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Voyage aux confins du visible : le venin subtil des bêtes qui piquent, de Théophraste à Galien1

Journey to the Edge of Vision: The Subtle Venom of Stinging Animal, from Theophrastus to Galen
Anaëlle Broseta

Résumés

Cet article porte sur la catégorie des « bêtes qui piquent » (βλητικά), une classe zoologique quelque peu méconnue de la littérature savante grecque, qui émerge dans le cadre de la réflexion sur les venimeux. L’étude s’attache d’abord à définir cette catégorie dans le contexte où elle voit le jour, c’est-à-dire dans l’opuscule que Théophraste consacre aux Animaux qui mordent et qui piquent : dans ce petit traité, les bêtes qui piquent se caractérisent à la fois par leur organe vulnérant, dard ou aiguillon, et par l’étiologie de l’envenimation que cet organe engendre, attribuée à l’action d’une force immatérielle ou d’un souffle ; à la différence des animaux qui mordent, en effet, les bêtes qui piquent n’ont pas de venin observable à l’œil nu. La deuxième partie de l’article se concentre sur l’aiguillon, plus précisément sur les considérations qu’il inspire par sa finesse hyperbolique : à l’époque hellénistique, cette λεπτότης naturelle est valorisée par un discours qui mêle science et esthétique et les bêtes à piquant sont rebaptisées « bêtes fines » (λεπτὰ θηρία). Le thème du venin des bêtes qui piquent connaît également une fortune intéressante, étudiée dans un troisième temps : alors que Théophraste décrivait le venin invisible comme quelque chose d’immatériel, il semble que certains auteurs thériaques aient conjecturé l’existence d’une matière venimeuse microscopique, analogue au venin de serpent malgré son minuscule volume.

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Texte intégral

  • 1 Ce travail a été présenté pour la première fois lors du séminaire « Transmissions et réceptions des (...)
  • 2 Sauf indication contraire, les traductions sont personnelles.

Εἰ δὲ ἀληθῆ τὰ περὶ τῶν σκορπίων, ἤδη καὶ τἆλλα οὐκ ἀπίθανα τὰ τοιαῦτα · καὶ τὰ μυθώδη δὲ οὐκ ἀλόγως συγκεῖται.
Si ce qu’on raconte au sujet des scorpions est vrai, dès lors les autres histoires du même genre ne sont pas indignes de foi ; et ce n’est pas sans raison que les fables ont été composées2.
ThÉophraste, Recherches sur les plantes, 9.18.2

Introduction

  • 3 Pour cette définition large du grec ἔντομον, conservée dans le latin insectum, voir Aristote, Histo (...)

1Sous le nom de βλητικά, le discours zoologique ancien réunit, dans un seul et même groupe, la somme hétéroclite des « animaux qui piquent ». Y sont inclus divers insectes suceurs-piqueurs, des arachnides, tels les araignées venimeuses et les scorpions – que les Anciens considèrent comme des insectes3 –, mais aussi toute créature pourvue d’un dard ou d’un piquant, de même que tout être détenteur d’une faculté vulnérante énigmatique, assimilée à une piqûre en raison de son caractère insaisissable et mystérieux. Cette catégorie savante, toutefois, est évanescente et confidentielle ; elle est facilement éclipsée par l’ensemble, plus large, des animaux venimeux, les θηρία, dans lequel elle s’inscrit ; elle aura néanmoins connu quelques siècles d’une existence discrète, qui commence avec Théophraste et s’achève peu ou prou à l’époque de Galien.

Paradoxe des bêtes qui piquent

2Si, malgré ces intermittences, les bêtes qui piquent méritent de retenir l’attention, c’est en raison du paradoxe qui tient à deux de leurs qualités, en apparence contradictoires : leur redoutable puissance venimeuse, d’une part ; leurs proportions infimes, d’autre part – qui paraissent d’autant plus remarquables quand on s’intéresse à leur organe vulnérant, dard ou aiguillon, à la finesse exacerbée.

  • 4 Le terme de iologie fut forgé au milieu du xixe siècle par Otto Schneider, dans un ouvrage fondateu (...)
  • 5 Outre son sens générique de « bête sauvage, animal », θηρίον peut prendre les acceptions spécifique (...)
  • 6 Presque toutes les occurrences du terme sont des citations du traité de Théophraste : voir Diogène (...)

3De la première de ces deux propriétés, il résulte que nos bêtes apparaissent dans des écrits d’un genre particulier : les occurrences de la catégorie se concentrent dans l’abondant discours scientifique, à mi-chemin entre zoologie et médecine, que les Anciens consacrent aux venimeux et à leur venin, lequel jouit d’un très grand succès à l’époque hellénistique. Les noms qui lui sont donnés varient selon l’époque : ce que la philologie moderne appelle iologie, d’après le grec ἰός, « venin » ou « poison », était généralement qualifié par les Grecs de λόγος θηριακός, ou λόγος περὶ θηρίων 4 ; le terme θηρίον doit alors s’entendre au sens spécialisé de « bête à venin »5. C’est dans cette tradition grecque, puis romaine, du discours περὶ θηρίων que les bêtes piquantes ont leur berceau : l’adjectif βλητικός, ή, όν apparaît avec le premier traité consacré aux venimeux, celui de Théophraste, intitulé, justement, Sur les animaux qui mordent et qui piquent (Περὶ τῶν δακετῶν καὶ βλητικῶν) ; au sens qui nous intéresse, βλητικός, ή, όν ne se rencontre ensuite qu’en de rares occurrences, presque toujours au sein du discours thériaque6 ; la classe zoologique des βλητικά relève donc d’une littérature très spécialisée et cette technicité explique sans doute, au moins en partie, le peu d’intérêt jusqu’ici suscité par la notion.

  • 7 Voir C. Mugler, Dictionnaire historique de la terminologie géométrique des Grecs, Paris, 1958-1959, (...)

4La petitesse des βλητικά constitue le second trait marquant de la catégorie. Leur dard, paroxysme de finesse aux yeux des Anciens, est à cet égard un attribut crucial. Il sert de dénominateur commun à toutes les bêtes qui piquent, de facteur d’unité susceptible de réduire la disparate de l’ensemble : les différentes formes d’organe piqueur distinguées par la zoologie moderne – dard ou aiguillon des insectes et des scorpions, éperon des venimeux aquatiques, épines des plantes urticantes, voire chélicères des araignées – sont ainsi résumées, en grec, par le terme générique de κέντρον, que nous pourrons traduire par « dard », « aiguillon » ou « piquant ». Or ce piquant, on le verra bientôt, est volontiers décrit comme un cas limite : c’est un exemple extrême de finesse naturelle, au seuil de l’indiscernable ; une représentation encouragée, sans doute, par la polysémie du mot κέντρον qui, en géométrie, désigne le centre d’un cercle ou d’une ellipse et quelquefois le point ou le sommet dans un sens plus large, objet sans dimension7.

Venin d’insecte et limites du visible

  • 8 Ce paradoxe de l’action venimeuse est exprimé avant que la distinction entre δακετά et βλητικά ne s (...)

5En vertu du contraste opposant les terribles conséquences de leur piqûre et leur apparence dérisoire, les βλητικά ne manquent pas de susciter l’admiration et, partant, d’inspirer l’interrogation et la recherche. De manière générale, il est vrai, l’antithèse entre petite cause et grand effet est un motif récurrent du discours περὶ θηρίων, et l’on peut tout à fait parler du « paradoxe des venimeux » de manière indifférenciée, en incluant des bêtes qui mordent, dépourvues de dard, comme les serpents8. Mais le problème se pose avec une acuité particulière dans le cas des animaux qui piquent : aux dimensions étroites que cette catégorie partage avec celle des bêtes qui mordent s’ajoute la question, qui lui est spécifique, de l’invisibilité du venin.

  • 9 Une piqûre d’abeille, à titre d’exemple, ne libère au maximum qu’entre 0,2 et 0,5 milligramme de ve (...)

6Apportée par un organe aussi étroit que la plus mince des aiguilles, la douleur distillée par le dard des βλητικά est problématique en ce que l’agent toxique qui est en jeu occupe, au moins dans la plupart des cas, un volume microscopique9. Ce venin invisible est donc presque toujours inaccessible, dans l’Antiquité, à l’examen autoptique, les capacités d’observation étant limitées, comme on le sait, à l’échelle macroscopique. Ce n’est qu’au prix de conjectures abstraites, ou par inférence à partir d’autres types de venin, qu’il est possible de postuler son existence ; encore cette existence demeure-t-elle toujours douteuse.

Déroulement de l’enquête

7Ces questions, tout en participant de l’ample problème des limites de la perception, se cristallisent de manière singulière, cohérente et concrète dans le petit dossier des bêtes qui piquent. Pour mieux comprendre leur intérêt épistémologique, nous proposons ici une enquête en trois temps :

  • Notre objectif sera, d’abord, de définir la catégorie des βλητικά dans le contexte initial de ses apparitions : le traité théophrastéen Sur les animaux qui mordent et qui piquent fait notamment émerger une catégorie définie d’une part par un organe piqueur, d’autre part par un venin invisible qui semble associé aux idées d’un souffle ou d’une vertu immatériels – deux notions qui s’opposent au venin « positif » des bêtes qui mordent.

  • Nous nous intéresserons ensuite à l’histoire des savoirs dérivant de l’enseignement de Théophraste. L’accent sera mis, en particulier, sur l’expression de « bêtes fines » (λεπτὰ θηρία), utilisée dans des textes d’époque impériale comme un synonyme de βλητικά : ce second baptême fera l’objet de la deuxième partie de notre enquête.

  • Un troisième temps, enfin, sera consacré aux questions suscitées par la catégorie des bêtes qui piquent, plus précisément aux objections pouvant être soulevées contre la thèse de l’immatérialité du venin d’insecte. Nous verrons que les interrogations des successeurs de Théophraste sont étroitement liées à la mise en évidence du venin de scorpion, un liquide toxique bel et bien observable à l’œil nu : à partir de cet exemple, il est possible d’inférer que les aiguillons des insectes fonctionnent de la même manière et qu’il s’y cache une dose infime de substance venimeuse, si petite qu’elle échappe au regard humain ; le pas peut donc être franchi, entre l’observation entomologique et la discussion entomologique, peut-être même la controverse.

1. Théophraste et l’opuscule sur les venimeux : contours mouvants de la catégorie des bêtes qui piquent

  • 10 Le thème de l’envenimation dans l’art antique est notamment illustré par le cas de Philoctète, dont (...)
  • 11 Sur les traités zoologiques de Théophraste, qui furent très tôt confondus avec l’œuvre d’Aristote, (...)

8C’est, semble-t-il, avec Théophraste que la catégorie des bêtes qui piquent reçoit son acte de naissance. L’intérêt pour les phénomènes d’envenimation, attesté par les sources archaïques et classiques, est autrement plus ancien10. Mais la possibilité d’une enquête scientifique, qui pose la question des causes et se concentre, plus spécifiquement, sur les animaux venimeux, ne se présente véritablement qu’au ive siècle avant notre ère, avec le grand programme de recherche zoologique lancé par Aristote, puis poursuivi par Théophraste dans ses petits traités11 : c’est dans l’un de ces opuscules, l’ouvrage Sur les animaux qui mordent et qui piquent (Περὶ τῶν δακετῶν καὶ βλητικῶν), que le nom de βλητικά fait sa première apparition.

  • 12 Sur les questions relatives à l’histoire du texte des Solutiones ad Chosroem et au contexte du séjo (...)
  • 13 Voir A. Zucker, « Théophraste à mots découverts : sur les animaux qui mordent ou piquent », in D. A (...)
  • 14 L’ensemble de ces témoignages est donné par Jacques, dans les annexes de son édition des Thériaques (...)

9La première partie du présent article vise à définir la place des bêtes qui piquent au sein de la faune venimeuse de Théophraste. L’exercice doit passer par une étape de reconstitution, rendue nécessaire par l’état de transmission de l’opuscule qui nous intéresse : le traité théophrastéen ne nous est pas parvenu dans sa forme originale, mais à travers le double filtre d’une paraphrase grecque faite par Priscien de Lydie, à la fin de l’Antiquité, puis d’une traduction latine ad verbum rédigée au ixe siècle de notre ère12 ; cette paraphrase, contenue dans les Solutiones ad Chosroem, est vraisemblablement fidèle, dans l’ensemble, au texte source13 ; son témoignage est par ailleurs confirmé par une riche tradition indirecte, due pour l’essentiel au travail de compilation de Pline l’Ancien, d’Élien ou, dans le registre paradoxographique, au recueil aristotélicien De mirabilibus auscultationibus14. À partir de ces témoins, il est possible de faire apparaître une répartition des venimeux en deux groupes, correspondant au titre de l’opuscule ; cette bipartition semble pouvoir s’articuler, du moins dans ses grandes lignes, avec une alternative opposant deux étiologies de l’action venimeuse, selon qu’elle s’accomplit par une substance matérielle ou immatérielle.

1.1. Une terminologie nouvelle : δακετά et βλητικά

  • 15 C’est souvent dans les titres de traités sur les venimeux que ces termes sont employés. On peut cit (...)
  • 16 Du côté latin, les expressions de type ictus morsusque sont nombreuses, bien que les référents derr (...)

10Le premier élément de cohérence tient à la terminologie consacrée par le titre de l’opuscule. Si les deux substantifs choisis sont remarquables, c’est, en premier lieu, pour leur rareté ; c’est aussi pour leur dimension technique, nouvelle à l’époque du petit traité théophrastéen et dont ils seront dorénavant revêtus. Dans les sources ultérieures, en effet, le binôme δακετά/βλητικά, sa variante δακετά/βλητά ou le seul δακετά font encore plusieurs apparitions, toujours dans un contexte iologique, quand ils ne sont pas concurrencés par des expressions plus englobantes, comme celle de θηρία, qui finira d’ailleurs par les éclipser15 ; l’ensemble des bêtes qui mordent et qui piquent est par ailleurs sous-entendu dans l’expression latine ictus morsusque, « les piqûres et les morsures », récurrente chez Pline et chez les médecins dans des contextes clairement liés au traitement des envenimations16.

  • 17 Aristophane, Oiseaux, v. 1069 ; on peut sans doute ajouter Sophocle, fr. 245 Radt, où la forme au d (...)
  • 18 Par exemple Eschyle, Prométhée, v. 583 ; Agamemnon, v. 824 ; Euripide, Hippolyte, v. 646. Comme pou (...)
  • 19 Ctésias, fr. 45l Jacoby (ap. Élien, P. A., 4.37) ; Hypéride, fr. 19 Jensen (ap. Harpocration, Lexic (...)
  • 20 Aristote, Topiques, 6.2, 140a 4. Nous empruntons le néologisme de « putrimordant » à la traduction (...)
  • 21 Hippocrate, Maladies des femmes, 66.42, 230.60 et 230.61 (VIII, 138.19, 442.20 et 442.21-22 Littré) (...)

11Le premier élément du titre grec, le nom de δακετόν (également accentué δάκετον) ne compte qu’une poignée d’emplois avant Théophraste, et sa signification de « bête qui mord » doit, dans ces occurrences anciennes, s’entendre au sens large de « bête qui inflige des morsures, fauve, bête féroce »17 : il ne se distingue guère alors du neutre δάκος – également dérivé de δάκνω, « mordre » –, terme d’usage courant dans le corpus tragique18. Les choses changent à l’époque de Théophraste, quand δακετόν se spécialise au sens de « bête venimeuse qui mord, bête qui injecte du venin par morsure »19 . Une terminologie nouvelle se constitue alors, tout particulièrement dans les milieux philosophiques de l’Académie et du Lycée : Platon, au dire d’Aristote, définit l’araignée-phalange comme σηψιδακής, ές, « qui provoque la putréfaction par sa morsure » ou « putrimordant », pour proposer un néologisme équivalent au terme grec20 ; parallèlement, un adjectif morphologiquement très proche de celui qui nous intéresse, δηκτικός, , όν, passe de la médecine à la zoologie et du sens hippocratique de « doté d’un goût mordant » à l’acception de « venimeux qui mord », que lui donne le Stagirite21. Théophraste n’est donc pas le premier à s’intéresser aux venimeux, ni vraisembablement le seul à user de δακετόν dans sa nouvelle acception : mais c’est assurément grâce à l’opuscule théophrastéen sur les venimeux que le mot s’ancre, après lui, dans la tradition scientifique.

  • 22 Dans les sources littéraires, on ne trouve aucune occurrence antérieure à Théophraste et il n’y a, (...)
  • 23 Cette notion fondamentale d’une action à distance, caractéristique des armes de traits ou de jet, d (...)
  • 24 Cette acception est notamment présente dans le composé ἰοβόλον, qui désigne les venimeux comme les (...)
  • 25 Ainsi, en dehors du petit traité théophrastéen, il est dit que les faux bourdons, dépourvus de dard (...)
  • 26 Sur la valeur de ce suffixe, cf. P. Chantraine, « Le suffixe grec en -ικός », in P. Chantraine, Étu (...)

12Le terme de βλητικόν, second élément figurant dans le titre de Théophraste, est quant à lui un véritable néologisme22. Il s’agit de la substantivation de l’adjectif βλητικός, , όν, lui-même formé à partir du verbe βάλλω, par dérivation en -ικός. Au point de vue du sens, on trouve dans le néologisme d’abord le sème central du verbe dont il est issu : βάλλω signifie « atteindre d’un trait », « toucher à distance », dans son sens le plus ancien et, de là, « lancer quelque chose » en usage transitif23 ; il veut également dire « frapper », dans une acception réservée à l’action des bêtes à venin24 ; plus spécifiquement enfin, et si l’on suppose que la conjonction καί, dans le titre de Théophraste (περὶ δακετῶν καὶ βλητικῶν), a valeur disjonctive, le même verbe βάλλω peut encore signifier « piquer » et désigner, ainsi, le mode particulier d’injection de certains venimeux, qui s’oppose à la morsure des δακετά25. À ce radical s’ajoute le suffixe -ικός, dont la fonction première est, justement, de dégager un caractère spécifique pour marquer l’appartenance à un groupe, dans la perspective d’une classification26.

  • 27 Aristote, H. A., 4.7, 532a 11-12 : ὥσπερ ὅπλον ; cf. 9.41, 628b 5-6 : οἱ δ’ ἔχοντες τὰ κέντρα μείζο (...)
  • 28 Ce statut de vedette est dû, assez logiquement, à la taille de l’animal, à la longueur de son dard (...)
  • 29 Voir notamment Élien, P. A., 5.16 : la guêpe, enduisant son dard de venin de vipère, est invoquée c (...)

13Par le seul cadre lexical, les βλητικά, animaux piqueurs, se voient donc distingués des autres venimeux : ils se différencient des animaux mordeurs par le fait de « jeter » quelque chose, sans doute leur aiguillon ou leur venin, agissant en cela à la manière d’un lanceur de javelot, ou comme un archer qui décoche une flèche (βάλλειν). L’analogie caractéristique de l’arme de jet peut se comprendre comme une référence à l’organe vulnérant des bêtes qui piquent, effilé et pointu, à maintes reprises décrit par Aristote comme utile au combat27. L’image est singulièrement approfondie dans le cas du scorpion, animal vedette parmi les βλητικά, dont les affinités avec la figure de l’archer sont soulignées par le Stagirite28. Mais en dehors même de cette créature emblématique, le dard est également assimilé à une arme ou à une flèche dans le cas de la guêpe, elle aussi associée à des images de guerre et de combat, et, secondairement, dans le cas de l’abeille29.

14À ce stade, c’est-à-dire au niveau purement lexical, les βλητικά sont donc une étiquette idéale pour désigner conjointement insectes et autres arthropodes piqueurs. Le verbe βάλλω se prête d’ailleurs particulièrement bien à des acceptions plus étendues, pouvant désigner toute action qui s’exerce – ou semble s’exercer – à distance, avec le moins de contact possible : mode d’envenimation sans contact qui sera associé, nous le verrons plus loin, aux notions de « souffle » ou de « vertu », désignées comme causes du phénomène venimeux30.

1.2. Des animaux à l’anatomie variable : bêtes à crochets, bêtes à dard et autres bêtes

15À l’un et l’autre mot correspondent des catégories d’animaux, ou mieux, d’êtres vivants et de phénomènes naturels, aux contours plus ou moins précis. Le partage n’apparaît pas de façon explicite dans la transposition de Priscien que nous devons consulter, en sorte qu’il nous faut le conjecturer à partir du déroulement général de l’exposé et des ruptures qui s’y font jour.

16Dans la première partie de l’exposé qui, comme nous l’avons vu, s’interroge sur les causes multiples de l’envenimation, l’action venimeuse des différentes bêtes énumérées se voit affecter différentes causes selon que ces animaux sont mordeurs, d’abord, ou piqueurs, dans un second temps : autrement dit, sur le plan anatomique, selon qu’ils sont pourvus de crochets ou d’aiguillon. De ces deux catégories, la seconde fait davantage difficulté, parce qu’elle est moins bien connue et parce que s’y greffent, semble-t-il, toutes sortes de bêtes qui n’ont pas de dard mais qui, comme les βλητικά, exercent leur action délétère de manière mystérieuse et qui sont présentées comme un prolongement de cette catégorie, dans un mouvement qui semble aller du plus manifeste au plus obscur.

  • 31 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 1 Jacques.
  • 32 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr.2 J.
  • 33 Ps.-Aristote, Mir., 141 (ἐξ ἐχίδνης). Cf. le parallèle latin de Pline l’Ancien, H.N., 11.279 (uiper (...)
  • 34 Pour être plus précis, on peut identifier, derrière le latin uipera, trois espèces de vipères itali (...)
  • 35 Bodson, « Les noms de serpents », 1986 : p. 68.
  • 36 Une exception importante est le cas du serpent ieros, qui tue par la seule action de son souffle : (...)
  • 37 Par exemple Nicandre, Thériaques, v. 157-412 (catalogue des serpents) et v. 715-836 (catalogue des (...)

17Les bêtes qui mordent, à l’inverse, constituent la catégorie la plus cohérente et la plus claire et peuvent donc faire l’objet d’un commentaire rapide. Elles se résument, pour l’essentiel, aux vipères (uiperae) qui sont par deux fois nommées dans les fragments 1 et 2 de l’édition de Jacques : le premier mentionne des « morsures de vipères et de certains autres reptiles » (morsus uiperarum et quorundam aliorum reptilium)31 ; le second, la composition « faite à partir de sérum de vipère » (ex uiperae sanie) dont on enduit les flèches empoisonnées32. Derrière cet ophionyme latin de uipera, il convient de reconnaître le grec ἔχις ou ἔχιδνα, attesté dans un locus similis du fragment 2, qui est, pour cette section, le parallèle le plus fidèle33. Qu’ils soient de l’une ou l’autre langue, ces termes de uipera, ἔχις ou ἔχιδνα renvoient à différentes espèces de vipères présentes dans la péninsule italique ou dans le monde grec34 ; toutes ont ceci de commun qu’elles sont, en Europe et en Asie Mineure, les seuls serpents qui soient à la fois venimeux et dangereux pour l’homme35. Aussi l’ensemble défini par les δακετά paraît-il remarquable de cohérence et de simplicité : il se confond, à peu de choses près, avec le groupe des serpents venimeux que Théophraste peut observer dans son environnement proche ; à peine faut-il leur ajouter les « quelques autres reptiles » évoqués dans le fragment 136. Ces animaux qui mordent ne sont pas davantage spécifiés, sans doute parce qu’un catalogue détaillé – tel qu’on en lira dans la littérature ultérieure, comme un passage attendu du discours περὶ θηρίων37 – serait inutile à l’argumentation de Théophraste : l’important est, pour lui, de distinguer les venimeux agissant par morsure, caractérisés par leur appareil vulnérant – les crochets – et par leurs humeurs corporelles, sur lesquelles nous reviendrons ; toute description plus fine, partant, paraît superflue.

  • 38 Derrière φαλάγγιον, on peut identifier toutes sortes d’araignées venimeuses du genre Latrodectus : (...)

18À côté de cette première catégorie, la classe des βλητικά semble autrement plus vague. Elle est, en tout cas, beaucoup plus vaste, marquée par la variété des êtres vivants qui la constituent. Le scorpion, la guêpe, l’abeille et l’araignée qu’on appelle phalange – c’est-à-dire l’araignée venimeuse38 – sont d’abord énumérés, dans le fragment 3 du découpage de Jacques :

Quaedam uero mordentium et nocentium uirtute quadam implent et spiritu, sicut scorpius et apes et uespes et phalaggium.
1 nocentium fort. graece βλαπτικῶν, f. l. pro βλητικῶν

Il y a cependant, parmi les animaux qui mordent et qui <piquent>, des bêtes qui emplissent leurs victimes par une certaine vertu et par un certain souffle, comme le scorpion, les abeilles, les guêpes et la phalange
(Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 3 Jacques = Priscien de Lydie, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 96.5-7 Bywater).

