- 1 Je remercie vivement Isabelle Draelants de m’avoir invitée à participer à la journée d’étude La réc (...)
11Cet article s’ouvre avec une révision critique de quelques aspects de la tradition manuscrite du De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais, afin d’y appuyer l’édition provisoire du petit groupe d’extraits à mettre en relation avec leur source, le Physiologus. Le développement des études philologiques abordées par les éditeurs les plus récents nous fournit sous une forme fiable des extraits des livres XII et XVIII, pas encore disponibles à l’heure actuelle en édition critique, afin que nous puissions entreprendre, dans la seconde partie de notre étude, plus ample, une analyse détaillée de leurs sources, problématiquement liées à la « galaxie-Physiologus ». La transmission et les évolutions de ce traité bref et ancien de zoologie, minéralogie et botanique allégoriques ont en effet été complexes ; elles ont débouché sur la genèse de plusieurs versions anciennes et d’un ample groupe de bestiaires tardifs, dont les rapports mutuels sont encore en cours d’étude. Le fait que le De proprietatibus se nourrisse de plusieurs inspirations combinées, provenant tantôt de l’un ou de l’autre bestiaire, tantôt de compilations qui avaient exploité autrement l’héritage ancien, fait de l’ouvrage de Barthélemy un épisode inédit de la postérité du Physiologus, d’autant plus fascinant qu’il soumet ses notices à un travail systématique de réélaboration et de réécriture.
- 2 Pour une présentation synthétique du personnage et de son ouvrage, voir l’introduction au volume I (...)
- 3 Meyer H., Die Enzyklopädie des Bartholomäus Anglicus. Untersuchungen zur Überlieferungs- und Rezept (...)
- 4 Outre le volume I, déjà cité à la note 1, voir Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum. Vol (...)
- 5 Voir surtout les contributions recueillies dans Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum, Te (...)
- 6 Bartholomaei Anglici De genuinis rerum coelestium, terrestrium et inferarum proprietatibus, Francof (...)
2Le De proprietatibus rerum (désormais DPR), composé par le franciscain Barthélemy l’Anglais autour de 1230-1248 d’abord à Paris, puis continué à Magdebourg, a été pensé à l’origine comme vademecum de philosophie naturelle en dix-neuf livres, à l’usage des élèves du studium de Magdebourg, que l’auteur dirigea à partir de l’année 12312. L’indiscutable capacité à équilibrer ancien et moderne dans une structure efficace en a déterminé le succès notable, marqué par la diffusion européenne d’un nombre élevé de manuscrits complets et partiels (environ 200 témoins manuscrits conservés et une quinzaine d’éditions anciennes de 1470 à 1609), un éventail énorme de réutilisations et de réécritures (en particulier moralisées) et une dizaine de versions vernaculaires. Un catalogue exhaustif des témoins de la forme originaire du DPR et de celles remaniées, accompagné par une analyse détaillée de leurs caractéristiques macrotextuelles et de leur distribution par région et par époque a été dressé par H. Meyer3. La première édition critique du texte original est en cours chez Brepols sous la direction de B. Van den Abeele, Chr. Meier-Staubach et H. Meyer et la coordination de I. Ventura4. Plusieurs contributions se sont penchées dans les dernières décennies sur les vulgarisations du DPR, pour en étudier les modalités de traduction et le type de modèle latin utilisé5. Dans l’attente de la publication intégrale de l’édition critique collective, pour une grande partie du texte il est encore nécessaire d’utiliser la dernière des éditions anciennes, publiée en 1601 à Francfort et réimprimée plusieurs fois6. Il reste à mener une enquête plus approfondie sur les rapports existant entre les témoins de la tradition directe, afin de mettre en évidence les codices les plus importants du point de vue stemmatique.
- 7 Voir Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum. Vol. 1, 2007 : 22-33 ; Van den Abeele B., Mey (...)
3Étant donné l’ampleur de cette tradition, les éditeurs modernes ont fondé leur texte sur un nombre restreint de témoins, choisis en raison de leur qualité afin de publier une édition « acceptable » du point du vue philologique. Une dizaine de codices potentiellement intéressants ont été tout d’abord identifiés sur la base d’une série de critères, à savoir le fait qu’ils soient complets, leur proximité pour la plupart du milieu de l’université parisienne (où la circulation du texte fut précoce) et le fait qu’ils témoignent de la première phase de diffusion du texte (le critère de la datation aurait été peu utile, car il est difficile, voire impossible, de retrouver des témoins manuscrits proches de la date de composition). Les codices ont été collationnés par sondages (un chapitre par livre), ce qui a conduit à la sélection finale de cinq témoins comme base pour la constitutio textus7 :
A
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Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 16098 ; avant 1306, légué au collège de Sorbonne par Geoffroy de Fontaines
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B
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Paris, B.n.F., lat. 16099 ; avant 1304, légué au collège de Sorbonne par Pierre de Limoges
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C
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København, Det Kongelige Bibliotek, Gl. kgl. S. 213 ; XIIIe siècle, peut-être Allemagne
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D
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Cambridge, Fitzwilliam Mus., 15 ; début du XIVe siècle, Ogny (Dijon) ou Ognon (Besançon)
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E
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Paris, Bibl. de la Sorbonne, 123 ; premier quart du XIVe siècle, Paris
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- 8 Casapullo R., « Sull’edizione di un testo mediolatino a tradizione sovrabbondante: il De proprietat (...)
4Les éditeurs ont donné quelques indications générales sur le comportement de ces témoins, en signalant notamment qu’il y a une relation étroite entre A et B, les deux exemplaires les plus anciens du DPR, alors que les manuscrits D et E sont assez tardifs et corrompus ; de nombreuses corrections importantes ont été apportées dans B par une main correctrice contemporaine, siglée B2, et ces leçons se retrouvent souvent dans C, un témoin de provenance allemande particulièrement correct. Comme aucune enquête n’a été conduite pour placer les cinq manuscrits dans un stemma, l’édition critique s’est fondée surtout sur C et B2 ; un essai à été fait plus récemment par R. Casapullo, mais n’ayant pas remarqué que D et E sont des témoins contaminés, elle a proposé une évaluation en partie incorrecte de leur comportement8. D’ailleurs, la tradition du DPR est tellement compliquée qu’un stemma traditionnel est pour l’instant impossible à tracer.
- 9 Plinius Anglicus, Plinius Gallicus et alii. Inchieste filologiche (e non solo) tra la Naturalis His (...)
5À partir des reprises que Barthélemy a tirées de la Naturalis historia de Pline l’Ancien, j’ai conduit pour mon mémoire de fin d’études une révision des matériaux publiés en 2007 et abordé l’étude d’autres sections encore dépourvues d’une édition moderne, en tenant compte des manuscrits A B C D E et de seize nouveaux exemplaires, de datation et de provenance diversifiées, choisis en raison de leur accessibilité (ils sont tous disponibles en ligne)9. L’absence presque complète d’indices sur la tradition du DPR autorise de premiers sondages même sur des témoins tardifs et corrompus, d’autant plus qu’ils se caractérisent par un ensemble de phénomènes qui en font un échantillon représentatif d’un plus grand nombre de codices. Il s’agit notamment de :
F
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Einsiedeln, Stiftsbibliothek, 299 ex. 192 ; XIVe siècle, abbaye bénédictine d’Einsiedeln
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G
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Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. XVIII sin. 9 ; XIVe siècle, couvent franciscain de Santa Croce, Florence
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H
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Firenze, B.M.L., Plut. XXI sin. 2 ; XIVe siècle, couvent franciscain de Santa Croce, Florence
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I
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Firenze, B.M.L., Plut. XXI sin. 3 ; XIVe siècle, couvent franciscain de Santa Croce, Florence
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J
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Leipzig, Universitätsbibliothek, 1424 ; 1457, Frankfurt-am-Main
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K
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Leipzig, Universitätsbibliothek, 1425 ; XIVe siècle
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L
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Madrid, Biblioteca Nacional, 930 ; XIVe siècle, cathédrale de Messine (Italie)
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M
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Madrid, B.N., 3316 ; XIVe siècle
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N
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Montpellier, Bibliothèque interuniversitaire de Médecine, Faculté de Médecine, H 189 ; XIVe siècle, abbaye cistercienne de Clairvaux
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O
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Montpellier, B.IU.M., Faculté de Médecine, H 190 ; XIVe siècle, abbaye cistercienne de Clairvaux
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P
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Paris, B.n.F., lat. 347 ; c. 1300, cathédrale de Châlons-sur-Marne
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Q
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Paris, B.n.F., lat. 347E ; XIVe siècle
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R
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Praha, Narodni Knihovna, I.C.34 ; 1475, abbaye augustinienne de Trebon (Tchéquie, Bohême méridionale)
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S
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Reims, Bibliothèque municipale, 992 ; 1325, abbaye bénédictine de Saint-Rémi, Reims
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T
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Toulouse, Bibliothèque municipale, 225 ; XIVe siècle, abbaye augustinienne de Toulouse
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U
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Troyes, Bibliothèque municipale, 979 ; XIVe siècle, abbaye cistercienne de Clairvaux
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- 10 Les apparats que je constitue enregistrent toutes les leçons significatives des vingt et un manuscr (...)
6Ces travaux ont débouché sur un placement progressif de chaque manuscrit en relation avec les autres et sur l’édition critique d’une série d’extraits des livres XII, XIII, XVI et XVIII, accompagnés par des conclusions générales possiblement valides pour une section plus ample de la tradition du DPR. À la lumière de ces conclusions, et sur la base des collations menées pour éditer ci-dessous les extraits du DPR liés au Physiologus, nous allons donc proposer quelques observations préliminaires, qui présentent les phénomènes majeurs de cette tradition et expliquent quels critères ont été suivis dans la préparation de notre édition provisoire10.
7Une première question est de savoir s’il existe ou pas un ancêtre commun à cette vingtaine de témoins. Bien que choisis de façon aléatoire, nos codices partagent quelques erreurs, ce qui signifie qu’ils remontent à un seul ancêtre, qui pourrait être l’archétype de toute la tradition du DPR ou seulement un subarchétype. Étant donné que, dans ces cas, l’édition de 1601 offre des leçons correctes trop difficiles pour être atteintes ope ingenii, l’hypothèse est qu’elles proviennent d’exemplaires du DPR faisant partie d’autres branches de la tradition et que les témoins qui les conservent (comme H et P) auraient subi une contamination.
