1La revue est un média de communication essentiel de la science (Meyriat, 1967). Elle permet aux chercheurs de transmettre des connaissances, de se faire connaître dans la communauté scientifique et de participer au débat scientifique (Lamizet, Silem, 1997). En effet, l’autorité d’un chercheur s’acquiert par ses publications et la reconnaissance de ses pairs. Cette dernière se construit par les publications dans des supports dont les comités d’experts sont les plus sélectifs.
2On ne peut aborder la revue sans parler de médiation entendue au sens de dispositifs d’accompagnements et de langages permettant aux publics de s’approprier des savoirs. Cette médiation est manifeste pour des revues qui abordent une discipline donnée. Mais qu’en est-il d’une revue dont le titre se réfère à deux disciplines ? Dans ce cas, assure-t-elle une médiation entre elles ? Quelle place réserve-t-elle à chacune d’elles ? Comment participe-t-elle à la circulation des savoirs et des connaissances qu’elle met au jour ? Autrement dit la bidisciplinarité affichée est-elle porteuse d’une hybridation entre ces deux disciplines ?
- 1 La revue intitulée Perspectives documentaires en sciences de l’éducation du n° 1 de 1983 au n° 18 d (...)
3Pour répondre à ces questions, nous avons choisi de mener un travail empirique sur une revue qui s’inscrit par son titre en sciences de l’éducation (se) et en sciences de l’information et de la communication (sic) : Perspectives documentaires en sciences de l’éducation1. Ce choix s’explique par le projet qui nous anime de prolonger les recherches visant à établir une typologie des revues (Couzinet, 2015) et par l’intérêt que nous portons, du fait de notre formation initiale, à la fois aux sciences de l’éducation et aux sciences de l’information et de la communication dans sa branche documentation. Après avoir explicité le cadre théorique de la médiation des savoirs par les revues, nous nous pencherons sur le parcours de J. Hassenforder et sur les rencontres qui l’ont conduit à fonder Perspectives documentaires en sciences de l’éducation. L’analyse de sa publication entre 1983 et 2005 permettra d’interroger ses formes de bidisciplinarité et d’hybridité.
4Savoir et connaissance sont des notions centrales étudiées en sic. Par savoir, on entend un » ensemble organisé de connaissances cumulées et durables » (Meyriat, 1981), quant à la connaissance, elle renvoie à un « travail productif des sujets sur eux-mêmes pour s’approprier des idées ou des méthodes » (Jeanneret, 2000). C’est l’information, en tant que « connaissance transmise et acquise, constitutive de savoirs » (Meyriat, 1983) qui vient modifier « l’état de connaissance de celui qui la reçoit » (Meyriat, 1985).
5Médiation, notion clé elle aussi, peut être entendue au sens de processus, de moyens, d’interfaces qui visent à la mise en relation et au partage de savoirs dont l’identité peut varier en fonction des terrains d’application. Elle désigne aussi des fonctions d’intermédiaires, les médiateurs, aussi bien dans les professions de l’information que de la communication.
6Mises côte à côte, ces trois définitions de savoir, connaissance et médiation, nous permettent d’envisager les revues comme des supports de médiation des savoirs, c’est-à-dire comme « l’ensemble des processus médiatiques et interactionnels qui concourent à la construction, au partage, à la diffusion voire à la confrontation de connaissances socialement institutionnalisées » (Bonnet, Galibert, 2016).
7Certaines revues choisissent de mettre en regard des articles d’auteurs de statuts différents : chercheurs, praticiens, doctorants... ces publications sont des outils de partage de savoirs, de pratiques et d’expériences. La médiation prend alors forme dans les langages et les formes d’écriture. En ce sens, la revue est un objet dynamique de rencontres, de regards variés et de confrontation, un espace de dialogue. Elle permet au lecteur une co-construction de sens. L’écriture proposée engage le lecteur dans une réflexion sur ses propres pratiques. Elle devient médiatrice de savoirs à partir du moment où les expériences ou les pratiques publiées transforment le lecteur, le touche intérieurement, parce que l’expérience décrite fait écho à ce qu’il est. Pour M. Gellereau, la médiation n’est pas neutre, elle est un processus d’interpénétration, « un élément dynamique » qui produit des transformations par co-construction (Gellereau, 2018). Cette médiation des savoirs par la revue prend des formes différenciées en fonction des objectifs et des publics qu’elle vise.
