Cette recherche a été soutenue par « les fundamental research funds for the central universities » (SKZZB2015046) de Chine que l’auteur remercie pour ce soutien.
1Selon les termes du Bureau international du travail (2016), les emplois atypiques sont devenus aujourd’hui une caractéristique des marchés du travail dans le monde entier. Leur importance globale s’est accrue lors des dernières décennies aussi bien dans les pays industrialisés que dans ceux en développement, au même rythme qu’ils se répandaient dans la plupart des secteurs économiques et des professions. Dans plus de 150 pays, le recours à des employés temporaires dans les entreprises privées est en moyenne de 11 %, environ un tiers des pays étant proches de cette moyenne. Il n’y a pas de définition officielle de l’emploi atypique. Le rapport du BIT en distingue quatre modalités : l’emploi temporaire, le travail à temps partiel, le travail intérimaire et le travail indépendant. Les emplois atypiques sont parfois qualifiés de “précaires”, ce qui souligne leur instabilité, le manque de protection qu’ils offrent, l’insécurité et la vulnérabilité sociale ou économique qu’ils impliquent… Les emplois précaires sont identifiés par une combinaison de ces facteurs, et, inévitablement, les frontières entre ces définitions sont dans une certaine mesure arbitraires (Anderson, 2010).
2La majorité des travailleurs migrants doivent en tout cas affronter les relations de travail que les emplois atypiques induisent dans un marché du travail flexible. Les chercheurs ont donc étudié les mauvaises conditions de travail, les résistances et les formes d’organisation des travailleurs migrants en situation d’emploi atypique. La plupart des études avancent que cette population a plutôt tendance à accepter des conditions d’emploi non conformes aux normes et résiste peu, individuellement ou collectivement, à ses employeurs (Greer et al., 2013). Les chercheurs ont certes montré que les travailleurs désireux de s’installer tout comme les migrants circulaires adhèrent aux syndicats quand ceux-ci déploient des stratégies et des ressources pour les intégrer (Milkman, 2006). Cependant, une part croissante des travailleurs migrants, particulièrement dans le secteur du bâtiment, ne s’installe pas mais alterne les contrats, les lieux de travail et les pays de façon régulière. Ce groupe adhère rarement aux sections locales des syndicats (Greer et al., 2013). Et pourtant, bien que les travailleurs migrants demeurent largement inorganisés, ils défendent leurs intérêts de diverses manières (Berntsen, 2016). Certains chercheurs soutiennent même que, pour une part croissante de ces travailleurs, le pouvoir de la mobilité constitue une possibilité de levier de négociation auxiliaire mais importante (Smith, 2015).
3En Chine, la progression du travail précaire et informel est étroitement liée aux processus de migration et d’urbanisation (Swider, 2015). Selon les données officielles (NBS, 2017), le pays comptait 274 millions de travailleurs migrants en 2016. Environ un quart de ceux-ci travaillaient dans le secteur du bâtiment et ils étaient pour la majorité en situation d’emploi atypique. Les travailleurs migrants chinois ont cette spécificité par rapport à ceux des pays occidentaux de relever d’un système institutionnel baptisé « hukou ». Celui-ci fonctionne comme un passeport interne associant les droits civiques et les avantages sociaux au lieu de naissance de chacun. Du début des années 1950 au milieu des années 1980, ce système a montré une certaine efficacité à prévenir les migrations ne bénéficiant pas d’une approbation étatique. Les réformes entreprises après ont rendu plus plus facile pour les paysans de migrer vers les villes et d’y subsister. Malgré ces changements, le système du hukou continue à conditionner l’accès aux aides sociales (Swide, 2015).
4Le gouvernement a promulgué une série de lois et de régulations pour pousser les entreprises et les usines à améliorer les conditions de travail et à acquitter les cotisations sociales des travailleurs migrants. En raison d’un faible contrôle, ces lois et régulations n’ont cependant pas été efficacement mises en place dans le secteur du bâtiment. A peu près 90 % des travailleurs sur les chantiers sont des migrants issus des régions rurales, et ils représentent 21,1 % du nombre total des travailleurs migrants (NBS, 2017). La plupart d’entre eux sont embauchés dans des emplois atypiques et temporaires. Il est unanimement reconnu que, par rapport aux travailleurs dans d’autres secteurs, les travailleurs migrants du bâtiment sont en butte à des conditions de travail pénibles et à une faible protection sociale, la majorité d’entre eux acceptant pourtant ce type de situation et ne montrant aucun intérêt pour s’organiser.
5Les recherches, qui viennent aussi bien des pays étrangers que de Chine, ont privilégié les changements des conditions de travail et de résidence des travailleurs migrants en situation d’emploi flexible. Le rôle du gouvernement a été davantage ignoré, alors qu’en Chine, il joue non seulement un rôle important en matière de réforme économique, y compris dans le domaine de l’emploi, mais intervient aussi dans les relations de travail. Cet article a pour ambition d’en rendre mieux compte. Notre matériel empirique est basé sur une recherche qualitative par entretiens non directifs menée entre 2013 et 2015 auprès de travailleurs migrants employés dans de grands sites de construction de bâtiments à Pékin qui travaillaient régulièrement dans le cadre de contrats de sous-traitance ou d’intérimaires.
