1Depuis ces dernières années, le travail social est confronté à une accélération des changements ainsi qu’à une remise en question (par les hommes politiques, les institutions, les médias, les chercheurs et les usagers eux-mêmes) dans un contexte de crise majeure du capitalisme. Outre l’accroissement des demandes, les travailleurs sociaux ont eu à faire face à un public nouveau, non habitué des services sociaux, public qui serait parfaitement intégré s’il n’y avait pas l’extension du chômage et l’apparition de ce qu’on appelle les travailleurs pauvres. La profonde crise économique que nous traversons a également des conséquences en termes de moyens disponibles. Les travailleurs sociaux se trouvent donc face à une augmentation et une complexification des demandes dans un contexte de raréfaction des ressources. En conséquence, les modèles de pratique sur lesquels ils ont construit leurs compétences se trouvent interrogés.
2Autre élément de contexte : Les politiques sociales, conçues dans une logique de Top Down (du haut vers le bas), sont de plus en plus interrogées parce que l’État n’en a plus les moyens mais aussi parce que l’efficacité de ces politiques est remise en question. D’où probablement le succès actuel de la notion d’empowerment (Donzelot, 2003).
3Dans cet article, nous nous proposons de montrer en quoi l’empowerment, dans la mesure où il s’agit d’un concept ambigu, entraîne beaucoup de discours sur le pouvoir d’agir et pourquoi c’est le passage effectif à l’agir qui va permettre des transformer réellement les pratiques et les logiques de domination actuellement à l’œuvre dans l’intervention sociale. Nous examinerons les différentes facettes du mot pouvoir que l’empowerment sous-entend. Puis nous préciserons les différences entre action et activation. Ensuite nous montrerons l’intérêt pour les personnes d’une restauration effective de leur rapport à l’action en nous appuyant sur l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectifs (DPA-PC). Nous conclurons par ce que vient modifier ce passage à l’agir.
4Nous l’avons écrit dans l’introduction : le contexte actuel de grave crise socio-économique vient interroger, par effet secondaire, les pratiques actuelles des intervenants sociaux. Ils sont à la recherche de nouvelles modalités d’intervention. Comme l’a écrit Chasseriaud : « L’ampleur des problèmes sociaux contemporains […] exige le développement d’une action sociale et d’un travail social basé sur de nouvelles approches, de nouvelles méthodes d’intervention, de nouvelles organisations, de nouvelles pratiques professionnelles. Il y a là un enjeu pour le travail social d’aujourd’hui » (Chasseriaud, 2013, p. 24).
- 1 La dernière en date étant celle organisée à Perpignan par le CRIFIS le 19 septembre 2014 dont la th (...)
5C’est dans ce contexte qu’on assiste en France à une montée en puissance du concept d’empowerment comme piste pour une évolution du travail social. Comme l’ont très bien montré Bacqué et Biewener (2013), ce concept prend sa source aux États-Unis et c’est la psychologie communautaire qui s’en est emparé en le voyant comme un nouveau paradigme. Barak Obama, qui a œuvré en tant qu’organisateur communautaire à Chicago, s’est appuyé sur cette idée quand il a construit plus tard son slogan de campagne « Yes, we can ». En France, avant l’ouvrage cité précédemment, Donzelot (2013) avait mis en évidence l’intérêt de l’empowerment dans le cadre de la politique de la ville. Plus récemment, cette notion est également au cœur des propositions faites par Bacqué et Mechmache (2013) dans le rapport qu’ils ont remis à Lamy. Il est donc logique que de nombreuses journées d’étude s’emparent de cette thématique porteuse1.
6La traduction du terme empowerment est difficile parce que ce concept recouvre un accès au pouvoir (comme état et comme objectif) et un processus pour y arriver. La racine en est le mot pouvoir. Elle est précédée d’un préfixe qui fait référence à un processus et elle est suivie d’un post- fixe qui indique un résultat. S’il fallait traduire littéralement ce terme, cela donnerait : un processus d’acquisition d’un pouvoir qui aboutit à un résultat. On le voit, cette traduction n’est pas très pratique.