XVIII 14 robore suo H ed. : robora ABCDEGIKLMNOPQRSTU : robore P2
XVIII 43 querit HP ed. : comedit ENS : reperit T2 : om. ABCDGIKLMOQRTU
XVIII 76 duodecies in die H ed. : duodecies ABDEGIJKLMNOPQRSTU : duodenes C
XVIII 76 vividus ed. : invidus ABDEGHIKLMNOPQRSTU : idus C : mundus D2
8Les résultats d’un phénomène de contamination massive et stratifiée se manifestent en effet dans la plus grande partie de nos codices, d’une manière variable selon le manuscrit ou le groupe de manuscrits : cela signifie qu’un nombre plus ou moins élevé d’erreurs héritées des ancêtres a été corrigé, et que quelques variantes incorrectes ont été ajoutées, sur le modèle du travail fait dans B par B2. Comme pour B2, il n’est pas facile de dire de quelle partie de la tradition manuscrite ces leçons découlent, mais elles se retrouvent déjà dans le texte principal de nos témoins et, bien qu’évidemment contaminées, elles ne sont pas toujours les mêmes dans tous les manuscrits. Il nous semble possible de confirmer l’évaluation des éditeurs quant à C, un témoin apparemment non contaminé et isolable non seulement de ABDE, mais aussi des autres seize codices. Une fois exclu C, tous les autres témoins feraient partie de la même branche, mais il est impossible de dresser un stemma : on se contente d’identifier un texte « de base » que tous partagent, caractérisé par une série d’erreurs significatives, à partir duquel on peut évaluer le degré plus ou moins haut de contamination de chaque témoin. Le texte « de base », particulièrement fautif et apparemment non contaminé, se trouve dans A et B, auxquels on ajoute M et U et, pour la plupart du texte, aussi H L F J : les deux premiers récupèrent toutefois à certains endroits des leçons correctes à travers la contamination, alors que F et J sont si lacunaires que nous les avons rarement à notre disposition. Comme les erreurs de AB se trouvent aussi dans ces témoins, leur relation est moins exclusive qu’on ne l’a suggéré dans l’édition de 2007.
XVIII 43 facta] femina ABacHLMU : femora F
XVIII 95 ad navem…perferens] ferens ABacHMU
9Parmi les manuscrits contaminés d’une façon limitée, chacun pour des leçons différentes, il y a R I K, qui évitent une partie des erreurs des manuscrits proches de AB et présentent quelques leçons correctes propres à C. Plus contaminés sont P et surtout Q, qui évite un nombre élevé d’erreurs du texte « de base » et récupère une variante incorrecte ajoutée dans B par B2. Cela arrive plus fréquemment encore dans O T et D, mais le texte principal de ce dernier présente souvent des monstra : il s’agit de leçons doubles, dont l’une est l’erreur du texte « de base » et l’autre la correction atteinte à travers la contamination. Un témoin particulier est G, qui, bien que très fautif et proche du texte « de base », conserve ici et là quelques leçons correctes et quelques variantes incorrectes extrêmement rares, propres seulement à B2 ou à des témoins très contaminés. Voici ci-dessous un petit échantillon qui décrit ces phénomènes :
XVIII 14 complexas] perplexas B2OQT : per complexas D
XVIII 43 inclinant DEGNQST ed. : inclinat J : includunt CIO : includant P : inclusant B2 : includit ABFHKLMRU
XVIII 69 loca B2CDEGNOQST ed. : locum H : littus ABFIKLMPRU
XVIII 76 XXV B2DEGLNOPST ed. : XLV ABCHIKMQRU
XVIII 76 diversificant] vivificant C : vel diiudicant in marg. B2 : diiudicant G | attrahit] trahit B2G
XVIII 95 dolet B2DEGLNOPQST ed. : dicitur dolet BC : dicitur M, A spat. rel. : dolere dicitur I : dicitur turbari R : dicitur contristari KU : tristatur HJ
XVIII 101 qui sollicite CGIKR : qui sollite J : qui absolute ABDELMNOPQSTU : que absolute ed. : qui F : que H
10Enfin, la présentation de E offerte par l’édition de 2007 exige une révision. En fait, ce témoin n’est pas isolé, car il partage un certain nombre d’erreurs avec N et S, et les trois sont contaminés d’une façon importante, ce qui signifie que leur texte est souvent plus correct qu’on ne l’a dit et mérite d’être pris en considération.
XVIII 14 ligaminibus] luctaminibus ENS
XVIII 43 querit HP ed. : comedit ENS : reperit T2 : om. ABCDGIKLMOQRTU
XVIII 43 pro viribus post protegit E, ante NS
XII 22 homo ille EGNS : ille homo R : homo ACDFHIJKLMOPQTU ed.
- 11 Un examen plus approfondi de la tradition manuscrite du DPR à la lumière de l’une de ses sources ma (...)
11Pour résumer, bien qu’ils soient les témoins les plus anciens du DPR, A et B transmettent un texte très corrompu et évidemment loin de l’original, dont certaines erreurs sont répandues dans plusieurs témoins, alors que d’autres ont été corrigées à travers la contamination. Ce phénomène empêche pour l’instant de définir les rapports entre les codices, mais il a significativement amélioré le texte transmis par A B, en récupérant de bonnes leçons à partir de sources inconnues, de grande qualité et proches de l’original. Si l’on veut établir un texte le plus possible correct, les codices très contaminés doivent nécessairement être consultés en comparaison avec C et B2, en sachant que, à certains endroits, ils sont supérieurs même aux deux témoins sur lesquels l’édition de 2007 a fondé sa constitutio. À côté de E, il est important de regarder au moins O T Q et occasionnellement G ; quant à D, il pourrait être écarté, car il transmet des doubles leçons non originelles, dont la partie correcte peut être récupérée de manuscrits contaminés de qualité supérieure11.
12À la lumière des considérations illustrées ci-dessus, nous présentons une édition critique provisoire des citations du DPR en référence à la source Physiologus, à savoir dix extraits provenant du livre XVIII, que le DPR lui attribue explicitement, et six autres passages dont l’attribution est (apparemment) problématique. L’ensemble des réflexions que les extraits suscitent fera l’objet de la section suivante, qui se consacre à l’identification des sources directes et indirectes à travers lesquelles Barthélemy a eu accès à ces informations.
XVIII 8 De angue. Modus autem renovationis ipsius anguis satis videtur mirabilis. Nam, ut dicit Physiologus, anguis se sentiens morbo vel senio aggravatum pluribus diebus abstinet a cibo et ieiunat, ut sic pellis eius a carne facilius relaxetur; deinde, gustata herba quadam amara, vi herbe provocatur1 ad vomitum, et sic evomit humorem virulentum, qui fuit causa sue infirmitatis et defectus. Tandem, ut cutem rigidam temperet et mollificet, in aqua se balneat ac humectat, et sic angustam rimam petre alicuius2 seu cavernam querens per rime angustiam intrat et, cum quadam violentia transiens, ab exuvia penitus se decorticat ac denudat. Et tandem soli expositus se desiccat et in carnis superficie3 novam cutem recuperat, sumptis viribus videt clarius4, incedit5 ac repit fortius ac comedit avidius quam ante depositionem exuvie faciebat.
131. herbe provocatur B2CEGNP2QS ed. : herbe provocetur DLOPT : herba provocetur ABIKMRU : provocatur FH : provocetur J | 2. petre alicuius] alicuius petrae ed. : om. Q | 3. superficie] superficiem CDIKR | 4. videt clarius] clarius videt ed. | 5. incedit] insedit B2
XVIII 28 De castore. Unde quod dicit Isidorus et Physiologus de eorum castratione non de usualibus fibris, sed de aliquibus aliis animalibus, que castoribus assimilantur1 in testiculis, est forsitan intelligendum.
141. que castoribus assimilantur B2CD2EGNOQST ed. : assimilantibus ABDFIKLMPRU : illis similibus H
XVIII 32 De cocodrillo. Dicit autem Physiologus: Cocodrillus1, si quendam2 invenit hominem iuxta littus, interficit eum si potest, et postea3 plorat super eum et postea devorat ipsum. Et dicit quod de eius fimo fit unguentum, unde facies mulierum sophisticantur, ut senes et rugose iuvencule per tempus videantur. Herbas bonas4 libenter comedit, inter quas enidros5 serpens parvulus, qui ei inimicatur, caute se involvit; et dum cocodrillus herbas carpit, serpentem transglutit, qui intrans ventrem eius omnia interiora carpit, et sic interimit eum et occidit et sic illesus exit.
151. cocodrillus] crocodilus ed. | 2. si quendam ed. : siquidem ABCDHLMOPQT : siquidem si EKNS : quidem si U : si quem R : si quemquam I : inquid G | 3. postea BD2ENOSTU : post CGKR : preterea ADLMPQ : prius I : primo ed. : om. H | 4. bonas om. ed. | 5. enidros] enhydris ed.