8Dans le domaine des sciences, des techniques et de la santé la revue reste le support privilégié des chercheurs tandis que les sciences humaines et sociales privilégient plutôt le support livre publié chez un éditeur scientifique avec un comité scientifique reconnu par la discipline d’appartenance de l’auteur. Selon les disciplines, les communications éditées dans des actes de colloques internationaux peuvent occuper aussi une place importante. Néanmoins, pour un chercheur, la publication d’un article dans une revue scientifique tient une place essentielle d’autant que de nombreuses disciplines disposent d’une liste de revues qui font référence.
9Pour qualifier une revue de « scientifique », R. Boure dégage différents critères comme celui de la fonction, la manière de diffuser les résultats et les conditions de leur obtention ; le contenu scientifique produit en vue de faire progresser l’activité de la recherche ; la validation des articles pour publication par des chercheurs reconnus dans leur discipline (Boure, 1993). V. Couzinet ajoute à ces critères l’indexation documentaire dans une banque de données comme celles du Centre National de la Recherche scientifique (cnrs) : Pascal et Francis, pour les revues en sciences exactes, humaines et sociales (Couzinet, 2008). On peut ajouter avec Fraysse et J. de Bideran que « des résumés des articles sont rédigés en début de volume en français, et en langue étrangère [et que] la revue est diffusée à l’étranger » (Fraysse, Bideran 2017).
10À côté des publications scientifiques dont les auteurs s’adressent principalement à leurs pairs, les chercheurs sont invités à publier des articles pour tous les publics. Il s’agit pour eux d’éveiller l’intérêt et de développer l’esprit critique, afin de permettre hors du monde de la recherche, de s’approprier de nouvelles connaissances et de s’informer sur les nouvelles découvertes, aider éventuellement à prendre position sur des questions personnelles ou publiques. Cette vulgarisation scientifique participe de la reconnaissance de la compétence et de l’autorité scientifique (Couzinet, 2008). D. Jacobi explique comment le vulgarisateur, placé dans une situation de médiation, reformule le discours scientifique, et comment il use d’une terminologie particulière pour expliquer et traduire la science pour la rendre accessible (Jacobi, 1985).
11Il arrive que certains chercheurs publient aussi leurs travaux dans des revues professionnelles. En effet, les praticiens confrontés à l’évolution des connaissances, des machines, des outils et des techniques de l’information et de la communication, se trouvent dans la nécessité d’actualiser leurs savoirs et savoir-faire. Par leurs écrits, les chercheurs peuvent ainsi contribuer à la mise à jour de leurs connaissances. Les revues professionnelles se préoccupent de problèmes pratiques de la profession. Elles assurent la mémoire et constitue un forum d’échanges d’expériences et de débats (Gagnon-Arguin, 1992).
12À côté de ces trois types de revues : scientifiques, de vulgarisation et professionnelles, une catégorie particulière identifiée comme hybride a émergé de recherches développées à partir des années deux mille (Couzinet, 2015).
- 2 L’ADBS est une association de professionnels de l'information et de la documentation. Elle a été cr (...)
13Les revues hybrides apparaissent sous des formes diverses, voire qui s’opposent, comme des auteurs venant de mondes différents, des contenus appartenant à plusieurs disciplines, des publics multiples visés… En effet, certaines revues choisissent de publier à la fois des écrits de chercheurs et écrits de professionnels. À partir d’un travail empirique, V. Couzinet (2000) a étudié la médiation à travers la revue Documentaliste produite par l’Association des Documentalistes et Bibliothécaires Spécialisés (adbs)2. Au départ, cette revue souhaite « développer les liens et les échanges à l’intérieur de la profession, assurer la défense des intérêts, la promotion et le perfectionnement de tous ceux qui exercent une activité documentaire » (Documentaliste n° 2, 1967). À partir de 1970, elle essaye d’attirer des chercheurs en publiant un premier article d’un enseignant chercheur américain. En 1974, elle reprend les communications d’un colloque organisé par l’association sous la direction de J. Meyriat qui en est alors vice-président. En 1976, la revue complète son titre et devient Documentaliste-Sciences de l’information alliant alors le praticien : documentaliste, à une discipline scientifique : les sciences de l’information. En 1977, deux chercheurs en sic entrent dans le comité de rédaction de la revue.