7Si au cœur de ce mot figure le terme de pouvoir, il conviendrait pour avancer de s’entendre sur ce concept qui est éminemment polysémique. Dans le champ du travail social, il peut s’agir de l’exercice d’une autorité, de l’exercice d’une influence sur les autres ou de la possibilité de pouvoir poursuivre un objectif. Et donc logiquement et ainsi que nous l’avons montré ailleurs (Jouffray (dir.), 2014, p. 15), du fait la non-définition précise de ce concept, l’empowerment recouvre actuellement un très large champ : Cela va de l’injonction plus ou moins explicite à se prendre en main au fait « d’inciter les habitants à lutter pour transformer eux-mêmes les conditions de vie dans leurs quartiers (Donzelot, 2012, p. 242) », en passant par le fait de permettre aux habitants de se regrouper pour améliorer leurs conditions de vie. On le voit, ces trois définitions tracent trois pistes d’actions radicalement différentes (injonction / lutte / facilitation) sur un axe qui va de : « c’est aux personnes de se prendre en charge » à « c’est la société qu’il faut changer ». Dans la première acceptation, cette façon de penser l’empowerment nie l’oppression structurelle et fait uniquement poser le fardeau du changement sur les épaules des individus. D’ailleurs, pour Soulet (2005, p. 95), le succès de la notion d’empowerment dans l’intervention sociale s’inscrirait dans cette logique de la responsabilisation : il s’agirait de mobiliser et soutenir l’usager « pour qu’il engage ses propres ressources afin de développer des initiatives et d’élaborer un projet de vie ». Mais nous y reviendrons un peu plus loin.
8Parmi les définitions du concept de pouvoir, celle qui va nous intéresser est celle de possibilité au sens de « créer les conditions pour que le passage à l’action soit possible ». Dans cette optique, la définition du pouvoir proposée par le philosophe Patrick Viveret nous semble tout à fait pertinente : « Le pouvoir n’est pas à prendre ; le pouvoir, nous le créons : nous nous donnons mutuellement du pouvoir. C’est d’ailleurs le sens grammatical et étymologique du verbe « pouvoir », qui est un verbe auxiliaire, qui s’écrit en minuscule et qui n’a de sens qu’avec des compléments ; c’est du pouvoir de création qui est démultiplié par de la coopération » (Viveret, 2012).
9Après avoir examiné le concept de pouvoir, et dans la mesure où l’empowerment concerne aussi un agir, nous proposons d’examiner maintenant ce que nous entendons par agir.
10On ne peut s’interroger sur la question de l’agir qu’en tenant compte du contexte dans lequel nous sommes. Aujourd’hui, un paradigme sociétal préside aux orientations du travail social dans les pays occidentaux : celui de l’État social actif théorisé par Giddens (1998). Pour mémoire, il s’agit d’une conception qui propose de maintenir un haut niveau de prestation sociale en échange des efforts que les bénéficiaires auraient à faire en vue de leur insertion sociale. On cherche à ce que les personnes s’activent dans leur insertion, on leur demande de faire des efforts dans ce sens. D’où le succès de mots comme l’employabilité : ce n’est plus la marché du travail qui est interrogé mais la personne elle-même : qu’est-ce qui, dans ce qui la caractérise, fera qu’elle sera ou non employable.
11C’est ce qu’on retrouve également avec la notion de responsabilisation : les personnes sont rendues responsables de l’état de leur situation sans que soient prises en compte les conditions sociales ou économiques qui sont à l’origine de leurs difficultés. Du coup n’est pas loin l’imputation qui leur est faite quant aux problèmes qu’elles subissent : c’est de leur responsabilité si elles en sont là. Une telle façon de procéder revient à chercher dans l’individu lui-même les raisons qui rendent compte de la situation dans laquelle il se trouve mais aussi les ressources à mobiliser pour qu’il puisse s’en sortir (Castel, 2005). Certains auteurs (Soulet, 2007 ; Astier, 2007) posent que, concernant le fonctionnement de la société, on assisterait à une bascule du principe de la solidarité de la société envers ses membres vers celui de la responsabilité de ceux-ci envers la société. Dans la même lignée, on voit l’émergence de politiques publiques individuantes visant à soutenir la production d’individualités, ainsi à même de pouvoir agir par elles-mêmes (Soulet).
12Avec l’État social actif, on est donc dans une logique de contrepartie, de « donnant/donnant ». C’est une logique d’activation des personnes : L’État social fait en sorte de rendre actifs les usagers, de les activer. Or, tant dans l’activation des personnes que dans leur responsabilisation, il n’est en fait pas question de pouvoir d’agir mais plutôt de devoir d’agir. Et ceci peut se traduire par des injonctions du type : « Responsabilisez-vous ! », « Soyez responsables ! », « Prenez-vous en charge ! ». Il est intéressant de remarquer ici qu’être activé ou être responsabilisé sont des verbes passifs. Cela se fait toujours sous l’impulsion d’une force extérieure. Si on travaille de cette façon c’est qu’on pense que les problèmes viennent uniquement d’un manque d’activation ou de responsabilisation des personnes. Alors qu’agir est un verbe actif qui se traduit par des actions.