Enquête et méthodologie
Les thèmes centraux lors des entretiens ont été les conditions de travail, les attitudes des travailleurs vis-à-vis des syndicats, la vie au travail et leur activité. 20 à 25 travailleurs migrants ont été interviewés lors de ces trois années (2013-2015), soit 68 au total. Parmi eux, 5 femmes furent interviewées. Elles étaient les épouses de travailleurs mais effectuaient aussi le même travail. Ces travailleurs venaient pour beaucoup de provinces du nord, comme Hebei, Henan et Shandong, et pour quelques-uns de la province du Sichuan. Leur âge moyen était de 40 ans mais certains dépassaient les 60 ans.
En outre, 7 responsables et membres des syndicats, 9 membres d’ONG du travail, 3 cadres dans des entreprises donneuses d’ordres et 6 cadres dans des entreprises sous-traitantes furent interviewés afin de mieux connaître les processus de production du secteur du bâtiment.
Tableau : l’échantillon des travailleurs migrants interrogés
Genre
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Niveau d’instruction
|
Membre du syndicat
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Homme
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Femme
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Ecole primaire
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Collège
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Lycée
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Oui
|
Non
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Pas sûr
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63
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5
|
8
|
50
|
10
|
16
|
34
|
18
|
92.6 %
|
7.3 %
|
11.7 %
|
73.5 %
|
14.7 %
|
23.5 %
|
50 %
|
26.5 %
|
6Pour mieux comprendre le cadre d’ensemble dans lequel s’inscrit cette étude, l’article retrace tout d’abord le développement de la sociologie du travail en Chine. Sur la base de notre étude de terrain, il décrit ensuite le travail précaire et l’attitude des travailleurs migrants dans le secteur du bâtiment. Il explique les attitudes des travailleurs du bâtiment face à des conditions de travail pénibles en explorant les difficultés des syndicats officiels et des ONG dans le domaine du travail à organiser les travailleurs migrants, de même que les interventions fortes du gouvernement pour construire des relations industrielles “harmonieuses”. Il suggère que, dans un contexte d’emploi flexible et compte tenu de la situation politique en Chine, les travailleurs doivent en fait rester silencieux et ne peuvent s’organiser. Ils n’ont d‘autre choix que de sembler zen.
7À la fin du 19e et au tout début du 20e siècles, dans le contexte d’une société chinoise alors semi-coloniale et semi-féodale, quelques théories et notions de sociologie furent importées des pays occidentaux dans un but de réforme et de révolution. Des années 1920 à la fin des années 1940, alors que la discipline se développait en Chine, la sociologie du travail fut le domaine principal de recherche et de nombreux livres furent publiés dans ce domaine. The Labour Problems in China (Chen Da, 1929), ou China Enters the Machine Age (Shih Kuoheng, 1944) eurent notamment une certaine influence. Ces recherches décrivaient le travail et les grèves dans les villes et les impacts de la mécanisation et de l’industrialisation dans les régions rurales. Certains chercheurs, après des études en Amérique ou dans les pays européens, utilisaient les théories occidentales, tout particulièrement les notions et les méthodes de recherche de l’école américaine des Relations Humaines.
8La sociologie a toutefois été bannie en Chine par les autorités communistes en 1952 en tant que “pseudoscience bourgeoise”, comme dans d’autres pays communistes tels que l’Union soviétique ou la Pologne. C’est en 1979 que le dirigeant communiste Deng Xiaoping a souligné le besoin d’étudier la société chinoise et soutenu le rétablissement de la discipline. En mars de cette même année, l’association chinoise de sociologie (CSA) a été reconstituée. Depuis lors, la sociologie a été largement acceptée comme un outil utile pour l’Etat et de plus en plus d’universités ont établi des départements de cette discipline.
9Lors des dernières années, les priorités politiques sont passées de l’efficience et de la croissance à la justice sociale, afin de réduire les tensions sociales et de maintenir la stabilité politique. En particulier, la recherche sociologique en Chine met l’accent sur les questions liées aux développements socioéconomiques, notamment la stratification sociale, la mobilité sociale, la construction communautaire, les relations entre l’Etat et la société, les migrations et la sociologie de l’économie.
10À la suite du développement économique accéléré, les problèmes des conditions de travail et des conflits entre les employeurs et les employés ont pris une place significative et cela a redonné une place importante à la sociologie du travail. Il vaut de noter que le renouveau de celle-ci après la réforme et l’ouverture a été largement indépendant des acquis des années 1920. D’une part, quelques experts déjà engagés dans l’étude du travail et des syndicats commencèrent à étudier le travail en Chine à partir de l’approche sociologique. D’autre part, des études étrangères sur la Chine furent menées à partir de la sociologie américaine du travail et influencèrent grandement la trajectoire de la recherche sociologique chinoise sur le travail.
