Navigation – Plan du site

AccueilNuméros103Mondes clos et déconnexion obligée

Mondes clos et déconnexion obligée

Closed worlds : an obligatory disconnection
Entornos cerrados : desconexión forzosa
Vincent Meyer
p. 162-172

Résumés

Certains français n’utilisent-ils pas l’Internet ou ne sont-ils pas encore des usagers des technologies numériques ? La réponse est simple voire simpliste : oui et notamment des personnes en situation de vulnérabilité, de fragilité et/ou en situation de handicap spécifiquement quand elles sont accueillies/hébergées dans des institutions diverses du social et du médico-social qui malgré les progrès apportées par la loi 2002-2 restent souvent encore des milieux dits clos. Des recherches en cours – de la petite enfance au grand âge – montrent que le contrôle sur les objets comme sur les connexions supplante la médiation informatique nécessaire pour accompagner ces personnes dans leurs usages des différents supports qu’offre aujourd’hui une transition digitale où toutes et tous devraient avoir a minima les accès, les objets et un savoir d’usage. Disons-le tout net, nous sommes là dans une déconnexion obligée (absence d’infrastructure numérique, contrôle des utilisations et des objets, interdiction ou restriction…). Le processus d’apprentissage de ces technologies est également largement inexistant et prive ces personnes des connaissances indispensables pour faire face à certains risques. Ce sont ces questions que nous problématiserons dans cet article pour ne pas oublier qu’à côté des hyper-connectés existent des déconnectés plus qu’involontaires.

Haut de page

Texte intégral

1L’expression « Pointer du doigt (de l’index) » – symbole ô combien significatif dans le commun de nos usages comme dans différents mythes – nous servira d’illustration de départ. Chacun de nous a pareilles images à l’esprit, les développements des technologies numériques lato sensu sont souvent symbolisés par un doigt humain ou celui d’un robot touchant un écran, un clavier, un dispositif numérique ou se touchant mutuellement. Ceci symbolise souvent la connexion. Nous avions nous-mêmes retenu cette illustration (Meyer, 2014) pour signifier la nécessaire prise en compte dans le champ professionnel du travail social des publics fragiles/vulnérables et/ou en situation de handicap dans ce développement technologique à nul autre pareil que nous qualifions dans nos travaux de « transition digitale » (cf. infra). Autre image (presque d’Épinal à tout le moins déjà surannée), une famille installée dans son salon, chacun devant un écran différent, la télévision connectée allumée, les ordinateurs portables branchés, les smartphones activés : le foyer dit moderne multi-screen dont toutes et tous bénéficient ou presque…

2Dans ce texte, nous voulons « pointer du doigt » la situation de personnes – de la petite enfance au grand âge – prises en charge dans les établissements sociaux et médico-sociaux relevant de la loi 2002-21. Des établissements qui sont, pour beaucoup, leurs « foyers » au quotidien sur du long terme et que nous qualifions encore de « milieux clos » (Meyer, 2018). Le terme transposé de la littérature sociologique américaine de l’école de Chicago renvoie d’abord à « l’institution »2 et peut intriguer. Certes de nombreuses avancées ont été réalisées dans les prises en charge ou accompagnement et nous ne sommes plus vraiment au temps des asiles, si on donne à ce terme sa signification péjorative de lieu de réclusion, d’internement recueillant des personnes qualifiées de malades mentaux ou autres3. Mais, on le sait, « asile » est aussi ce lieu d’accueil (un foyer), celui du droit d’asile, celui de la protection. Forçant un peu le trait, celui d’une « déconnexion » avec le monde extérieur à des fins autant d’internement pour certains que de protection pour d’autres. Pour pointer les questions vives de ces mondes clos et poser celles de leurs « déconnexions obligées », nous scinderons le propos en trois volets : celui des dispositifs, celui des pratiques et celui des publics. En conclusion, on évoquera – presque paradoxalement – sur les opportunités que représentent encore ces milieux clos à la fois dans la marchandisation du travail social (Meyer, 2005) engagée depuis les années 90 comme dans cette « silicolonisation du monde » et « l’irrésistible expansion du libéralisme numérique » qui l’accompagne (Sadin, 2016).