14Cette recherche a permis à V. Couzinet de forger la notion de « médiation hybride » et de proposer une troisième voie à la communication de la science, celle entre chercheurs et praticiens dans une même spécialité, après la première entre chercheurs et la deuxième entre chercheurs et grand public. La revue étudiée est alors qualifiée « d’hybride » puisqu’elle sépare et réunit à la fois des représentations de la recherche et des réalités de l’activité professionnelle (Couzinet, 2008).
15Pour notre part, nous nous centrons sur la manière dont une revue qui renvoie à deux disciplines, assure une médiation entre elles. Quel projet animait son fondateur J. Hassenforder ? Pour le déterminer, nous nous sommes intéressée à son parcours et à ses rencontres, notamment entre 1970 et 1985, avec J. Meyriat une figure des sic.
16J. Hassenforder fait ses études à l’Institut des Sciences Politiques et à l’Institut des sciences et techniques de la documentation (intd) à Paris où il obtient un diplôme en documentation. En 1955, il est certifié d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (cafb) et intègre le Centre d’études économiques de Sciences Politiques comme documentaliste. En 1958, il entre comme documentaliste puis comme chercheur et enseignant à l’Institut Pédagogique National (ipn).
17Dès 1961, il fonde la revue Éducation et bibliothèques (1961-1965) et y publie notamment une étude biographique comparée de trois bibliothécaires : le britannique E. Edwards (1812-1886), l’américain M. Dewey (1851-1931) et le français E. Morel (1869-1934), « trois pionniers des bibliothèques publiques » (Hassenforder, 1964). Son intérêt pour l’histoire des bibliothèques le conduit à soutenir une thèse de doctorat en pédagogie le 29 janvier 1966 à l’Université de Paris sous la direction de M. Debesse. Il s’agit de la première thèse française portant sur les bibliothèques publiques et scolaires que l’éditeur Cercle de la Librairie publiera en 1967 avec une préface de l’économiste J. Fourastié (Hassenforder, 1967).
18En 1971, il enseigne à l’École Nationale Supérieure des Bibliothèques (ensb). Jusqu’en 1976, il travaille à l’Institut national de recherche et de documentation pédagogiques (inrdp) avec une collègue canadienne, Bernhard, et poursuit ses activités d’enseignement à l’Institut d’éducation de l’Université Paris x Nanterre (1980).
- 3 Première inscription des SIC, devenue par la suite 71e section du Conseil national des universités.
19En 1976, il est inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître-assistant (lafma) de la 52e section du Comité consultatif des universités (ccu)3, et sur la lafma de la 8e section : en sciences de l’éducation (Boure, 2007). R. Boure remarque que parmi les dix-neuf premiers enseignants en sic, trois la quitteront pour rejoindre leur section d’origine : A.-M. Laulan (sociologie), B. Quemada (linguistique) et J. Hassenforder (sciences de l’éducation).
20Au début des années quatre-vingt, J. Hassenforder est responsable du Centre de Documentation Recherche de l’Institut National de Recherche Pédagogique (inrp) et rédacteur en chef de la Revue française de Pédagogie. En 1983, il crée la revue Perspectives documentaires en sciences de l’éducation, faisant suite à la revue Informations bibliographiques en sciences de l’éducation (1975-1982), qui elle-même a été créée après la publication de Livraison documentaire (1972-1975). La revue deviendra Perspectives documentaires en éducation en 1990 (1990-2005)
- 4 En 1977, J. Hassenforder et G. Lefort dirigent la publication d’un ouvrage intitulé : Une nouvelle (...)
