Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, La France périurbaine
La France périurbaine, Hervé Marchal – Jean-Marc Stébé, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », 2018
Texte intégral
1L’ouvrage d’Hervé Marchal (Professeur de sociologie à l’université de Bourgogne) et de Jean-Marc Stébé (Professeur de sociologie à l’université de Lorraine) répond pleinement aux exigences de la collection « Que sais-je ? » : clarté et concision d’un côté, érudition et défense d’un point de vue de l’autre. L’objectif avéré d’une telle synthèse est à la fois didactique (cet essai étant le résultat de plusieurs années de travail assidu) et critique (par une remise en question de poncifs et des visions caricaturales du périurbain).
2 Les territoires périurbains, qui font l’objet de cette étude, sont victimes d’un certain nombre de jugements de valeur, voire de préjugés, notamment qu’ils seraient, comme le précisent les auteurs dans l’introduction, « un sous-espace urbain dépourvu de centralité et privé d’urbanité, autrement dit de diversité sociale, de relations sensibles et de représentations partagées ». À cela s’ajoutent le non-respect de l’environnement et l’expression de l’individualisme, donc du délitement du lien social. Le périurbain constituerait par conséquent le triomphe d’une « France moche », tant du point de vue architectural que socio-comportemental. Or, dans la mesure où le périurbain ne correspond pas à une réalité homogène, Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé rappellent que ce dernier est aussi – et peut-être d’abord – une terre « d’hybridations inédites entre rural et urbain » donnant lieu à des actions innovantes liées notamment à la réhabilitation du patrimoine, à la production d’énergie alternative, à l’agriculture biologique, etc. Le périurbain ne saurait donc être responsable de toutes les difficultés que rencontre la société française. S’appuyant sur des recherches récentes issues de domaines très divers tels que la géographie, la démographie, les sciences politiques, en urbanisme, en aménagement, sans oublier leur discipline de prédilection – la sociologie, les auteurs s’emploient avec force arguments à démontrer que, contrairement aux idées reçues, les espaces périurbains sont bel et bien des espaces ouverts en relation permanente et étroite avec les villes-centres qu’avec le monde rural. En outre, les zones périurbaines sont des « espaces pluriels et diversifiés aussi bien sur le plan social que sur le plan spatial ». Toutes ces considérations permettent aux auteurs d’avancer une idée-force de leur ouvrage, celle des « France périurbaines » (en distinguant trois formes de périurbain - industriel, mixte et résidentiel). Les trois niveaux d’analyse qu’ils pratiquent (morphologique, sociodémographique et politique) leur permettent d’organiser leur propos en six parties qui s’appellent et se complètent : le périurbain appréhendé par les sciences sociales – le processus d’objectivation du territoire périurbain – les questionnements et les débats suscités par l’étalement urbain – les formes de la périurbanisation à travers différents contextes nationaux en Europe et aux États-Unis – les défis du périurbain – controverses majeures portant sur l’actualité et le devenir des espaces périurbains.
3 De structure sexpartite, l’ouvrage commence par expliciter quels furent les apports de la géographie dans le champ d’investigation sociologique périurbaine, et ce depuis Élisée Reclus qui, à la fin du XIXe siècle, prédit une extension inexorable des villes. Dans l’aperçu historique qu’ils brossent, les auteurs rappellent un certain nombre de faits remarquables, tels que l’attrait multiséculaire pour la campagne (et ce dès le Moyen-Âge), l’engouement déjà ancien pour le pavillonnaire (ce dernier remontant aux années de la Belle Époque), le vaste processus d’urbanisation qu’a connu la France, etc. Ils s’attachent également à définir certains concepts-clés comme la dichotomie « banlieue / zone périurbaine » et à relever un paradoxe fondamental : bien que la population périurbaine ait plus que doublé de 1962 à 2016 (presque un quart des Français y vit aujourd’hui), ce phénomène a été très peu analysé par les sociologues - ce « silence sociologique » ne prenant fin qu’à partir de la décennie 1980, en sorte qu’à partir des années 2000, les sociologues développent une véritable sociologie du périurbain.
4 Le deuxième chapitre, qui livre un contenu davantage définitionnel, s’attache à décrire et à circonscrire le sens de termes tels que « périurbanisation » (processus d’extension des villes sur les campagnes environnantes), « rurbanisation », « exurbanisation », « suburbanisation », « tiers espace » ou encore « agri-urbain » apparus au cours des cinquante dernières années de transformation radicale des territoires urbains. Dans une telle optique, le point que tentent de faire les deux auteurs au sein de ce foisonnement de termes, d’expressions et ce concepts – qui a accompagné l’entrée du périurbain dans les recherches en sciences sociales et un enjeu majeur des politiques d’aménagement urbain et métropolitain, est particulièrement utile aux néophytes s’initiant à cette multiplicité de concepts, tels que le « pré-urbain » dont la définition détaillée constitue la conclusion de cette partie.
