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Présentation : Cadrage sur la variation, le changement lexical et le changement grammatical en français actuel

Gaétane Dostie, Federica Diémoz et Pascale Hadermann
p. 7-11

Texte intégral

Aperçu du domaine

1La variation a constitué, pendant longtemps, le champ d’étude de prédilection des dialectologues et des sociolinguistes (p. ex. Langue et société 2015, no 154) qui s’attellent, entre autres, à déterminer les causes de l’existence des variétés de langue en les mettant en rapport avec le milieu social des locuteurs, avec leurs parcours personnels (dans l’espace et dans le temps), avec leurs rapports à l’interlocuteur, avec leur sensibilité aux registres de langues. Grâce aux nombreux travaux dans le domaine, on parvient maintenant à se former une idée assez précise de ce que peut représenter la variation en langue, variation que nous définissons comme un phénomène qui couvre la coexistence de diverses formes ou structures concurrentes (ou variantes) et qui donne naissance à plusieurs microsystèmes. Il arrive que, au sein de tel ou tel microsystème, l’une des variantes disparaisse ou apparaisse, ce qui entraîne progressivement une restructuration associée à un changement. Ce changement entretient des rapports « conflictuels » avec les conventions linguistiques de la langue dite standard, qui constitue le repère social pour mesurer l’écart.

2Grâce, en particulier, aux développements récents des corpus, notamment oraux, l’étude de la variation s’est vue enrichie d’outils performants, d’une part pour appréhender l’énorme productivité langagière et, d’autre part, pour distinguer ce qui a tendance à se figer dans la langue de ce qui appartient au domaine de la variabilité. Le chercheur devient ainsi de mieux en mieux outillé pour déceler les éventuelles régularités qui se cachent derrière l’apparente diversité des données et pour déterminer les grands principes qui pourraient sous-tendre la variation et le changement. De plus, dans ces processus-ci, il est intéressant d’isoler les traits innovants et d’identifier la manière dont ceux-ci se répandent dans les groupes socioculturels, dans l’espace, dans les registres, à l’oral ou à l’écrit…, c’est-à-dire, respectivement, selon des paramètres diastratiques, diatopiques, diaphasiques et/ou diamésiques.

3Ces différents paramètres dia, sous-jacents à la variation, permettent de repérer plusieurs sous-systèmes langagiers, perméables entre eux, qui constituent ce que Weinreich 1954 appelle le diasystème, c’est-à-dire un super-système ou un système d’un niveau supérieur aux autres. Le diasystème a pour caractéristique que « le même fait matériel peut appartenir à un certain niveau et à un certain style dans un dialecte et à un autre niveau et à un autre style (ou, même, à tous les niveaux et à tous les styles) dans un autre dialecte » (Coseriu 1998 : 15).

4Ces derniers temps, on assiste à un regain d’intérêt pour les questions variationnelles en synchronie, comme en attestent les publications collectives qui s’enchaînent à un rythme régulier non plus préférentiellement en dialectologie et en sociolinguistique (p. ex. Gadet 2017), mais aussi en lexicologie, en sémantique, en syntaxe, en morphologie et en phonétique/phonologie. À titre d’exemple, citons quelques numéros récents des Cahiers de lexicologie (CL) et du Journal of French Language Studies (JFLS) où sont notamment abordées sous des angles lexicologique, sémantique, syntaxique et phonétique les thématiques, entre autres, des gros mots (CL 2015), des marqueurs discursifs (CL 2015), des modalisateurs émergents (JFLS 2016) et de la liaison (JFLS 2017). Voilà qui suggère une (ré-)appropriation progressive de l’objet « variation et variabilité en synchronie » dans certains sous-domaines de la linguistique qui, à des degrés divers, s’en étaient plus ou moins écartés.

Structure du volume

5Ce volume double réunit dix textes qui interpellent directement la sémantique et la pragmatique, conformément aux objectifs généraux de la revue d’accueil. À titre d’exemple, la question du sens est fondamentale dans l’étude de Martin Hummel, qui traite des valeurs associées aux adjectifs-adverbes fléchis comme dans La pluie tombe nette ou encore dans celle de Catherine Schnedecker, qui examine la locution pronominale tout un chacun et son positionnement dans le paradigme des pronoms indéfinis. D’autres études mettent l’accent sur des questions plus typiquement pragmatiques par le biais d’un questionnement orienté vers les dimensions interactionnelle et sociale de la langue. Dans ce cadre, Inka Wissner se penche sur le vocable , notamment lorsqu’il est marqueur discursif et Sophie Collonval cherche à débusquer la signification cachée derrière l’usage massif de termes anglais au sein d’une entreprise postale francophone en Belgique, la Bpost.

