Servais Olivier, Des Jésuites chez les Amérindiens ojibwas. Histoire et ethnologie d’une rencontre XVIIe-XXe siècles
Texte intégral
1Ne boudons pas notre plaisir ! Il est bien rare de pouvoir proclamer cela à la lecture d’une thèse de doctorat. Et tout concourt à cette appréciation : la clarté d’exposition, la rigueur de la méthode, la légèreté du style, les portraits savoureux de Jésuites tout autant que des Anishinaabek. Tout lecteur est ainsi invité à plonger dans ce monde disparu mais pas si lointain. L’ethnologue est invité à réviser d’éventuelles considérations sur une “pollution” des cultures indigènes par le “blanc”. L’historien et le missiologue sont invités à réviser certaines opinions d’influences unilatérales du missionnaire sur le “sauvage”. Le théologien est invité à nourrir ses réflexions sur l’inculturation de la foi chrétienne à l’exemple des richesses et limites des rencontres analysées ici par Olivier Servais.
2L’ouvrage est construit en trois parties de proportions inégales. La première est consacrée aux méthodes et à la présentation des contextes. Dans le chapitre 1 (pp. 15-50), l’A. s’attache d’abord à préciser son approche (en la situant dans la ligne de ce que fait Piette dans son ethnographie de l’action). L’épistémologie est claire et permet d’éviter certains malentendus toujours possibles dans ce type d’étude. Les sources sont la grande force de cette recherche. Leur présentation critique est détaillée et informative. La correspondance jésuite (rapports et lettres personnelles) est précieuse. Quant à la mémoire orale (sources anishinaabe), l’A. montre sa disparition. Il a donc utilisé ses séjours sur le terrain pour « mieux comprendre l’univers de sens amérindien […] et jeter un regard d’observateur informé sur les lettres et autres archives ; et pas le regard seul de simple lecteur » (p.40). C’est probablement cette démarche qui donne à la lecture du livre cette impression de justesse et d’équilibre des propos. Les chapitres 2 (pp. 51-89) et 3 (pp. 91-135) situent le contexte, d’une part les missions chez les Anishinaabek avant le xixe siècle, d’autre part une vue globale de la mission jésuite au Haut Canada à l’époque étudiée (1844-1909).
3La deuxième partie constitue le corps principal de la recherche. Un chapitre est consacré à chacune des quatre missions retenues. Celle de Walpole (chap.4, pp. 139-249) est particulièrement intéressante, car ce fut un échec. L’A. caractérise bien l’action des Jésuites et les moyens de résistance des Anishinaabek. La dimension politique d’une mission catholique française en territoire anglican anglais apparaît ici comme incontournable, comme elle le sera dans les autres missions. La mission de Wikwemikong (chap.5, pp. 251-388) présente la particularité d’être très proche de ce qui fut mis en œuvre au Paraguay dans la fameuse réduction des Jésuites. La sédentarisation est un moyen privilégié pour l’évangélisation durable des Indiens. La mission du Sault et de Garden-River (chap.6, pp. 389-508) est une forme mixte alliant la volonté de fixer les Indiens autour de la résidence des missionnaires et la mission itinérante. La mission de Fort-William est d’abord itinérante (chap.7, pp. 509-546). La diversité des situations et des moyens mis en œuvre révèle dès la lecture des sources proposées par l’A. l’immense faculté d’adaptation de ces Jésuites bien souvent livrés à eux-mêmes. Les réactions des Indiens sont, elles, diverses, mais suivant une dominante de “résistance” ou tout du moins d’une recherche de leur intérêt dans cette rencontre.
4La troisième partie est certes la plus courte, mais de notre point de vue la plus originale et la plus utile pour la recherche fondamentale sur les missions. L’A. analyse les changements symboliques et les résistances des Anishinaabek (chap.9, pp. 555-590). Les paragraphes sur la mort et l’au-delà sont particulièrement significatifs et instructifs.
5La conclusion de l’étude est remarquable. L’A. a élaboré une typologie des idéaux-types indiens et jésuites : pour les premiers, traditionaliste versus moderniste et exclusiviste versus dimorphiste ; pour les seconds, idéaliste versus pragmatique et romantique versus doctrinaire. L’A. donne pour chaque type un exemple de chef indien et de Jésuite rencontrés dans l’étude. Un ultime tableau conclusif mérite d’être relevé (p.611) : l’A. y présente une anthropologie anishinaabe diachronique en trois périodes (avant 1820, 1820-1910, après 1910) selon des dimensions psychologique, sociopolitique et cosmologique. Cela permet de visualiser l’évolution de ces dimensions suite au contact avec les Jésuites.
6L’ouvrage est enrichi par de nombreuses cartes et illustrations. Divers tableaux statistiques en renforcent l’intérêt et la pertinence. Un index thématique et onomastique clôture l’ouvrage. La qualité de la réflexion d’Olivier Servais devrait permettre aux chercheurs de dégager des hypothèses pour d’autres contextes spatiotemporels. Il est probable que cette étude fera date dans la recherche sur les missions catholiques, bien sûr en anthropologie, mais aussi en histoire, en théologie et en sciences des religions.
Pour citer cet article
Référence papier
Arnaud Join-Lambert, « Servais Olivier, Des Jésuites chez les Amérindiens ojibwas. Histoire et ethnologie d’une rencontre XVIIe-XXe siècles », Recherches sociologiques et anthropologiques, 39-1 | 2008, 205-206.
Référence électronique
Arnaud Join-Lambert, « Servais Olivier, Des Jésuites chez les Amérindiens ojibwas. Histoire et ethnologie d’une rencontre XVIIe-XXe siècles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 39-1 | 2008, mis en ligne le 03 mars 2011, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/446 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.446
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