XVIII 43 De elephantibus. In libro autem Physiologi de elephante memini me sic legisse: Elephas, inquit, est animal quod magnitudine inter1 omnia animalia quadrupedia preexcellit, intellectu et memoria multum vigens. Nam elephantes inter alia eorum facta2 nunquam dormiendo totaliter se inclinant3; quando fessi sunt arbori et maxime palme quietis gratia accubant, et sic qualitercunque se sustentant. Quorum quieti homines insidiantes occulte arborem concavant, cui se appodians elephas et nesciens fraudem pondere corporis arborem frangit, et frangendo cadit subito et succumbit. Qui casum suum videns irrecuperabilem4 miro modo barrit, id est clamat et rugit; ad cuius barritum multitudo iuvenum subito accedit elephantum, qui paulatim seniorem pro viribus elevant et, ut eum relevent5, miro affectu se totis viribus inclinant6. Coitum abhorrent nisi pro sola prole, unde dicitur ibidem quod, quando7 elephantes Indicos stimulat8 vis9 amoris, femina precedit versus orientem, quam sequitur masculus, quousque in abscondito deveniant10. Qualitercunque poterit11 mandragoram querit12, cuius fructum primo femina gustat, deinde masculus eundem fructum comedens eam impregnat et fecundat13, ut dicitur. Sed diu propter magnitudinem fetus femina in utero fetum gerit; sed tempore partus in aquis et in insulis fetum procreat propter draconis metum, ne ipsum tenellum fetum sorbeat aut deducat; et dum mater filium parturiendo laborat, masculus pro viribus14 ipsam protegit et defendit. Item dicitur ibidem quod ossa elephantis combusta fugant serpentes et omnia venenosa. Item aliud dicitur ibidem valde admirandum: dicit enim quod apud Ethiopes in aliquibus regionibus sic venantur. Accedunt ad deserta, ubi15 due virgines omnino nude habitant et crinibus resolute, quarum una fert alveolum, alia gladium; incipiunt autem alte cantare, quarum cantum audiens bestia venit ad eas et lingit earum mammas. De dulcedine autem cantus mox obdormit elephas, et tunc una perforat gladio guttur16 vel17 latus18, altera vero colligit sanguinem eius quo tingitur pannus, qui purpura appellatur.
XVIII 69 De lupo. De lupis autem dicit Physiologus: Virtus luporum in pectore et in unguibus viget ac in ore, in posterioribus vero minime. Collum retroflectere1 non valet in2 nullo mense nisi in Maio, quando fiunt tonitrua. Cuius astutia est ut non capiat predam iuxta loca3 ubi nutrit fetus suos, sed tunc4 temporis venatur a remotis. Quando autem noctu5 prede gratia pergit ad ovile, ne canes eius sentiant odorem vadit contra ventum; et si aliquo casu pes eius calcando super aliquid strepitum fecerit, ipsum pedem castigat duro morsu. Oculi eius lucent de nocte ut lucerne et, ut dicit Solinus, villum6 amoris excitativum in cauda portat, quod dentibus evellit quando timet capi.
161. retroflectere B2CDENOST ed. : reflectere ABGHIKLMPQRU | 2. in] et in ed. | 3. loca B2CDEGNOQST ed. : locum H : littus ABFIKLMPRU | 4. sed tunc B2EGNST : et tunc ABDIKMOPRU ed. : tunc CQ : sed F om. temporis : tunc enim H : om. L | 5. noctu] nocte FR ed. | 6. villum B2CDEFGINOQST : vultum ABU : multum D2K2LMPR ed. : sunt H
XVIII 76 De onagro. De quo dicit Physiologus quod XXV1 die Martii duodecies in die2 et totiens in nocte rugit, per cuius rugitum3 equinoctium apud Affros discernitur, et dicit quod totiens semper rugit de die quot dies habet horas4, similiter et de nocte. Unde et sylvani5 in montibus Affrice, in quibus onagri6 abundant, per7 numerum rugitus eorum numerum horarum, dierum et noctium computant et diversificant8. Sagax et vividus9 est in olfactu, unde quando amore fervet et nescit ubi eius femina10 evagatur, rupem ascendit et patulis naribus ventum attrahit11; per cuius flatum ubi sit eius femina diiudicat et discernit. In montibus altis12 pascuosis herbas virentes, quas multum diligit, cum diligentia querere consuevit, quas cum invenerit pre gaudio statim rudit; et ubi presenserit bestiam vel hominem ipsum venari cupientem, quamdiu invenit13 gramina virentia a pascuis14 non recedit. Hominum frequentiam valde odit atque fugit, solitudines et deserta multum diligit.
171. XXV B2DEGLNOPST ed. : XLV ABCHIKMQRU | 2. duodecies in die H ed. : duodecies ABDEGIJKLMNOPQRSTU : duodenes C | 3. rugitum om. ABacIJKMR | 4. dies habet horas] horas habet dies EHNS : horas dies habet R : habet horas dies J | 5. sylvani B2 ed. : silvam ABCDEGHIKLMNOPQRSTU | 6. in quibus onagri B2CEGNS : onagri in quibus ABDLMOPQTU : ab onagris in quibus ed. : quibus onager R : onagri in H : onagri K : in quibus I | 7. per B2CG ed. : om. ABDEIKLMNOPQRSTU | 8. diversificant] vivificant C : vel diiudicant in marg. B2 : diiudicant G | 9. vividus ed. : invidus ABDEGHIKLMNOPQRSTU : idus C : mundus D2 | 10. eius femina] femina eius EFS : femina est N : est femina R | 11. attrahit] trahit B2G | 12. altis] altis et O ed. | 13. invenit] invenerit EFLNS : evit O : om. M, Q spat. rel. | 14. a pascuis] de pascuis ENS : pascuis OQ
XVIII 77 De onocentauro. Sed alio modo sentit Physiologus, qui dicit onocentaurum esse compositum ex humana effigie et asinina. Nam ab umbilico et sursum figuram habet hominis et ab eodem inferius formam obtinet animalis.
XVIII 80 De panthera. De panthera dicit autem1 Physiologus: Panthera, inquit2, odit draconem et draco ipsum fugit. Cum autem comederit et saturatus3 fuerit, se recondit in spelunca et dormit continue fere per4 tres dies; post triduum vero, a somno surgens, emittit vocem et ab ore eius5 exit odor aromaticus supra modum suavis, propter cuius suavitatem ipsum omnia animantia sequuntur. Solus autem draco, audiens vocem eius, timore perterritus fugit in cavernam, nec ferens odorem in semetipso deficit et torpescit: odorem enim eius reputat pro veneno.
181. autem om. F ed. | 2. inquit om. ABacCHKMRU | 3. saturatus conieci : saturata codd., ed. | 4. per om. ed. | 5. ore eius] eius ore F ed. : ore U
XVIII 95 De syrena. De syrena autem1 dicit Physiologus: Syrena2 est monstrum marinum ab umbilico et sursum habens3 formam virginis, inferius figuram piscis. Hec belua in tempestate gaudet, in sereno autem dolet4. Hec dulcedine cantus facit dormire navigantes, quos cum viderit consopitos ad navem accedit et quem poterit rapere secum ducit. Et perferens5 ipsum ad locum siccum6, primo7 ipsum secum coire cogit; quod si noluerit8 vel non poterit, ipsum9 perimit et eius carnes devorat et transglutit. De talibus monstris legitur in Historia Magni Alexandri10.
191. syrena autem] syrena CR : sirene autem ed. | 2. syrena] siren ed. | 3. habens ante ab umbilico CGHIKMRU | 4. dolet B2DEGLNOPQST ed. : dicitur dolet BC : dicitur M, A spat. rel. : dolere dicitur I : dicitur turbari R : dicitur contristari KU : tristatur HJ | 5. ad navem…perferens] ferens ABacHMU | 6. siccum] suum EJNS | 7. primo] primum ed. | 8. noluerit] coire noluerit ed. | 9. ipsum] illum ed. | 10. Magni Alexandri] Alexandri Magni ed.
XVIII 101 De taxo. Est1 quedam species taxi, ut dicit Physiologus, qui sollicite2 cibos contra hiemem una cum femina colligit3 et reponit; et veniente algore hiemis, timens masculus ne cibi collecti nimis cito deficiant, feminam ab esu reprimit et ipsam ad4 saturitatem comedere non permittit. Que pacem simulans et quasi taxo masculo5 cedens, cavernam latenter exit et, per partem oppositam latibulum intrans, ignorante masculo fauces aperit et diu6 aggregatos cibos devorat et consumit. Hec bestia, ut dicit idem, vulpem odit et cum eo7 dimicare consuevit, sed videns vulpes quod propter duritiam villosam8 eius pellem ledere9 non poterit, se victum10 simulans fugam petit; et dum taxus predam querit, vulpes eius latibulum subintrans urina et aliis immunditiis taxi cubiculum inficere consuevit, cuius fetorem abhorrens melus11 defedatum domicilium derelinquit et aliam mansiunculam necessario12 sibi querit.
201. est] est etiam CFIKR : est autem G | 2. qui sollicite CGIKR : qui sollite J : qui absolute ABDELMNOPQSTU : que absolute ed. : qui F : que H | 3. colligit] recolligit CGIJKR | 4. ad] in ABacIJKMU : ad in L : ne ad R | 5. taxo masculo] masculo taxo ENST : masculo F | 6. et diu CENRS : diu ABDFGIJKLMOPQTU ed. | 7. eo] eadem ed. | 8. villosam F : et villosam ABCDEGIKLNOPQRST ed. : et villositatem U : om. HM | 9. ledere] et ledere R : eum ledere U ed. : ledere eum J | 10. victum] victam ed. | 11. melus] melis ed. | 12. necessario] necessariam R ed.
XII 14 De fenice. De hac ave dicit Physiologus1 quod fenix est avis sine pari, vivens CCC vel D annis; quibus completis, cum suum sentit defectum, nidum facit ex lignis aromaticis et multum siccis, qui2 in estate ex fervore solis flante Favonio accenduntur. Quibus iam accensis, fenix sponte nidum3 ingreditur et ibidem inter ligna ardentia incineratur; ex quo cinere infra triduum quidam vermiculus nascitur, qui paulatim plumas recipiens in volucrem reformatur.
211. Physiologus CFGK : Philosophus ADEHILMNOPQRSTU ed. | 2. qui] quae ed. | 3. fenix sponte nidum ADGIJOPRT : fenix nidum sponte C : sponte fenix nidum ENS : sponte nidum FHKLMQU ed.
XII 22 De kaladrio. Kaladrius1 secundum Physiologum2 est albi coloris, nullam habens partem nigredinis, cuius pars inferior femoris ipsius purgat caliginem oculorum. Cuius natura est talis quod, quando aliquis gravi detinetur infirmitate, si egritudo fuerit ad mortem kaladrius avertit faciem suam a sic egrotante, et sine dubio tunc moritur homo ille3; si autem infirmus debet convalescere, kaladrius visum figit4 in ipsum et intendit in eum quasi applaudens ei.