6Les phénomènes traités sont articulés autour de deux thématiques clés : d’une part, la variation et le changement lexical et d’autre part, la variation et le changement grammatical. Les articles rassemblés décrivent plus spécifiquement les glissements de sens propres aux formes ou aux structures étudiées et montrent comment ces dernières s’emploient actuellement dans une ou plusieurs variétés de français (français de France, français de Belgique, français québécois, français acadien, français de la Nouvelle-Calédonie…), dans un ou plusieurs registres de langue (neutre, soutenu, informel…), à l’oral ou à l’écrit, etc.

7La première partie, « variation et changement lexical », s’ouvre sur deux études portant sur de grands ensembles lexicaux scrutés dans une optique métalexicographique. Tout d’abord, Pierre Corbin et Nathalie Gasiglia retracent l’évolution des prises en compte et des représentations des faits variationnels dans les dictionnaires de langue française depuis le début du XXe siècle. Ensuite, Anne Dister compare l’intégration du féminin pour quelque 1 700 noms de profession (comme ambassadrice et youtubeuse) dans le Petit Robert et le Petit Larousse. De plus, l’auteure présente des termes qui exemplifient l’argumentaire des opposants à la féminisation, comme mairesse, qui pourrait désigner tantôt l’épouse du maire, tantôt la dame occupant une fonction analogue à celle du maire.

8Ces contributions sont complétées par trois articles orientés vers des faits lexicaux qui mettent à contribution une documentation issue non plus uniquement, cette fois, de dictionnaires ou d’ouvrages de référence analogues, mais aussi de corpus de langue (généralement orale) et d’enquêtes ponctuelles menées auprès de locuteurs-témoins. En premier lieu, Cristina Petraş observe une série de verbes en français acadien qui intègrent, dans leur signifiant, la forme re-/ré-/r, comme dans rouvrir et ressembler. L’auteure s’attarde au constant va-et-vient entre sens compositionnel et sens non compositionnel dans son rapport avec la problématique de la lexicalisation. En deuxième lieu, Inka Wissner dégage les aires géographiques d’utilisation du marqueur déictique et conclut que celui-ci appartient au français en général (il n’est pas propre à telle ou telle région), contrairement à ce qui a parfois été avancé ailleurs pour certains de ses emplois. Une différenciation se dessine toutefois pour quelques acceptions ciblées de du point de vue fréquentiel, dans la mesure où celles-ci seraient davantage courantes dans certaines variétés de français parlées hors de l’Europe. En troisième lieu, Sophie Collonval explore la problématique de la gestion linguistique au sein de l’entreprise postale Bpost en Belgique dans le contexte d’une anglicisation en cours depuis 2010. Elle pose que le choix de l’anglais et son usage répandu par certains travailleurs résulte de bénéfices à la fois pratiques (par exemple en réduisant les coûts de traduction et en ouvrant des perspectives sur le marché international) et symboliques (en projetant notamment une image de cohésion au sein de l’entreprise).

9La deuxième partie du volume regroupe cinq textes articulés autour de la thématique « variation et changement grammatical ». Le premier article, signé par Henri-José Deulofeu, examine les cas où deux structures syntaxiques différentes sont intuitivement perçues comme étant en alternance et comme représentant deux façons différentes d’exprimer une même idée. À titre indicatif, cela se produit avec certains emplois de être et avoir, comme dans je suis arrivée la première / j’ai arrivé la première. L’auteur rappelle d’abord l’hypothèse retenue par le Groupe Aixois de recherche en Syntaxe : en accord avec la position saussurienne du signe linguistique, les deux constructions en alternance exprimeraient des sens différents en langue mais pourraient, dans certains contextes, recevoir une même interprétation. L’auteur se tourne ensuite vers les Grammaires de Constructions envisagées comme étant susceptibles d’aider à circonscrire encore plus finement le phénomène de la variation syntaxique grâce à la notion de réseaux de constructions liés par la relation d’héritage.

