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Les insectes dans « Les propriétés des choses » chez Barthélemy l’Anglais et chez son traducteur Jean Corbechon

‘Worms’ and Insects in Bartholomaeus the Englishman’s ‘Properties of Things’ and by his Translator Jean Corbechon
Isabelle Draelants

Résumés

Le Moyen Âge s’est très peu intéressé aux insectes avant le XIIIe siècle. Le traité « Sur les propriétés des choses » de Barthélemy l’Anglais, achevé avant 1250, est un bon témoin de l’intérêt pour le monde minuscule, qui s’exprime aussi grâce à la nouvelle disponibilité de textes naturalistes comme l’Historia naturalis de Pline et le De animalibus d’Aristote dans la traduction de Michel Scot (déb. XIIIe siècle). Après une introduction sur l’état de la connaissance entomologique médiévale, on examine le discours et le lexique entomologiques de Barthélemy l’Anglais ; on le compare à ceux de la compilation naturaliste contemporaine de l’Experimentator et à ceux, appauvris, du traducteur du De proprietatibus en moyen français, Jean Corbechon. Sont ensuite analysées en détail et traduites certaines notices consacrées à des « vers » en particulier : vermis (ver), vermiculus (petit ver), pulex (puce), culex (moustique), aranea (araignée).

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Texte intégral

Introduction 

  • 1 Le sujet des insectes au Moyen Âge a fait l’objet de très peu de recherches, comme en témoigne la b (...)

1Du point de vue de l’histoire de la zoologie médiévale, le XIIIe siècle représente un tournant, marqué par une croissance inédite de la documentation disponible. La chose est vraie aussi pour les plus petits animaux difficilement observables, que l’on nomme indistinctement « vers » depuis la fin de l’Antiquité et dont le point commun est la naissance mystérieuse dans les milieux en putréfaction1. Le De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais représente à cet égard un bon exemple du nouvel intérêt pour le monde minuscule qui se fait jour à son époque et de la disponibilité des sources qui permettaient aux savants de le documenter. Sa composition encyclopédique sur « les propriétés des choses », terminée au milieu du siècle, présente toutes les connaissances qu’un frère mineur doit pouvoir exploiter pour enseigner par la prédication. Un peu plus d’un siècle plus tard, en 1372, l’œuvre encyclopédique est traduite en français médiéval par Jean Corbechon, membre de l’ordre des Ermites de saint Augustin et maître en théologie. Corbechon dédie son travail au roi Charles V et simplifie la matière pour un public aristocratique qui veut lire dans sa langue d’usage. Confronter les deux états linguistiques des « Propriétés des choses » sur la question des rampants et des insectes permet de donner une appréciation assez nuancée du niveau de la science entomologique adressée à deux types de publics, l’un religieux et savant, l’autre laïc, noble et curieux.

1. Les « vers » dans la littérature savante médiévale : des rampants qui se traînent par la bouche et naissent dans la pourriture

2Les savants médiévaux sont apparemment restés pendant des siècles dans une relative indifférence face aux insectes, englobés dans la catégorie large et aux contours indistincts des vermes, c’est-à-dire la « vermine » rampant au ras du sol, au plus près de la terre. D’une manière générale, les plus petits d’entre eux, regroupant grosso modo les arthropodes et les arachnides, constituaient un monde familier, mais inobservable dans les détails et en conséquence peu connu.

  • 2 J’ai rassemblé en quelques années un corpus diversifié de textes médiévaux touchant aux vermes entr (...)

3Du fait de la proximité avec la terre, mais aussi de son association avec la pourriture, ce grand groupe d’animaux est le moins noble de tous. Il englobe à la fois des reptiles, des batraciens, des crustacés, des insectes, des araignées et des parasites. L’examen d’un grand nombre de textes médiévaux relatifs aux vermes2 montre en effet que le mot vermis peut être appliqué autant au crapaud et autres batraciens qu’au parasite du thon, au pou et à la puce, de même qu’au scarabée, à l’abeille et à la fourmi. Deux caractéristiques principales le déterminent : le fait de ramper et celui de naître de matières putréfiées ou de vivre dans des lieux corrompus.

  • 3 La question des « vers » dans l’exégèse et de ce lieu commun sur la sauterelle est développée dans (...)
  • 4 Vincent de Beauvais est le premier à l’indiquer clairement, tout en utilisant encore à son égard le (...)

4Presque toutes les « bestioles », par opposition aux animaux domestiques, animaux de trait et animaux sauvages, ne suscitaient qu’indifférence ou répulsion, au mieux mesures d’hygiène ou de prophylaxie. Cependant, quelques-unes faisaient l’objet d’exégèses patristiques ciblées sur un ou deux passages bibliques, et d’interprétations symboliques. Celles-ci se concentrent de manière positive sur l’un ou l’autre insecte emblématique de comportements sociaux remarquables comme l’abeille ou la fourmi, ou avec une valeur négative sur certains insectes piqueurs ou rongeurs assimilés aux plaies d’Egypte : les moustiques (culices) sont identifiés comme la troisième plaie, les petites mouches piquantes (sciniphes) sont associées à la quatrième, tandis que la sauterelle ou le criquet dévastateurs de récoltes le sont à la toute première. Le trio rongeur brucus – athelebus – locusta est récurrent dans les textes spirituels mais aussi dans les notices des ouvrages sur la « nature des choses ». Avec leur taille graduelle du plus petit au plus grand, et leur appétit proportionnel, ces trois bestioles représentent selon les cas trois stades de développement de la sauterelle, ou plus souvent sont considérés comme trois insectes rongeurs différents, tous dévastateurs des récoltes, sans pour autant pouvoir être assimilés aux insectes qu’on appelle aujourd’hui « bruche », « athélèbe » et « sauterelle ». Il s’y ajoute parfois la rubigo (ou erugo), parasite des céréales, à cause d’un passage du livre de Joël traduit par Jérôme (Vulgate, Ioel, c. 1, v. 4) : Residuum erucae comedit lucusta, et residuum lucustae comedit bruchus, et residuum bruchi comedit rubigo, relié aux passages du Lévitique, 11, 22 et d’Isaïe 33, 4, qui font l’objet de gloses répandues3. Quant à la grenouille, considérée elle aussi dans la plupart des textes comme un « ver » avant que la catégorie des batraciens ne s’en distingue par sa proximité avec les lézards4, elle est la cause de la seconde plaie. Les vers de l’évêque du Mans Hildebert de Lavardin (†1133) à ce propos ont été très répandus, au point de devenir, légèrement transformés, une glose biblique courante sur Exode 7, 1 :

  • 5 Hildebert de Lavardin, Versus de X plagis Aegypti, éd. in Patrologia latina, 171, col. 1436.

Prima rubens unda, / rane tabesque secunda, /Inde culex tristis, /post musca nocivior istis / Quinta pecus stravit, /vesicas sexta creavit,/ Pone subit grando,/post brucus dente nefando, /Nona tegit solem, /primam necat ultima prolem5.

La première plaie est rouge par l’eau ;/ La deuxième, ce sont les grenouilles et la putréfaction,/ De là le sinistre moustique./ Ensuite c’est la mouche, plus nuisible qu’eux./ La cinquième abattit le bétail,/ La sixième créa des tumeurs ;/ Ensuite la grêle est survenue./ Par la suite le bruche, par sa dent meurtrière./ La neuvième a couvert le soleil,/ La dernière tue les premiers-nés.

  • 6 Par exemple dans le Bonum universale de apibus de Thomas de Cantimpré, recueil d’exempla terminé en (...)
  • 7 Voir la traduction par A. Zucker du Physiologus grec : Arnaud Zucker, Physiologos : Le bestiaire de (...)
  • 8 Pour l’antiquité et le Moyen Âge, le monarque des abeilles est en effet un roi et non une reine, ju (...)

5évidemment, les insectes sociaux, dont l’organisation sociale servait d’exemple à la société humaine et à sa hiérarchie, faisaient exception au silence qui couvrait les autres insectes : les fourmis et les abeilles sont les championnes du regard entomologique médiéval. De longues notices leur sont consacrées dans les ouvrages naturalistes comme les encyclopédies naturelles, et la littérature hagiographique et spirituelle (les sermons) leur fait une place d’honneur6. La fourmi est considérée comme un exemple de courage, de force, de prévoyance et de discernement depuis le Physiologus, dont les premières versions grecques remontent au IIe siècle. Dans le Physiologus, elle sait faire la différence entre le bon grain de blé et l’orge ; le premier symbolise la foi chrétienne, le second est destiné au bétail et fait référence à la doctrine des hérétiques7. Quant à l’abeille, sa hiérarchie nette répartissant les rôles entre le roi8, ses sujets, ses ouvriers et ses « gouverneurs » représente une société civile exemplaire. Elle fait partie des animaux qu’on domestique avec expertise et qu’on respecte, car elle est pourvoyeuse du miel nourricier, considéré comme une merveille de la nature. Dans une certaine mesure, l’araignée aussi retient le regard émerveillé, car sa production de fil et son travail de tissage, avec sa capacité à le reprendre quand il est détruit, suscitent l’admiration. Le regard anthropomorphique s’arrête sur sa technique de chasse, où sa ruse et sa vitesse d’exécution pourraient inspirer l’art de la chasse comme activité humaine à la fois noble et nécessaire à l’alimentation.

  • 9 On en trouvera des exemples dans I. Draelants, « Ego sum vermis : De l’insecte né de la pourriture, (...)
  • 10 Sur ce genre littéraire des « recueils de propriétés », encore peu étudiés, voir Emmanuelle Kuhry, (...)

6En dehors de ces insectes-vedettes, avant 1200 environ, la connaissance des animaux minuscules ne repose que sur de rares sources profanes, le plus souvent exploitées à des fins morales. Du côté des textes bibliques, les lieux sur les « vers » commentés par les exégètes se résument à peu de choses9 : dans l’Ancien Testament, Livre des Rois (II Reg., 23, 8) dit de David : Ipse est quasi tenerrimus lignis vermiculus (« il est comme le tendre vermisseau du bois ») en s’appuyant sur la nature paradoxale du ver, vil et noble. Un passage en Isaïe, 41, 14 oppose faiblesse et courage dans une comparaison entre Jacob et le ver, objet de mépris, exhorté pourtant à ne pas craindre (noli timere) puisque son salut est garanti par Dieu. Un troisième passage, celui du Psaume 22, rapporté au Christ, est mis souvent en rapport avec le mode de génération sans accouplement propre au ver. Le Christ y est assimilé à « un ver et non un homme, l’opprobre du peuple » (ego autem sum vermis et non homo). En outre, le petit animal est systématiquement présent à l’entrée vermis dans les dictionnaires de citations utiles que sont les recueils de distinctions et de « matière prédicable » aux XIIe et XIIIe siècles10. Dans le nouveau Testament, la nourriture de miel et de sauterelles de Jean le Baptiste fait l’objet de commentaires, parfois en lien avec les interdits alimentaires des Hébreux. L’épisode de la manne gâchée par les insectes est un autre passage fameux. On peut y ajouter quelques passages de textes patristiques tirés principalement de l’Hexaemeron d’Ambroise de Milan (339-397), parfois des œuvres d’Augustin (354-430) ou de Jérôme (c. 347-420) ; on y valorise l’utilité des insectes nuisibles pour la correction de l’homme, ou y développe des allégories inspirées du saut de la sauterelle, comparée selon les cas aux Juifs, aux païens, aux flatteurs ou à la Résurrection.

  • 11 Cf. Petrus Comestor, Historia scholastica, Liber Genesis, quaestio 8, De opere sextae diei, éd. Agn (...)

7Le monde biblique des insectes est donc surtout celui des fléaux divins. Il se réduit lexicalement à très peu de zoonymes et ne décrit jamais les espèces. Il suscitera chez Pierre Comestor († c. 1179) la question de savoir si les insectes nuisibles ont été créés avant ou après le péché originel11. Le théologien y répondra en donnant une liste d’insectes trouvés dans les Etymologies d’Isidore de Séville († 636) et en tranchant en faveur d’une création le sixième jour pour les animaux nés d’un accouplement, mais après la Chute pour ceux nés de la pourriture, autrement dit les « vers ».

8Tous ces traits de la littérature latine médiévale et de la tradition spirituelle sont présents dans l’ouvrage sur les « propriétés des choses » de Barthélemy l’Anglais, mais ils sont loin de constituer tout le panorama couvert par le regard porté sur la « vermine ». En effet, le vocabulaire relatif aux rampants (reptilia, trahentia), aux « tout petits animaux » (minuta animalia), aux « petits volatiles » (minuta volatilia), ou aux « vermes » évolue d’une part avec le changement progressif du regard, qui s’aiguise à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, mais évidemment aussi en fonction de la disponibilité de la documentation savante à leur propos.

  • 12 Le fait est évoqué dans I. Draelants, avec la collab. de Pierre Klein, « Aristote, Pline, Thomas de (...)
  • 13 Le laterculus est un calendrier liturgique et un outil de comput. Dans le cas de celui de Polemius (...)

9La littérature savante en latin à l’égard de la vermine est restée à la fois pauvre et stable pendant des siècles : Isidore de Séville lui avait consacré, au livre XII de ses Etymologies, le chapitre 5, quelques notices à la fin du chapitre 3, et le chapitre 8, mais son autorité est demeurée quasiment la seule référence à ce sujet pendant six siècles. En effet, la première partie du livre XI, que Pline l’Ancien avait dédié à ces petits animaux dans son Histoire naturelle, n’a pour ainsi dire plus circulé en Occident jusqu’à sa redécouverte en France au XIIIe siècle12, et une liste de noms d’animaux comme celle du laterculus du Gaulois Polemius Silvius, rédigée en 448/9, constitue une exception dont la réception fut quasiment nulle13.

  • 14 Le détail de ces décomptes apparaît dans Draelants - Klein (coll.), Aristote, Pline. Un tableau plu (...)
  • 15 J’ai présenté au colloque sur les zoonymes qui a eu lieu à Montpellier en novembre 2023 une communi (...)

10Pline mentionnait 26 arthropodes dont 19 insectes au sens actuel des termes, Isidore de Séville en nommait 11 de plus14, tandis que Polemius Silvius relevait dans son calendrier liturgique soixante-deux noms d’insectorum sive reptancium. Certains taxons repris sous cet intitulé ne peuvent cependant être classés parmi les arthropodes ou les insectes, d’autres représentent un nom générique couvrant une catégorie d’insectes (comme « chenille » ou « plissé », ou « à six pattes »), d’autres encore étaient restés jusqu’ici non identifiés. On peut cependant proposer des équivalences ou des graphies plus courantes que celles conservées dans l’unique manuscrit et remarquer en conséquence que la liste est si dépendante de noms présents chez Pline qu’il est probable qu’elle émane d’une collation de l’Histoire naturelle15.

11Cette liste, rarissime témoin du latin tardif plutôt que de la naissance des taxons vernaculaires, diffère de celle d’Isidore, qui se faisait l’héritier d’Aristote et de Pline. Dans le c. 5 (De vermibus), on peut constater que l’évêque de Séville classe les « vers » d’après leur milieu d’émergence ou de vie : air : aranea (araignée) ; eau : sanguisuga (sangsue) ; terre : scorpio (scorpion), cantharida (cantharide), multipes (mille-pattes), limax (limace) ; feuillage : bombicis (bombyx), eruca (chenille), locusta (sauterelle); bois : teredona (ver du bois) ; étoffes : tinea (mite) ; viande : hemicranius (ver de la tête), lumbricus (lombric), ascaridae (ascarides), costi (= cossi, vers de bois, ou costri, sortes d’abeilles ?), pediculi (poux), pulices (puces), lendes (lentes), tarmus (ver du lard), ricinus (tique), usia (ver du porc), cimex (punaise). S’y ajoutent les insectes mentionnés au c. 3 sur les petits êtres animés (Minuta animantia), grillus, formica, formicaleon, et au c. 8 sur les tout petits volatiles (Minuta volatilia) : apes (abeilles naissant des cadavres de bœufs) ; scabrones naissant de la chair des chevaux (scarabées) ; tauri (frelons) ; fuci (faux-bourdons) ; vespae (guêpes naissant des ânes) ; costri (grosses abeilles reines) ; fugus (grande abeille, bourdon, frelon ?) ; buprestis (sorte de scarabée d’Italie) ; cicendela (scarabée brillant) ; blattae (blattes) ; muscae (mouches) ; papiliones (papillons) ; locusta (sauterelle) ; cicades (cigales) ; cynomya (mouche du chien) ; culex (moustique) ; sciniphes (petites mouches qui piquent) ; oestrus/asilus/tabanus (taon) ; bibiones/mustiones (moucherons du vin) ; gurgulio (charançon). Isidore de Séville avait ainsi dressé une liste d’insectes dont les noms se perpétuent sans augmentation lexicographique jusqu’à l’aube du XIIIe siècle. Ses notices étaient très courtes, et certaines ont tôt subi des lacunes de transmission qui n’ont plus permis de reconnaître les insectes ainsi qualifiés. Leur classement en trois catégories fera autorité jusqu’aux encyclopédistes de la première moitié du XIIIe siècle.

  • 16 On verra pour une première orientation les articles réunis dans C. Steel - G. Guldentops - P. De Le (...)
  • 17 Cf. The Arabic Version of Aristotle’s Historia Animalium. Book I-X of the Kitāb al-Ḥayawān. ed. L.S (...)

12Cet état de choses change au moment où la « philosophie de la nature » (philosophia naturalis) connaît un développement extraordinaire, en particulier grâce aux traductions arabo-latines d’œuvres antiques et de textes savants en provenance du monde islamisé parlant l’arabe. La redécouverte de la Zoologie d’Aristote par les auteurs médiévaux, suite à la traduction du texte passé auparavant en arabe, est un phénomène d’histoire intellectuelle aujourd’hui très bien documenté16. Sous le titre De animalibus, ou De naturis animalium, la traduction en dix-neuf livres de trois œuvres zoologiques (l’Histoire des animaux en 10 livres, les Parties des animaux en 5 livres et la Génération des animaux en 4 livres), menée par Michel Scot entre 1210 et 1217, a eu un impact décisif sur le développement de l’étude des animaux au XIIIe siècle avec le commentaire, lui aussi traduit de l’arabe par Michel Scot, qu’en a réalisé le Persan Avicenne (980-1037)17. Le deuxième facteur fondamental du développement de la documentation entomologique est la redécouverte du livre XI de l’Histoire naturelle. A ces deux ressources essentielles viennent s’ajouter des informations thérapeutiques trouvées dans les ouvrages de médecine arabe traduits par le Tunisien Constantin l’Africain à la fin du XIe siècle.

  • 18 La bibliographie sur l’encyclopédisme médiéval tel qu’il s’épanouit au XIIIe siècle est aujourd’hui (...)

13La philosophie naturelle prend ainsi le relais des sciences du quadrivium (limité jusqu’alors aux « sciences du nombre », la mathématique, l’astronomie, la géométrie et la musique) en intégrant désormais la médecine galénique, transformée par les médecins et philosophes de langue arabe, et la botanique, la zoologie, la météorologie et les autres sciences du ciel, telles qu’elles ont été étudiées par Aristote et commentées par les auteurs arabophones. Les ordres mendiants, en tant que nouveaux ordres religieux dont la vocation est d’enseigner par la prédication, se sont particulièrement distingués dans la diffusion de ces nouvelles connaissances, non sans tenter de les maîtriser dans des ouvrages touchant tous les sujets, destinés à la formation de leurs membres. Parmi les savants typiques de cet élan encyclopédique, deux parfaits contemporains, tous deux morts en 1272, se sont intéressés en particulier aux nouveautés concernant le monde animal ; ils partagent le double mérite de la primeur et de l’abondance dans l’organisation de cette documentation : le franciscain Barthélemy l’Anglais, venu à Paris en provenance des îles britanniques, et le dominicain brabançon Thomas de Cantimpré. Tous deux ont passé une partie de leur vie à parcourir le nord de l’Europe pour explorer les bibliothèques, prêcher et enseigner. Ils ont été immédiatement suivis dans ces initiatives par le dominicain français Vincent de Beauvais qui, dans son prolifique Speculum maius, écrit dans un contexte cistercien et dans l’entourage du roi Louis IX, accumule une information surabondante tirée de toutes les sources dont il a pu disposer, et tient déjà compte de ses récents prédécesseurs18.

  • 19 Cf. I. Draelants, « La reproduction imparfaite : les gusanes et l’état larvaire des insectes chez A (...)

14À la suite de la diffusion rapide de ces nouvelles auctoritates, les savants scolastiques étendent leur lexique zoonymique pour désigner une variété d’espèces et les distinguer, à la manière d’Aristote, par des critères rationnels de comportement et de morphologie. Ils partagent l’intérêt du Stagirite pour la morphologie et les modes de génération, s’interrogent comme lui sur la place des « insectes » dans la hiérarchie des êtres animés et sur leur degré de « perfection », c’est-à-dire d’achèvement, dans l’échelle du vivant. En particulier, les modes de génération invisible ou spontanée, et les transformations successives des insectes à métamorphoses comme le papillon suscitent des interrogations sur ces « générations multiples » nécessaires avant de retrouver l’apparence (on dit aujourd’hui « l’imago ») de l’insecte adulte et achevé. Les « vers » sont donc les animaux les plus imparfaits de la création, et constituent en ce sens un défi philosophique quand il s’agit d’assurer la continuité de la nature. Le théologien et naturaliste dominicain Albert le Grand, contemporain de Barthélemy, a poussé assez loin la réflexion sur le sujet dans le dernier livre de sa paraphrase en 26 livres du De animalibus d’Aristote19.

  • 20 Aristote désignait les insectes en général par ἔντομον (HA 487a32 : « animaux dont le corps présent (...)
  • 21 Liber de natura rerum, IX, 1 : Nullum insectorum, id est vermium, ut dicit Plinius, habet sanguinem (...)
  • 22 Speculum naturale, éd. Douai, 1624, livre XX, c. 70, De annulis ; 71, De pedibus eorum (annulosorum (...)
  • 23 Le mot apparaît au début du livre consacré aux vermes du De animalibus (XXVI, éd. Stadler, II : 157 (...)

15Pline avait emprunté à la Zoologie d’Aristote l’utilisation du mot technique insecta. Isidore de Séville ne l’a pas relayé, au profit du mot vermis, qui couvre un groupe zoologique à la fois plus large et plus flou. De ce fait, la catégorie aristotélicienne des « animaux sécables » ou « animaux segmentés », les « en-toma », classés parmi les animaux dépourvus de sang aux côtés des animaux à carapace20, n’a pas eu de postérité pendant tous les siècles centraux du Moyen Âge, entre le VIe et le début du XIIIe siècle. Sa réapparition timide au milieu du XIIIe siècle n’aura lieu qu’à la faveur de la copie de l’Histoire naturelle de Pline. Du reste, même chez Pline, le terme n’est pas courant – à peine quatre mentions au livre XI de l’Histoire naturelle (XI, 33, 35, 59, 113) – et il n’est apparemment pas présent chez d’autres classiques latins. Par conséquent, dans la majorité des notices consacrées dans les catalogues d’animaux des encyclopédies médiévales aux « minuta », aux rampants, aux batraciens, aux arachnides et à ce que nous appelons les insectes, la bestiole est appelée « ver ». Michel Scot, dans sa traduction arabo-latine du De animalibus d’Aristote, avait traduit τò ἔντομον par le syntagme animal anulosi corporis, « animal au corps annelé », ou par le terme animalia rugosa, « animal au corps plissé », raison pour laquelle cette terminologie est adoptée par Barthélemy l’Anglais, Thomas de Cantimpré, Albert le Grand, Vincent de Beauvais et Thomas d’Aquin. En revanche, le terme adopté par la traduction gréco-latine de la Zoologie d’Aristote vers 1260 par le Brabançon Guillaume de Moerbeke n’imposera pas, quelques années plus tard, sa traduction-translittération entomon. Le terme d’insecta, emprunté à Pline, est mentionné trois fois seulement chez Thomas de Cantimpré, dont deux dans l’introduction à son livre IX, dans le sens erroné de « propagation ou infestation de vers »21. En revanche, Vincent de Beauvais le fait entrer dans l’intitulé de plusieurs des chapitres consacrés aux vers et aux « annelés » dans son Speculum naturale, en particulier au livre XX22. Ce n’est pourtant qu’à la Renaissance que le mot « in-secte » et le concept d’animal à segments se répandra à la faveur de nouvelles traductions gréco-latines de la Zoologie d’Aristote et de l’observation plus minutieuse ou même à la lentille. Le mot est totalement absent chez Barthélemy l’Anglais et il en va de même, à une exception près, chez Albert le Grand, ce qui constitue une des preuves qu’il ne connaît Pline que de seconde main23.

2. La matière entomologique chez Bartélemy l’Anglais et Jean Corbechon

16La matière entomologique du De proprietatibus rerum (DPR) de Barthélemy l’Anglais est un kaléidoscope de toutes ces couleurs de l’entomologie médiévale, qui se reflètent un peu affadies chez son traducteur vers le français du XIVe siècle.

2.1. Les distinctions et regroupements entre vermes et le lexique entomologique

  • 24 En plus de la reprise littérale fréquente du passage de Comestor, on trouve cette même propriété de (...)

17Grâce aux oppositions opérées entre les groupes d’animaux dans l’ensemble du DPR, il est possible de mieux cerner l’espace que Barthélemy réserve aux vermes. Ainsi, il oppose les animaux au corps annelé (animalia annulosi corporis), dans un premier cas, aux abeilles (apes) et aux mouches (musce), probablement parce que ces dernières sont de petits volatiles. Dans un autre cas, les annelés sont opposés aux animaux qui glissent (serpentes), aux araignées (araneae) et aux scorpions (scorpiones). D’une manière plus spécifique, les papillons (papiliones) sont opposés aux abeilles (apes) et aux sauterelles (locustae). La distinction principale semble cependant être empruntée à la tripartition opérée par Pierre Comestor en fonction de la locomotion, entre : 1. animaux qui se traînent par la bouche comme les petits vers, 2. serpents, et 3. rampants comme les lézards et grenouilles, dotés de bras puissants. En effet, dès la préface du livre XVIII sur les animaux, Barthélemy s’inspire du passage à succès de Pierre Comestor sur la question de savoir si les animaux nuisibles ont été créés par Dieu avant ou après la Chute. L’auteur de l’Historia scholastica classait les reptiles en repentia (rampants), trahentia (se traînant), serpentia (serpentant) et insistait sur le milieu de génération pour répartir plus finement les « vers », comme l’avait fait Isidore de Séville dont il empruntait le lexique. Ces regroupements, qui caractérisent les « petits vers » comme des animaux qui se traînent par la bouche24, sont adoptés par Barthélemy. Cependant, cette subdivision tripartite en trahentia/ serpentia/ repentia n’est pas traduite au début de ce livre zoologique par Jean Corbechon, qui passe directement aux « bestes » et trahit par là l’intérêt assez superficiel qu'il porte au monde minuscule.