13Avoir la possibilité d’agir sur ce qui est important pour soi est très important et constitutif de ce que nous sommes, de notre identité mais aussi de notre bien-être. C’est ce qu’a bien compris le philosophe Paul Ricœur quand il a écrit « La souffrance n'est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même par la douleur mentale, mais par la diminution, voir la destruction de la capacité d'agir, du pouvoir faire, ressentie comme une atteinte à l'intégrité de soi » (Ricœur, 1996, p. 223). Si l’on se réfère à sa pensée, ce qui est à l’origine de la souffrance des personnes c’est aussi la détérioration de leur rapport à l’action.
14On peut tirer deux conséquences de ce qui précède :
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- 2 Cf. le paragraphe précédent.
du côté de l’intervention sociale, écouter les personnes accompagnées, évaluer leurs besoins et leur apporter des réponses ne permet en rien de restaurer leur rapport à l’action (au sens d’agir et non d’être activé2).
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Du côté de ceux qui pensent l’intervention sociale (et ça peut également concerner les travailleurs sociaux), penser le rapport à l’action n’est pas suffisant pour agir.
15Pour être plus explicite : tout le monde peut être d’accord sur les principes quant à l’intérêt d’un pouvoir d’agir mais ça ne suffit pas pour le rendre effectif. C’est le passage à l’action qui va permettre de restaurer de façon effective ce rapport. Si non, on en restera à du discours sur mais qui ne viendra pas modifier concrètement les rapports de pouvoir en présence.
- 3 Formation de « personnes-ressources à l’approche DPA », andadpa.fr
16Il va donc s’agir d’expérimenter très concrètement cette restauration du rapport à l’action. Et ceci concerne autant les usagers que les intervenants sociaux. En effet, si on se contentait de souhaiter le développement du pouvoir d’agir des seules personnes accompagnées, cela ne modifierait en rien les logiques de domination. C’est parce que les intervenants sociaux vont faire pour eux-mêmes, à propos de situations dans lesquelles ils se trouvent en impossibilité d’agir, l’expérimentation du développement de leur propre pouvoir d’agir qu’ils vont pouvoir changer de posture et s’ouvrir des marges de manœuvre. C’est à cette occasion qu’ils prennent conscience des postures qu’ils ont adoptées, qui sont souvent en décalage avec ce qu’ils pensaient faire et qui sont un frein à ce que les personnes accompagnées puissent développer leur propre pouvoir d’agir. C’est ce qu’avait très bien compris une des professionnelles que nous avons eu l’occasion de former3 : « J’étais épuisée par l’inertie des personnes. En fait, je ne permettais pas aux personnes de bouger. J’ai arrêté d’être dans l’action, loin devant la personne. Je vois mon boulot avec un regard neuf : je ne suis plus épuisée ».
17À l’heure actuelle et ainsi que nous l’avons montré (Jouffray (dir.), 2014), deux postures sont dominantes dans l’intervention sociale : celle du sauveur (qui veut le bien de l’autre) et celle de l’expert (qui sait). Il est à noter que les intervenants sociaux sont dans une grande ambivalence sur la question de l’expertise : « Ils la revendiquent car cette compétence contribue à la légitimation, à la reconnaissance et à la valorisation de leur profession mais en même temps ils s’en méfient du fait d’un aspect techniciste, voir déshumanisé. Pourtant la majorité d’entre eux semblent avoir adopté, sans réelle volonté au départ, une posture en lien avec cette expertise qui leur est demandée. Ce qui se traduit par la position paradoxale suivante : ils ne se vivent pas comme experts mais ils se comportent comme des experts » (Ibid., p. 41). Issus d’un modèle à dominante médicale, les modes d’intervention sociale qui semblent encore majoritaires aujourd’hui s’appuient sur différentes phases : diagnostic / traitement / évaluation. Ceci peut se traduire ainsi : Les personnes viennent avec leurs symptômes et les intervenants sociaux proposent un traitement. Cette façon de faire s’appuie sur une expertise unilatérale des travailleurs sociaux qui, la plupart du temps, a été solidement construite en formation initiale. Et pourtant ils disent « faire avec » alors que la plupart du temps ils « font pour ». Il s’avère que c’est en expérimentant un retour à du pouvoir d’agir sur des situations bloquées qu’ils prennent conscience du décalage qui existe entre les idées et les actes, entre ce qu’ils pensent faire et ce qu’ils font réellement. Il est à noter que ce décalage participe pour beaucoup à l’épuisement professionnel des travailleurs sociaux. Le sentiment de faire correctement leur travail réside en grande partie dans cet exercice difficile qu’est le fait d’être en cohérence entre ce à quoi ils tiennent et leurs actes.