21À côté de ses fonctions de documentaliste, d’enseignant et de rédacteur en chef, J. Hassenforder est un membre actif de plusieurs associations culturelles et éducatives comme l’Association des Bibliothécaires Français, l’Association des amis de Sèvres, l’adbs, Les amis de La Joie par les livres. Il a participé à la création de l’Association pour le développement des actions culturelles et éducatives (ADACES) pour mener à bien l’implantation de bcd (Bibliothèque Centre Documentaire) dans six écoles élémentaires. J. Hassenforder a une approche tout à fait novatrice de la pédagogie documentaire, il s’inspire particulièrement de ce qui se fait déjà à l’étranger et développe ce qu’il appelle lui-même « la pédagogie de la documentation »4.
22Ce parcours est lié à la rencontre de plusieurs personnes qui ont joué un rôle dans son cheminement de pensée. Parmi les nombreuses personnalités du monde scientifique qui ont croisé sa route, on peut citer M. Debesse, J. Fourastié, J. Dumazedier, J.-C. Fourquin ou encore J. Meyriat.
23J. Hassenforder fréquente des personnes du monde de l’enseignement et de la recherche comme M. Debesse (1903-1998), son directeur de thèse, enseignant en psychologie pédagogique, dont les travaux portent sur la formation intellectuelle de l’enfant et la psychologie de l’enfant et de l’adolescent ; J. Fourastié (1907-1990), professeur d’économie, qui rédigera en 1967 la préface de l’édition de sa thèse et J.-C. Forquin (1939-2009), professeur en sciences de l’éducation à l’inrp, rédacteur en chef de la Revue française de pédagogie et conseiller de la rédaction pour Perspectives documentaire en sciences de l’éducation.
24Il rencontre également J. Dumazedier (1915-2002), l’un des premiers à s’intéresser au temps libre lié à la transformation du travail et fondateur d’une association d’éducation populaire indépendante : « Peuple et Culture » qui a pour but de « rendre la culture au peuple et le peuple à la culture »5. Au cnrs, J. Dumazedier crée l’équipe des Modèles Culturels et du Loisir. En 1962, il publie Vers une civilisation du loisir ? qui connaîtra un succès international. Sa formation scientifique aboutit à un doctorat d’état de sociologie en 1973 et il devient enseignant en sciences de l’éducation en 1974. Avec J. Hassenforder, J. Dumazedier publie une étude socio historique et statistique intitulée : « Éléments pour une sociologie comparée de la production, de la diffusion, de l’utilisation du livre » parue en 1960 dans Courrier de la Recherche pédagogique que dirige alors J. Hassenforder à l’ipn. Complétée et éditée en 1963 par la Bibliographie de la France, cette étude ouvre la voie à d’autres travaux comme ceux de la conservatrice générale des bibliothèques M. Poulain ou du sociologue F. de Singly.
25Par ailleurs, dans ces engagements associatifs ou universitaires J. Hassenforder côtoie J. Meyriat (1921-2010) lui-même investi dans la fondation institutionnelle et scientifique des sic. Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres classiques, ce dernier se passionne pour les lettres classiques (Couzinet, 2001) puis s’intéresse à la science politique qu’il enseigne dès 1946. Entre 1948 et 1990, il dirige le centre de documentation de la Fondation des Sciences Po et le centre d’études des relations internationales (ceri) (1952-1956). Il se consacre peu à peu à l’information et à la documentation. En 1962, il est nommé directeur d’études en « méthodologie de l’information scientifique » à la 6e section de l’Ecole pratique des hautes études (il restera à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, qui la remplace en 1975, jusqu’en 1990).
- 6 J. Meyriat préside la SFSIC de 1972 à 1984 et J. Hassenforder en est l’un des membres en 1979.