221. kaladrius] charadrius ed. | 2. Physiologum CFGK : Philosophum ADEHILMNOPQRSTU ed. | 3. homo ille EGNS : ille homo R : homo ACDFHIJKLMOPQTU ed. | 4. visum figit] figit visum ed.
XII 29 De pellicano. Et idem dicit Physiologus1 per hec verba: Pellicanus2, inquit, est nimius3 amator filiorum suorum. Cum enim gignit natos et incipiunt crescere, parentes suos in faciem percutiunt, propter quod ipsos mater repercutit et occidit. Tertio vero die mater se in costa usque ad effusionem sanguinis percutit, et calidum sanguinem super corpora mortuorum filiorum4 post effundit; ex cuius virtute pullus prius mortuus reviviscit.
231. Physiologus C : Philosophus ADEGHIKLMNOPQSTU : Plinius R ed. | 2. pellicanus] pelicanus ed. | 3. nimius] avis ed. | 4. mortuorum filiorum] filiorum mortuorum ENRS
XII 1 De aquila. Ad hoc1 dicit Augustinus et Plinius quod aquila in senectute patitur caliginem in oculis et gravedinem in alis suis, contra quod incommodum instruitur a natura ut fontem aque scaturientis querat. Deinde ascendit quantum potest per aera, donec ex calore aeris2 et labore volatus3 fortius incalescat, unde tunc ex calore poris apertis et pennis relaxatis subito descendens in fontem ruit; ibi4 mutatis plumis et purgata caligine in oculis vires recipit et resumit.
241. ad hoc] ad haec ed. | 2. aeris] solis ed. | 3. volatus CDENOPQRST ed. : volatus stomachus AFGHIJKLMU (om. fortius GIJK) | 4. ibi ACDMOPQRTU : ibique ENS ed. : et ibi J : ubi FGHKL : i I
XVIII 14 De bubalo […] ut dicit Plinius libro XXVIII capitulo X […] Est et1 aliud animal simile bovi agresti, sed non est tante magnitudinis; maxima tamen habet cornua multum alta et acuta, cum quibus deicit arbores et arbusta; si autem2 concava est quercus, robore suo3 deponit usque ad terram. Qui gratia pastus tandem4 caput submittit inter frutices subtilia et prolixa virgulta sive vimina habentes, quarum complexione et adherentia cornua bestie circumligantur et obligantur, unde diu luctans contra illas complexas5 virgultorum obvolutiones magis ac magis se intricat atque ligat; cumque diu luctans ab illis ligaminibus6 se non expedit, immo fortius se involvit, pre indignatione alte7 mugit. Cuius vocem horridam audiens venator scit bestiam illaqueatam fore et detentam, unde ipsam secure venabulis impetit, et occidit bestiam acerrimam in virgultis, quam in nemoribus magnis invadere nullatenus ausus fuit. Et hanc bestiam vocat Physiologus aptalonem8, cuius dictis si fides adhibenda est mirum videtur9, qualiter tam fera bestia de virgultis et nemoribus modicis cornua non eximit, que eisdem cornibus ingentes arbores deicit et prosternit.
251. est et ABCDFGHIKLMPQRTU : est etiam O : est autem et ENS : est autem ed. | 2. si autem C : si H : sed et AB2DGKLMO2PQTU : sed BENOS : sed que R : sed si I : sed et si ed. | 3. robore suo H ed. : robora ABCDEGIKLMNOPQRSTU : robore P2 | 4. gratia pastus tandem] tandem gratia pastus CGHIKR | 5. complexas] perplexas B2OQT : per complexas D | 6. ligaminibus] luctaminibus ENS | 7. alte om. ABacHLM : atque KU | 8. aptalonem B2CGINQST : aptalenem EK : aptalanem R : aptaleonem ABDHLMOPU ed. : aptoleonem F (cf. Phys. autolops) | 9. videtur] videtur esse ENS : esse videtur HMP
XII 37 De upupa. De hac1 dicunt physici2 quod, cum senuerit ita quod3 nec videre nec volare queat, pulli eius evellunt ei pennas invalidas et liniunt ei oculos herbarum succis et fovent sub alas4, donec recrescant5 plume eius et sic renovata perfecte volet et videat6 clare sicut et ipsi7, ut dicit Isidorus.
261. hac] hac ave ed. | 2. physici] philosophi J | 3. ita quod] eo quod ABacFMOPQU ed. | 4. alas] alis DFGIJ ed. | 5. recrescant] requiescant ABac : quiescant MU : crescant F : concrescant H | 6. volet et videat] volat et videat ABMU : volat et videt B2CFHO : volent et videant J | 7. et ipsi] ipsi J : et ante U : om. M
- 12 Il est impossible d’entrer dans le détail des sources dont Barthélemy se sert pour rédiger chaque s (...)
- 13 Cette perspective se révèle clairement dans certains livres du DPR, alors qu’elle est moins évident (...)
27Dans l’ensemble des sources de philosophie naturelle qui nourrissent le DPR, dont le noyau fixe est constitué de citations d’Aristote et de ses commentateurs arabes et latins, d’Isidore et – seulement dans certaines sections – de Pline l’Ancien12, les notions liées au Physiologus occupent évidemment une place marginale et leur incidence est faible, tant dans l’économie globale de l’ouvrage de Barthélemy que dans celle des livres XII et XVIII et des chapitres particuliers où elles se trouvent. Leur nombre est restreint et leur extension est limitée, car elles ne dépassent pas en général la dizaine de lignes (sauf à propos de l’éléphant et du buffle), alors que la plupart des chapitres qui les contiennent ont une longueur remarquable et que le livre XVIII est l’un des plus longs de toute l’encyclopédie. Les citations peuvent porter sur un seul sujet ou constituer une petite collection de notices brèves : le premier cas s’illustre par exemple dans les chapitres De angue (sur le renouvellement de la peau du serpent), De panthera (sur l’attraction qu’elle exerce envers les autres animaux), De syrena (sur son danger pour l’homme) ; le second cas s’observe bien dans les chapitres De cocodrillo, De elephantibus, De lupo. Le choix du type d’information, comme son étendue, pourraient être conditionnés par la nature du modèle, car le Physiologus offre un éventail limité d’éléments, présentés presqu’exclusivement selon une interprétation éthique et allégorique, inspirée par une description rapide ; de son côté, Barthélemy semble privilégier les descriptions « concrètes » portant sur les créatures les plus communes, en incluant les merveilleuses13.
28Quelques problèmes émergent d’une première évaluation de ces passages. Des citations plus ou moins amples du DPR et toute celle du chapitre De taxo, bien qu’elles soient attribuées explicitement au Physiologus, ne se trouvent ni dans ses versions anciennes, ni dans les bestiaires qui en sont issus et qui ajoutent des matériaux provenant des Etymologiae d’Isidore de Séville. De manière générale, les formulations utilisées par Barthélemy s’éloignent souvent de celles propres aux différentes formes du Physiologus, ce qui suggère que l’encyclopédiste a réécrit ses citations, comme il est de coutume chez lui, mais aussi qu’il a pu tirer ses informations d’une source intermédiaire indéterminée. D’ailleurs, les six passages finaux ont eux aussi affaire avec le Physiologus, mais leur attribution à cette source est problématique.
29En effet, les citations de XVIII 14 De fenice, 22 De kaladrio, 29 De pellicano ont un marqueur de source que l’on pourrait définir comme « controversé » : rares sont les témoins qui portent ici le marqueur Physiologus, alors que les autres évoquent le Philosophus (la source philosophique par excellence, Aristote) tout comme l’édition de référence de 1601 ; dans le cas du pélican, l’édition de 1601 et le manuscrit R portent le marqueur Plinius. Étant donné la qualité des manuscrits qui ont le marqueur correct, nous faisons l’hypothèse que l’utilisation de Philosophus et Plinius soit due à une confusion d’une partie de la tradition manuscrite : un échange se serait produit entre les noms de ces auctoritates, peut-être facilité par leur ressemblance au niveau paléographique, surtout s’ils étaient écrits sous forme abrégée.
30Quant aux trois extraits provenant de XII 1 De aquila, XII 37 De upupa, XVIII 14 De bubalo, le premier est accompagné par le marqueur Plinius ; le deuxième est introduit par le marqueur physici et se termine avec celui d’Isidore ; le troisième se trouve après un long passage attribué à la Naturalis historia et, bien qu’il soit entièrement tiré du Physiologus, cette source n’est mentionnée qu’à la fin du passage. La même confusion paléographique évoquée pour les trois cas précédents peut justifier la présence de Plinius dans le passage sur l’aigle ; dans le cas du chapitre De bubalo, il est aussi plausible que le marqueur Physiologus se soit déplacé pendant le processus de copie à la fin de la citation, ou qu’il ait disparu de son début. Une explication paléographique pourrait être proposée également pour le marqueur physici du chapitre De upupa, assez proche de Philosophus et Physiologus ; quant à la fausse attribution à Isidore de ce passage, qui ne se trouve pas dans les Etymologiae, elle pourrait dériver d’une confusion due à la similarité des contenus des deux ouvrages. Dans ces dernières citations, cependant, l’erreur est répandue dans tous les manuscrits collationnés, ce qui suggère qu’il s’agit d’une confusion propre à une partie considérable et peut-être même à toute la tradition du DPR. Le responsable pourrait alors être l’auteur lui-même, qui aurait fait une confusion dans les marqueurs de source au moment d’en recopier les extraits ou de les réorganiser dans sa copie de travail. Sinon, le DPR aurait hérité ces erreurs d’une source qui n’était pas une version du Physiologus, mais un ouvrage qui en reprenait des extraits, en les reformulant et en les mélangeant peut-être avec d’autres textes. Cela nous reconduit à la question fondamentale qui nous occupe, à savoir si Barthélemy a vraiment exploité une version du Physiologus, ou s’il a plutôt connu ce texte à travers un intermédiaire.
- 14 Pour un traitement détaillé de la question voir Kay S., « The English Bestiary, the Continental Phy (...)
- 15 Pour l’édition de A, B et C, voir respectivement Cahier C., Martin A., Mélanges d’archéologie, d’hi (...)