19Théophraste trace ainsi l’esquisse d’une entomologie venimeuse, en prenant soin de distinguer les insectes piqueurs de la catégorie qui les précède. Cette liste, toutefois, loin de se restreindre aux seuls insectes, s’enrichit avec le fragment 4 de plantes vénéneuses, comme le poirier sauvage qui pousse sur l’île de Céos, et d’un poisson célèbre pour son venin redoutable – la « tourterelle marine », autre nom de la raie pastenague :

Saeuae quoque et quarundam spinarum compunctiones et arborum, sicut acherdi in ciuitate quae dictur Coete : tendit enim ea compunctum, sicut et marina trugon.

2 in Coete uoces graecas Κέῳ τῇ [νήσῳ] suspicatur Bywater || tendit graece τείνει, f. l. pro κτείνει coniecerim

  • 39 Probablement l’île de Céos, comme le suppose Bywater, qui a souvent partie liée avec les venimeux e (...)
  • 40 Le texte latin dit littéralement que « l’arbre tend celui qui s’y pique », ce qui n’a guère de sens (...)

Cruelles aussi, les piqûres de certains épineux et de certains arbres, comme le poirier sauvage dans la cité que l’on appelle Coété39 : car cet arbre <tue>40 celui qui s’y pique, comme le fait aussi la tourterelle marine
(Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 4 Jacques = Priscien de Lydie, Solutiones ad Chosroem, ix, p. 96.9-11 Bywater).

  • 41 Le seul cas équivoque est celui des chélicères de l’araignée, qui tiennent à la fois des dents et d (...)

20Toutes ces espèces, qu’elles soient végétales ou animales, ont en commun de posséder un aiguillon ou un piquant : le dard que le scorpion, la guêpe et l’abeille ont en partage, les chélicères de l’araignée, l’épine des arbres vénéneux ou l’éperon de la pastenague41. Analogue, par sa fonction, aux crochets du serpent, cette pointe acérée introduit un élément de cohérence et d’unité dans une série d’apparence disparate. Aussi est-il permis de supposer que l’organe vulnérant, même s’il n’est pas explicitement désigné, forme le premier principe de classement, d’ordre anatomique, susceptible de fonder la bipartition des bêtes à venin.

  • 42 Élien, P. A., 3.32.
  • 43 Aristophane de Byzance, Épitomé, A.147 : sur ce passage, voir infra, partie 2.1.

21À l’appui de cette hypothèse, un certain nombre de sources tardives mentionnent explicitement les organes vulnérants : Élien décrit l’action des bêtes qui mordent comme une injection de venin qui s’opère par les dents42 ; Aristophane de Byzance parle, au sujet des bêtes qui piquent, de la finesse particulière de leur aiguillon, dans un passage que nous commenterons bientôt43. De même, Oppien présente un bestiaire des venimeux marins qui transpose la bipartition théophrastéenne dans le milieu aquatique : le terme de δάκος, « morsure », implique alors la présence de dents dans la catégorie des mordeurs, tandis que le dard des venimeux piqueurs est explicitement indiqué par le mot κέντρα, mis en relief par sa position au tout début du vers qui introduit le catalogue des poissons à piquant :

Οὐ μὴν θὴν ἀβληχρὸν ἔχει δάκος εὖτε χαράξῃ
πούλυπος ἑρπυστὴρ ἢ σηπίη, ἀλλὰ καὶ αὐτοῖς
ἐντρέφεται βαιὸς μὲν ἀτὰρ βλαπτήριος ἰχώρ.
κέντρα δὲ πευκήεντα μετ’ ἰχθύσιν ὡπλίσσαντο
κωβιός, ὃς ψαμάθοισι, καὶ ὃς πέτρῃσι γέγηθε
σκορπίος, ὠκεῖαί τε χελιδόνες ἠδὲ δράκοντες
καὶ κύνες οἳ κέντροισιν ἐπώνυμοι ἀργαλέοισι,
πάντες ἀταρτηροῖς ὑπὸ νύγμασιν ἰὸν ἱέντες.

  • 44 Pour les identifications zoologiques, nous reprenons les propositions de M. Cariou, « Poissons veni (...)

Certes, leur morsure n’est pas douce, quand ils impriment leur marque, le poulpe rampant et la seiche. Il se forme en eux un sérum qui, quoique de faible volume, a des effets puissants.
Il en est aussi, parmi les poissons, qui affûtent leur dard aigu : le gobie, qui se plaît à vivre dans les sables, le scorpion (= rascasse), dans les rochers, les rapides hirondelles (= grondins volants), les serpents (= grandes vives) et les chiens (= aiguillats ?), qui doivent leur nom à leur dard douloureux et qui tous injectent leur venin par de funestes piqûres
(Oppien, Halieutiques, 2, v. 454-461)44.

  • 45 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 5 J. : declarant quoque et caninos mor (...)

22Après le fragment 4, cependant, la série des bêtes qui piquent stricto sensu paraît s’interrompre, puisque les fragments suivants s’intéressent à des envenimations dont les ressorts demeurent cachés, comme la transmission de la rage, au fragment 5, et des phénomènes occultes mal élucidés, dans les fragments 6 à 9 – par exemple, l’action à distance du poisson torpille, capable de paralyser sa victime sans la toucher, par le truchement des filets de pêche, ou les vapeurs méphitiques qui s’échappent de la terre en certains lieux. Le glissement d’une catégorie à l’autre est suggéré, dans le texte de Priscien, par des éléments syntactiques signalant une discrète progression par rapport à ce qui précède45. En concurrence avec la bipartition annoncée par le titre, on devine donc une autre distribution possible, en trois groupes – bêtes qui mordent, bêtes qui piquent, et tout le reste. Il n’y a pas, toutefois, de franche rupture qui sépare le troisième groupe, et les phénomènes « hors classe » semblent devoir être attirés, par défaut, dans la série des bêtes qui piquent : ainsi, comme on va le voir, la cause supposée de l’action venimeuse, πνεῦμα ou δύναμις, pourrait être la même, que l’on ait affaire à des piqûres d’insectes, à des antipathies naturelles ou même à des morsures de chien enragé.

23En ce sens, la catégorie des βλητικά est élastique, ou fonctionne comme un tiroir à double fond : elle peut s’entendre lato sensu, désignant alors les « bêtes qui piquent et les autres ». À la fin de cet article, nous verrons comment cet élargissement permet des transferts épistémologiques entre les différents animaux venimeux, au point qu’une maladie comme la rage en vient à être pensée comme une envenimation.

1.3. Au principe du classement : venin visible ou invisible

24Revenons sur le point que nous venons d’évoquer : la question des causes de l’envenimation. Alors que le critère anatomique reste tacite, l’opuscule de Théophraste nous livre un autre principe de classement, déclaré cette fois, permettant de répartir les venimeux selon la cause de leur action, c’est-à-dire selon le type de venin qu’ils inoculent. Nous pouvons la lire en ces termes, à travers les filtres superposés de Priscien et de son traducteur :

Itaque et de his ueteres quaerunt reptilibus utrum in morsibus uenenum et quandam saniem proiciunt, an spiritum et uirtutem immitunt.

Aussi les Anciens recherchent-ils, à propos des animaux rampants, s’ils projettent par leur morsure du poison et une sorte de sérum, ou s’ils émettent un souffle et une vertu
(Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 1 Jacques = Priscien de Lydie, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 95.24-26 Bywater).

25Il s’agit du début de la réponse que le Lydien, en s’appuyant sur Théophraste, apporte aux curiosités de Chosroès. Les deux volets du diptyque s’y présentent dans une symétrie presque parfaite, chaque branche de l’alternative se ramifiant à son tour en deux termes. Mais la phrase offre avant tout une vue d’ensemble, qui oppose, d’une part, un venin matériel aisément observable et manipulable et, d’autre part, un venin peut-être immatériel, puisque invisible, qui en tout cas échappe à l’œil, comme à la main, du savant ; c’est ce dernier type de venin, à la nature problématique, qui nous retiendra davantage ; pour mieux le situer, nous commencerons par expliquer les quatre termes de la dichotomie, en tâchant de discerner l’original grec derrière la traduction latine.

1.3.1. Première branche de l’alternative : uenenum et saniesou flux d’humeur toxique

26Dans la première branche de l’alternative, explicitement rattachée aux envenimations par morsure (in morsibus), les deux causes invoquées sont, dans le texte latin, un uenenum et une sanies. Comment, de là, restituer le texte de Théophraste ?

  • 46 C’est la rétroversion proposée par Zucker, « Théophraste à mots découverts », 2008 : p. 337.
  • 47 Venenum, qui signifie à l’origine « décoction de plantes magiques, charme, filtre », avant de prend (...)
  • 48 Respectivement fr. 1 et 2 J. (Priscien, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 95-24-96.5)
  • 49 Ps.-Aristote, Mir., 141, 845a 1 : Σκυθικὸν φάρμακον, à côté de Priscien, Solutiones ad Chosroem, 9,(...)

27Le premier élément, uenenum, est un terme équivoque : il pourrait recouvrir le grec ἰός, « venin » ou « poison »46 ; mais on peut aussi y déceler la traduction de φάρμακον, « poison », « drogue » ou « remède », selon le sens originel du mot latin47. Le lexique serait alors davantage orienté vers le maniement technique des venins : ce qui correspond pleinement au propos, puisque, d’une part, une substance toxique inoculée par un serpent peut être extraite par l’homme en suçant la plaie de la victime et que, d’autre part, du poison est fabriqué artificiellement pour peu que l’on applique une recette donnée48. Les parallèles grecs au fragment 2 Jacques, en outre, font également pencher dans le sens de φάρμακον49.

  • 50 Pour ἰχώρ dans les parallèles à Priscien, les références sont les mêmes que dans la note supra : Ps(...)
  • 51 Le sens de « sang des dieux », que l’on donne traditionnellement à l’ἰχώρ du poème homérique, est d (...)
  • 52 Aristote, P. A., 2.4, 651a 17-18 : χὼρ δ᾽ ἐστὶ τὸ ὑδατῶδες τοῦ αἳματος διὰ τὸ μήπω πεπέφθαι ἢ διεφ (...)

28Le second élément, sanies, est quant à lui tout à fait clair : plusieurs parallèles au traité de Théophraste, mais surtout la correspondance exacte, pour ce terme, entre les lexiques techniques des deux langues permettent d’y voir la traduction du grec ἰχώρ50. Celui-ci désigne, depuis l’Iliade et notamment dans la Collection hippocratique, un liquide organique à mi-chemin entre sang et pus, considéré comme nocif dans ses occurrences les plus anciennes : il peut, en général, être traduit par les expressions vagues d’« humeur séreuse » ou de « sérosité »51. Plus tard, chez Aristote, ἰχώρ est parfois défini plus spécifiquement comme « sérum », soit la partie du sang qui reste liquide et continue de surnager, après coagulation52.

  • 53 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 2 J. (ap. Priscien, Solutiones ad Chos (...)

29C’est bien dans cette acception restreinte qu’il faut comprendre le mot sanies, tel qu’il apparaît dans notre opuscule : l’ancrage péripatéticien, mais surtout la description précise d’une opération visant à isoler le sérum ne laissent guère de doute. Il s’agit alors, nous apprend Théophraste, de réserver la partie aqueuse du sang humain, nommée sanies, avant de la mélanger à la partie analogue du sang de vipère : ces instructions sont données dans le cadre de la recette du « poison scythe », c’est-à-dire du toxique (τοξικόν) au sens étymologique du terme, substance délétère dont on enduit les flèches (τόξα) pour empoisonner les blessures. Or, dans le fragment de Priscien, mais aussi dans les deux parallèles fournis par Élien et par le recueil aristotélicien De mirabilibus auscultationibus, l’équivalence est notoire entre sanies/ἰχώρ et partie aqueuse du sang53.

30Plus largement, les notions de sérum et de poison illustrent une certaine conception du venin. Les deux liquides sont des substances matérielles, naturelles ou obtenues par une technique particulière, qui sont susceptibles d’être isolées, fabriquées ou maniées comme des objets, indépendamment de leur origine animale. Elles constituent la cause évidente des phénomènes d’envenimation les plus simples, car elles sont à la fois observables pour le naturaliste et manipulables pour le pharmacologue. Dans la bipartition à plusieurs niveaux qui se dégage du traité, ce premier type de cause correspond exactement à l’action des δακετά, c’est-à-dire des serpents comme la vipère, dont le venin est manifeste.

1.3.2. Deuxième branche de l’alternative : spiritus et uirtus – flux de souffle et vertu

31Il en va tout autrement dans la seconde branche de l’alternative qui concerne, au premier chef, les bêtes qui piquent, mais qui s’étend aussi à d’autres animaux comme le chien enragé, ou tout détenteur d’une vertu nocive occulte. Cette fois, la substance venimeuse est invisible et impalpable, à l’image du venin d’insecte.

  • 54 Ce désintérêt compte sans doute pour beaucoup dans l’avènement très tardif du microscope, parent pa (...)
  • 55 L’équivalence spiritus-πνεῦμα semble très probable, sans être absolument certaine, faute de parallè (...)

32L’intérêt qu’elle suscite, malgré son caractère microscopique, mérite d’être souligné. Il n’est pas si fréquent, en effet, que les Anciens manifestent une curiosité si vive pour le très petit : dans une perspective aristotélicienne – qui constitue sur ce point l’opinion dominante et que Théophraste aurait pu adopter, en hommage à son maître –, le réel est pour l’essentiel susceptible d’être appréhendé par l’expérience sensible et le peu qui, en lui, échappe à la perception tombe dans l’insignifiant ; l’échelle microscopique, située en-deçà du seuil de la visibilité, ne présente donc pas d’intérêt philosophique propre54. L’interrogation menée dans notre opuscule, cependant, procède à rebours de ce désaveu général : peut-être parce que l’effet d’une piqûre d’insecte n’a rien de négligeable, il importe à Théophraste d’en définir la cause. Celle-ci se partage entre spiritus et uirtus : noms derrière lesquels on peut conjecturer le grec πνεῦμα et δύναμις55. Il s’agit là de deux concepts chargés de sens, dont on ne peut rappeler l’histoire qu’à grands traits.

  • 56 Chantraine, Dictionnaire, 1968 : p. 920, s. v. πνέω.
  • 57 C’est surtout dans le fr. 13 J. que cette idée est exprimée : secundum enim habitudines unius cuius (...)
  • 58 Il s’agit d’Anaximène et de son élève, Diogène d’Apollonie. Cf. Anaximène, 13.B2 et 3 Diels-Kranz; (...)
  • 59 Hippocrate, Des vents, 4.1 et passim. Voir aussi Hippocrate, Maladie sacrée, 7.2-5 ; Nature de l’ho (...)
  • 60 Pour ces trois fonctions du πνεῦμα, voir notamment Aristote, Mouvement des animaux, 10, 703a 6-14 ; (...)
  • 61 Voir exemples donnés infra.
  • 62 Pour les gaz toxiques, voir fr. 8 J. et fr. 13 J. ; pour le souffle de serpent, voir fr. 7 J. Sur c (...)
  • 63 On peut citer deux mentions du « souffle » des bêtes qui piquent : une scholie expliquant le nom du (...)

33Le πνεῦμα, tout d’abord, s’entend en plusieurs sens. Le terme désigne, dans la langue courante, le souffle sous toutes ses formes, à l’extérieur ou à l’intérieur du corps : air, vent ou haleine56 – acception triviale qui se retrouve, à peine transposée, chez Théophraste, dans l’idée que certaines bêtes à venin agissent par voie olfactive, en émettant des souffles ou des odeurs toxiques57. Dans un usage plus savant du terme, le πνεῦμα est très tôt associé à la vie, à la respiration et à la pensée par le discours cosmologique des Présocratiques58 ; à la bonne ou à la mauvaise santé, dans la pensée médicale telle qu’elle s’exprime, notamment, dans le traité hippocratique Des vents59 ; à des processus physiologiques plus précis chez Aristote, comme le mouvement volontaire, la sensation, la transmission de la vie à l’embryon60. Le dénominateur commun de ces acceptions érudites réside dans la fonction de transmission et, surtout, dans la position d’intermédiaire qu’assume le πνεῦμα, à mi-chemin entre l’âme et le corps : une ambivalence que l’on devine encouragée par l’expérience courante de l’air, élément caractérisé par sa fluidité, son invisibilité, par sa matérialité insaisissable et douteuse. Enfin, dans un troisième type d’acception, le πνεῦμα est une force immatérielle, assimilable à la δύναμις61. Que faut-il en retenir pour la question qui nous intéresse, celle des envenimations par piqûre ? D’abord, qu’il s’agit d’un phénomène naturel de transmission du venin, susceptible dans une certaine mesure d’être perçu et éprouvé empiriquement, à défaut d’être vu : c’est au point que, dans certains fragments, le πνεῦμα venimeux semble n’être rien d’autre qu’un gaz toxique ou qu’un souffle de serpent, une représentation peut-être inspirée par le modèle d’animaux venimeux cracheurs – comme peuvent l’être certaines espèces d’ophidiens ou de crapauds62. Mais aussi, ailleurs, qu’il peut s’agir d’un phénomène obscur, qui n’implique pas nécessairement un corps ou une substance matérielle. Dans la littérature ultérieure, on retrouvera cette idée d’un πνεῦμα d’insecte lié à l’invisible, voire à l’inconnaissable63.

  • 64 Voir le fr. 6 J. : quia enim uirtutes sine corporalibus molibus multa possunt facere, manifestum es (...)
  • 65 Fr. 9 J. : talis autem mordentium uirtus quia, et si arboris radicem momorderit, proiciet folia omn (...)
  • 66 Élien, P. A., 9.15, parallèle au fr. 1. J.
  • 67 Respectivement Priscien de Lydie, Solutiones ad Chosroem, p. 98.13-14 Bywater = fr. 15 J. ; et Ps.-(...)

34À côté du πνεῦμα, le deuxième élément d’explication invoqué par Théophraste, toujours dans la seconde branche de son alternative, est la δύναμις, terme qu’on peut traduire par « vertu » ou par « force ». Ce principe, toutefois, n’est nulle part défini clairement. Ses occurrences nous permettent du moins de constater deux choses. D’une part, la δύναμις, ou son équivalent latin de uirtus, a des effets manifestes, susceptibles d’être décrits et observés : par exemple, le cerf a cette vertu singulière qu’il est capable d’attirer la vipère hors des haies où elle se terre, « sans [mobiliser] de masse corporelle » (sine corporalibus molibus)64 ; un serpent, dont le nom n’est pas précisé, a la capacité de faire tomber tout le feuillage d’un arbre en le mordant à la racine65 ; la δύναμις peut donc être connue par sa fonction, à défaut d’être saisie par les sens ou par l’intellect. D’autre part, alors que ses effets sont empiriquement constatés, la δύναμις elle-même correspond, dans la réflexion étiologique de Théophraste, à « une certaine cause » (ἔκ τινος αἰτίας), pour reprendre un passage d’Élien qui ne fait probablement que gloser l’opuscule du philosophe d’Érèse66 ; elle est encore décrite comme « une sorte de transfert mystérieux » (quandam occultam relationem, λεληθυίας ἀναφορᾶς), dans les Solutiones de Priscien et leur parallèle grec, qui nous est transmis par le Ps.-Aélius Promotus dans son ouvrage περὶ θηρίων67.

  • 68 Voir entre autres N. Weill-Parot, Points aveugles de la nature. La rationalité scientifique médiéva (...)
  • 69 Pour une vue d’ensemble du thème dans les sources antiques et des concepts voisins de la notion de (...)
  • 70 À notre connaissance, le cas n’a jamais encore été versé au dossier du concept de force ou de vertu (...)
  • 71 Ce médecin de Molière est le jeune bachelier du Malade imaginaire qui, interrogé pour être reçu doc (...)

35En somme, la δύναμις/uirtus est une force dont la cause semble structurellement mystérieuse et inexplicable, tandis que ses effets sont manifestes. Ces deux aspects correspondent, très exactement, à la définition de ce qu’on appellera plus tard vertu, force ou propriété occulte : le thème connaîtra un grand succès dans la pensée scientifique du Moyen Âge, en Occident et dans le monde arabe, et reste étroitement associé à cette période dans l’histoire des idées68 ; il possède néanmoins une histoire importante dès l’Antiquité, qui préfigure sur bien des points la réflexion médiévale, l’idée de δύναμις étant notamment utilisée, dès cette époque, pour décrire l’action mystérieuse de l’aimant ou l’effet d’un médicament69 ; avec l’opuscule théophrastéen qui nous occupe, un nouvel exemple nous est donné, celui, plus original, de l’action mystérieuse des bêtes qui piquent70. Recourir à l’idée de δύναμις, pour rendre compte de cette action, n’est pas tout à fait vain : cela revient à attribuer aux venimeux une capacité de nuisance raisonnée, spécifique à chaque espèce et par conséquent prévisible, tout comme l’effet d’une drogue est prévisible et spécifique à celle-ci ; le « point aveugle » est donc circonscrit et délimité. Invoquer la δύναμις, toutefois, ne peut nous renseigner sur la cause matérielle d’une envenimation, laquelle demeure inconnaissable : comme quand un médecin de Molière – héritier de la réflexion médiévale sur les vertus occultes – déclame que l’opium fait dormir parce qu’il possède une vertu dormitive, parler de δύναμις venimeuse pour expliquer une envenimation ne nous apprend pas grand-chose des processus physiques qui sont effectivement en jeu71.

  • 72 Ps.-Orphée, Kérygmes lapidaires orphiques, 16.9 ; Alexandre de Tralles, Therapeutica, 12, vol. 2, p (...)

36Une dernière question doit être posée : quels sont les rapports entre πνεῦμα et δύναμις ? La polysémie du premier de ces deux termes autorise l’hésitation. Si l’on prend πνεῦμα dans son sens le plus courant, comme « souffle » ou « vent », on pourra y voir un principe plus concret – inspiré peut-être de l’expérience des serpents cracheurs –, plus matériel et plus facile à connaître que la δύναμις : le passage de l’un à l’autre marque donc une gradation, du plus clair au plus obscur, qui correspond à la progression générale du traité Sur les animaux qui mordent et qui piquent. Nous avons vu cependant qu’il existe d’autres occurrences du πνεῦμα, où la notion semble se confondre tout à fait avec le concept de δύναμις : ainsi, des textes plus tardifs coordonnent volontiers πνοὴν καὶ δύναμιν ou encore πνεῦμα καὶ δύναμιν, comme deux équivalents formant un doublet synonymique72. S’il est difficile de trancher entre cette relation d’équivalence ou l’idée d’une gradation des deux concepts, on peut du moins constater que πνεῦμα et δύναμις s’opposent à φάρμαικον et ἰχώρ en un point : ils sont moins faciles à appréhender, empiriquement ou intellectuellement, et moins aisément observables.

37Nous comprenons mieux maintenant ce qui est entendu par βλητικά, dans les écrits de Théophraste et de la tradition savante, essentiellement zoologique et médicale, constituée par ses lecteurs. Ce sont, d’abord, des animaux venimeux agissant par piqûre, par opposition aux venimeux qui mordent que sont les serpents ; ensuite, des créatures caractérisées par un piquant, dard ou organe assimilé, qui injecte du venin ; des animaux, enfin, qui lèsent leur victime par une substance invisible et impalpable, qui semble inconnaissable, sinon immatérielle.

2. Λεπτὰ θηράφια : des bêtes à piquant aux bêtes fines

38À côté de cette première étiologie, une explication complémentaire – peut-être plus satisfaisante pour l’esprit – fait intervenir l’aiguillon, en insistant plus précisément sur la finesse hyperbolique de l’organe vulnérant, décrite comme responsable de la douleur des piqûres. Parmi les sources qui documentent cette idée, un témoignage, que nous présenterons dans un premier temps, permet d’en attribuer l’origine à l’opuscule de Théophraste sur les venimeux. Cette étiologie parallèle – mais spécifique à un aspect particulier de l’envenimation : la douleur – n’est reprise ni par Priscien, ni par les principaux représentants de la tradition indirecte du petit traité, en sorte qu’on peut supposer qu’elle ne se trouvait probablement pas au premier plan.

39Cela ne l’empêche pas de se diffuser dans la littérature d’érudition zoologique, au point de constituer une branche cohérente de la tradition relative aux bêtes qui piquent. Ce rameau secondaire se développe surtout, semble-t-il, à l’époque hellénistique. La λεπτότης qui caractérise le dard peut alors être rapproché du surnom de λεπτὰ θηρία, « bêtes fines », que certains textes savants emploient pour désigner la classe des βλητικά.

2.1. Aristophane de Byzance et la douloureuse finesse de l’aiguillon

  • 73 Il est cité, en revanche, dans Zucker, « Théophraste à mots découverts », 2008 : p. 339.
  • 74 Sur Aristophane de Byzance, voir R. Pfeiffer, History of Classical Scholarship Scholarship from the (...)
  • 75 Plus précisément, les chapitres 98 à 154 de ce premier livre de l’Épitomé. L’expression « cahier de (...)