26En 1970, J. Meyriat entre au conseil d’administration (ca) de l’adbs en assure la vice-présidence en 1972, puis la présidence (1981-1985). En 1968, J. Hassenforder, lui aussi membre de l’association, anime l’un des groupes sectoriels qui permettent aux adhérents de se réunir par centres d’intérêt. Il est plus particulièrement en charge du groupe Education (Tinader, Caron, Le Campion, 2003). Il est également membre du ca de 1972 à 1974 donc sous la vice-présidence de J. Meyriat (Couzinet, 2000). C’est dans ce contexte qu’apparaît, en l’état des archives disponibles, la rencontre entre les deux hommes que les engagements pour la pratique documentaire et au sein de la société scientifique qui deviendra la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFIC)6 et que le statut, ils sont tous deux enseignants chercheurs, rapproche.
27En choisissant de créer une revue en se, J. Hassenforder mobilise une certaine approche de la médiation qui s’inscrit dans la lignée de ses recherches. Il y montre un intérêt perceptible dans le projet éditorial pour l’autoformation de l’adulte. Perspectives documentaires en sciences de l’éducation se situe dans la continuité d’Informations bibliographiques en sciences de l’éducation. La rédaction invite par ce nouveau titre « à un effort de réflexion sur les besoins et les techniques documentaires en sciences de l’éducation. » En plus des rubriques bibliographiques, les lecteurs peuvent y trouver « des points de vue et des comptes rendus concernant la communication documentaire en sciences de l’éducation » (Hassenforder, 1983, 3).
- 7 Le n° 42 de la revue Perspectives documentaires en éducation est consacré à un hommage à J. Hassenf (...)
28Notre analyse se fonde essentiellement sur les numéros publiés entre 1983 et 2005. Nous avons considéré les éditoriaux quand il y en a, le projet éditorial, les numéros « anniversaires » qui dressent des bilans7 ou encore les numéros thématiques ou dossiers spéciaux qui permettent d’approfondir une question.
29À notre connaissance il n’existe pas de répertoire annuel disponible des enseignants chercheurs français par discipline pour la période que nous étudions ce qui nous aurait permis de les identifier aisément dans la revue. Par ailleurs, les listes des revues de référence par discipline sont récentes (sic : 2006 ; se : 2009). Nous avons donc cherché d’autres indicateurs de la place des deux disciplines dans la revue. Quatre ont été retenus : le statut de l’éditeur de la revue, les thèmes abordés dans la rubrique « communication documentaire », les titres des revues analysées par G. Lefort pour la rubrique « Bibliographie courante » et la place des dix-neuf premiers chercheurs en sic dans la revue.
30Le premier numéro paru en 1983 est édité par le Centre de documentation recherche de l’inrp. Créé en 1976, cet Institut est placé sous la tutelle des ministères chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il a pour mission d’accueillir des recherches pédagogiques et d’offrir des ressources documentaires en éducation. Il joue un rôle de médiation entre la recherche scientifique et les acteurs éducatifs dans la formation des formateurs. En 2010, l’inrp est dissout et depuis 2011, les revues qu’il publie sont devenues des revues de l’Ecole normale supérieure de Lyon. On y trouve notamment la Revue française de pédagogie fondée en 1967 (205 numéros parus), Histoire de l’éducation créée en 1978 (151 numéros parus) et Recherche & formation créée en 1987 (90 numéros parus).
31Dès 1975, la revue qui ne se nomme pas encore Perspectives documentaires en sciences de l’éducation associe les deux disciplines : la documentation, branche des sciences de l’information, et les sciences de l’éducation. Rappelons qu’en France, les sciences de l’éducation deviennent une discipline universitaire dès 1967, alors que les sic ne le deviennent qu’en 1975. Dans la revue, le rapprochement des deux est visible notamment à travers l’évolution de son titre : Informations bibliographiques en sciences de l’éducation (1975-1982), Perspectives documentaires en sciences de l’éducation (1983-1989), Perspectives documentaires en éducation (1990-2005) (Figure 1). Par ailleurs, si la rédaction accueille des articles d’auteurs issus d’autres disciplines comme la psychologie, la sociologie, la philosophie ou l’histoire dans leur relation avec l’éducation la revue reste positionnée en sciences de l’éducation.