18Nous avons souvent l’occasion, dans le cadre de la formation continue4, de recueillir en début de formation un constat alarmant quant à l’intérêt des intervenants sociaux pour leur travail, compte-tenu de tous les bouleversements à l’œuvre (institutionnels ou autres). Ils nous disent souvent leur sentiment d’être à cent mille lieues de ce pourquoi ils ont choisi de faire ces métiers, leur impression d’être pris dans un engrenage sur lequel ils n’ont pas beaucoup de prise. Après expérimentation d’une restauration de leur pouvoir d’agir, ces mêmes travailleurs sociaux disent avoir réalisé à quel point ils ont tendance à donner, à proposer, à endosser le rôle du sauveur, avant même d’avoir identifié avec les usagers quel sont leurs priorités telles qu’ils les perçoivent. Ils disent avoir appris à travailler en tenant compte des enjeux de chacun. Ils constatent qu’ils arrivent à faire bouger ce qui paraissait immuable et disent souvent que cette nouvelle façon de faire leur apporte une bouffée d’oxygène.
19Quel est le processus qui permet le développement d’un pouvoir d’agir effectif ? Ce processus est référencé à l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectifs (DPA), telle que théorisée par Le Bossé (2012). Il se décompose ainsi :
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Un travail de ciblage sur l’obstacle concret qui empêche d’avancer mais le parti-pris sera de se placer dès le départ du point de vue de la (des) personne(s) la (les) plus concernée(s), celle(s) qui est (sont) en impossibilité d’agir.
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Une ouverture avec le repérage et la prise en compte de l’ensemble des enjeux en présence pour déboucher sur des zones d’enjeux communs et donc une prise de conscience quant à des stratégies possibles.
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L’implication des personnes concernées dans la redéfinition du problème ainsi que dans la co-construction de solutions.
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Un ancrage permanent sur ce qui est présent « ici et maintenant ».
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De plus, c’est le passage à l’action qui en résulte qui contribue à ce que la personne apprenne de cette expérience et à ce qu’elle puisse s’en servir dans d’autres occasions.
20Notre expérience montre que, si les intervenants sociaux s’engagent dans un développement effectif de leur pouvoir d’agir, cela constitue pour eux une piste pour sortir de l’épuisement professionnel. C’est ce que nous ont confirmé des chefs de service d’un organisme privé ayant reçu délégation de service public au sein duquel des formations à l’approche centrée sur le DPA sont proposées depuis quatre ans. Ils nous ont indiqué qu’ils repéraient des nets changements chez leurs professionnels : ils avaient à faire à des travailleurs sociaux abattus pour certains ou dans de la contestation pour d’autres. Ils disent qu’ils repèrent maintenant leurs travailleurs sociaux mobilisés, dans la recherche de marges de manœuvre et de stratégies pour faire avancer les choses. La prise de conscience qui résulte de cette formation quant à sa propre posture en tant qu’intervenant social est la condition pour sortir des logiques de domination actuellement à l’œuvre dans l’intervention sociale, que ces logiques concernent les rapports travailleurs sociaux / institutions ou les rapports travailleurs sociaux / usagers.
21Même si le fait de restaurer le rapport à l‘action des travailleurs sociaux est un préalable, il ne s’agit pour autant pas d’une fin en soi. L’important est que cela débouche effectivement sur une restauration du rapport à l’action des usagers. Quand les intervenants sociaux expérimentent d’autres postures plus en lien avec un « lâcher-prise », ils laissent de facto une place pour que les personnes accompagnées puissent développer leur propre pouvoir d’agir. L’expérience relatée par B. Macrésy en est un bon exemple. En fait, la conduite du changement ne repose plus uniquement sur les intervenants sociaux : les personnes accompagnées y prennent une part active. C’est ce que nous disent régulièrement les intervenants sociaux que nous avons en formation : « Je suis passée du je au nous. Dans le je, j’étais impuissante. Avec le nous, on peut faire quelque chose ensemble », « J’ai arrêté de foncer tête baissée dans ma propre façon de faire. Je laisse à la personne sa capacité d’être acteur », « Je suis moins dans l’anticipation d’un futur sur lequel je n’ai pas de prise. Avec la personne, nous faisons ensemble et nous portons ensemble ».