Des dispositifs en installation et en usages

3La première question qui se pose quand on réfléchit pareille déconnexion est celle des dispositifs i.e. des objets, des équipements, des infrastructures numériques dans ces établissements. Classiquement, nous sommes, dans ces milieux clos comme dans d’autres organisations i.e. dans le tryptique, accès-appropriation-usages et le premier stade : l’accès ou l’accessibilité à ces technologies est le motif principal de cette déconnexion obligée. Il s’agit donc à la fois du poids d’un fonctionnement institutionnel et d’une question de moyens financiers dans un contexte présenté – selon le bel euphémisme en usage – de « contraint ». Si la transition digitale est bien « entrée » dans l’esprit des directeurs (Bonjour, Meyer, 2011, 2013) comme des financeurs : s’équiper (en Wifi, en tablettes, voire même – encore – en ordinateurs) requiert une réflexion qui ne se limite pas à l’achat et à une mise à disposition aux personnes et aux personnels de ces institutions. Précisons que l’expression « transition digitale » (Meyer, 2017) est retenue pour trois raisons : 1/ elle tempère un rien le vertige des « révolutions », « transformations », « mutations », « innovations » liées aux technologies numériques (du « ceci tuera cela ») ; 2/ Elle souligne la digitalisation croissante et effective de toutes les activités humaines professionnelles et/ou personnelles (tout en renvoyant à leurs traces ou empreintes (là encore, une question de doigts) ; 3/ Elle renvoie à et complète d’autres transitions socio-économique/écologique (avec leur poids politique…).

4L’informatique de gestion puis celle de l’évaluation (avant même de parler de celle permettant d’autres formes d’accompagnement et/ou d’apprentissage) en est sûrement le meilleur exemple, avec des logiciels qui s’achètent au gré : des financements obtenus, des directeurs en poste et de leurs réseaux comme de leurs expériences en la matière. Dans certains établissements, c’est l’attente de dons, l’utilisation d’équipements personnels qui pallient aux manques comme aux demandes en la matière. Cette question des dispositifs sera essentielle pour permettre de construire les formes et les intentions d’une médiation numérique (Meyer, Delahaye, 2017) une fois les connexions activées. Elle n’est pas vraiment à l’ordre du jour si l’on suit la circulaire du 2 mai 2017 qui détaille, entre autres, un contexte marqué par d’importantes réformes juridiques, des orientations de la campagne budgétaire pour les établissements et services médico-sociaux (ESMS) prenant en charge des personnes âgées ou en situation de handicap (publiée le 17 mai). Ceci avec des orientations qui vont davantage dans le sens d’une transformation de l’offre d’accompagnement des personnes handicapées, d’une poursuite des plans dédiés à certaines formes de handicap dont l’autisme, des Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens et d’une réforme de la tarification des ehpad4.

5Cela posé, la Direction générale de la cohésion sociale qui travaille spécifiquement à cette transformation de l’offre d’accompagnement des personnes handicapées veut produire « une réponse accompagnée pour tous ». Dans une nouvelle évolution de l’offre médico-sociale (Conférence nationale du handicap) et confirmée lors du Conseil interministériel du handicap de décembre 2016 dans son relevé de décisions, on retiendra les mesures permettant de « Développer des solutions innovantes grâce au numérique. […] Rendre effectifs les nouveaux droits des personnes handicapées en matière d’accessibilité aux services téléphoniques et de l’Internet, en application des articles 105 et 106 de la loi pour une République numérique. […] Soutenir les technologies d’accessibilité numérique à destination des personnes handicapées dans le cadre d’un appel à projets dédié ». Le législateur précise du reste que : « L’enjeu réside bien dans l’organisation d’une offre régionale de santé mentale plus inclusive et dans l’intégration de cette problématique aux objectifs du schéma régional »5. Pour bien accompagner ces évolutions, nous manquons encore d’enquêtes de terrain, si plusieurs initiatives de recherche-action sont engagées, nous restons dans l’attente de résultats concrets (Meyer, Bonjour, Daragon, 2017). Une critique des démarches de recherche, des postures méthodologiques comme des expériences terrain sera indispensable et elle est d’ores et déjà engagée pour le creai paca et Corse dans son numéro spécial Transition digitale et médiations numériques dans les institutions sociales et médico-sociales (Meyer, Pitaud, 2017).