5 Le troisième chapitre, quant à lui, se concentre sur le paradigme de la « ville étalée », phénomène qui s’est imposé en France tout au long du XXe siècle au point d’être perçu comme une évidence, comme « naturel » et d’en devenir un élément central du développement urbain tant du point de vue culturel, politique qu’urbanistique. Dans une telle perspective, Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé brossent un bref historique du pavillonnaire français, et ce en remontant au XVIIIe siècle : l’attrait pour l’espace pavillonnaire périurbain s’apparente plus à un « espace mosaïque » dans lequel les couches socioprofessionnelles intermédiaires sont venues s’installer afin de bénéficier non seulement d’un foncier attractif, mais encore un lieu de vie apaisant – tous ces éléments incarnant la réussite sociale. Le choix d’une maison dans le périurbain peut par ailleurs être fondé sur la proximité de la nature et de la campagne. Or, bien que l’automobile constitue un puissant moteur de l’étalement urbain, les auteurs défendent la thèse selon laquelle les périurbains ne sont pas forcément les plus pollueurs notamment en raison de déplacements sur des distances de plus en plus courtes.
6 Même si le périurbain ne se prête pas aisément à l’exercice de la comparaison internationale en raison de la non-standardisation des approches, les auteurs s’attachent à élargir leurs perspectives de recherches et ainsi de saisir le processus de périurbanisation en France en le rapprochant du cas de l’Allemagne, mais également et surtout de ce qui se passe dans les villes étasuniennes depuis plus d’un siècle (le processus de développement des banlieues (suburbanization) remontant au XIXe siècle et s’étant considérablement accentué sous la poussée de l’élévation générale du niveau de vie et de la diffusion massive de l’automobile à partir des années 1920). Ainsi, dans ce court chapitre, les auteurs analysent le phénomène de périurbanisation en Europe et aux États-Unis. Il est à noter qu’en France, ce modèle se traduit, après la Seconde Guerre mondiale, par la création de « villes nouvelles » qui se veulent une réponse politique et planifiée à la croissance urbaine chaotique. Le rêve américain, quant à lui, est de structure tripartite : voiture, maison, nature. Pour les chercheurs américains, la métropolisation correspond à une dynamique essentiellement économique allant de pair avec une nécessaire restructuration au niveau du territoire national - le périurbain étant pensé comme une composante à part entière de la métropolisation. Il est donc imprudent de le dissocier des dynamiques économiques mondialisées.
7 Dans le chapitre V, intitulé « Club fermé, commune gentrifiée ou territoire désenchanté », Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé s’emploient, loin des préjugés dénaturants selon lesquels le périurbain concentre tous les maux, à identifier les questions de société auxquelles ce dernier se trouve confronté en tant que réalité inévitable de la société française. Pour ce faire, ils commencent par analyser tour à tour les phénomènes de vieillissement (avec des problématiques notamment comme le « bien vieillir » et les relations de voisinage) et de « clubbisation » dans le périurbain qui se caractérise par un émiettement spatial et un séparatisme sociopolitique. Ils examinent également la relation existant entre périurbanisation et gentrification, qui semble, de prime abord, paradoxale. Ce dernier concept ne doit cependant pas être confondu avec celui de « clubbisation » - la gentrification ne se comprenant au niveau social que si se dessine un mouvement significatif de mise à l’écart des classes populaires consécutive à l’installation de catégories sociales supérieures et moyennes supérieures. Il est au demeurant notable de constater, avec les deux auteurs, un « désenchantement pavillonnaire » chez les habitants modestes du périurbain éloigné.
8 L’ouvrage s’achève par le passage en revue des différentes controverses et vifs débats qui se concentrent, ces dernières années, sur les territoires périurbains. Là encore, Hervé Marchal et Jean-Marie Stébé s’emploient à déconstruire certains préjugés notamment politiques, faisant du périurbain une zone minée par le vote en faveur de l’extrême-droite, le repli individualiste et par une vie sociale pauvre. En s’appuyant notamment sur les travaux d’Éric Charmes et d’Olivier Galland, ils remettent en question la thèse du géographe Christophe Guilly selon lequel la France serait coupée en deux (« France métropolitaine » vs « France périphérique »). Ils invitent, en guise de conclusion finale, à une réflexion sur la question de l’aménagement des villes dans le contexte actuel de métropolisation et de mondialisation.
9En définitive, irrigué par une double logique à la fois « déconstructionniste » et didactique, cet ouvrage de synthèse, dont la puissance de démonstration est constituée non seulement par les enquêtes de terrain, mais encore par la pertinence des analyses, dûment documentées, et permettant la mise en regard de concepts fondamentaux, la comparaison avec la situation d’autres pays et le désamorçage des idées reçues, constitue un outil indispensable pour qui souhaite s’initier aux tenants et aux aboutissants des France périurbaines.
Pour citer cet article
Référence électronique
Franck Colotte, « Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, La France périurbaine », Sciences et actions sociales [En ligne], 11 | 2019, mis en ligne le 17 juin 2019, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sas/1044
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page