11Depuis l’ouverture, la question de l’influence des restructurations économiques sur les travailleurs chinois a attiré l’attention de nombreux chercheurs et suscité le développement de plusieurs approches. “Communist Neo-Traditionalism : Work and Authority in Chinese Industry” (Walder, 1986) a ainsi décrit en détails le pouvoir, les politiques et les relations sociales sur le lieu de travail durant la période de l’économie planifiée. Sa méthodologie et ses conclusions ont été reprises ou citées par de nombreux experts chinois pour expliquer les relations de travail et les évolutions dans les entreprises publiques.
12Depuis les années 2000, la théorie du « procès de travail » (“labor process theory”) de Burawoy (1979,1985) a attiré l’attention des chercheurs chinois (Shen, 2014) par son succès croissant outre-Atlantique dans les années 1990. Elle est devenue très influente au sein de la communauté des sociologues chinois du travail et, parmi d’autres, Lee (1999), Chan (2003), Zhang (2015) et Zhao (2011) ont examiné à sa lumière la situation dans certains secteurs manufacturiers, comme les industries de la chaussure, du textile, de l’automobile et des appareils ménagers. Des recherches ont aussi été conduites sur les entreprises du bâtiment et de l’hôtellerie (Shen, 2007 ; He, 2009), afin d’identifier un procès de travail qui serait doté de “caractéristiques chinoises”.
13Ces études montrent toutes que le modèle occidental de management s’est adapté en Chine au contexte local. Elles mettent aussi en avant que le soutien déterminé au développement économique au sein de l’administration fait que, quelque soit le type de propriété ou l’industrie considérée, les gouvernements locaux tendent à favoriser les forces du capital. Et c’est d’autant plus vrai que les travailleurs migrants originaires des campagnes représentent une proportion importante des travailleurs. Le rôle des syndicats et d’autres types d’organisation des travailleurs est en revanche limité. Pour toutes ces raisons, le contrôle est très pesant dans les entreprises.
14Les chercheurs ont aussi souligné que les régimes industriels ont été largement refaçonnés mais présentent des caractéristiques spécifiques, en partie liées aux traditions culturelles chinoises. Chan et Zhu (2003) ont par exemple avancé que les entrepreneurs et cadres chinois emploient parfois une rhétorique patinée de valeurs confucéennes pour masquer la rigidité du contrôle qu’ils exercent sur les travailleurs. Les questions de genre pèsent également et les recherches de He et Wenjuan (2009) ou de Su (2015) dans les services ont souligné que le mode de travail ne pèse pas seulement sur les femmes travailleuses migrantes, mais attise les relations entre elles.
15Les recherches sur le rôle et les stratégies d’action des syndicats officiels chinois montrent en outre que l’influence de ceux-ci est limitée aussi bien au niveau du système politique qu’au niveau opérationnel de l’entreprise. Au niveau politique, les syndicats sont considérés comme des corps constitués et font partie des institutions gouvernementales. Ils ont une double fonction. La première, celle qui domine (Chan, 1993), est de mettre en place les politiques nationales, et tout particulièrement de contribuer au développement des entreprises. La seconde est de sauvegarder les intérêts des travailleurs, de protéger leurs droits, de réguler les conflits du travail, de coordonner des activités culturelles et d’aider les travailleurs en difficulté (Wang Yongli et al., 2012). Au niveau de l’entreprise, c’est la direction qui conduit les consultations et les négociations sur les conventions de travail (Wu Jianping, 2011). En pratique, le pouvoir des syndicats est donc encore plus faible, ce qui induit une insatisfaction des travailleurs envers eux (Zhao Wei, 2009).
16La réforme et l’ouverture auraient dû entraîner une évolution des syndicats et de leur traditionnel rôle de courroie de transmission entre les employeurs et les employés. Mais l’ACFTU, unique organisation des syndicats officiels, est toujours incorporée dans le système politique chinois et a maintenu une stricte structure organisationnelle hiérarchique (Friedman, 2011). Malgré le passage à l’économie de marché, les syndicats d’entreprise restent considérés comme des “extensions fonctionnelles” du parti et du gouvernement. Ils sont donc en général incapables de représenter à la fois les travailleurs et les entreprises en ce qui concerne les horaires de travail, les conditions de travail ou les aides sociales. Les syndicats et les activités sont en outre étroitement contrôlés par le gouvernement et leur développement dans le domaine du travail n’est donc pas aisé.
17Si l’on en vient aux ONG, leur histoire en Chine est brève. On ne dispose pas de données officielles sur le nombre d’ONG en Chine mais on l’estime à moins de 100 dans le domaine du travail en 2012. Bien que leur impact soit de ce fait nécessairement limité, il est controversé en ce qui concerne les travailleurs migrants en situation d’emploi temporaire. Certains considèrent que ce type d’organisation remet en question les syndicats officiels et joue un certain rôle d’aide aux travailleurs migrants et de réponse à des demandes individuelles (Xu, 2013 ; Howell, 2015), tandis que d’autres recherches critiquent au contraire ces ONG en avançant qu’elles réduisent la solidarité entre les travailleurs (Lee, Shen, 2011).