6Comme l’indiquait Sophie Pène (2014 : 125), reprenant les travaux du Conseil national du Numérique et la question posée par lui d’une « nouvelle politique d’inclusion » : « Nos politiques et nos grands administrateurs ne savent pas aller plus loin qu’un discours d’aménageurs de réseaux et d’accessibilité des territoires : le très haut débit, les infrastructures. Nous-mêmes, citoyens, usagers, salariés, naviguons à vue, et peu d’entre nous sont dans la capacité de décrire l’aventure anthropologique dans laquelle la transition numérique nous embarque ». On ne saurait mieux dire, dans le contexte politique actuel, au regard du déferlement d’innovations qui nécessitent toutes des connexions et avec elles des données que nous livrons spontanément et dont nous ne savons pas très bien ce qui en adviendra. Ne sommes-nous pas toutes et toutes d’être un peu dans le brouillard, en situation de vulnérabilité sinon de handicap face à pareille transition ?

Loin des pratiques d’un « mieux vivre » en connexion

7La seconde question/raison de cette déconnexion vient de la confusion entre pratiques et usages et du manque de formation des personnels à la question des usages du numérique. La distinction ici entre pratiques et usages n’est pas un simple artifice rhétorique. Si pour beaucoup, le terme « usage » supplante largement celui de « pratiques », c’est pourtant ce dernier que nous allons retenir ici car une grande partie des rhétoriques pro domo dans le travail social s’en inspirent ; ainsi est-il toujours questions de « bonnes » pratiques au sens des recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux6. Ceci commande une explication. Même si nous partageons les positions de Geneviève Vidal qui pour caractériser et qualifier les usages de ces technologies, nous demande d’« en prendre la mesure » (Vidal, 2012, 2017) et de facto revenir au terrain où se coconstruisent ces usages, il est important à ce stade de nos recherches de cibler et sérier les pratiques qui pour nous sont les projections que les professionnels de ces milieux ont des fonctionnalités des outils et équipements liées aux technologies numériques. Communément, les technologies numériques sont « pratiques » pour faire de la veille, créer des ressources, apprendre différemment devant des écrans, mais surtout interagir et coopérer à distance. Dans les discours d’accompagnement qu’elles produisent, tout semble naturel, linéaire, opérationnalisable à souhait sans vraiment se poser la question des usages effectifs qui se construisent dans les interactions au quotidien auprès des personnes accueillies.

8En fait, les professionnels (avec différentes compétences et diplômes) en charge de ces personnes sont peu ou pas formés à ces développements (en formation initiale comme en formation continue) et ne voient pas dans ces derniers un élément central dans leurs pratiques quotidiennes comme dans l’évolution de leur métier. Si le travail social reste un travail collaboratif (en équipes), des outils comme le dossier unique (numérique)7, des tableaux interactifs, des robots d’accompagnement, des jeux sérieux seront des compléments aux différents accompagnements voire à des formes de désinstitutionalisation. Toutefois, nous sommes encore loin, dans ces établissements, même ceux en lien avec l’Éducation nationale d’un « apprentissage de la littératie numérique » qui comme le précisent nos collègues canadiens Michael Hoechsmann et Helen DeWaard, s’applique dans un continuum de modèles : face à face, hybride, mixte, renversé, en ligne et à distance. Alors que la technologie s’intègre dans la tâche complexe de l’enseignement et de l’apprentissage, le rôle de l’enseignant ainsi que sa manière d’apprendre évolue de facto. Les professeurs deviennent ainsi des concepteurs d’événements d’apprentissage, des curateurs partageant des collections créées et cocréées à l’aide d’une variété d’outils numériques comme Pinterest, LiveBinders, Storify ou encore Symbaloo et des activateurs travaillant avec les élèves pour créer des projets et des processus d’apprentissage »8.