40Pour identifier la plus ancienne occurrence de cette idée, il faut se tourner vers un témoin indirect de l’opuscule de Théophraste, malencontreusement omis dans l’édition de Jacques73. La première mention de la nocivité de l’aiguillon, qui blesse par sa finesse algésiogène, indépendamment d’un quelconque venin, se rencontre dans un passage de l’Épitomé d’Aristophane de Byzance, soit dans un texte composé entre la fin du iiie et le début du iie siècle avant notre ère74. Nous sommes au milieu du « cahier de curiosités zoologiques » qui constitue la majeure partie du livre A75 :

τὰ βλητικὰ τῶν ζῴων οὐ διὰ τὸ ἀφιέναι τι διὰ τοῦ κέντρου τὴν ὀδύνην παρέχει ἀλλὰ διὰ τὴν λεπτότητα τοῦ κέντρου, ὅθεν καὶ τὰ μάλιστα λεπτοὺς ἔχοντα τοὺς ὀδόντας ταῦτα καὶ τὴν ὀδύνην χαλεπωτέραν ποιεῖ.

Les animaux qui piquent occasionnent une douleur qui n’est pas due à l’injection de quelque chose par leur aiguillon, mais à la finesse de l’aiguillon ; c’est pourquoi les animaux qui ont des dents très fines produisent précisément une douleur plus vive que les autres (Aristophane de Byzance, Épitomé, A.147).

  • 76 Théophraste est explicitement cité comme source à trois reprises dans Aristophane de Byzance, Épito (...)
  • 77 Voir les exemples donnés par J. Trinquier, « L’animal, le roi et le savant : le “Musée” et le dével (...)

41Bien que l’Épitomé soit surtout connu pour résumer l’œuvre zoologique d’Aristote, certaines des informations contenues dans l’abrégé sont puisées à des sources extérieures, au premier rang desquelles figurent les traités zoologiques de Théophraste76 ; l’ouvrage d’Aristophane constitue, à ce titre, le précieux conservatoire de quelques pans oubliés de la zoologie ancienne77. Tel est le cas de la définition des bêtes qui piquent : le passage qui nous intéresse émane, très certainement, du traité Sur les animaux qui mordent et qui piquent. Non seulement le fond du propos, mais le terme de βλητικά, dont on a vu qu’il avait partie liée avec l’émergence d’une réflexion iologique, nous semblent garantir l’existence d’un hypotexte théophrastéen.

  • 78 Il est très peu probable, en effet, que l’accent mis sur la λεπτότης soit une addition d’Aristophan (...)

42Par rapport à ce que nous avons compris de Théophraste, cependant, l’Épitomé opère une légère inflexion, ou plus précisément une sélection des aspects jugés les plus pertinents78. C’est ainsi que la finesse du dard (λεπτότης τοῦ κέντρου), alors qu’elle est absente des autres témoins du traité sur les venimeux, est promue comme cause suffisante sinon de l’envenimement, du moins de la douleur des envenimations par piqûre (τὴν ὀδύνην παρέχει) ; tous les symptômes autres que la douleur sont en revanche passés sous silence et le venin mystérieux des bêtes piquantes n'est pas davantage spécifié ; ce n’est que par la négation qu’il est mentionné, pour réfuter l’idée qu’il s’agisse de « quelque chose » (τι), c’est-à-dire, faut-il sans doute entendre, de quelque chose de matériel. En rassemblant nos informations sur Théophraste, on peut donc imaginer que, outre la δύναμις et le πνεῦμα tenus pour responsables de l’action venimeuse des βλητικά, la douleur des piqûres faisait l’objet d’une explication spécifique impliquant une réflexion sur l’extrême finesse de l’aiguillon.

  • 79 Sur les dents de la musaraigne, voir notamment Columelle, De re rustica, 6.17.1 : musque araneus, q (...)

43De manière intéressante, la fin du passage nous apprend que certaines bêtes pourvues de dents (ἔχοντα ὀδόντας) – classées parmi les δακετά – produisent une douleur toute semblable à celle des βλητικά, pour peu que leurs dents soient « extrêmement fines » (μάλιστα λεπτος). Aucun exemple n’est donné, mais on peut soupçonner que parmi ces animaux aux dents très fines figure, entre autres, la musaraigne : celle-ci compte de manière récurrente parmi les venimeux des Anciens – elle est d’ailleurs appelée mus araneus, « souris-araignée » en latin – et plusieurs témoignages attestent l’extrême finesse de ses dents pointues79.

44L’attention particulière portée, dans la citation d’Aristophane, à la douloureuse λεπτότης de l’aiguillon suggère deux prolongements : la première piste est celle de l’écho rencontré par cette propriété, dans le cadre de l’histoire des bêtes qui piquent que nous tentons de retracer ; la seconde est celle de son inscription dans le contexte culturel et esthétique où l’Épitomé d’Aristophane de Byzance voit le jour – contexte qui joue probablement un grand rôle dans le succès du thème.

2.2. Ce qu’on appelle « bêtes fines »

45À la question de la fortune du caractère de finesse, on peut répondre, tout d’abord, par une dénomination alternative des βλητικά, qui témoigne de la faveur rencontrée par ce thème auprès d’un certain public. Il arrive, en effet, que les bêtes qui piquent soient rebaptisées du nom de « bêtes fines » (λεπτὰ θηρία). On devine aisément la justification de ce surnom : la finesse du dard des bêtes qui piquent est si caractéristique qu’elle en vient à résumer l’animal dans sa totalité.

  • 80 Dioscoride, De materia medica, 3.146, s. v. ἀλθαία : τὸ δὲ ἀφέψημα τοῦ σπέρματος πινόμενον καὶ πρὸς(...)
  • 81 Sur Damocrate, qui fut probablement archiatre sous les Julio-Claudiens ou sous les Flaviens, mais d (...)

46L’expression de λεπτὰ θηρία, toutefois, est extrêmement rare et paraît réservée au discours savant puisqu’elle ne se rencontre, en grec, que dans deux occurrences, issues toutes deux de l’érudition médicale du ier siècle de notre ère. L’une est un paragraphe de Dioscoride indiquant les usages de la guimauve officinale « contre les piqûres d’abeilles et de toutes les bêtes fines » (πρὸς μελισσῶν καὶ τῶν λεπτῶν θηρίων πληγὰς πάντων)80. La seconde occurrence, légèrement antérieure au De materia medica, est plus intéressante encore. Elle se trouve dans le poème pharmacologique que Damocrate consacre à la recette de la thériaque, à l’époque où ce médicament universel a les faveurs de la cour impériale81. Dans les premiers vers du poème, au moment de donner l’indication du remède, Damocrate décrit les deux types de bêtes dont les attaques sont susceptibles d’être combattues, rappelant à cette occasion le partage en diptyque de la faune venimeuse :

Δώσεις δὲ καὶ τοῖς ἐντυχοῦσιν ἑρπετοῖς,
Τῶν ἰοβόλων τε θηρίων τοῖς δήγμασιν,
Ὕδρων, κεραστῶν, ἀσπίδων, καὶ διψάδων,
Καὶ τῶν ἐχιδνῶν, τῶν τε λυσσώντων κυνῶν.
Καὶ γὰρ τὰ τούτων ἐστὶ φαῦλα δήγματα,
Τῶν τ’ ἐν θαλάττῃ ἰοβόλων πάντων ἁπλῶς,
τῶν τε λεπτῶν λεγομένων θηραφίων
Σφηκῶν, μελιττῶν, σκορπίων, ἀνθηδόνων,
Φαλαγγίων τε θανασίμων, καὶ μυγαλῆς.

Tu donneras aussi [cet antidote] à ceux qui ont rencontré des serpents, en remède aux morsures des bêtes venimeuses : hydres, cérastes, cobras et dipsades, ainsi que les vipères et les chiens enragés. Car ceux-là causent de bien méchantes morsures, et tels sont aussi les [maux] causés par tous les venimeux qui, en un mot, vivent dans la mer et par les bestioles que l’on dit « bêtes fines » : guêpes, abeilles, scorpions, bêtes butineuses, avec les mortelles phalanges et la musaraigne (Damocrate, Thériaque, v. 12-20, p. 119 Bussemaker ap. Galien, De antidotis, 1.7 = XIV, p. 90-91 Kühn).

  • 82 Voir l’étude des différents usages de cette expression dans la Collection hippocratique par N. Rous (...)
  • 83 L’ordre seul est légèrement différent, puisque Priscien mentionnait « le scorpion, les abeilles, le (...)
  • 84 Sur la musaraigne, voir la n. 79 supra.

47Les derniers vers de notre extrait sont remarquables pour deux raisons. On y retrouve, d’une part, l’épithète λεπτά, avec cependant une variante instructive, puisqu’il est question non pas seulement de fines bêtes, mais de bêtes « que l’on appelle fines » (λεπτῶν λεγομένων θηραφίων) ; l’expression sur laquelle porte le participe semble ainsi porter la marque d’un parler technique, réservé à un petit cercle de spécialistes82. L’inspiration théophrastéenne, d’autre part, est très nette : dans la catégorie des « bêtes fines », c’est-à-dire des bêtes qui piquent, Damocrate range les guêpes, les abeilles, les scorpions et les araignées-phalanges, soit exactement la même série d’animaux que celle que Priscien retenait de Théophraste83. Quant à la musaraigne, elle est certes omise dans le fragment du Lydien, mais pourrait bien s’inscrire dans le prolongement des βλητικά, d’après la définition extensive fournie par Aristophane : bête qui mord, en toute rigueur, le micromammifère se caractérise par des dents extrêmement fines, ce qui pourrait justifier son inscription paradoxale au registre des bêtes qui piquent84.

  • 85 Varron, Res rusticae, 1.12.2 : auertandum etiam, siqua erunt loca palustria, et propter easdem caus (...)

48Les occurrences du tour λεπτὰ θηρία/θηράφια sont en somme les indices d’une tradition scientifique discrète, mais relativement solide, qui descend de l’opuscule théophrastéen. Dans la continuité de ce dossier, il faut peut-être faire une place aux animalia minuta que Varron mentionne dans son passage sur les maladies des marais85. Par ces « animaux minuscules », il désigne des créatures si petites qu’elles ne peuvent être observées à l’œil nu, auxquelles il attribue la cause des maladies paludéennes. Il s’agit là d’un cas unique de la pensée ancienne et, surtout, d’un passage à la limite par rapport aux bêtes piquantes qui nous occupent ; nous verrons cependant, dans la suite de cet article, que l’hypothèse d’un venin microscopique est esquissée par certains auteurs de textes περὶ θηρίων, qui se distinguent de Théophraste, et que, par ailleurs, les liens unissant inoculation de substances toxiques et transmission de maladie sont étroits ; à défaut d’une théorie microbienne, il y a du moins, dans la tradition savante qui nous occupe, une réflexion aiguë sur le très petit, qu’il s’agisse d’animaux ou de venins invisibles.

2.3. Variations d’entomologie sur le thème de la λεπτότης

  • 86 Sur le vaste sujet de la λεπτότης, voir entre autres Pfeiffer, History of Classical Scholarship, 19 (...)
  • 87 Aratos, Phénomènes, v. 783-787, avec l’article de J.-M. Jacques, « Sur un acrostiche d’Aratos (Phén(...)
  • 88 Pour cette interprétation, voir É. Prioux, Petits musées en vers. Épigramme et discours sur les col (...)
  • 89 Callimaque, Aitia, fr. 1, v. 23-24 Pfeiffer, commenté par Asper, Onomata allotria, 1997 : p. 156-17 (...)
  • 90 Souda, α 3933, s. v. Ἀριστοφάνης Βυζάντιος. Cf. Pfeiffer, History of Classical Scholarship, 1968 : (...)
  • 91 Pfeiffer, History of Classical Scholarship, 1968 : p. 173. Pour des jugements anciens allant en ce (...)

49Revenons à notre point de départ, la douloureuse λεπτότης des bêtes qui piquent, vraisemblablement présente dès Théophraste, valorisée en tout cas par Aristophane de Byzance dans son Épitomé. Cette sélection d’une information particulière, absente des autres témoins indirects du traité Sur les animaux qui mordent et qui piquent, doit sans doute énormément au contexte culturel alexandrin dans lequel Aristophane évolue, à la fin du iiie siècle avant notre ère. Le discours critique, qu’il soit littéraire ou artistique, accorde alors une grande importance au concept de λεπτότης, mot d’ordre culturel et qualité esthétique correspondant à nos idées de finesse, de subtilité ou de minceur, qui s’oppose aux tentations de la σεμνότης, majesté d’une œuvre imposante ou monumentale86. On sait que nombre de poètes hellénistiques se revendiquent de la première de ces deux valeurs, qui passe pour emblématique de l’époque : c’est le cas d’Aratos, qui inscrit l’adjectif λεπτή en acrostiche dans ses Phénomènes87 ; ou encore de Posidippe de Pella, dont les épigrammes peuvent se lire comme une entreprise de synthèse entre le λεπτόν et le σεμνόν88 ; mais c’est surtout le cas de Callimaque, dont on citera l’appel à une Muse toute fine (Μοῦσαν λεπταλέην), lancé dans des vers programmatiques qui ouvrent les Aitia89. Or Callimaque, justement, fut le maître d’Aristophane de Byzance, et son prédécesseur à la tête de la bibliothèque d’Alexandrie90. Aristophane lui-même, à qui Pfeiffer décerne le titre de « parfait érudit », se rend célèbre par son activité d’éditeur et de critique littéraire au goût très sûr91. Le bref passage qu’il consacre aux βλητικά, dans son Épitomé, ne peut-il pas s’interpréter comme une réminiscence de discussions dont il est non seulement le témoin, mais l’acteur ? L’insistance sur la λεπτότης de l’aiguillon serait alors l’indice d’une influence exercée par des thèmes esthétiques jusque dans l’érudition zoologique.

  • 92 Callimaque, Hymne à Zeus, v. 49-51 : ἐπὶ δὲ γλυκὺ κηρίον ἔβρως / γέντο γὰρ ἐξαπιναῖα Πανακρίδος ἔργ (...)
  • 93 Aratos, Phénomènes, v. 1033 ; la source de ce vers, où les toiles d’araignées emportées par la bris (...)
  • 94 Nicandre, Thériaques, v. 814 : νήιά θ’ ὡς σπέρχονται ὑπὸ πτερὰ θηρὶ κιούσῃ (« les ailes, sous la bê (...)
  • 95 Nicandre, Thériaques, v. 809-810 : κέντρον γὰρ πληγῇ περικάλλιπεν ἐμματέουσα / κέντρον δὲ ζωήν τε φ (...)

50Pour étayer cette hypothèse, on peut signaler le fait que les motifs liés aux insectes en général, à leur aiguillon en particulier, sont des ornements fréquents quand il s’agit de promouvoir les charmes du petit et du fin. Plusieurs morceaux d’anthologie – autant de fleurs d’entomologie – méritent d’être rappelés : Callimaque, quand il ne célèbre pas le chant délicat de la cigale, évoque l’abeille Panacris, nourricière du jeune Zeus sur l’Ida, et Virgile s’en souviendra au moment d’exposer la matière du dernier chant des Géorgiques92 ; Aratos, sur le point de clore son poème astronomique, s’arrête sur la description de fines toiles d’araignée flottantes (ἀράχνια λεπτά)93 ; détail moins connu, on retrouve chez Nicandre et Lycophron des jeux d’échelle associant des scolopendres avec de longues nefs épiques94 ; quant au dard, il est présent en anaphore dans un passage voisin de Nicandre, où le nom κέντρον apparaît au début de deux vers consécutifs95.

  • 96 Sur le caractère transversal de cette mode, qui est à la fois poétique, rhétorique et artistique, v (...)
  • 97 Parmi des témoignages assez nombreux, on peut citer Pline l’Ancien, H. N., 7.85 : Callicrates ex eb (...)
  • 98 Posidippe de Pella, Épigrammes, 67, v. 3-6 Austin-Bastianini : ὄψει γὰρ ζυγόδεεμα καὶ ήνία καὶ τροχ (...)

51Cette tendance entomologique, du reste, participe d’un attrait pour la miniature excédant largement le seul domaine des lettres96. Il s’illustre de mille manières dans les arts figurés avec, par exemple, de fins ouvrages d’ivoire ou de bronze comparables à des insectes par leur sujet et par leurs dimensions : les figures de deux artistes légendaires, Callicratès et Myrmécidès, sont ainsi citées à plusieurs reprises dans nos sources, le premier pour la précision de ses statuettes de fourmi grandeur nature, le second pour un quadrige d’ivoire, si petit qu’une mouche pouvait le recouvrir de ses ailes97 ; une anecdote analogue, qui nous est rapportée par Posidippe et par Pline, mais qui remonte probablement à Douris de Samos, attribue au bronzier Théodore un autoportrait à la lime et au char, dans lequel l’artiste s’était représenté tenant, dans une main, une lime symbolisant son savoir-faire et, dans l’autre, un char de bronze, fruit de son talent, qui n’était pas plus grand qu’une mouche98.

  • 99 H. von Staden, « Body and machine: interactions between medicine, mechanics, and philosophy in earl (...)

52Qu’en est-il des βλητικά et de leur aiguillon ? On pourrait s’étonner de les voir s’inscrire dans ce florilège entomologique parce qu’il s’agit, pour nous, d’une catégorie scientifique plutôt qu’esthétique. Pourtant ces deux domaines, que nous avons coutume de séparer, n’étaient pas si clairement distincts aux époques qui nous occupent. Le mot d’ordre de λεπτότης, dont on aperçoit maintenant les ramifications artistiques et poétiques, ne peut-il pas trouver des prolongements dans le champ scientifique ? Rares sont les études à s’être penchées sur la question ; un article de H. von Staden, toutefois, affirme vigoureusement que l’esthétique du petit et l’éloge d’œuvres d’art minuscules, d’une part, et la miniaturisation qui s’observe dans les recherches anatomiques d’un Hérophile ou d’un Érasistrate, d’autre part, appartiennent à la même culture alexandrine et sont nécessairement liés99.

53De ce mouvement commun de miniaturisation participent également nos βλητικά. L’intérêt qui se manifeste dans l’étude des bêtes qui piquent est d’abord d’ordre naturaliste, et nous verrons bientôt que l’enquête sur les venimeux semble être à l’origine d’une discussion féconde sur la question des limites du visible. Pour autant, les bêtes à dard sont aussi des « bêtes fines » : sans doute peuvent-elles, dès lors, s’insérer dans un discours esthétique comme des exemples de λεπτότης naturelle. À défaut d’avoir trouvé la trace de cette idée dans la littérature hellénistique, on peut citer le témoignage tardif de Pline – mais on va voir qu’il repose, selon toute vraisemblance, sur des sources plus anciennes :

Telum uero perfodiendo tergori quo spiculauit ingenio, atque, ut in capaci, cum cerni non possit exilitas, reciproca generauit arte, ut fodiendo acuminatum pariter sorbendoque fistulosum esset !

Et l’arme faite pour percer la peau, avec quel génie la nature l’a-t-elle aiguisée et, comme dans un ouvrage de grandes dimensions, alors que sa minceur le rend invisible, l’a-t-elle conçu en usant de deux procédés inverses, de manière à le rendre à la fois pointu, pour percer, et creux, pour aspirer !
(Pline l’Ancien, H. N., 11.3)

  • 100 Sur la place des mirabilia dans la conception plinienne de la nature, voir V. Naas, Le Projet encyc (...)
  • 101 Pline l’Ancien, H. N., 11.1.
  • 102 Pline l’Ancien, H. N., 11.3 : qua subtilitate pinnas adnexuit, praelongauit pedum crura, disposuit (...)
  • 103 Cf. J. J. Pollitt, The Ancient View of Greek Art: Criticism, History, and Terminology, New Haven, L (...)
  • 104 Basile de Césarée, Homélies sur l’hexaéméron, 9.5 ; Homélies sur les Psaumes = P.G. XXIX, col. 329  (...)

54Nous sommes ici dans l’introduction du livre que l’Encyclopédiste dédie aux insectes : les premières pages déroulent un catalogue de merveilles, de mirabilia minuta, pourrait-on dire100. Chacune de ces merveilles proclame la valeur d’un inventaire détaillé des plus petits animaux, ces « êtres d’une délicatesse infinie » (immensae subtilitatis animalia)101 ; ceux-ci n’ont rien à envier, nous dit Pline, aux plus grands fauves ; ils les surpassent, au contraire, par la finesse de leur anatomie. Mais à travers l’exaltation de ces miniatures vivantes que sont les insectes, c’est en fait essentiellement la nature qui est glorifiée, suivant le modèle des éloges d’artiste qui fleurissent dans le discours critique alexandrin : ainsi, dans notre passage, la minceur (exilitas) de l’aiguillon fait écho à la finesse (subtilitas) qui vient d’être mentionnée dans la phrase précédente102 ; or les deux termes latins sont des traductions classiques de la λεπτότης grecque103. À cet égard, l’aiguillon bénéficie d’une attention particulière : ce qui est admiré, ce n’est pas seulement l’étroitesse de l’organe, c’est aussi la conciliation paradoxale de finesse et de profondeur, puisque le dard est décrit comme un conduit (fistulosum). Ce tour de force tient assurément du chef-d’œuvre. Dans un contexte rhétorique analogue, on retrouvera l’éloge du dard des insectes dans les écrits de Basile de Césarée, quelque trois siècles après la composition de l’Histoire Naturelle104 : les similitudes avec le texte de Pline, de même que la reproduction à l’identique de plusieurs passages de Basile suggèrent l’existence d’une source commune, dont on a de bonnes raisons de penser qu’elle est alexandrine.

55Ces témoignages nous mènent à la conclusion du deuxième temps de notre enquête. Si le thème de la finesse des βλητικά est sans doute présent dès l’opuscule de Théophraste sur les venimeux, où il semble spécifiquement associé à la douleur engendrée par les piqûres d’insecte, la culture hellénistique qui s’épanouit en Alexandrie lui accorde une attention plus soutenue. C’est probablement dans ce contexte que naissent, d’une part, l’expression de λεπτὰ θηρία/θηράφια que l’on retrouve chez les pharmacologues du début de l’époque impériale, d’autre part une tradition d’éloge de l’aiguillon qui, pour être comprise, doit être lue dans le cadre d’un plus large discours sur la beauté de la λεπτότης. Indice supplémentaire de la continuité unissant les arts et les sciences à Alexandrie, on retrouvera la même λεπτότης dans les descriptions anatomiques du dard de scorpion qui nous occuperont dans la suite de cette étude.

3. D’Apollodore à Galien : la question des limites du visible au miroir du scorpion

56Pour compléter notre enquête sur les bêtes qui piquent, nous pouvons maintenant nous pencher sur un dernier aspect de la réception de Théophraste : non pas les inflexions de la période hellénistique et l’accent mis sur la λεπτότης des petits animaux qui nous intéressent, mais la poursuite d’une réflexion sur le venin des βλητικά.

  • 105 Pline l’Ancien, H. N., 11.5, cf. 11.6-8 (au sujet de la respiration des insectes). Bien avant Pline (...)
  • 106 La déclaration programmatique d’un projet qui prétend seulement « décrire les phénomènes évidents, (...)

57Qu’une interrogation sur ce venin ait existé, nous pouvions le soupçonner à la lecture du passage de Pline sur la finesse de l’aiguillon, dans le contexte où s’inscrit cet éloge : comme les enquêtes consacrées à la respiration des insectes ou aux causes de leur bourdonnement, la discussion sur l’action venimeuse des créatures qui piquent a pu accroître la « série de nombreuses questions » (numerosa quaestionum series) suscitées par les petits animaux105 ; s’il n’entre pas dans le programme de l’Histoire Naturelle de « dépister les causes obscures » (non causas indagare dubias), du moins est-il permis de supposer que les prédécesseurs de Pline se seront engagés avec moins de réticence dans une telle enquête106.

58De fait, plusieurs voix font entendre l’écho d’une controverse sur la matérialité du venin des bêtes qui piquent. Celle-ci reprend les termes du problème posé par Théophraste pour avancer, semble-t-il, des solutions divergentes. Deux pôles se dégagent : d’un côté, en remontant la piste d’une circulation microscopique du venin à l’intérieur du dard, se forme la thèse d’un corps matériel, mais trop petit pour être vu, qui ne diffère du venin de serpent que par ses dimensions réduites ; c’est la voie la plus frayée, qui peut être associée au nom d’Apollodore ; de l’autre côté, dans le sillage de Théophraste, l’action venimeuse des bêtes qui piquent se voit assimilée à l’action à distance de la torpille et peut, à son tour, servir de modèle pour penser la transmission de certaines maladies.

3.1. Apollodore, fr. 5 Jacques : observation sur le venin du scorpion

59Le point de départ de l’hypothèse microscopique réside dans un fait d’observation : le venin du scorpion fait goutte ; il peut d’ailleurs être prélevé manuellement, par stimulation de l’animal, opération couramment pratiquée de nos jours par les éleveurs de scorpion qui revendent le précieux liquide sur le marché pharmaceutique. Dans les sources anciennes, la description de cette goutte de venin est associée au nom d’Apollodore. L’observation est rapportée par Pline, qui la résume en ces termes :

Venenum ab iis candidum fundi Apollodorus auctor est.

Qu’un poison de couleur blanche est versé [par les scorpions], Apollodore en est garant
(Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 11.87 = Apollodore, fr. 5a1 Jacques).