18Depuis quelques années, les conditions de travail et leur organisation sont devenues des questions brûlantes dans la communauté des sociologues chinois. Les recherches portent cependant rarement sur les choix sous-jacents aux comportements des travailleurs, particulièrement le choix de la résistance ou du silence. En outre, si de nombreuses recherches se sont attachées à analyser l’intervention réduite de l’Etat, les interventions des gouvernements locaux ont en revanche été largement ignorées. Depuis 2008, la priorité première du gouvernement a pourtant été de prévenir tout désordre social. En ce qui concerne les cités côtières, les responsables du gouvernement de Pékin ont même accordé encore plus d’importance à cette priorité et l’intervention étatique s’y est incarnée sous une forme locale.
19Par rapport à d’autres industries, le développement et la modernisation n’ont pas eu un grand effet sur le management de la production dans le secteur du bâtiment (Thiel, 2007). À l’époque préindustrielle, il était contrôlé par des “maîtres” dans des corporations. Ils contrôlaient et monopolisaient les techniques de construction, et ainsi le recrutement, les salaires et les horaires de travail de tous ceux qui participaient à des projets de construction. A partir des années 1950, la demande pour les bâtiments résidentiels s’est toutefois accrue substantiellement, stimulant un processus d’industrialisation dans le secteur du bâtiment. Il s’est traduit par une standardisation de la conception, la préfabrication de composants et la mécanisation sur les sites d’assemblage. Cette industrialisation a conduit à une séparation de la conception architecturale, de l’ingénierie et de la production.
20Cette évolution fait écho à des évolutions comparables dans la plupart des pays dans les années récentes en ce qui concerne le management de la production, le processus de travail et même les caractéristiques des travailleurs. Tout d’abord, le système de sous-traitance est devenu un système de management de la production relativement habituel dans le monde entier. Grâce à ce système, les donneurs d’ordres ont seulement besoin de contrôler le respect du calendrier et de la qualité du projet, et ont pris de la distance par rapport au contrôle de la production et du travail. Ils gèrent le projet mais s’appuient sur les sous-traitants ou les “contremaîtres” pour fournir la main d’œuvre. La logique d’une "quasi-firme" s’est transposée sur le lieu de travail, la supervision directe étant exercée par les cadres locaux, généralement eux-mêmes des travailleurs qualifiés (Thiel, 2007). Dans ce processus de transfert de pouvoir et de responsabilité, les donneurs d’ordres ont aussi délégué l’incertitude et le risque inhérents à toute construction (mauvaise météo, grèves, retards des ouvriers…) aux sous-traitants. Les donneurs d’ordres assignent des tâches à ceux-ci et aux travailleurs à travers des appels d’offre contractuels, même si les relations informelles entre donneurs d’ordres et sous-traitants jouent encore parfois un certain rôle.
21En second lieu, les travailleurs migrants représentent une proportion importante au sein de l’industrie du bâtiment. Contrairement aux industries manufacturières, la logique y est fondamentalement résumée par la formule : "capital local, travailleurs migrants". Dans le monde, par exemple dans l’Union européenne, l’industrie du bâtiment emploie tout aussi généralement qu’en Chine des personnes issues de l’immigration sur un mode informel (Swider, 2015). Afin de réduire les coûts du travail, les contrats de sous-traitance sont très répandus. Dans un marché du travail compétitif, les travailleurs migrants sont normalement employés de façon temporaire en fonction de la demande, parfois pour des mois ou des semaines (Berntsen, 2016). Hors l’emploi direct de travailleurs du bâtiment, de nombreuses méthodes de recrutement indirect ont vu le jour. Sur les chantiers, les travailleurs migrants sont ensuite organisés en unités de travail basées sur leur pays ou leur région d’origine ou en fonction de relations de parenté.
22En troisième lieu, la flexibilité et des relations d’emploi précaires sont parmi les principales caractéristiques du secteur du bâtiment, avec, comme Applebaum (1982) l’a synthétisé, un aspect local, un manque de standardisation et un travail de nature periodique et incertaine. Au contraire des industries manufacturières, les méthodes de management ne font pas un grand usage des recherches scientifiques en management massivement adoptées dans les usines. Il est rare de voir un management et une régulation fixe et détaillée dans le secteur du bâtiment. Dès qu’ils obtiennent un projet, les travailleurs doivent établir de nouvelles relations de travail, des normes informelles et une structure de pouvoir tout aussi informelle. A chaque nouveau projet, les travailleurs sont « ré-employés » et leur salaire est renégocié. Le développement de la technologie du bâtiment, tout particulièrement depuis l’utilisation fréquente de produits préfabriqués, a beaucoup réduit la demande en travailleurs qualifiés. Dans le but de contrôler la qualité du projet, le donneur d’ordres emploie directement un petit nombre de travailleurs qualifiés, tandis que la majorité des travailleurs ne sont pas qualifiés et sont employés sur un mode temporaire. Des contrats oraux ou même une absence de contrats entre les employeurs et les travailleurs sont des situations fréquentes.