Reptilia autem sunt illa, que corporis contractione et extensione nituntur, et moventur in anterius, ut vermes, serpentes et colubri, et sunt tria genera, scilicet trahentia ore ut vermiculi, qui se ore trahunt, et sunt serpentia ut colubri, qui vi costarum sese rapiunt,
sunt etiam et repentia, qui in pedibus repunt, ut lacerte et rane et huiusmodi.
[]
(De proprietatibus rerum, XVIII, Prohemium, éd. Frankfurt, 1601 : 969)

Les reptiles sont ceux qui usent de mouvements de contraction et d’extension de leur corps et se propulsent en avant, comme les vers, ceux qui glissent, et les serpents. Et il y en a trois sortes, ceux qui se traînent par la bouche comme les vermisseaux qui se traînent à l’aide de leur bouche, et ceux qui glissent comme les serpents qui se propulsent par la force de leurs flancs, et il y a aussi ceux qui rampent, qui avancent avec leurs pattes, comme les lézards, les grenouilles et autres du même genre.

18Ces catégories sont aussi, grosso modo, celles de Jean Corbechon, qui oppose successivement « mouches », « vers » et « couleuvres », ou encore les « couleuvres » aux « serpents », ou les « vers » aux « araignes », ou encore la « tortue » à l’« escorpion » et à la « lezarde ».

19Les tableaux ci-dessous reprennent le vocabulaire utilisé par Barthélemy et par Corbechon pour chacun des insectes ou groupes d’insectes. Les vers qui font l’objet d’une notice spécifique sont précédés d’un *astérisque, et la catégorie englobante dans laquelle apparaît le « ver » est indiquée entre parenthèses, quand elle figure dans le chapitre. Quand c’est possible, la source du lexique de Barthélemy est indiquée après le signe <. Le signe ø indique l’absence de la catégorie ou du terme chez Corbechon. On remarquera en particulier que la notion d’animal imparfait, ou inachevé, passe quasiment inaperçue chez Barthélemy (infinita) et disparaît totalement chez Jean Corbechon. Les « vers » sont classés dans les catégories plus larges des bestioles, des petits animaux, des animaux au corps plissé, ou encore subdivisés en vers aquatiques, terrestres ou venimeux. La plupart sont regroupés dans les reptiles et dans la sous-catégorie de ceux qui se traînent par la bouche, mais ils peuvent apparaître parmi les volatiles, ou plus précisément dans le groupe des mouches (au sens de « bug » en anglais), ou plus spécifiquement pour certains « vers », parmi les mille-pattes.

Barthélemy l’Anglais,
De proprietatibus rerum

Jean Corbechon,
Livre des propriétés
des choses

Appellations génériques

animalia

bestes – mouches

bestiola (<langage commun)

bestelettes

infinita

Ø

insecta (<Pline <Arist. entoma)

Ø

*vermis, vermes

*ver, vers,
vermine (XVII, 36 et 79 ; XVIII, prologue)

aquatici (<Isidore) – aquatiles

vers d’eau

terrestres (<Isidore)

vers de terre, ver terrestre (escorpion) 

venenosi

ver envenime, venimeus

*vermiculus

petit ver

minuta

Ø

animal rugosi corporis
(<Michel Scot<Arist.)

rugosa

Ø
vers (XVIII, pr)

animalia annulosi corporis (<Michel Scot
<Arist.) qui non habent nervos nec ossa nec
spinas, nec cartilagines, nec sanguinem

annulosa (<Michel Scot)

bestes sans os (XVIII, 9),
couleuvre (XVIII, prohemium),
tels vers (XVIII, 113)

volatilia

les oiseauls (XVIII, 75),
les bestes volans (XII, 12)

reptilia

modicum animal reptile

ver rampant (cf. chenille)
serpent

petite beste rampant (cf. araignée)

repentia ut lacerte et rane
(<Petrus Comestor)

[distinction du prologue non traduite]

lacerta

lesarde

ranae – batraces

trahentia ore ut vermiculi
(<Petrus Comestor)

[distinction dans le prologue non traduite]

serpentia ut colubri (<Petrus Comestor)
serpentes – vermes carentes pedibus

serpents et couleuvres

musca (<Isidore)

mouche

multipes

20Voici la totalité des noms spécifiques présents dans le DPR et dans la traduction de Jean Corbechon :

  • 25 Au sujet de l’origine du nom « rubète », voir l’article de Valérie Gitton-Ripoll, « La grenouille r (...)

Noms spécifiques

*apes (apes)

*mouches a miel, mouches
qui font le miel

ascarides (vermes)

ceulx qui sont es boyaulx
(XVIII, 113)

*aranea (annulosa)

*araigne (ver, petite beste rampant)

*bombyx (vermes)

*ver qui fait la soie, bombax (ver)

*botras, botrax = rubeta (<Pline) = bufo

*boterel (ver)

bufo (batraces)

boterel (autres bestes)

*cycada/cicada (<Ambroise) (-)

*cicade (manière de mouche)

*culex, (volatilia – vermes pedes habentes)
scynipes
(sciniphes), musca canina (<Isidore)

*cincelle, culices (manière de mouche
– très petite mouche
)

*eruca (<Textes bibliques)

(vermes multipes)

*chenille, eruca (ver rampant)

*formica

*fourmi

*formicaleon

(species aranee)

*fourmilion (espece d’araigne)

*fucus (<Isidore)

*mouche qui mangue le miel, fucus
(une manière de mouches)

*grillus (parva animalia)

*grille – gresillon (beste petite et foible)

lacertum

lesarde

lendes

lentes, lantes

*limax (vermes)

*limas (ver)

*locusta (<textes bibliques+Isidore)

*locuste (ver)

lumbricus (<Isidore) (vermes)

Ø

*noctiluca (minuta volatilia - modica bestiola)

*la beste qui reluist par nuit,
nocticula
(petite bestelette)
(bestes – oiseaulx)

musca (pas de notice individuelle) (minuta volatilia)

mouche (pas de notice individuelle)

papilio (volatilia)

papillon

*pediculus (vermes)

*poul (ver)

*pulex (vermes)

*puce (petit ver)

*rana (ranae – batraces)

aquatica

palustris

rubeta

calamita

*rene, rayne (ver d’iaue)



rubete
(ajout : pour les yeux qu’elle a rouges)25

*salamandra (lacertuli – stelliones - vermes)

*salemandre (‘elle est tres envenimee’
– ‘a la figure de lesarde’
)

*sanguisuga (vermes aquatilia)

*sansue (ver d’yaue)

scabrones (macrones)

Escharbot

*scorpio (<Pline, Aristote) (vermes terreni)

*escorpion (ver terrestre)

siro (<Isidore) (vermes)

les syrons qui sont es mains (XVIII, 113)
(vers qui sont sont dehors le corps)

spalangio, spalana

(araneae)

spalange (araigne)

araigne

*teredonus, teredo, terebucca (<Isidore) (vermes lignorum)

*ver qui mangue le bois, terodo
(ver qui mange le bois)

*tinea (<Isidore)

(vermes vestimentorum)

*ver qui mangue les robes, tynca
(vers des robes)
+ une manière de roigne – taigne

usia (<Isidore)

Ø

*vermis + génitif du lieu de vie :


v. aurium,



v. capitis
v. carnium
(<Isidore)
v. lignorum (<Isidore)
v. terrae
v. vestimentorum (<Isidore)
in vestibus

in herbis et oleribus

in arboribus

in carnibus

etc.

*ver (petites bestes)

les vers des oreilles
(XVI, 69 ;
XVII, 23, 32, 34, 57, 69,
81, 101, 104), les vers du ventre
et des oreilles
(XVII, 12)
les lentes et la vermine (XVII, 79)

ver qui mangue le bois
ver de terre
ver qui mangue les robes
ver
d’eau
de terre
d’herbes
de arbres
de beste
de char qui est corrompue
vers qui sont dedans le corps (ceus qui sont es boiaux) et ceux qui sont dehors (syrons, poulz et autres lantes)

*vermiculus – teredo

*petit ver

2.2. La répartition de la matière chez Barthélemy l’Anglais et chez Jean Corbechon

21Dans les dix-neuf livres du De proprietatibus rerum, les « vers », dont les insectes, sont traités principalement dans des notices zoonymiques des livres XII et XVIII consacrées à leurs propriétés particulières ; ils apparaissent aussi sporadiquement à propos de mesures prophylactiques ou d’applications médicinales (le plus souvent à propos de parasites comme les « vers des oreilles », « vers du nez » ou « ver des dents »), ou de comportements animaux d’auto-médication. Ils interviennent principalement dans le livre XVIII, consacré aux animaux, y compris dans le Prohemium, et dans deux chapitres en particulier : c. 113, De verme, et 114, De vermiculo, traduits ci-dessous. Mais il est également fait mention de « vers » dans les livres et chapitres suivants : au livre VII, sur les maladies, car des insectes entrent dans la composition de remèdes pour leur fiente, ou leur chair séchée ou écrasée, comme la cantharide dans l’antiquité grecque ; XII, sur les oiseaux et autres volatiles, où les « vers » servent de nourriture aux oiseaux ou en sont des parasites ; XVI, sur les pierres (peu, incidemment) ; XVII, sur les plantes, car les « vers » peuvent leur nuire en les rongeant ou en les parasitant ; XIX, dans le cadre de la théorie de la putréfaction, qui est le milieu naturel d’émergence des vermes, et de l’action des quatre éléments sur la croissance et la nutrition. Trois chapitres sont également consacrés aux œufs des araignées (XIX, c. 79), des fourmis (XIX, c. 92) et des sauterelles (XIX, c. 108).

  • 26 Le texte du DPR est cité d’après l’édition de Frankfurt, 1601, car les livres XVIII et XIX n’ont pa (...)
  • 27 Les avis sur les relations entre l’Experimentator et les autres œuvres encyclopédiques du XIIIe siè (...)

22Voici les chapitres concernés, avec les parallélismes entre le DPR de Barthélemy l’Anglais et sa traduction par Jean de Corbechon26, mais aussi la mention des chapitres correspondants de l’encyclopédie du mystérieux Experimentator, une source probablement très peu antérieure à Barthélemy, qui pourrait avoir assez souvent constitué le noyau de sa propre notice ou même avoir été un état primitif du DPR, formé d’un premier noyau de sources organisé sous forme de recueil de propriétés27 :

    • 28 Voir à ce propos Frank Collard – Évelyne Samama (s. dir.), Dents, dentistes et art dentaire. Histoi (...)

    VII, c. 24, De dolore dentium, « À propos de la douleur dentaire » (vermis dentium) : en effet, les caries étaient considérées comme trouvant leur cause dans un « ver » qui rongeait la dent28.

  • VII, c. 20, De surditate, « Sur la surdité » (vermis aurium) : les vers dans les oreilles, suite à une hygiène très déficiente ou des parasites, pouvaient en effet provoquer la surdité.

  • IX, c. 4, De vere, « Du printemps » : à propos de la salubrité de l’eau où naissent les grenouilles et insectes.

  • IX, c. 17, De octobri, « Octobre » : à propos du signe zodiacal du Scorpion, mais aussi de l’arachnide.

  • XII, c. 5, De apibus, « Sur les abeilles »
    Experimentator, Kurzfassung, IV (V), 62, Apes
    Corbechon XII, c. 5, Mouches à miel, f. 168r-169v
    Corbechon XVIII, c. 9 bis, Des mouches qui font le miel, f. 296v-298r

  • 29 Le chapitre est transcrit (d’après le ms. Paris, BnF, fr. 16993) dans le chapitre « Bestiaire d’amo (...)

23Les chapitres consacrés aux abeilles ont fait l’objet de la part de Jean Corbechon d’une traduction plus fidèle et plus attentive que les autres notices sur les « vers », mais aussi d’une anthropomorphisation systématique : la société des abeilles est comparée à celle des hommes, les abeilles ont un roi et des gouverneurs et leurs prédateurs ou les maladies peuvent prendre « la seigneurie » sur tout le « vaissel ». Il ne sera pas question des abeilles de manière plus détaillée ici, car ce sont, comme on l’a indiqué plus haut, les insectes les mieux étudiés de la littérature médiévale. En outre, les notices du livre XII, c. 5 de Corbechon « Le Ve chapitre des mouches a miel » et le c. 9 (en réalité 10 dans le DPR) du livre XVIII (c. 11 du DPR) ont été transcrits déjà par Bernard Ribémont29.

  • XII, c. 13, De culice, « Le moustique »
    Experimentator, Kurzfassung, IV (V), 63, Culex
    Corbechon XII, c. 13, Cincelle (« une manière de mouche ; une très petite mouche »), f. 172r

  • XII, c. 14, De cycada, « La cigale »
    Corbechon XII, c. 14,
    Cicades (« une autre maniere de mouche »), f. 172v.

  • XII, c. 15, De phenice : le phénix est réputé naître d’un petit ver qui émerge des cendres.

  • XII, c. 17, De gallo (sur le parasite du poulet)

    • 30 Le terme de locusta, comme celui de grillus, regroupe des criquets et des sauterelles dont certaine (...)

    XII, c. 25, De locusta, « La sauterelle »30
    Experimentator, Fassung I, c. 25, De locusta ; Experimentator, Kurzfassung, IV (V), 64, Locusta
    Corbechon XII, c. 25, Locuste (pas identifiée comme ver mais des vers en naissent), f. 175r.

  • XII, c. 26, De mergulo (le plongeon se nourrit de « vers » aquatiques)
    Experimentator, Fassung I, c. 26, De mergulo

  • XII, c. 27, De milvo (le milan se nourrit de mouches et de petits vers)

    • 31 Contrairement à l’Experimentator, Barthélemy ne consacre pas de notice à la mouche commune et utili (...)

    ---31 Experimentator, Kurzfassung IV (V), 65, Musca

  • XII, c. 33, De passeribus (les passereaux mangent araignées, vers et mouches : Araneis, vermibus et muscis eos pascit
    Corbechon, XVIII, 33, f. 177ra « Des moineaux »
    (« Le pere et la mere les paissent de vers et d’araignes et manguent semences venimeuses »)

    • 32 Bizarrement, le DPR n’a pas de notice pour le scarabée.

    ---32 Experimentator, Kurzfassung IV (V), 66, Scrabro

  • XIV, c. 57, De caverna (habitation des vermes et reptilia)

  • XVI, c. 69, De nitro (vermes aurium) ; XVII, c. 12, De absinthio (vermes aurium) ; XVII, c. 32, De cappari (vermes aurium)

  • XVII, c. 34, De calamento (morsus reptilium – vermes aurium; XVII, c. 55, De elleboro (vermes aurium)

  • XVII, c. 80, De genesta (pediculi, lendes, teca)

  • XVII, c. 82, De gith (vermes aurium)

  • XVII, c. 96, De lente (vermis capitis, lens)

  • XVII, c. 103, De mirro (vermes ac pediculi)

  • XVIII, Prohemium

  • XVIII, c. 10, De aranea, l’araignée
    Experimentator, Fassung I, c. 63, De aranea
    Corbechon XVIII, c. 9, « Araigne », f. 295v-296v

  • XVIII, c. 11, De ape, l’abeille
    Corbechon XVIII, c. 10, « Le ix
    e chapitre des mouches qui font le miel »

  • XVIII, c. 16, De botrace, le crapaud
    Experimentator, Fassung I, c. 65, De borace ; Experimentator, Kurzfassung, VIII, 50, Botrax
    Corbechon XVIII, c. 15, « Du boterel », f. 299rb (« le ver qui s’attaque aux araignées »)

  • XVIII, c. 17, De bombyce, le bombyx
    Experimentator, Fassung I, c. 66, De bombice
    Corbechon XVIII, c. 16, « Du ver qui fait la soie », f. 299v

  • XVIII, c. 26, De aliis proprietatibus canum (parasite des chiens)

  • XVIII, c. 45, De eruca, La chenille
    Experimentator, Fassung I, c. 78, De eruca ; Experimentator, Kurzfassung, VIII, 60, Eruca
    Corbechon XVIII, c. 45, « La chenille », f. 308v-309v

  • XVIII, c. 51, De formica, La fourmi
    Experimentator, Fassung I, c. 23, De formica
    Corbechon XVIII, c. 51, « Du fourmi », f. 309v

    • 33 Voir dans ce numéro de RursuSpicae l’article d’Emmanuelle Kuhry, qui explore les diverses versions (...)

    XVIII, c. 52, De formicaleone, le fourmilion33
    Experimentator, Fassung I, c. 24, De formicaleone
    Corbechon XVIII, c. 52, « Du fourmilion » (« une espèce d’araigne »), f. 310r.

  • XVIII, c. 53, De fuco (faux-bourdon ou grande fausse teigne ou petite fausse teigne)
    Corbechon XVIII, c. 53, « De la mouche qui mangue le miel » (« une maniere de mouches qui ne labourent point mais manguent le miel que les autres font a grant labour ; en latin appellee fucus »), f. 310va.

  • XVIII, c. 56, De gryllo, Le grillon
    Corbechon XVIII, c. 56, « Du grille » (« ou gresillon »), f. 310vb.

  • XVIII, c. 68, De limace, Le limaçon, l’escargot
    Experimentator, Fassung I, c. 82, De limate
    Corbechon XVIII, c. 68, « Du limas » (« un ver »), f. 314ra.

  • XVIII, c. 73, De mygale, La musaraigne (il ne s’agit donc pas d’un insecte)

  • XVIII, c. 75, De noctiluca, La luciole

  • Corbechon XVIII, c. 75, « De la beste qui reluist par nuit » (« une petite bestelette » ; « nocticula » (au lieu de noctiluca) ; « on la compte aucune foiz entre les bestes et aucune fois entre les oiseauls »), f. 316r

    • 34 Barthélemy ne parle ni du poulpe (multipes) dans le livre XIII, c. 26, De piscibus, ni dans ce livr (...)

    ---34 Experimentator, Fassung I, c. 86, De multipede

  • XVIII, c. 86, De pediculo, Le pou (la notice est analysée ci-dessous)
    Corbechon XVIII, c. 86, « Du poul », f. 318ra.

  • XVIII, c. 87, De pulice, La puce (la notice est analysée ci-dessous)
    Experimentator, Fassung I, c. 87, De pulicibus ; Experimentator, Kurzfassung, VIII, 62, Pulex
    Corbechon XVIII, c. 87, « De la puce » (« un petit ver qui fait moult d’ennuy aux gens »), f. 318rb.

  • XVIII, c. 89, De rana, La grenouille
    Experimentator, Fassung I, c. 89, De rana

  • Corbechon XVIII, c. 89, « De la rene » (« aucunes sont d’yaue, les autres de terre ; n’est beste ne poisson de eaue qui ne nourrisse ses faons fors que la rayne si comme dit Aristote ou viie livre des bestes ». Dernière phrase de la notice : « La rayne est un ver d’iaue mout noiseus et ort et venimeus, tachié soubz le ventre et abhominable et hay de toutes gens et vit en eaue et en terre si comme dit Aristote »), f. 318va.

  • XVIII, c. 90, De salamandra, La salamandre

  • Corbechon, XVIII, c. 90, « De la salemandre » (« a la figure de la lesarde ; si froide qu’elle estaint le feu par le touchier aussi comme fait glace »), f. 318vb.

  • XVIII, c. 91, De sanguisuga
    Experimentator, Fassung I, c. 95, De sanguisuga ; Experimentator, Kurzfassung, VIII, 58, Sanguisuga
    Corbechon XVIII, c. 91, « De la sansue » (« un ver d’yaue »), f. 319r

  • XVIII, c. 94, De simia (ne dédaigne pas de manger les poux des humains)

  • XVIII, c. 96, De scorpione
    Experimentator, Fassung I, c. 91, De scorpione ; Experimentator, Kurzfassung, VIII, 56, Scorpius
    Corbechon XVIII, c. 96, « De l’escorpion » (un ver terrestre qui a un aguillon en la queue), f. 320r-v

  • XVIII, c. 103, De tinea, La mite
    Experimentator, Fassung I, c. 100, De tinea
    Corbechon XVIII, c. 103. « Le ver qui mangue les robes (« en latin appelle tynca »), f. 320vb (et en fin de notice : « Il est une maniere de roigne qui vient ou chief qui est appelle taigne » ; cf livre V)

  • XVIII, c. 104, De teredine, Le ver du bois
    Experimentator, Fassung I, c. 96, De teredine ; Experimentator, Kurzfassung, VIII, 61, Veredo Corbechon XVIII, c. 104. « Le ver qui mangue le bois est appelle terodo », f. 321ra

  • XVIII, c. 106, De tortuca, La tortue
    Corbechon XVIII, c. 105, « La tortue », f. 321ra

  • XVIII, c. 113, De verme, Le ver (voir plus bas l’analyse de la notice)
    Experimentator, Fassung I, c. 101, De vermibus
    Corbechon, XVIII, c. 112, Des vers (aussi chenille, couleuvre, ver d’eau, ver de terre, salamandre), f. 323 rb.

  • XVIII, c. 114, De vermiculo, Le vermisseau (voir plus bas l’analyse de la notice)
    Corbechon, XVIII, c. 113, « Le petit ver », f. 323va.

  • XIX, c. 76, De putredine, La pourriture
    Corbechon, XIX, c. 77, « Des vertus convenables » (ms. Paris, BnF, fr. 134)

  • XIX, c. 79, De ovis aranea
    Corbechon, XIX

  • XIX, c. 92, De ovis formicarum
    Corbechon, XIX

  • XIX, c. 108, De ovis locustarum
    Corbechon, XIX

2.3. La portion du Prohemium du livre XVIII sur les vermes

24L’introduction (Prohemium) au livre XVIII sur les animaux du De proprietatibus rerum témoigne de l’intérêt savant pour les vermes, car quelques paragraphes leur sont réservés, en plus des deux notices du catalogue zoologique alphabétique consacrées au « ver » et au « vermisseau ». Ces extraits sont transcrits et traduits ci-dessous à partir de l’édition de Francfort, 1601, dont j’ai modifié la ponctuation et corrigé les erreurs typographiques.

25Après le passage repris à Pierre Comestor sur la différenciation ternaire entre les reptiles, dont il a été question plus haut, Barthélemy poursuit en s’appuyant sur le premier livre de l’Historia animalium d’Aristote, pour dissocier les animaux sanguins – c’est-à-dire grosso modo les vertébrés aujourd’hui – qui ont un grand corps et une force considérable, des animaux de petite taille qui sont dépourvus de sang (certains de nos invertébrés) mais ont une humeur qui s’y substitue. C’est de cette deuxième catégorie que font partie les « animaux au corps plissé » : animal rugosi corporis. Parmi eux, on peut compter les abeilles, dit Barthélemy. En réalité, les Hexapodes (c’est-à-dire les insectes qui possèdent six pattes), dont font partie la sauterelle ou le criquet, possèdent bien un système sanguin perfectionné dans lequel circule un sang proche du nôtre, l’hémolymphe, qui contient de l’hémoglobine mais qui en général est incolore.

26Barthélemy cite ensuite Avicenne, dans la partie du Shifâ traduite par Michel Scot sous le nom d’Abreviatio de animalibus, qui commente le même passage d’Aristote. Avicenne distingue les animaux des villes (urbana) des animaux des champs (agrestia). Il souligne la sociabilité de l’homme, qui ne peut vivre seul, à l’image des abeilles et des fourmis, qui vivent en société. Il ajoute, en s’inspirant du même livre I, que les animaux peuvent être différenciés par leur nourriture et que, parmi ceux qui disposent du sens du goût, on compte les abeilles, qui apprécient le miel et les plantes. De même, pour les araignées qui les chassent, les mouches sont des douceurs. La connexion avec la chasse permet une transition vers les grands animaux chasseurs de nourriture, lion et loup, et les petits animaux qui font des réserves, comme le hérisson (hericius) et la fourmi (formica).

  • 35 Je n’ai cependant pas pu trouver le passage sur ce « trésor de la nature » chez Avicenne. Il se peu (...)

27Une notion hiérarchique intervient ensuite : Barthélemy note qu’Avicenne comme Aristote préfèrent les animaux dotés de sang, c’est-à-dire les quadrupèdes sauvages ou humains, plus nobles, à ceux qui en sont dépourvus ; ils ont plus de force et sont plus grands, à l’exception de certains animaux aquatiques ou marins. Les oiseaux qui ont deux ailes et deux pattes sont assimilés à ces nobles quadrupèdes. Continuant à hiérarchiser d’après la force, Barthélemy ajoute, toujours apparemment sur la foi d’Avicenne35, que le sang, trésor de la nature, a moins de force chez ces petits êtres, ce qui justifie le grand nombre de leurs membres, au titre de compensation en quelque sorte. En outre, la force vitale diffère à l’avant et l’arrière chez ces animaux : l’avant de leur corps est plus efficace, car il bénéficie davantage de la chaleur du sang ; ces animaux-là sont plus proches des quadrupèdes. Parmi les petits animaux, certains ont de nombreuses pattes, comme les chenilles et les crabes, ou de nombreuses ailes comme les papillons, abeilles, sauterelles.

28Barthélemy relève ensuite les propriétés qui permettaient à Avicenne de regrouper les animaux par similarités des composants corporels : l’homme et le cheval ont de la chair et des nerfs. Viennent ensuite toutes sortes de dissimilarités des parties du corps, simples ou composées, mais aussi de taille, de nombre (les araignées sont multipèdes, certaines ont huit pattes, d’autres dix !), de couleur, de silhouette, de mollesse ou de dureté, de situation, d’activité, de réaction, et aussi d’ « appétit » : à savoir que certains ont davantage de libido, d’autres moins (la tortue et l’éléphant), ou encore sont toujours continents comme les abeilles ; certains se limitent à se reproduire au sein de leur espèce, d’autres ont de l’attirance pour plusieurs espèces. L’appétit pour la nourriture varie également beaucoup et constitue un autre critère de distinction.

  • 36 Aristote, De respiratione, 475a30 : « Nous avons déjà dit que, parmi les êtres vivants, les insecte (...)
  • 37 Stanislas Giet, Basile de Césarée. Homélies sur l’hexaéméron, Paris, 1968, (Sources chrétiennes, 26 (...)

29La question de la respiration avait déjà été soulevée par Aristote dans le De respiratione36. Sur la base de cet héritage, Barthélemy indique lui aussi que les animaux annelés n’ont pas de poumons. Dans l’Antiquité grecque, les insectes sont en effet considérés comme des volatiles qui n’ont pas de poumons ou ne respirent pas. Elien le Sophiste (c. 175-c. 235) note dans ses Caractéristiques des animaux (De natura animalium, XI, 37) que les insectes n’ont pas de poumons. Basile de Césarée (330-379), dans son Hexaemeron, indique aussi : « Quand vous voyez des abeilles, des guêpes, bref toutes ces créatures volantes appelées insectes, parce qu’elles ont une incision tout autour, réfléchissez qu’elles n’ont ni respiration ni poumons, et qu’elles sont soutenues par l’air à travers toutes les parties de leur corps »37. Pour traduire ce passage, Jean Corbechon rend les « animaux aux corps annelé » par un mot qui couvre les serpents, « couleuvres », auquel il ajoute les « vers » :

Et toute beste qui a poumon si respire, mais aucunes bestes respirent par voies magnifestes si comme par la bouche et par le nes et aucunes foiz le font par voies plus occultes si comme les mouches, les vers et les couleuvres.
(ms. cit., f. 288ra)

  • 38 Avicenne, Abbreviatio de animalibus, c. De sensu et motu, et vigilia, et somno, éd. Venezia, [c. 15 (...)