- 16 Carmody F. J., Physiologus Latinus Versio Y, Berkeley, University of California Press, 1941, p. 95- (...)
- 17 Mann M. F., Der Bestiaire divin des Guillaume le Clerc, Heilbronn, Henninger, 1888, p. 37-73 (éditi (...)
- 18 Transmis (au moins partiallement) par quatre témoins, parmi lesquels j’utilise Cambridge, Corpus Ch (...)
- 19 Clark W. B., A Medieval Book of Beasts. The Second-family Bestiary: Commentary, Art, Text and Trans (...)
- 20 White C., From the Ark to the Pulpit: An Edition and Translation of the “Transitional” Northumberla (...)
- 21 Voir l’étude du chapitre sur la sirène dans Kuhry, « Les chapitres sur les poissons », 2019 ; le te (...)
31Pour ne rappeler ici que les grands axes d’évolution du texte connu comme Physiologus latinus14, quatre versions anciennes sont d’abord à prendre en considération : il s’agit de A, B, C15 et Y16 (selon les sigles adoptés par leurs premiers éditeurs et encore de référence). Les deux dernières sont les plus proches du texte grec, mais s’apparentent à deux familles différentes et C est aussi proche de la version éthiopienne du Physiologus ; A emprunte des chapitres tantôt à Y et tantôt à B, dont l’origine n’est pas résolue. La version B forme à son tour le noyau de toutes les familles de bestiaires qui se diffusent à partir du XIIe siècle et qui ajoutent au texte de B des passages tirés des Etymologiae d’Isidore de Séville tout en réorganisant les chapitres et leur contenu d’une façon de plus en plus radicale. La première de ces versions, dont les autres découlent, est celle connue comme B-Is (B-Isidorus), qui introduit les apports isidoriens généralement en fin de chapitre17. De B-Is descend le remaniement H-B-Is18, qui fut la source principale de S (« Bestiaire de seconde famille »)19, réorganisant et amplifiant énormément, sur la base d’Isidore, la structure originaire de B-Is. Un autre bestiaire, connu sous le sigle de Tra (Bestiaire « Transitional »), naît à l’époque en tirant ses contenus de B-Is, H-B-Is et S20. Une autre version encore est H, dont le modèle direct a été identifié par R. Baxter comme étant la version H-B-Is ; cependant, l’étude conduite par E. Kuhry sur certains passages de H semble suggérer que son texte dérive plutôt d’un double modèle, à savoir B-Is et H-B-Is21. Enfin, nous ne traiterons ni du bestiaire T (« Troisième famille »), plus tardif, ni d’une forme du Physiologus indépendante de B-Is comme les Dicta Chrysostomi, ni de deux versions poétiques telles que le Physiologus Theobaldi (produit à la fin du XIe siècle et très diffusé) et le Bestiaire de Philippe de Thaon (dont le modèle serait encore de type B-Is).
32Que le DPR s’apparente à la version B, et plus proprement à B-Is, est évident : tant au niveau des contenus que de la formulation des notices, le DPR s’éloigne de l’autre version principale du Physiologus, c’est-à-dire Y ; il transmet d’ailleurs, mélangées au texte du Physiologus, des informations isidoriennes qui se trouvent déjà dans B-Is. Voici quelques exemples :
- 22 Le buffle n’apparaît que dans des versions tardives du Physiologus, d’après une notice isidorienne (...)
- 23 Ces informations sont à détecter dans deux chapitres différents des bestiaires liés à B-Is. Comme K (...)
De onagro. XXV die Martii duodecies in die et totiens in nocte rugit, per cuius rugitum equinoctium apud Affros discernitur, et dicit quod totiens semper rugit de die quot dies habet horas, similiter et de nocte. Unde et sylvani in montibus Affrice, in quibus onagri abundant, per numerum rugitus eorum numerum horarum, dierum et noctium computant et diversificant.
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B/B-Is xxi Vicesimo quinto die mensis Famenoth, qui est Martius, duodecies in nocte rugit, similiter et in die; et ex hoc cognoscitur quia equinoctium est diei vel noctis, et numerum horarum a rugitus onagri per singulas cognoscunt horas, semel rugientis.
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Y xxv In quinta et vigesima Famenoth mensis cognoscunt ab onagro quoniam equitas dierum fit: si autem clamaverit duodecies, cognoscit rex et palatium quoniam equitas diei fiet.
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De bubalo22. Caput submittit inter frutices subtilia et prolixa virgulta sive vimina habentes […] cumque diu luctans ab illis ligaminibus se non expedit, immo fortius se involvit, pre indignatione alte mugit.
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B/B-Is ii Autolops. Est autem ibi frutex qui dicitur Grece herecine, habens virgulta subtilia atque prolixa […] Cum autem diu pugnans liberare se non possit, exclamat voce magna…
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Y ii De autolope. Sunt autem ibi ricine (dicuntur Grece), hoc est frutices tenues ramos habentes […] Et clamat, volens fugere, et non potest, obligatus est enim…
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De onocentauro. Onocentaurum esse compositum ex humana effigie et asinina. Nam ab umbilico et sursum figuram habet hominis et ab eodem inferius formam obtinet animalis.
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B xii Superior pars homini similis est, inferioris vero partis membra sunt nature valde agrestis.
add. B-Is Onocentaurus autem vocatur eo quod media specie sit homo, media vero asinus.
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De cocodrillo23. Cocodrillus, si quendam invenit hominem iuxta littus, interficit eum si potest, et postea plorat super eum et postea devorat ipsum. Et dicit quod de eius fimo fit unguentum, unde facies mulierum sophisticantur, ut senes et rugose iuvencule per tempus videantur. Herbas bonas libenter comedit, inter quas enidros serpens parvulus, qui ei inimicatur, caute se involvit […] et sic interimit eum et occidit et sic illesus exit.
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add. B-Is (à la fin du chapitre consacré à l’hydrus)
Hic, dum invenit hominem, si poterit eum vincere comedit, et semper plorat illum. […] De stercore eius unguentum fiebat, unde vetule et rugose meretrices faciem suam perungebant, et ruge extendebant fiebantque pulcre […] Hunc hydrus deglutitus et unguibus et dentibus interimit et vivus inde exiit.
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33Barthélemy semble cependant lire aussi, dans sa version du Physiologus, d’autres informations provenant des Etymologiae, ce qui conduit à une comparaison entre les principales formes de bestiaire issues de B-Is pour déterminer si l’une est plus proche du DPR que les autres. Un petit indice en ce sens vient déjà de l’extrait sur le crocodile que nous avons cité, en particulier de deux détails, à savoir que l’animal pleure l’homme après l’avoir tué et que l’hydrus sort indemne de son ventre. Ces notices ne sont pas distribuées uniformément dans B-Is et dans ses descendants : la première, propre à B-Is, H et T, manque dans H-B-Is et S ; la seconde se trouve sous la forme vivus exit dans B-Is et sous la forme illesus exit du DPR dans H-B-Is, H et S (T a les deux, à deux endroits différents) :
H-B-Is non solum vivus, sed etiam exit illesus
Quod si aliquando invenerit hominem, comedit eum si vincere potest.
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H non solum vivus, sed etiam illesus exit
Quod si aliquando invenerit hominem, comedit eum si vincere potest, et postea eum semper plorat.
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S exit illesus
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T exit vivus / exit illesus
Hic, dum invenerit hominem, si poterit eum vincere comedit, post et semper plorat eum.
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34Par ailleurs, aucun chapitre sur le loup ne se trouve dans les versions anciennes du Physiologus et dans B-Is : il ne fait son apparition que dans les bestiaires H-B-Is, H, S et T, contenant tous la plus grande partie des informations données par le DPR selon une formulation assez constante.
35Parmi ces versions, S et T s’alignent sur les expressions de B/B-Is et du DPR pour le chapitre sur l’autolops, alors que le bestiaire H utilise des formulations différentes (Sunt autem ibidem virge urtice virides et molles ; vociferatur […] rugitu) et H-B-Is n’a aucune information. Dans le passage sur la panthère, les versions les plus proches du DPR sont H-B-Is, S, T et plus éloignées sont B/B-Is et H :
- 24 Proche de B-Is est H : Cum comederit et satiaverit se de universis venationibus, recipit se in spel (...)
De panthera. Cum autem comederit et saturatus fuerit, se recondit in spelunca et dormit […] Solus autem draco, audiens vocem eius, timore perterritus fugit in cavernam, nec ferens odorem in semetipso deficit et torpescit.
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H-B-Is (= S T) Cum ergo comederit et satiatum fuerit, recondit se in spelunca sua et dormit […] Solus autem draco, audiens eius vocem, timore perterritus fugit in cavernis terre; ibi non ferens odorem torpescit in semetipso.
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B/B-Is xxiii Cum ergo comederit et satiaverit se diversis venationibus, recondit se in speluncam suam, ponit se et dormit […] Solus autem draco, cum audierit vocem eius, timore contrahitur et fulcit se in terraneis cavernis terre, ibique non ferens vim suavitatis odoris in semetipsum contractus obtorpescit24.
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36Encore, le chapitre sur le serpent ne semble se trouver, au sein de la tradition découlée de B, que dans les bestiaires S et T, alors qu’il était présent dans la version Y et en conséquence dans A :
De angue. Anguis se sentiens morbo vel senio aggravatum pluribus diebus abstinet a cibo et ieiunat, ut sic pellis eius a carne facilius relaxetur […] et sic angustam rimam petre alicuius seu cavernam querens per rime angustiam intrat et, cum quadam violentia transiens, ab exuvia penitus se decorticat ac denudat. |
S/T De serpente. Cum senuerit caligant oculi eius, et si voluerit novus fieri abstinet se et ieiunat multis diebus, donec pellis eius relaxetur; et querit angustam rimam in petra, et intrat in eam et contribulat se et deponit veterem pellem.
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37Dans le cas du De elephantibus, en revanche, seul S se rapproche du DPR, bien que ce dernier introduise une variation importante :
De elephantibus. Cadit subito et succumbit. Qui casum suum videns irrecuperabilem miro modo barrit, id est clamat et rugit; ad cuius barritum multitudo iuvenum subito accedit elephantum, qui paulatim seniorem pro viribus elevant et, ut eum relevent, miro affectu se totis viribus inclinant.