23D’une manière générale, dans le monde entier, les contrats de sous-traitance, les travailleurs migrants et les emplois atypiques sont devenus habituels dans le secteur du bâtiment. Il est donc nécessaire d’explorer les processus de travail dans ce secteur en Chine en prenant en compte ce contexte économique et social au niveau mondial.
24Avant la réforme et l’ouverture, le secteur du bâtiment utilisait généralement des méthodes relativement élémentaires à base de briques et de structures de béton préfabriquées et assemblées sur place. L’Etat possédait l’intégralité des entreprises. Les travailleurs temporaires étaient recrutés pour assurer des tâches urgentes parmi les maçons, les charpentiers et les menuisiers issus des régions rurales. Les travailleurs titulaires représentaient une proportion importante de la main d’œuvre tandis que le nombre de travailleurs temporaires d’origine rurale restait limité (Qi, 2011).
- 2 L’Expérience de Lubuge renvoie à un barrage qui y fut construit en 1982. Ce fut le premier projet à (...)
25Depuis le début des années 1980, les services gouvernementaux ont directement initié et promu des réformes visant le modèle de management dans le secteur du bâtiment. Sous cette forte impulsion, les logiques de projet et de sous-traitance sont devenues le seul modèle opérationnel dans le secteur du bâtiment dans toute la Chine. Une résolution du Conseil de 1984 sur les “Règlements provisoires quant à certains problèmes dans la réforme de l’industrie du bâtiment et le système de gestion du capital dans le bâtiment” établissait ainsi explicitement que les entreprises publiques ne pouvaient en principe recruter un personnel permanent hors le personnel technique au cœur de leur activité. À une conférence nationale sur le travail dans le bâtiment tenue en 1987, il a été ajouté que la Chine devait s’inspirer de l’expérience managériale du projet de barrage de Lubuge2 et appliquer les méthodes de celui-ci dans tous les domaines.
26En ce qui concerne le système d’emploi, les entreprises donneuses d’ordres licencièrent les travailleurs sur les chantiers et sous-traitèrent leur embauche à différentes agences de l’emploi. Par exemple, une importante entreprise publique du bâtiment de Pékin, qui comptait 70.000 employés à la fin des années 1980 réduisit ce chiffre à 20.000 en trois ans. Dans le même temps, elle sous-traita ses projets à des douzaines d’agences qui recrutèrent plus de 100.000 travailleurs migrants. Pour de complexes raisons socio-économiques, l’industrie chinoise du bâtiment est marquée par une forte compétition réticulaire (Luban Consulting, 2016), les appels d’offre correspondant moins à une pure procédure de marché que de mise en concurrence de réseaux familiaux et régionaux. Cela impacte aussi le contrôle des travailleurs migrants, lequel peut pourtant prendre des formes très diverses. Sans la forte impulsion du gouvernement, cette évolution du système d’emploi ne se serait pas déroulée à un tel rythme.
27En réaction aux critiques suscitées par le poids des relations informelles dans l’emploi et leur impact négatif sur les travailleurs, les gouvernements à différents niveaux ont promulgué de nombreuses régulations afin d’accroître le taux de contractualisation entre employeurs et employés. Selon les données officielles, ce taux a été considérablement amélioré mais les travailleurs migrants n’accordent pourtant pas une grande signification à ces contrats en pratique. Lors des entretiens menés durant les trois dernières années, à la question "Pensez-vous que les contrats de travail sont utiles ?" la plupart des travailleurs interrogés répondirent positivement, mais sans pouvoir indiquer clairement à quoi correspondait cette utilité. Aux yeux de la plupart d’entre eux, le lieu d’origine ou les relations basées sur la parenté étaient plus fiables que les contrats de travail. Même quand ils avaient des contrats formels, ceux-ci ne stipulaient pas avec précision les salaires, les horaires de travail ou les périodes de repos.
“Je travaille sur des chantiers depuis près de 20 ans. Au début, je n’avais aucune idée de ce qu’était un contrat de travail. Mon chef (le sous-traitant) était un cousin plus âgé. Les travailleurs dans mon équipe venaient du même lieu et beaucoup d’entre eux étaient apparentés. Plus tard, le gouvernement a imposé de signer un contrat et j’en ai signé à plusieurs reprises. Maintenant, je ne veux plus le faire. Je suis un travailleur qualifié. Je veux pouvoir partir si quelqu’un me propose un emploi avec un salaire plus élevé. Vous savez, la mobilité est très utile pour négocier avec le patron.” (Travailleur âgé de 45 ans)
28L’incertitude du processus de construction a pourtant un impact direct sur les conditions de travail des travailleurs migrants, et en particulier sur leurs heures de travail. Les opérations ont lieu en extérieur et sont affectées par les conditions climatiques. De nombreux travailleurs ne savent pas où ils travailleront le jour à venir ou ce que sera leur mission suivante, ou même quand exactement ils doivent se présenter pour commencer une mission. Les travailleurs interrogés utilisent habituellement des expressions vagues comme “lever du soleil” ou “quand tout le monde se lève” pour décrire l’heure de début du travail, et “quand je ne vois plus rien” ou “à la nuit” pour désigner la fin de la journée de travail. Ils utilisent le terme “un job” pour qualifier les heures de travail d’une journée. Chaque “job” dure au moins dix heures, ou douze heures durant l’été et dix en hiver. Les travailleurs du bâtiment n’ont presque aucun concept d’heures supplémentaires et des paiements afférents. Bien qu’ils témoignent d’une grande insatisfaction face aux dépassements d’horaires, spécialement lorsque le travail se déroule par des températures élevées, les plaintes publiques sont rares et on n’en entend que si les températures élevées se combinent avec une absence de primes.