  • 9 Les objets connectés ne sont pas encore entrés dans ces établissements sinon par le biais des profe (...)

9Se posera aussi la question du traitement des données personnelles et professionnelles dans ces établissements. Pour l’heure, l’objet9 le plus utilisé (et le plus difficile à maitriser ou à déconnecter) reste le smartphone. Une étude (jdn Statista, 2016) donne le temps moyen journalier passé sur l’Internet (ordinateur et smartphone compris) en France à 4h48.

10Si l’on suit le catalogue permanent des innovations, ces métiers proches de ceux de la santé, du paramédical rejoindront prochainement les sept premiers métiers que les robots intelligents vont prendre en charge10. Voilà pourquoi, il nous faut poursuivre cette sociologie des usages à l’instar de ceux « des usages des dispositifs socionumériques [qui participent] à la reconfiguration des identités professionnelles » (Domenget, 2017), car comme pour d’autres médias, à d’autres temps dominants (Meyer, 2004), il y a bien reconfiguration des frontières – ici même entre de l’humain et du non-humain – dans un jeu de professionnalisation et de déprofessionnalisation. C’est pourquoi également, il faut entrer avec Pascal Plantard (2014) dans l’anthropologie de ces usages i.e. une description de leurs processus internes qui prennent sens entre « braconnage, bricolage et butinage ». Ses travaux sur les usages du numériques en situation réelle dans une approche clinique et ethnographique avec différentes recherches-actions si elles sont bien menées dans leur conception et réalisation (Meyer, 2006b) permettent de mieux qualifier des processus d’exclusion/inclusion. Sa modélisation d’une e-inclusion requestionne du coup la notion de « fracture numérique », mais surtout nous invite à stabiliser les approches méthodologiques de recueil des données auprès de ces personnes et dans ces établissements.

Pour des publics (pas si) différents…

  • 11 Des projets voit le jour et seront à suivre à l’instar de Rob’Autisme qui « est né en 2014. Il cons (...)

11Si nous devons caractériser des dénominateurs communs de ces publics face aux usages des technologies numériques, il faut aller au-delà de nos premières analyses sur les formes et intentions de communication pour et avec ces personnes (Meyer, 2004, 2006a ; Thiéblemont-Dollet, Meyer, 2010 ; Diana, Meyer, 2011). Plusieurs éléments interagissent dans le quotidien institutionnel et contribuent à cette déconnexion obligée. Les personnes accueillies sont souvent dépendantes physiquement d’autrui dans leurs activités et gestes quotidiens : la temporalité de leurs apprentissages comme le maintien de leurs acquis sont différents d’une personne à l’autre, les capacités de mémorisation restent difficilement évaluables : apprendre (encore y compris via les jeux sérieux) relève souvent du défi, les données (au sens du data) ne sont pas, pour eux, une ressource essentielle, les robots pas encore maitrisés, mais par trop exposés11 ; enfin, l’intelligence artificielle comme élément de substitution d’une conscience ou simple aide à la décision n’est pas encore évoquée… D’autant que côté production de données ces usagers, on sait souvent peu de choses de leurs expériences au quotidien et vécues antérieurs, de leur parcours d’usagers de/dans ces établissements.