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S Cadens autem clamat fortiter […] et veniunt duodecim elephantes et non possunt eum levare qui cecidit. Deinde clamant omnes et statim venit pusillus elephans […] et elevat eum.
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38Quant au passage sur la sirène, déjà étudié par E. Kuhry, on se limite à souligner que le DPR offre deux précisions qui ne se trouveraient ensemble que dans H-B-Is (et parfois dans T) :
- 25 Comme E. Kuhry le montre, selon le témoin, T peut s’aligner sur l’une ou sur l’autre version pour l (...)
De sirena. Ab umbilico et sursum habens formam virginis, inferius figuram piscis.
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H-B-Is Usque ad umbilicum feminas, ab umbilico vero et infra piscis figuram habentes.
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B/B-Is xii (= S) Usque ad umbilicum figuram hominis habent, extrema vero pars usque ad pedes volatilis habent figuram.
H Usque ad umbilicum figuram hominis habent, extrema vero pars usque ad pedes volatilis vel piscis habet figuram25.
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39Il semble en conclusion que Barthélemy ait connu le texte du Physiologus dans une version issue de B-Is, proche pour certains aspects de H-B-Is, pour d’autres plutôt de S, qui découle de H-B-Is après une série d’ajouts et de remaniements. Il est donc impossible, du moins sur la base des témoins que nous avons consultés, d’identifier une seule version comme suffisante pour justifier l’ensemble des informations que le DPR reprend du Physiologus.
40En même temps, le DPR s’éloigne de toutes les versions connues du Physiologus en raison de reformulations occasionnelles de leur texte et de certains contenus en plus. Comme on l’a dit, toute la citation du chapitre De taxo est attribuée erronément au Physiologus, et d’autres informations absentes de la même source se trouvent dans la seconde partie du chapitre De onagro (qui raconte comment l’âne sauvage séduit sa femelle) et à la fin des chapitres De elephantibus (qui dit de quelle manière deux vierges peuvent chasser l’éléphant) et De syrena (qui raconte comment elle enlève et tue les marins). Il s’impose à ce point de vérifier si ces passages ne viennent pas d’un texte qui utilisait une version récente du Physiologus, sélectionnée, reformulée et mélangée avec des notices tirées d’autres sources. Si un texte de ce type existe, il pourrait également être la source d’autres ou de tous les extraits attribués au Physiologus que nous avons étudiés jusqu’ici.
- 26 Deus J., Der ‘Experimentator’. Eine anonyme lateinische Naturenzyklopädie des frühen 13. Jahrhunder (...)
- 27 Meyer, Die Enzyklopädie des Bartholomäus Anglicus, 2000 : 149-163 ; Van den Abeele B., « À la reche (...)
41Le texte qui pourrait mieux se prêter à jouer ce rôle est une compilation anonyme de proprietates rerum témoignée par une dizaine de codices, en deux versions longues et une abrégée, dont la forme originaire, perdue, pourrait avoir été composée entre 1220 et 1225/1226 selon les études de J. Deus26. Cette forme correspondrait au texte que Thomas de Cantimpré appelle dans le prologue à son Liber de natura rerum l’Experimentator, et sa première version (Fassung I) aurait été une source du DPR. Si H. Meyer et B. Van den Abeele ont soutenu que ce texte aurait plutôt utilisé le DPR et le vrai Experimentator, à savoir une autre compilation qui serait perdue, des recherches récentes semblent infirmer cette hypothèse et soutenir celle de J. Deus, car le DPR a introduit dans sa forme originale des passages du texte qu’elle édite27. À la lumière de ces circonstances, nous avons vérifié que la plus grande partie des animaux dont il est question dans notre enquête se trouve aussi dans l’Experimentator, et que certaines créatures sont traitées de façon identique dans le Physiologus et dans l’Experimentator, comme l’onocentaure :
Fass. I XIII 47.1, p. 236 (cf. Kurzfass. VIII 38, p. 351) Onocentaurus ex duabus naturis constat, ut dicit Phisiologus. Superior pars assimilatur homini, inferior asino.
42Plus fréquemment, cependant, nos animaux sont présentés par l’Experimentator d’une façon différente au niveau des contenus et de la formulation, alors que le Physiologus et le DPR restent proches l’un de l’autre. Dans le cas du De angue, le texte de l’Experimentator ressemble à celui du Physiologus (chapitre De serpente) et du DPR, mais par rapport à ces deux textes il omet l’expression abstinet se/a cibo et le terme angustam rimam est substitué par angustum foramen :
Fass. I XIII 90.1, p. 272 (cf. Kurzfass. VIII 47, p. 353) Cum senuerit, caligant oculi eius, et si senex voluerit novus fieri, ieiunat multis diebus, donec pellis eius relaxetur, et querit angustum foramen in petra et in eum intrat et contribulat se et deponit pellem veterem.
43Pour le chapitre De cocodrillo, l’information sur l’onguent issu de cet animal manque dans l’Experimentator ; l’épisode de l’hydrus est effectivement introduit d’une façon plus proche du DPR que dans le Physiologus (on décrit le serpent s’enroulant dans les herbes que le crocodile mange, alors que dans le Physiologus il attaque plutôt le crocodile dormant à la manière de la mangouste-ichneumon), mais l’expression finale de l’Experimentator s’éloigne de l’illesus exit du DPR, de H-B-Is et de ses avatars :
Fass. I XIII 67.8 et 5, p. 261-262 (cf. Kurzfass. VIII 51, p. 353) Qui, si aliquando invenerit hominem, commedit illum, si vincere potest, et super eum plorat ; Herbas bonas commedit […] Unde quidam serpens naturaliter inter herbas se involvit […] qui in interiora corporis foramen facit et sic interficiendo ipsum exit.
44Quant aux informations contenues dans le De onagro et le De panthera, elles sont aussi dans l’Experimentator, mais exprimées d’une façon divergente du Physiologus et du DPR :
- 28 Cette information pourrait rappeler le contenu de la seconde partie du De onagro (à partir de Sagax(...)
Fass. I XIII 46.4 et 7, p. 236 (cf. Kurzfass. VIII 37, p. 351) Horas diei et noctis naturaliter cognoscunt, unde duodecies in die et duodecies in nocte rugiunt […] Animal est inpatiens fervens libidine, unde ascendit in montem contra ventum et delectatur in illo vento28.
Fass. I XIII 49.2 et 4, p. 240 (cf. Kurfass. VIII 40, p. 351-352) Mansuetum est nimis, in spelunca se abscondit, tribus diebus dormit, tertia die surgit, mire suavitatis odorem effundit et rugitum emittit. Ad eius rugitum animalia gressus figunt et pantheram precedentem ordinate sequuntur […] Solus draco eius vocem audiens fugit in speluncam et dormit et quasi victus aures obturescit et obmutescit.
45Les notices que le De elephantibus ajoute par rapport au Physiologus sont également absentes de l’Experimentator, et d’autres propres au Physiologus et au DPR sont omises ou formulées d’une façon légèrement différente, comme il arrive dans le De lupo. Notons cependant que l’Experimentator fait allusion, comme le DPR, à la force qui réside dans les ongles du loup, force que le Physiologus met en relation avec la poitrine et la bouche et Isidore avec les pattes.
Fass. I XIII 18.1, 2, 8, 10, p. 213-215 (cf. Kurzfass. VIII 16, p. 349) Intellectu et memoria multa vigent […] Sedet et flectit pedes suos, set non potest flectere quatuor pedes simul […] dormit stante corpore […] Si elefans voluerit facere filios, vadit ad orientem […] si ceciderit, non potest surgere…
- 29 La Fassung II de l’Experimentator, d’après le ms. Chambéry, B.M., 30, ajoute cette information, qui (...)
Fass. I XIII 34.1 et 8, p. 228-229 (cf. Kurzfass. VIII 29, p. 350) In unguibus et pedibus sit illi virtus […] pilum habet in cauda villosa […] qui excitat ad amorem […] Oculos habet igneos et quasi lux emicantes […] Collum non flectit et retro est debilis29.
46Enfin, l’Experimentator ne comporte aucun passage consacré au buffle, à la sirène ou au blaireau ; il y a juste une allusion, dans le chapitre sur le renard, au fait qu’il usurpe la maison de ce dernier (Fass. I XIII 60.2, p. 249 Usurpat sibi alienam domum et ingreditur etiam taxi domum).
47La situation est différente pour les extraits sur les oiseaux, car l’Experimentator offre, dans des passages explicitement attribués au Physiologus (sauf les deux derniers, mis en relation avec Augustin et les philosophi), des expressions plus proches du DPR que ce qu’on lit dans B/B-Is et dans tous les bestiaires. Les expressions sont soulignées ci-dessous :
- 30 Le texte de H est identique au niveau du contenu, mais légèrement différent en ce qui concerne la f (...)
- 31 Plus loin dans le texte, le témoin Paris, B.n.F., lat. 14429 répète la description de cet oiseau, e (...)
- 32 La version H ne semble pas transmettre cette description, alors que la formulation de H-B-Is est as (...)
- 33 Voir aussi, pour ce seul cas, le bestiaire H-B-Is (cum senuerit ita ut videre vel vivere nequeat, p (...)
- 34 Le texte de H est plus éloigné (cum senuerit et volare non possit, filii eius ad eam veniunt et pen (...)
De fenice. De hac ave dicit Physiologus […] vivens CCC vel D annis; quibus completis, cum suum sentit defectum, nidum facit ex lignis aromaticis et multum siccis, qui in estate ex fervore solis flante Favonio accenduntur […] infra triduum quidam vermiculus nascitur, qui paulatim plumas recipiens in volucrem reformatur.
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Fass. I IX 16.4, p. 158-159 (cf. Kurzfass. IV 36, p. 316) Ut enim ait Phys<i>ologus, expletis quingentis annis cum suum sentiat defectum in lignis Lybani nidum facit et diversa colligens aromata […] et flante Favonio […] acervum succendit […] prima die vertitur in vermem, secunda in volucrem, post hec in pristinum revocatur statum.