30Barthélemy s’appuye ensuite sur les autorités d’Aristote et d’Avicenne pour évoquer d’abord le dauphin à propos de la respiration et s’intéresser plus précisément à l’existence des sens cachés mais aiguisés chez les « animaux au corps annelé, comme les abeilles et les fourmis ». La citation est en réalité tirée littéralement de l’Abbreviatio de animalibus d’Avicenne38. La nature dans une certaine mesure compense les avantages des grands animaux chez les petits : ce que les petits n’ont pas en force, ils l’ont en ingéniosité. C’est ce qu’on peut observer chez les araignées, les abeilles et les fourmis, aurait dit Avicenne dans un complément que je n’ai pas pu retrouver dans l’Abbreviatio de animalibus.

31Vient ensuite une citation d’ordre médical alléguée sous le nom de l’auteur juif d’Egypte Isaac Israeli (c. 855-c. 955), qui voit dans les animaux domestiques (agneaux, chevreaux, moutons, porcs) et sylvestres (cerfs, chèvres) une matière alimentaire pour les humains, ce que ne peuvent constituer les animaux considérés comme excessifs en chaleur, c’est-à-dire les serpents venimeux (tyri) et autres animaux qui glissent (serpentes), ou les animaux trop froids, au nombre desquels les araignées et les scorpions.

32Dans la vision anthropocentrique médiévale, le degré d’utilité des animaux pour l’homme est essentiel. Pour l’évoquer, Barthélemy s’appuie sur le recueil de l’Experimentator, rédigé comme on l’a vu peu de temps auparavant, ou qui pourrait même être une version précoce de sa propre encyclopédie. L’Experimentator évoque la question à partir d’extraits de Pline et de Jean Damascène :

  • 39 Cf. Iohannes Damascenus, De fide orthodoxa, II, 10 (de la terre et de ce qu’elle contient) : (trad. (...)

Et sicut dicit Iohannes Damascenus: Omnium animalium tam iumentorum quam reptilium siue bestiarum genera creata sunt propter hominis usum. Set horum quedam propter esum, scilicet cerui et, oues et huiusmodi, quedam propter hominis ministerium ut cameli, boues et equi et huiusmodi, alia uero ad iocunditatem hominis et consolationem ut symie et huiusmodi, alia ad hominis exercitationem ut scilicet suam cognoscat infirmitatem39.
(Experimentator [Fassung I], XIII, 21, éd. Deus : 188)

  • 40 Pierre Comestor, Historia scholastica, Liber Genesis, quaestio 8, De opere sextae diei, éd. Sylwan, (...)
  • 41 Cf. Jérôme, Adversus Iovinianum, II, 6 : carnes viperae ad theriacam conficitur.
  • 42 Peut-être un rapport avec Pline, HN, XXIX, 122 : boae quoque fel praedicatur ad albugines, suffusio (...)

33Cependant, l’idée est exprimée d’une manière très comparable à celle de Pierre Comestor40. Les bestiaux ou bêtes de joug (iumenta), les rampants (reptilia) et les bêtes sauvages (bestia) ont tous été créés dans ce but utilitaire, que ce soit pour la nourriture (propter esum : bétail, cervidés et autres), pour le service (propter hominis ministerium : chevaux, ânes, bœufs, chameaux, etc.), pour l’agrément (ad hominis iucunditatem : singes, merles/mainates-merulae, paons), mais certaines l’ont été pour le tourment et l’édification de l’homme (ad hominis exercitationem), pour qu’il craigne Dieu et reconnaisse sa propre faiblesse en invocant le nom de Dieu. C’est le cas des puces et des poux qui, si petits qu’ils soient, torturent l’homme, ou des animaux sauvages comme les lions, les tigres et les ours qui le terrifient. Autrement dit, ils viennent manifester la faiblesse humaine dont ils sont le remède : la chair des vipères comme thériaque41, le fiel de taureau et d’autres animaux, ou la chair d’oiseaux permettant de soigner les yeux voilés42.

  • 43 Pour les traductions françaises des textes latins, j’ai pu bénéficier de l’aide précieuse de Moniqu (...)

34Voici les extraits examinés du Prohemium, avec leur traduction43. J’ai appliqué des passages à la ligne pour distinguer les diverses propriétés ou les ruptures de source, et mis en petites capitales les références médiévales aux sources (« marqueurs »).

[…] Nam ut dicit idem in libro primo animalia quedam habent sanguinem et quedam non ut apes et omne animal rugosi corporis, sed alium habet humorem loco sanguinis. Habentia autem sanguinem, sunt maioris corporis et virtutis […] [Aristote, Hist. anim. 490B14]. (éd. : 986)

En effet, comme le dit le même auteur au premier livre, certains animaux ont du sang et certains n’en ont pas, comme les abeilles et tout animal au corps plissé, mais d’autres ont une humeur à la place du sang. Ceux qui ont du sang sont de plus grand corps et de plus grande force...

Ad hoc dicit Avicenna I lib. Animalia quedam sunt urbana, quedam agrestia.
Et inter omnia animalia homo non potest vivere solus et grues et apes et formice communicant homini in hoc.
Discrepant etiam animalia plurimum in nutrimento,
ut dicit idem. […]
Et ut dicit Aristoteles libro primo, quedam animalia habent proprium gustabile, sicut apes, quarum gustabile est mel et planta.
Quedam de numero dulcium sicut aranee gustabile est musca, vivit enim de venatione muscatum et quedam sunt venantia alia animalia, ut leo, lupus et similia et quedam sunt accumulantia suum nutrimentum, sicut hericius et formica
.

A ce propos, Avicenne dit au livre I : Certains animaux sont des villes, certains des champs. Et parmi tous les animaux, l’homme ne peut vivre seul ; les grues, les abeilles et les fourmis ont cela en commun avec l’homme.
En effet les animaux diffèrent surtout par leur nourriture, comme le dit le même.
Et comme le dit Aristote au livre I, certains animaux ont en propre le goût, comme les abeilles à qui plaisent le miel et les plantes.
A certains, comme les araignées, plaît la mouche, au nombre des douceurs, en effet, elle vit de la chasse des mouches ;
certains autres animaux sont chasseurs, comme le lion, le loup et leurs semblables, certains sont des accumulateurs de nourriture, comme le hérisson et la fourmi.

Prefert autem Avicenna, sequens Aristotelem, omnia animalia habentia sanguinem non habentibus et dicit, quod illa simpliciter sunt nobiliora et maiora in quantitate et virtute, exceptis paucis beluis aquaticis et marinis.
Et subdit quod omne animal habens sanguinem nobilem, quatuor movetur instrumentis, quia quatuor pedibus, ut patet in brutis, aut duabus manibus et duobus pedibus, ut patet in hominibus, similiter et duabus alis et duobus pedibus, ut patet in avibus pennatis.

En suivant Aristote, Avicenne préfère tous les animaux qui ont du sang à ceux qui n’en n’ont pas et il dit que les premiers sont simplement plus nobles et plus grands en taille et en force, si l’on met de côté quelques bêtes aquatiques et marines.
Et il ajoute que tout animal noble pourvu de sang se meut par l’intermédiaire de quatre membres, parce qu’avec quatre pieds – comme cela apparaît chez les bêtes sauvages – ou bien avec deux mains et deux pieds – comme chez les hommes –, semblablement aussi avec deux ailes et deux pattes – comme chez les oiseaux qui ont des plumes. 

Multa tamen inveniuntur animantia plures pedes habentia, ut patet in cancris et in erucis et in aliis similiter et plures alas, ut patet in papilionibus, apibus et locustis, in istis minus viget sanguis, qui nature est thesaurus, propter quod plus et efficacius operantur quatuor organa in primis quam multiplicia in secundis et habiliora sunt membra et efficaciora multum animalium ad operandum in parte anteriori quam in posteriori, quia calori sanguinis cordis plus participant et eis vicinius appropinquant.

Cependant, on trouve beaucoup d’être animés qui ont de nombreuses pattes – comme cela apparaît chez les crabes et chez les chenilles et chez d’autres semblablement – et de nombreuses ailes – comme cela apparaît chez les papillons, les abeilles et les sauterelles. Chez eux, le sang, qui est le trésor de la nature, a moins de force, c’est pourquoi quatre organes agissent plus efficacement chez les premiers que de multiples (membres) chez les seconds, et les membres de nombreux animaux sont plus habiles et plus efficaces à œuvrer à l’avant qu’à l’arrière, parce qu’ils bénéficient davantage de la chaleur du sang du cœur et en sont plus proches.

Generales autem animalium proprietates tangit Avicenna sic dicens : Communicant autem quedam animalia in membris, ut homo et equus in carne et in nervo.
Discrepant autem inter se in multis, primo in qualitate et habitudine membrorum tam simplicium quam compositorum, ut testudo habet conchas et hericius spinas et homo non et equus habet caudam et homo non.
Item discrepant in quantitate,
[…]
Item discrepant in numero, quia quedam sunt bipedalia, quedam quadrupedalia et quedam multipedalia, ut patet in araneis, quarum quedam habent pedes octo et quedam habent decem.
Item in qualitate, in colore et in figura, aut in mollitie et duritie,
[…]. Item discrepant in situatione, […]. Item discrepant in actione, […]. Item differunt in passione, […].
Item differunt in animi appetitu. Nam quedam sunt fortis appetitus ad coitum et quedam debilis, ut turtur et elephas et quedam appetunt cum omni specie et quedam tantum cum sua et quedam sunt semper continentia, ut apes.
Item quedam sunt magne aviditatis et voracitatis in edendo
.

Avicenne aborde les propriétés générales des animaux en s’exprimant ainsi : Certains animaux ont en commun leurs membres comme (chez) l’homme et le cheval, la chair et les nerfs. Mais ils se distinguent entre eux par de nombreux aspects, d’abord en taille et en apparence des parties du corps, tant simples que composées, comme la tortue qui a des écailles et le hérisson des épines – l’homme non – et le cheval a une queue – l’homme non.
De même ils se distinguent en taille […].
De même ils se distinguent en nombre, parce que certains sont bipèdes, certains quadrupèdes et certains multipèdes, comme il apparaît chez les araignées, dont certaines ont huit pattes et certaines dix.
De même en qualité, en couleur et en silhouette, comme en mollesse et en dureté […].
De même ils se distinguent par leur situation […]. De même ils se distinguent par leur action […]. De même ils se distinguent par la manière dont ils réagissent [].
De même ils se distinguent par le désir de l’âme. Car certains ont un désir puissant de l’accouplement, certains ont un faible désir, comme la tortue et l’éléphant ; certains ont du désir pour toute espèce, certains seulement pour la leur, et certains sont toujours continents, comme les abeilles.
De même certains sont d’une grande avidité et voracité quand ils mangent.

Et omne animal spirat, sed quedam per vias manifestas, ut per os et per nares et quedam per vias occultas, scilicet per occultos poros, ut apes et musce et animalia annulosi corporis.

Tout animal respire, certains par des voies manifestes, comme par la bouche ou les narines, d’autres par des voies cachées (occultes), à savoir par des pores cachés, comme les abeilles, les mouches et les animaux au corps annelé.

Et ideo dicit Aristoteles ut dicit Avicenna quod delphini […] et animalia annulosi corporis habent acutos sensus, quamuis occultos ut apes et formice.
Unde audiunt a remotis et olfaciunt et in quibusdam odoribus delectantur et in quibusdam interficiuntur, ut odore sulphuris et combuste pellis et combusti cornu<s> cerui, unde apes non manent in loco mali odoris, sed quiescunt in loco odorifero et ubi est dulcedo
, ut dicit idem.
(
éd. : 979)

C’est pourquoi Aristote dit, comme le dit Avicenne, que le dauphin […]. Et les animaux au corps annelé ont des sens aiguisés, bien que cachés, comme les abeilles et les fourmis.
Dès lors, ils entendent et sentent de loin et chez certains, ils se délectent des odeurs et sont tués par d’autres, comme l’odeur du soufre, de la peau brûlée et de la corne de cerf brûlée. C’est pourquoi les abeilles ne restent pas dans un lieu qui a une mauvaise odeur, mais elles se reposent en un lieu odoriférant, où il y a de la douceur.

Item dicit etiam Avicenna quod animalia parui corporis magis sunt ingeniosa, quam illa, que sunt magni corporis, ut patet in araneis, apibus et formicis, quorum opera sunt ita subtilia, quod ad similia facienda sensus hominis non attingit. Supplet enim in eis natura in sensu et ingenio, quod illis videtur deficere in fortitudine et virtute ut dicit idem.
(éd. : 978)

Avicenne dit aussi que les animaux qui sont petits de corps sont plus ingénieux que ceux qui ont un grand corps, comme on le voit chez les araignées, les abeilles et les fourmis, dont les ouvrages sont tellement astucieux que la capacité humaine n’arrive pas à faire des choses semblables. La nature en effet supplée en eux en sens et en ingéniosité ce qui semble leur manquer en puissance et en force, comme le dit le même.

Isaac autem in dietis universaliter tractat de animalibus, prout sunt humani corporis nutritiva. Nam quedam animalia conveniunt humane complexioni ut agni, hedi, oves et porci inter domestica. Cerui et capreoli inter sylvestria. Et quedam omnino contrariantur et hoc in nimio calore, ut tyri et serpentes, vel in nimia frigiditate, ut aranee et scorpiones.

Cependant, Isaac (Israeli) traite universellement des animaux dans « Les diètes », en tant qu’ils sont une nourriture pour le corps humain. En effet, certains animaux conviennet à la complexion humaine, comme les agneaux, les chevreaux, les moutons et les porcs, parmi les animaux domestiques, les cerfs et les chevreuils parmi les animaux sauvages. Et certains sont totalement contraires (à la nourriture humaine), soit en raison de leur trop grande chaleur, comme les tigres et les serpents, soit de leur froid excessifs, comme les araignées et les scorpions.

Omnium animalium tam iumentorum quam reptilium et bestiarum genera creata sunt propter optimum hominis usum, ut dicit Plinius et Iohannes Damascenus, sed horum quedam propter esum ut pecudes, cervi, et huiusmodi, etc.
quedam propter hominis ministerium, ut equi, asini, boves et cameli, et huiusmodi :
alia ad hominis iucunditatem ut simiae, merulae atque pavi ;
alia autem creata sunt ad hominis exercitationem, ut suam cognoscat homo infirmitatem
et Dei timeat potestatem.
Ideo enim creati sunt pulices et pediculi, sicut leones, tigrides atque ursi, ut in primis recurrat homo ad propriae infirmitatis recognitionem, et territus a secundis, scilicet reptilibus et feris, refugium habeat ad Dei nominis invocationem. Sunt insuper creata animalia ad sublevandam multiplicis infirmitatis humanae necessitatem, ut carnes viperae ad theriacam, et fel tauri et aliorum animalium et avium ad oculorum caliginem amovendam
.
(éd. : 986)

Tous les genres d’animaux, que ce soient les bestiaux, les rampants et les bêtes sauvages, ont été créés pour la meilleure utilité de l’homme, comme le disent Pline et Jean Damascène ; mais certains l’ont été pour sa nourriture, comme les bêtes des troupeaux, les cerfs et autres bêtes de ce genre ; d’autres ont été créés pour le service de l’homme, comme les chevaux, les ânes, les bœufs, les chameaux et autres ; d’autres pour l’agrément de l’homme : les singes, les merles et les paons ; d’autres ont été créés pour l’édification de l’homme afin qu’il connaisse sa faiblesse et craigne la puissance de Dieu. Ainsi ont été créés les puces et les poux, comme les lions, les tigres, les ours pour que l’homme, par l’intermédiaire des premiers, revienne conscient de sa propre faiblesse et, terrifié et effrayé par les seconds – c’est-à-dire les rampants et les bêtes sauvages – il trouve refuge dans l’invocation du nom de Dieu. Car les animaux sont surtout créés pour apporter un remède aux diverses faiblesses humaines, comme la chair des vipères pour la thériaque, le fiel de taureau et d’autres animaux et oiseaux pour enlever le voile devant les yeux (pour soigner les yeux voilés).

35Comme on vient de le voir, la préface au « livre des animaux » du DPR classe les animaux en grands et petits, avec ou sans sang, et place les « animaux à corps annelé » ou « plissé » parmi les seconds, au sein des reptiles. Bien que dépourvus du « trésor de la nature », tous se voient reconnaître un type de respiration par la peau et certains d’entre eux, une habileté sociale et une capacité aigüe de perception. Ce sont les propriétés de quantité qui frappent dans leur aspect extérieur, en particulier le nombre de pattes. En dépit de leur faiblesse apparente, leur existence au sein de la création se justifie par la pénitence qu’ils infligent aux hommes. Quant à leur comportement sexuel, Barthélemy se borne à en relever la diversité. Pour en dire davantage sur leur mode de génération, leur mode de vie et leur comportement, Barthélemy consacre à certains d’entre eux des notices particulières.

3. Examen de notices entomologiques particulières

3.1. Le ver et le vermisseau : notices du livre XVIII, c. 113 et c. 114

  • 44 Isidore, Etym. XII, c. 5, 1. La même citation est chez l’Experimentator, sans marqueur de citation  (...)
  • 45 Aristote, De animalibus XV (732b1) : et quaedam faciunt ova completa, sicut aves et quadrupedia, ut (...)

36La notice générale descriptive du « ver » commence par une généralité sur les trois modes de génération observés : génération spontanée de la pourriture des chairs ou des plantes, accouplement des géniteurs ou ponte. Mais ce dernier mode, dit-il, ne s’applique qu’aux tortues, lézards et scorpions. Autrement dit, le « ver » est d’abord pris au sens le plus large de « reptile », avec probablement la propriété discriminante supplémentaire d’être doté d’écailles. Aujourd’hui, il n’est plus question d’inclure parmi les invertébrés les Chéloniens, qui sont des vertébrés tétrapodes, ou les lézards, autres reptiles vertébrés dont certains sont vivipares et d’autres ovipares, ou encore le scorpion, classé aujourd’hui parmi les arachnides. Bien que ce soit l’affirmation générale d’Isidore44 qui introduise de cette manière le sujet de la génération du « ver », il est notable que l’ajout de la tortue et du lézard est dû en revanche à l’amalgame silencieux d’un passage d’Aristote45 :

Vermis est animal, quod de carnibus sepe et herbis nascitur, sepe autem de oleribus procreatur. Aliquando ex sola humorum corruptione, aliquando ex sexuum commixtione, et aliquando ex ovatione, ut patet in tortucis, scorpionibus et lacertis, ut dicit Isidorus libro 12.
(éd. : 1128-1129)

Le ver est l’animal qui naît souvent des chairs et des plantes, mais souvent est procréé par les légumes ; parfois par la seule corruption des humeurs, parfois par l’union des sexes et parfois par la ponte, comme on le voit chez les tortues, les scorpions et les lézards.

37Vient ensuite une étymologie « à la manière d’Isidore » sur le mode de locomotion ; la dérivation ne provient pas des Etymologies mais peut-être de gloses sur une famille de copies du texte et est suivie d’un passage authentique du c. 5 du livre XII des Etymologies qui distingue les vers des autres reptiles quant au mode de reptation. Suit une précision sur le moment d’apparition au printemps, également attribuée (à tort) à Isidore, qui est aussi source d’étymologie. On trouve un passage parallèle chez Pline, HN X, 189 (et quaecumque ver statumque tempus anni generant) : 

Dicitur autem vermis quasi vertens, vel quasi verrens, quia in multas partes se vertit, vel quia vertit, id est ad partes oppositas se trahit.
Non enim sicut serpentes squamarum nisibus vermis repit, sed in diversas partes corpusculum suum trahit,
ut docet Isidorus [Etym. XII, 5].
In vere tamen de latebris vermes exeunt, et ideo forsan vermes a verno exitu nomen sumunt, ut dicit idem.

On dit ver comme vertens (tournant) ou comme verrens (balayant), parce qu’il se déroule en diverses sections, ou parce qu’il déroule, c’est-à-dire qu’il se contracte d’une section vers l’autre. En effet, le ver ne rampe pas comme les serpents en s’appuyant sur ses écailles, mais il déroule son petit corps en diverses parties.
Au printemps, les vers sortent de leurs cachettes, et c’est pourquoi peut-être les vers tiennent leur nom de leur sortie printanière.

  • 46 Consulté s.v. vermis dans la Latin Dictionary Database de Brepolis en ligne. Ioannes Balbus, Cathol (...)

38Ces propriétés du « ver » issues d’une triple étymologie semblent avoir été courantes durant tout le Moyen Âge, car elles font, avec un autre passage des Etym. XII, 5, la substance de la notice Vermis du dictionnaire Catholicon (1272) de Johannes Balbi46, qui renvoie à celle du Reptile :

Vermis a verro,-ris dicitur, hic vermis, huius vermis.
Et sunt vermes aut terre ut scorpio. aut aque ut sanguissuga. aut aeris ut aranea. aut frondium ut eruca aut lignorum ut teredo. aut vestimentorum ut tinea aut carnium ut emigraneus. lumbricus ;
ascarie. costi. pediculi. pulices. lendes. Tarmus ricimus. uria. Timex [= cimex].
Et dicitur vermis a verendo, quia non ut serpens a partis passibus sed squamarum nisibus repit quia non est illi spine rigor sed in directum corpusculi sui partes gradatim porrigendo contractas. contrahendo porrectas motum explicat ; sicque agitatus verrendo prelabitu vel dicitur vermis quasi veruis quia in vere exeat.
Et gignitur vermis sine ullo concubitu licet quandoque de ovis nascatur ut quandoque scorpio.
Vide eciam in reptile
.

Le ver est appelé ainsi à partir de verro, -ris, ‘ce ver’, ‘de ce ver’.
Et il y a des vers de terre, comme le scorpion, des vers d’eau, comme la sangsue, des vers d’air, comme l’araignée, des vers de feuilles, comme la chenille, des bois, comme la vrillette, des vêtements, comme la mite, des chairs, comme l’hémicrâne, le lombric, les ascarides, les ‘costi’, les poux, les puces, les lentes, le ver du lard, la tique, le ver du porc, la punaise.
Et on dit ‘ver’ à partir de verendo, parce qu’il rampe, non pas comme un serpent par des mouvements latéraux et par les efforts de ses écailles, car il n’a pas de colonne rigide, mais il déploie son mouvement en étendant graduellement en avant les parties contractées de son petit corps, après les avoir contractées et en les contractant après les avoir allongées. Ainsi agité par son balayage, il est appelé vermis, presque vervis, parce qu’il sort au printemps.
Le ver nait sans aucun accouplement, bien que parfois il puisse naître d’oeufs, comme parfois le scorpion.
Voir également sous « reptile ».

39Dans la notice du DPR, le lexique et la classification des « vers » en fonction du milieu d’apparition sont encore ceux d’Isidore. Tous ceux qui sont ainsi mentionnés font partie des « vers » terrestres, à génération apparemment spontanée dans la pourriture :

  • 47 Corbechon, c. 112, rend ceci par « chenilles ».
  • 48 Corbechon, c. 112 : « vers ».
  • 49 Aristote, HA, V, 19 (551a7-10), trad. Jeanine Bertier, Aristote, Histoire des animaux, Paris, 1994 (...)

Sunt autem vermium multae differentiae, sicut dicit idem. Nam quidam sunt aquatici, et quidam terrestres.
Et istorum quidam sunt in herbis et oleribus, ut erucae
47 et consimiles,
quidam in arboribus, ut teredines
48,
et cuidam in vestibus ut tineae ;
et quidam in carnibus, ut macrones
[pour scabrones : Etym. XII, 8, 4], qui ex corrupta humiditate in carnibus putridis generantur [Etym. XII, 5, De vermibus, 18, d’après Aristote, HA, 551a49] ; quidam in animalibus ut lumbrici et ascarides in visceribus, sirones in manibus, pediculi et lendes in capitibus, qui omnes ex humoribus corruptis in animalum corporibus interius vel exterius generantur.

  • 50 Sirones, aussi appelés acarus, un insecte vu comme l’origine de la maladie de peau (dermatose) appe (...)

Et il y a beaucoup de sortes de vers, comme il le dit. En effet, certains sont aquatiques, et d’autres terrestres.
Et certains d’entre eux sont dans les plantes et les légumes, comme les chenilles et leurs semblables,
d’autres dans les arbres, comme les vers de bois,
et d’autres dans les vêtements, comme les mites ;
et d’autres dans les chairs, comme les
asticots, qui sont générés dans les chairs putrides d’une humeur corrompue,
certains dans les animaux, comme les lombrics [vers intestinaux] et les ascarides dans les viscères, les cirons [acariens]
50 dans les mains, les poux et les lentes dans les têtes, qui tous sont générés à partir des humeurs corrompues dans des corps d’animaux, à l’intérieur ou à l’extérieur.

40De ce qui suit, qui introduit d’autres types de vers terrestres échappant à la typologie d’Isidore, c’est-à-dire les lombrics, je n’ai pas trouvé la source directe :

Sunt et alii vermes terrae longi et rotundi, molles et lubrici, terrei, quos in terra venantur talpae et quibus pisces in aquis capiuntur, quando hami talibus vermibus inescantur.

Il y a aussi d’autres vers de terre, longs et ronds, mous et glissants, terreux, que les taupes chassent dans la terre, et par lesquels on prend les poissons dans les eaux, quand on amorce les hameçons à l’aide de tels vers.

41L’observation de ces vers de terre appréciés des poissons est en tous cas partagée par Thomas de Cantimpré, qui mentionne la pêche au hameçon de cette manière aussi. C’est avec eux, à la faveur du Ps. 22, que Thomas de Cantimpré fait le lien avec le Christ :

  • 51 Thomas de Cantimpré, LDNR, IX, 52, De verme, qui proprie vermis dicitur, repris par Vincent de Beau (...)

Bien que le nom de ver convienne à tous les vers, à proprement parler est appelé spécifiquement ver, celui qui est généré à partir de la terre pure et intacte, sans aucun mélange de semences. C’est avec ce ver qu’on amorce l’hameçon pour leurrer les poissons. C’est à celui-ci que le Seigneur se compare lui-même par la voix du prophète [David, Psaume], lorsqu’il dit, ‘je suis un ver et pas un homme’, et à bon droit, lui qui est généré de la chair pure et intacte de sa mère sans la corruption de la semence. D’où on lit encore que la manne a généré la vermine dans le désert51.

42Barthélemy passe ensuite à une source médicale qu’il affectionne, Constantin l’Africain (je n’ai pas trouvé le passage dans les livres I et II du Viaticum ni dans le Pantegni), pour affirmer l’efficacité de ces lombrics (?) contre les spasmes et la contraction des nerfs, ainsi que la morsure du serpent et la piqûre du scorpion.

Et dicit Constantinus quod tales vermes valent contra spasmum et contractionem nervorum. Valent etiam contra morsum serpentis, et ictum scorpionis.

43Poursuivant son inventaire des types de « vers », Barthélemy ne mentionne pas sa source – qui pourrait être Aristote (De animalibus XIV, 676a22) – pour observer une caractéristique morphologique discriminante. Certains vers peuvent être totalement dépourvus de pattes, comme les couleuvres et les serpents, ou en avoir de nombreuses comme les sextipodes (qui sont parfois confondus dans les sources médiévales avec les mille-pattes). Les « venimeux » parmi eux regroupent ceux qui sont nuisibles pour la nature de l’homme, dont ils sont les ennemis :

Et inter vermes quidam sunt, qui omnino carent pedibus ut columbri et serpentes, et quidam sunt qui multos habent pedes ut sextipedes. Et quidam sunt valde perniciosi et naturae hominis inimici, ut serpentes et ceteri venenosi.