12Ces publics sont loin – comme d’autres du reste – d’user des anglicismes qui maintenant soutiennent nos échanges sur la transition digitale : Access, free access, Massive open online course, free course, learners, machine-learning, crouwd-sourced, coworking, networking, chatbots, big data, etc. Ils ne se déclarent et se reconnaissent pas encore comme Followers ou Twittos, ils ont un usage très personnel et instinctif des smartphones comme des diverses applications mobiles, une méconnaissance des sources mobilisées et des responsabilités engagées. Le smartphone devenant l’objet par excellence pour l’entrée en connexion comme le montre Serge Miranda (2014, 155) amenant la personne humaine au rang « d’homo mobiquitus » i.e. « Un nouvel homme est né avec un artefact omnipotent et omniscient, son smartphone (un ordinateur qui en 2014 a la puissance informatique d’une fusée d’alunissage Apollo) connecté en permanence Il semble parfois que l’être mobiquitaire, l’homo mobiquitus, pourrait tenir le monde dans sa main ».

13Prenons deux types de publics spécifiques aux potentiels connectés différents dans ces milieux clos : les adolescents vulnérables ou fragilisés et les personnes âgées dépendantes.

14Pour les premiers, le Collège international de l’adolescence, spécialisé12 dans les recherches en psychopathologie et psychanalyse de l’adolescence insiste, s’il en était encre besoin, sur le fait de penser l’adolescence comme un processus central de la construction de soi, du sujet, mais surtout qu’un adolescent sans son environnement, cela n’existe pas. Cet environnement est aussi maintenant lié à la connexion (ou pour les adolescents en établissement à l’éphémère de cette connexion, les smartphones étant souvent « stocké » hors de portée pour limiter au maximum des usages préjudiciables). L’addiction semble à ce point importante que, selon certaines études relayées par la presse nationale : « La peur de louper un message devient une source d’anxiété et affecte la santé et le bien-être des jeunes. Entre 16 et 24 ans, 91 % des jeunes Anglais les utilisent pour échanger des messages, des photos ou des vidéos, explique la Société royale de santé publique (rsph) qui vient de rendre un rapport intitulé «Les réseaux sociaux, la santé mentale et le bien-être des jeunes gens». Ce travail effectué conjointement avec le Mouvement de santé de la jeunesse (yhm), une autre organisation à but non lucratif, présente pour la première fois une analyse détaillée des cinq principaux réseaux empruntés par les jeunes »13.

15Les personnes âgées dépendantes (à la suite des seniors tenants d’une silver-économie dont le taux d’équipement progresse de manière importante), elles, ne sont plus cloitrer dans « un mal vieillir » (Diana, Meyer, 2011). Depuis les robots d’accompagnement aux smart-rooms en passant par divers objets connectés permettant des géolocalisations ou un relevé d’activité selon leurs déplacements/mouvements. Les sites où tous leurs droits sont à bout de clics. Le maintien à domicile sera prochainement connecté et des expériences de plates-formes se multiplient14. Les objets deviennent des prolongements de soi, de sa vie, de sa mémoire dont on ne pourra bientôt plus se passer.

16Aussi comment se formulent les demandes et besoins de ces publics ? Ceci reste la question saillante et, avec elle, toute la myriade d’interrogations sur l’accessibilité puis l’appropriation des contenus (des contenus informatifs/ ludiques aux publicités), la protection des données personnelles, la confidentialité, le style langagier en « son nom », les usages plus abusifs que pédagogiques. Trop peu de débats sont engagés du côté des usagers. Ces derniers comme les professionnels ne pourront que très peu se baser sur des modes opératoires clés en main et sur les discours d’accompagnement au changement dans cette transition digitale comme, par exemple, dans le secteur des entreprises (Auberger et al., 2017 ; Victor, Babaci-Victor, 2017).