  • 107 Pour une présentation d’Apollodore, voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxiii-xxxvii, en part. n. 54 (...)
  • 108 Pour une datation entre Aristote et Érasistrate, voir M. Wellmann, « Sextius Niger, eine Quellenunt (...)
  • 109 Pline l’Ancien, H. N., 14.76. Cf. Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxiv-xxxv.
  • 110 Scholies aux Thériaques de Nicandre, v. 676d, à mettre en parallèle avec Pline l’Ancien, H. N., 24. (...)
  • 111 Pour le titre Περὶ θηρίων de l’ouvrage d’Apollodore, voir Athénée, Deipnosophistes, 15.28, 681d ; S (...)
  • 112 Jacques, Nicandre, 2002 : p. 285-292.
  • 113 Voir les quatre notices zoologiques réunies sous le fr. 5 Jacques. D’autres témoignages rapprochent (...)

60De cet Apollodore, on ne sait pas grand-chose et sa figure énigmatique ne peut être esquissée qu’à grands traits107. Son floruit se situe entre la fin du ive et le début du iiie siècle avant notre ère, c’est-à-dire à la même époque que Théophraste ou peu après108. Il fut vraisemblablement actif en Alexandrie, où il comptait parmi les proches des premiers Lagides : sans doute, en effet, peut-on l’identifier avec cet Apollodorus medicus qui, au dire de Pline, conseillait un Ptolémée sur le choix des meilleurs vins109 ; à cela s’ajoute une description de l’herbe aeschynomène, pouvant également lui être attribuée, qui situe cette plante en Égypte et pourrait partant confirmer le rapport unissant l’auteur au pays du Nil110. C’est Apollodore qui, le premier, donne à un ouvrage sur les venimeux le titre περὶ θηρίων, recevant pour cela le qualificatif d’auteur thériaque111. Nous n’avons cependant de son œuvre que quelques témoins indirects, réunis par J.-M. Jacques dans son édition des fragments iologiques antérieurs à Nicandre112. Parmi ces fragments, au total une trentaine de témoignages, quatre textes parallèles s’attachent à la description précise du scorpion, évoquant les variations des effets du venin qu’il inocule et la palette des couleurs revêtues par les différentes espèces113. C’est aussi parmi eux que s’inscrit la note de Pline relative au venin de scorpion, que nous venons de citer.

  • 114 Sur le sens du latin candidus, « blanc brillant », mais susceptible de s’affaiblir en « clair, pâle (...)

61La substance nocive, nous dit Apollodore, est parfaitement visible. Elle a même une couleur, le blanc (candidum)114 : énoncé véridique, puisque le venin de scorpion forme effectivement une goutte bien visible à l’œil nu et qu’il est, sinon blanc, du moins translucide ; sans doute l’affirmation repose-t-elle sur l’examen autoptique de l’animal.

  • 115 Sur le sens d’auctor chez Pline, moyen de situer la responsabilité d’une information que la natural (...)

62De manière assez remarquable, Apollodore est désigné comme auctor de l’information, c’est-à-dire comme son garant, au sens ancien du terme : on peut comprendre, plus précisément, qu’il est la source légitimant un discours, le point d’origine d’une certaine tradition savante, dont il est possible de douter115 ; la présence d’un venin dans le dard du scorpion ne relève donc pas de l’évidence intemporelle. Peut-être faut-il voir là l’indice d’une prévention discrète à l’endroit d’une autre tradition, puisque aussi bien le propos d’Apollodore entre en contradiction flagrante avec l’enseignement de Théophraste : dans l’opuscule sur les venimeux, nous l’avons vu, le venin des βλητικά était tenu pour invisible et immatériel ; il faut noter, en outre, que le terme de uenenum, dans la phrase de Pline, pourrait fort bien traduire le grec φάρμακον, nom que Théophraste réservait au venin matériel des bêtes qui mordent. Le partage des venins se trouverait alors doublement nié par le fragment d’Apollodore.

3.2. [Apollodore], fr. 19 Jacques : le dard comme une aiguille creuse, ou la piste ténue d’une dimension microscopique

63Deux témoignages parallèles peuvent être versés au même dossier et sont, vraisemblablement, attribuables au même auteur. Dans un chapitre d’Élien, d’une part, et dans une longue scholie aux Thériaques de Nicandre, d’autre part, la question du scorpion est de nouveau traitée ; c’est alors l’anatomie de l’aiguillon, plutôt que la nature du venin, qui se trouve exposée, dans une perspective qui semble prolonger les observations du fragment 5 d’Apollodore.

64L’anatomie du dard s’inscrit, dans les deux cas, dans une comparaison implicite : sa description constitue le second panneau d’un diptyque consacré aux appareils vulnérants des venimeux, où la queue du scorpion succède au crochet du cobra :

τοῦ γε μὴν σκορπίου τὸ κέντρον ἔχειν τινὰ κολπώδη διπλόην ὑπὸ τῆς ἄγαν λεπτότητος οὐ πάντῃ σύνοπτον. καὶ εἶναι μὲν τὸ φάρμακον καὶ τίκτεσθαι λέγουσιν ἐνταῦθα, ἅμα δὲ τῇ κρούσει προϊέναι διὰ τοῦ κέντρου καὶ ἐκρεῖν. ὀπὴν δὲ εἶναι δι’ ἧς ἔξεισιν οὐδὲ ταύτην ὄψει θεωρητήν. ἀνθρώπου δὲ σιάλῳ καταπτύοντος ἀμβλύνεσθαι τὸ κέντρον καὶ μαλκιεῖν καὶ ἐς τὴν πληγὴν ἀδύνατον γίνεσθαι.

Le dard du scorpion contient une sorte de paille sinueuse qui ne peut être vue clairement, du fait de son extrême finesse. C’est là, dit-on, que le poison se trouve et qu’il est produit ; au moment de la piqûre, le poison se diffuse à travers le dard et s’écoule au dehors. Il y a bien une ouverture par laquelle le poison est éjaculé, mais celle-ci n’est pas visible à l’œil nu. Si un homme crache sa salive sur lui, le dard est émoussé, perd sa vigueur et n’est plus capable de causer une blessure
(Élien, Personnalité des Animaux, 9.4, trad. A. Zucker, modifiée = Apollodore, fr. 19b-c Jacques).

παντὸς δὲ σκορπίου τὸ κέντρον τετρημένον ἐστί, ἔχον διπλόην τινὰ δυσόρατον διὰ λεπτότητα, δι’ ἧς τὸν ἰοβόλον ἰχῶρα προίησιν, ὃς σιάλοις ἀνθρώπου ῥαινόμενος ἀσθενὴς καὶ ναρκώδης ὁρᾶται.

Tout scorpion possède un dard percé d’un trou, ayant une sorte de paille à peine visible, à cause de sa finesse. C’est à travers elle qu’il projette un sérum venimeux qui, si on l’arrose de la salive humaine, devient visiblement faible et engourdi
(Scholies aux Thériaques de Nicandre, v. 281.15 = Apollodore, fr. 19b Jacques).

  • 116 Voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxvi, avec la n. 58 et p. 291-292.
  • 117 Le parallèle des scholies donne toutefois la variante ἰχώρ. Mais qu’il s’agisse de φάρμακον ou d’ἰχ (...)

65Faute de mention d’auteur, l’attribution à Apollodore de ces deux textes ne peut être tenue pour certaine ; elle paraît probable, cependant, à son éditeur le plus récent qui propose de les ajouter à la récolte plus ancienne de Schneider, tout en les classant parmi les dubia116. La conjecture, de fait, semble permise, pour des raisons de thème et de lexique. On peut alléguer le choix d’un animal particulier, le scorpion, pour lequel Apollodore fait figure de spécialiste et, plus précisément, la cohérence théorique de nos dubia avec l’idée d’un venin matériel, soutenue par Apollodore. Le lexique utilisé, d’autre part, suggère que les deux parallèles s’insèrent dans le même contexte que l’évocation du venin blanc rapportée par Pline : nous avons vu que le grec φάρμακον, présent chez Élien, peut correspondre au uenenum de la notice plinienne117 ; de même, le verbe ἐκρεῖν peut être reflété par le latin fundi. Surtout, qu’il s’agisse ou non du bien d’Apollodore, la représentation d’un dard creusé d’un minuscule canal participe de la remise en cause de la distribution des venimeux soutenue par Théophraste : elle pourrait conduire à la dissolution de la catégorie des βλητικά et nous intéresse à ce titre.

  • 118 Cette acception, qui figure en tête des articles διπλόη donnés par les dictionnaires de Pape et de (...)
  • 119 Voir Platon, Sophiste, 267e ; Plutarque, Préceptes politiques, 5, 802b ; Timée le Sophiste, Lexique (...)
  • 120 Le mot « paille », dans le lexique de la sidérurgie, renvoie à un « défaut interne d’un produit for (...)
  • 121 Ce caractère dissimulé apparaît très bien dans une comparaison de Plutarque, où il est question de (...)
  • 122 Absent des fragments d’Apollodore, le motif de l’aiguille creuse est attesté par Plutarque, dans l’ (...)

66À rebours de l’idée qu’il n’y a rien de matériel dans l’aiguillon des bêtes qui piquent, deux éléments nouveaux se dégagent : le creux du dard et son ouverture. Le premier est indiqué par ce qu’Élien et le scholiaste nomment tous deux, de manière passablement mystérieuse, du nom de διπλόη. D’un usage assez rare, le substantif doit probablement s’entendre ici selon l’acception technique que lui confère le lexique de la métallurgie118 : dans plusieurs textes évoquant le travail du fer, διπλόη désigne un vice de fabrication du métal, résultant d’une fusion ou d’un forgeage imparfait119 ; il s’agit plus précisément d’une sorte de lacune interne, d’une paille dans le fer ou dans l’acier, qui fragilise le matériau120 ; l’origine du terme, dérivé de l’adjectif διπλόος, « double », vient vraisemblablement de ce que la pièce, en apparence unie, mais cachant en réalité un invisible défaut, est susceptible de se casser en deux121. De la même manière, c’est à travers un conduit imperceptible, dissimulé à l’intérieur du dard comme dans du fer paillé, ou encore comme une aiguille creuse, que le venin s’écoule122. Sans doute est-ce aussi cette paille qui inspire à Pline l’épithète fistulosum, puisque διπλόη peut se traduire en latin par fistula, au sens de « canal, conduit », comme on le verra plus loin.

  • 123 Élien, P. A., 9.4 = Apollodore, fr. 19a Jacques : κούω δὲ τοὺς ὀδόντας τῆς ἀσπίδος, οὓς ἂν ἰοφόρου (...)

67Second élément remarquable : l’ouverture (ὀπήν) décrite par Élien, pratiquée à l’extrémité du dard, qui permet au venin d’en sortir pour se répandre dans la plaie ; le scholiaste des Thériaques, quant à lui, déclare que le dard est « percé d’un trou » (τετρημένον). Ainsi constitué, l’aiguillon se présente comme l’exact analogue des crochets de cobra, dont la description précède immédiatement nos deux textes : de même que les dents de certains serpents sont percées d’un mince canal à venin, visible à l’œil nu, de même – nous disent Élien et le scholiaste – l’aiguillon du scorpion est paillé123 ; la différence entre les deux organes n’est qu’une différence d’échelle. De là, on peut inférer que la distinction entre δακετά et βλητικά n’a pas lieu d’être : peut-être est-ce en vertu d’un semblable raisonnement que l’œuvre iologique d’Apollodore a reçu le titre de περὶ θηρίων ; au lieu de partager en deux groupes, notre auteur aurait simplifié, pour envisager les venimeux dans leur ensemble. Un ultime indice de la postérité d’Apollodore se trouve dans la disparition progressive de la distinction théophrastéenne opposant δακετά et βλητικά. Alors même que la littérature iologique continue d’exister, cette répartition tombe en désuétude : on n’en trouve nulle trace chez les iologues tardifs, non plus que dans les Thériaques adressées à Pison et à Pamphilianos, transmises dans le corpus galénique ; elle est absente, aussi, chez Oribase ou Paul d’Égine. De même en dehors du domaine médical, et jusqu’au Moyen Âge : ni Isidore de Séville, ni les encyclopédistes du xiiie siècle n’en gardent le souvenir.

  • 124 Voir R. Stockmann et M. Goyffon, « Les scorpions », in M. Goyffon et J. Heurtault (éd.), La Fonctio (...)

68Revenons à la description du dard : quelle est la part d’invention, et quelle est la part de témoignage autoptique dans notre fragment ? Malgré l’acribie de la relation, l’information relative au dard du scorpion est partiellement fausse : il est vrai que la substance toxique circule à travers un canal reliant la vésicule à venin à l’orifice externe ; mais il faut dire aussi que, comme le dard de l’abeille, l’aiguillon du scorpion est fermé à son extrémité ; au lieu de l’ouverture terminale évoquée par nos textes, il comporte deux orifices situés au bout de minces pointes latérales, en sorte que l’organe, vu au microscope, ressemble davantage à un harpon dentelé qu’à une aiguille lisse124. L’erreur est compréhensible, puisque les outils qui auraient permis un examen microscopique font défaut à la science antique : aussi y a-t-il naturellement, dans le fragment 19 d’Apollodore, un inévitable mélange d’observation et de conjecture. Son originalité, toutefois, est d’affirmer clairement l’existence d’un cheminement microscopique du venin : la finesse du dard est telle que la paille qu’il renferme ne peut être vue distinctement (διπλόην ὑπὸ τῆς ἄγαν λεπτότητος οὐ πάντῃ σύνοπτον) ; quant à l’ouverture terminale, elle n’est pas du tout observable (οὐδὲ ταύτην ὄψει θεωρητήν).

3.3. Fortune et conséquences de l’hypothèse microscopique

69Cet ensemble de fragments, associé au nom d’Apollodore, forme-t-il un groupe isolé de témoignages, ou bien rencontre-t-on, au contraire, des échos à l’idée d’une circulation microscopique du venin dans les textes scientifiques, voire dans la littérature générale ? Cette idée, d’autre part, permet-elle une montée en généralité ? La voit-on s’appliquer à la description d’autres aiguillons, ceux des insectes par exemple, voire à la transmission de maladies ?

3.3.1. Pline et Tertullien : deux témoins supplémentaires

70Le passage sur le dard des insectes, au livre XI de Pline, nous fournissait déjà quelques éléments de réponse. Plus largement, le motif du venin de scorpion – ou, plus largement, du venin d’insecte – et surtout celui de l’aiguillon creux deviennent des thèmes à succès dans le discours entomologique d’époque impériale : ils apparaissent dans des textes qui, pour certains, présentent de telles similarités avec les notes d’Élien et de la scholie à Nicandre qu’ils peuvent être considérés comme des parallèles supplémentaires aux fragments d’Apollodore. Deux témoins, issus du livre XI de Pline et de la Scorpiaque de Tertullien, méritent ainsi d’augmenter le recueil de J.-M. Jacques :

Similes aspidi et serpentibus, sed duo in supera parte dextra laeuaque longissimi, tenui fistula perforati, ut scorpioni aculei, uenenum infundentes.

Le cobra et les autres serpents ont [des dents] semblables [à celles des poissons], mais deux d’entre elles, à droite et à gauche de la mâchoire supérieure, sont très longues, percées d’un mince canal comme l’aiguillon du scorpion, et versent le poison
(Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 11.163).

Id spiculum et fistula est patula tenuitate et uirus in uulnus, qua figit, effundit.

Ce dard est aussi un canal, ouvert dans sa finesse, et fait couler du poison dans la plaie, à l’endroit où il se plante
(Tertullien, Scorpiaque, 1.2).

71Dans ces deux extraits se superposent des renseignements relatifs au venin et à l’anatomie du dard, soit des informations contenues respectivement dans le fragment 5 et dans le fragment 19. Avec les dérivés de fundo (effundentes, effundit) est exprimée l’idée d’un venin liquide, que nous avons rencontrée dans le fragment 5 ; dans le nom fistula, « canal », on soupçonne une traduction approximative de la διπλόη du fragment 19 ; l’analogie anatomique entre cobra et scorpion, enfin, est répétée dans le texte de Pline avec autant de force que dans ce même fragment 19 : son attribution à Apollodore n’en est que confirmée. Surtout, il y a fort à parier que l’écoulement d’un venin blanc et l’alliance de finesse et de concavité qui caractérise le dard aient constitué deux aspects d’une seule et même description, que la tradition indirecte aura transmise en ordre dispersé.

3.3.2. Scorpions célestes et éloges de la Création : diffusion et succès des thèmes d’Apollodore

  • 125 Ovide, Métamorphoses, 2, v. 196-199 : Scorpius et cauda flexisque utrinque lacertis / porrigit in s (...)

72À ces parallèles précis, il convient d’ajouter toute une série de reprises incertaines, qui constituent un autre indice de la diffusion des idées d’Apollodore. Elles se trouvent dans une littérature générale, a priori éloignée des problématiques zoologiques : la poésie, où par exemple Ovide, dans ses Métamorphoses, Germanicus dans ses Aratea, font état d’un venin liquide lorsqu’ils évoquent la constellation du Scorpion125 ; l’apologétique, au sujet du dard, avec le passage de Tertullien que l’on a vu ; à la différence de l’opuscule de Théophraste, dont la lecture semblait réservée aux gens les plus cultivés, comme Athénée, ou les plus compétents en matière zoologique, comme Élien et Oppien, les descriptions d’Apollodore semblent donc rayonner bien au-delà de la littérature spécialisée. Plus tard, au ive siècle, les lettres chrétiennes hériteront de l’image paradoxale de l’aiguillon qui se trouvait déjà chez Pline.

73Dans l’une des Homélies sur l’Hexaéméron de Basile de Césarée, nous lisons ce passage sur le dard du scorpion :

οὕτως καὶ ἐν ταῖς τῶν ζῴων κατασκευαῖς οὐ μᾶλλον ἄγαμαι τὸν ἐλέφαντα τοῦ μεγέθους, ἢ τὸν μῦν, ὅτι φοβερός ἐστι τῷ ἐλέφαντι· ἢ τὸ λεπτότατον τοῦ σκορπίου κέντρον, πῶς ἐκοίλανεν ὥσπερ αὐλὸν ὁ τεχνίτης, ὥστε δι’ αὐτοῦ τὸν ἰὸν τοῖς τρωθεῖσιν ἐνίεσθαι.

De même, dans la constitution des êtres vivants, je n’admire pas davantage l’éléphant pour sa haute taille que la souris, parce qu’elle fait peur à l’éléphant ; ou encore, la manière dont le dard du scorpion, d’une finesse extrême, a été évidé par l’artiste divin, comme un aulos, pour que le venin puisse se diffuser, à travers lui, dans les blessures
(Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexaéméron, 9.5).

  • 126 Chez les auteurs chrétiens, en effet, les animaux venimeux sont souvent symboles d’hérésies – outre (...)

74À l’éloge plinien de la nature se substitue la louange de la Création, magnifique jusque dans ses moindres ouvrages, où les créatures venimeuses elles-mêmes sont célébrées – ce qui est chose rare en contexte chrétien126. Les fins sont différentes, mais les moyens employés sont les mêmes que chez Pline, puisque l’exemple est toujours celui du dard où s’unissent les deux qualités contraires de finesse et de profondeur.

75De manière remarquable, la comparaison associant l’aiguillon à un αὐλός se retrouve dans trois autres passages de Basile, en tout point identiques : répétition au mot près, qui laisse à penser que le thème circulait dans des recueils d’exemples. Le dard évoqué dans ces trois passages n’est cependant pas celui du scorpion, mais de l’abeille :

Πολλάκις καὶ ἐν τοῖς μικροτάτοις ἡ σοφία τοῦ δημιουργοῦ διαφαίνεται. Ὁ γὰρ οὐρανὸν διαπλώσας, καὶ τὰ ἄπλετα μεγέθη τῶν πελαγῶν ἀναχέας, οὗτός ἐστιν ὁ καὶ τὸ λεπτότατον κέντρον τῆς μελίσσης κοιλάνας ὥσπερ αὐλὸν, ὥστε δι’ αὐτοῦ τὸν ἰὸν ἀποχεῖσθαι.

  • 127 Passage identique, au mot près, dans Basile de Césarée, Sermones de moribus a Symeone Metaphrasta c (...)

C’est souvent dans les réalités les plus infimes que la sagesse du démiurge se laisse voir. Car celui qui a déployé le ciel et les immensités des mers sans fond est aussi celui-là qui a creusé, comme un aulos, le dard très fin de l’abeille, en sorte que du venin puisse être versé à travers lui
(Basile de Césarée, Homélies sur les Psaumes = P.G. XXIX, col. 329)127.

76Sans doute le passage dérive-t-il d’une même source – Apollodore lui-même, ou une source intermédiaire – que l’éloge plinien de l’aiguillon d’insecte. Les deux exemples attestent, en tout cas, des voies laissées ouvertes à la généralisation : du modèle du scorpion à cet insecte plus petit qu’est l’abeille, le pas est effectivement franchi.

  • 128 Voir Varron, Res rusticae, 1.12.2, évoqué supra.

77Qu’en est-il de la maladie, dont on a vu qu’elle était partie prenante de la réflexion iologique ? Rien, ou presque rien, ne vient prolonger l’hypothèse microscopique dans le domaine nosologique : seul le passage de Varron relatif aux animalia minuta s’aventure dans cette direction ; mais il s’agit d’un texte isolé et le thème du venin, surtout, en est absent128. Au contraire, les maladies citées dans la littérature iologique ne sont jamais autrement expliquées que par le modèle théophrastéen du venin de βλητικά, c’est-à-dire d’un venin immatériel.

3.4. Les scorpions de Galien, ou le retour à Théophraste

  • 129 La valeur du modèle toxicologique pour penser la maladie est une idée déjà défendue par A. Touwaide(...)

78Face à cette dissolution de la catégorie des βλητικά, il est pourtant un auteur, et non des moindres, qui fait exception : il s’agit de Galien. Deux passages du traité Sur les lieux affectés prennent subtilement le contrepied de ce qu’affirme Apollodore, pour revenir à Théophraste – non sans une certaine prudence, cependant. Le scorpion intervient de nouveau dans une défense de la thèse d’un venin immatériel, et nous allons voir que toute dimension microscopique semble être rejetée dans les limbes de l’inconnaissable. Ce qui apparaît en revanche, et qui éclaire d’un jour nouveau la démarche théophrastéenne, c’est l’analogie existant entre la δύναμις du venin de scorpion et le développement de la maladie : toutes deux sont des forces naturelles à la cause occulte ou invisible, mais aux effets parfaitement manifestes129.

3.4.1. Deux passages du De locis affectis et les indices d’une controverse

79Commençons par citer nos deux textes :

τίς γὰρ οὐκ ἂν ἠπίστησεν, εἰ μὴ πολλάκις ἑωρῶμεν αὐτὸ γιγνόμενον, ἐπί τε τῶν σκορπίων ἐγχριμψάντων τῷ κέντρῳ, καὶ φαλαγγίων μικροτάτων δακνόντων, μεγάλην καὶ ἐξαίσιόν τινα μεταβολὴν ἴσχειν ὅλον τὸ σῶμα, καίτοι βραχυτάτης οὐσίας εἰς αὐτὸ καταβαλλομένης ὑπὸ τῶν θηρίων ; ἐπὶ μὲν οὖν τοῦ δάκνοντος φαλαγγίου, κᾂν εἰ μικρὸν εἴη τὸ ζῶον, ὅμως δ’ οὖν ἐπινοεῖν ἡμᾶς ἰόν τινα διὰ τοῦ στόματος αὐτοῦ καθιέναι τῷ δηχθέντι σώματι. τὸ δὲ τῆς θαλαττίας τρυγόνος κέντρον, ὥσπερ καὶ τὸ τοῦ χερσαίου σκορπίου, φαίνεται σαφῶς εἰς ὀξύτατον πέρας τελευτῶν, ὃ μηδὲν ἔχει κατὰ τὸ πέρας τρῆμα, δι’ οὗ προΐησι τὸν ἰόν· ἀλλ’ ὅμως ἀναγκαῖον ἐννοεῖν ἡμᾶς εἶναί τινα οὐσίαν ἤτοι πνευματικὴν, ἢ ὑγρὰν, ἥ τις ὄγκῳ μέν ἐστιν ἐλαχίστη, μεγίστη δὲ τῇ δυνάμει. πεπληγὼς γοῦν τις ἔναγχος ὑπὸ σκορπίου χαλάζαις ἔφη δοκεῖν βάλλεσθαι, καὶ ἦν ὅλος ψυχρὸς, ἵδρου τε ψυχρὸν, ἐσώθη τε μόγις βοηθούμενος.

  • 130 Nous citons ici la traduction de P. Moraux, Galien de Pergame. Souvenirs d'un médecin, Paris, 1985, (...)