“Je travaille dans cette usine depuis plusieurs années. Je connais l’indemnité de température élevée. Il fait trop chaud cet été. Je ne pouvais plus supporter la chaleur. Je travaille avec mon mari et son frère. Ils ont essayé de me dissuader mais je les ai ignorés et je suis allée demander l’indemnité à notre chef. Il était très surpris et a dit que j’étais la seule à faire cette demande. Il m’a finalement indiqué de faire une pause et m’a payée.” (Femme ouvrière)
29Même dans ces conditions extrêmes, ce type de plainte est rare. La majorité des travailleurs gardent le silence et acceptent ces conditions de travail.
30Bien que les média et des rapports de recherche aient critiqué les conditions pénibles des travailleurs migrants, les entretiens montrent que les travailleurs ne témoignent pas d’une forte insatisfaction. Dans la plupart des cas, ils ont tendance à accepter leur condition. C’est seulement lorsqu’ils sont victimes de retards de paiement qu’ils agissent collectivement, mais pour une courte période, et leur unité se dissout dès qu’ils ont atteint leur objectif.
31Le premier facteur qui explique cette acceptation est lié à la structure même de la population des travailleurs du bâtiment. Ils sont pour la plupart non qualifiés et viennent fondamentalement des catégories les plus basses du marché du travail, avec un diplôme au niveau du collège ou inférieur selon notre enquête. Du fait de ce bas niveau d’instruction et de compétence, la plupart des ouvriers du bâtiment n’ont jamais été intégrés au marché du travail formel. Bien qu’ils aient pour beaucoup connu des expériences dans des usines, il s’agissait toujours d’entreprises urbaines petites et informelles. Leur environnement de travail était réduit et le salaire n’était pas mensualisé. Les travailleurs migrants témoignent de ce fait d’une grande tolérance envers les conditions de travail. Ils viennent en outre des campagnes alors que la plupart des chantiers sont situés dans les grandes villes et ils sont beaucoup plus dociles et respectueux que les travailleurs urbains. Même quand ils ne sont pas satisfaits des conditions de vie et de travail, ils ne voient aucune possibilité d’amélioration et se sentent obligés de garder le silence.
- 3 En Chine, on ne boit pas normalement l’eau du robinet.
“J’ai beaucoup d’insatisfactions : la nourriture, les dortoirs et les conditions de travail. Il n’y a pas de ventilateur dans le dortoir alors qu’il fait très chaud et qu’on est huit hommes dedans. Il n’y a pas d’eau fournie sur le chantier et je dois m’acheter moi-même des bouteilles durant les heures de travail3. Ce n’est pas bon marché. Et en hiver il n’y a pas d’eau chaude pour les douches.
Mais cela ne sert à rien de se plaindre. Je sais que les conditions de travail sont meilleures et le salaire plus élevé dans les grandes entreprises et les usines. Mais je n’ai pas la possibilité d’obtenir ce type de travail.
Vous pouvez voir aussi que la nourriture est de mauvaise qualité. Elle est toujours de couleur blanche, celle du chou chinois, du riz et de quelques morceaux de graisse. Les travailleurs s’en plaignent souvent mais rien ne change. Le chantier est loin de la ville, il n’y a qu’une poignée de restaurants aux alentours et on n’a de toute façon pas d’argent pour manger au restaurant. Je dois dire que les personnes comme nous ne peuvent qu’accepter leur sort.” (Travailleur originaire de la province de Henan)
32En second lieu, la logique managériale dans le secteur du bâtiment tend à déplacer tout conflit du travail hors de l’entreprise, notamment en poussant à l’intervention du gouvernement. Dès qu’il y a une contradiction, du fait de la faiblesse traditionnelle des organisations de représentation des travailleurs et de l’absence de réglementation gouvernementale sur le marché informel du travail, les travailleurs sont individuellement confrontés aux abus de pouvoir des employeurs (Nichols, 1997). Quand un conflit se produit, comme un accident du travail ou des retards de paiement, une intervention du gouvernement est nécessaire. Depuis la fin des années 1990, les services gouvernementaux de différents niveaux ont publié des documents, se sont impliqués dans des remédiations ou ont créé des bureaux pour s’occuper des retards de paiement. Les travailleurs ont pour réflexe de s’adresser directement au gouvernement et non de négocier avec les sous-traitants ou les responsables de leur chantier.