Conclusion

17Une « sociotique » (Meyer, 2006a), des liens sociaux numériques15, une citoyenneté numérique… Sans doute sommes-nous tout près de les réaliser pour toutes et tous. Le Conseil national du numérique y travaille (encore), l’Agence du numérique a été chargée suite aux états généraux du travail social de suivre les contours des différentes évolutions et le monde politique est de plus en plus sollicité par les associations pour rendre notre société accessible à toutes et tous : les bonnes intentions de manqueront jamais dans ce domaine16. La loi du 7 janvier 2016 pour une République numérique entendait déjà promouvoir la protection des individus, garantir les accès, maintenir les connexions…y compris aux publics qualifiés de fragiles. L’inclusion numérique promue en 2018 est le nouveau credo.

18Dans ces mondes clos, malgré les déconnexions obligées, un autre nomadisme s’installe presque parallèlement aux pratiques professionnelles de prise en charge. Les technologies numériques seraient in fine des équipements techniques comme les autres qui ont jalonné l’évolution du travail social (Bergeret, 2014). Ces déconnexions s’intensifient principalement en raison des conditions de sécurité dans les usages qui ne sont pas encore établies essentiellement dans les échanges personnels comme dans les échanges économiques via ces objets techniques. Il est plus simple de déconnecter que de coconstruire une culture numérique. La question des contenus reste donc essentielle et, avec elle, la formation à une médiation numérique. Un professionnel qui utilise son smartphone ou ordinateur personnel pour communiquer des éléments aussi divers que des photos ou des commentaires sur des prises en charges s’exposerait à quelque difficulté même si nous sommes encore loin (c’est sans doute encore une chance dans pareils milieux) de possibles utilisations ou usages liberticides et d’un hypercontrôle des populations (Mattelart, Vitalis, 2014).

Haut de page

Bibliographie

Auberger G., Grégoire J., Benzakour S. E., Meynlé T., 2017, 21 clés pour activer la transformation numérique de votre entreprise, Eyrolles.

Bergeret J., 2014, « Petits cailloux témoins des techniques et technologies rencontrés sur le sentier parcouru d’un acteur du travail social », in Meyer V., dir., Les technologies numériques au service de l’usage, au secours du travail social, Les Études Hospitalières, 139-186.

Bonjour A., Meyer V., 2011, « tic et prise en charge des personnes handicapées mentales », Communication et organisation, n° 39, 213-228.

Bonjour A., Meyer V., 2013, « Éducommunication, stimulation cognitive et évaluation des pratiques : un triangle vertueux pour la prise en charge du handicap mental ? », Médiation et information, n° 38, 181-191.

Diana J.-F., Meyer V., dir., 2011, Images troublées, réalités morcelées : Alzheimer, l’incarnation du mal vieillir ?, Les Études Hospitalières.

Domenget J.-C., 2017, « Des usages des dispositifs socionumériques à la reconfiguration des identités professionnelles : une approche des temporalités en sic », habilitation à diriger des recherches en sic, Lille 3.

Fischer G.-N., 1990, Le champ du social, Dunod.

Mattelart A., Vitalis A., 2014, Le profilage des populations. Du livret ouvrier au cybercontrôle, La Découverte.

Gaboriau R., Sakka S., 2017, « Le robot comme médiateur thérapeutique : une expérience auprès de jeunes autistes », Tétralogiques, n° 22, 249-261.

Goffman E., 1968, Asiles. Étude sur la condition sociale des malades mentaux, Éd. de Minuit.

Miranda S., 2014, « L’homo mobiquitus », in Carmes M., Noyer J.-M., dir., Devenirs Urbains, Presses des Mines, coll. Territoires Numériques-La Poste-Le Grico, 155-176.

Meyer V., 2004, Interventions sociales, communication et médias. L’émergence du sociomédiatique, L’Harmattan.

Meyer V., 2005, « Évaluation des connaissances dans le champ du social : instrumentalisation et marchandisation », Sciences de la Société, n° 66, 149-162.

Meyer V., 2006a, Communication organisationnelle et prise en charge du handicap mental, Bordeaux, Les Études Hospitalières.