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B/B-Is ix Expletis quingentis annis vite sue, intrat in lignis Libani et replet utrasque alas diversis aromatibus […] ignem ipse sibi incendit […] ibi vermiculum modicum suavissimo odore fragrantem […] tertia die […] statu suo integram atque perfectam avem phenicem.
H-B-Is (= S T) Quingentos annos vivere fertur et ultra; dum se viderit senuisse collectis (aromatum add. S) virgultis rogum sibi instruit […] Postea vero tertia die nova avis de cineribus surgit30.
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De kaladrio. Kaladrius secundum Physiologum est albi coloris, nullam habens partem nigredinis, cuius pars inferior femoris ipsius purgat caliginem oculorum.
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Fass. I IX 23.1, p. 165 Caladrius secundum Phisiologum est albi coloris, nullam habens partem nigredinis. Cuius pars inferior ipsius femoris caliginem purgat oculorum.
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B/B-Is v (= S T) Totus albus est, nullam partem habens nigram; cuius interior fimus curat (inferiora femoris curant B-Is) caliginem oculorum.
H-B-Is Totus est albus; cuius interior femur curat caliginem oculorum.
H Totus albus sit; cuius pars interior femoris caliginem aufert ab oculis31.
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De pellicano. Et idem dicit Physiologus […] parentes suos in faciem percutiunt, propter quod ipsos mater repercutit et occidit.
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Fass. I IX 30.4, p. 172 (cf. Kurzfass. IV 50 p. 318) Phisiologus dicit […] parentes suos in faciem percutiunt, qua de re ipsos mater repercutit et interficit.
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B/B-Is vi (= H-B-Is H S T) Percutiunt parentes suos in faciem; parentes autem eorum repercutiunt eos et occidunt.
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De aquila. Ad hoc dicit Augustinus et Plinius […] in senectute patitur caliginem in oculis et gravedinem in alis suis, contra quod incommodum instruitur a natura ut fontem aque scaturientis querat. Deinde ascendit quantum potest per aera, donec ex calore aeris et labore volatus fortius incalescat […] subito descendens in fontem ruit; ibi mutatis plumis et purgata caligine in oculis…
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Fass. I IX 2.9, p. 138 (cf. Kurzfass. IV 20, p. 314) Dicit insuper Augustinus […] quando in alis gravedinem et in oculis caliginem […] senserit […] fontem aque scaturientis querit […] ex motu et aeris calefactione et solis appropinquatione se calefaciens subito in fontem descendit, immutatis plumis et purgata oculorum caligine…
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B/B-Is viii (= S T) Cum senuerit, gravantur ale eius, et obducuntur oculi eius caligine; tunc querit fontem aque, et contra eum fontem evolat in altum usque ad aerem solis, et ibi incendit alas suas […] tunc demum descendens ad fontem trina vice se mergit, et statim renovatur tota...32
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De upupa. De hac dicunt physici quod, cum senuerit ita quod nec videre nec volare queat, pulli eius evellunt ei pennas invalidas […] donec recrescant plume eius et sic renovata perfecte volet et videat clare sicut et ipsi.
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Fass. I IX 39.3, p. 182 (cf. Kurzfass. IV 60, p. 320) De hac dicunt phylosophi quod cum senuerit ita, quod volare vel videre nequeat, pulli eius evellunt ei invalidas pennas […] donec recrescant penne eius et renovata sit et videat clare sicut ipsi33.
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B/B-Is x (= T) Cum viderint parentes suos senuisse, et neque volare posse, neque videre, pre caligine oculorum, tunc filii eorum evellunt vetustissimas pennas parentum suorum […] donec recrescant penne eorum et reilluminentur oculi eorum, ita ut totum corpore renovari possint sicut antea, et videre et volare34.
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- 35 Il faut quand même remarquer que déjà dans la tradition de la Fassung I éditée par J. Deus, certain (...)
48Il est possible que Barthélemy ait décidé de se servir d’une source qu’il exploitait déjà pour d’autres raisons afin d’intégrer les descriptions des oiseaux sans remonter au texte d’origine. L’emprunt aurait été parfois stimulé par la présence dans l’Experimentator de la mention explicite du Physiologus, ce qui permet de revenir à l’analyse des marqueurs de source conduite plus haut, pour confirmer que dans les chapitres De fenice, De kaladrio et De pellicano il faut retenir cette attribution au lieu de Philosophus35. L’attribution incorrecte du De aquila et De upupa (à Plinius, physici, Isidorus) serait en revanche de Barthélemy ou de la tradition du DPR, car elle ne se trouve pas dans la source intermédiaire utilisée, à savoir l’Experimentator, au moins selon le texte édité par J. Deus.
- 36 Kuhry E., « Dictionnaires, distinctions, recueils de propriétés en milieu cistercien. Outils pour l (...)
- 37 Il a été considéré à tort comme une forme abrégée du DPR, mais, selon E. Kuhry, les deux textes rem (...)
49Pour essayer de retracer les informations du DPR sans parallèle dans les versions du Physiologus, nous avons fait aussi quelques sondages sur les « recueils de propriétés » qui se diffusent peu avant les encyclopédies du plein XIIIe siècle : bien qu’ils aient été primitivement conçus comme outils de travail pour la prédication, ces recueils ont été aussi utilisés par les compilateurs de philosophie naturelle, car ils conjuguent le savoir sur la nature et les apports du Physiologus latin et des bestiaires du XIIe siècle. Grâce aux récents travaux d’E. Kuhry, les relations entre les recueils les plus importants de l’époque se clarifient progressivement36, et sur la base de ses considérations j’ai donc consulté les manuscrits suivants : Troyes, Bibliothèque municipale, 1236, un dictionnaire encyclopédique du deuxième tiers du XIIIe siècle connu comme l’Anonyme de Clairvaux ; Montpellier, Bibliothèque internuniversitaire de Médecine, H 470, qui est l’un des deux témoins du recueil nommé Abies arbor alta d’après son incipit (l’autre, Bruxelles, Bibliothèque royale, II 1060, remonte également à la première moitié du XIIIe siècle et présente un état un peu différent du texte) ; Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 11207, lat. 14297 et lat. 16079 du célèbre recueil dit Angelus purus natura, largement diffusé au XIIIe siècle et qui pourrait être la source des deux compilations précédentes37. Il en ressort que de rares notices et animaux traités dans le DPR et le Physiologus se trouvent aussi dans ces compilations, qui ne comprennent aucune des informations ajoutées par Barthélemy ; de plus, leurs descriptions zoologiques sont rapides ou remaniées à un tel point qu’il est impossible que le DPR les ait utilisées à la place du Physiologus.
- 38 Terminée après 1240 et remaniée à plusieurs reprises, cette encyclopédie a été éditée pour la premi (...)
- 39 Composée entre 1244 et 1260, cette énorme encyclopédie en trois volumes (Speculum historiale, natur (...)
- 40 À propos de cette source, cf. Cipriani M., « In dorso colorem habet inter viridem et ceruleum… Libe (...)
50Une comparaison du DPR avec d’autres encyclopédies contemporaines, telles que le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré38 et le Speculum naturale de Vincent de Beauvais39, fait en revanche émerger des éléments intéressants, bien que non décisifs. Le Liber contient à peu près les mêmes informations que celles que Barthélemy donne à propos du blaireau, mais réparties dans deux chapitres : l’un est consacré à l’hemtra, et les notices sont attribuées au mystérieux Liber rerum40 ; l’autre porte sur le renard, et l’information est attribuée à l’Experimentator.
LDNR IV 38.1. Hemtra, ut dicit Liber rerum, in partibus Germanie animal modicum admodum est. Mas vero et femina in estate cybos congerunt, quibus vivant in hyemem […] Naturaliter autem femina in sumendis cibis avida est et prodiga. Econtrario masculus parcus et avarus super modum est adeo, ut vix sibi vel tenuissime vite alimoniam velit impendere. Masculus autem aviditatem femine sciens aditum obstruit, per quem cibos absconditos possit attingere. Femina autem naturaliter callida est: avida autem sibi foramen facit occultum ex altera parte aditus oppositi, per quod possit furari mare nescio sufficientiam sue aviditati…
LDNR IV 109.5. Dicit Experimentator quod vulpes in fodiendis foveis non laborat, sed bestia quedam, quam daxum dicimus; daxus enim cum foveam in terram foderit ad quietem, vulpes dolosa in ingressu fovee ventrem suum stercoribus exonerat, ut fetore digestionis putride fovea polluta vilescat; et revera daxus bestia fetorem digesti stercoris abhominabiliter detestatur locumque dimittit; et sic dolosa bestia locum possidet.
- 41 SN XIX 110 Plinius ubi supra. […] Fertur autem huic vulpes quodammodo esse contraria. Vulpes enim n (...)
- 42 Pour une analyse de la figure du blaireau et de ses évolutions, voir Librová B., « Le renard dans l (...)
51Vincent de Beauvais connaît la seconde information, mais lui attribue une source différente (Pline), alors que sa description du creusement de la tanière du blaireau, attribuée au Physiologus41, vient d’Alexandre Neckam, De naturis rerum, ch. 127 De taxo et vulpe42.
52Par ailleurs, le Liber de natura rerum ne donne qu’une source vague pour une notice sur la chasse à l’éléphant qui est très proche de la description donnée par le DPR :
LDNR IV 33.8. Et hec venatio elephantum. Narrat scriptura libri que continet veterum relationes quod elephas hoc modo capitur: Due puelle virgines nude in desertum pergunt, ubi habitant elephantes; una earum urnam, altera gladium ferens. Quibus alta voce cantantibus audit elephas, accurrit propere. Qui mox naturali instinctu virginee carnis innocentiam recognoscens, in eis amoris dulcedine castimoniam veneratur, lambensque earum pectus et ubera delectatus mirifice resolvitur in soporem. Nec mora puella cum gladio tenerum ventrem perfodiens elephantis sanguinem ruentis fundit, excipitque in urna altera puella fusum. Hoc sanguine regalis purpura tingitur.
