modifient les dispositifs par leur vécu, leur manière de les construire et les habiter » (Gardiès, 2019). Le dispositif, entre-deux au service de la communication et de la circulation de l’information, peut être considéré comme un des supports de médiation, ou au moins comme un agencement particulier permettant à des processus de médiation de se déployer. En ce sens son étude permet d’approcher la médiation qui sans lui reste un concept plus abstrait. L’étude de ces deux premiers concepts partiellement enchâssés, ne saurait être complète sans l’étude du concept de médiatisation qui va nous permettre ensuite d’envisager en triptyque opérationnalisable pour de futures recherches.
14Dans le domaine des sciences de l’éducation, l’analyse des concepts de médiation et médiatisation a fait l’objet d’un travail de conceptualisation avec les travaux D. Peraya (1999, 2008, 2010) dans le cadre des dispositifs de formation et communication médiatisées. La réflexion menée, qui au fil des années s’est affinée et précisée, contribue d’ailleurs aujourd’hui à alimenter l’analyse de ces concepts au niveau international (Peraya in Ferreira et al., 2019). Son approche se démarque par une définition originale de la médiatisation comme processus de conception et de design pédagogique, la médiation se situant quant à elle du côté de ses effets sur les comportements humains (Ibid.). En SIC, en revanche, si l’étude des processus de médiation et de médiatisation fait partie intégrante de la discipline comme le rappelle la 71e Section du Conseil National des Universités (CNU) et fait l’objet de nombreux travaux, le concept de médiatisation reste peu défini et est employé de manière si variable qu’il est difficile de s’en faire une idée précise (Lafon, 2019). B. Miège souligne cette polysémie en mettant en avant quatre emplois différents du terme : celui-ci peut à des phénomènes « de médiation par la technique de production-diffusion de contenus, d’interactions médiatisées à échelles diverses, ou encore de productions informationnelles démultipliées » (Miège, 2019). Afin de procéder à un éclairage conceptuel en lien avec les concepts de médiation et de dispositif nous proposons, pour les appréhender, de remonter aux sens premiers du terme, tel qu’il est défini dans le dictionnaire tout en mettant en avant ses origines étymologiques.
15Partons tout d’abord de son acception dans le langage courant « l’action de médiatiser, de faire passer par les médias » selon le Dictionnaire Larousse3. Ici le mot média est entendu au sens de « mass media », médias de masse. En SIC la majorité des recherches se cristallisent d’ailleurs autour de cette approche et se consacrent à l’information médiatique4.
- 5 Trésor de la langue française informatisée [en ligne]. CNRS & Université de Lorraine, 1994. Disponi (...)
16Il existe une autre acception du substantif médiatisation, mise en avant dans le Trésor de langue française informatisé (TFLI)5, et qui pourrait nous aider dans notre appréhension du concept car elle nous semble moins restrictive : « Fait de rendre ou de devenir médiat ». « Médiat » fait référence à la notion d’intermédiaire à travers des actions, des travaux, ou encore des activités réalisées dans un objectif de porter à connaissance ou de rendre compréhensible. Il renvoie également à travers son acception médicale de « consultation médiate » à l’instrument. Cette référence à l’instrument est intéressante car elle donne une dimension matérielle à la médiatisation. En SIC, cette dernière n’est pas explicitement présente alors qu’elle a fait l’objet d’un travail important dans le domaine de la psychologie avec les travaux de P. Rabardel (Rabardel, 1995). Ainsi, le courant de la didactique professionnelle, centré sur l’analyse de l’activité instrumentée, considère la médiatisation au travers du rôle de l'instrument dans les relations humaines avec l'objet technique, notamment des interactions médiatisées et pense la médiation par les artefacts dans l’apprentissage (Rabardel, 2005) dans une visée proche de l’ergonomie cognitive. Il y est d’ailleurs fait référence de manière indifférenciée à l’activité instrumentée et à l’activité médiatisée (Ibid.).
17Ces définitions nous permettent de dégager deux approches de la médiatisation l’une matérielle faisant écho au mot « médiat », l’autre privilégiant les mass media. Ces dernières sont loin d’être incompatibles, elles sont même complémentaires. D’une part, elles convoquent toutes les deux la notion d’intermédiaire. D’autre part, elles sont inévitablement reliées car un média de masse comporte forcément une dimension matérielle et technique. Il renvoie aujourd’hui à ce titre aux « différentes technologies modernes de l’information et de la communication, qu’il s’agisse de supports de diffusion de l’information ou d’outils interactifs d’accès à l’information ou de communication » (Bélisle, Bianchi, Jourdan, 1999). Le mot média pourrait d’ailleurs être la clé sémantique qui nous permettrait définir le concept. L’étymologie nous éclaire dans ce sens. En effet, le mot média, pluriel de « médium » renvoie au latin « medius » qui est au milieu, central. « Medium » a au cours des siècles acquis différents sens le considérant à la fois comme support et moyen de diffusion dans différentes disciplines telles que les arts plastiques ou la philosophie (Regimbeau, 2011) jusqu’à ce que sa définition se cristallise autour de son pluriel pour renvoyer aux médias de masse.