Meyer V., 2006b, « De l’utilité des recherches-actions en sic », Communication & Organisation, n° 30, 98-108.

Meyer V., dir., 2010, Normes et normalisation en travail social. Pour une posture critique entre responsabilité, résistance et créativité, Les Études Hospitalières.

Meyer V., dir., 2012, Performance, sens et usure dans les pratiques professionnelles en travail social, Les Études Hospitalières.

Meyer V., dir., 2014, Les technologies numériques au service de l’usager, au secours du travail social, Les Études Hospitalières.

Meyer V., dir., 2017, Transition digitale, handicaps et travail social, Les Études Hospitalières.

Meyer V., 2018, « Parcours de vie en milieu clos ou vieillir dans une Maison d’accueil spécialisée », in Pitaud P., Meyer V., coord., Entre domicile et hébergement collectif, n° spécial de la Revue du creai paca et Corse, 11-14.

Meyer V., Delahaye C., 2017, « Médiations numériques et travail social : de quoi parle-t-on ? », Les Cahiers de l’Actif, n° 498-499, 9-22.

Meyer V., Bonjour A. Daragon E., 2017, « L’assistant digital social et le socionaute », La revue française de service social, n° 264, 66-76.

Meyer V., Pitaud P., coords, 2017, Transition digitale et médiations numériques dans les institutions sociales et médico-sociales, n° spécial de la Revue du creai paca et Corse.

Pène S., 2014, « Cultures numériques et action sociale : le politique en partage », in Meyer V., dir., Les technologies numériques au service de l’usage, au secours du travail social, Les Études Hospitalières, 125-138.

Plantard P., 2014, « E-inclusion : approche anthropologique », in Meyer V., dir., Les technologies numériques au service de l’usage, au secours du travail social, Les Études Hospitalières, 51-60.

Sadin E., 2016, La silicolonisation du monde, l’irrésistible expansion du libéralisme numérique, L’échappée.

Salgues B., Bister L., 2014, Le marketing des objets technologiques et des services numériques, iste Éditions.

Thiéblemont-Dollet S., Meyer V., dirs, 2010, Design des lieux et des services pour les personnes handicapées, Les Études Hospitalières.

Victor J.-Ch., Babaci-Victor L., 2017, Révolution digitale : transformer la menace en opportunités. 10 tendances clés et plus de 50 exemples pour éviter de se faire ubériser, Eyrolles.

Vidal G., dir., 2012, Sociologie des usages : continuités et transformations, Hermès Lavoisier.

Vidal G., 2017, « Négociations d’usage ? », préface, in Meyer V., dir., Transition digitale, handicaps et travail social, Les Études Hospitalières, 11-13.

Haut de page

Notes

1 <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=jorftext000000215460>.

2 Les travaux de Gustave Nicolas Fischer (1990, 162-175) permettent de reprendre synthétiquement les caractéristiques essentielles de pareille institution i.e. « le fait de mettre en place, de donner forme et de maintenir un état de choses. Elle englobe le fait de stabiliser la réalité à travers des normes établies. Ainsi les institutions [comme ces établissements] sont-elles organisées autour d’un système de valeurs qui constitue leur doctrine et se présente comme un énoncé de vérités […] Par ailleurs, toute institution est cohésive : les éléments qui la composent, tendent à se renforcer mutuellement, dans le sens de l’affirmation de l’unité institutionnelle. Les institutions déterminent des manières de penser et d’agir qu’elles encodent : l’individu n’a pas à inventer sa propre façon de faire, voire de dire les choses, c’est l’institution qui y pourvoit ». Par ailleurs, elles sont souvent dites « totale » sens d’Erving Goffman (1968), dans lesquelles les individus sont matériellement coupés du monde extérieur (grilles, murs, portes verrouillées, etc.), pris « entièrement » en charge sous une même autorité qui pourvoit à tous les besoins et assure l’application de règles et de contrôles. Les lieux sont spatialement et temporellement cadrés.