Parmi les vers, il y en a qui n’ont pas du tout de pieds, comme les couleuvres et les serpents, et d’autres qui ont de nombreux pieds comme les sextipodes. Certains sont très pernicieux et hostiles à la nature humaine, comme les serpents et les autres venimeux.

  • 52 Trad. St. Schmitt, 2013 (Pléiade) : 518 : « Les insectes, comme on peut s’en rendre compte, semblen (...)
  • 53 Aristote, De animalibus, IV, 7 (532b1-5) : et propter hoc non habent spinam vel os, et non salvabun (...)

44La suite sur les annelés est intéressante du point de vue du rapport aux sources, car il s’agit de la définition même des in-secta chez Pline (HN, XI, 9)52, qui s’inspire d’Aristote, De animalibus IV, 7 (532b1-5)53, alors que Barthélemy (ou sa source) remplace le terme méconnu par la formule générique « au corps annelé » popularisée par Michel Scot :

Et sunt quidam anulosi corporis, qui non habent nervos nec ossa, nec spinas, nec cartilagines, nec sanguinem,

Et il y en a qui sont de corps annelé, qui n’ont ni nerf, ni os, ni arête, ni cartilage, ni sang.

  • 54 Aristote, De animalibus VII, 8 (605b19) : Et omnia animalia anulosa, cum inunguntur oleo, moriuntur (...)

45Ne s’arrêtant pas davantage à cette définition morphologique essentielle, Barthélémy relève indirectement leur respiration par la peau en indiquant, dans une préoccupation anthropocentrique, comment s’en débarrasser en suivant le conseil d’Aristote54 repris par Pline :

et omnes tales, si in oleo tinguntur, moriuntur, in aceto vero reviviscunt, ut dicit Aristoteles et Plinius.

et tous ceux qui sont tels, si on les noie dans l’huile, ils meurent, mais ils reprennent vie dans le vinaigre, comme disent Aristote et Pline.

  • 55 Pline, HN X, 189, trad. St. Schmitt, 2013 (Pléiade) : « Ainsi, certains animaux sont engendrés par (...)

46Vient enfin une indication sur le type de génération, tirée de Pline (HN X, 8755), ce qui indique que le précédent marqueur double « Aristote et Pline » doit être divisé, Aristote se rapportant à ce qui précède et la référence à Pline se rapportant à la suite. Certains de ces animaux rampants proviennent d’animaux de la même sorte et sont capables d’engendrer des « vers » semblables à eux, d’autres n’ont pas de différence sexuelle et naissent de leurs parents mais restent eux-mêmes stériles (la salamandre). Ici, Barthélemy aurait pu s’étendre sur les types de génération à l’aide des exemples donnés par Aristote et Avicenne, mais il s’en abstient, ce qu’on peut interpréter comme un symptôme de son traitement de l’information, en général peu spéculatif.

Et sunt quidam vermes, qui generant et generantur, et quidam qui generantur et non generant, ut salamandrae, et in talibus non est sexus.

Il y a des vers qui engendrent et sont engendrés, d’autres qui sont engendrés et n’engendrent pas, comme la salamandre ; de tels vers ne sont pas sexués.

47La notice se termine par le critère logique qui a présidé à sa rédaction, à savoir les différences spécifiques, c’est-à-dire les « propriétés » :

His et multis aliis modis vermes tam maiores quam minores variantur.

Les vers, tant les grands que les petits, se différencient de ces manières et de beaucoup d’autres façons.

48La notice sur le ver est surtout typologique. Elle mêle des sources d’inspiration aristotélicienne dans l’ensemble : Pline, Isidore, l’Experimentator, avec une incursion rapide dans les textes médicaux et une allusion à la vie quotidienne à propos de la pêche.

  • 56 Etym. XII, 5, 10 : Teredonas Graeci uocant lignorum uermes, quod terendo edant. Hos nos termites di (...)
  • 57 II Reg. 23, 8 : Ipse est quasi tenerrimus lignis vermiculus, « il est comme le tendre vermisseau du (...)
  • 58 A ce sujet Draelants, Ego sum vermis. La source de Barthélemy (ou sa version précoce) est ici l’Exp (...)

49Celle qui suit immédiatement est consacrée au « petit ver », le vermiculus (DPR, c. 114). La taille du rampant a donc été un critère typologique pour la création d’un chapitre. Celui-ci met davantage l’accent sur l’exégèse, au point que la structure de construction d’un sermon par division y affleure, trahissant à la fois le public destinataire du DPR et la similarité de cette œuvre franciscaine avec les recueils de distinctions organisés par définitions alphabétiques qui servaient pour la rédaction d’homélies. La notice aborde successivement : l’étymologie du diminutif sans reprendre l’étymologie isidorienne de teredo56 ; l’exégèse biblique d’une glose sur II Rois 23 à propos de la robustesse du ver de bois57, qu’on trouve dans la plupart des recueils de propriétés des XIIe et XIIIe siècles58 ; l’époque de l’émergence des petits vers dans les végétaux à la fin de l’hiver et au printemps d’après Pline et Aristote ; le goût des petits vers pour la laine et le dégoût de ce qui est salé ou amer d’après Pline, puis les aspects physiques et « psychologiques » (il est vil, mou, rond, a des extrémités graciles, vient d’un milieu « épais », est ravageur) d’après l’Experimentator ou d’autres recueils de propriétés. Enfin, il est question, sur la base des dires de Pline, de leur sensibilité et de leur habileté : ces tout petits animaux ont le sens du toucher, du goût, de l’audition, et des capacités d’utiliser leurs membres. Les dents, ongles, becs et aiguillon leur donnent la faculté de broyer, sucer, lécher, absorber, vomir, tandis qu’avec leurs pattes ils peuvent déchirer, presser, se pendre et fouiller la terre.

  • 59 En marge du manuscrit Montpellier, Ecole de médecine, H 189 (siglé M), f. 236r : Nota de misericord (...)
  • 60 Marg. M f. 236r : Nota quomodo christus natus est de virginis utero.

Vermiculus est vermis modicus a verme diminutive dictus, quales solent in lignis et fructibus inveniri, sicut David [add. dicitur M], .II. Regum .xxiii., tenerrimo ligni [ligno M] vermiculo [vermiculus M] comparatur, qui teredo vel terebucca [terribenas M] dicitur, qui cum sit natura mollis, lignum durissimum perforat,
immo nihil est durius eo dum tangit59, nihil mollius dum tangitur, ut dicit glossa ibi60.

  • 61 La terebella est un ver marin qui attaque les bois des navires. Le mot est aussi employé pour un in (...)

Le vermisseau est un petit ver appelé par diminutif du mot ver, qu’on trouve d’ordinaire dans les bois et les fruits, comme (dans) David, II Livre des Rois, 23, il est comparé au ver très tendre du bois, qu’on appelle termite ou terrebuca61, qui, quoiqu’il soit de nature molle, perfore le bois le plus dur. Bien plus, ‘rien n’est plus dur que lui quand il touche, rien n’est plus mou que lui quand il est touché’’, comme le dit ici une glose.
(c. 114,
De vermiculo, éd. Frankfurt : 1230)

  • 62 Experimentator, Fassung I, 101, 2, De vermibus, éd. Deus : 278 : Vermis egreditur de terra finita h (...)
  • 63 Trad. S. Schmitt, XI 39 (§115) : 542 : « …ce mal. Celui-ci naît aussi dans un certain type d’étoffe (...)
  • 64 Experimentator, Fassung I, 101, 2, De vermibus, éd. Deus : 278 : 2. (suite) Rodit et occulte mordet (...)

50Barthélemy semble n’avoir pas grand-chose de nouveau à ajouter pour distinguer le petit ver du grand ; il résume, sur la base de l’Experimentator qui lui fournit une pré-rédaction62, des indications déjà données dans la notice précédente sur le temps d’éclosion et comparables à Aristote, De animalibus, V, 19 (551a) (cité plus haut). Il évoque selon la même source, qui s’inspire elle-même de Pline [HN XI, 111 et 117] 63, la faculté du goût chez les « vers ». C’est aussi l’Experimentator qui fournit la matière de la suite, avec d’abord une information morphologique, ensuite une indication de comportement alimentaire et de locomotion que nous avons déjà rencontrée : les vers se traînent par la bouche64. La dernière partie de ce qui est repris à l’Experimentator, sur le fait que le vermicule est dépourvu de sang, passe quasiment inaperçue alors que c’est un critère aristotélicien fondamental. 

  • 65 Marg. M, f. 236r : Nota quod christus non ledit eos qui sunt in penitentia et castitate : « Note qu (...)
  • 66 Marg. M, f. 236r : Nota quod illi conficere(n)tur in penis in quorum corde et opere demon habuerit (...)
  • 67 Marg. M, f. 236r : Nota de humilitate christi et eius benignitate.
  • 68 Marg. M, f. 236v : Nota quod ex improviso punit.

Vermis igitur, precipue terrestris, nascitur et humo et foliis et fructibus et lignis, finita hyeme procedit.
De visceribus terre tempore verno.
Salsa cavet et fugit, et aromatibus et amaris condita non tangit, vestes
[scilicet add. M] lineas non rodit65 sicut tinea, laneam [laniceam M] vestam destruit et consumit et maxime illas vestes laneas consumit vermis66, quarum carnes tetigit dens lupinus.
Nam lana ovis devorate a lupis, tineas generat et pediculos67, ut dicit Aristoteles libro 8 et Plinius lib. 10.
Vilis et mollis est vermiculus68 et rotundus, subtilia et gracilia sunt eius extrema, et media grossiora, occulte mordet arborem et consumit,
plus ore quam pedibus se trahit.
Vilis est, flexibilis et exanguis.

  • 69 Albert le Grand rapporte deux fois cette propriété dans son De animalibus. En VII, tr. 1, De moribu (...)

Donc le ver, surtout le ver terrestre, naît soit de la terre, soit des feuilles, des fruits et du bois, à la fin de l’hiver ; il sort des entrailles de la terre au moment du printemps.
Il craint et fuit ce qui est salé, et ne touche pas ce qui a été assaisonné avec des aromates et (substances) amères ; il ne ronge pas les vêtements de lin comme la mite, il détruit et dévore le vêtement de laine et dévore surtout ces vêtements en laine (de mouton) dont la dent de loup a touché les chairs.
En effet, la laine de la brebis dévorée par les loups génère les mites et les poux69, comme le disent Aristote au livre VIII et Pline au livre X.
Le vermisseau est vil, mou et rond, ses extrémités sont fines et graciles/maigres, et sa partie médiane est plus épaisse.
Sans qu’on le voie, il mord et dévore le(s) arbre(s) ; il se traîne davantage par la bouche que par les pieds, il est vil, souple et dépourvu de sang.

51La dernière partie de la notice est tirée de Pline. Elle répète avec une plus grande précision des informations qui, passées par des intermédiaires, étaient moins détaillées plus haut :

  • 70 Trad. St. Schmitt, p. 518 : « Ils ont des yeux et, en outre, parmi les sens, le toucher et le goût  (...)
  • 71 Marg. M, f. 236v : Nota quod christus in habentibus dulcem conscientiam delectatur.
  • 72 Marg. M, f. 236v : Nota de predonibus [proies]
  • 73 Marg. M, f. 236v : Nota de variis modis dominandi [do-di] et proficiendi.
  • 74 Marg. M, f. 236v : Notabilia.

In omnibus vermibus est sensus tactus et gustus, ut dicit Plinius lib. xi. cap. lxxii. [HN XI, 1070]
Unde percepto sonitu vel strepitu latescunt, inter sapores discernunt, amara enim et salsa refugiunt vermes, et dulcia appetunt71 ac sugunt,
unde dentibus alii predantur, et alii unguibus et rostris ad necessitatem rapiunt72, alii acumine excavant, alii sugunt, lambunt, sorbent, vomunt, mandunt.
Nec minor est varietas
73 in pedum ministerio ut rapiant, distrahant, premant, pendeant [proderant M], terram fodere non cessant74, ut dicit Plinius ibidem scilicet libro undecimum [X mss.] cap. 71. [HN X, 196].

Tous les vers ont le sens du toucher et du goût, comme le dit Pline, livre XI, c. 71.
D’où ils se cachent lorsqu’ils perçoivent un son ou un craquement, ils distinguent parmi les saveurs. En effet, les vers fuient les choses amères et salées et recherchent et sucent les douceurs.
D’où d’aucuns prennent (leur proie) avec les dents, et d’aucuns (la) saisissent, pour leur besoin, avec leurs ongles et leurs becs, d’aucuns creusent avec leur aiguillon, d’autres sucent, lèchent, absorbent, vomissent, broient. Leur variété n’est pas moindre dans (la manière de) se servir de leurs pieds pour saisir, déchirer, presser, se pendre [ramener vers eux M], ils ne cessent de fouiller la terre, comme Pline le dit au même endroit du livre X, c. 71.

2.2. Le ver et l’humidité putride (DPR XIX, c. 76)

  • 75 Il semble que Barthélemy n’ait pas utilisé directement la traduction d’Henri Aristippe ni celle de (...)

52Pour compléter ces deux notices sur les vermes, il faut aller trouver des indications sur leur génération au dernier livre du DPR, XIX, c. 76. Après avoir expliqué d’après les Météorologiques d’Aristote75 la vertu agissante dans le processus de transformation qu’est la putréfaction par le chaud et l’humide, Barthélemy poursuit le discours aristotélicien sur la pourriture de l’eau, plus efficace et rapide quand elle est en petite quantité – ce qui explique que des vers y naissent.

  • 76 Dans une partie de la tradition manuscrite comme dans le ms. M, f. 250r, il n’y a pas de chapitre d (...)

53L’exposé fidèle à Aristote affirme que la pourriture naît sous l’effet d’un différentiel de température : une température extérieure plus haute que celle de la matière organique la fait pourrir (Météorologiques IV, 1, 379a16). Plus le différentiel est grand, plus le corps pourrit vite (c’est l’inverse si elle est plus froide, comme la glace et les cristaux) (379a26-31). Un corps qui bouge se corrompt moins vite, il est davantage animé. De même, un corps bouillant pourrit moins vite, puisque l’agent de chaleur qui le fait bouillir est plus puissant que l’air extérieur et résiste ainsi à la putréfaction. Un grand corps pourrit moins vite, donc au contraire un corps subdivisé en parties se décompose plus rapidement. A cet égard, la mer et les flaques d’eau sont opposés. Ces flaques constituent dès lors le lieu des vers qui naissent de la putréfaction de ces parties humides subdivisées (379b1-5). Dans cette opération, l’action de la chaleur naturelle est le séparateur du léger et du lourd, de l’aqueux et de l’aérien. Reprenons la notice du livre XIX, c. 76, De putredine, à partir de l’endroit où les vers émergent76 :

  • 77 Marg. M, f. 250rb : Nota de discordia.
  • 78 Marg. M, f. 250rb : Nota qualia mala oriuntur ex discordia.

Similiter est videre in aquis aliis magnis, quarum partes divise a totali flumine cito putrefiunt [putrescunt M], et ideo in partibus sic divisis77, vermes generantur per putrefactionem.
Cuius ratio est, quia calor naturalis disgregans in eis78, facit subtile dividi a grosso, et terreum ab aqueo et aereo. Ex substantia autem subtili aquea vel [et M] aerea a grossiore parte per calorem sequestrata, idem calor disgregans, facit generari vermes, et alia animalia,
et hoc est quod dicit Aristoteles [Metheorologica, IV, 379b5],
quare calor naturalis disgregans constare facit disgregata, et convertit in naturam animalis, et hoc per putrefactionem, vi caloris extranei introducta, ut dicit commentator [commentum M].

On peut le voir pareillement dans d’autres grandes étendues d’eau dont les parties séparées du cours principal se putréfient rapidement. C’est pourquoi, dans les parties ainsi séparées, les vers sont générés par la putréfaction.
La raison en est que la chaleur naturelle, qui a une action décomposante en elles, sépare le léger du lourd et le terreux de l’aqueux et de l’aérien. D’une substance subtile, (qu’elle soit) aqueuse ou aérienne, séparée par la chaleur de ce qui est plus grossier, la même chaleur, en décomposant, fait naître les vers, et d’autres
animaux.
Et voici ce que dit
Aristote : pourquoi la chaleur naturelle, en décomposant (les éléments), a pour effet que les choses décomposées le demeurent ; elle les transforme en nature d’animal, cela par la putréfaction induite par la force de la chaleur extérieure, comme le dit le Commentateur.

54De la répulsion provoquée par la putréfaction, Barthélemy passe à l’abomination et au dégoût que provoquent les vers qui y naissent : la pourriture a un goût et une odeur abominables (une étymologie médiévale courante est d’y voir l’incompatibilité avec l’humain : ab-hominabilis), présente une vilaine couleur, propage la souillure et la pourriture, et même la corruption dans les membres par diminution du spiritus qui y circule ; mais elle nourrit les animaux rampants et les vers (ici distingués des reptiles). Le spiritus, « esprit » ou « souffle » (pneuma), correspond à une notion de la médecine antique et arabe qu’on trouve entre autres dans le Pantegni de Constantin l’Africain, l’Isagogè de Iohannitius ou le Canon d’Avicenne, où elle fait partie des sept naturalia (choses naturelles) responsables des fonctions du corps. La pourriture est ainsi décrite dans la physique du temps comme une « vertu » – c’est-à-dire une force naturelle – qui permet à la nature « d’opérer » sous l’action de la chaleur, de faire naître par génération spontanée et de nourrir certains vermes (le concept d’operatio étant un autre concept-clé de la physique médiévale qui désigne une action de transformation, qui peut être vitale, thérapeutique ou magique) :

  • 79 Marg. M, f. 250rb : Nota quot mala facit peccatum.
  • 80 Marg. M, f. 250rb : Nota quod demones in malus delectantur.
  • 81 Marg. M, f. 250rb : Nota de excomunicatis uel malis sociis.

Putrida ergo sunt gustui horribilia, et abominabilia stomacho79 et nauseam provocantia. Sunt et gravis odoris et mali saporis et deformis coloris, manus inficiencia contingentis, contraria sunt humane complexioni et subitam inducentia sanis [carnis M] corruptionem80.
Serpentibus tamen et vermibus prebentia cibum et refectionem.
Quae autem sunt disposita ad putrefactionem, per associationem ad putrida celerius contrahunt corruptionem
81. Et membra putrida corrumpunt sana, et cum non sint spiritui pervia, privant spiritum membra.

Les choses putrides sont donc d’un goût horrible et sont abominables pour l’estomac ; elles provoquent la nausée. Elles ont une odeur infecte, une saveur détestable et une hideuse couleur, elles souillent les mains de celui qui les touche, elles sont contraires à la complexion humaine et entraînent la corruption immédiate pour les (choses) saines [de la chair M]. Cependant, elles fournissent un aliment et une nourriture pour les animaux rampants et les vers.
Ce qu’on expose à la putréfaction contracte plus rapidement la corruption par association avec les pourritures. Les membres pourris corrompent les parties saines et, comme elles ne sont plus traversées par l’esprit, elles privent les membres de cet esprit.

  • 82 Aristote, De animalibus, V, (539a14) : Et debemus scire, quod quedam quadrupedia generant animalia  (...)

55Dans la physique aristotélicienne et galénique, la virtus de la chaleur est une force naturelle agent de changement. Pour étendre le propos à la force vitale d’autres animaux, Barthélemy énumère plusieurs autres « vertus », bien connues des auteurs médiévaux du XIIIe siècle qui ont lu Avicenne. Elles impulsent la vie, c’est-à-dire l’animation, aux divers règnes naturels : la vertu nutritive, en lien avec l’âme végétative, fait croître les plantes et les animaux ; la vertu générative opère chez les animaux et les humains, ainsi que chez les reptiles et les volatiles ; la vertu « ovulative » ou « ovative » est celle de la reproduction par les œufs et s’oppose au mode de reproduction des vivipares. La ponte des œufs est à l’œuvre chez les « animaux imparfaits », inachevés (infinita), que sont, dans la zoologie aristotélicienne, les insectes, c’est-à-dire les « annelés » : serpents, araignées, scorpions et animaux semblables, précise Barthélemy. Les animaux qui nagent (crabes, seiches, etc.) font aussi partie des animaux imparfaits et sont également pourvus de la « force ovulative » qui fait d’eux des ovipares, tout comme les volatiles et bipèdes – à l’exception de l’homme qui, lui, engendre directement des petits, ce qui en fait un animal parfait, achevé, dans la hiérarchie aristotélicienne du vivant. Cette dernière partie est directement tirée de l’Histoire des animaux d’Aristote82.

Sunt et alie virtutes quibus mediantibus operatur natura, ut virtus nutritiva seu pascitiva [passiva M] in vegetabilibus, et in animalibus est [ut add. M] virtus generativa, tam in bipedibus [vel hominibus : add. M] quam in quadrupedibus, et est virtus ovativa, tam in reptilibus quibusdam quam in volatilibus.
Sed de generativa et nutritiva, et aliis sibi subministrantibus, sufficienter superius dictum est lib. .iiii. de generatione hominis [et add. M] in lib. xviii. de generatione animalium in generali, et ideo de eis est supersedendum.
Virtus autem procreandi ova est in animalibus anulosi corporis, ut in serpentibus, araneis, scorpionibus, et similibus, et in natantibus, ut patet in cancris, sepiis et aliis infinitis, et
[in add. M] volatilibus, et in omnibus bipedibus, quia, ut dicit Aristoteles lib. V. : bipedia, inquit, non generant animalia preter hominem.

Il y a d’autres vertus par la médiation desquelles la nature opère, comme la vertu nutritive ou alimentaire [passive M] dans les plantes, et chez les animaux la vertu générative – aussi bien chez les bipèdes [ou les hommes M] que chez les quadrupèdes – et, tant chez certains reptiles que chez les volatiles, la vertu de reproduction par ovulation. Mais des vertus générative et nutritive et des autres qui en dérivent nous avons dit assez au livre 4, sur la génération de l’homme, au livre 18 sur la génération des animaux en général, et donc tout cela peut être passé.
La vertu de pondre des œufs existe chez les animaux à corps annelé comme
ceux qui serpentent, les araignées, les scorpions et autres animaux semblables, et chez les animaux qui nagent, comme on le voit chez les crabes, les seiches et autres animaux imparfaits, et chez les volatiles et tous les bipèdes car, comme le dit Aristote au livre V, les bipèdes – à part l’homme – n’engendrent pas de petits.

  • 83 Ed. J. K. Otte, Alfred of Sareshel’s Commentary on the Metheora of Aristotle. Critical Edition, Int (...)
  • 84 Glose d’Adam de Buckfield sur le texte d’Henri Aristippe pour le livre IV des Météorologiques : Mss (...)

56Le vocabulaire de cette section du livre XIX est teinté d’évidents accents scolastiques, avec des adjectifs suffixés en -ivus. La source principale du passage dont j’ai tiré des extraits est le livre IV des Météorologiques d’Aristote, complété par des textes de nature médicale relatifs aux effets de l’humidité dans les maladies. Il est probable qu’au début du chapitre sur la pourriture, on ait affaire, plutôt qu’à Aristote lui-même, à un commentaire ou à une glose sur les Météorologiques sous forme de commentaire du premier tiers du XIIIe siècle (Barthélemy y fait d’ailleurs référence dans un commentaire super LI Meteororum), mais il ne s’agit, d’après mes vérifications, ni de celui d’Alfred de Shareshill83, ni de celui d’Adam de Buckfield, ni de la « glose d’Oxford »84. Je soupçonne qu’il puisse s’agir de Robert Grosseteste, mais je n’ai pas poussé plus loin l’investigation.

3.3. La puce (DPR XVIII, c. 87, De pulice)85

  • 85 Ce passage a été étudié en rapport avec d’autres notices sur poux et puces dans I. Draelants, « Pou (...)

57Contrairement à d’autres notices sur certains insectes traduites d’une manière assez vague par Jean Corbechon, le chapitre sur la puce, très familière dans l’environnement médiéval, a suscité l’intérêt du traducteur : XVIII, c. 87, « De la puce », f. 318rb : « un petit ver qui fait moult d’ennuy aux gens ».

58La puce fut créée petite, dit Barthélemy, mais le tourment qu’elle inflige est d’autant plus grand. Elle constitue donc pour l’homme, quel que soit le prestige de ce dernier, une leçon permanente. La notice du DPR commence par une étymologie isidorienne qui la rapporte à la poussière. On passe ensuite aux caractéristiques physiques : la légèreté, la capacité de fuite par le saut, la sensibilité à la température car les puces sont ralenties par l’hiver. A la fin de la notice, un retour aux capacités de l’insecte ajoute que son saut est rapide et qu’elle pique davantage quand il fait chaud. Les modes de génération des insectes fascinent par leurs paradoxes. Ainsi, les puces naissent d’œufs, mais sans accouplement préalable observable, et se transforment au cours de la vie : d’abord blanches, elles deviennent noires. Le comportement typique de la puce est ensuite décrit : elle se nourrit du sang qu’elle suce par sa piqûre, et elle attaque ceux qui dorment, sans distinction puisqu’elle ose s’en prendre « même aux rois ». Barthélemy ajoute des mesures prophylactiques : l’absinthe et ses feuilles, les feuilles de pêcher ou l’odeur et la saveur de la coloquinte les éloignent.

  • 86 Isidore, Etymologies, XII, 15 : Pulices vero vocati sunt quod ex pulvere magis nutriantur.

Pulex vermis est modicus molestus hominibus maxime et infestus,
a pulvere dictus, eo quod a puluere potissime nutriatur,
ut dicit Isidorus lib. 1286.
Est autem vermiculus mire levitatis, non cursu sed veloci saltu pericula effugiens et evadens. Tempore frigido pigrescit vel deficit, estivo tempore insolescit. Quamvis autem non sit de animantibus quae procedunt per manifestam sexus commixtionem, multiplicat tamen suam speciem per ovationem, quia ova quedam in se gignit, ex quorum emissione unicus pulex multos producit.
Unde pulex albus quidem nascitur, sed quasi subito in nigredinem commutatur. Sanguinem appetit, et carnem cui insidet, terebrat et perfodit. Liquidiorem partem intercutanei humoris sugit, et in parte corporis, cui insidet, sugendo sanguinem rubicundum verstigium derelinquit. Dormire volentes acri morsu impetit, nec etiam regibus, si eorum carnes parvus pulex tetigerit, quin eos molestet, parcere consuevit.
Eis siquidem absinthium est venenum. Similiter et folia persicorum,
ut dicit Constantinus. Colocynthis valet contra pulices si trita et mixta fuerit cum aqua, per loca, ubi abundant pulices, aspergatur. Similiter folia absinthii, quia ut dicitur eorum odore et sapore moriuntur. Propter saltus velocitatem de facili non capiuntur.
In calore contra tempus pluviosum acrius mordet pulex
.
(éd. : 1105-1106)

La puce est un petit ver pénible surtout pour les hommes, et agressif, nommé à partir du mot ‘poussière’, en ce qu’elle se nourrit principalement de poussière, comme le dit Isidore dans le livre XII.
C’est aussi un petit ver d’une étonnante légèreté, qui fuit les dangers et s’évade non par la course, mais par un saut rapide. Par temps froid, elle ralentit ou meurt ; en été, elle reprend son insolence. Bien qu’elle ne fasse pas partie des êtres animés qui procèdent par une union manifeste des sexes, elle multiplie cependant son espèce par la ponte, parce qu’elle génère en elle des œufs, par l’émission desquels une seule puce en produit de nombreux.
La puce certes naît blanche, mais quasi immédiatement elle devient noire. Elle a soif de sang, et pique et transperce la chair sur laquelle elle s’installe. Elle suce la partie la plus liquide de l’humeur intercutanée et en pompant le sang, elle laisse une trace rouge sur la partie du corps sur laquelle elle s’installe. Ceux qui veulent dormir, elle les attaque par sa morsure cruelle. Même les rois, si une petite puce atteint leurs chairs, e
lle n’a pas l’habitude de leur épargner son harcèlement.
Pour elles, l’absinthe est vraiment un poison ; pareillement les feuilles de pêcher,
comme le dit Constantin.
La coloquinthe est efficace contre les puces si, après l’avoir broyée et mélangée d’eau, on en asperge les lieux où abondent les puces. Il en va de même avec les feuilles d’absinthe parce que, à ce qu’on dit, leurs odeur et saveur les font mourir.
A cause de la rapidité de leur saut, on ne les attrape pas facilement. Dans la chaleur, au contraire d’un temps pluvieux, la puce mord plus cruellement. 