Figure 1 : Périodes de publication de quatre revues liées
Figure 2 : Tableau présenté pour la rubrique « bibliographie courante » dans le no 15, 1988, p. 140
32La rubrique « Communication documentaire en sciences de l’éducation » changée par la suite pour « Communication documentaire » est fortement marquée par l’intérêt de J. Hassenforder pour les modes de diffusion de la culture écrite. Les thèmes abordés montrent les champs d’études des chercheurs et les préoccupations des enseignants. La documentation, et en particulier l’accès à l’information, y sont largement étudiés. On relève par exemple : l’éducation et l’école dans les romans français, la formation des enseignants et des formateurs, les pratiques de lecture, les prêts d’ouvrages en bibliothèque, l’information documentaire, les usages de la documentation, la production bibliographique à l’étranger, l’apport de la documentation étrangère, la bibliographie : conception, utilisation, les usages des banques de données bibliographiques (infométrie), les revues : Revue française de pédagogie, Les sciences de l’éducation pour l’aire nouvelle, Cahiers pédagogiques, Inter-cdi…
33Plusieurs travaux ont été réalisés dans différents espaces documentaires : bibliothèques spécialisées en se, bibliothèques d’Unité d’enseignement et de recherche (uer) en se, bibliothèques d’Ecoles normales, l’inrp, un centre de documentation recherche, une médiathèque pédagogique, une bibliothèque spécialisée en sciences, la bibliothèque historique des économies sociales d'H. Desroche.
- 8 Parmi les périodiques analysés par G. Lefort dans la rubrique « Bibliographie courante » on peut ci (...)
34On relève aussi des auteurs dont les professions ou situations sont liées au milieu de l’éducation : enseignants stagiaires, étudiants, instituteurs, producteurs de documentation, enseignants, formateurs, utilisateurs d'une bibliothèque, élèves, chercheurs, documentalistes. Les articles de chercheurs en sic sont rares, voire inexistants, on trouve un article de C. Duarte-Cholat (n° 57, 2002), mais après un dea en sic cette dernière soutient une thèse en se qui se centre sur les tic, la documentation et les pratiques documentaires dans les cdi de collège. Dans la rubrique « Bibliographie courante » on remarque que les revues analysées par G. Lefort appartiennent aux champs de l’éducation, de la psychologie ou de la sociologie8.
- 9 R. Escarpit, M. Sanouillet, -F. Christin, M.-J. Lemainque, C. Metz, A.-M. Laulan, B. Quemada, J. Ha (...)
- 10 Articles publiés par J. Hassenforder : « Les prêts d’ouvrages dans une bibliothèque spécialisée en (...)
35Parmi les auteurs cités, la comparaison avec la liste des dix-neuf premiers enseignants en sic inscrits à leur demande en 52e section en 19769, on peut repérer une référence à R. Estivals (n° 29 44, cité par F. Sublet) et deux références à R. Escarpit (n° 42 167, cité par N. Robine). Entre 1983 et 1998, J. Hassenforder – qui fait lui aussi parti des dix-neuf premiers enseignants en sic répertoriés par R. Boure – a publié seul, ou en co-écriture, sept articles pour la revue. Les thèmes qu’il y aborde flirtent avec les deux disciplines se et sic. Mais même s’il mentionne les sic c’est toujours au service des se, et les questions traitées sont systématiquement rapportées aux se10.
36Ainsi l’analyse des numéros de la revue, des thématiques abordées et des auteurs retenus, révèle son ancrage fort dans les se. Néanmoins, si les sic ne sont pas mobilisées comme science, comme le montre le peu de références aux chercheurs de cette discipline, on perçoit que le sous-domaine de la science de l’information-documentation est largement représenté mais seulement dans sa dimension technique.
37Si dans le dernier numéro de la revue, J.-C. Forquin et R. Bourdoncle écrivent : « cette fin de la carrière d’une revue nous invite […] à un rappel de ce qui […] aura constitué l’apport original d’une publication qui s’est positionnée, de manière atypique, à l’interface de la documentation et de la recherche… » (Forquin, Bourdoncle, 2005), nous proposons plutôt de dire que la documentation s’est rendue au service des se.