3 Je ne peux pas ne pas faire référence ici à ces milieux clos sans mentionner la mise en image de ces lieux par Raymond Depardon ; elle m’a inspiré mes premiers travaux œuvrant encore comme moniteur-éducateur au début des années 80 dans un Institut médico-professionnel ; son travail reste toujours aussi puissant, <http://www.telerama.fr/festival-de-cannes/2017/cannes-2017-12-jours-de-raymond-depardon-un-peu-beaucoup-a-la-folie,158669.php>.

4 <http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2017/05/cir_42206.pdf>.

5 <http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2017/05/cir_42217.pdf>, « La direction générale de la cohésion sociale dans une circulaire du 20 avril – également signée de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages et de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement – détaille les modalités de mise en œuvre de plan de relance des pensions de famille et résidences accueil. Présenté comme ambitieux, ce plan – annoncé lors de la Conférence nationale du handicap du 19 mai 2016 – doit se traduire par une création de 7500 places sur 5 ans […] La réalisation des objectifs du plan de relance nécessite de développer des partenariats avec les porteurs de projets, les collectivités locales, et les autres acteurs concernés par ces problématiques. Pour les résidences accueil, le texte appelle à renforcer le partenariat avec les ars afin de s’assurer de la cohérence de ces objectifs de création avec les objectifs des Projets régionaux de santé et du Programme territorial de santé mentale ».

6 <http://www.anesm.sante.gouv.fr/>, agence aujourd’hui intégrée à la Haute autorité de Santé.

7 Et aujourd’hui le Dossier médical partagé (dmp).

8 <http://eduscol.education.fr/numerique/tout-le-numerique/veille-education-numerique/archives/2015/mai-2015/definir-la-litteratie-numerique>.

9 Les objets connectés ne sont pas encore entrés dans ces établissements sinon par le biais des professionnels ; à tout le moins, nos travaux n’ont pas encore concrètement montrés leurs usages dont l’avenir semble assuré si l’on retient les chiffres du Baromètre Opinion Way d’avril 2017 pour Distree#Connect 2017.

10 <http://www.slate.fr/story/144801/septmetiersrobotsintelligentsprendreenpremier>.

11 Des projets voit le jour et seront à suivre à l’instar de Rob’Autisme qui « est né en 2014. Il consiste à proposer aux adolescents de programmer et de manipuler eux-mêmes les robots » (Gaboriau, Sakka, 2017, 249).

12 Cf. <http://cila-adolescence.com/>.

13 <http://www.lefigaro.fr/actualitefrance/ 2017/05/23/0101620170523artfig00380lesreseauxsociauxsourcedanxiete.php>, 1/1, consulté le 23/05/2017.

14 <http://www.cstb.fr/plateformes-essais/maintien-a-domicile/>.

15 Cf. le numéro de la revue Sociologie <http://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-sociologie-2017-1.htm>.

16 Cf. Bénédicte Defontaine, neurologue, directrice du réseau mémoire Aloïs, <https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/auteurs/index.php?id=66304>, « Si l’un des défis majeurs de notre société, de nos dirigeants et de nos élus, est aujourd’hui de pouvoir s’adapter à cette ère du digital, il ne faudrait pas une nouvelle fois oublier de faire une place aux personnes en situation de handicap dans ce nouveau monde où tout reste à (ré)inventer », consulté le 05/05/2017.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Meyer, « Mondes clos et déconnexion obligée »Sciences de la société, 103 | 2019, 162-172.

Référence électronique

Vincent Meyer, « Mondes clos et déconnexion obligée »Sciences de la société [En ligne], 103 | 2019, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 16 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/10406 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sds.10406

Haut de page

Auteur

Vincent Meyer

Professeur des universités, ure Transitions–imredd, Université Nice Sophia Antipolis, membre de l’université Côte d’Azur.
vincent.meyer unice.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search