Navigation – Plan du site

AccueilNuméros344RecensionsHélène Machinal, Posthumains en s...

Recensions

Hélène Machinal, Posthumains en série

Mara Magda Maftei
p. 183-186
Référence(s) :

Hélène Machinal, Posthumains en série, Tours : Presses universitaires François Rabelais, 2020, 389 p. (coll. Sérial)

Texte intégral

1Forte de sa notoriété dans le monde académique pour ces recherches interdisciplinaires sur la figure du posthumain, Hélène Machinal dédie ce nouvel essai aux représentations des sujets transformés par la technoscience dans des séries télévisées post 2000 comme Fringe, Dark Angel, Dolhouse, Continuum, Orphan Black, DarkMatter, The Expanse. La révolution numérique et biotechnologique remet en question la révolution darwinienne et ainsi le concept philosophique de l’Homme. Les séries télé nous proposent de découvrir les futurs possibles de l’Homme alternatif, lors des projections que nous pourrons qualifier de post-apocalyptiques.

2Hélène Machinal construit sa problématique par le truchement de plusieurs questions qui constituent les axes fondamentaux pour la thématique et le corpus choisis. Un mode fictionnel différent est créé par l’approche de plusieurs paramètres comme le personnage, la configuration temporelle et spatiale, la biotechnologisation du corps, la subjectivité numérique de la nouvelle identité. Elle ne néglige pas l’interrogation qui porte sur les enjeux de la dimension réflexive et esthétique des fictions télévisées du posthumain. Chacun de ces questionnements forme les chapitres de son entreprise démonstrative.

3Les figures clés qui peuplent ces récits de la fin du monde sont présentes à chaque fois : le savant fou, une figure émergente au xixe siècle, et le détective du futur, parfois décliné en justicier ou en hacker. Les deux font se confronter un passé qui a disparu (le monde de la spectature) et un futur en devenir lors des récits qui soulignent une forme de paradoxe ou d’impossibilité.

  • 1 Bertrand Gervais et al., Soif de la réalité, Montréal, Nota Bene, 2018.

4Le posthumain, cet « autre » humain, n’est qu’un produit artificiel d’une subjectivité protéiforme liée à des formes d’expériences fluides induites par de nouveaux rapports propres à la culture de l’écran (cf. Bertrand Gervais1 cité par l’auteure).

5Cependant, l’être humain du futur réintroduit, dans le discours philosophique concernant son nouveau statut, l’ancienne dualité âme-corps platonicienne et cartésienne. La question du corps devient ainsi centrale dans certaines séries télévisées contemporaines. Penser le corps d’une manière différente, c’est en même temps repenser son rapport au monde sociopolitique.

6Le désintérêt envers le corps biologique et sa cohabitation avec la technoscience, son remplacement par des machines intelligentes, des robots, des clones, des programmes informatiques, qui acquièrent le statut de personnages, invitent à la redéfinition du biopouvoir. La condition des doubles, des robots, des clones, des sujets totalement désincarnés produit une altération de la subjectivité dite « classique ». Le régime de la subjectivité numérique, qui s’adresse à un sujet totalement libéré du corps physique, impacte aussi l’évolution de la symbolique associée désormais au numérique.

  • 2 Hélène Machinal, Posthumains en série, Tours : Presses universitaires François Rabelais, 2020, p. 2 (...)

7Hélène Machinal insiste sur le fait que la dynamique darwinienne verticale est remplacée dans les récits post-apocalyptiques par le motif du réseau, synonyme de flux permanents et d’horizontalité, mais aussi de contrôle et de surveillance. Les fictions spéculatives du réseau permettent en définitive au nouveau personnage débiologisé de jouir pleinement de sa fluidité et de sa dynamique en progression. Quant à l’esthétique de ces séries télévisées, celle-ci dispose d’une hybridation entre « la formule (épisodique) et le continuum narratif (feuilletonnant) »2. Le dernier chapitre de cet essai explore justement l’évolution des séries postérieures à l’an 2000 ; leur complexité narrative et stylistique induit une nouvelle esthétique, celle de la fragmentation, repérable également par une récurrence des motifs et des symboles. La forme sérielle serait aussi symptomatique d’un nouveau régime d’historicité. Elle relèverait du présentisme, car la fin est toujours repoussée, c’est une fin ouverte, qui repose sur un jeu entre futur diégétique et présent du récepteur.

8Analyser la manière dont ces histoires sans fin sont racontées représente le défi de l’entreprise critique déployée par Hélène Machinal. Le devenir de l’homme n’implique pas seulement un changement ontologique, mais aussi épistémologique. Que cela soit repris par l’imaginaire populaire lors des séries télévisées – qui représentent une forme dominante d’expression – devrait-il plutôt nous inquiéter ou tout simplement nous divertir ? Les séries télévisées font-elles la critique de la société contemporaine ou ne dépassent-elles pas la simple fonction de divertissement du spectateur du xxie siècle ? Quel ancrage donner à de telles représentations ?

9Le posthumain permet de problématiser un monde qui s’annonce différent du nôtre, un monde modifié par la volonté de transcender l’espèce humaine. L’essai de Hélène Machinal apporte une contribution indéniable à l’étude de ce posthumain. Il nous invite à réfléchir à cet au-delà et à interroger les lendemains de notre civilisation par la voie très populaire des séries télévisées.

Haut de page

Notes

1 Bertrand Gervais et al., Soif de la réalité, Montréal, Nota Bene, 2018.

2 Hélène Machinal, Posthumains en série, Tours : Presses universitaires François Rabelais, 2020, p. 285.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Mara Magda Maftei, « Hélène Machinal, Posthumains en série »Revue des sciences humaines, 344 | 2022, 183-186.

Référence électronique

Mara Magda Maftei, « Hélène Machinal, Posthumains en série »Revue des sciences humaines [En ligne], 344 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsh/575 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsh.575

Haut de page

Auteur

Mara Magda Maftei

Professeur à l’Université d’études économiques de Bucarest (Roumanie), chercheuse associée au Collège d’Études Mondiales, FMSH, Paris

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search