38La formation et le poste occupé en début de carrière par J. Hassenforder expliquent la place essentielle qu’il réserve aux sources documentaires. Elle se reflète dans la finalité instrumentale donnée à la revue. Avec G. Lefort, responsable du centre de documentation de l'École Normale Supérieure (ens) de Saint-Cloud, ils proposent un « dispositif structurant », une classification documentaire destinée à la se. Cet outil documentaire tient compte à la fois de la structuration de la discipline et de la répartition des documents. Cette entreprise prend en considération tant les contenus théoriques que les thèmes correspondants aux besoins des usagers. Les deux auteurs présentent la dernière version de cette classification et la soumettent aux suggestions et aux critiques des lecteurs dans le n° 3 (Hassenforder, Lefort, 1984). Cette classification, reprise par les rédacteurs pour la présentation des sources bibliographiques sera le plan de classement qui organise la rubrique « Bibliographie courante » et fera l’objet de très peu de modifications jusqu’à la publication du dernier numéro en 2005
« les périodiques constituent une des formes privilégiées de la communication scientifique. Cette rubrique poursuit l’objectif d’information sur l’actualité de la recherche en éducation et formation. Elle présente aux lecteurs de les revues nouvellement créées ou les revues récentes qui auraient échappé à leur attention »39Cette rubrique révèle alors la réalisation d’un travail technique en documentation. Dans la rubrique bibliographique renommée « bibliographie courante » puis « ressources » à partir du n° 49 (2000), il s’agit de présenter à travers quatre types de documents la recherche en éducation : les ouvrages et les rapports, les articles de périodiques et les thèses. À partir du n° 14 (1988), est publiée une liste des thèses en éducation récemment soutenues en France. Cette initiative a pour but de mettre en valeur une nouvelle ressource documentaire. Cette rubrique reprend aussi des analyses d’ouvrages publiées dans la Revue Française de Pédagogie. Un regard est aussi porté sur les productions bibliographiques des pays étrangers. Il s’agit d’une volonté affichée par J. Hassenforder de proposer aux chercheurs de s’ouvrir sur une culture internationale fondée sur les travaux scientifiques publiés hors de France et sur la compréhension du fonctionnement des systèmes éducatifs d’autres pays. J. Hassenforder insiste sur la nécessité de cette dimension internationale : « Les exemples étrangers contribuent à une réflexion sur notre propre système et les données correspondantes peuvent nous aider à faciliter la circulation de l’information entre la France et l’étranger » (Hassenforder, n° 5, 1985, 5-10). Cette attention se manifeste également par la présence d’auteurs étrangers, une rubrique consacrée aux innovations et recherches à l’étranger et un dossier spécial sur l’apport de la documentation étrangère (n° 14, 1988, 67-100).
40Cette analyse des propositions documentaires de la revue confirme qu’il s’agit bien de mettre en évidence le rôle de la documentation comme technique du travail intellectuel. J. Hassenforder, qui ne s’investira plus avant dans les sic à partir de 1976 (52e section et société savante) reste sur les acquis de ses formations professionnelles en documentation et en bibliothéconomie. À ce stade de nos observations, il n’y a pas d’hybridation disciplinaire remarquable mais une certaine bidisciplinarité.
41D’un côté, la revue Perspectives documentaires en éducation s’attache à faire connaître les avancées de l’activité savante en se à un public de pairs, et d’un autre côté, elle cherche à rapprocher les chercheurs en se et les professionnels de l’éducation (Hassenforder, n° 5, 1985 : 5-10 ; Hassenforder, n° 15, 1988 : 55-56). Dans ce cas, les chercheurs transposent les connaissances de manière didactique pour mettre en relation les avancées de la recherche et les problèmes pédagogiques. Pour expliquer ce rapprochement chercheurs / praticiens, G. Pastiaux-Thiriat et J.-M. Berbain rendent compte d’un colloque qui s’est tenu à l’INRP en mai 1990 et de journées d’information qui ont suivi. Ils y rapportent notamment les propos du chercheur en se A. de Peretti (1916-2017) : « le chercheur est au service du praticien […] si on veut que les résultats de la recherche soient connus des enseignants et utilisés par eux, il ne convient pas que ces derniers se sentent mis à distance par les chercheurs » (Pastiaux-Thiriat, Berbain, 1990).