- 5 Action présentée lors de la journée de réflexion sur le développement du pouvoir d’agir organisée p (...)
- 6 aidpa.org.
22Pour autant, il ne s’agit pas de tomber dans l’excès inverse qui serait que les travailleurs sociaux se déchargent totalement en faisant porter sur les seuls publics la responsabilité des actions à entreprendre. Parce que les uns et les autres, chacun de leur place, vont développer leur propre pouvoir d’agir pour faire bouger ce qui est concrètement à l’origine du problème identifié ensemble, cela va avoir un effet de synergie et amener à bouger d’autres acteurs qui ont à voir avec ce problème mais qui n’en subissent pas directement les conséquences. Les expériences menées montrent que cela a même un impact large, par exemple sur les modalités de versement de bourses d’études (Jouffray et Bousquet, 2008, p. 291), sur des critères d’attribution de prêts bancaires (Jouffray, à paraître), sur un élargissement du champ d’intervention dans l’aide apportée aux personnes âgées dépendantes5. Et on pourrait ainsi multiplier les exemples. Cet aspect des effets de l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir est encore peu exploré. Il fera l’objet du prochain congrès sur l’approche DPA qui sera organisé à l’automne prochain6 en partenariat avec le conseil Général de la Gironde dont la direction Interventions et Développement Social sensibilise ses équipes depuis plusieurs années aux questions d’empowerment et qui a choisi depuis trois ans de former intervenants sociaux et cadres à l’approche centrée sur de DPA.
23Ce qui est intéressant, c’est qu’en agissant à partir de cette approche, on n’est pas dans un conformisme au niveau de l’intervention sociale mais au contraire dans de la création, dans du « sur-mesure », dans la droite ligne du dernier rapport du CSTS (à paraître) et renouant ainsi avec un certain art du travail social (De Joncheere, 2010, p. 322). Le principe de départ est bien qu’aucune action n’est duplicable en l’état puisqu’elle est forcément ajustée aux acteurs en présence.
24Dans un premier temps, tous ces changements en cascade ne se font pas à grande échelle ; ils ne sont donc pas forcément visibles mais ils sont réels. Il s’agit en fait de faire bouger l’ensemble des éléments d’un système mais par petits pas. Agissant ainsi et pour paraphraser Gandhi, d’une manière douce nous pouvons secouer le monde…
25« La revendication de plus en plus d'intervenants sociaux de développer le pouvoir d'agir de leurs usagers ne risque-t-elle pas de devenir un nouveau conformisme au sein du travail social sans pour autant transformer les pratiques et les logiques de domination en œuvre dans ce champ ? ». Telle était l’une des questions posées dans l’appel thématique de ce premier numéro de la revue Sciences et Actions Sociales.
- 7 Voir citation au début de cet article.
26On peut s’interroger sur le choix du terme revendication mais il est révélateur : Parler sur le pouvoir d’agir, le revendiquer, tout cela reste de l’ordre des discours. Si nous nous référons à la conception du pouvoir qu’en a donné Patrick Viveret7, le pouvoir d’agir n’est pas à revendiquer ; il se crée. En conséquence, il nous semble que, formulée de cette façon, la question de départ contient en elle-même la réponse : oui, si les travailleurs sociaux se contentent de revendiquer le pouvoir d’agir pour les usagers, on en restera à des vœux pieux qui, parce qu’ils restent dans le virtuel, ne transformeront pas les pratiques et les logiques de domination en œuvre dans le champ du travail social. L’important maintenant n’est plus de parler du pouvoir d’agir mais de le pratiquer effectivement. Et c’est même parce que le pouvoir d’agir en action est ajusté à chaque acteur, donc non reproductible, qu’on évite le conformisme de et dans l’intervention sociale.
27Nous avons montré dans cet article qu’il y a nécessité de sortir de la revendication qui n’est encore et toujours que du discours pour passer à de l’agir effectif. Et rien ne l’empêche sauf peut-être la peur de perdre un peu de pouvoir dans la relation d’aide, même si les travailleurs sociaux s’en défendent. C’est parce que les intervenants sociaux vont développer concrètement leur pouvoir d’agir (ce qui va passer par l’adoption d’autres postures professionnelles) qu’ils vont entraîner le développement du pouvoir d’agir des personnes qu’ils accompagnent. Il y a maintenant urgence à sortir des discours incantatoires sur le pouvoir d’agir pour passer à de l’agir effectif et il nous semble que l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectifs en propose un étayage pertinent.