59La notice de Barthélémy est très comparable à celle, plus brève, de l’Experimentator, dont les manuscrits subsistants ne conservent pas de référence aux sources :

Pulex dicitur, quod ex puluere nutriatur.
Homines dormire non permittit.
Quando macri sunt, acrius mordent.
Absinthium fugiunt, quia eius suco madefacti statim moriuntur
.
(Experimentator, Kurzfassung, VIII, 62).

On l’appelle puce, parce qu’elle se nourrit de poussière.
Elle ne permet pas que les hommes dorment.
Quand elles sont maigres, elles mordent plus vivement.
Elles fuient l’absinthe, parce qu’elles meurent aussitôt, une fois imprégnées de son jus.

3.4. La cincelle : DPR XII, 13, De culice87

  • 87 Le texte de l’édition, qui comprend de nombreuses erreurs typographiques et est surponctué, a été l (...)

60Parmi les insectes qui participent aux tourments infligés aux hommes, le moustique est un autre insecte très familier classé par Barthélemy parmi les « mouches », et que Jean Corbechon appelle « cincelle », « une manière de mouche » ; « une tres petite mouche » (ms. f. 172r). Cependant, la notice de Barthélemy concentre plusieurs espèces de petites mouches piquantes sous une même appellation de culices. Leur point commun est d’émerger de lieux putrides et de piquer.

61Comme pour la notice sur la puce, l’entrée en matière est une étymologie isidorienne qui fait dériver le nom du moustique (culex) de celui de l’aiguillon (aculeus). De l’aiguillon, on passe à la morphologie du moustique, dont ce tube est typique. Les moustiques ont un corps de « ver », mais ils sont aussi pourvus de pieds et ce sont des volatiles. Leur génération a lieu dans les vapeurs en putréfaction qui émanent des cadavres et des marécages. Leur comportement se caractérise par les battements d’ailes et la stridulation, ainsi que par leurs lieux de prédilection : ils aiment à rester sur les chairs mortes et les chevaux blessés, ils importunent les dormeurs en vrombissant, piquant, voletant la nuit. Ils sont lucipètes au point de se brûler à la lampe. Les hirondelles sont leur prédateur. A partir de là, Barthélemy indique divers synonymes qui lui permettent de passer à des espèces particulières assimilées aux moustiques : les culices, les scynipes (sciniphes), très petites mouches au redoutable aiguillon qui sont mentionnées comme plaies d’Egypte dans la Bible et chez Isidore.

  • 88 Il participait au séminaire organisé le 26 mars 2022 sur les insectes chez Barthélemy et Corbechon. (...)

62Le texte passe sans transition à la « mouche canine », déjà observée par Isidore, qui est de grande taille et a un ventre large ; elle se caractérise par un vol court et sa ténacité à se coller aux membres de sa victime. Elle s’insère dans les poils d’animaux, en particulier ceux des chiens, se nourrit de leur sang en provoquant ulcérations et irritations. A l’égard de cette description, j’ai bénéficié des lumières de Pierre Klein, entomologue nancéen88. D’après lui, il pourrait s’agir d’une hippobosque, une petite famille de diptères (mouches) ectoparasites dont la morphologie (aplatissement dorso-ventral), et quelquefois l’absence d’ailes, conduit facilement à des confusions avec les tiques. Mais comme tous les insectes, les hippobosques ont six et non huit pattes. Il s’agit bien d’une mouche qui vole à certains stades de son existence, ce qui renforce l’impression que l’on a affaire à une « tique volante ». Une espèce (Hippobosca capensis) s’attaque plus particulièrement au chien domestique. La localisation des attaques au niveau des oreilles, difficiles d’accès pour le chien, constitue un lieu idéal car chaud, humide et richement vascularisé. Il existe une hippobosque canine et une hippobosque équine. L’insecte s’attaque aussi aux oiseaux.

63La notice se termine sur une notion qui couvre probablement tous les moustiques : ils sont répugnants (fetidae) car ils se nourrissent de l’humidité pourrissante.

Culex est musca modica ab aculeo dicta, eo quod sanguinem sugit.
Habet enim in ore fistulam ad modum stimuli, qua carnem terebrat ut sanguinem bibat, ut dicit Isidorus.
Reputatur autem inter volatilia sicut et apis, cum tamen corpus habeat vermis plures pedes habentis, eo quod alas habeat quibus volat.
Generatur autem ex vaporibus putridis de cadaveribus ac corruptis locis palustribus generatis. Ex continua alarum replicata repercussione in aere strepitum generat et quasi stridet.
Super cadavera et ulcera libenter residet,
equis etiam ulcerosis valde nocet,
strepitu et morsu dormientes infestat et a requie eos arcet.
De nocte maxime circumvolat et membra, quibus insidet, terebrat atque mordet.
Lucipeta est, quia lumen libenter videt, unde minus caute in candelam vel ignem irruens, se ob aviditatem luminis videndi comburere sepe solet. Hirundinibus pascentibus summe valet; culices enim in aere volitantes ab hirundinibus, que venantur muscas in
aere, preda gratissima reputantur.
Dicuntur autem culices scynipes, i.e. muscae minutissimae, sed aculeis permolestae, kunè [ms. Metz, BM, 272, f. 100r : cynes] enim graece, musca dicitur latine, unde et dicitur kunomèa [ms. Metz : cinomia], musca canina, et huiusmodi muscis terra Aegyptiorum percussa est ut dicit Isidorus.
Est autem kunomèa genus pessimum muscarum, magni corporis et lati ventris, respectu muscarum aliarum, et parvi volatus, sed magnae tenacitatis et adhaerentiae in membris animantium, in quibus insidet.
In villis enim et pilis animalium et maxime canum se immergit, et ibi se occultans, sugit sanguinem atque bibit in tantum, quod carnem ulcerat et corrodit, ut patet in antiquorum canum auribus, quas corrodunt et ulcerant tales muscae.
Unde non est mirum si tales muscae sint multum foetidae, quae ex tam foetidis et corruptis humoribus sint nutritae
.
(éd. : 532-533)

Le moustique est une petite mouche nommée à partir du mot ‘aiguillon’, parce qu’il suce le sang. En effet, il a dans la bouche un tube en forme d’aiguillon, par lequel il troue la peau pour en boire le sang, comme le dit Isidore [Etym., XII, 5, 13].
Il est compté parmi les animaux qui volent, comme l’abeille, bien qu’il ait un corps de ver pourvu de plusieurs pattes, parce qu’il a des ailes avec lesquelles il vole.
Il naît de vapeurs putrides provenant de cadavres et de celles générées dans les lieux marécageux corrompus.
Il produit un bruit par le battement
répété de ses ailes dans l’air et quasiment stridule.
Il reste volontiers sur les cadavres et les plaies. Il fait grand mal aussi aux chevaux blessés. Il harcèle les dormeurs par son vrombissement et sa morsure et les prive de repos.
Il volète surtout la nuit et il transperce et mord les membres sur lesquels il se pose.
Il est lucipète, parce qu’il aime voir la lumière ; d’où il s’ensuit que, se précipitant imprudemment sur la chandelle ou le feu, il arrive souvent qu’il se brûle suite à son avidité à voir la lumière.
Il est une nourriture de choix pour les hirondelles ; en effet, les moustiques voletant dans l’air passent pour être une proie très attirante pour les hirondelles qui chassent les mouches.
Et ces moustiques sont appelées scymphées, ce sont de très petites mouches, mais insupportables par leurs aiguillons.
On dit kunè en grec, « mouches » en latin, d’où on dit ‘cynomie’, ‘mouche canine’, et comme le dit Isidore, la terre des Egyptiens a été frappée par des mouches de cette sorte.
La cinomia est le pire genre de mouches au grand corps et au large ventre, par rapport aux autres mouches, et au vol rare, mais d’une grande ténacité et adhérence aux membres des animaux sur lesquels elle se pose.
Elle se plonge en effet dans la fourrure et les poils d’animaux et surtout des chiens, et se cachant là, elle suce le sang et en boit, à tel point qu’elle blesse la chair et la ronge, comme on le voit dans les oreilles des vieux chiens, que de telles mouches rongent et blessent.
Pour cette raison, il n’est pas étonnant si de telles mouches, qui sont nourries d’humeurs aussi puantes et corrompues, soient dégoûtantes.

3.5. L’araignée : DPR, XVIII, c. 10, De aranea89, Corbechon XVIII, c. 9, Araigne

  • 89 L’édition de Francfort peut être amendée, comme précédemment, grâce au ms. Paris, BnF, lat. 16099, (...)
  • 90 Sur les légendes liées à la distinction φάλαγξ/ἀράχνη, voir S. Ballestra-Puech, « L’araignée, le lé (...)

64Les arachnides, dotés de huit pattes, ne font pas partie aujourd’hui, par définition, des Hexapodes que sont les insectes. Mais pour Barthélemy comme pour son traducteur Jean Corbechon, l’araignée est un « ver », parmi les plus remarquables car son comportement peut être rapporté à celui des hommes. Le long chapitre qui lui est consacré dans le DPR (XVIII, c. 10, traduit ci-dessous), est relayé par Corbechon (ms. cité, f. 295v-296v). Il amalgame un grand nombre d’espèces d’araignées en s’inspirant directement des observations qu’avait faites Aristote (HA IX, 26) et commence par l’araignée nommée « phalange », à laquelle Aristote consacre des développements. Or, φαλάγγιον peut se rapporter à toutes sortes d’araignées venimeuses du genre Latrodectus90.

65Ce chapitre n’est pas le seul que Barthélemy consacre à l’araignée. Il revient également sur son combat avec le crapaud dans le chapitre consacré au bufo (XVIII, c. 116, De aranea et buffone). Il en décrit par ailleurs les œufs au livre XIX, c. 79, De ovis aranearum (éd. Frankfurt, p. 1212), qui renvoie au chapitre 10 du livre XVIII examiné ci-dessous. Les œufs d’araignées, multipares, sont nombreux, petits, clairs (bleuâtres), à taches, séparés, vénéneux, mous, visqueux, dit Barthélemy, qui indique aussi qu’à partir d’un seul œuf, beaucoup de petits éclosent. Ceux-ci sont matures immédiatement et peuvent déjà dévider du fil. Barthélemy souligne aussi le sens maternel de l’araignée, qui ramène de son « bec » (rostro) ses œufs à l’intérieur de ses appendices (suis additamentis interioribus).

66 Comme Isidore, et l’Experimentator qui s’en inspire, Barthélemy classe l’araignée parmi les « vers d’air ». Dotée d’un petit corps mais dévidant un long fil dans une grande toile soumise au vent et à la pluie, elle est l’objet d’étonnement et de merveille par paradoxe (comme l’évoque le mythe d’Arachné dans les Métamorphoses d’Ovide). Pour la morphologie, Barthélemy s’appuie sur Avicenne, qui dit qu’il s’agit d’un petit animal parmi les rampants et, à l’intérieur de ce groupe, des animaux dotés de multiples pattes qui, pour l’équilibre, vont par paires. Elle en a « six ou huit » : le chiffre huit n’est donc pas un critère de reconnaissance du genre arachnide. Dans une perspective instrumentale, ses pattes sont aussi plus longues ou plus courtes en fonction des tâches différentes qu’elle peut exécuter sur le fil.

67C’est tout le chapitre de l’Histoire des animaux IX, 26 d’Aristote qui prend le relais pour distinguer des types d’araignées et décrire leur comportement : l’araignée a le sens du toucher, ce qui la distingue d’autres annelés. En effet, elle perçoit le mouvement des mouches, ses proies, et vit de cette habile chasse : elle se précipite sur la proie, la tue, l’enferme dans ses fils, se nourrit de ses sucs. Le sens du goût est mis en comparaison avec l’attirance du miel pour l’abeille. Or, à la même époque, Albert le Grand prétend le contraire en s’opposant à Origène :

Omnia [anulosa] autem haec et huiusmodi omnes videntur habere sensus: quoniam tactum habent debilem inter plura animalia et debiliorem quam sanguinem habentia. Et ideo mentitur Origenes dicens araneam in tactu excellere.

  • 91 Voir aussi Francesco Santi, « Il senso del ragno. Sitemi a confronto », Micrologus, X, 2002, p. 147 (...)

Tous ces [annelés], et ceux du même genre, semblent tous posséder les sens, car ils ont un sens du toucher faible parmi de nombreux animaux, et plus faible que les animaux qui ont du sang. Ainsi Origène ment en disant qu’une araignée excelle dans le toucher. »)91.
De animalibus, XXI, tr. 1, c. 7 (éd. H. Stadler, 2 vol., Münster in W., 1916-1920 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, 15-16) : 1346).

68C’est encore Aristote, mais aussi l’Experimentator, qui procurent les informations sur le comportement sexuel de l’araignée. On distingue mâle et femelle par la taille supérieure de cette dernière, qui est dotée de pattes plus longues, plus flexibles, plus habiles à tisser. Elle attire à elle le mâle par ses fils, et vice-versa. L’accouplement a lieu au début de l’été et surtout à la fin du printemps, parfois à l’automne et au début de l’hiver, moment où les araignées sont plus nocives. Pour ce faire, le mâle se place sur le ventre très rond de la femelle.

69Viennent ensuite certaines caractéristiques typologiques héritées d’Aristote, où l’on peut distinguer divers arachnides principalement par leur aspect, leur toile et leur piqûre. Certaines araignées fines sont petites et de diverses couleurs ; elles sont rapides, contrairement aux grandes et noires à longues pattes, qui, sauf pendant l’accouplement, sont plus lentes. Les noires tissent près du sol dans des trous et, campées sur leurs toiles, y attendent leurs proies (petites bêtes et mouches) pour sucer leur suc. Elles font des réserves de chasse en prévision de moment où elles auront faim et, quand l’humidité que procurent les proies s’assèche, elles retournent chasser. Ces grandes travailleuses réparent leurs toiles après le coucher du soleil ou peu avant son lever et font preuve de coopération entre mâle et femelle pour la chasse et le tissage, ou de ruse pour se dissimuler des bestioles qu’elles visent. De la ponte des œufs naissent de petites araignées qui sont aussitôt posées sur la toile, où elles tisseront et chasseront aussitôt avec de bons filets, comme si elles l’avaient déjà appris dans la matrice !

  • 92 Remarque le 12 juin 2023.

70D’autres araignées chassent de petits lézards et tissent autour de leur corps pour les immobiliser avant de sauter sur eux et de les piquer jusqu’à la mort. Cette propriété se trouve tant chez Aristote qu’Avicenne. D’après Pierre Klein92, la description de ce comportement est évocatrice des Latrodectus (famille des Theridiidae) dont une espèce est présente dans le Sud de la France, en particulier Latrodectus tredecemguttatus. On rencontre le genre plutôt dans le Sud de l’Europe et tout autour du bassin méditerranéen. La bestiole n’hésite pas à attaquer de gros insectes (coléoptères, grillons...) voire de petits vertébrés, par exemple de très jeunes lézards. La morsure de Latrodectus tredecemguttatus chez l’homme est parfois très douloureuse et peut provoquer des réactions assez fortes, sans pour autant aller jusqu’à la mort.

71D’autres araignées corrompent le miel des abeilles et endommagent les rayons, dans lesquels elles tissent des toiles, ajoute Barthélemy. D’après Pierre Klein, il s’agirait probablement de Galleria mellonella, dont la larve dévore le miel, mais son apparence n’est pas du tout celle d’une araignée  plutôt d’un asticot. Il s’agit d’un lépidoptère de la famille des Pyralidae. Sinon, plus proche morphologiquement de l’araignée, il pourrait s’agir d’un diptère parasite des abeilles, Braula coeca, mais qu’il est très difficile de le repérer car il mesure entre 1 et 1,5 mm et ce sont ses larves encore plus petites qui portent préjudice aux réserves. L’insecte adulte se limite, pour sa part, à provoquer la régurgitation du miel en se fixant sur la tête de l’abeille qu’il parasite.

72Pline et Avicenne fournissent à Barthélemy d’autres « natures » d’araignées dignes d’admiration. Ainsi la phalange au petit corps, rapide au saut et à la morsure toxique. D’après Pierre Klein, plusieurs candidates dont les morsures sont douloureuses répondent à la description : Latrodectus tredecemguttatusSteatoda paykulliana (qui a globalement le même comportement que L. tredecemguttatus mais est peut-être un peu moins gourmande). Cependant, l’importance accordée au saut fait plutôt penser à Segestria florentina qui, à la différence des deux précédentes, se rencontre parfois dans les habitations et est aussi très agressive, surtout en période de reproduction et de veille du cocon dans lequel se trouvent les jeunes à naître.

73Une autre araignée, noire, est de plus grand corps et a les pattes plus longues, dit Barthélemy, elle tisse des cachettes au ras de la terre. Une autre encore fabrique des toiles très sophistiquées. A ce propos, une controverse a opposé Démocrite à Aristote : comment expliquer que la matière du fil produit soit toujours suffisante et semble inépuisable ? Les araignées mangent peu et sont de petite taille et par conséquent ont peu de sang et de chaleur. Ce serait donc en quelque sorte en compensation qu’elles produiraient davantage que la quantité de nourriture ingérée. L’erreur de Démocrite est de penser que la matière du fil est un excrément. Barthélemy invoque à cet égard les autorités d’Aristote [HA IX, 39, 623a33] et d’Albert le Grand, très rarement mentionné dans le DPR. Le fait est aussi relayé par Pline [HN XI, 79-81].

74Le savant mode de tissage a suscité l’admiration de Pline, autorité qui prend le relais dans un passage assez complexe. La toile est le résultat d’un nouage expert et géométrique, dont les nœuds sont invisibles à l’œil humain. L’animal léger semble y voler. Il le répare constamment à partir du centre, du moins si les fils extrêmes ont subsisté. Les toiles, qui sont tendues entre les jeunes pousses de vigne, les bourgeons ou les fleurs des arbres, servent aussi à la divination, tout comme le nombre des araignées : leur multitude est signe de grande pluie. Bizarrement, au lieu de regrouper thématiquement l’information, Barthélemy interrompt la question de la toile pour y revenir quelques lignes plus bas en citant Aristote, sans sembler remarquer que son témoignage avait inspiré celui de Pline. Pour raison de la finesse de la toile, le Stagirite donnait la volonté chez l’araignée de passer inaperçue des autres bestioles et des mouches. Cet ouvrage, dit-il, exige beaucoup de travail, mais il peut résister à de nombreux assauts, hormis celui du feu et du vent. Il n’est pas vénéneux ; d’ailleurs, Dioscoride a montré que la toile propre, blanche et dépourvue de poussière était utile en médecine pour nettoyer les plaies purulentes par son effet astringent, réfrigérant, cicatrisant, assainissant, qui peut aussi protéger des enflures.

  • 93 Albert le Grand, De animalibus, XII, tr. 2, c. 1, éd. Stadler : 1372. 

75Entre ces deux autorités alléguées à propos de la toile, les autorités de Pline, Dioscoride, Avicenne et Macer sont conjuguées pour aborder la morsure, dite « mortifère et venimeuse », de la redoutable phalange, qu’on peut soulager par le plantain. Tous disent que la bestiole est crainte par les autres « vers », comme les lézards et les batraciens, ce qui renvoie au chapitre qui traite de son combat avec le crapaud. D’après Pierre Klein, en l’absence de précisions sur l’habitat ou le comportement, il est possible d’incriminer Latrodectus tredecemguttatus, Steatoda paykulliana, Segestria florentina, voire Cheiracanthium punctorium dont la morsure peut rester très cuisante pendant plusieurs jours. Mais là encore, la littérature ne recense aucun cas mortel du fait de la morsure de l'une ou l’autre de ces bestioles. On notera qu’Albert le Grand indique que les cerfs mangent des crabes en guise d’automédication comme remède à la morsure de phalange93.

76À partir des dires de Pline suit un nouveau paragraphe sur les propriétés de la phalange, qui vit près des fours et des meules. Elle est semblable à la fourmi mais d’un corps plus long, noir à points blancs, avec une tête rouge. Sa piqûre est pire que celle de la vipère ; on la soigne en faisant voir l’araignée à la victime. La poudre confectionnée à partir de phalange séchée guérit la morsure de la belette. D’après Pierre Klein, la description physique de la bestiole, la violence du venin et la mention du four qui suggère les constructions qu’elle réalise, orientent plutôt vers Segestria florentina.

  • 94 En traduisant cette affirmation, Corbechon a fait un contresens.

77Un autre genre d’araignée a une grosse tête et est velue (lanuginosum). Sa piqûre est si venimeuse qu’elle fait chanceler et vomir et qu'elle brouille la vue94. D’après Pierre Klein, la description physique fait penser à Cheiracanthium punctorium ; le mâle est armé de chélicères impressionnantes qui lui confèrent une « tête » volumineuse, mais cette espèce n’est pas velue. On peut donc supposer un amalgame avec une autre espèce. C’est en effet ce qui s’est passé : le passage étant tiré du même extrait de Pline, qui mentionnait d’autres types d’araignées, Barthélemy a sauté de la phalange velue à grosse tête, appelée « loup » par les Grecs d’après Pline, à l’astérion semblable à la « rhagion » (qui elle ressemble à un grain de raisin noir) mais dotée de raies blanches et dont la piqûre fait trembler les genoux.

78La suite est tirée de la même séquence de l’Histoire naturelle. Elle porte sur le mirmicaleon, mirmiceaon ou formicaleon, auquel E. Kuhry consacre tout un article dans le présent volume. Ici nous n’avons pas affaire, comme c’est parfois le cas, à une formation littéraire à partir d’une mauvaise traduction de la Bible pour le mirmicoleon, mais au véritable fourmilion, un insecte névroptère de la famille Myrmeleontidae, à la technique de chasse très particulière. Sa larve creuse un entonnoir dans le sable et se nourrit des fourmis qui y tombent. Lorsqu’elle détecte le passage d’une fourmi, elle la bombarde de grains de sable jusqu’à ce que celle-ci tombe au fond et la dévore. L’insecte adulte ressemble à une libellule. Cependant, au début du chapitre, il est comparé à la fourmi, avec une tête blanche et un corps noir constellé de taches blanches assez distinctes les unes les autres. Sa morsure tourmente par une douleur cuisante semblable à celle qu’infligent les guêpes. Il chasse les fourmis « comme le lion » et suce leur humeur. Il a pour prédateurs, « tout comme la fourmi », les passereaux et les autres oiseaux (en effet, les larves du fourmilion sont mangées par les oiseaux).

79Le chapitre s’achève sur des remèdes contre les morsures d’araignées, tous tirés de Pline : la cervelle de coq mêlée à du poivre fin et bu dans du vin doux, la présure d’agneau, la cendre d’ongle de bélier prise avec du miel, des mouches écrasées déposées sur la morsure pour retirer le venin et calmer la douleur. Pour d’autres remèdes encore, Barthélemy renvoie à Pline, non sans indiquer qu’une araignée longue et blanche aux fines pattes, écrasée dans de la vieille huile, peut traiter la macula oculaire. Pline donne en effet une liste de toutes sortes d’autres traitements à base d’araignées ou de toiles d’araignées, accompagnés de rites magiques que Barthélemy passe sous silence.

80Voici le texte latin avec les références aux sources, suivi de la traduction :

  • 95 Cf. Experimentator, Fassung I, c. 63, De aranea, éd. Deus, 1998, p. 256-257, dans les mêmes termes.
  • 96 Le passage ne se trouve pas dans l’Abbreviatio de animalibus d’Avicenne. Il y a quelque chose d’app (...)

Aranea, ut dicit Isidorus liber 12, vermis est aeris ab aeris nutrimento nominata, quae exiguo corpore longa fila deducit, et telae semper intenta, nunquam desinit a labore, perpetuum sustinet in suo opere dispendium [Etym. XII, 5, 2]95, quia saepe ad modicum flatum venti aut pluvie stillicidium rumpitur tela sua, et tunc totaliter prodit [ms. BnF, lat. 16099, f. 184ra : perdit] laborem suum.
Dicit autem Avicenna quod aranea est modicum animal, reptile, multipes, sex vel octo habens pedes, quos semper habet pares et nunquam impares, et hoc fuit necesse, ut semper esset eius incessus equus, sicut et ipsum onus, et hoc est generale in habentibus duos vel plures pedes.
Habet autem aliquos pedes longiores et quosdam breviores, propter diversas quas facit operationes
96.
Nam cum quibusdam fila sua subtiliat, et in longum protrahit, cum quibusdam vero pariter fila nectit, cum quibusdam vero per fila repit, et quando vult, in telae superficie immobiliter se suspendit.

  • 97 Aristote, De animalibus, I, c. 2 (488a15) : Et quedam aves (…) sicut apes et genus aranee. Nam gust (...)
  • 98 Aristoteles, De anim. V, 2 (542a12) Modi vero aranearum cum voluerint coire, mulier attrahit marem (...)
  • 99 Cf. Experimentator, Fassung I, c. 63 (suite, 7).

Maxime autem inter animalia anulosi corporis viget in aranea sensus tactus. Unde residens in telae suae medio, subito sentit muscam telam in parte remotissima contingentem, quam subito invadit, et aggreditur tanquam hostem, de qua si triumphare potuerit, eam, ne evadat, inter telae suae fila multipliciter circumvoluit,
et primo capiti insidens eius humiditatem sugit, et de tali muscarum venatione vivit, nam eius gustabile proprie est talis humor, sicut gustabile apis est mel,
sicut dicit idem Aristoteles [HA V, 488a15]97.
Item in genere aranearum est divers<it>as sexus, ut dicit Aristoteles lib. 5. Et est femina maioris corporis quam masculus et pedes habet longiores, flexibiliores et habiliores ad motum et etiam ad texturam.
Et sicut dicit idem lib. 5 [Arist., De anim. V, 8 (542a12-b1)], Tempore coitus et amoris femina attrahit marem per fila telae ; et post masculus feminam. Et non cessabit attractio, donec coniungantur. Et masculus ponitur super ventrem feminae. Et iste modum est eius necessarius propter ventris rotunditatem98.
Et ista coniunctio maxime est in fine veris et in principio estatis et aliquando in autumno et in principio hyemis ; et tunc maxime sunt nocive et earum puncture amplius venenose99.