42Pour eux, l’interactivité entre chercheurs et praticiens est essentielle et la revue participe à ce rapprochement. « Pour que la recherche ait de l'efficacité, la dissémination est insuffisante, il faut que se créent des liens entre chercheurs et praticiens, liens qui ont plus d'importance pour la suite que les résultats eux-mêmes. C'est aussi l'intérêt scientifique des chercheurs de travailler avec des praticiens : la confrontation secoue les schèmes conceptuels et induit ceux de la recherche suivante, qui en deviendra plus complexe et plus riche » (Pastiaux-Thiriat, Berbain, 1990).
43En ce sens, la revue cherche une mise en proximité, autrement dit, elle souhaite faire dialoguer les différents acteurs pour le développement des connaissances scientifiques. L’hybridité praticiens / chercheurs se manifeste par le type des recherches publiées : recherches appliquées, mise en relation entre théorie et pratique, entre recherche et terrain sont nombreuses. Au fil de l’analyse des différents numéros, nous trouvons des exemples de cette hybridité dans la manière dont les auteurs interviennent dans les rubriques « Itinéraires de recherche » ou « Perspectives de recherche » et « Chemins de praticiens », se répondent ou se complètent. Les premiers, écrivent sur le cheminement ou l’avancée de leur recherche, sur les concepts qu’ils étudient, etc. les seconds décrivent leur expérience du terrain. Ces liens entre praticiens et chercheurs se retrouvent aussi dans des articles de praticiens qui ont franchi le pas de la recherche et racontent leurs parcours de chercheur.
44Dans le n° 62 on relève également un article dans lequel les auteurs relatent une expérience de travail collaboratif entre documentalistes et chercheurs. Les auteurs expliquent comment un groupe de travail s’est formé pour publier des ouvrages qui portent le sous-titre suivant : « Contributions de la recherche, état des pratiques et études bibliographiques » (Lespessailles, Maillebouis, 2005, 131-137).
45L’hybridation se manifeste aussi dans les genres discursifs. Ceux propres au monde professionnel, fondés sur des argumentations techniques et opératoires, et ceux de la recherche, fondés sur des méthodes et des observations spécifiques tendent à se confondre (Couzinet, 2009).
46Ainsi, la volonté de faire dialoguer la pratique et la recherche afin d’enrichir l’une et l’autre conduit à proposer une revue où l’hybridation ne se joue pas entre deux disciplines distinctes, malgré le titre qui lui est attribué, mais une revue attachée à une discipline, la se, ouverte aux praticiens et aux chercheurs. L’hybridation est alors, au sein de cette discipline, entre ces deux mondes présentés comme interdépendants.
47La revue Perspectives documentaires en éducation telle que nous l’avons observée est un média à destination des chercheurs et des praticiens en éducation. Elle met en valeur l’importance des techniques documentaires dans le travail intellectuel en sciences de l’éducation.
48Cette recherche empirique qui s’inscrit dans les problématiques de la médiation de la science nous a permis de découvrir une partie de l’œuvre de J. Hassenforder et de mettre en évidence l’importance de sa formation en documentation. En effet, ses travaux sur les bibliothèques l’ont amené à fonder plusieurs revues croisant éducation et documentation. Les plans de classement, la veille documentaire ou l’analyse de documents qu’il propose sont des moyens d’accès à l’information et aux savoirs qui participent à la formation des lecteurs. L’analyse de la revue montre son inscription disciplinaire en sciences de l’éducation. Si le titre pouvait laisser supposer une double inscription, celle-ci ne trouve sa raison d’être que dans les aspects techniques, et donc opératoires, de la science de l’information. Il ne s’agit pas alors de bidisciplinarité se-sic, ni d’hybridation entre elles du point de vue scientifique, mais de connaissances techniques, la documentation, dans un domaine relevant d’une discipline (sic) au service de la recherche dans une autre (se). L’hybridité quant à elle se situe dans la mise en relation du monde de la pratique et du monde de la recherche en éducation.