33En troisième lieu, les relations informelles, liées à l’origine ou la parenté, contribuent à atténuer les contradictions que les travailleurs subissent. Mais, de ce fait, les travailleurs migrants d’origine rurale ne peuvent s’appuyer sur les chantiers sur des structures organisationnelles formelles. Près de 90 % des travailleurs migrants que nous avons interviewés avaient obtenu leur emploi grâce à un collègue du même village ou par une agence de l’emploi. Sur un chantier que nous avons étudié, non seulement les travailleurs contractuels venaient tous du même village que le sous-traitant, mais ils pouvaient même pondérer à plusieurs degrés de proximité leurs relations de parenté. Depuis 2014, il y a aussi un nombre croissant de travailleuses sur les chantiers car les épouses travaillent avec leur mari. Le “travail d’équipe en couple” correspond bien en effet au travail aux pièces et à un temps de travail flexible.
34Certaines études ont établi que les relations informelles sur le lieu de travail exposent les travailleurs à davantage de risques sur le marché du travail. Si un sous-traitant se trouve face à un manque de fonds, afin d’éviter la possibilité d’un conflit intense, il donnera la priorité aux travailleurs précaires pour le paiement des salaires ; et afin de réduire la perspective de voir fuir les travailleurs permanents, le sous-traitant utilisera ses relations personnelles pour engendrer identification et loyauté (Cai, 2009). Tous sont également persuadés que rejoindre un projet de construction à travers une connaissance revient pour les travailleurs migrants du bâtiment à accepter la possibilité de se voir des salaires non payés avant même d’entrer sur le lieu de travail (Qi, 2011).
35Il y a eu peu de recherches empiriques sur les approches syndicales transnationales pour organiser les travailleurs migrants dans le contexte d’un marché du travail flexible. Les littératures sur les réponses des syndicats aux migrations et sur le transnationalisme syndical se sont développées séparément et n’ont pas été intégrées. De rares chercheurs américains ont introduit les concepts de « syndicalisme de mouvement social (social movement unionism) » et de « syndicalisme communautaire (community unionism) » (Fine, 2006) et ont cherché à replacer dans un cadre plus large l’organisation des travailleurs.
36Selon la loi sur les syndicats de la République populaire de Chine, tous les syndicats de Chine continentale doivent adhérer à l’ACFTU, qui est de ce fait la plus grande fédération de syndicats au monde. L’effectif total représenté se montait à 280 millions de membres en 2013, dont 40 % étaient des travailleurs migrants (ACFTU, 2014). Face aux défis des transformations économiques et du nombre croissant de travailleurs migrants, les responsables de l’ACFTU ont réalisé qu’il serait difficile pour les syndicats de survivre sans se réformer.
37Ils ont notamment cherché à renforcer les syndicats de l’industrie, tout particulièrement dans le secteur du bâtiment. Selon la loi, des syndicats industriels peuvent être formés au niveau national ou local pour une seule industrie ou plusieurs de nature similaire. Seuls ces syndicats peuvent rejoindre le comité regroupant tous les syndicats du pays et celui-ci n’a qu’une capacité consultative au niveau local. Les sections locales sont créées selon un système d’unités administratives (entreprises, écoles, institutions…). L’ACFTU a cherché à renforcer son implantation au niveau local et à inciter les entreprises donneuses d’ordres (normalement propriété de l’Etat) à pousser les travailleurs migrants en contrat dans des entreprises sous-traitantes ou des agences d’intérimaires à adhérer aux syndicats. Mais les effets de cette réforme ont été très limités. Le président du syndicat d’une grande entreprise donneuse d’ordres le formule ainsi :
“Il est très difficile d’organiser les travailleurs migrants dans le contexte des emplois atypiques. Bien que les cercles dirigeants du syndicat nous demandent d’aider les entreprises sous-traitantes à les prendre en compte, dans les faits c’est presque impossible. Pour les entreprises sous-traitantes, nous sommes des partenaires commerciaux. Nous pouvons seulement aller les voir et leur expliquer le rôle des syndicats. Les travailleurs migrants n’ont pas de relations avec nous. Nous ne pouvons rien pour eux.”
38La syndicalisation des travailleurs migrants est malgré tout devenue une priorité de l’ACFTU depuis quelques années. Afin d’étendre rapidement les sections syndicales du bâtiment, des “syndicats de projet” ont été créés. Cela signifie que, lorsqu’un projet débute, tous les travailleurs concernés doivent se rassembler et former un tel syndicat de projet, lequel disparaitra à la fin du projet.