10De leur côté, Christophe Benzitoun, Paul Cappeau et Gilles Corminboeuf proposent une étude qui se décline en deux volets. Il s’agit de réfléchir dans un premier temps, à la méthodologie sous-tendant, de manière générale, la collecte des données à analyser (par ex. en ce qui concerne leur sélection dans différents corpus, leur hiérarchisation, etc.) ; dans un deuxième temps, l’objectif est de réfléchir à la possibilité d’intégrer, dans les ouvrages de référence, les faits variationnels repérés. Les propositions des auteurs sont illustrées par deux études de cas portant respectivement sur le marqueur justement et sur la construction syntaxique il y a en a (beaucoup) qui dansent.

11Dans leur article, Lotfi Abouda et Marie Skrovec s’attaquent quant à eux à l’alternance entre futur simple et futur périphrastique à partir d’un extrait conséquent de données orales (un million de mots) des corpus ESLO1 et ESLO2 constitués à 40 ans d’intervalle. Grâce à une annotation sémantique fine des formes verbales repérées, L. Abouda et M. Skrovec mettent en relief les facteurs internes (d’ordre sémantique) et externe (reliés à des variables de nature diastratique et diaphasique) sous-tendant la distribution et l’évolution en français hexagonal des deux types de futur examinés.

12Pour sa part, Martin Hummel élabore une typologie des rapports de modification établis par l’adjectif-adverbe postverbal en français. À cette fin, l’accord dit adverbial est abordé à la fois en diachronie et en synchronie et les relations morphosémantiques en jeu sont situées relativement à l’événement désigné par le verbe.

13Enfin, Catherine Schnedecker étudie la locution pronominale tout un chacun et montre que celle-ci n’est pas une simple variante stylistiquement marquée de la locution tout le monde. Après avoir procédé à un classement détaillé des pronoms indéfinis du français, C. Schnedecker situe tout un chacun au sein d’un paradigme bien organisé de pronoms relatifs à l’humain, exprimant la totalité.

14Les dix textes rassemblés ici s’inscrivent dans une mouvance qui place au cœur de ses préoccupations l’étude des manifestations plurielles d’une langue. Ils prolongent, pour la plupart, les discussions entamées lors de la deuxième édition du colloque international DIA du français actuel qui s’est tenu à l’Université de Neuchâtel en novembre 2015.

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Bibliographie

Cahiers de lexicologie, 2015, no 106, coordonné par Gaétane Dostie et Pascale Hadermann, « Diasystème et variation en français actuel : aspects sémantiques ».

Coseriu, Eugenio, 1998, « Le double problème des unités “DIA-S” », Communication et Cognition », coll. Les cahiers DIA : Études sur la diachronie et la variation linguistique, p. 9-16.

Gadet, Françoise (éd.), 2017, Les parlers jeunes dans l’Ile-de-France multiculturelle, Paris : Ophrys.

Journal of French Language Studies (JFLS), 2016, vol. 26, no. 1, coordonné par Gilles Siouffi, Agnès Steuckardt et Chantal Wionet, « Les modalisateurs émergeants en français contemporain ».

Journal of French Language Studies (JFLS), 2017, vol 27, no 1, coordonné par Julien Eychenne et Bernard Laks, « La liaison en français contemporain : normes, usages, acquisitions ».

Langage & Société, 2015, no 154, coordonné par Françoise Gadet et Emmanuelle Guérin, « Parlers ordinaires, parlers jeunes : terrains, données, théorisations ».

Weinreich Uriel, 1954, « Is a Structural Dialectology Possible? », Word, vol. 10, no 2-3, p. 388-400.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gaétane Dostie, Federica Diémoz et Pascale Hadermann, « Présentation : Cadrage sur la variation, le changement lexical et le changement grammatical en français actuel »Revue de Sémantique et Pragmatique, 41-42 | 2017, 7-11.

Référence électronique

Gaétane Dostie, Federica Diémoz et Pascale Hadermann, « Présentation : Cadrage sur la variation, le changement lexical et le changement grammatical en français actuel »Revue de Sémantique et Pragmatique [En ligne], 41-42 | 2017, mis en ligne le 30 juin 2018, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsp/440 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsp.440

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