53Pour résumer, si les bestiaires que nous avons signalés plus haut, issus de B-Is, justifient un bon nombre de notices que le DPR attribue au Physiologus, d’autres informations particulières n’émergent ni de ceux-ci, ni de possibles sources intermédiaires que nous avons analysées, au moins selon les formes que nous en connaissons. Les passages du DPR dont il est possible de retracer la provenance se révèlent un ensemble de matériaux tirés des bestiaires et d’extraits déjà filtrés par l’Experimentator, les uns et les autres retravaillés au niveau de la formulation d’une façon plus ou moins importante. Il reste possible que, comme pour les descriptions des oiseaux, les extraits sur les quadrupèdes découlent eux aussi d’une compilation intermédiaire, qui mélangeait l’apport de plusieurs bestiaires et d’autres sources de philosophie naturelle : ce pourrait être le cas d’une version amplifiée de l’Experimentator étudié par J. Deus, dont l’existence ne semble cependant pas attestée à l’heure actuelle.
- 43 Pour une présentation synthétique de la question voir Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rer (...)
- 44 Une bonne partie des exemplaires tardifs que j’ai ajoutés aux cinq manuscrits de base présente des (...)
54Il y a enfin un autre genre de rapprochement possible entre Physiologus et DPR, qui, même s’il ne révèle pas un rapport direct entre les deux textes, fait ressortir un ensemble de consonances et dissonances relatives à une thématique centrale du premier, qui prend dans le second une forme assez particulière. Si les inspirations symboliques à propos de chaque élément occupent la plus grande partie des chapitres du Physiologus, le texte principal du DPR ne réserve aucun espace à ces contenus. Cependant, les marges du DPR portent un grand nombre de notes moralisatrices, qui deviennent le seul moyen de véhiculer la signification exégétique d’un ouvrage essentiellement conçu pour la prédication. Bien que la critique tende à attribuer la conceptualisation de ces moralitates à l’auteur lui-même, le corpus de notes est extrêmement mouvant, car il varie d’un manuscrit (ou d’un groupe de manuscrits) à l’autre, tant par le nombre des notes que dans la formulation, et disparaît peu à peu dans les témoins les plus tardifs, pour être ensuite complètement absent des éditions anciennes43. Or, il est évident que ces notes reflètent une culture commune aux clercs de la première moitié du XIIIe siècle et une série de topoi propres au milieu de la prédication de la fin du siècle précédent ; de leur lecture se dégage par ailleurs l’impression que Barthélemy se serait fondé sur les caractéristiques les plus typiques de chaque animal et sur celles les plus aisément interprétables selon une vision chrétienne. Le but des tableaux qui suivent se limite dès lors à montrer que quelques descriptions tirées du Physiologus (ou de l’Experimentator) analysées plus haut sont accompagnées dans plusieurs témoins du DPR par des notes faisant écho aux interprétations symboliques de la source, bien qu’il soit difficile de supposer qu’elles en découlent d’une manière directe (comme il ne s’agit pas d’une analyse portant sur la littera du texte, nous nous contentons de reprendre l’allégorie dans la forme propre aux versions anciennes du Physiologus, B et Y)44.
XII 1 De aquila
Nota remedium contra peccatum
Nota de renovatione anime per penitentiam vel baptismum
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B viii (= Y viii) Ergo et tu, homo, sive Iudeus sive gentilis, qui vestimentum habes vetus, et caligantur oculi cordis tui, quere spiritalem fontem Domini.
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XII 22 De kaladrio
Nota de innocentia Christi
Nota de gratie subtractione
Nota de respectu gratie divine
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B v (= Y v) Caladrius igitur personam accepit Salvatoris nostri: totus est candidus […] Veniens autem de excelsis celis suis ad infirmum populum Iudeorum, avertit faciem suam ab eis propter incredulitatem eorum; convertit se ad nos gentes, tollens infirmitates nostras.
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XII 29 De pellicano
Nota de Christo sive de prelato
Nota de contemptu Dei
Nota de morte Christi
Nota de effectu passionis
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B vi (= Y vi) Ita et Dominus noster Iesus Christus per Isaiam prophetam dicit: Filios genui et exaltavi, ipsi autem spreverunt me. Genuit igitur auctor […] nos vero e contrario percussimus eum in faciem.
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XVIII 8 De angue
Nota de abstinentia
Nota de amaritudine contritionis et confessionis
Nota de fletu et devotione
Nota de angusta penitentia
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Y xiii Et nos, per multam abstinentiam et tribulationem, pro Christo deponemus veterem hominem et indumentum eius.
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XVIII 14 De bubalo
Nota contra gulam
Nota quod carnales deliciis et divitiis sepe malo obvolvuntur
Nota quod vix recedit homo a mala consuetudine
Nota quod demon multos interficit in deliciis magnis
Nota quod demones multos seducunt per minora vitia quos non audent aggredi per maiora
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B ii (= Y ii) Sic et tu, homo Dei, qui studes sobrius esse et castus et spiritaliter vivere […] Cave ergo, homo Dei, ebrietatem, ne obligeris luxurie et voluptati, et interficiaris a diabolo.
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XVIII 28 De castore
Nota quod homo debet se castrare propter Deum
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B xvii (= Y xxxvi) Sic et omnis qui secundum mandatum Dei conversatur, et caste vult vivere, abscidit a se omnia vitia et omnis impudicitie actus, et proiciat post se in faciem diaboli.
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XVIII 77 De onocentauro
Nota de ypocritis qui in occulto sunt carnales
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B xii (= Y xv) Huic assimilantur vecordes atque bilingues homines informes.
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55Quelques autres moralitates peuvent être comparées avec les contenus du Physiologus, à savoir les notes qui se réfèrent à des animaux présents dans cette source et que Barthélemy décrit sur la base d’autres ouvrages, en les interprétant toutefois d’une manière semblable.
XII 27 De nicticorace. Noctem amat, quia de nocte volans cibum querit.
Nota qui male agit odit lucem
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B vii (= Y vii) Et tenebras amat magis quam lucem. Hic figuram gerit populi Iudeorum.
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XII 34 De turture. Loca solitaria diligit et eligit consortiaque hominum valde fugit.
Nota de contemplativis
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B xxviii Talis est enim sancta ecclesia, que postquam vidit virum suum crucifixum […] alio viro non coniungitur.
Y xli Christofori eligunt in secreto habitare […] qui imitantur turturem Dominum nostrum Christum.
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XVIII 90 De salamandra. Ab illa pelle fiunt ligamina in lampadibus et lucernis, que nullo incendio corrumpuntur.
Nota de sanctis qui in tribulationibus non deficiunt
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B xxx Isti sunt iusti et mirabiles omnibus hominibus Dei, sicut fuerunt in camino ignis ardentis.
Y xlv Quanto melius, qui secundum iustitiam extinguerunt virtutem ignis.
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XVIII 115 De vipera. Catuli, non expectantes maturam nature solutionem, corrosis eius lateribus cum matris interitu vi erumpunt.
Nota de illis qui destruunt ecclesiam vel religionem
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Y xii Assimilavit ergo Salvator noster Phariseos vipere: sicut hec generatio occidit patrem et matrem, sic et hic populus, qui sine Deo est, patrem suum Ihesum Christum et matrem terrestrem Hierusalem.
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- 45 E. Kuhry me suggère qu’il serait peut-être intéressant de comparer les notes du DPR avec les interp (...)
56Comme on le voit aisément, l’objectif principal du DPR est de condamner les vices et de promouvoir les vertus, alors que le Physiologus était plutôt intéressé par des interprétations spirituelles et symboliques, portant sur des questions fondamentales de la religion chrétienne (la figure du Christ et du diable, la polémique avec les Juifs, le salut). Des consonances entre les deux textes émergent surtout à propos de la représentation des péchés (voir les chapitres De vipera, De nicticorace, De bubalo, De onocentauro) et de l’exigence d’une purification (voir De aquila, De kaladrio, De angue, De castore) ; on trouve aussi un cas de figuration christologique attachée à l’attitude d’un animal (De pellicano) et des allusions aux qualités propres des bons chrétiens (De turture, De salamandra), alors que la contradiction majeure se manifeste dans l’interprétation de la panthère et de la licorne, qui représentent le Christ dans le Physiologus et le diable dans le DPR. Bien que l’œuvre de Barthélemy ne constitue qu’un exemple de ce que le processus millénaire d’interprétation allégorique de l’animal pouvait donner à l’époque et dans un certain milieu, notre bref inventaire donne ainsi l’occasion de mesurer quelle persistance (et quelles évolutions) présentent au fil des siècles certaines inspirations symboliques qui ont trouvé dans la littérature liée au Physiologus une forme d’expression parmi les plus caractéristiques45.
57Le Physiologus est une source secondaire du DPR, en raison du nombre limité d’informations qu’il pouvait offrir, mais surtout du caractère « moderne » de ce dernier, qui se nourrit plus volontiers de sources nouvelles émanant d’Aristote et de la science arabe, récemment traduits en latin. Bien que peu nombreuses, les citations du DPR qui sont attribuées explicitement ou peuvent être rapportées à cet ouvrage ne sont cependant pas dépourvues d’intérêt ; elles encouragent des enquêtes croisées contribuant tantôt à un premier retour sur la transmission du DPR, tantôt à la mise en lumière d’un épisode inédit de la postérité de cette « source complexe ». Un réexamen d’une partie de la tradition directe du DPR, accompagné d’une édition critique des reprises en question, constitue la prémisse pour aborder un ensemble de textes dont les relations ne sont pas toujours évidentes et ne rendent compte des notions que Barthélemy met sous l’autorité du Physiologus que s’ils sont combinés. L’héritage du Physiologus passe en réalité à travers des versions récentes « mises à jour » grâce à l’apport isidorien, qui connaissent un travail de réécriture et d’enrichissement ultérieurs et auxquelles s’ajoutent des notions déjà filtrées par une compilation sur la nature « concurrente » comme celle de l’Experimentator. Le nom du Physiologus joue ainsi le rôle de « collecteur » d’une pluralité de textes et d’approches de la nature, comme rémanence d’un temps plus ancien qu’il nous importe de réinventer.