Si nous n’avions pas vu le phénomène se produire à de multiples reprises, qui croirait, en effet, que quand les scorpions piquent avec leur dard ou quand de minuscules araignées mordent, une modification considérable et funeste s’empare du corps tout entier, bien que ces animaux n’injectent qu’une infime quantité de substance dans le corps ? Lors de la morsure de l’araignée-phalange, nous pouvons penser, malgré la petite taille de l’animal, que du venin passe de sa bouche dans le corps mordu. En revanche, le dard de la pastenague marine, comme aussi celui du scorpion terrestre, semble nettement se terminer par une pointe très aiguë ne présentant à son extrémité aucun trou par où puisse passer le venin. Pourtant nous devons nécessairement penser qu’une substance ou bien semblable au souffle, ou bien liquide est en jeu, qui est d’un volume minuscule, mais d’une très puissante vertu. Quelqu’un qui venait d’être piqué par un scorpion dit qu’il lui semblait être frappé par des grêlons ; tout son corps était froid et il transpirait d’une sueur froide. Malgré les soins qu’on lui prodigua, on eut peine à le tirer d’affaire
(Galien, Sur les lieux affectés, 3.11 = VIII, 195.4-196.1 Kühn, trad. P. Moraux, modifiée)130.

80Rien n’est dit, dans cet extrait, de la couleur blanche du venin de scorpion, encore moins est-il question d’une paille dissimulée dans l’aiguillon. À rebours du fragment 19 d’Apollodore qui, on s’en souvient, décrivait un organe ouvert à son extrémité, Galien affirme très nettement que le dard ne comporte aucun orifice (μηδὲν ἔχει κατὰ τὸ πέρας τρῆμα, δι’ οὗ προΐησι τὸν ἰόν) : le nom de τρῆμα, « trou », rappelle les termes de l’énoncé du scholiaste de Nicandre qui déclarait que « tout scorpion possède un dard percé d’un trou » (παντὸς δὲ σκορπίου τὸ κέντρον τετρημένον ἐστί) ; or Galien dit exactement le contraire. En écrivant ces lignes, sans doute a-t-il en tête l’ouvrage d’Apollodore, ou du moins l’idée d’une circulation microscopique du venin qu’on peut associer à cet auteur. Il préfère cependant s’en écarter, par égard pour les limites de l’expérience empirique (φαίνεται σαφῶς). Cette prise de parti peut être considérée comme un indice supplémentaire du débat contradictoire qui semble avoir opposé Apollodore et Théophraste.

  • 131 Dans cette hypothèse, la tradition inaugurée par Théophraste aurait pu concourir à la riche réflexi (...)

81Les éléments principaux du περὶ δακετῶν καὶ βλητικῶν sont en revanche bien présents. Prenons la phrase qui suit immédiatement la description du dard. La réflexion sur les causes de l’envenimation invoque « une substance pneumatique ou liquide » (οὐσίαν ἤτοι πνευματικὴν, ἢ ὑγρὰν) : on retrouve là, tout d’abord, le πνεῦμα de Théophraste ; quant à la possibilité qu’il s’agisse d’une substance humide, sans doute faut-il y voir une concession prudente aux observations du camp adverse, l’alternative ouverte entre souffle et liquide valant pour synthèse entre Apollodore et Théophraste ; la fin de la phrase oppose à la masse infime de venin (ὄγκῳ ἐλαχίστη) la force ou la vertu immense (μεγίστη δὲ τῇ δυνάμει) qui s’y trouve contenue, usant du terme de δύναμις dans une réminiscence qui pourrait être théophrastéenne131. Le texte de Galien, en somme, apporte des indices supplémentaires en faveur d’une controverse liée à la question du venin, en même temps qu’un nouveau témoignage sur la réception de l’opuscule de Théophraste Sur les animaux qui mordent et qui piquent.

82On peut en dire autant du second témoignage galénique, issu lui aussi du traité Sur les lieux affectés, qui livre les mêmes enseignements :

ὅσοι δ’ οἴονται μεγάλων συμπτωμάτων ἐν ὅλῳ τῷ σώματι γιγνομένων, ἀπίθανον εἶναι, χυμὸν ὀλίγον ἐν ἑνὶ μορίῳ περιεχόμενον αἰτιᾶσθαι, δοκοῦσί μοι λίαν ἀμνήμονες εἶναι τῶν ὁσημέραι γινομένων. ἐπὶ γοῦν τοῖς τῶν φαλαγγίων δήγμασιν ὅλον ὁρᾶται πάσχον τὸ σῶμα, μικροῦ τινος ἰοῦ κατὰ βραχυτάτην ὀπὴν ἐνιεμένου. τὸ δὲ τῶν σκορπίων ἐστὶ θαυμασιώτερον, ὅτι καὶ τὰ συμπτώματα διὰ συντόμων ἐπιφέρουσι σφοδρότατα, καὶ τὸ καταβαλλόμενον ἐγχριμψάντων αὐτῶν ἤτοι παντάπασιν ὀλίγιστον ἢ ὅλως οὐδέν ἐστιν, ἀτρήτου γε τοῦ κέντρου φαινομένου. καὶ μὴν ἀναγκαῖον, οὐχ ἁπλῶς ὅτι νένυκταί τις ὥσπερ ὑπὸ βελόνης, εὐθέως ὅλον τὸ σῶμα χαλάζαις βάλλεσθαι δοκεῖν, ἅμα λειποθυμίαις, ἀλλ’ ἤτοι γε πνεύματός τινος, ἢ λεπτῆς ὑγρότητος ἐνιεμένης, εὔλογον γίγνεσθαι ταῦτα.

Ceux qui estiment, lorsque de graves symptômes sont observés dans le corps tout entier, qu’il est invraisemblable qu’une petite humeur, contenue dans une seule partie du corps, en soit considérée comme la cause, ceux-là me semblent oublier trop vite des événements qui se produisent pourtant tous les jours. En ce qui concerne les morsures d’araignée, on voit bien que le corps souffre tout entier, parce qu’une petite dose de venin est injectée, en passant par une minuscule ouverture. Mais le cas des scorpions est plus admirable encore : ils provoquent en effet, en très peu de temps, des symptômes d’une extrême violence, et ce qui est injecté par leur piqûre est soit quelque chose d’absolument infime, soit rien du tout, puisque leur dard, du moins, ne semble pas percé. De fait, pourtant, non seulement le corps tout entier, parce qu’on a été piqué comme par une aiguille, semble aussitôt en proie à une pluie de grêle en même temps qu’à des évanouissements, mais encore ce phénomène se produit-il, vraisemblablement, par la seule projection d’une sorte de souffle ou d’une fine humidité
(Galien, Sur les lieux affectés, 6.5.13-14 Brunschön = VIII, 421.1-14 Kühn).

83Mêmes exemples empruntés au discours thériaque et même idée de souffle, présentée conjointement à la piste d’un venin liquide (ἤτοι γε πνεύματός τινος, ἢ λεπτῆς ὑγρότητος ἐνιεμένης). Les nuances se révèlent dans quelques détails, comme l’évocation d’une piqûre d’aiguille ou l’hypothèse, clairement exprimée, d’un venin qui pourrait n’être « absolument rien » (ὅλως οὐδέν). Là encore, on a lieu de soupçonner la présence de Théophraste à l’arrière-plan du tableau.

3.4.2. Le venin comme modèle de la maladie

  • 132 Galien, Sur les lieux affectés, 6.5.15 (= VIII, 421.16-422.2 Kühn), pour la torpille et la pierre d (...)
  • 133 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 3 et 4 J. ; ajouter le parallèle d’Éli (...)
  • 134 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 5 et 7 J. 
  • 135 Sur la pierre de Magnésie, voir par exemple Lucrèce, De natura rerum, 6, v. 917-1001 ; Ps.-Alexandr (...)

84Une dernière analogie confirme cette hypothèse. Les deux textes de Galien exposent une série d’exemples empruntés au monde animal, plus précisément à l’ensemble des venimeux : une séquence brève où se succèdent l’araignée-phalange, puis le couple formé par la pastenague marine et le scorpion, pour ce qui est du premier texte ; une séquence plus longue impliquant de nouveau araignée-phalange, scorpion et torpille, puis pierre de Magnésie et, pour finir, chien enragé, dans le second extrait132. Tous ces exemples, ou presque, se retrouvent dans le Περὶ δακετῶν καὶ βλητικῶν, où ils s’insèrent soit dans la catégorie des animaux qui piquent, soit dans le prolongement de cette série : ainsi, chez Théophraste, l’araignée, le scorpion et la raie pastenague – disposés de manière quasi contiguë dans le fragment théophrastéen de Priscien – sont trois représentants du groupe des βλητικά133 ; apparaissent ensuite le chien enragé, puis la torpille, qui semblent poursuivre cette première série134 ; la pierre de Magnésie, quant à elle, est absente de l’opuscule théophrastéen, mais fréquemment invoquée, avec la torpille, comme modèle de l’action à distance, dans la littérature savante135.

  • 136 Voir supra, partie 1.3.2.
  • 137 Voir notamment Galien, De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus, 5.1 (XI, 705.11- (...)
  • 138 Elle sera notamment reprise par Avicenne, Canon, 1.2.2.1.15 : voir à ce sujet Weill-Parot, Points a (...)

85L’association de ces différents exemples indique que la relation cause-effet est, dans chaque cas, la même : comme pour l’aimant, qui a valeur de paradigme, les animaux cités ont une action aux conséquences manifestes, mais aux causes cachées ou occultes. L’interprétation donnée plus haut du terme de δύναμις s’en trouve confirmée136. Il est intéressant, d’autre part, que ce type de relation causale apparaisse dans un texte de Galien, auteur qui théorise ailleurs le mystère de l’efficacité des drogues d’une manière tout à fait analogue, quoique le terme de ποιότης soit alors préféré à celui de δύναμις : quand ce n’est pas par l’une des quatre qualités élémentaires ou par leur mélange que le médicament agit, il faut faire l’hypothèse que la cause de l’action réside dans « toute la substance » (καθὅλην τὴν οὐσίαν), dans la totalité de la substance, c’est-à-dire dans une propriété singulière qui ne saurait être davantage précisée137 ; là encore, les causes évidentes que sont les quatre qualités s’opposent à cette étiologie alternative qu’est la doctrine de « toute la substance ». Il est fort possible que la lecture de Théophraste ait participé, dans la réflexion galénique, à la formulation de cette théorie, qui elle-même constitue une source essentielle pour la pharmacologie arabe et, plus largement, pour toute la pensée scientifique du Moyen Âge138.

  • 139 Voir Galien, Sur les lieux affectés, 3.11 (VIII, 194.4-17 Kühn) et 6.5.13, cité supra.
  • 140 Pourquoi n’avoir pas utilisé, plutôt, le modèle du venin visible des bêtes qui mordent, puisque le (...)
  • 141 Voir Arétée de Cappadoce, Causes et signes des maladies aiguës, 1.7.3 ; Célius Aurélien, Maladies a (...)

86Cette mise en série, enfin, joue un rôle particulier dans le contexte du traité Sur les lieux affectés, puisque le but est alors de penser la maladie. Pour le médecin de Pergame, le venin de scorpion permet d’illustrer la diffusion d’un mal, qu’il s’agisse d’affections mentales, dans le premier texte cité, ou de troubles gynécologiques, dans le second : la propagation d’un venin immatériel est donc semblable à la pathogenèse d'une maladie, qui prend son origine dans une partie isolée du corps avant d’étendre son emprise à l’organisme tout entier139. Dans le petit traité de Théophraste, on peut imaginer une démarche voisine, où la série des bêtes qui piquent aurait constitué le moyen d’introduire le thème de la rage : l’attention, alors, aurait porté non tant sur la propagation du venin de chien que sur la transmission de la maladie d’un individu à l’autre ; comme pour les βλητικά, le phénomène d’infection ainsi décrit aurait impliqué une substance immatérielle, qui pourrait être soit un πνεῦμα, soit une δύναμις, de chien enragé140 ; l’hypothèse est d’autant plus probable que plusieurs témoins antiques d’une réflexion scientifique sur la rage développent, justement, le thème d’un « souffle de chien » aux conséquences funestes141. Mais cette piste, qui nous éloigne de notre interrogation sur les bêtes qui piquent, doit être réservée à d’autres recherches.

Conclusion

87Notre enquête sur les βλητικά touche à son terme et l’image des animaux qui piquent paraît considérablement plus nette.

Cohérence et fragilité de la catégorie des bêtes qui piquent

88La cohérence de la catégorie lui vient essentiellement de Théophraste, son inventeur. Dans le traité Sur les animaux qui mordent et qui piquent, les bêtes qui piquent sont ainsi définies par deux critères : d’abord, la possession d’un dard ou d’un organe assimilé, élément nécessaire pour que l’animal puisse piquer ; ensuite, une action venimeuse qui repose sur une vertu ou sur un souffle délétère, principes que nous avons assimilés à un « venin négatif », parce qu’ils sont invisibles, insaisissables et, fort probablement, immatériels.

89L’étroitesse du dard, presque invisible lui aussi, est également considérée comme déterminante, quoique ce jugement soit limité à la recherche des causes de la douleur des piqûres : la tradition zoologique et médicale issue de Théophraste s’illustre par des savants, tel Aristophane de Byzance, qui caractérisent les βλητικά par la finesse de leur aiguillon ; à la faveur, sans doute, de la promotion de la λεπτότης dans le discours esthétique alexandrin, cet aspect devient crucial dans les textes du début de l’époque impériale, comme il l’était sans doute déjà dans la réflexion hellénistique qui leur sert de modèle. Dans une certaine mesure, cependant, la question du dard et celle du venin vont en réalité de pair : ce ne sont que les deux volets complémentaires d’une fenêtre ouverte sur les limites du visible.

90Toute cohérente soit-elle en théorie, la classe des βλητικά n’en est pas moins fragile. Elle se voit très tôt confrontée aux données de l’expérience qui remettent en cause son unité : les recherches menées sur le dard du scorpion, associées au nom d’Apollodore, montrent que le venin de certaines bêtes qui piquent est tout à fait visible, et que la rétention du liquide toxique dans l’aiguillon, jusqu’au moment de la piqûre, suppose l’existence d’un canal minuscule, si mince qu’il échappe au regard humain ; malgré la différence d’échelle, le dard semble alors analogue aux dents des bêtes qui mordent, de même que le venin qui s’y trouve est analogue à celui des serpents ; partant, la distribution en diptyque des venimeux peut être réfutée, ou du moins simplifiée en un groupe unique de θηρία. Cette simplification remporte de nombreux suffrages et la description minutieuse du dard évidé du scorpion sera reprise, bien après Apollodore, par des auteurs divers. Pour autant, la thèse du canal microscopique ne va pas de soi : nous pouvons soupçonner l’existence d’un πρόβλημα ou d’une controverse entomologiste opposant les partisans d’Apollodore à ceux de Théophraste ; nous en avons des indices, sinon la preuve, dans les positions de Galien, qui suivent celles du philosophe d’Érèse tout en faisant, semble-t-il, quelques concessions à l’adversaire.

91Au-delà du iiie siècle de notre ère, les lecteurs de Théophraste se font plus discrets : la tradition se maintient dans les recueils paradoxographiques ou à travers la paraphrase de Priscien de Lydie, qui atteste la présence de Théophraste dans la bibliothèque de l’Académie jusqu’au vie siècle de notre ère ; elle disparaît toutefois des écrits iologiques d’époque tardive, ouvrages à dominante pharmacologique et médicale, peu portés sur la zoologie.

Du venin invisible aux maladies venimeuses

92À ces deux caractères s’ajoute une fonction heuristique de la classe des bêtes qui piquent. Dans la disposition du petit traité théophrastéen – tel du moins qu’il nous est transmis par Priscien de Lydie –, le rôle des βλητικά est celui d’un pivot, qui permet de passer de la classe des bêtes qui mordent, dotées d’un venin matériel, à des phénomènes plus mystérieux, comme en particulier la rage. En relisant le fragment du Lydien à la lumière des témoignages de Galien, qui présentent un déroulement semblable, on se rend compte que cet ordre correspond à une continuité théorique : les maladies conçues sur le modèle de l’envenimation se situent du côté des venins immatériels et des vertus occultes, connues par leurs seuls effets. Elles n’impliquent pas, chez Théophraste et Galien, d’hypothèse microscopique : absence que l’on peut être tenté de le regretter, mais qui constitue aussi un gage de prudence épistémologique, dans un contexte où les instruments optiques susceptibles de suppléer aux limites de l’œil humain font défaut.

  • 142 Sur ce point, voir par exemple N. Weill-Parot, « La rationalité médicale à l’épreuve de la peste : (...)

93Le modèle de la « maladie-venin » n’en est pas moins digne d’intérêt : sa fortune sera grande dans l’Antiquité, mais aussi bien au-delà de cette période, puisque à la fin du Moyen Âge, la peste de 1348 sera régulièrement interprétée comme un empoisonnement de l’air, contre lequel le recours à toutes sortes de thériaques ou d’anti-venins sera recommandé142 ; dans le cas du traité de Théophraste, notre point de départ, on pourrait étendre l’analyse non seulement à la rage, mais à des zoonoses plus discrètes, présentes çà et là dans le corpus iologique, et que l’on peut déceler dans les morsures de musaraigne, par exemple, ou encore de gecko. À travers ces exemples, il apparaît clairement que le sens du mot « venin », pour les Anciens, est beaucoup plus ouvert et souple que l’acception qui est la nôtre.

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Notes

1 Ce travail a été présenté pour la première fois lors du séminaire « Transmissions et réceptions des savoirs antiques sur les naturalia », qui s’est tenu le 18 novembre 2022 à l’Université de Lille. Je tiens à remercier les deux organisateurs de la rencontre, Marie-Odile Bruhat et Sébastien Barbara, pour leur accueil chaleureux, ainsi que les participants du séminaire pour leurs questions, leurs remarques et leur suggestions très utiles. Mes remerciements vont aussi aux éditeurs de cet article, Isabelle Draelants et Arnaud Zucker, ainsi qu’à Maxime Ferbus, Camille Safré, Marco Vespa et, enfin, aux deux relecteurs anonymes de la revue RursuSpicae, pour leur regard attentif et les compléments précieux apportés à ma recherche.

2 Sauf indication contraire, les traductions sont personnelles.

3 Pour cette définition large du grec ἔντομον, conservée dans le latin insectum, voir Aristote, Histoire des animaux, 1.1, 487a 32 et surtout 4.1, 523b 13-18. Cf. A. Zucker, Les Classes zoologiques en Grèce ancienne : D’Homère (viiie av. J.-C.) à Élien (iiie ap. J.-C.), Aix-en-Provence, 2005a, p. 241.

4 Le terme de iologie fut forgé au milieu du xixe siècle par Otto Schneider, dans un ouvrage fondateur pour les études sur Nicandre : O. Schneider, Nicandrea. Theriaca et Alexipharmaca, Leipzig, 1856, p. 181. Si cette dénomination moderne est reprise dans la majorité des études ultérieures, le nom de thériologie, promu par A. Zucker, est sans doute plus proche de l’usage ancien : voir A. Zucker, « Registres et savoirs invoqués dans le De venenatis animalibus de Philouménos », in S. Barbara et J. Trinquier (éd.), Ophiaca. Diffusion et réception des savoirs antiques sur les Ophidiens, Anthropozoologica, 47.1, 2012a, p. 51-72, en part. p. 70. Sur les expressions anciennes de λόγος θηριακός et de λόγος περὶ θηρίων, voir J.-M. Jacques, Nicandre. Œuvres, t. 2 : Les Thériaques, Paris, 2002 : p. xii-lxv, en part. p. xiii-xiv, xvi-xvii, xxxv, xliii et liii ; N. Rousseau, « Des Thériaques (Θηριακά) à “la thériaque” (θηριακή) : formation et histoire du terme », in V. Boudon-Millot et F. Micheau (éd.), La Thériaque. Histoire d’un remède millénaire, Paris, 2020, p. 39-75, en part. p. 44-50. Les deux formules sont à peu près équivalentes – de même que la variante θηριακά qui, bien au-delà du poème de Nicandre, était un titre générique d’ouvrage « sur les bêtes à venin ».

5 Outre son sens générique de « bête sauvage, animal », θηρίον peut prendre les acceptions spécifiques de « petite bête, vermine » et, d’autre part, de « bête à venin, animal venimeux » : sur ce terme, voir P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, [1968] 1999, p. 435, s. v. θήρ ; J.-L. Perpillou, « Quelle sorte de θηρίον fut Démosthène ? », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 69.2, 1995, p. 263-268, repris dans J.-L. Perpillou, Essais de lexicographie en grec ancien, Louvain-Paris, 2004, p. 201-207 ; N. Guilleux, « θήρ », in « Chronique d’étymologie grecque n° 11 », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 80.2, 2006, p. 354 ; Rousseau, « Des Thériaques (Θηριακά) à “la thériaque” (θηριακή) », 2020 : p. 40-44. Il convient de remarquer que ce phénomène de spécialisation dans le sens de « bête à venin » a lieu dès l’époque classique, ce qui permet d’imaginer une « préhistoire » de la réflexion grecque sur les venins : voir en particulier Platon, Euthydème, 290a.

6 Presque toutes les occurrences du terme sont des citations du traité de Théophraste : voir Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, 5.43 ; Athénée, Deipnosophistes, 7.95, 314c ; cf. aussi Aristophane de Byzance, Épitomé, A.147 (passage vraisemblablement tiré de Théophraste : voir infra, partie 2.1) ; pour le cas d’Apulée, Apologie, 41, voir infra, n. 15.

7 Voir C. Mugler, Dictionnaire historique de la terminologie géométrique des Grecs, Paris, 1958-1959, s. v. κέντρον, p. 246-248 ; cf. σημεῖον, p. 376-377 ; στιγμή, p. 379. Si le terme στιγμή, puis celui de σημεῖον, qui le remplace à partir de Platon, sont les manières classiques de désigner le point, il existe des cas où κέντρον peut également se traduire par « point » ou par « sommet » : voir Platon, Timée, 54e et 55b.

8 Ce paradoxe de l’action venimeuse est exprimé avant que la distinction entre δακετά et βλητικά ne soit fermement établie par Théophraste : voir Xénophon, Mémorables, 1.3.12 et Banquet, 4.28 ; Platon, Banquet, 217e-218a ; Dioclès de Caryste ap. Ps.-Dioscoride, Sur les venimeux, praef. 47.4-49.5 Sprengel = fr. 177 van den Eijk = fr. 4 Jacques. Sur ce passage, voir A. Touwaide, « Stratégies thérapeutiques : les médicaments », in M. D. Grmek, Histoire de la pensée médicale en Occident. 1. Antiquité et Moyen Âge, Paris, 1995, p. 227-237, en part. p. 229 ; « Galien et la toxicologie », in W. Haase (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 37.2, Berlin, Boston, 1994, p. 1887-1986, en part. p. 1944 avec la n. 172 et p. 1964-1965 ; « Le médicament en Alexandrie : de la pratique à l’épistémologie », in G. Argoud et J.-Y. Guillemin, Sciences exactes et sciences appliquées à Alexandrie (iiie siècle av. J.-C. – iersiècle ap. J.-C.). Actes du Colloque International de Saint-Étienne (6-8 juin 1996), Saint-Étienne, 1998, p. 189-206, en part. p. 193-199 ; Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxvii-xxviii et p. xxxviii ; S. Barbara, « Les phalanges de Socrate (X., Mem., I, 3, 11-13) », Revue de philologie, de littérature et d’histoire ancienne, 94.1, 2022, p. 7-38, en part. p. 28-29.

9 Une piqûre d’abeille, à titre d’exemple, ne libère au maximum qu’entre 0,2 et 0,5 milligramme de venin : voir M. Leclercq, « Les insectes venimeux et l’envenimation », in P.-P. Grassé, Traité de zoologie, VIII.5-B, Paris, New York, Barcelone, 1977, p. 435 et F. Bernard, « Anatomie et physiologie », in P.-P. Grassé, Traité de zoologie, X.1, Paris, New York, Barcelone, 1979, p. 799.

10 Le thème de l’envenimation dans l’art antique est notamment illustré par le cas de Philoctète, dont la souffrance est interprétée, dans certaines versions du mythe, comme due à une envenimation : voir à ce sujet D. Gourevitch et M. D. Grmek, Les Maladies dans l’art antique, Paris, 1998, p. 99-110, en part. p. 99, 100-101, 108 et 109-110. On peut aussi mentionner le petit Opheltès, tué par un serpent alors que sa nourrice, Hypsipyle, l’avait laissé sans surveillance, qui est généralement représenté déjà mort ou en train d’être étouffé par un animal constricteur, sans doute un δράκων : il existe néanmoins une image où le serpent semble mordre sa victime, et non pas l’étrangler (fragment de cratère du Musée de Bari, n° 3581, cf. W. Pülhorn, s. v. Archemoros, LIMC, II, 1984, p. 472-475, en part. p. 473). Pour les sources écrites, voir entre autres le passage d’Eschyle, Choéphores, v. 994-996, où Oreste distingue entre l’envenimation produite par une morsure et celle qui se fait par simple contact ; parmi les dialogues socratiques, Xénophon, Mémorables, 1.3.12-13 et Banquet, 4.28 ; Platon, Euthydème, 290a et Banquet, 217e-218a. Sur ces passages et leur rapport avec la naissance d’un discours sur les venins, voir Jacques, Nicandre, Paris, 2002 : p. xxvii-xxviii, avec la n. 41 ; et, plus récemment, Barbara, « Les phalanges de Socrate », 2022 : p. 7-38.