  • 100 Aristoteles, De anim. VIII, 7 (623a2).
  • 101 Cf. Experimentator, Fassung I, (suite 8), avec moins de détails.
  • 102 Pline mentionne ce partage des tâches : HN XI, 84. Pour l’ensemble du passage, comparer avec Avicen (...)
  • 103 Cf. Avicenne, Abbreviatio de animalibus, c. De naturis apium (f. 18r) : Et aliter corrumperetur mel (...)
  • 104 Avicenne, Abbrev. de animalibus IX, cap. Capitulum de naturis uolatilium, & maxime quae rapina uiuu (...)

Item Aristoteles lib. 8 [Arist. De anim. VIII, 7 (622b28)]100 : Genera arenearum sunt multa,
nam quedam sunt parve et diversi coloris, et sunt acute, et velocis motus,
alie sunt maiores, et colore nigre, et earum crura anteriora sunt longiora, et sunt tardioris motus, nisi quando coitu stimulantur,
et nigre solent texere iuxta terram inter foramina
(623a2),
et manens in textura sua, quousque aliqua inciderit bestiola sicut musca quam deprehendunt,
et si habent famem sugunt eius humiditatem
(623a8-26),
et tunc deferunt ad locum suum, ubi deponunt et reservant eam, donec iterum esuriam patiantur, et quando totam hauserit humiditatem, deiicit residuum,
et revertitur ad venandum,
et non venatur, quousque reparet quod ruptum est de textura,
et si quis rumperit texturam, incipiet ipsam reparare circa occasum solis, vel circa ortum, et tunc maxime laborat, quia tunc plures bestiole incidunt in texturam
101.
Et femina parit et venatur, et masculus iuvat eam102.
Abscondit autem se in textura, vel sub tela, ne a bestiolis videatur, et maxime quando est magna, quia propter eius magnitudinem non de facili operitur [De anim. VIII, 7 (623a)].
Facit etiam femina ova primo ex quibus modice aranee post formantur. Et statim quando pariuntur ponit eas in textura, et statim se movent et disponunt ad texendum, [De anim. 556a2] ac si in utero materno sint instructae ad venandum, unde statim aptant retia convenientia prede sue. [De anim. V, 8 (623a-b)]
Et est species quedam aranearum, que venantur lacertum parvum. Et incipit texere super ipsum, quousque liget eius orificium ligatione forti, et tunc saltat super eum, et pungit quusque moriatur.
Item in eodem etiam dicit idem, quod sepe inveniuntur quedam aranee in alvearibus apum. Et ille corrupunt mel et sugunt liquorem et sic circa favos faciunt texturas et corrumpunt eos
103.
Item dicit Avicenna et Plinius de generatione aranearum lib. 11, cap. 25. [HN XI, 79-81 (28)] Aranearum natura precipua admiratione est digna, cuius plura sunt genera, inter que est quedam, que dicitur spalangio, cuius corpus est exiguum, varium acuminatum, velox ad saltum, noxium habens morsum.
Alia est species maioris corporis et nigri coloris et cruris longioris, cavernas sibi texens in angulis iuxta terram.
Tertia est species que erudita compositione conspicuas texit telas.
Admirandum est tamen, qualiter tanto operi sufficiat materia lanigera, que de aranee utero ad tantae telae texturam paulatim, ut creditur, extrahitur, et tamen eius uterus vix a tali materia vacuus invenitur
104.
Nec videtur esse verum quod dixit Democritus, quod tanta esset ventris araneae corruptela, ut ex eius egestione tanta fertilitas lanifera generetur, unde et Democritum reprobat Aristoteles lib. 8 quod dicit eum in hoc veritatem non dixisse [HA IX, 39, 623a33]. Cuius videtur esse ratio, quia araneae et alia huiusmodi anulosa modici sunt nutrimenti, et parvi cibi, propter defectum sanguinis et caloris,
unde cum aranea non tantum cibi capiat, quin incomparabiliter ad preparationem telae continue plus emittat, maior esset superflui emissio quam cibi sumptio, et maior est egestio superflua, quam digestio necessaria ad conservationem debitam animalis,
ut dicit Aristoteles [HA VIII, 6] et Alber<tus> [De animalibus VIII, tr. 4, in quo agitur de astutia et operibus anulosorum, c. 1, De operibus formicarum et aranearum, éd. Stadler : 629-630, § 138].

  • 105 A comprendre en un mot comme chez Pline (acc. plur.) et pas en deux mots comme dans l’éd. Frankfurt (...)
  • 106 Il y a pour ainsi dire deux explications successives du même tissage (probablement tirées de deux s (...)
  • 107 Je n’ai pas pu identifier le passage.

Item Plinius dicit [suite HN XI, 79-81], Moderato ungue rotundum et teres educit filum, et miro artificio deducit stamina ab imo ad supremum, et iterum deducit [ms. f. 184ra : reducit] transversaliter de puncto ad punctum lineari [add. equi ms.] distantia filum suum, et omnes lineares tractus, quasi in punctuali medio, in equali distantia a centro copulat et connectit, deducto autem stamine, ut ibidem dicit Plinius, textere incipit a medio circuato [ms. f. 184va, in marg. : vel circinato] orbe adnectens subtegmina105 et maculas adnectens semper et quasi reticulariter per paria intervalla, que inter valliculata foramina miro artificio sunt, nunc quadrata, nunc oblonga, nunc rotunda tanto strictiora quando sunt viciniora medio, et tanto latiora quanto remotiora sunt extremo106. Quo autem medio filum filo tam indissolubiliter iungat et nodum nodo applicet et connectat, visus non indicat et rationis iudicium vix affirmat.
Mira autem levitate per fila sua, que humanis visibus vix sunt pervia, se elevat, et quasi volet, hinc inde se transferens, locum mutat.
Item dicit idem, quod quamdiu extrema tele fila durant, si casu aliquo rumpatur ipsa tela, semper a medio incipit resarcire quod ruptum est, quasi nihil iudicans in corpore tele esse integrum, quamdiu medium non est firmum.
Item
dicit idem [HN XI, 84], quos in eis sunt auguria, nam secundum quod tempora sunt futura, altius vel sublimius [ms. 16099, f. 184vb : submissius] solent componere fila sua.
Item ibidem dicitur, quod multitudo aranearum signum est inundationis pluviarum.
Item l
ib. 14 cap. 3 de laesione ficuum [ms. 16099, f. 184vb : vitium] dicit107, quod aranee quedam circa germina vinearum, et etiam flosculos arborum faciunt texturas, ex quarum circumvolutione pereunt arbores et vinee, quando sunt in germine vel in flore.
Morsus spalangionis est mortiferus et venenosus, nisi ei citius succurratur.
Sed eius venenum extinguit vis plantaginis, si debito modo apponatur,
et ideo vermes alii ut lacertae et batraces puncturam aranee formidantes, succo plantaginis se tuentur, ut dicit
Plinius, Dioscor<ides> et Avicen<na>. in cap. de venenis et Mac<er>.

  • 108 Comparer avec l’Experimentator, Fassung 1 (2).

Aranearum autem tela, ut dicit Aristoteles [623a26] et Plinius ex earum visceribus quodammodo nature artificio generatur, subtilissima compositione contexitur more retis componitur et paratur, filis subtilissimis connectitur et hoc ne a muscis et aliis bestiolis quibus tenditur propter grossiciem videatur.
Cum labore quidem componitur, sed miro modo non faciliter dissipatur, ignem non sustinent, ventum timent, cuius impetu tela rumpitur et subito denudatur
[ms. denodatur]. [HN XI, 84]
Et quamvis venenosa sit aranea, de cuius egreditur visceribus tela venenosa non est, quoniam multis usibus medicine utilis reputatur.
Nam
ut dicit Dioscorides Tela aranearum alba et munda, pulverulentis sordibus non admixta vires habet constringentes, conglutinantes et refrigerantes, ideo sanguinem restringit a vulnere defluentem, superposita vulneri prohibet fieri saniem, et sanat plagam recentem, et prohibet inflaturam, sanitatem vulneris retardantem108.

  • 109 On remarquera les différences marquantes avec le texte de Pline, qui a dû être transmis corrompu (à (...)

Est autem genus aranee quam spalanam vocant, ut dicit Plinius lib. 29 cap. 4 [HN XXIV, 84] et est hec aranea similis formicae, sed longe maior corpore, rufum habens caput, reliquum corporis nigri est coloris, respersum albis guttulis, acerbior est eius ictus quam vipere.
Vivit autem iuxta furnos et molas, cuius contra ictum est remedium, aliam eius generis ostendere sic percusso, et ad hoc conservantur, cum mortue inveniuntur, quarum cortices contriti et potati, medentur morsui mustele
109.
Est autem aliud genus lanuginosum grosso capite, et dolor puncture eius sicut scorpionis, et eius morsu genua labefactantur, et accidit caligo et vomitus. [HN XXIV, 85]

Est etiam aliud genus aranee nomine mirmicaleon sive mirmiceon, quod alio nomine dicitur formicaleon, formice similis capite albo, habens nigrum corpus, distinctum maculis albis, cuius morsus vesparum dolore torquet. [HN XXIV, 87]
Et dicitur formicaleon, quia formicas venatur ut leo, et earum sugunt humiditatem, sed a passeribus devorantur et ab aliis avibus ut formica.

Remedium autem contra morsus omnium aranearum est cerebrum galliceum cum exiguo piperis bibitum cum vino dulci.
Item coagulum agni potatum cum vino sanat morsus aranearum.
Item fecit cinis ungulae arietine cum melle.
Item musce contrite et posite super morsum, extrahunt venenum et mitigant dolorem
. [HN XXIX, 88]
Sunt et alia remedia que enumerat, sed hec sufficiant.

Dicit tamen lib. eodem cap. 6 [HN XXI, 132] aranea longa et candida, tenues habens pedes, contrita in veteri oleo dicitur solvere albuginem oculorum, etc.
(éd. Frankfurt : 1009-1011).

L’araignée, comme le dit Isidore au livre 12, est un ver aérien, nommé en raison de sa nourriture d’air, qui d’un petit corps étire de longs fils et, toujours appliquée à la toile, ne cesse jamais son travail, soutient une perte continue dans son ouvrage, parce que souvent sa toile est rompue par un petit souffle de vent ou des gouttes de pluie, et alors elle perd totalement son travail.
Avicenne dit aussi que l’araignée est un petit animal rampant aux multiples pieds, qui a six ou huit pieds, qu’elle a toujours par paires et jamais (en nombre) impair, et ceci fut nécessaire pour que son allure soit toujours égale, comme l’est aussi son fardeau, et ceci est général chez ceux qui ont deux ou plusieurs pieds, mais elle a certaines pattes plus longues, et certaines plus courtes, en raison des activités différentes qu’elle effectue. En effet, avec certaines (pattes) elle affine et étire ses fils, mais avec certaines de même elle noue les fils, avec d’autres elle rampe à travers les fils. Quand elle veut, elle se suspend d’une manière immobile à la surface de la toile.

Mais, parmi les animaux annelés, chez l’araignée le sens du toucher est particulièrement développé. En conséquence, en restant au milieu de sa toile, dès qu’elle sent une mouche touchant la toile dans une partie très éloignée, elle l’assaille aussitôt et l’agresse comme un ennemi. Si elle peut triompher de cette mouche, pour qu’elle ne s’enfuie pas, elle l’entoure de multiples fois des fils de sa toile et, se fixant d’abord sur sa tête, elle suce son humidité.
Elle vit de cette chasse de mouches. En effet, une telle humeur est spécialement appréciée d’elle, comme le miel est du goût de l’abeille,
comme le dit Aristote.

De même, dans le genre des araignées, il y a diversité des sexes, comme le dit Aristote au livre V. La femelle est d’un plus grand corps que le mâle et a des pattes plus longues, plus souples et plus habiles au mouvement et aussi au tissage.
Comme le dit le même au livre V, à la saison de l’accouplement et de l’amour, la femelle attire le mâle par les fils de la toile, et après le mâle attire la femelle. L’attraction ne cessera pas jusqu’à ce qu’ils s’accouplent : le mâle se pose sur le ventre de la femelle ; cette façon de faire lui est nécessaire à cause de la rondeur de (son) ventre. Cet accouplement a surtout lieu à la fin du printemps et au début de l’été, parfois en automne et au début de l’hiver ; alors (les araignées) sont le plus nuisibles et leurs piqûres plus vénéneuses.

  • 110 « entre les trous » est bizarre : les araignées fouisseuses font des trous dans la terre, comme des (...)

De même Aristote au livre VIII. Il y a de nombreux genres d’araignées. En effet, certaines sont petites et de couleurs diverses et sont fines et d’un mouvement rapide, d’autres sont plus grandes et de couleur noire et leurs pattes antérieures sont plus longues, elles sont d’un mouvement plus lent, sauf lorsqu’elles sont stimulées par l’accouplement. Les noires ont l’habitude de tisser près de la terre (au niveau du sol) entre les trous110. Elles demeurent dans leur toile jusqu’à ce que quelque bestiole comme une mouche (y) tombe, qu’elles attrapent ; si elles ont faim, elles sucent son humidité et alors la rapportent à sa place [initiale, là où l’araignée se trouvait], ou elles la déposent et la réservent jusqu’à ce qu’elles ressentent à nouveau la faim. Quand (l’araignée en) a tiré toute l’humeur, elle se débarrasse du reste et retourne à la chasse. Elle ne chasse pas jusqu’à ce qu’elle ait réparé ce qui est rompu de sa toile ; si quelqu’un a rompu la toile, elle commence à la réparer vers le coucher du soleil ou vers son lever, et c’est surtout alors qu’elle travaille, car c’est à ce moment que de nombreuses petites bêtes tombent dans la toile. C’est la femelle qui engendre et chasse et le mâle l’aide.
Mais elle se cache dans la toile ou sous la toile pour ne pas être vue des bestioles, surtout quand elle est grande, parce qu’à cause de sa grandeur elle ne se dissimule pas facilement.

La femelle fait d’abord des œufs, dont sont formées ensuite de petites araignées. Aussitôt qu’elles sont mises au monde, (l’araignée) les pose dans la toile ; aussitôt elles se déplacent et se mettent à tisser, comme si elles étaient instruites à la chasse dans l’utérus maternel, d’où elles préparent aussitôt des filets adaptés à leur proie.

Et il y a une sorte d’araignée qui chasse un petit lézard. Elle commence à tisser sur lui, jusqu’à ce qu’elle lie son orifice par un lien solide ; alors elle lui saute dessus et le pique jusqu’à ce qu’il meure.

  • 111 Cf. Albert le Grand, De animalibus XXVI, éd. p. 1581 : Araneae autem quaedam et fumus et mures noce (...)

Dans le même (livre) il dit de même qu’on trouve souvent certaines araignées dans les alvéoles des abeilles ; celles-là corrompent le miel et sucent la liqueur. Ainsi, elles font des toiles autour des rayons et les abîment.111

Avicenne et Pline disent de la même manière à propos de la génération des araignées au livre 11, c. 25, (que) la nature des araignées est digne d’une admiration particulière ; il y en a de nombreuses sortes, parmi lesquelles certaines que l’on appelle phalanges, dont le corps est petit, bigarré, pointu, rapide au saut, et qui a une morsure nuisible.
Il y a une autre espèce d’un corps plus grand et de couleur noire, aux pattes plus longues, qui se tisse des grottes dans des coins près de la terre.
Il y a une troisième espèce qui, par une composition savante, tisse des toiles remarquables. Il faut cependant admirer de quelle manière, pour un si grand ouvrage, suffit la matière laineuse qui, à ce qu’on croit, est tirée peu à peu du ventre des araignées pour le tissage de tant de toile ; cependant on trouve leur ventre quasiment vide d’une telle matière.
Il ne semble pas que ce qu’a dit Démocrite soit vrai, que la corruption du ventre de l’araignée soit telle qu’une si grande abondance laineuse soit générée de sa déjection. Par conséquent,
Aristote s’oppose aussi à Démocrite au livre VIII, qui dit que celui-ci n’a pas dit la vérité. La raison semble en être que les araignées et les autres annelés de la même sorte sont d’une alimentation modérée et de peu de nourriture, à cause de leur manque de sang et de chaleur. Par conséquent, alors que l’araignée ne prend pas tant de nourriture, elle émet incomparablement plus (de matière) pour la préparation continue de sa toile ; l’émission de fluide est plus grande que la prise de nourriture et l’émission de fluide produite est plus grande que la digestion nécessaire à la conservation de l’animal, comme le disent Aristote et Albert.

Comme le dit Pline, avec un « ongle » régulier, (l’araignée) dévide un fil arrondi et délicat et, par un art admirable, guide les trames du bas vers le haut ; à nouveau elle conduit son fil en travers d’un point à un autre point à une distance géométrique ; elle attache et noue tous les traits géométriques pour ainsi dire au point central, à égale distance du centre. Sa trame une fois ourdie, elle commence, comme le dit Pline au même endroit, à tisser depuis le milieu en cercles concentriques (ou en un cercle tracé au compas), rattachant sans cesse les tissages et nouant toujours les mailles, comme pour un filet, par intervalles réguliers ; celles-ci sont placées par un art admirable entre des trous en forme de petites vallées, tantôt carrés, tantôt allongés, tantôt ronds, tantôt plus étroits lorsqu’ils sont plus proches du centre, et d’autant plus larges qu’ils sont éloignés de l’extrémité. Par quel moyen elle joint le fil par le fil et applique et relie le nœud au nœud d’une manière tellement indissoluble, la vision ne le révèle pas et c’est avec peine que le jugement de la raison l’affirme. Avec une légèreté merveilleuse, elle s’élève par ses fils, qui sont à peine accessibles à la vue humaine, et elle vole quasiment. Se déplaçant d’ici à là-bas, elle change de lieu.
De même,
le même dit que tant que les fils extrêmes de la toile perdurent, si par un accident cette toile était rompue, elle commence à raccommoder depuis le milieu ce qui est cassé, comme si elle jugeait que rien n’est entier dans le corps de la toile tant que le milieu n’est pas solidifié.
Le même dit aussi qu’avec les araignées, il y a des présages. En effet, selon ce que sont les intempéries à venir, les araignées ont l’habitude de composer leurs fils plus haut ou plus abaissés.
De même il est dit au même endroit qu’une multitude d’araignées est le signe d’une inondation de pluies.
De même au livre XIV, c. 4, (Pline) dit à propos du dommage sur les vignes que certaines araignées font des toiles autour des bourgeons des vignes et même des jeunes fleurs des arbres ; les arbres et les vignes périssent de la circonvolution des (toiles) quand ils sont en bourgeons ou en fleurs.

La morsure de la phalange est mortelle et vénéneuse, sauf si on y remédie aussitôt. Mais la force du plantain apaise son venin, si on l’applique de la manière convenable. Pour cette raison, les autres vers comme les lézards et les batraciens qui craignent les piqûres de l’araignée se protègent avec le suc du plantain, comme le disent Pline, Dioscoride et Avicenne dans le chapitre sur les venins, ainsi que Macer.

Les toiles des araignées, comme le disent Aristote et Pline, sont produites en quelque sorte de leurs entrailles par un artifice de la nature ; elles sont entretissées par une composition très légère, assemblées et préparées à la manière de filets, reliées par des fils très fins. Cela pour que, de par son épaisseur, la toile ne soit pas vue par les mouches et les autres bestioles pour lesquelles elle est déployée.

Certes, elle est composée avec peine, mais elle est détruite d’une manière étonnamment facile : (les toiles) ne supportent pas le feu, craignent le vent, par la bourrasque duquel la toile est rompue et soudain dénouée.

Bien que l’araignée soit vénéneuse, la toile issue de ses entrailles n’est pas vénéneuse, puisqu’elle est réputée utile à de nombreux usages de médecine.
En effet, comme le dit Dioscoride, la toile d’araignée blanche et propre, qui n’est pas mêlée à des saletés poussiéreuses, a des pouvoirs cicatrisants, resserrants et réfrigérants. Pour cette raison, elle resserre le sang qui coule d’une blessure ; posée sur une blessure, elle empêche qu’il se forme du pus ; elle soigne la plaie récente et empêche l’inflammation qui retarde la guérison de la blessure.

Il y a un genre d’araignée qu’on appelle phalange, comme le dit Pline au livre 29, c. 4. Cette araignée est semblable à la fourmi, mais d’un corps bien plus grand. Elle a une tête rousse, le reste du corps est de couleur noire, tacheté de gouttelettes blanches ; sa piqûre est plus douloureuse que celle de la vipère. Elle vit près des fours et des meules. Le remède contre sa piqûre est de montrer à celui qui a été frappé une autre araignée de son genre, et pour cela, on les conserve, quand on en trouve des mortes, dont les carapaces sont pilées ; bues, elles guérissent de la morsure de la belette.

Il y en a aussi un autre genre, velu, à grosse tête. La douleur de sa piqûre est comme celle du scorpion ; par sa blessure, les genoux fléchissent, l’assombrissement (de la vue) et le vomissement adviennent.

Il y a aussi un autre genre d’araignée du nom de mirmicaleon ou mirmiceon, que l’on appelle d’un autre nom formicaleon, à la tête blanche semblable à la fourmi, avec un corps noir, marqué de taches blanches, dont la morsure torture par une douleur (semblable à celle) des guêpes. On l’appelle formicaleon parce qu’elle chasse les fourmis comme un lion. Elles sucent leur humidité, mais elles sont dévorées par les passereaux et les autres oiseaux, comme la fourmi.

Le remède contre la morsure de toutes les araignées est le cerveau d’un poulet, bu avec du vin doux et un peu de poivre. De même, la présure de l’agneau, bue avec du vin, soigne la morsure des araignées. La cendre du sabot de bélier avec du miel fait de même. De même, les mouches pilées et posées sur la morsure font sortir le venin et tempèrent la douleur. Il y a d’autres remèdes, que [Pline] énumère, mais ceux-ci suffisent.

Mais (Pline) dit dans le même livre, au c. 6 : l’araignée longue et blanche, qui a des pattes fines, pilée dans de la vieille huile, dissout la taie blanche de l’oeil. 

Conclusion

81Barthélemy n’a pas porté une attention de naturaliste aux insectes, c’est un regard à la fois familier et utilitaire qu’il pose sur le petit monde des bestioles et des « vers ». Leurs propriétés peuvent se prêter à l’allégorie en constituant une « matière prédicable » (materia predicabilis), c’est-à-dire utilisable par les auteurs de sermons. La présence marquante de notes marginales moralisantes au livre XVIII peut être considérée comme un indice de cet objectif du DPR.

82La matière entomologique au sens large y est assez abondante. Elle forme le monde grouillant des « vers », qui constituent un des trois groupes de « rampants » distingués par Pierre Comestor (trahentia), ou se limite selon les cas aux « annelés » (animali anulosi corporis), aussi appelés « plissés » (rugosa). Annulosa et rugosa sont les termes qui désignent, dans la traduction médiévale par Michel Scot, les entoma d’Aristote devenus chez Pline insecta, petits animaux segmentés. Les annelés sont aussi assez souvent identifiés dans la tradition médiévale comme des « rampants qui se traînent par la bouche », cette dernière étant identifiée comme le centre de gravité du corps. Leur propriété commune et principale est indissociable de la pourriture, où ils naissent et dont ils se nourrissent. Le mode de génération des vermes, presque toujours invisible, peut être spontané, mais les vers peuvent parfois aussi naître d’œufs. Pour Barthélemy, l’essentiel est, comme chez Isidore de Séville et Pierre Comestor, que les vermes proviennent de la matière en putréfaction, que ce soit de la terre, du bois, de la chair, de l’eau putrescente ou du vin passé.

83Les vermes apparaissent comme un groupe bien distinct dans les généralités préliminaires au livre XVIII contenant toutes les notices animalières en ordre alphabétique. En outre, le nombre de notices qui leur sont consacrées n’est pas négligeable : cinq notices parmi les volatiles du livre XII, vingt-deux parmi les animaux du livre XVIII, trois sur les œufs des araignées, fourmis et sauterelles dans le livre XIX, portant sur les realia et l’alimentation. Mais parmi ces « vers » figurent des intrus à nos yeux comme la grenouille, le crapaud, la salamandre, la sangsue ou la musaraigne. Enfin, dans une perspective plus physique et naturaliste, un développement philosophico-scolastique leur est consacré à propos de l’action de l’humidité et de la chaleur au livre XIX, c. 76. En outre, certains parasites humains de la tête, des dents ou des oreilles sont abordés dans les chapitres médicaux des livres VII et IX.

84Un certain nombre de zoonymes (apis, culex, locusta, eruca…) couvrent non pas une espèce, mais un groupe. Par exemple, la notice sur le moustique culex, décrit comme une « mouche », englobe la description de la « mouche du chien », la cynomia (qui fait l’objet d’un chapitre particulier chez Isidore), et celle sur l’araignée reprend une série d’espèces un peu amalgamées d’après les descriptions d’Aristote et de Pline, et dont les noms spécifiques ont été négligés. Il en va de même pour l’eruca (chenille) ou la locusta (regroupant différents types de sauterelles et de grillons), que nous n’avons pas examinées de près ici. Barthélemy ne s’arrête pas pour autant à tous les insectes courants : aucun chapitre n’est consacré à la « mouche » alors qu’elle est présente de temps à autre dans son discours pour désigner un ver générique qui a des ailes, ou pour faire référence à la nourriture de l’araignée et des oiseaux. Il semble que le mot, bien que peu employé, le soit d’une manière comparable à l’usage en anglais des mots « bug » (insecte, mouche générique) ou « beetle » (scarabée). Certains insectes comme le taon, la guêpe, la blatte, pourtant familiers, et de surcroît traités par Isidore de Séville, ne font pas non plus l’objet de notices.

85Il n’y a aucune innovation lexicographique entomologique dans le DPR : tous les « vers » mentionnés sont déjà présents chez Isidore de Séville, mais tous ceux présents dans les Etymologies ne sont pas pour autant dans le DPR, sans que la raison puisse en être la méconnaissance du taxon. Pourquoi le DPR reste-t-il silencieux sur certains insectes a priori présents dans sa documentation ? Dans le prologue au DPR, Barthélemy justifie ses choix de sujets par leur présence dans la Bible, mais dans le cas des insectes, la matière ne correspond pas.

86La question peut aussi se poser en termes de versions des œuvres disponibles. Barthélemy a-t-il pu lire intégralement le livre XI de Pline, dont il cite de nombreux extraits ? Il ne mentionne en tous cas pas la totalité des insectes qui s’y trouvent mais connaît bien ce que Pline dit de l’araignée. De quelle version des Etymologies a-t-il disposé ? Pourquoi, en début de chapitre, indique-t-il comme étymologies isidoriennes des dérivations qui ne doivent rien à l’évêque de Séville, mais qu’on retrouve aussi dans le texte à peu près contemporain de l’encyclopédie de l’Experimentator ? Pourquoi certaines notices de l’Experimentator semblent-elles être la matrice de celles de Barthélemy, mais ne contiennent pas la référence à la source dûment mentionnée par Barthélemy ? Les rapports entre le DPR et les recueils de propriétés qui l’ont précédé d’une ou de plusieurs décennies nécessitent des recherches dans les versions non éditées de l’Experimentator et du Pseudo-John Folsham (textes proches l’un de l’autre) pour être mieux élucidés. Pour la dépendance à l’Experimentator, il semble qu’il y ait une différence entre les livres qui précèdent les livres zoologiques et ces derniers, la dépendance de Barthélemy vis-à-vis de l’Experimentator semblant plus évidente et moins contestable pour les premiers. Creuser la question n’est pas l’objet de la présente recherche. Dans un premier temps, on peut indiquer que la version de l’Experimentator utilisée par Barthélemy pour les animaux n’est pas la même que celle que Thomas de Cantimpré a eue dans les mains, et n’est pas non plus la même que les deux versions éditées (en partie, regrettablement) par Jeanine Deus.