“Vous me demandez si je suis syndiqué. En fait, je ne suis pas sûr. J’ai participé à deux ou trois réunions et on m’a annoncé que tous les travailleurs étaient membres. Mais il n’y a aucune activité. Je n’ai pas d’idée de ce qu’est le syndicat. Quand j’ai un problème avec mon chef, si ce n’est pas trop grave, je peux supporter. Si c’est très sérieux et que j’ai besoin d’aide, j’irai voir le gouvernement.” (Travailleur âgé)
39Il est fréquent que les syndicats officiels ne jouent en Chine qu’un rôle limité dans la défense et la représentation des intérêts des travailleurs migrants du bâtiment en situation d’emploi atypique. Depuis 2008, les ONGs se sont développées et quelques chercheurs optimistes ont soutenu que cela pourrait stimuler la réforme des syndicats et bénéficier aux travailleurs migrants. Mais ces ONG ont vu leur action freinée par des raisons politiques et financières et, si l’on prend l’exemple de Pékin, on compte seulement deux ONG dans le domaine du travail et elles ont moins de dix employés.
40Les emplois atypiques, le travail aux pièces et les relations de parenté sur le lieu de travail et dans l’emploi réduisent également toute possibilité d’une action solidaire entre les travailleurs car elle supposerait le partage d’intérêts communs. Ceux-ci existent : réduire la pénibilité de l’environnement de travail, augmenter les salaires, réduire la flexibilité et l’incertitude du processus de travail ou rompre avec le paiement à la tâche. Mais il n’est pas facile d’unir des travailleurs individualisés. Les actions collectives sont brèves et ne portent que sur les retards de paiement. Le gouvernement intervient alors très rapidement afin de maintenir la stabilité sociale et de prévenir une organisation autonome des travailleurs. Il en résulte que les travailleurs ont pour réflexe de faire appel au gouvernement plutôt que de s’organiser.
41À la suite de la réforme et de l’ouverture, la flexibilité des emplois, le pouvoir croissant des cadres intermédiaires et l’incertitude dans le processus de production sont devenus très répandus en Chine. La déqualification des travailleurs est encore plus visible quand la classe ouvrière est constituée de migrants ruraux. L’industrie chinoise du bâtiment, autrefois à part, partage désormais ces caractéristiques. Il y a des similitudes avec les descriptions que proposait la sociologie chinoise du travail dans les années 1920, malgré les décalages entre les deux périodes, mais les approches analytiques à utiliser pour explorer ces questions supposent de nouveaux développements théoriques. Les chercheurs contemporains ont accordé plus d’attention aux caractéristiques typiques de la Chine, comme le pouvoir du gouvernement, la faiblesse des syndicats et le nombre important de travailleurs migrants issus des régions rurales. Il est aujourd’hui nécessaire d’étendre la perspective de recherche et de prendre en compte le marché du travail, l’immigration et d’autres facteurs.
42En Chine, le développement des contrats de sous-traitance n’est pas seulement le résultat de la marchandisation et des changements des processus de production, mais aussi d’une pression du gouvernement. Compte tenu des changements rapides dans l’emploi et les méthodes de management, des caractéristiques des travailleurs, des relations professionnelles largement informelles et des mauvaises conditions de travail (retards de paiement, durée excessive de travail, insuffisance de la protection social…), la majorité des travailleurs choisissent de rester silencieux.
43La première raison de ce silence est le fait que les travailleurs migrants dans le secteur du bâtiment viennent de zones rurales pauvres, rejoignent la partie inférieure du marché du travail et doivent souvent leur place à des relations de parenté. Cela a pour résultat qu’ils supportent relativement facilement de mauvaises conditions de travail. La plupart d’entre eux n’ont aucune expérience des entreprises modernes, ni d’idée de ce qu’est une organisation formelle. Les emplois atypiques et les lieux de travail incertains réduisent en outre la possibilité même de s’organiser.
44En second lieu, en raison du dynamisme du secteur du bâtiment et de l’insuffisance de la force de travail, les salaires et le taux de couverture en matière d’assurance sociale ont significativement augmenté pour les travailleurs de ce secteur. Par rapport à d’autres secteurs en Chine, les conditions de travail et de vie s’y sont améliorées dans les dernières années.
45Troisièmement, bien que les syndicats et les ONG dans le secteur du travail soient tous deux faibles, les acteurs gouvernementaux à différents niveaux jouent un certain rôle de “représentation” des intérêts des travailleurs. Comme il a été indiqué plus haut, le gouvernement s’est investi dans la question des arriérés de paiement et a poussé les entreprises à cotiser aux assurances sociales. En outre, le gouvernement a imposé aux entreprises contractantes d’améliorer les conditions de vie des travailleurs migrants, notamment en ce qui concerne les dortoirs et les cantines. Tout cela avait pour but de créer des relations industrielles harmonieuses et de réduire les résistances des travailleurs.
46En quatrième lieu, les fonctions et les méthodes de travail des syndicats officiels, bien qu’ils se soient réformés en fonction des exigences du parti, ne leur permettent pas de répondre aux demandes des travailleurs en emplois flexibles. Les sections syndicales locales n’ont presque aucune possibilité d’impact sur les travailleurs. Pire encore, le très faible nombre d’ONG dans le secteur du travail les limité à n’exercer un effet que sur peu de travailleurs. Il n’est pas simple pour les travailleurs de s’organiser et rester tranquille et zen est devenu leur choix par défaut.