11 Sur les traités zoologiques de Théophraste, qui furent très tôt confondus avec l’œuvre d’Aristote, voir V. Rose (éd.), Aristoteles Pseudepigraphus, Leipzig, 1863, p. 327-372, fr. 313-324 ; A. Zucker, Aristote et les classifications zoologiques, Louvain-la-Neuve, 2005b, p. 260-266 ; W. W. Fortenbaugh et al (éd.)., Theophrastus of Eresus. Sources for his Life, Writings, Thought and Influence. Part 2, Leiden, New York, Köln, 1992, p. 134-187, textes n° 350-383 ; R. W. Sharples, Theophrastus of Eresus. Sources for His Life, Writings, Thought, and Influence. Commentary, V. Sources on Biology (Human Physiology, Living Creatures, Botany: Texts 328-435), Leiden, New York, Köln, 1995, p. 32-123. L’un des problèmes soulevés par la critique est de savoir si le Περὶ ζῴων en sept livres, attesté par Diogène Laërce (Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, 5.44 et 5.50) parmi les ouvrages de Théophraste, se décline dans les sept titres à contenu zoologique qui sont donnés dans la même liste, et qui pourraient correspondre aux différents livres de la somme ; dans cette hypothèse, l’opuscule Sur les animaux qui mordent et qui piquent, nommé en troisième dans la liste de Diogène, constituerait le troisième livre du Περὶ ζῴων. Sur cette question, voir Sharples, Commentary, 2005 : p. 41-42.

12 Sur les questions relatives à l’histoire du texte des Solutiones ad Chosroem et au contexte du séjour perse de Priscien, voir D. Marcotte, « Chosroès Ier et Priscien : entretiens de physique et de météorologie », in C. Jullien (éd.), Husraw Ier, reconstructions d’un règne : sources et documents, Leuven, 2015, p. 285-304 ; également R. Sorabji, « Introduction », in P. Huby et al., Priscian: Answers to King Khosroes of Persia, London, New York, 2016, p. 1-10.

13 Voir A. Zucker, « Théophraste à mots découverts : sur les animaux qui mordent ou piquent », in D. Auger et É. Wolff (éd.), Culture classique et christianisme : Mélanges offerts à Jean Bouffartigue, Paris, 2008, p. 331-340, en part. p. 333-336.

14 L’ensemble de ces témoignages est donné par Jacques, dans les annexes de son édition des Thériaques de Nicandre : voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. 272-285 ; voir aussi Rose (éd.), Aristoteles pseudepigraphus, 1863 : p. 338-352, fr. 318-321 ; Fortenbaugh et al. (éd.), Theophrastus, 1992 : p. 152-155, n° 360-361 et p. 172-173, n° 369. Il existe une traduction partielle en français, dans Zucker, « Théophraste à mots découverts », 2008 : p. 331-340, ainsi qu’une traduction complète, dans la version longue du même article, publiée en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00280983/. Une traduction anglaise est aussi proposée par D. Langslow, S. Ebbesen et V. Nutton in P. Huby, et al., Priscian: Answers to King Khosroes of Persia, London, New York, 2016, p. 76-81. Pour une présentation générale de l’opuscule, voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxx-xxxiii ; Zucker, « Théophraste à mots découverts », 2008 : p. 331-340. Sur le groupe de sections relatives aux venimeux dans le recueil péripatéticien des mirabilia (Ps.-Aristote, De mirabilibus auscultationibus, 139-151) voir G. Verhasselt, « De mirabilibus auscultationibus 139-151: Theophrastus’ On Creatures that Bite and Sting and Aristotle’s Nomima Barbarica », in A. Zucker et al. (éd.), The Aristotelian Mirabilia and Early Peripatetic Natural Science, à paraître.

15 C’est souvent dans les titres de traités sur les venimeux que ces termes sont employés. On peut citer trois cas : un περὶ δακετῶν, composé au iiie siècle avant notre ère par Aristogénès de Thasos ou de Cnide (Souda, α 3910-3911, s. v.  Ἀριστογένης Θάσιος, Ἀριστογένης, Κνίδιος ; voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxiii, n. 53 ; C. Nissen, Prosopographie des médecins de l’Asie Mineure pendant l’Antiquité classique, thèse de doctorat en Histoire de la médecine, sous la direction de D. Gourevitch, Paris, École Pratique des Hautes Études, 2006, p. 306-307, n° 189) ; un second περὶ δακετῶν, œuvre d’Andréas de Caryste, également actif au iiie siècle avant notre ère (Athénée, Deipnosophistes, 7.90, 312d ; voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xl-xlii) ; enfin, plus proche du titre de Théophraste, le περὶ βλητῶν δακετῶν du médecin Sostratos (ier siècle avant notre ère), signalé dans les Scholies aux Thériaques de Nicandre, v.706b et 764a (voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. liv, n. 104, avec la bibliographie antérieure) ; le titre du traité théophrastéen peut lui-même être désigné par la variante περὶ δακετῶν καὶ βλητῶν, puisque c’est celle que choisit Apulée, d’après la leçon des manuscrits (Apulée, Apologie, 41, la correction βλητικῶν étant due aux éditeurs modernes). Le titre περὶ θηρίων, attesté à partir d’Apollodore aura plus de succès. Cela dit, comme le remarque le relecteur anonyme de cet article – que je remercie pour cette nuance –, « la perspective d’une étude systématique des titres est en réalité faussée par l’emploi de formules comme ὁ θηριακός (pour désigner un auteur) ou θηριακὸς λόγος, qui empêchent de connaître l’intitulé exact de plusieurs traités composés par un certain nombre d’iologues ».

16 Du côté latin, les expressions de type ictus morsusque sont nombreuses, bien que les référents derrière ces noms ne soient pas toujours aussi clairement définis que chez Théophraste : voir entre autres Cicéron, De officiis, 2.19 ; Scribonius Largus, Compositions médicales, 163 ; Pline l’Ancien, H. N., 22.18 et 28.162.

17 Aristophane, Oiseaux, v. 1069 ; on peut sans doute ajouter Sophocle, fr. 245 Radt, où la forme au datif δακέτῳ semble avoir le sens de « morsure ».

18 Par exemple Eschyle, Prométhée, v. 583 ; Agamemnon, v. 824 ; Euripide, Hippolyte, v. 646. Comme pour l’usage archaïque de δακετόν, le sens secondaire de « morsure » est attesté dès Pindare, Pythiques, 2, v. 53. Sur δάκος, doublet de δακετόν, voir Chantraine, Dictionnaire, [1968] 1999 : p. 249, s. v. δάκνω.

19 Ctésias, fr. 45l Jacoby (ap. Élien, P. A., 4.37) ; Hypéride, fr. 19 Jensen (ap. Harpocration, Lexicon in decem oratores, φ 1) ; Théophraste, Recherches sur les plantes, 9.19.3. Les deux premières références doivent cependant être prises avec prudence, car l’usage de δακετόν pourrait être le fait du citateur et non de la source citée.

20 Aristote, Topiques, 6.2, 140a 4. Nous empruntons le néologisme de « putrimordant » à la traduction de J. Brunschwig, dans la Collection des Universités de France.

21 Hippocrate, Maladies des femmes, 66.42, 230.60 et 230.61 (VIII, 138.19, 442.20 et 442.21-22 Littré), cf. Aristote, H. A., 9.39, 622b 28 (sur des araignées venimeuses) et P. A. 3.1.13, 662a 31 (sur des poissons, mais on peut alors hésiter entre le sens de « venimeux » et celui de « féroce, prédateur »).

22 Dans les sources littéraires, on ne trouve aucune occurrence antérieure à Théophraste et il n’y a, après lui, que des acceptions techniques, inscrites dans le cadre du discours iologique, donc dans le sens imprimé par le premier usage du terme ; cf. cependant l’adjectif μεταβλητικός, « qui concerne les échanges », « lié au commerce », formé sur le composé μεταβάλλω et attesté avant les βλητικά de Théophraste, dans une œuvre de vieillesse de Platon (Platon, Sophiste 219d, 223d et 224d). De manière curieuse, toutefois, on peut remarquer que βλητικός, comme δακετός, possède un « jumeau » issu du lexique médical, porteur d’une double signification analogue à la polysémie de δηκτικός , όν : on rencontre ainsi le pluriel substantivé βλητά, utilisé comme synonyme de βλητικά, dans des sources tardives (Apulée, Apologie, 41 ; Élien, P. A., 3.32 ; Scholies aux Thériaques de Nicandre, v.706b et 764a), alors que l’adjectif βλητός, , όν signifie dans ses occurrences anciennes « frappé d’apoplexie » (cf. par exemple Hippocrate, Maladies II, 8 et 25). Ce phénomène de transfert récurrent entre médecine et iologie n’est sans doute pas un simple hasard, mais l’indice d’un ancrage médical des premières réflexions sur les venins. Je remercie S. Barbara d’avoir attiré mon attention sur ce point.

23 Cette notion fondamentale d’une action à distance, caractéristique des armes de traits ou de jet, distingue le sémantisme de βάλλω de celui de τύπτω, lequel exprime généralement l’idée de coup donné de près, avec contact. Voir à ce propos Chantraine, Dictionnaire, [1968] 1999 : p. 161-163, s. v. βάλλω, cf. p. 1145-1146, s. v. τύπτω. Cf. R. Beekes et L. van Beek, Etymological Dictionary of Greek, Leiden, Boston, 2010, s. v. βάλλω, p. 197-198.

24 Cette acception est notamment présente dans le composé ἰοβόλον, qui désigne les venimeux comme les injecteurs d’un ἰός, c’est-à-dire ici d’un « venin » – mais, dans d’autres contextes, d’un « trait » ou d’une « flèche », conformément au sens initial du terme – et que l’on pourrait traduire littéralement par les calques « lance-flèche » ou « lance-venin ». Sur la formation de ce terme et la confusion qui s’y révèle entre le poison et l’arme de jet, voir P. Monbrun, « Apollon, le scorpion et le frêne à Claros », Kernos, 16, Athènes, Liège, 2003, p. 143-170, en part. p. 144-146.

25 Ainsi, en dehors du petit traité théophrastéen, il est dit que les faux bourdons, dépourvus de dard, « veulent piquer tout en ne le pouvant pas » (βούλονται μὲν οὐ δύνανται δὲ βάλλειν, Aristote, H. A., 9.40, 624b 16-17) et que les abeilles « tuent les animaux de grande taille en les piquant » (κτείνουσι βάλλουσαι τὰ μέγαλα τῶν ζῴων, 626a 21-22). Il existe cependant des cas où l’action de piquer est exprimée non par βάλλω, mais par τύπτω : voir notamment Aristote, H. A., 5.21, 553b 6.

26 Sur la valeur de ce suffixe, cf. P. Chantraine, « Le suffixe grec en -ικός », in P. Chantraine, Études sur le vocabulaire grec, Paris, 1956, p. 97-171, en part. p. 150-151.

27 Aristote, H. A., 4.7, 532a 11-12 : ὥσπερ ὅπλον ; cf. 9.41, 628b 5-6 : οἱ δ’ ἔχοντες τὰ κέντρα μείζους καὶ ἄλκιμοι. Voir surtout Aristote, P. A., 4.6, 682b 33-683a 26, où le Stagirite affirme que le dard sert « pour le combat » (πρὸς τὴν ἀλκήν, 682b 37-683a 1 et, de nouveau, 683a 13) et que les animaux qui en sont pourvus s’en servent « comme d’une arme » (ὅπλον), « parce qu’ils ont du cœur » (διὰ τὸ θυμὸν ἔχειν, 683a 7). Sur ce passage, cf. Monbrun, « Apollon, le scorpion et le frêne », 2003 : p. 148-149.

28 Ce statut de vedette est dû, assez logiquement, à la taille de l’animal, à la longueur de son dard et aux douleurs qu’il inflige. Aristote remarque ainsi que le scorpion est le seul animal « à long dard » (μακρόκεντρον) : Aristote, H. A., 4.7, 532a 17. Sur l’image du scorpion en guerrier ou en archer, voir Monbrun, « Apollon, le scorpion et le frêne », 2003 : p. 147-157. Plus largement, sur l’agressivité prêtée au scorpion, voir I. C. Beavis, Insects and Other Invertebrates in Classical Antiquity, Exeter, 1988, p. 21-34, en part. p. 21-22 et 27-28.

29 Voir notamment Élien, P. A., 5.16 : la guêpe, enduisant son dard de venin de vipère, est invoquée comme le modèle animal d’archers mythiques, tel Héraclès, qui plongent semblablement leurs flèches dans une substance empoisonnée pour les rendre plus dangereuses ; si le dard n’est pas explicitement défini comme flèche, il en est bien l’exact analogue, tandis que la guêpe qui s’en sert est assimilée à un archer. De manière plus générale, les guêpes sont réputées pour leur agressivité depuis une comparaison homérique célèbre, où l’armée des Myrmidons est évoquée par un essaim en colère (Homère, Iliade, 16, v. 259-267). Pour d’autres références sur l’irascibilité des guêpes, voir A. Sauvage, « Les insectes dans la poésie romaine », Latomus, 29, 1970, p. 269-296, en part. p. 287-288 ; M. Davies et J. Kathirithamby, Greek Insects, London, 1988 : p. 75-77. Dans une moindre mesure, et même si le thème guerrier est beaucoup moins marqué pour cet animal, on peut également citer l’abeille au nombre des insectes combattants : tout en affirmant qu’elle ne fait de tort à aucun être vivant à l’extérieur de leur essaim, Aristote la présente prompte au combat, dès lors que son essaim est attaqué, ce qui peut conduire en particulier à des guerres contre les guêpes ou contre des abeilles ennemies (Aristote, H. A., 9.40, 626a 14-17) ; de même c’est bien le genre épique qui inspire l’évocation de la bataille des essaims d’abeilles, dans Virgile, Géorgiques, 4, v. 67-85 ; l’aiguillon y est comparé à une arme, quand il est dit que les abeilles « aiguisent leur dard avec leur trompe » (spiculaque exacuunt rostris, v. 74).

30 Voir infra, partie 1.3.2 de cet article.

31 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 1 Jacques.

32 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr.2 J.

33 Ps.-Aristote, Mir., 141 (ἐξ ἐχίδνης). Cf. le parallèle latin de Pline l’Ancien, H.N., 11.279 (uiperina sanie).

34 Pour être plus précis, on peut identifier, derrière le latin uipera, trois espèces de vipères italiennes : Vipera aspis, Vipera berus et Vipera ursinii. Le grec ἔχις ou ἔχιδνα, quant à lui, se réfère à des espèces présentes en Grèce ou en Asie Mineure, telles Vipera xanthina, Vipera lebetina et surtout V. ammodytes, soit la « vipère cornue » de la langue vernaculaire, qui est l’espèce la plus commune. Toutes ces vipères sont également membres de la famille des Viperidae, de la sous-famille des Viperinae, et présentent des caractères communs : elles sont en général de taille moyenne, pourvues d’une pupille verticale et de crochets solénoglyphes, creusés d’un canal par où s’écoule le venin ; ces crochets, probablement observés par les Anciens, sont capables de se replier quand l’animal replie ses mâchoires et, à l’inverse, de se redresser quand la bouche s’ouvre ; enfin, la plupart de ces vipères sont ovovivipares. Pour ces identifications, voir surtout L. Bodson, « Observations sur le vocabulaire de la zoologie antique : les noms de serpents en grec et en latin », Documents pour l’histoire du vocabulaire scientifique, 8, 1986, p. 65-119, en part. p. 68-69 (pour les ophionymes grecs) et 75-76 (pour l’ophionyme latin) ; pour le grec, voir également C. Leitz, Die Schlangennamen in den ägyptischen und griechischen Giftbüchern, Stuttgart, 1997, p. 103-115 ; L. Bodson, « Introduction au système de nomination des serpents en grec ancien : l'ophionyme dipsas et ses synonymes », in S. Barbara et J. Trinquier (éd.), Ophiaca. Diffusion et réception des savoirs antiques sur les Ophidiens, Anthropozoologica, 47.1, 2012, p. 73-155, en part. p. 78-79.

35 Bodson, « Les noms de serpents », 1986 : p. 68.

36 Une exception importante est le cas du serpent ieros, qui tue par la seule action de son souffle : il en est question dans la deuxième partie de l’exposé (Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 9 J.) ; celui-ci, quoique pourvu de dents, semble devoir être rattaché aux animaux qui, comme les bêtes qui piquent produisent un souffle ou exercent une puissance délétère pour ce qui les entoure.

37 Par exemple Nicandre, Thériaques, v. 157-412 (catalogue des serpents) et v. 715-836 (catalogue des arthropodes et autres venimeux) ; Andromaque l’Ancien, v. 10-24 (ap. Ps-Galien., Thériaque à Pison, 6.2-6) ; Lucain, Pharsale, 9, v. 700-837 ; Lucien, Dipsade, 3.

38 Derrière φαλάγγιον, on peut identifier toutes sortes d’araignées venimeuses du genre Latrodectus : par exemple, dans la description assez précise qu’en donne Xénophon (Mém., 1.3.11-13), on peut reconnaître l’espèce Malmignatte (Latrodectus tredecimguttatus Rossi), selon l’identification proposée par Barbara, « Les phalanges de Socrate », 2022 : p. 10-11 ; dans tous les cas, et même quand la description est moins précise, la traduction fréquente de φαλάγγιον par « tarentule » fausse complètement le sens du terme, car la tarentule est une lycose (Lycosa tarantula), c’est-à-dire une araignée non venimeuse. Sur cette question, voir aussi Jacques, Nicandre, 2002 : p. 196-198 ; G. Lherminier, « Les araignées ΑΡΑΧΝΗ et ΦΑΛΑΓΓΙΟΝ et le pavot ΚΑΡΠΗΣΙΑ : deux exemples de choix lexicaux de Paul d’Égine (Traité de médecine, 5.6-7 et 5.44) », in I. Boehm et N. Rousseau (éd.), L’Expressivité du lexique médical en Grèce et à Rome. Hommages à Françoise Skoda, Paris, 2014, p. 285-298, en part. p. 288-289. Sur les légendes liées à la distinction φάλαγξ/ἀράχνη, voir S. Ballestra-Puech, « L’araignée, le lézard et la belette : versions grecques du mythe d’Arachné », dans Rursus [En ligne], 2, 2007, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursus/97 , DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rursus.97 ; S. I. Johnston, « A New Web for Arachne », in U. Dill et C. Walde (éd.), Antike Mythen. Medien, Transformationen und Konstruktionen, Berlin, New York, 2009, p. 1-22.

39 Probablement l’île de Céos, comme le suppose Bywater, qui a souvent partie liée avec les venimeux et les empoisonnements.

40 Le texte latin dit littéralement que « l’arbre tend celui qui s’y pique », ce qui n’a guère de sens. Comme nous l’indiquons dans l’apparat critique, nous supposons que l’original grec κτείνει, « tue », a été lu à tort τείνει, « tend » et que cette mélecture est à l’origine de la traduction tendit en latin. Sur la létalité de la piqûre de poirier sauvage, voir Ps.-Aristote, Mir., 143, 845a 15 ; pour la pastenague, voir Élien, P. A., 1.56 et 2.36. Les deux informations figurent conjointement dans les fragments du Ps.-Antigone de Caryste, Mir., 18a-18b Giannini = 21-22 Westermann ; voir contra Ps.-Antigone de Caryste, De animalibus, 51a-51b Dorandi, où le second renseignement, sur la pastenague, n’apparaît pas, cette partie du chapitre ne dérivant pas d’Antigone aux yeux de l’éditeur.

41 Le seul cas équivoque est celui des chélicères de l’araignée, qui tiennent à la fois des dents et du dard. Aussi l’araignée est-elle considérée comme une bête mordeuse, dans d’autres classements que celui de Théophraste : voir par exemple Aristote, H. A., 9.39, 622b 28-33 ; ou, pour le phalangium latin, Pline l’Ancien, H. N., 11.79.

42 Élien, P. A., 3.32.

43 Aristophane de Byzance, Épitomé, A.147 : sur ce passage, voir infra, partie 2.1.

44 Pour les identifications zoologiques, nous reprenons les propositions de M. Cariou, « Poissons venimeux et pêche au poison », communication présentée à la journée d’étude Savoirs zoologiques antiques, organisée à l’Université de Lille par S. Barbara, le 15 octobre 2018.

45 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 5 J. : declarant quoque et caninos morsus et luporum cum rabiant (« [les Anciens] invoquent aussi les morsures de chiens et de loups, quand ceux-ci ont la rage »). L’emploi renouvelé, pour introduire la notice sur la rage, d’un verbe de parole dont le sujet est toujours « les Anciens » – ces ueteres à qui Priscien doit son information – marque subtilement le passage à une nouvelle étape de l’exposé.

46 C’est la rétroversion proposée par Zucker, « Théophraste à mots découverts », 2008 : p. 337.

47 Venenum, qui signifie à l’origine « décoction de plantes magiques, charme, filtre », avant de prendre la valeur péjorative de « poison », est l’exact synonyme du grec φάρμακον : voir A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, [1932] 2001, p. 719, s. v. uenenum.

48 Respectivement fr. 1 et 2 J. (Priscien, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 95-24-96.5)

49 Ps.-Aristote, Mir., 141, 845a 1 : Σκυθικὸν φάρμακον, à côté de Priscien, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 95.30-31 Bywater : Scythicum uenenum ; de même, le parallèle d’Élien a le verbe φαρμάσσοντες (Élien, P. A., 9.15). Voir aussi Élien, P. A., 3.32.

50 Pour ἰχώρ dans les parallèles à Priscien, les références sont les mêmes que dans la note supra : Ps.-Aristote, Mir., 141, 845a 8 : τῷ τῆς ἐχίδνης ἰχῶρι, à côté de Priscien, ei (scil. saniei) quae est ex uipera ; Élien, P. A., 9.15 : ἀνθρώπειον ἰχῶρα, à côté de ex homine sanies. Plus largement, pour l’équivalence sanies-ἰχώρ, voir J. Jouanna et P. Demont, « Le sens de ἰχρ chez Homère (Iliade, V, v. 340 et 416) et Eschyle (Agamemnon, v. 1480), en relation avec les emplois du mot dans la Collection hippocratique », Revue des Études Anciennes, 83, 1981, p. 197-209, en part. p. 207-208.

51 Le sens de « sang des dieux », que l’on donne traditionnellement à l’ἰχώρ du poème homérique, est donc erroné ; de même, une traduction par « sang » ou par « pus » ne saurait convenir. Voir à ce sujet Jouanna et Demont, « Le sens de ἰχώρ », 1981 : p. 197-209, avec les références des textes anciens ; voir aussi l’étude historique très fine de M.-P. Duminil, « Les sens de ἰχώρ dans les textes hippocratiques », in R. Joly (éd.), Corpus Hippocraticum. Actes du Colloque hippocratique de Mons (22-26 sept. 1975), Mons, 1977, p. 65-76 ; article repris et complété dans M.-P. Duminil, Le Sang, les vaisseaux, le cœur dans la “Collection hippocratique” : anatomie et physiologie, Paris, 1983, en part. p. 164-184.

52 Aristote, P. A., 2.4, 651a 17-18 : χὼρ δ᾽ ἐστὶ τὸ ὑδατῶδες τοῦ αἳματος διὰ τὸ μήπω πεπέφθαι ἢ διεφθάρθαι (« l’χρ est l’élément aqueux du sang, résultant d’une coction incomplète ou d’une corruption »). Cet « élément aqueux du sang » coïncide parfaitement avec ce que la médecine moderne appelle « sérum », cf. Aristote, P. A., 2.4, 650b 16-18 : τοῦ γὰρ αἵματος τὸ μὲν ὑδατῶδες μᾶλλον ψυχρόν ἐστι, διὸ καὶ οὐ πήγνυται, τὸ δὲ γεῶδες πήγνυται συνεξατμίζοντος τοῦ ὑγροῦ (« la partie aqueuse du sang est plus froide, et c’est aussi pour cela qu’elle ne coagule pas, alors que la partie terreuse coagule quand l’humidité s’évapore »). Sur ces passages, à comparer avec une expérience similaire décrite dans la Collection hippocratique (Chairs, 8), et plus largement sur les occurrences d’ἰχώρ chez Aristote, voir Duminil, Le Sang, les vaisseaux, le cœur, 1983 : p. 182-184.