87Barthélemy disposait de sources communes aux encyclopédistes de son temps, comme l’Histoire naturelle de Pline, la zoologie d’Aristote et le commentaire d’Avicenne ; ses sources potentielles étaient même plus riches que celles dont a disposé Albert le Grand, qui ne connaissait pas directement Pline. Pourtant, il cite assez parcimonieusement Aristote, sans entrer dans les considérations scientifiques. Il ne semble utiliser l’Abbreviatio de animalibus d’Avicenne que dans le prologue au livre XVIII et le chapitre sur la pourriture du livre XIX, mais pas pour la rédaction des notices zoologiques particulières. A part quelques phrases générales dans le Prohemium au livre XVIII, Barthélemy ne s’intéresse pas fondamentalement à la classification zoologique d’Aristote et à sa division principale en animaux dotés de sang ou qui en sont dépourvus. Le franciscain ne discute pas le mode de génération des « vers », ne fait pas explicitement allusion à la génération spontanée, n’évoque pas leurs métamorphoses (stade larvaire, nymphose) comme étant une deuxième ou troisième génération pour aboutir à l’individu achevé. Il s’arrête à peine sur l’indifférenciation sexuelle dont parlent Aristote et Avicenne à propos du fait que bon nombre d’invertébrés sont indifféremment mâles ou femelles mais que certains font des œufs ou d’autres produisent des larves. Il n’a pas perçu, semble-t-il, l’importance de la hiérarchie aristotélicienne du vivant en fonction du degré de perfection. Pour Aristote, les animaux sécables ou à écailles, « plissés » ou « annelés », sont des animaux « imparfaits », inachevés, inaccomplis puisqu’ils ne se reproduisent pas directement à l’image d’un parent adulte qui leur ressemble. Chez les insectes, les transformations successives qui ne leur permettent de retrouver la ressemblance de leur géniteur (l’« imago ») qu’à la suite de plusieurs métamorphoses sont considérées par Aristote et Avicenne comme des générations successives. Barthélemy n’a pas perçu cet étagement essentiel. Une seule fois, on trouve sous sa plume le participe infinita, « inachevés », pour qualifier les insectes, dans le chapitre sur l’humidité.

88Le regard anthropocentriste et utilitaire, domestique, est plus manifeste chez son traducteur Corbechon, qui n’a pas cherché à identifier les « bestelettes » et « mouches » dont il a traduit assez superficiellement les propriétés. Désintérêt ? Manque de compétences scientifiques ? Chez Corbechon, l’emploi générique de « mouche » semble être l’équivalent de l’anglais « bug ». Les abeilles sont des « mouches à miel » et les autres insectes volants sont désignés de la même façon, tandis que les autres bestioles rampantes sont appelées « bestelettes », dans des notices animalières dont l’ordre reste celui de l’original latin (Corbechon donne parfois le nom en latin pour justifier la place sous cette lettre). La « vermine » chez Corbechon n’équivaut pas aux vermes chez Barthélemy, mais désigne davantage les parasites que sont puces, poux et teignes : la « roigne » de la tête est un terme aussi utilisé pour la pourriture de la laine. Mais Corbechon ne modifie en rien le contenu structurel du texte du DPR et n’ajoute aucun insecte familier. Par exemple, il n’évoque pas la « mite », pourtant attestée en français dès Christine de Pisan et ailleurs ; il ne fait pas de lien avec la notice existante sur la tinea, qu’il traduit par « ver qui mange les robes ». Corbechon livre une littérature d’autorité, relativement appauvrie en fonction de l’intérêt de son public-cible, laïc et noble. La question de la traduction du DPR et de l’évolution du lexique entomologique vernaculaire pourrait être prolongée par un examen comparatif instructif de la traduction occitane et de la traduction anglaise du DPR par Jean de Trévise.

89Le succès immense du De proprietatibus rerum, copié à la main plus de 280 fois, traduit dans diverses langues vernaculaires médiévales et imprimé plusieurs fois jusqu’à l’orée du XVIIe siècle, a fortement marqué la littérature éducative, pour finir par entrer dans un grand nombre de bibliothèques domestiques. Le regard de Barthélemy sur le « tout petit monde » a dès lors dû rester celui de générations de lecteurs.

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Bibliographie

Sources

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Notes

1 Le sujet des insectes au Moyen Âge a fait l’objet de très peu de recherches, comme en témoigne la bibliographie dressée dans le présent numéro de RursuSpicae. Cependant, ce sujet suscite désormais un intérêt, sans doute accru par les alertes environnementales d’une époque qui prend conscience de la disparition rapide des insectes.

2 J’ai rassemblé en quelques années un corpus diversifié de textes médiévaux touchant aux vermes entre 600 et 1300, dans l’idée de composer à terme une anthologie commentée et traduite qui témoigne d’une période ignorée par l’historiographie du point de vue de l’entomologie culturelle, c’est-à-dire des connaissances naturalistes et médicales impliquant ces animaux et de l’exégèse fondée sur leurs propriétés.

3 La question des « vers » dans l’exégèse et de ce lieu commun sur la sauterelle est développée dans l’article (à paraître dans les Actes du colloque « Insects in the premodern world », München, 6-7 juillet 2023, éd. Przemyslaw Marciniak, München, (Münchner Vorlesungen zu Antiken Welten) : I. Draelants, « Peut-on parler d’« insecte » dans les textes médiévaux ? Vermes entre philosophie naturelle et exégèse ».

4 Vincent de Beauvais est le premier à l’indiquer clairement, tout en utilisant encore à son égard le terme de « ver » : Speculum naturale, XX, c. 55, De genere lacertorum : In eodem genere non immerito reputantur rana et bufo. Nam et batracha videlicet similis est rane et rana dicitur batracha grece. Aliquando vero sumitur lacertus sive lacerta pro batracha, videlicet genus pro specie : « L’auteur. C’est à juste titre que l’on compte dans le même genre [des lézards] la grenouille et le crapaud. Car en effet la batracha, c’est évident, est semblable à la grenouille, et la grenouille se dit batracha en grec. Mais il est vrai que parfois on prend le lézard ou les lézards pour des batracha, c’est-à-dire (qu’on prend) le genre pour l’espèce. »

5 Hildebert de Lavardin, Versus de X plagis Aegypti, éd. in Patrologia latina, 171, col. 1436.

6 Par exemple dans le Bonum universale de apibus de Thomas de Cantimpré, recueil d’exempla terminé en 1256, à peu près en même temps que la dernière version de son encyclopédie, le Liber de natura rerum, dont tout le livre IX est consacré aux vermes. Julia Burkhardt, Von Bienen lernen. Das Bonum universale de apibus des Thomas von Cantimpré als Gemeinschaftsentwurf (Analyse, Edition, Übersetzung Kommentar), Regensburg, 2020 (Klöster als Innovationslabore 7). Liber de natura rerum, Teil I : Texte, éd. H. Boese, Berlin-New York, 1973 ; une nouvelle édition est en cours de finition par M. Cipriani.

7 Voir la traduction par A. Zucker du Physiologus grec : Arnaud Zucker, Physiologos : Le bestiaire des bestiaires, Paris, 2004 : 108.

8 Pour l’antiquité et le Moyen Âge, le monarque des abeilles est en effet un roi et non une reine, jusqu’à l’observation par le père de l’apiculture britannique, Charles Butler (1571-1647), au XVIe siècle. Il a répandu la découverte de « The Feminine Monarchie » (1609) dans la conscience populaire grâce à son manuel d’apiculture en faisant de l’insecte-monarque l’emblème de la reine d’Angleterre, Elizabeth. Le fait fut confirmé par l’utilisation du microscope par le Néerlandais Jan Swammerdam, qui a aussi contesté la théorie de la génération spontanée.

9 On en trouvera des exemples dans I. Draelants, « Ego sum vermis : De l’insecte né de la pourriture, à la conception du Christ sans accouplement. Un exemple de naturalisme exégétique médiéval », in B. Gauvin – M.-A. Lucas-Avenel, (éd.), Inter litteras et scientias. Recueil d’études en l’honneur de Catherine Jacquemard, Caen, 2019, (Miscellanea), p. 151-184.

10 Sur ce genre littéraire des « recueils de propriétés », encore peu étudiés, voir Emmanuelle Kuhry, « Dictionnaires, distinctions, recueils de propriétés en milieu cistercien : outils pour la prédication, sources pour l’étude de la nature », in A.-M. Turcan-Verkerk, T. Falmagne, et al., (éd.), Les Cisterciens et la transmission des textes (XIIe-XVIIIe siècles), Turnhout, 2018, p. 285-337.

11 Cf. Petrus Comestor, Historia scholastica, Liber Genesis, quaestio 8, De opere sextae diei, éd. Agneta Sylwan, Petrus Comestor, Scolastica historia. Genesis, Turnhout, 2005 (CC, CM, 191) : 19 sq. Le passage est étudié dans Draelants, Ego sum vermis.

12 Le fait est évoqué dans I. Draelants, avec la collab. de Pierre Klein, « Aristote, Pline, Thomas de Cantimpré et Albert le Grand, entomologistes ? Identifier chenilles, papillons et vers à soie parmi les vermes », in C. Franco, M. Vespa, A. Zucker, (éd.), Zoomathia : Learning Animals in Ancient and Medieval Cultures, Siena, 2023, p. 37-95. Sur la tradition textuelle de Pline, voir principalement D. Reeve, « the Editing of Pliny’s Natural History », Revue d’histoire des textes, 2 (n. s.), 2007, p. 107-179 ; Elisa Lonati, « Plinio il Vecchio e Vincenzo di Beauvais: Quale modello di Naturalis historia per lo Speculum maius ? », Filologia mediolatina, 25, 2018, p. 323-353.

13 Le laterculus est un calendrier liturgique et un outil de comput. Dans le cas de celui de Polemius Silvius, il comprend aussi des listes de mots (laterculus peut signifier au figuré « registre »), dont des listes d’animaux et des verbes donnant vingt-quatre cris d’animaux. Un unique manuscrit du XIIe siècle, fragmentaire, est conservé : ms. Bruxelles, KBR 10691-10695. Cf. M. Piechocka-Kłos, « Nomina animalium in Laterculus by Polemius Silvius. The Beginnings of the liturgical Calendar (5th Century) », Formum teologiczne, 21, 2020, p. 249-261 (se limite à donner la liste des termes) ; Ian C. Beavis, chap. IX. « Unindentifiable and Fabulous Insects and Invertebrates », in I. C. Beavis, Insects and other Invertebrates in Classical Antiquity, Exeter, 1988 : 243-258, et Antoine Thomas, « Le Laterculus de Polemius Silvius et le vocabulaire zoologique roman », Romania, 35, n°138,‎ avril 1906, p. 161-197 (les affirmations dans cet article sont à prendre avec prudence ; il comprend des suppositions erronées pour l’identification des animaux) ; D. Paniagua, Lexicologica : El Laterculus de Polemio Silvio, tormento del ThlL, in Voces, 16, 2005, p. 111-124 (exploration de certains lemmes, mais aucun d’entre eux ne porte sur les insectes).

14 Le détail de ces décomptes apparaît dans Draelants - Klein (coll.), Aristote, Pline. Un tableau plus complet est dressé dans Draelants, « Peut-on parler d’« insecte » dans les textes médiévaux ? ».

15 J’ai présenté au colloque sur les zoonymes qui a eu lieu à Montpellier en novembre 2023 une communication (qui sera publiée), dans laquelle les entomonymes de la liste sont examinés en détail et identifiés : « La vermine a-t-elle un nom ? Evolution des zoonymes entomologiques au Moyen Âge ». Colloque international « Noms d’une bête ! L’usage linguistique et culturel des noms d’animaux dans l’Antiquité et le Moyen Age ».

16 On verra pour une première orientation les articles réunis dans C. Steel - G. Guldentops - P. De Leemans, (éd.), Aristotle’s animals in the Middle Ages and Renaissance, Leuven, 1999 (Mediaevalia Lovaniensia Series I/Studia, 27).

17 Cf. The Arabic Version of Aristotle’s Historia Animalium. Book I-X of the Kitāb al-Ḥayawān. ed. L.S. Filius in collab. with J. den Heijer – J.N. Mattock (+), Leiden-Boston, 2019 (Aristoteles Semitico-Latinus, 23). Aristotle De Animalibus. Michael Scot’s Arabic-Latin Translation, Part One: Books I-III: History of Animals. A Critical Edition with an Introduction, Notes and Indices by A.M.I. van Oppenraay, Leiden – Boston 2020 (Aristoteles Semitico-Latinus 5.1A) ; Aristotle De Animalibus. Michael Scot’s Arabic-Latin Translation, éd. A.M.I. van Oppenraay, Part Two. Books XI–XIV: Parts of Animals, Leiden, 1998 (Aristoteles Semitico-Latinus, 5.2) ; Aristotle De Animalibus. Michael Scot’s Arabic-Latin Translation, éd. A.M.I. van Oppenraay, Part 3 : Books XV-XIX : Generation of Animals, Leiden, 1992 (Aristoteles Semitico-Latinus, 5.3). Pour les livres I à X, je me suis servie de la transcription inédite de Konrad B. Vollmann et Chr. Hünemörder, 1994, d’après le ms. Città del Vaticano, Chigi E VIII 251 (aimablement transmise par les auteurs à l’époque). Pour l’Abbreviatio d’Avicenne, voir A.M.I. van Oppenraay, « Avicenna’s Liber de animalibus (‘Abbreviatio Avicennae’). Preliminaries and State of Affairs », Documenti e Studi sulla Tradizione Filosofica Medievale, 28, 2017, p. 401-416.

18 La bibliographie sur l’encyclopédisme médiéval tel qu’il s’épanouit au XIIIe siècle est aujourd’hui très abondante. Elle est rassemblée en grande partie sur une page du site de l’Atelier Vincent de Beauvais : https://ateliervdb.hypotheses.org/bibliographie-sur-lencyclopedisme-medieval.

19 Cf. I. Draelants, « La reproduction imparfaite : les gusanes et l’état larvaire des insectes chez Albert le Grand », in Fragmented Nature : Medieval Latinate Reasoning on the Natural World and its Order, M. Cipriani – N. Polloni, (eds.), Abingdon – New York, Routledge, 2022, p. 151-172 et Draelants, Klein, Aristote, Pline, (dernière partie).

20 Aristote désignait les insectes en général par ἔντομον (HA 487a32 : « animaux dont le corps présente des segments soit sur le dos, soit sur le dos et sur le dessous du corps »), que les traducteurs francophones rendent par « sécables », « segmentés » ou « à entailles ». Ce terme couvre aussi certains crustacés. Certains animaux comptés aujourd’hui parmi les hexapodes étaient placés par Aristote parmi les « animaux à ailes membraneuses », les πτιλωτά (490a9) ou parmi les bestioles, les ζῳδάρια (551b20). Tous les insectes « à entailles » et apparentés étaient compris dans les animaux dépourvus de sang, les ἄναιμα (HA 23b12-21), avec les animaux mous (les céphalopodes) et ceux à coque souple (les crustacés). Sur les « bestioles » chez Aristote, Arnaud Zucker, chap. « Termes supragénériques courants », dans A. Zucker, Les Classes zoologiques en Grèce ancienne, d’Homère à Elien, Aix-en-Provence, 2005, p. 55-109 (en partic. § 68 dans la version en ligne).

21 Liber de natura rerum, IX, 1 : Nullum insectorum, id est vermium, ut dicit Plinius, habet sanguinem nisi in modica quantitate. Insecta autem dicitur omnis vermium propagatio : « Comme le dit Pline, aucun des insectes – c’est-à-dire des vers –, n’a de sang, sinon en petite quantité. On appelle ‘insectes’ toute propagation de vermine. » L’autre occurrence est à propos du scorpion dans un passage emprunté à Aristote. Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de mon cru.

22 Speculum naturale, éd. Douai, 1624, livre XX, c. 70, De annulis ; 71, De pedibus eorum (annulosorum) ; 73, De quorundam aculeis ; 74, De vita insectorum, sive annulosorum ; 75, De sensibus ac vocibus eorum, et c. 76, De generatione ipsorum.

23 Le mot apparaît au début du livre consacré aux vermes du De animalibus (XXVI, éd. Stadler, II : 1579). Il exprime par un participe passé le fait que les corps de ces animaux dépourvus de sang on le corps sectionné (corpora insecta), et sont composés d’anneaux (ex anulis composita). Ceci correspond en partie à Aristote, HA 490b14, mais il ne s’agit pas de la traduction par Michel Scot.

24 En plus de la reprise littérale fréquente du passage de Comestor, on trouve cette même propriété de se traîner par la bouche, entre autres, dans certains recueils de distinctions, sous l’entrée vermis. Par exemple chez Pierre le Chantre, dans la Summa Abel, cf. ms. Troyes, Bibl. municipale, 1704, f. 194r : Vermi comparatur Christus (…) Propter incedendi modus, quia sicut vermis se ore trahit. Prima et christus sua predicatione se traxit usque ad patibulum crucis (« On compare le Christ au ver (…) A cause de sa manière d’avancer, car il se traîne comme un ver par la bouche. D’abord le Christ se traîna jusqu’au gibet de la croix par sa prédication »). De même chez l’Experimentator, à la fin de la deuxième définition du vermis : Mollis, quando tangitur, set durus, quando tangit. Flexibilis est. Ore trahit se. Neruis contractis est <et> sine medulla (« Doux quand il est touché, mais dur quand il touche. Il est flexible. Il se traîne par la bouche. Il est sans moëlle et se contracte par les nerfs ») : Experimentator, Fassung I, 101, De vermibus, éd. J. Deus : 278. Le passage est repris ensuite par Barthélemy, DPR, XVIII, 114, De vermiculo (éd. Frankfurt : 1230). Dans le De homine, à propos des forces motrices de l’âme, Albert le Grand caractérise aussi les anulosa et rugosa, par opposition à ceux qui marchent et ceux qui volent, comme des animaux qui se traînent par la bouche (Albertus Magnus, De homine, éd. Henryk Anzlewicz – Joachim R. Söder, Münster, 2008 : 477 (Alberti Magni Opera omnia, XXVII, 2) : 1. De motu processivo animalium1.2. Quis sit motus processivus).

25 Au sujet de l’origine du nom « rubète », voir l’article de Valérie Gitton-Ripoll, « La grenouille rubète est-elle une grenouille rouge ? », Pallas, 117, 2021 (mis en ligne le 20 sept. 2022, consulté le 6 déc. 2022). URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/22934.

26 Le texte du DPR est cité d’après l’édition de Frankfurt, 1601, car les livres XVIII et XIX n’ont pas encore été réédités dans l’édition critique en cours. On recourt parfois au ms. Paris, Bibl. nationale de France, 16099 pour corriger l’édition. Le texte de Corbechon est cité d’après le ms. Paris, BnF, fr. 16993, avec des compléments ou des vérifications sur trois manuscrits (Chantilly, Musée Condé, 339 ; London, British Library, Additional 11612 ; Reims, Bibl. municipale, 993. Les transcriptions sont celles de Cécile Rochelois et Yoan Boudes.

27 Les avis sur les relations entre l’Experimentator et les autres œuvres encyclopédiques du XIIIe siècle ne convergent pas. Les premiers pas ont été faits par J.B. Friedman, « Thomas of Cantimpré De naturis rerum. Prologue, book III and book XIX », in La science de la nature : théories et pratiques, Montréal-Paris, 194 (Cahiers d’études médiévales, 2), p. 107-154 : 113-114. Chr. Hünemörder a repris la question dans « Die Vermittlung medizinisch-naturwissenschaftlichen Wissens in Enzyklopädien », in Wissensorganisierende und Wissens-vermittlende Literatur im Mittelalters, N.R. Wolf, éd., Wiesbaden, 1987, p. 255-277 : 261 sq. En définissant l’oeuvre comme un dictionnaire raisonné anonyme, en ordre alphabétique, du genre du De bestiis et aliis rerum du Ps-Hugues de Saint-Victor (éd. P.L., t. 177, col. 135-164), il a parcouru la première étape pour identifier l’Experimentator avec un recueil de propriétés semblable à ceux étudiés par E. Kuhry (note 10 ci-dessus). Dans son doctorat, son élève J. Deus a mis au jour trois rédactions différentes, dont la première n’est pas conservée, et édité de longs passages des deux autres. La « Urfassung » a dû être rédigée entre 1220 et 1225-1226 (J. Deus, Der ‘Experimentator’. Eine anonyme lateinische Naturenzyklopädie des frühen 13. Jahrhunderts, Dissertation der Universität Hamburg, Hamburg, 1998 (Disputation : 18. Februar 1999) : 10. Quant à Heinz Meyer, Die Enzyklopädie des Bartholomäus Anglicus. Untersuchungen zur Überlieferungs- und Rezeptionsgeschichte von ‘De proprietatibus rerum’, Münster, 2000 (Münstersche Mittelalter-Schriften, 77), il pense que les manuscrits mentionnés par Chr. Hünemörder, dont le ms. de Wolfenbüttel qui contient la „Kurzfassung“ sont une réduction du DPR, opinion reprise par B. Van den Abeele qui a fait un point provisoire dans « À la recherche de l’Experimentator de Thomas de Cantimpré », in Expertus sum : l’expérience par les sens dans la philosophie naturelle médiévale, T. Bénatouïl – I. Draelants (éd.), Firenze, 2011 (Micrologus’ Library, 40), p. 41-65. En revanche, les recherches sur le livre VIII du DPR ont conduit à la conclusion que le texte que Barthélemy a eu sous les yeux diffère des deux versions éditées par J. Deus (I. Draelants – Eduard Frunzeanu, « Le savoir astronomique et ses sources dans le De mundo et corporibus celestibus de Barthélemy l’Anglais », Rursus. Poiétique, réception et réécriture des textes antiques, 11, 2017, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursus/1352 et l’introduction par les mêmes à l’Edition critique et commentaire du livre VIII, De mundo et corporibus celestibus, dans Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum. Vol. III. Liber VI, Liber VIII, Liber IX, Turnhout, Brepols, 2022 (De diversis artibus, 109, N.S. 72), p. 111-312). Barthélemy semble avoir connu, peut-être successivement, plusieurs états du texte. Le travail de M. Cipriani sur le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré (dont nous avons discuté ensemble lors de son post-doctorat à l’Atelier Vincent de Beauvais à l’IRHT en 2017) montre que ce dernier a donné le nom d’Experimentator à un recueil écrit modernis temporibus et utilisé, pour les 108 fois (!) où il le cite, un des manuscrits signalés par Hünemörder (ms. Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, med. et phys. 2° 24, a. 1461, prov. Heilbronn Carmélites, rédaction en 13 livres selon Meyer B.17). Il en vient à la conclusion que ce qu’a lu Th.C. pourrait être une „Ur-Version“ du DPR (en quelque sorte, l’opinion d’Hünemörder et Van den Abeele est inversée). Le texte du ms. de Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 8.8 Aug. 4 (Meyer B 18), qui a déjà fait usage de listes de propriétés, n’a pas encore tenu compte du De animalibus d’Aristote et de Dioscoride et pourrait être le texte de base du DPR, avant l’existence du ms. de Stuttgart. Ensuite, Barthélemy aurait ajouté de nouvelles sources et informations dans une version ultérieure du DPR, tout en adaptant la rédaction d’une manière plus personnelle. On lira avec profit Mattia Cipriani, « In dorso colorem habet inter viridem et ceruleum’… Liber rerum e osservazione zoologica diretta nell’enciclopedia di Tommaso di Cantimpré », Reinardus, 29, 2018, p. 16-98, qui apporte de nombreuses informations sur l’Experimentator.

28 Voir à ce propos Frank Collard – Évelyne Samama (s. dir.), Dents, dentistes et art dentaire. Histoire, pratiques et représentations. Antiquité, Moyen Âge, Ancien Régime, 2012.

29 Le chapitre est transcrit (d’après le ms. Paris, BnF, fr. 16993) dans le chapitre « Bestiaire d’amour et zoologie encyclopédique. Le cas des abeilles (Bestiaire d’amour rimé anonyme et Bestiaire d’amour de Richard de Fournival », in B. Ribémont, Littérature et encyclopédies du Moyen Âge, Orléans, 2002, p. 309-313.

30 Le terme de locusta, comme celui de grillus, regroupe des criquets et des sauterelles dont certaines grandes espèces possèdent un organe de ponte semblable à une épée (d’où le nom du groupe des « ensifères »). Sur la base des comportements rapportés, il serait possible d’identifier certaines espèces.

31 Contrairement à l’Experimentator, Barthélemy ne consacre pas de notice à la mouche commune et utilise très peu le terme musca comme un générique.

32 Bizarrement, le DPR n’a pas de notice pour le scarabée.

33 Voir dans ce numéro de RursuSpicae l’article d’Emmanuelle Kuhry, qui explore les diverses versions du Physiologus à propos de cet animal multiforme, qui est aussi un réel insecte (névroptère dont la larve creuse un entonnoir dans le sable et se nourrit des fourmis qui tombent) mais dont les textes ont parfois fait, suite à une méprise de traduction de la Bible (mirmicoleon), un animal hybride entre fourmi et lion.

34 Barthélemy ne parle ni du poulpe (multipes) dans le livre XIII, c. 26, De piscibus, ni dans ce livre-ci où il pourrait parler de l’insecte mille-pattes.

35 Je n’ai cependant pas pu trouver le passage sur ce « trésor de la nature » chez Avicenne. Il se peut que ce soit un ajout du cru de Barthélemy.

36 Aristote, De respiratione, 475a30 : « Nous avons déjà dit que, parmi les êtres vivants, les insectes ne respirent pas, ce qui est évident dans le cas des petits insectes, comme les mouches et les abeilles, car ils peuvent nager dans un liquide pendant une longue période. […] ». Sur la respiration des insectes chez Aristote, voir G.H. Müller, « The Development of Thought on the Respiration of Insects », in History and Philosophy of the Life Sciences, 7.2, 1985, p. 301-314.

37 Stanislas Giet, Basile de Césarée. Homélies sur l’hexaéméron, Paris, 1968, (Sources chrétiennes, 26 bis) VIII, 7 : 67-71.

