1Si les concepts « dispositif » et « médiation » sont souvent définis de manière proche, par exemple au travers de la notion d’intermédiaire ou d’entre deux, pour autant ils ne représentent pas les mêmes enjeux théoriques et pratiques. Tant du point de vue de la recherche, que de celui de leurs utilisations dans le domaine empirique, ces concepts ont fait l’objet au cours du temps de diverses controverses et usages dans les champs scientifiques de l’information et de la communication et de l’éducation ou dans les champs proches. Ainsi le dispositif et la médiation sont tantôt objet de recherche tantôt mise en forme de la démarche de recherche (notamment dans les recherches collaboratives). Ce flottement d’usage est-il issu de leurs origines épistémologiques, de leur définition théorique ou de leurs proxémies ?
2Comme le soulignent Peeters et Charlier, « la notion de dispositif a pu être sujette à des variations de compréhension en fonction des contextes historiques et institutionnels. Elle s'est caractérisée par une relative plasticité qu'il ne convient pas de nier. Néanmoins, elle parait connaitre aujourd'hui une certaine stabilisation autour de quelques traits significatifs. Plusieurs auteurs soulignent aussi le caractère hybride de la notion. Elle serait le produit d'un travail de l'analyste ou du praticien qui cherche à faire des mises en correspondances, des articulations » (Peeters et Charlier, 1999). Creusant ce sillon, différents auteurs ont précisé comment le dispositif en tant qu’objet d’analyse d’autres processus, notamment de formation pouvait être opérationnel, et nous pouvons nous appuyer sur les caractéristiques développées par Albero posant 3 dimensions : « le dispositif idéel en tant que projet fondateur qui oriente en permanence, souvent de manière implicite, l'activité des responsables et de certains intervenants ; le dispositif vécu par les acteurs dans sa mise en œuvre effective sur le terrain, selon les contextes spécifiques, les dispositions et les compétences ; le dispositif fonctionnel de référence, base commune de règles formelles et de cadres pratiques à partir desquels se mènent les négociations et se prennent les décisions » (Albero, 2010). De son côté Piot considère le dispositif pédagogique comme un espace où « l’élève comme un sujet cognitif intègre les dimensions plurielles de “l’apprendre” » (Piot, 2005)
3La médiation quant à elle renvoie à « milieu, intermédiaire, moyen » et c’est aussi d’emblée une notion large et d’une grande polysémie. La médiation est « l’articulation entre la dimension individuelle du sujet et de sa singularité et la dimension collective de la sociabilité et du lien social » (Mucchielli, 1995). Elle est aussi utilisée dans le sens de traduction, de connexion et de lien. Pour la sociologie de la traduction, ce concept engage à comprendre la médiation comme un fait d’alternance constructiviste et connexionniste. En d’autres termes, plus qu’un entre-deux médian, la médiation passe par toutes sortes de degrés reliant différents pôles quand elle est passage, comme un curseur instable, avec des phases de circulation, de stase, de réflexivité unipolaire, de feed-back réussis ou avortés, etc. dépendantes d’un sens à circonvenir dans l’interaction. En ce sens « il peut être possible de mieux appréhender et connaître les usages et ainsi mettre en place des médiations pour participer à la construction des connaissances » (Gardiès, Fabre, Couzinet, 2010). On peut donc considérer la médiation comme un processus créateur d’un nouveau message, non arbitraire, qui implique un certain aménagement (dispositif) et constitue un passage, même si « ce qui se joue dans une situation de médiation ne concerne pas seulement une relation entre acteurs, mais un rapport au monde » (Jeanneret 2008). Pour Vygotsky, le signe, tout comme le mot, est l'élément principal dans le processus de la médiation. Le signe se présente comme le point d'intersection de la psychologie, de la philosophie et de la linguistique. Il n'analyse pas la structure du signe, c'est la fonction du signe dans le développement des processus psychiques supérieurs qui est importante. Enfin nous pouvons considérer son lien intrinsèque avec les savoirs car « la médiation est fondamentalement humaine et vise, dans le cas de l’éducation ou de la formation, à mettre en relation un ou des apprenants avec des connaissances et des savoirs, afin précisément qu’ils construisent un savoir propre » (Rinaudo, 2015).
4Peeters et Charlier avancent un paradoxe lié à la notion d’entre deux qui amène à relier dispositif et médiation : « or, 1' entre-deux n’est pas fusion indifférenciée de deux pôles |…] mais attestation d'un espace de médiation irréductible entre ces deux-ci. L'entre-deux ne dissout pas les pôles, il les met en relation. Le dispositif désigne le lieu d'une dialectique qui demande à être traitée pour elle-même et qui doit encore être véritablement thématisée. L'usage du concept s'intègre toujours dans le champ de l'instrumentalité Cette évolution apparait particulièrement sensible dans le champ de la pédagogie et de la médiation des savoirs » (Peeters et Charlier, 1999). Ainsi si « dispositif » et « médiation » peuvent être théoriquement rapprochés, parfois en tant que dispositif médiateur (Couzinet, 2006), qu’en est-il de leur usage dans le champ des recherches en information-communication et en éducation ? Sont-ils mobilisés comme objet de recherche ou comme démarche de recherche ? Dans un cas comme dans l’autre comment ces deux concepts s’opposent-ils ou se complètent-ils tant du point de vue théorique qu’empirique ?
5Le présent numéro thématique est structuré en deux parties. La première a pour fil conducteur une approche plus théorique du couplage dispositif médiation et la seconde partie propose des exemples de mise à l’épreuve de ce couplage dans différents contextes.
6La première partie comprend cinq contributions. L’article initial (Canizares et Gardiès) met en débat trois notions distinctes et complémentaires : le dispositif, la médiation et la médiatisation. L’article qui suit (Marcel) discute l’articulation dispositif-médiation à partir de la notion de tiers-espace en s’appuyant sur le cas de la recherche-intervention. La troisième contribution (Piot) présente et discute deux fonctions en tension du couple dispositif-médiation : comprendre et agir. Le quatrième article (Vergnioux) propose mobilise les notions de dispositif et de médiation dans une approche philosophique s’appuie notamment sur les travaux de Michel Foucault. Le dernier article de cette première partie (Rinaudo), s’interroge d’un point de vue épistémologique sur le couplage dispositif-médiation dans le cas de recherche clinique dans le cadre de la clinique à orientation psychanalytique.
7Six articles constituent la seconde partie, illustrant dans des logiques et sur des terrains variés la pertinence et l’opérationnalité du couplage dispositif-médiation.
8Le premier article (Hatano-Chalvidan) présente un dispositif des acquis d’expérience et les médiations associées, pour un public de personnes en situation de handicap. Ensuite est présenté un dispositif de médiation dans le champ de l’éducation familiale (Pinsolle). Le troisième article (Rothier-Bautzer et Troisoeufs) aborde les dispositifs et médiations proposées aux patients dans le cadre d’un parcours de soin. L’article suivant (Couzinet) se centre sur le couplage dispositif-médiations dans le cadre de recherches documentaires. Les scénarisations pédagogiques sont au cœur de l’article suivant (Liquète et Lehmans), en tant qu’elles sont des médiations entre usagers et dispositifs. Le dernier article (Sognos) s’intéresse à la médiation des savoirs dans des dispositifs collaboratifs, du point de vue des registres sémiotiques mobilisés.
9L’ensemble permet de mettre en avant à la fois la richesse conceptuelle et l’intérêt pragmatique du couplage dispositif-médiation, souvent regardé comme trop ordinaire.