53 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 2 J. (ap. Priscien, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 95-30-96.3) : itaque et Scythicum uenenum quo tingunt sagittas ex uiperae sanie et hominis compositionem habet ad infectionem. Accipitur enim ex homine sanies de sanguine et ei quae est ex uipera componentes intingunt sagittas ad uelocitatem mortiferae plagae, sicque putrefacit carnes adiectio illius (« c’est aussi la raison pour laquelle le venin des Scythes, poison dans lequel ils trempent leurs flèches, possède une composition où entrent le sérum de vipère et celui de l’homme, visant à l’infection. On apprend en effet que, unissant le sérum obtenu à partir de sang humain à celui qu’on obtient d’une vipère, ils trempent leurs flèches dans le composé obtenu, fait pour provoquer des blessures mortelles en peu de temps et que l’injection de cette redoutable mixture cause la putréfaction des chairs »). Cf. Ps.-Aristote, Mir. 141, 845a 4-9 : ὅταν δὲ ἱκανῶς αὐτοῖς δοκῇ σεσῆφθαι πᾶν, τὸ τοῦ ἀνθρώπου αἷμα εἰς χυτρίδιον ἐγχέοντες εἰς τὰς κοπρίας κατορύττουσι πωμάσαντες. ὅταν δὲ καὶ τοῦτο σαπῇ, τὸ ὑφιστάμενον ἐπάνω τοῦ αἵματος, ὃ δή ἐστιν ὑδατῶδες, μιγνύουσι τῷ τῆς ἐχίδνης ἰχῶρι, καὶ οὕτω ποιοῦσι θανάσιμον (« quand ils considèrent que l’ensemble s’est suffisamment putréfié, ils versent du sang d’homme dans un petit chaudron et, après l’avoir refermé d’un couvercle, l’enterrent dans un tas de fumier. Puis, quand cela aussi s’est putréfié, ils mélangent ce qui surnage au-dessus du sang, et qui en est la partie aqueuse, avec le sérum de vipère, et fabriquent ainsi un poison mortel ») ; Élien, P. A., 9.15 : λέγονται δὲ οἱ Σκύθαι πρὸς τῷ τοξικῷ, ᾧ τοὺς ὀϊστοὺς ἐπιχρίουσι, καὶ ἀνθρώπειον ἰχῶρα ἀναμιγνύναι φαρμάσσοντες, ἐπιπολάζοντά πως αἵματι, ὅνπερ ἴσασιν ἀπόκριμα αὐτοῖς. τεκμηριῶσαι τοῦτο καὶ Θεόφραστος ἱκανός (« on raconte que les Scythes mêlent du sérum humain, qui est à la surface du sang, et qu’ils savent prélever sur eux-mêmes, au toxique dont ils enduisent leurs flèches pour les empoisonner. Le témoignage de Théophraste est une garantie suffisante de ce fait »).

54 Ce désintérêt compte sans doute pour beaucoup dans l’avènement très tardif du microscope, parent pauvre du télescope qui ne rencontre la gloire – et encore est-ce une gloire toute relative – qu’une cinquantaine d’années après les recherches astronomiques menées par Galilée. Sur le faible attrait des Anciens pour le « micro-monde », origine probable du désaveu des Modernes, et sur la critique aristotélicienne de l’atomisme, voir P. Hamou, La Mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au xviie siècle. Volume 2 : Microscopes et télescopes en Angleterre, de Bacon à Hooke, Villeneuve d’Ascq, 2001, p. 104-108.

55 L’équivalence spiritus-πνεῦμα semble très probable, sans être absolument certaine, faute de parallèles grecs aux différents passages de Priscien qui mentionnent le spiritus. L’équivalence uirtus-δύναμις, en revanche, est garantie par plusieurs parallèles : Élien, P. A., 9.15, cf. fr. 3 J. ; Athénée, Deipnosophistes, 7.95, 314c cf. fr. 7 J. ; Ps.-Aristote, Mir. 142, 845a11, cf. fr. 10 J.

56 Chantraine, Dictionnaire, 1968 : p. 920, s. v. πνέω.

57 C’est surtout dans le fr. 13 J. que cette idée est exprimée : secundum enim habitudines unius cuiusque eorum in alimenta etiam suci et odores (« en fonction des habitudes alimentaires de chacun d’eux, ainsi leurs humeurs et leurs odeurs »), où suci et odores semblent reprendre les deux types de causes qui ont été définies dans la première partie du traité. Cf. aussi les parallèles à ce fragment répertoriés par Jacques, notamment Ps.-Aristote, Mir., 147 (845a 10-14) ; Théophraste, Causes des plantes, 6.5.1 et De odoribus, 4.

58 Il s’agit d’Anaximène et de son élève, Diogène d’Apollonie. Cf. Anaximène, 13.B2 et 3 Diels-Kranz; Diogène d’Apollonie, 64.A19, B4 et B5 Diels-Kranz = T8 et fr. 8 et 9 Laks ; voir les commentaires ad loc. dans A. Laks, Diogène d’Apollonie. La dernière cosmologie présocratique, Lille, 1983, p. 39-55 et p. 107-137. Le théâtre s’en fait l’écho : voir en particulier Aristophane, Nuées, notamment les v. 160-164, 227-230, 264, 275 et 627.

59 Hippocrate, Des vents, 4.1 et passim. Voir aussi Hippocrate, Maladie sacrée, 7.2-5 ; Nature de l’homme, 9 ; Anonyme de Londres, 6.14-18.

60 Pour ces trois fonctions du πνεῦμα, voir notamment Aristote, Mouvement des animaux, 10, 703a 6-14 ; Génération des Animaux, 2.6, 744a 2-5 5 et 2.3, 736b 29-757a 7.

61 Voir exemples donnés infra.

62 Pour les gaz toxiques, voir fr. 8 J. et fr. 13 J. ; pour le souffle de serpent, voir fr. 7 J. Sur cette question des serpents cracheurs, souvent associée au thème du souffle toxique émanant de certains lieux, voir S. Barbara, « Castoréum et basilic, deux substances animales de la pharmacopée ancienne », in I. Boehm et P. Luccioni (éd.), Le Médecin initié par l’animal. Animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine. Actes du colloque international tenu à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux, les 26 et 27 octobre 2006, Lyon, 2008, p. 121-148, en part. p. 143-144 ; J. Trinquier, « La fabrique du serpent draco : quelques serpents mythiques chez les poètes latins », Pallas, 78, 2008, p. 221-255, en part. p. 244-246 ; S. Barbara, « Les “Thériaques” virgiliennes de Géorgiques, III, 414-439 », Insula [En ligne], 2016, URL : https://insula.univ-lille3.fr/virgile-les-georgiques, p. 1-26, en part. p. 11-12 et 20-21. Sur le souffle du crapaud, en plus des références déjà données, voir V. Gitton-Ripoll, « La grenouille rubète est-elle une grenouille rouge ? », Pallas, 117, 2021, p. 203-222, en part. p. 207-208.

63 On peut citer deux mentions du « souffle » des bêtes qui piquent : une scholie expliquant le nom du moustique, ἐμπίς, par le verbe « insuffler », ἐμπνεῖν (Scholies aux Nuées d’Aristophane, v. 157c : ἐμπίδες δὲ ἀπὸ τοῦ ἐμπνέειν ἤτοι ᾄδειν ἀεί, « les moustiques doivent leur nom au fait qu’ils soufflent ou chantent sans cesse ») ; un vers de Virgile, décrivant des abeilles occupées à « insuffler » leur venin par leur « invisible » aiguillon (Virgile, Géorgiques, 4, v. 236-238 : illis ira modum supra est laesaeque uenenum / morsibus inspirant et spicula caeca relinquont / adfixae uenis animasque in uolnere ponunt, « leur colère passe toute mesure et, quand on leur fait du mal, dans leurs morsures elles insufflent du venin, laissent d’invisibles spicules dans les veines où elles s’accrochent et rendent l’âme dans la plaie »). Le témoignage le plus intéressant nous est cependant livré par Galien, Sur les lieux affectés, 3.11 et 6.5 (VIII, 195.4-196.1 et 421.1-14 Kühn) : sur ces deux passages, voir infra, partie 3.4.1.

64 Voir le fr. 6 J. : quia enim uirtutes sine corporalibus molibus multa possunt facere, manifestum est ex aliis et ex ceruis : educunt enim uiperas ex sepibus (« que les vertus peuvent faire de grandes choses sans masse corporelle, cela se voit clairement à l’exemple des cerfs, entre autres animaux : ceux-ci, en effet, peuvent faire sortir les vipères des haies »).

65 Fr. 9 J. : talis autem mordentium uirtus quia, et si arboris radicem momorderit, proiciet folia omnis arbor (« la puissance des animaux mordants est telle qu’il suffit que l’un d’eux morde la racine d’un arbre pour que l’arbre tout entier perde ses feuilles »).

66 Élien, P. A., 9.15, parallèle au fr. 1. J.

67 Respectivement Priscien de Lydie, Solutiones ad Chosroem, p. 98.13-14 Bywater = fr. 15 J. ; et Ps.-Aélius Promotus, Sur les animaux venimeux et les drogues délétères, 2, p. 43.18 Ihm.

68 Voir entre autres N. Weill-Parot, Points aveugles de la nature. La rationalité scientifique médiévale face à l’occulte, l’attraction magnétique et l’horreur du vide (xiiie-milieu du xve siècle), Paris, 2013, en part. p. 27-61 ; I. Draelants, « The Notion of ‘Properties’ : Tensions between Scientia and Ars in medieval natural philosophy and magic » in S. Page et C. Rider (éd.), The Routledge History of Medieval Magic, Abingdon, New York, 2019, p. 169-186. Pour l’époque moderne, voir W. Eamon, Science and the Secrets of Nature. Books of Secrets in Medieval and Early Modern Culture, Princeton, 1994, en part. p. 292-293, 296 et 298-299. Je remercie I. Draelants de m’avoir indiqué ces références.

69 Pour une vue d’ensemble du thème dans les sources antiques et des concepts voisins de la notion de δύναμις, J. Röhr, Der okkulte Kraftbegriff im Altertum = Philologus, Supplementband 17.1, Leipzig 1923 ; voir aussi la somme de L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science. Vol. 1: During the first thirteen centuries of our era, New York, [1923] 1929.

70 À notre connaissance, le cas n’a jamais encore été versé au dossier du concept de force ou de vertu occulte.

71 Ce médecin de Molière est le jeune bachelier du Malade imaginaire qui, interrogé pour être reçu docteur, répond au jury : mihi a docto Doctore / domandatur causam et rationem, quare / opium facit dormire ? / À quoi respondeo, / quia est in eo / uirtus dormitiua. / cuius est natura / sensus assoupire. Voir à ce sujet Weill-Parot, Points aveugles, 2013 : p. 36-37 et les références citées p. 436, n. 34.

72 Ps.-Orphée, Kérygmes lapidaires orphiques, 16.9 ; Alexandre de Tralles, Therapeutica, 12, vol. 2, p. 585 Puschmann. Pour d’autres exemples, voir Röhr, Der okkulte Kraftbegriff, 1923 : p. 90-92.

73 Il est cité, en revanche, dans Zucker, « Théophraste à mots découverts », 2008 : p. 339.

74 Sur Aristophane de Byzance, voir R. Pfeiffer, History of Classical Scholarship Scholarship from the Beginnings to the End of the Hellenistic Age, Oxford, 1968 : p. 171-209.

75 Plus précisément, les chapitres 98 à 154 de ce premier livre de l’Épitomé. L’expression « cahier de curiosités » est empruntée à A. Zucker : « Qu’est-ce qu’épitomiser ? Étude des pratiques dans la Syllogé zoologique byzantine », Rursus [En ligne], 7, 2012b, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursus/961, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rursus.961, paragr. 49. Sur l’Épitomé, qui à quelques fragments près ne nous est connu qu’à travers une encyclopédie zoologique du xe siècle, la Syllogé de Constantin VII, voir W. Kullmann, « Zoologische Sammelwerke in der Antike », in W. Kullmann, J. Althoff et M. Asper (éd.), Gattungen wissenschaftlicher Literatur in der Antike, Tübingen, 1998, p. 121-139, en part. p. 128-129 ; Zucker, Aristote et les classifications, 2005b : p. 306-311 ; O. Hellmann, « Peripatetic Biology and the Epitome of Aristophanes of Byzantium », in W.W. Fortenbaugh et S.A. White (éd.), Aristo of Ceos. Text, Translation and Discussion, New Brunswick, London, 2006, p. 329-359.

76 Théophraste est explicitement cité comme source à trois reprises dans Aristophane de Byzance, Épitomé, A.98, B.63 et B.361. Plus largement, le recours, dans l’Épitomé, à des modèles autres qu’Aristote est un fait connu et discuté : voir déjà S. Lambros, Excerptorum Constantini de Natura Animalium Epitome 
subiunctis Aeliani Timothei aliorumque Eclogis
, Berlin, 1885 : p. xiv et n. 2 ; Hellmann, « Peripatetic Biology and the Epitome », 2006 : p. 345-346 ; F. Berger, « Die Textgeschichte der Historia Animalium des Aristoteles, Aristophanes von Byzanz und die zoologische Sylloge des Konstantinos Porphyrogennetos », Rursus [En ligne], 7, 2012, URL : http://rursus.revues.org/766, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rursus.766, paragr. 17-18 ; Zucker, « Qu’est-ce qu’épitomiser ? », 2012b : paragr. 45-46 et 52.

77 Voir les exemples donnés par J. Trinquier, « L’animal, le roi et le savant : le “Musée” et le développement des savoirs sur l’animal dans l’Alexandrie lagide », in F. Le Blay (éd.), Transmettre les savoirs dans les mondes hellénistique et romain, Rennes, 2009, p. 333-366, en part. p. 356-357 et M. Cariou, « Oppien de Cilicie et l’Épitomé d’Aristophane de Byzance », Revue des Études Grecques, 128.1, 2015, p. 101-125, en part. p. 112-113.

78 Il est très peu probable, en effet, que l’accent mis sur la λεπτότης soit une addition d’Aristophane de Byzance, car celui-ci demeure en général fidèle à sa source. Si l’hypothèse de l’ajout peut être facilement écartée, il est en revanche difficile d’estimer l’importance relative que pouvait avoir la λεπτότης τοῦ κέντρου dans la réflexion de Théophraste : peut-être est-elle exagérée ou magnifiée par l’épitomateur. On remarquera néanmoins que l’accent mis sur la finesse de l’aiguillon n’est pas un trait absolument original, qui serait le propre d’Aristophane : la qualité de λεπτότης est soulignée, déjà, dans des notices zoologiques qu’il est permis de considérer comme des fragments d’Apollodore, auteur thériaque actif au début du iiie siècle avant notre ère : voir Élien, P.A, 9.4 et la scholie aux Thériaques de Nicandre, v. 281.5 (= Apollodore, fr. 19 Jacques), deux notices commentées infra, partie 3.2.

79 Sur les dents de la musaraigne, voir notamment Columelle, De re rustica, 6.17.1 : musque araneus, quem Graeci μυγαλῆν appellant, quamuis exiguis dentibus non exiguam pestem molitur (« et la musaraigne (souris-araignée), que les Grecs appellent μυγαλῆ (souris-belette), bien que ce soit avec des dents très minces, provoque un mal qui ne l’est pas ») ; cf. déjà Straton, fr. 6 Jacques ap. Philuménos, 33.1 (p. 36 Wellmann) ; Pline l’Ancien, H. N., 20.223 ; Damocrate, Thériaque, v. 20, p. 119 Bussemaker ap. Galien, De antidotis, 1.7 (= XIV, p. 90-91 Kühn), cité infra. Il faut avoir en tête, à la lecture de ces témoignages, que le genre des Soricidés compte effectivement plusieurs espèces venimeuses, bien qu’aucune d’entre elles ne soit assez dangereuse pour justifier le discours des Anciens sur l’animal. Le dossier de la musaraigne venimeuse fera l’objet d’un traitement détaillé dans ma thèse de doctorat, actuellement en préparation.

80 Dioscoride, De materia medica, 3.146, s. v. ἀλθαία : τὸ δὲ ἀφέψημα τοῦ σπέρματος πινόμενον καὶ πρὸς μελισσῶν καὶ τῶν λεπτῶν θηρίων πληγὰς πάντων ἐν ὀξυκράτῳ ποθὲν ἐν οἴνῳ (« prise en décoction, sa graine [agit] également contre les piqûres d’abeilles et de toutes les bêtes fines, quand on la boit, par exemple, dans du vinaigre coupé d’eau ou dans du vin »).

81 Sur Damocrate, qui fut probablement archiatre sous les Julio-Claudiens ou sous les Flaviens, mais dont la datation précise est discutée, voir M. Wellmann, art. « Damokrates, Nr. 8 », in RE, IV.1, 1901, col. 2069-2070 ; C. Cichorius, « Der Mediziner Servilius Damocrates », in C. Cichorius, Römische Studien, Historisches, Epigraphisches, Literargeschichtliches aus vier Jahrhunderten Roms, Leipzig, 1922, p. 432-433 ; C. Fabricius, Galens Exzerpte aus älteren Pharmakologen, Berlin, 1972, p. 189 ; É. Samama, Les Médecins dans le monde grec. Sources épigraphiques sur la naissance d’un corps médical, Genève, 2003, p. 362 ; Nissen, Prosopographie, 2006 : p. 137-138, n° 74 ; S. Vogt, art. « Damokrates, Seruilius (ca 70-80) », in P.T. Keyser et G.L. Irby-Massie (éd.), The Encyclopedia of Ancient Natural Scientists: the Greek Tradition and its many Heirs, London, New York, 2008, p. 226 ; M. Cassia, « Servilio Damocrate: un medico poeta alla corte giulio-claudia? », Historika, 8, 2018, p. 237-256 ; V. Boudon-Millot, « Hippocrate inventeur de la clinique et les médecins clinicoi : Damocrate, Magnos et les autres », in D. Manetti, L. Perilli et A. Roselli (éd.), Ippocrate e gli altri, Roma, 2022, p. 343-362, en part. p. 346-351.

82 Voir l’étude des différents usages de cette expression dans la Collection hippocratique par N. Rousseau : N. Rousseau, « “Guillemets” hippocratiques : fonctions de l’expression “(ce) qui est appelé…”, (ὁ) καλεόμενος vel. sim., dans le texte scientifique ancien », in D. Manetti, L. Perilli et A. Roselli (éd.), Ippocrate e gli altri, Roma, 2022, p. 299-339. Les « guillemets » introduits par le participe λεγόμενος ont en fait deux fonctions principales : soit mettre en évidence une expression populaire, par exemple pour un lieu-dit, soit signaler la technicité d’une formulation. Dans le cas qui nous intéresse, la seconde fonction semble pouvoir s’imposer : les deux seules occurrences connues de l’expression λεπτὰ θηρία/θηράφια se trouvent dans une littérature pharmacologique très spécialisée ; à l’inverse, le même tour ne se rencontre jamais dans une littérature plus générale, susceptible de garder la trace de traditions orales.

83 L’ordre seul est légèrement différent, puisque Priscien mentionnait « le scorpion, les abeilles, les guêpes et les araignées-phalanges ». Cf. Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 3 J. = Priscien de Lydie, Solutiones ad Chosroem, 9, p. 96.5-7 Bywater, cité supra.

84 Sur la musaraigne, voir la n. 79 supra.

85 Varron, Res rusticae, 1.12.2 : auertandum etiam, siqua erunt loca palustria, et propter easdem causas et quod, <cum>arescunt, crescunt animalia quaedam minuta, quae non possunt oculi consequi, et per aera intus in corpus per os ac nares perueniunt atque efficiunt difficilis morbos (« il faut aussi, s’il y a des endroits marécageux, la tourner en sens opposé, d’abord pour les mêmes raisons et ensuite parce qu’il s’y développe, au moment où ils s’assèchent, certains animaux minuscules, invisibles à l’œil, qui pénètrent avec l’air qu’on respire à l’intérieur du corps, à travers la bouche et les narines, et qui y créent de périlleuses maladies » trad. empruntée à J. Trinquier, « La hantise de l’invasion pestilentielle : le rôle de la faune des marais dans l’étiologie des maladies épidémiques d’après les sources latines », in I. Boehm et P. Luccioni (éd.), Le Médecin initié par l’animal : animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine. Actes du colloque international tenu à la Maison de l’Orient de la Méditerranée-Jean Pouilloux les 26 et 27 octobre 2006, Lyon, 2008, p. 149-195, texte cité et traduit p. 157).

86 Sur le vaste sujet de la λεπτότης, voir entre autres Pfeiffer, History of Classical Scholarship, 1968 : p. 137-138 ; M. Asper, Onomata allotria: Zur Genese, Struktur und Funktion poetologischer Metaphern bei Kallimachos, Stuttgart, 1997, en part. p. 156-189 et 209-234 ; É. Prioux, Regards alexandrins. Histoire et théorie des arts dans l’épigramme hellénistique, Leuven, Paris, Dudley, 2007, p. 51-56 ; J. I. Porter, « Against λεπτότης: Rethinking Hellenistic aesthetics », in A. Erskine, L. Llewellyn-Jones et E. D. Carney (éd.), Creating a Hellenistic World, 2011, Swansea, p. 271-312.

87 Aratos, Phénomènes, v. 783-787, avec l’article de J.-M. Jacques, « Sur un acrostiche d’Aratos (Phén., 783-787) », Revue des Études Anciennes, 62.1-2, 1960, p. 48-61 ; K. Volk, « Aratus », in J. J. Clauss et M. Cuypers (éd.), A Companion to Hellenistic Literature, Malden, 2010, p. 197-210, en part. p. 205-208. Voir aussi l’éloge de la λεπτὴ φροντίς d’Aratos par Léonidas de Tarente, dans l’Anthologie Grecque, 9.25 ; la mention non moins élogieuse de ses λεπταὶ ῥήσιες par Callimaque, Anthologie Grecque, 9.507 ; le qualificatif de λεπτολόγος sous la plume de Ptolémée III, Supplementum Hellenisticum, 712, v. 4. Aratos, enfin, est l’auteur d’un poème Κατὰ λεπτόν. Sur son rôle possible dans l’élaboration esthétique du concept de λεπτότης, voir A. Cameron, Callimachus and his Critics, Princeton, 1995, p. 323-325.

88 Pour cette interprétation, voir É. Prioux, Petits musées en vers. Épigramme et discours sur les collections antiques, Paris, 2008, p. 173-177, 239-248, 251 ; « Le nouveau Posidippe : une histoire de l’art en épigrammes ? » in F. Le Blay (éd.), Transmettre les savoirs dans les mondes hellénistique et romain, Rennes, 2010, p. 275-292.

89 Callimaque, Aitia, fr. 1, v. 23-24 Pfeiffer, commenté par Asper, Onomata allotria, 1997 : p. 156-179.

90 Souda, α 3933, s. v. Ἀριστοφάνης Βυζάντιος. Cf. Pfeiffer, History of Classical Scholarship, 1968 : p. 172.

91 Pfeiffer, History of Classical Scholarship, 1968 : p. 173. Pour des jugements anciens allant en ce sens, voir notamment Quintilien, Institution oratoire, 10.1.54 ; Vitruve, De architectura, 7, praef. 4-7.

92 Callimaque, Hymne à Zeus, v. 49-51 : ἐπὶ δὲ γλυκὺ κηρίον ἔβρως / γέντο γὰρ ἐξαπιναῖα Πανακρίδος ἔργα μελίσσης / Ἰδαίοις ἐν ὄρεσσι, τά τε κλείουσι Πάνακρα. Cf. Virgile, Géorgiques, IV, v. 1-7, avec l’introduction de R. F. Thomas, Virgil. Georgics. Vol. 1 : Books I-II, Cambridge, New York, New Rochelle, 1988a, p. 1-3 et 7 ; voir aussi le commentaire ad loc. de R. F. Thomas, Virgil. Georgics. Vol. 2 : Books III-IV, Cambridge, New York, New Rochelle, 1988b, p. 148-149. Pour la cigale, voir Aitia, fr. 1, v. 29-30 Pfeiffer ; l’insecte stridulant est associé aux poètes depuis Platon, Phèdre, 259b-d ; cf. sur cette relation Asper, Onomata allotria, 1997 : p. 177-198.

93 Aratos, Phénomènes, v. 1033 ; la source de ce vers, où les toiles d’araignées emportées par la brise annoncent l’arrivée du mauvais temps, est Théophraste, Signes du temps, 29.2 (le passage dit presque mot pour mot la même chose, à ceci près qu’il manque l’adjectif λεπτά : ce dernier constitue donc un ajout, hautement significatif, de la part d’Aratos). Toujours à propos des toiles d’araignée, on peut avoir la même compréhension métapoétique du « travail d’araignée » (ἔργον ἀραχνάων) qui désigne le vêtement d’un personnage mythologique dans un fragment de Callimaque, où la métaphore devait sans doute s’inscrire dans un contexte d’ecphrasis : Callimaque, Hécalè, fr. 42, v. 6 Hollis ; avec le commentaire d’É. Prioux, « L’ecphrasis dans l’epyllion », Aitia [En ligne], 6, 2016, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aitia/1392, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/aitia.1392, paragr. 5.