18Ainsi, cette double dimension du médium en tant que support et moyen de diffusion nous permet d’appréhender le concept dans une perspective sémantique plus large. Les sciences de l’information et de la communication préfèrent d’ailleurs utiliser ce terme comme alternative à « média » : « Il demeure le plus approprié pour signifier le véhicule d’une inscription : son support et son moyen de diffusion » (Ibid.). Nous rejoignons ici Y. Jeanneret pour lequel le mot média désigne « la dimension de configuration d’un échange communicationnel par un dispositif matériel » (Jeanneret, 2007). Situant ainsi le média comme engageant un rapport communicationnel, il associe la médiatisation à un processus de communication médiatisée, le média permettant quant à lui de donner une forme à l’interaction, d’offrir un support à l’expression symbolique et de conditionner les moyens de l’interprétation (Ibid.). Dès lors si comme nous l’avons vu la médiation est un acte social à la fois contenu et relation, la médiatisation peut être appréhendée comme « le fait que cet acte passe par un dispositif matériel et technique » (Jeanneret, 2019) mobilisant un média. Ainsi, la médiatisation renvoie à une opérationnalisation de la médiation. Elle la modélise et lui donne forme par le recours à un média donné.
19Les définitions de ces trois concepts étant ainsi posées, nous allons maintenant les mettre en relation et les aborder dans une visée systémique.
20Trois concepts, différents et pourtant liés, imbriqués les uns dans les autres. Nous proposons de synthétiser leurs relations, caractérisations et dimension principales dans le schéma ci-dessous. Notre point de départ est tout d’abord la médiation car c’est à partir d’elle que les deux autres concepts peuvent être envisagés.
Figure 1 : Médiation, médiatisation, dispositif : schéma des trois concepts
21En effet, à la fois contenu et relation, la médiation possède, nous l’avons vu, une dimension langagière, logistique et symbolique, trois dimensions au cœur desquelles se nouent les liens entre nos trois concepts. De par sa dimension langagière, la médiation renvoie à une communication médiatisée. Ainsi la médiatisation fait référence au processus de mise en place de cette communication par un média, ce dernier étant support de cette communication et moyen de diffusion. De cette manière, elle donne forme au processus de médiation et l’opérationnalise. Par ailleurs, mettre en place une communication médiatisée suppose une organisation matérielle, un agencement d’éléments. C’est là que peut intervenir le dispositif. Celui-ci n’est pas neutre. Il renvoie à des intentionnalités qui lui sont propres afin de faciliter la circulation des savoirs. Dans ce sens, le choix du média n’est pas non plus anodin car il conditionne lui-même cette circulation. Dès lors, parce qu’il permet d’organiser la communication médiatisée, le dispositif renvoie à une certaine plasticité, car il intègre les concepteurs et les usagers qui par leur manière de vivre le dispositif le modifient et le font évoluer. Ainsi le dispositif agit à un triple niveau. D’une part, il permet d’organiser la communication médiatisée car il fait le lien entre les dimensions langagières et logistiques de la médiation. D’autre part, par ricochet, il supporte le processus de médiatisation. Enfin, parce qu’il aide à la circulation des savoirs, il permet à cette dernière de s’exercer dans un espace symbolique au travers du partage de normes et de valeurs. Ainsi, la dimension symbolique de la médiation, même si elle apparaît moins en lien avec les autres caractéristiques des concepts dispositif et médiatisation, reste importante pour les trois concepts car c’est à travers elle que se crée un tiers espace et le rapprochement des acteurs en prise avec des espaces segmentés de pensées et de discours.
22Proposer une approche systémique des concepts de médiation, médiatisation et dispositif nous permet de dégager leur complémentarité et de les appréhender dans leurs dimensions. En effet, leur proximité entraîne parfois des mobilisations différentes, ce qui ne contribue pas à stabiliser leur usage conceptuel. Or, en SIC comme dans d’autres champs scientifiques ces concepts sont largement utilisés, ce qui à notre sens demande de travailler à stabiliser leur arrière-plan épistémique.
23Nous avons donc tenté dans cet article, de les comprendre d’un point de vue macro, c’est à dire de questionner leurs rapports avec la communication médiatisée dans lesquels ils s’ancrent, tous trois réunis pour faire en sorte, avec les spécificités qui sont les leurs, que deux mondes disjoints se rapprochent. Ainsi, s’il semble difficile de penser le concept de médiation sans l’associer à celui de dispositif et de médiatisation, questionner ce triptyque conceptuel du point de vue des SIC nous permet de constituer un socle d’analyse suffisamment large pour appréhender la variété des contextes auxquels renvoie la médiation.