38 Avicenne, Abbreviatio de animalibus, c. De sensu et motu, et vigilia, et somno, éd. Venezia, [c. 1500], f. 8v : Et animalia anulosa habent sensus multum acutos, et olfaciunt, et gustant, et audiunt a remotis, et sunt quidam odores, qui eis placent, et interficiuntur a quibusdam odoribus : sicut ab odore sulfuris, et arsae cutis, et origani. Igitur, et sicut formicae, quae quando ad foramen earum aliquid de praedictis rebus ponitur moriuntur, et fugiunt a fumo storacis. Et omnia anulosa fugiunt a fumo cornu cervi, et cefenegi : ita diligit storacem duram : quod quando est in fumo eius si amputari deberet non fugeret, et fugit de fumo speciei quae dicitur obore : et apes non veniunt ad locum mali odoris, et non quiescunt nisi in loco boni odoris, et ubi est dulcedo. « Les animaux annelés ont des sens très aiguisés, et ils ont le sens de l’odorat et du goût, et ils entendent de loin ; il y a certaines odeurs qui leur plaisent. Ils sont tués par certaines odeurs, comme par l’odeur du soufre, et de la peau brûlée, et de l’origan. Ainsi les fourmis, lorsqu’on place quelque chose parmi les substances mentionnées, devant leur trou, elles meurent, et fuient la fumée de l’encens. De nombreux annelés fuient la fumée de corne de cerf et du fenugrec. Il aime l’encens dur, car lorsqu’il se trouve dans sa fumée, même s’il devait être coupé, il ne fuirait pas. Il fuit la fumée d’une substance que l’on appelle ‘obore’. Les abeilles ne viennent pas vers un lieu malodorant, et ne se reposent qu’en un lieu où l’odeur est bonne et où il y a de la douceur » (ma traduction). Cf. Aristote, HA IV, 15, (534b12), traduction Michel Scot : Alia vero genera animalium - et sunt quatuor, scilicet malakie et mollis teste et dure teste et anulosi corporis - habent omnes sensus. Anulosi enim corporis sentiunt remote, sicut genus apum, et non faciunt hoc nisi sensu subtili. (534b21) Et quidam istorum moriuntur olfa<c>tu sulfuris. Et si quis acceperit sulfur et origanum agreste et pulv<er>izaverit et posuerit super mansiones formicarum, dimittent domos et fugient; et si quis suffumigaverit loca ex cornu cervi, fugient ab illis locis multi modi. Et fugiunt a fumo storacis sicci. (534b25) Et modus multipes deluditur et deprehenditur per huiusmodi fumum, quoniam diligit ipsum et intrat in vas, per quod venantur, et <non> abscindunt ipsum et non [recedunt] <recedit>. Et si quis suffumigaverit ipsum per medicinam, que dicitur kobora, fugiet subito. Et quilibet modi animalium diligit cibum proprium, ut manifestatur in apibus, quoniam non sedent super fetidum aut mali saporis aut odoris et diligunt dulce.

39 Cf. Iohannes Damascenus, De fide orthodoxa, II, 10 (de la terre et de ce qu’elle contient) : (trad. Eglise catholique orthodoxe de France, https://eglise-orthodoxe-de-france.fr/la_foi_damascene/ (consulté le 20 janv. 2022) (Saint-Jean Damascène, La foi orthodoxe, suivie de Défense des icônes. Traduction, introduction et notes Emmanuel Ponsoye, Paris, 1966 (Editions Cahiers Saint-Irénée) : « Il surgit à la voix du Démiurge tous genres d’animaux, de reptiles, de bêtes sauvages et de bêtes marines. Toutes celles à l’usage de l’homme ; pour sa nourriture comme cerfs, brebis, chèvres… ; pour l’aider, comme chameaux, bœufs, chevaux, ânes… ; pour son divertissement, singes ou oiseaux, pie, perroquet ; ou des plantes et des herbes, données tantôt pour la nourriture, tantôt pour les fruits, le parfum ou leurs fleurs, comme la rose ; ou pour guérir les maladies. Il n’y a aucun animal, aucune plante où le Démiurge n’ait mis quelque vertu utile à l’homme ».

40 Pierre Comestor, Historia scholastica, Liber Genesis, quaestio 8, De opere sextae diei, éd. Sylwan, 2005 : 19 : Sexta die ornauit Deus terram. Produxit enim terra tria genera animalium: iumenta, reptilia, bestias. Sciens enim Deus hominem per peccatum casurum in penam ad remedium laboris dedit ei iumenta, quasi iuuamenta ad opus uel ad esum.

41 Cf. Jérôme, Adversus Iovinianum, II, 6 : carnes viperae ad theriacam conficitur.

42 Peut-être un rapport avec Pline, HN, XXIX, 122 : boae quoque fel praedicatur ad albugines, suffusiones, caligines, adeps similiter ad claritatem.

43 Pour les traductions françaises des textes latins, j’ai pu bénéficier de l’aide précieuse de Monique Hincker, qu’il m’est un plaisir de remercier. Une partie de ces textes a été étudiée avec les participants à l’Atelier de traductions de textes naturalistes latins que j’ai organisé à l’Institut de recherche et d’histoire des textes en 2022 et 2023. Pour les identifications d’insectes, je suis reconnaissante à Pierre Klein, entomologiste lorrain, qui a bien voulu partager ses compétences.

44 Isidore, Etym. XII, c. 5, 1. La même citation est chez l’Experimentator, sans marqueur de citation : Fassung I, 101, De vermibus, éd. Deus : 278 : Vermis est animal, quod de carne uel ligno uel de quacumque re terrena gignitur sine ullo concubitu.

45 Aristote, De animalibus XV (732b1) : et quaedam faciunt ova completa, sicut aves et quadrupedia, ut tortuca et lacertulus et plura genera serpentum.

46 Consulté s.v. vermis dans la Latin Dictionary Database de Brepolis en ligne. Ioannes Balbus, Catholicon, Mainz, 1460. (republished by Gregg Intern. Publishers Limited, 1971). La ponctuation de l’édition corrompt le sens.

47 Corbechon, c. 112, rend ceci par « chenilles ».

48 Corbechon, c. 112 : « vers ».

49 Aristote, HA, V, 19 (551a7-10), trad. Jeanine Bertier, Aristote, Histoire des animaux, Paris, 1994 (coll. Folio), p. 290-291 : « Des animaux à entailles, les uns naissent d’animaux de même genre qu’eux, comme les tarentules, les araignées, de tarentules et d’araignées, ainsi que les attelabes, les sauterelles et les cigales (551a) ; les autres ne naissent pas d’animaux, mais ils le font d’eux-mêmes, les uns naissent de la rosée qui tombe sur les feuilles naturellement au printemps, souvent aussi en hiver, par beau temps et lorsque les vents du sud sont durables, les autres naissent dans la fange et l’excrément pourrissant, les autres (5), dans le bois vert ou dans le bois déjà sec, les autres, dans les poils des animaux, les autres dans la chair des animaux, les autres dans les résidus et de ceux-ci, les uns naissent de résidus déjà évacués, les autres, de résidus qui sont encore dans les animaux comme ce qu’on appelle helminthtes. Il en existe trois genres, celui qu’on dénomme plats, les ronds (10), et en troisième lieu les ascaris. De ces animaux, aucun autre ne naît. Mais le ver plat, seul, s’attache à l’intestin et donne naissance à quelque chose qui est comme une semence de concombre, signe auquel les médecins reconnaissent qu’on le possède ». La notion médicale de « parasite » n’apparaît qu’au XVIIIe siècle. L’exemple de résidu qui se trouve encore dans l’animal vivant est celui du heminth, c’est-à-dire le ver intestinal, dont il existe trois sortes, chez les hommes comme chez les animaux sauvages et domestiques. D’après L. Bodson, la parasitologie moderne reconnaît dans les vers plats les trematodes et les cestodes, ainsi que les plathelminths, dans les vers ronds les nématodes comme nemathelminths, par exemple les ascarides. Cf. Liliane Bodson, « Ancient views on pests and parasites of livestock », in Argos, Bulletin van het veterinair historisch Genootschap, 10, 1994, p. 303-310 : 305, col. 2, et note 61, où elle distingue entre les « ascarides » – vers sanguins – mentionnés à d’autres endroits de l’œuvre d’Aristote, et les « acarides » ou « ascarides » selon les éditions critiques, qui sont mentionnés dans ce passage.

50 Sirones, aussi appelés acarus, un insecte vu comme l’origine de la maladie de peau (dermatose) appelée scabies, mais qui dans ce cas désigne la gale, avec des insectes (acarus scabiei) appelés en Espagne aratores car ils creusent des galeries sous la peau. Notons que Blaise Pascal, dans le texte sur les « deux infinis », donne le ciron comme le plus petit animal.

51 Thomas de Cantimpré, LDNR, IX, 52, De verme, qui proprie vermis dicitur, repris par Vincent de Beauvais dans le Speculum naturale, XX, c. 68, De vermibus in generali, et le Speculum doctrinale, XV, c. 115, De vermibus. Le texte du Speculum maius de Vincent de Beauvais est enregistré et consultable sur le site Sourcencyme.irht.cnrs.fr hébergé à l’IRHT (Atelier Vincent de Beauvais). Sur le ver né sans accouplement préalable, comme le Christ d’une vierge, cf. Draelants, Ego sum vermis, et M. Van der Lugt, Le ver, le démon et la Vierge: les théories médiévales de la génération extraordinaire ; une étude sur les rapports entre théologie, philosophie naturelle et médecine, Paris, 2004 (L’âne d’or).

52 Trad. St. Schmitt, 2013 (Pléiade) : 518 : « Les insectes, comme on peut s’en rendre compte, semblent n’avoir ni nerfs, ni os, ni arêtes, ni cartilage, ni graisse, ni chair, ni même une croûte fragile comme certains animaux marins, ni ce qu’on pourrait appeler à juste tire une peau, mais un corps d’une nature intermédiaire, en quelque sorte, entre tout cela, d’aspect desséché, plus tendre sur le ventre, et plus dur, ou, plus exactement, mieux protégé sur les autres parties. »

53 Aristote, De animalibus, IV, 7 (532b1-5) : et propter hoc non habent spinam vel os, et non salvabuntur nisi propter [hoc] duricie<m> corporis. Et hic modus habet corium, set est subtile.

54 Aristote, De animalibus VII, 8 (605b19) : Et omnia animalia anulosa, cum inunguntur oleo, moriuntur; et moriuntur, cum caput eorum inungitur oleo et ponuntur contra solem. Voir aussi Ambroise de Milan, Hexaemeron, V, XXII, 76 (à propos des abeilles) : Denique si quis eas superfundat oleo, propere necantur; eo quod obstructis poris aerium spiramen illud haurire non possint: continuoque si quis acetum his superfundat, illico reviviscunt, eo quod vis aceti cito illos poros, qui concretione olei obstruuntur, humore feratur aperire. « Finalement si quelqu’un les asperge d’huile, ils sont rapidement tués, car ils ne peuvent puiser leur respiration par les pores obstrués. Et si quelqu’un les aspergeait aussitôt de vinaigre, ils reprennent vie tout de suite, car la force du vinaigre parvient à ouvrir par son humidité les pores qui étaient obstrués par l’accumulation d’huile ».

55 Pline, HN X, 189, trad. St. Schmitt, 2013 (Pléiade) : « Ainsi, certains animaux sont engendrés par des animaux non engendrés, et leur origine n’est en aucune manière semblable à celle des animaux dont on a parlé plus haut et de tous ceux qui sont engendrés par le printemps ou à une époque fixe de l’année. Parmi eux, certains ne produisent rien, comme les salamandres, et il ne s’y trouve ni mâles ni femelles, de même que chez les anguilles et tous ceux qui ne mettent au monde ni animaux vivants ni œufs ».

56 Etym. XII, 5, 10 : Teredonas Graeci uocant lignorum uermes, quod terendo edant. Hos nos termites dicimus.

57 II Reg. 23, 8 : Ipse est quasi tenerrimus lignis vermiculus, « il est comme le tendre vermisseau du bois » (explication d’un nom propre hébreu).

58 A ce sujet Draelants, Ego sum vermis. La source de Barthélemy (ou sa version précoce) est ici l’Experimentator, Kurzfassung, éd. Deus : 354, 61 : Veredo vermis est lignorum, qui licet mollis sit et paruus, tamen durissima ligna consumit. Fassung I, c. 96, éd. Deus : 276 : (Teredines) Licet in se valde mollis sit, tamen ligna durissima consumit. Voir aussi Fassung 1., p. 278, c. 101, De vermibus, 2 (…) : Artus est in extremis. Rodit et occulte mordet. Mollis, quando tangitur, set durus, quando tangit (voir note 24 ci-dessus). On peut comparer avec Thomas de Cantimpré, LDNR, IX, c. De teredinibus (qui reprend Isidore et l’Experimentator) et Vincent de Beauvais, Speculum doctrinale XV, c. 124, De his que incipiunt per T et V, qui semble s’inspirer d’Isidore et de Thomas de Cantimpré, mais en abrégeant et sans répéter l’autorité de l’Experimentator.

59 En marge du manuscrit Montpellier, Ecole de médecine, H 189 (siglé M), f. 236r : Nota de misericordia et iusticia. Les nombreuses notes marginales qu’on peut lire dans le ms. sont probablement contemporaines de la rédaction de l’encyclopédie et sont destinées aux développements d’analogies utiles pour les sermons.

60 Marg. M f. 236r : Nota quomodo christus natus est de virginis utero.

61 La terebella est un ver marin qui attaque les bois des navires. Le mot est aussi employé pour un instrument de trépanation ou de perforation en chirurgie.

62 Experimentator, Fassung I, 101, 2, De vermibus, éd. Deus : 278 : Vermis egreditur de terra finita hyeme et incipiente vere. Salsa cauet. Linum corrodit sicut tinea lanam. Quando lassatur, silet.

63 Trad. S. Schmitt, XI 39 (§115) : 542 : « …ce mal. Celui-ci naît aussi dans un certain type d’étoffes, surtout celles faites en laine de moutons tués par un loup. » (…) XI 41 (§117) : 543 : « La poussière engendre également des teignes dans la laine et les vêtements, surtout quand une araignée s’est trouvée enfermée avec ».

64 Experimentator, Fassung I, 101, 2, De vermibus, éd. Deus : 278 : 2. (suite) Rodit et occulte mordet. Mollis, quando tangitur, set durus, quando tangit. Flexibilis est. Ore trahit se. Neruis contractis est <et> sine medulla (voir note 24 ci-dessus).

65 Marg. M, f. 236r : Nota quod christus non ledit eos qui sunt in penitentia et castitate : « Note que le Christ ne blesse pas ceux qui sont dans la pénitence et la chasteté ».

66 Marg. M, f. 236r : Nota quod illi conficere(n)tur in penis in quorum corde et opere demon habuerit potestatem : « Note que sont accablés par les peines ceux dans le cœur et l’action desquels le démon a le pouvoir ».

67 Marg. M, f. 236r : Nota de humilitate christi et eius benignitate.

68 Marg. M, f. 236v : Nota quod ex improviso punit.

69 Albert le Grand rapporte deux fois cette propriété dans son De animalibus. En VII, tr. 1, De moribus et vita animalium, c. 5, De diversitate cibi quadrupedum animalium generantium animalia sibi similia, et de cibis anulosorum, éd. Stadler : 520 et en XXII, tr. 2, c. 1 : 1411. Le passage est chez Aristote, De animalibus VII, 4 (596b3) et Pline, HN, XI, 115).

70 Trad. St. Schmitt, p. 518 : « Ils ont des yeux et, en outre, parmi les sens, le toucher et le goût ; certains ont aussi l’odorat, et un petit nombre également l’ouïe ». Cf. Aristote, HA IV, 8 (534b-535a).

71 Marg. M, f. 236v : Nota quod christus in habentibus dulcem conscientiam delectatur.

72 Marg. M, f. 236v : Nota de predonibus [proies]

73 Marg. M, f. 236v : Nota de variis modis dominandi [do-di] et proficiendi.

74 Marg. M, f. 236v : Notabilia.

75 Il semble que Barthélemy n’ait pas utilisé directement la traduction d’Henri Aristippe ni celle de Guillaume de Moerbeke, avec lesquelles j’ai comparé ses dires, mais déjà un commentaire ou une glose systématique des Météorologiques, qui n’est pas non plus celui d’Alfred de Shareshill. Des investigations plus poussées sur la question devraient permettre de découvrir des commentaires précoces aux Météorologiques, dans la foulée des travaux de Roger French (R. French, « Teaching Meteorology in Thirteenth Century Oxford : the Arabic Paraphrase », Physis, 36, 1999, p. 99-129), malheureusement décédé précocement.

76 Dans une partie de la tradition manuscrite comme dans le ms. M, f. 250r, il n’y a pas de chapitre distinct De putredine, le discours poursuit le chapitre précédent.

77 Marg. M, f. 250rb : Nota de discordia.

78 Marg. M, f. 250rb : Nota qualia mala oriuntur ex discordia.

79 Marg. M, f. 250rb : Nota quot mala facit peccatum.

80 Marg. M, f. 250rb : Nota quod demones in malus delectantur.

81 Marg. M, f. 250rb : Nota de excomunicatis uel malis sociis.

82 Aristote, De animalibus, V, (539a14) : Et debemus scire, quod quedam quadrupedia generant animalia ; bipedia vero non generant animalia preter hominem.

83 Ed. J. K. Otte, Alfred of Sareshel’s Commentary on the Metheora of Aristotle. Critical Edition, Introduction and notes, Leiden, 1988.

84 Glose d’Adam de Buckfield sur le texte d’Henri Aristippe pour le livre IV des Météorologiques : Mss. Bologna, Coll. di Spagna 159, f. 114v ; Città del Vaticano, BAV Urb. lat. 206, f. 210ra-256rb, f. 239v sq. pour les passages ci-dessous ; Lisboa, BN Alcobaça 382 (179), f. 101va; London, Wellcome Libr. 3, f. 117vb ; München, BSB, Clm 14522, f. 176r ; Firenze, Bibl. Med. Laur., Plut. 13, sin. 7, qui s’appuye sur Alfred de Shareshill. La « glose d’Oxford » s’appuye elle-même sur Alfred de Shareshill et sur Adam de Buckfield : ms. London, British Libr., Harley 3487, f. 140v-173r, 3e quart du XIIIe s. (le livre 4 commence au f. 161v ; les parties citées par Barthélemy ne sont pas commentées dans ce ms. qui a peu de gloses pour la fin des Météorologiques) ; Durham, Cathedral Libr., C.III.17, n’a pas non plus ces gloses. Je remercie vivement Emmanuelle Kuhry pour l’indication de ces manuscrits.

85 Ce passage a été étudié en rapport avec d’autres notices sur poux et puces dans I. Draelants, « Poux, puces et punaises chez les naturalistes du 13e siècle : de simples vermes ou des parasites nuisibles ? », in Poux, puces et punaises : la vermine de l’homme. Découverte, description et thérapeutique. Antiquité, Moyen âge, Temps Modernes, Fr. Collard – E. Samama (éd.), Paris, 2015, p. 195-225.

86 Isidore, Etymologies, XII, 15 : Pulices vero vocati sunt quod ex pulvere magis nutriantur.

87 Le texte de l’édition, qui comprend de nombreuses erreurs typographiques et est surponctué, a été légèrement aménagé.

88 Il participait au séminaire organisé le 26 mars 2022 sur les insectes chez Barthélemy et Corbechon. Je lui suis reconnaissante pour ses judicieuses remarques.

89 L’édition de Francfort peut être amendée, comme précédemment, grâce au ms. Paris, BnF, lat. 16099, f. 184ra-185ra.

90 Sur les légendes liées à la distinction φάλαγξ/ἀράχνη, voir S. Ballestra-Puech, « L’araignée, le lézard et la belette : versions grecques du mythe d’Arachné », dans Rursus, 2, 2007, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursus/97. Voir dans le présent numéro, les remarques d’Anaelle Broseta à ce propos (note 38). Elle indique entre autres que même quand la description est moins précise, la traduction fréquente de φαλάγγιον par « tarentule » est une erreur, car la tarentule est une lycose (Lycosa tarantula), c’est-à-dire une araignée non venimeuse. Voir aussi Sébastien Barbara, « Les phalanges de Socrate (X., Mem., I, 3, 11-13) », Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes, 94/1, 2020, p. 7-38.

91 Voir aussi Francesco Santi, « Il senso del ragno. Sitemi a confronto », Micrologus, X, 2002, p. 147-161 (sur la symbolique de l’araignée et son anatomie, de l’Antiquité à la Renaissance).

92 Remarque le 12 juin 2023.

93 Albert le Grand, De animalibus, XII, tr. 2, c. 1, éd. Stadler : 1372. 

94 En traduisant cette affirmation, Corbechon a fait un contresens.

95 Cf. Experimentator, Fassung I, c. 63, De aranea, éd. Deus, 1998, p. 256-257, dans les mêmes termes.

96 Le passage ne se trouve pas dans l’Abbreviatio de animalibus d’Avicenne. Il y a quelque chose d’approchant (mais général) sur le nombre de pattes (éd. Venezia, [c. 1500], dont le texte est très corrompu) : IV, De anathomia animalium aquaticorum, & de membris anulosorum. (f. 7v) Et anulosorum volantium quedam sunt quae habent duas alas : ut muscae, & quedam quattuor, ut vespae & illorum quaedam sunt quae saltant, & quaedam sunt quae coeunt, ut locustae, & sunt illa quae habent pedes posteriores longiores, & ista pars que ita coit non habet testam, neque spinas, neque ossa : nisi solum corium durum. Voir aussi le chap. De natura volatilium & maxime quae rapina vivunt, f. 7v : Et aranee diversorum modorum sunt, quia quedam sunt magni corporis, & quaedam parvi: & quaedam pungunt & quaedam non pungunt, & sunt pauce quae texunt prope terram & illud est modicum in quantitate, & hoc, ut abscondant se quousque aliqua bestiola moueat ipsam : & texturam; & cum sentit rapit illam bestiolam & captivat ipsam & est unum genus aranearum quod dicitur operatrix & tendit fila sua secundum similitudinem pallorum & tunc quando cadit super illud quod ibi tenditur musca aut alia bestiola interficit ipsam, & maxime si fuerit famelica fugat ipsam & non portet ipsam in mariolo suo & post redit ad locum factum illius inde & reperiat quod dilacerabatur, & operatrix nihil est foemina & masculus disrumpit taelam & est stultus.
Sed aranea quae habet pedes magnos fecit taelam & supponit quaedam fila & pendet per illa sed minor facit per se casulam & abscondit se in illa
& credo quod materia illius taele est illud quod est de manifesto sui corporis & aranea parva est tante audacie quod vadit ad bestiolam parvam que dicitur adeclaie & texti super os suum cum timore & facta textura super os postea texit audaciter in circuitu totius corporis.

97 Aristote, De animalibus, I, c. 2 (488a15) : Et quedam aves (…) sicut apes et genus aranee. Nam gustabile apis est mel et quedam alia pauca de numero dulcium. Aranee vero vivunt de venatione muscarum, et quedam vivunt de venatione piscium. (623a8) Et invenitur etiam aliud genus discretius isto, quoniam prius extendit fila texture et ponit ipsa in terminis; de inde intexit in medio inter istas extremitates et imponit texturam sufficientem et preparat locum conve<n>ientem venationi. Et ipse venit ad medium quasi speculator alicuius bestiole, que cadit. Et si aliquid ceciderit, subito movetur aranea et exebit (!) a suo loco et incipiet legare eam et involvere illam [texturam] in textura, quousque perveniat ad [in]debilitatem. Deinde sumit ipsam ad locum, in quo deponit, quod deprehendit, et cum patitur famem sugget eius humiditatem.

98 Aristoteles, De anim. V, 2 (542a12) Modi vero aranearum cum voluerint coire, mulier attrahit marem per fila tele, et mas postea feminam. Et non cessabit attractio quousque coniunga<n>tur, et mas ponitur super ventrem femine. Et iste modus coitus est in eis propter rotunditatem ventris. Voir aussi Avicenne, Abbreviatio de animalibus, V, c. Indictione communiter diversi animalum, f. 9r, qui indique des moments d’accouplement différents : Et quando aranea desiderat coitum per tunicam suae telae trahit masculum, & non cessant alicere se per huius attractionem quousque coniunguntur adinvicem : & concurrit venter masculi cum ventre foeminae. Et scias quod maior appetitus animalis est in fine yemis, & inceptione vaeris. (sic).

99 Cf. Experimentator, Fassung I, c. 63 (suite, 7).

100 Aristoteles, De anim. VIII, 7 (623a2).

101 Cf. Experimentator, Fassung I, (suite 8), avec moins de détails.

102 Pline mentionne ce partage des tâches : HN XI, 84. Pour l’ensemble du passage, comparer avec Avicenne, Abbreviatio de animalibus, IX, c. De naturis uolatilium, & maxime quae rapina uiuunt : (f. 107v) : Et aranee diversorum modorum sunt, quia quaedam sunt magni corporis, et quaedam parvi : et quadam pungunt et quaedam non pungunt, et sunt pauce quae textunt prope terram, et illud est modicum in quantitate, et hoc, ut abscondant se quousque aliqua bestiola moveat ipsam : et texturam : et cum sentit [blanc] rapit illam bestiolam et captivat ipsam
et est unum genus aranearum quod dicitur operatrix : et tendit fila sua secundum similitudinem pallorum,
et tunc quando cadit super illud quod ibi tenditur musca : aut alia bestiola interficit ipsam, et maxime si fuerit famelica fugat ipsam :
et non ponet ipsam in mariolo suo :
et post redit ad locum
factum illius inde, et reperiat quod dilacerabatur,
et operatrix nihil est foemina, et masculus disrumpit taelam : et est stultus.

103 Cf. Avicenne, Abbreviatio de animalibus, c. De naturis apium (f. 18r) : Et aliter corrumperetur mel : et statim generabuntur in eo aranee.

104 Avicenne, Abbrev. de animalibus IX, cap. Capitulum de naturis uolatilium, & maxime quae rapina uiuunt (f. 17v) Sed aranea quae habet pedes magnos fecit taelam, et supponit quaedam fila : et pendent per illa sed minor facit per se casulam, et abscondit se in illa, et credo quod materia illius taele est illud quod est de manifesto sui corporis.

105 A comprendre en un mot comme chez Pline (acc. plur.) et pas en deux mots comme dans l’éd. Frankfurt 1601.

106 Il y a pour ainsi dire deux explications successives du même tissage (probablement tirées de deux sources, la deuxième étant Pline).

107 Je n’ai pas pu identifier le passage.

108 Comparer avec l’Experimentator, Fassung 1 (2).

109 On remarquera les différences marquantes avec le texte de Pline, qui a dû être transmis corrompu (à moins que le texte de Barthélemy l’ait été dès les premiers manuscrits : vipere pour vespae, catuli (les petits de la belette) pour la morsure de la belette.

110 « entre les trous » est bizarre : les araignées fouisseuses font des trous dans la terre, comme des pièges recouverts de leurs toiles.

111 Cf. Albert le Grand, De animalibus XXVI, éd. p. 1581 : Araneae autem quaedam et fumus et mures nocent eis ita quod deserunt alvearia.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Isabelle Draelants, « Les insectes dans « Les propriétés des choses » chez Barthélemy l’Anglais et chez son traducteur Jean Corbechon »RursuSpicae [En ligne], 5 | 2023, mis en ligne le 13 décembre 2023, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursuspicae/3156 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rursuspicae.3156

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Auteur

Isabelle Draelants

Isabelle Draelants est directrice de recherche au CNRS et responsable de la section latine à l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT). Ses travaux portent sur la philosophie naturelle au XIIIe siècle, les textes naturalistes médiévaux et leurs sources (en particulier dans les encyclopédies latines), et sur les sciences du ciel et le comput au haut Moyen Âge.

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