94 Nicandre, Thériaques, v. 814 : νήιά θ’ ὡς σπέρχονται ὑπὸ πτερὰ θηρὶ κιούσῃ (« les ailes, sous la bête en marche, semblent pousser une nef, faisant force de rames ») ; Lycophron, Alexandra, v. 23-24 : ἰουλόπεζοι θεῖνον εὐῶπες σπάθαις / πελαργοχρῶτες αἱ Φαλακραῖαι κόραι (« elles, aux beaux visages, aux pieds de scolopendre, frappaient du plat des rames, elles, couleur cigogne, les filles de Phalacra »). Même image à propos des redoutables scorpions africains, usant de leurs pattes comme de rames lorsqu’ils sont emportés par les vents du midi, d’après Apollodore, fr. 5f Jacques, ap. Pline l’Ancien, H. N., 11.88 ; au sujet des abeilles, voir Virgile, Géorgiques, 4, v. 193-196. Chez Aristote, déjà, les pattes arrière des criquets et des sauterelles sont décrits comme leur « gouvernail » (Aristote, H. A., 4.9, 535b 12 ; P. A., 4.6, 683a 36). L’origine de ces différentes images pourrait être une comparaison homérique (Homère, Odyssée, 11, v. 125) où les rames d’un vaisseau sont comparées à des ailes, même si le mot πτερά fait davantage penser à un oiseau qu’à un insecte.

95 Nicandre, Thériaques, v. 809-810 : κέντρον γὰρ πληγῇ περικάλλιπεν ἐμματέουσα / κέντρον δὲ ζωήν τε φέρει θάνατόν τε μελίσσαις (« son dard, elle le laisse derrière elle tout en l’enfonçant dans la plaie / et le dard apporte vie et mort aux abeilles »).

96 Sur le caractère transversal de cette mode, qui est à la fois poétique, rhétorique et artistique, voir M. Squire, « Sémantique de l’échelle dans l’art et dans la poésie hellénistiques », in P. Linant de Bellefonds, É. Prioux et A. Rouveret (éd.), D’Alexandre à Auguste : dynamiques de la création dans les arts visuels et la poésie, Rennes, 2015, p. 183-200.

97 Parmi des témoignages assez nombreux, on peut citer Pline l’Ancien, H. N., 7.85 : Callicrates ex ebore formicas et alia tam parua fecit animalia, ut partes eorum a ceteris cerni non possent. Myrmecides quidem in eodem genere inclaruit quadriga ex eadem materia, quam musca integeret alis, fabricata et naue, quam apicula pinnis absconderet (« Callicratès sculpta dans l’ivoire des fourmis et d’autres animaux, si petits que tout autre que lui ne pouvait en distinguer les parties. Myrmécidès s’illustra dans le même genre par un quadrige, fait de la même matière, qu’une mouche pouvait recouvrir de ses ailes, et par un navire qu’une petite abeille pouvait dissimuler sous les siennes »). On retrouve ici l’association de l’insecte et du navire. Sur le couple d’artistes formé par Callicratès et Myrmécidès, voir les sources réunies par J. Overbeck, Die Antiken Schriftquellen zur Geschichte der bildenden Künste bei den Griechen, Leipzig, 1868, p. 422-423 (= Muller-Dufeu, La Sculpture grecque. Sources littéraires et épigraphiques, Paris, 2002, p. 949-951) ; Squire, « Sémantique de l’échelle », 2015 : p. 189, avec les notes ad loc.

98 Posidippe de Pella, Épigrammes, 67, v. 3-6 Austin-Bastianini : ὄψει γὰρ ζυγόδεεμα καὶ ήνία καὶ τροχὀν ἵππων / ἄξονά θ'[ήνιό]χου τ'ὄμμα καὶ ἄκρα χερῶ / ὅψει δ'εὖ... ἐπὶ τῶιδε / έζομέν[ην ἂv ἴcην ἄρματι] μυῖαν ἴδoic. (« tu verras en effet la courroie du joug, les rênes, et les anneaux suspendus aux mors des chevaux, ainsi que les axes des mors, l’œil de l’aurige et l’extrémité de ses doigts ; tu verras aussi fort bien [le timon, qui est de l’épaisseur d’un cheveu (?)], et si une mouche venait à se poser sur le char, tu pourrais voir qu'elle est de la même dimension que lui », trad. É. Prioux) ; texte à rapprocher de Pline l’Ancien, H. N., 34.83. Voir les commentaires accompagnant la traduction d’É. Prioux, Regards alexandrins, 2007 : p. 122-123 ; Petits musées en vers, 2008 : p. 208, 241 et 249-250 ; « Le nouveau Posidippe », 2009 : p. 285-287.

99 H. von Staden, « Body and machine: interactions between medicine, mechanics, and philosophy in early Alexandria », in J. J. Walsh et T. F. Reeves (éd.), Alexandria and Alexandrianism: papers delivered at a symposium organized by the J. Paul Getty Museum and the Getty Center for the History of Art and the Humanities and held at the Museum, April 22-25, 1993, Malibu, 1996, p. 85-106, en part. p. 86-87 et 91-92.

100 Sur la place des mirabilia dans la conception plinienne de la nature, voir V. Naas, Le Projet encyclopédique de Pline l’Ancien, Roma, 2002, p. 243-393. La valorisation des phénomènes extraordinaires, au détriment de la recherche de lois générales, s’inscrit dans un infléchissement du discours zoologique qui remonte au début de l’époque hellénistique : voir Zucker, Aristote et les classifications, 2005b : p. 311.

101 Pline l’Ancien, H. N., 11.1.

102 Pline l’Ancien, H. N., 11.3 : qua subtilitate pinnas adnexuit, praelongauit pedum crura, disposuit ieiunam caueam uti aluum, auidam sanguinis et potissimum humani sitim accendit ! (« avec quelle finesse a-t-elle attaché des ailes au corps, allongé les pattes, façonné un intérieur creux et affamé comme le serait un ventre, allumé une soif de sang insatiable, avide par-dessus tout de sang humain ! »).

103 Cf. J. J. Pollitt, The Ancient View of Greek Art: Criticism, History, and Terminology, New Haven, London, 1974, s. v. λεπτός, p. 196, s. v. exilis, p. 368-369 et s. v. subtilis, p. 441-447.

104 Basile de Césarée, Homélies sur l’hexaéméron, 9.5 ; Homélies sur les Psaumes = P.G. XXIX, col. 329 ; Sermones de moribus a Symeone Metaphrasta collecti = P.G. XXXII, col. 1309 et 1373. Sur ces reprises, voir infra, partie 3.3.2.

105 Pline l’Ancien, H. N., 11.5, cf. 11.6-8 (au sujet de la respiration des insectes). Bien avant Pline, un bon exemple de semblables quaestiones – mot qu’on pourrait traduire, en grec, par προβλήματα – nous est commodément indiqué par Aristophane, Nuées, v. 156-168, où Socrate apporte une réponse des plus subtiles à la question de savoir « si le moustique bourdonne par la trompe ou par le derrière » (νήρετ᾿ αὐτὸν Χαιρεφῶν ὁ Σφήττιος / ὁπότερα τὴν γνώμην ἔχοι, τὰς ἐμπίδας / κατὰ τὸ στόμ᾿ ᾄδειν ἢ κατὰ τοὐρροπύγιον).

106 La déclaration programmatique d’un projet qui prétend seulement « décrire les phénomènes évidents, et non pas dépister les causes obscures » (naturas rerum manifestas indicare, non causas indagare dubias) est énoncée peu après l’éloge de l’aiguillon : Pline l’Ancien, H. N., 11.8. Sur ce passage, voir Naas, Le Projet encyclopédique, 2002 : p. 78-79 ; V. Naas, « Indicare, non indagare : encyclopédisme contre histoire naturelle chez Pline l’Ancien ? », in A. Zucker (éd.), Encyclopédire : formes de l’ambition encyclopédique dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, Turnhout, 2013, p. 145-166, en part. p. 158-159 et 163-165.

107 Pour une présentation d’Apollodore, voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxiii-xxxvii, en part. n. 54 et xlix-lii ; voir aussi, en tenant compte des rectifications de Jacques, les travaux plus anciens de Schneider, Nicandrea, 1856 : p. 181-201 ; M. Wellmann in F. SusemihlGeschichte der griechischen Literatur in der Alexandrinerzeit, Leipzig, 1891, p. 784-785 ; M. Wellmann, art. « Apollodoros Nr. 69 » dans RE, I.2, 1894, col.  2895.

108 Pour une datation entre Aristote et Érasistrate, voir M. Wellmann, « Sextius Niger, eine Quellenuntersuchung zu Dioscorides », Hermes, 24.4, 1889, p. 530-569, en part. p. 563-564 ; repris dans Wellmann in Susemihl, Geschichte der griechischen Literatur, 1891 : p. 784, n. 44 ; Wellmann, « Apollodoros », 1894 : col. 2895.

109 Pline l’Ancien, H. N., 14.76. Cf. Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxiv-xxxv.

110 Scholies aux Thériaques de Nicandre, v. 676d, à mettre en parallèle avec Pline l’Ancien, H. N., 24.167, où l’auteur de la notice est identifié à Apollodore = Apollodore, fr. 15 Jacques. Comme le suggère l’éditeur, il convient de corriger, dans la scholie, ἰσχύουσαν en αἰσχυνομένην (cf. Jacques, Nicandre, 2002 : p. 290).

111 Pour le titre Περὶ θηρίων de l’ouvrage d’Apollodore, voir Athénée, Deipnosophistes, 15.28, 681d ; Scholies aux Thériaques de Nicandre, v. 715 et 858. On trouve également l’expression θηριακὸς λόγος chez Élien, P. A., 8.7 ; voir enfin la traduction latine de bestiis uenenatis, dans Pline l’Ancien, H. N., 1.11c.

112 Jacques, Nicandre, 2002 : p. 285-292.

113 Voir les quatre notices zoologiques réunies sous le fr. 5 Jacques. D’autres témoignages rapprochent « les serpents et les scorpions » dans l’indication de plantes utilisées contre les envenimations : fr. 7 et 16 J. Le cas du fr. 19 J. est commenté infra, partie 3.2.

114 Sur le sens du latin candidus, « blanc brillant », mais susceptible de s’affaiblir en « clair, pâle », voir J. André, Étude sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, 1949, p. 31-38. Le terme choisi par Pline pourrait correspondre ici à λευκός, l’un des équivalents grecs les plus courants.

115 Sur le sens d’auctor chez Pline, moyen de situer la responsabilité d’une information que la naturaliste ne reprend pas nécessairement à son compte, voir G. Serbat, « La référence comme indice de distance dans l’énoncé chez Pline l’Ancien », Revue de philologie, de littérature et d’histoire ancienne, 47.1, 1973, p. 38-49 ; plus largement, voir É. Gavoille, « Auctor et auctoritas : le paradigme latin de l’instauration discursive », in É. Gavoille, M.-P. de Weerdt-Pilorge et P. Chardin (éd.), L’Autorité dans le monde des lettres, Paris, 2015, p. 21-38 ; É. Gavoille (éd.), Qu’est-ce qu’un « auctor » ? : auteur et autorité, du latin au français, Bordeaux, 2019

116 Voir Jacques, Nicandre, 2002 : p. xxxvi, avec la n. 58 et p. 291-292.

117 Le parallèle des scholies donne toutefois la variante ἰχώρ. Mais qu’il s’agisse de φάρμακον ou d’ἰχώρ, c’est toujours d’un venin matériel qu’il est question.

118 Cette acception, qui figure en tête des articles διπλόη donnés par les dictionnaires de Pape et de Bailly, est d’autant plus probable que l’aiguillon de scorpion est volontiers assimilé à une arme. Elle nous paraît beaucoup mieux appropriée au contexte que les autres valeurs du terme : le sens de « tissu organique », en position interstitielle, conviendrait pour d’autres parties du corps du scorpion ; le sens métaphorique de « coupable de duplicité, à l’âme double » est secondaire et implique, surtout, une critique morale absente du texte qui nous occupe ; enfin, le sens de « dard creux du scorpion », proposé à la fin de l’article du Liddell-Scott, n’est illustré que par le texte d’Élien et nous semble être une invention ad hoc, dont on peut faire l’économie.

119 Voir Platon, Sophiste, 267e ; Plutarque, Préceptes politiques, 5, 802b ; Timée le Sophiste, Lexique platonicien, s. v. διπλόον. Voir aussi Plutarque, Périclès, 11.3, cité infra, n. 120. Sur la question de la fonte du fer dans l’Antiquité – une technique confidentielle, mais attestée –, voir R. Halleux, Le Problème des métaux dans la science antique, Liège, 1974, p. 189-191.

120 Le mot « paille », dans le lexique de la sidérurgie, renvoie à un « défaut interne d’un produit forgé, formé d’une cavité allongée de faible épaisseur, souvent associée à une inclusion, génératrice de cette décohésion totale du métal », en général du fer ou de l’acier : cf. M. Mangin (éd.), Le Fer, Paris, 2004, p. 228, cf. p. 106. C’est ainsi que διπλόη est traduit dans la plupart des passages cités supra. Voir à ce sujet H. BlümnerTechnologie und Terminologie der Gewerbe und Künste bei Griechen und Römern, t. IV, Leipzig, 1887 : p. 350 ; Halleux, Le Problème des métaux, 1974 : p. 191 ; M. Bonelli, Timée le Sophiste : Lexique platonicien, Leiden, Boston, 2007, p. 143 et 309-310.

121 Ce caractère dissimulé apparaît très bien dans une comparaison de Plutarque, où il est question de Thucydide d’Alopèce, partisan de l’oligarchie, et de la dissension produite par ses discours dans l’Athènes de Périclès : « jadis, c’était une sorte de paille cachée, comme celle du fer (διπλόη τις ὕπουλος, ὥσπερ ἐν σιδήρῳ), qui marquait la différence entre les deux partis démocratique et aristocratique, mais la lutte et la rivalité de ces deux hommes déterminèrent une coupure très profonde (βαθυτάτην τομὴν τεμοῦσα τῆς πόλεως) qui sépara les deux groupes désormais appelés, l’un le peuple, l’autre, la minorité » (Plutarque, Périclès, 11.3, trad. R. Flacelière et É. Chambry).

122 Absent des fragments d’Apollodore, le motif de l’aiguille creuse est attesté par Plutarque, dans l’une des versions qu’il donne de la mort de Cléopâtre : celle-ci se serait piquée en utilisant une épingle à cheveux préalablement remplie de poison (Plutarque, Antoine, 86.4) ; dans d’autres versions, l’instrument du suicide est une aiguille enduite – et non remplie – d’un liquide toxique (Dion Cassius, Histoire romaine, 51.14.2). La première version du récit n’a rien d’anecdotique, dans un monde où l’aiguille à injection n’a pas encore été inventée : l’épingle creuse pourrait être rapprochée des dents du cobra qui, dans la variante la plus connue de l’épisode, est utilisé par la reine d’Égypte, ou du dard de scorpion, parfois comparé à une aiguille (voir Galien, Sur les lieux affectés, 6.5.14 Brunschön = VIII, 421.11 Kühn, cité infra), suggérant l’idée d’un modèle animal. Sur cette histoire et ses différentes variantes, voir V. Boudon-Millot, « Du nouveau sur la mort de Cléopâtre : au croisement de l’histoire des textes et de l’histoire de l’art », Revue des Études Grecques, 128.2, 2015. p. 331-353, en part. p. 333-334 et 336, n. 16.

123 Élien, P. A., 9.4 = Apollodore, fr. 19a Jacques : κούω δὲ τοὺς ὀδόντας τῆς ἀσπίδος, οὓς ἂν ἰοφόρους τις εἴποι καλῶν ὀρθῶς, ἔχειν οἱονεὶ χιτῶνας περικειμένους ἄγαν λεπτοὺς καὶ ὑμέσι παραπλησίους, ὑφ’ ὧν περιαμπέχονται. ὅταν οὖν ἐμφύσῃ τινὶ τὸ στόμα ἡ ἀσπίς, στρέφεσθαι μέν φασι τὰ ὑμένια, ἐκχεῖσθαι δὲ τὸν ἰόν, καὶ πάλιν συντρέχειν ἐκεῖνα καὶ ἑνοῦσθαι (« d’après mes informations, les dents du cobra, que l’on peut à juste titre qualifier de “venimeuses”, ont des sortes de voiles enveloppants extrêmement fins et semblables à des membranes qui les entourent complètement. Lorsque le cobra applique sa bouche sur quelqu’un, il paraît que ces membranes s’écartent lors de l’éjection du venin, puis qu’elles se rapprochent et se réunissent », trad. A. Zucker) ; cf. Scholies aux Thériaques de Nicandre, v. 281 = Apollodore, fr. 19a Jacques. De manière assez curieuse, les crochets décrits de la sorte sont à mi-chemin entre deux types de denture : celle des Vipéridés, dont la mâchoire solénoglyphe implique des dents semblables à des tubes, percées d’un canal à venin ; et la denture protéroglyphe des cobras, dont les dents ne sont pas canaliculées, mais creusées d’un sillon qui n’est pas tout à fait refermé.

124 Voir R. Stockmann et M. Goyffon, « Les scorpions », in M. Goyffon et J. Heurtault (éd.), La Fonction venimeuse, Paris, 1995, p. 88-100, en part. p. 93. Les dards des insectes piqueurs ont d’ailleurs la même anatomie.

125 Ovide, Métamorphoses, 2, v. 196-199 : Scorpius et cauda flexisque utrinque lacertis / porrigit in spatium signorum membra duorum / hunc puer ut nigri madidum sudore ueneni / uulnera curuata minitantem cuspide uidit (« voici le Scorpion, queue et bras recourbés de part et d’autre, qui étend ses membres jusqu’à remplir l’espace de deux signes ; le jeune homme (= Phaéthon) le voit, trempé d’une sueur de noir poison, qui de son dard agite la menace de blessures arquées ») ; cf. Germanicus, Aratea, v. 657-658 : horret uulnus adhuc et spicula tincta ueneno / flebilis Orion (« le pauvre Orion tremble encore de sa blessure et des coups de l’aiguillon ruisselant de poison »).

126 Chez les auteurs chrétiens, en effet, les animaux venimeux sont souvent symboles d’hérésies – outre la Scorpiaque de Tertullien, on peut citer le Panarion d’Épiphane de Salamine, contemporain de Basile –, quand ils n’apparaissent pas, avec les autres nuisibles, comme une punition de l’homme faisant suite au péché originel.

127 Passage identique, au mot près, dans Basile de Césarée, Sermones de moribus a Symeone Metaphrasta collecti (P.G. XXXII, p. 1309 et 1373).

128 Voir Varron, Res rusticae, 1.12.2, évoqué supra.

129 La valeur du modèle toxicologique pour penser la maladie est une idée déjà défendue par A. Touwaide, « Galien et la toxicologie », 1994 : p. 1887-1986 ; A. Debru, « L’air nocif chez Lucrèce : causalité épicurienne, hippocratisme et modèle du poison », in C. Deroux (éd.), Maladie et maladies dans les textes latins antiques et médiévaux : actes du Ve colloque international « Textes médicaux latins » (Bruxelles, 4-6 septembre 1995), Bruxelles, 1998, p. 95-104, en part. p. 101-104 ; « Les enseignements de la torpille dans la médecine antique », in I. Boehm et P. Luccioni (éd.), Le Médecin initié par l’animal. Animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine. Actes du colloque international tenu à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux, les 26 et 27 octobre 2006, Lyon, 2008, p. 39-47, en part. p. 43-44. L’héritage, dans Galien, de la pensée de Théophraste, n’a en revanche pas encore été soulignée.

130 Nous citons ici la traduction de P. Moraux, Galien de Pergame. Souvenirs d'un médecin, Paris, 1985, p. 50 et, faute de mieux, le texte de Kühn. Une édition des livres III et IV du De locis affectis est actuellement préparée par R. Wittwer pour le Corpus Medicorum Graecorum ; elle reste cependant inédite à l’heure où nous finissons cet article.

131 Dans cette hypothèse, la tradition inaugurée par Théophraste aurait pu concourir à la riche réflexion de Galien sur les δυνάμεις des drogues. On a pu également voir dans le passage de Galien une tradition issue non de Théophraste, mais de Dioclès : voir à ce propos le commentaire du passage par A. Touwaide, « Galien et la toxicologie », 1994 : p. 1968-1970. Cela dit, la piste de Théophraste n’exclut nullement celle de Dioclès : il est même fort probable que Théophraste se soit inspiré de Dioclès dans son traité sur les venimeux, comme il le fait ailleurs.

132 Galien, Sur les lieux affectés, 6.5.15 (= VIII, 421.16-422.2 Kühn), pour la torpille et la pierre de Magnésie (le passage sur la torpille présente des similitudes frappantes avec la note d’Athénée sur l’action de la pastenague marine : Athénée, Deipnosophistes, 7.95, 314c = Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 7 J.). Entre les deux passages, cependant, s’intercale une comparaison avec les poisons qui révèle de possibles porosités entre l’action immatérielle de la vertu venimeuse et l’action physique du poison.

133 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 3 et 4 J. ; ajouter le parallèle d’Élien, P. A., 1.56, chapitre probablement imité de Théophraste. L’araignée-phalange de Théophraste est présentée sans équivoque comme une bête qui pique ; chez Galien, au contraire, elle semble susceptible d’injecter un venin matériel, puisqu’elle possède une bouche : elle penche donc davantage du côté des bêtes qui mordent.

134 Théophraste, Sur les animaux qui mordent et qui piquent, fr. 5 et 7 J. 

135 Sur la pierre de Magnésie, voir par exemple Lucrèce, De natura rerum, 6, v. 917-1001 ; Ps.-Alexandre d’Aphrodise, Problemata, 1, proem. (Ideler, 4.19-22) ; Problèmes hippocratiques, 81 ; pour une étude complète, A. Radl, Der Magnetstein in der Antike. Quellen und Zusammenhänge, Stuttgart, 1988. Au sujet de la torpille et de ses affinités avec le domaine toxicologique, voir A. Debru, « The power of torpedo fish as a pathological model to the understanding of nervous transmission in Antiquity », Comptes rendus biologies 329, 2006, p. 298-302 ; « Les enseignements de la torpille », 2008 : p. 39-47 ; M.-F. Guipponi-Gineste, « Les traités sur les animaux d’Aristote dans l’Antiquité tardive. L’exemple de la torpille », in Y. Lehmann (éd.), Aristoteles Romanus. La réception de la science aristotélicienne dans l’Empire gréco-romain, Turnhout, 2013. Sur l’histoire de la torpille, jusqu’à l’époque moderne, voir B. P. Copenhaver, « A Tale of Two Fishes: Magical Objects in Natural History from Antiquity Through the Scientific Revolution », Journal of the History of Ideas 52.3, 1991, p. 373-398. Sur l’histoire médiévale du thème de l’action à distance, voir B. Delaurenti, « La fascination et l’action à distance : questions médiévales (1230-1370) », Médiévales 50, 2006, p. 137-154 ; il n’y a pas, à notre connaissance, d’étude de synthèse pour l’époque antique.

136 Voir supra, partie 1.3.2.

137 Voir notamment Galien, De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus, 5.1 (XI, 705.11-17 Kühn) ; De propriis placitis, 9 (p. 84-86 Nutton). Pour un relevé exhaustif des nombreuses occurrences galéniques, voir Röhr, Der okkulte Kraftbegriff, 1923 : p. 106-129.

138 Elle sera notamment reprise par Avicenne, Canon, 1.2.2.1.15 : voir à ce sujet Weill-Parot, Points aveugles, 2013 : p. 43-53 ; Draelants, « The Notion of ‘Properties’ », 2019 : p. 173-174.

139 Voir Galien, Sur les lieux affectés, 3.11 (VIII, 194.4-17 Kühn) et 6.5.13, cité supra.

140 Pourquoi n’avoir pas utilisé, plutôt, le modèle du venin visible des bêtes qui mordent, puisque le chien enragé mord et qu’il infecte sa victime par voie salivaire ? Sans doute parce que la salive d’un chien enragé ne diffère pas beaucoup, à première vue, de la salive d’un animal sain : la maladie échappe donc à la perception et à la manipulation, et se range du côté des puissances immatérielles. La confusion est cependant facile et certains auteurs classeront le chien enragé parmi les δακετά : voir par exemple Damocrate, cité supra.

141 Voir Arétée de Cappadoce, Causes et signes des maladies aiguës, 1.7.3 ; Célius Aurélien, Maladies aiguës, 3. 9. 99 ; Némésien, Cynégétiques, v. 209-210 ; Anonymus de rabie, 19-23 Diels.

142 Sur ce point, voir par exemple N. Weill-Parot, « La rationalité médicale à l’épreuve de la peste : médecine, astrologie et magie (1348-1500) », Médiévales, 46, 2004, p. 73-88, en part. p. 82-83 et 85-86.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anaëlle Broseta, « Voyage aux confins du visible : le venin subtil des bêtes qui piquent, de Théophraste à Galien »RursuSpicae [En ligne], 5 | 2023, mis en ligne le 13 décembre 2023, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursuspicae/3101 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rursuspicae.3101

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Auteur

Anaëlle Broseta

Anaëlle Broseta, doctorante à Université Côte d’Azur et Sorbonne Université ; attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de Lille. Son travail de thèse, dirigé par Arnaud Zucker et Didier Marcotte, porte sur « Les animaux qui mordent et qui piquent : infection, venin et maladie, de Théophraste à Galien ». Le présent article s’inscrit dans cette recherche.

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