Navigation – Plan du site

AccueilNuméros39-1À propos de livresServais Olivier, Des Jésuites che...

À propos de livres

Servais Olivier, Des Jésuites chez les Amérindiens ojibwas. Histoire et ethnologie d’une rencontre XVIIe-XXe siècles

Paris, Karthala, 2005, coll. Mémoire d’Églises, 662p.
Arnaud Join-Lambert
p. 205-206

Texte intégral

1Ne boudons pas notre plaisir ! Il est bien rare de pouvoir proclamer cela à la lecture d’une thèse de doctorat. Et tout concourt à cette appréciation : la clarté d’exposition, la rigueur de la méthode, la légèreté du style, les portraits savoureux de Jésuites tout au­tant que des Anishinaabek. Tout lecteur est ainsi invité à plonger dans ce monde dis­paru mais pas si lointain. L’ethnologue est invité à réviser d’éventuelles considérations sur une “pollution” des cultures indigènes par le “blanc”. L’historien et le missiologue sont invités à réviser certaines opinions d’influences unilatérales du missionnaire sur le “sauvage”. Le théologien est invité à nourrir ses réflexions sur l’inculturation de la foi chrétienne à l’exemple des richesses et limites des rencontres analysées ici par Oli­vier Servais.

2L’ouvrage est construit en trois parties de proportions inégales. La première est con­sacrée aux méthodes et à la présentation des contextes. Dans le chapitre 1 (pp. 15-50), l’A. s’attache d’abord à préciser son approche (en la situant dans la ligne de ce que fait Piette dans son ethnographie de l’action). L’épistémologie est claire et permet d’éviter certains malentendus toujours possibles dans ce type d’étude. Les sources sont la grande force de cette recherche. Leur présentation critique est détaillée et informa­tive. La correspondance jésuite (rapports et lettres personnelles) est précieuse. Quant à la mémoire orale (sources anishinaabe), l’A. montre sa disparition. Il a donc utilisé ses séjours sur le terrain pour « mieux comprendre l’univers de sens amérindien […] et jeter un regard d’observateur informé sur les lettres et autres archives ; et pas le regard seul de simple lecteur » (p.40). C’est probablement cette démarche qui donne à la lec­ture du livre cette impression de justesse et d’équilibre des propos. Les chapitres 2 (pp. 51-89) et 3 (pp. 91-135) situent le contexte, d’une part les missions chez les Anis­hinaabek avant le xixe siècle, d’autre part une vue globale de la mission jésuite au Haut Canada à l’époque étudiée (1844-1909).

3La deuxième partie constitue le corps principal de la recherche. Un chapitre est con­sacré à chacune des quatre missions retenues. Celle de Walpole (chap.4, pp. 139-249) est particulièrement intéressante, car ce fut un échec. L’A. caractérise bien l’action des Jésuites et les moyens de résistance des Anishinaabek. La dimension poli­tique d’une mission catholique française en territoire anglican anglais apparaît ici comme in­contournable, comme elle le sera dans les autres missions. La mission de Wikwemi­kong (chap.5, pp. 251-388) présente la particularité d’être très proche de ce qui fut mis en œuvre au Paraguay dans la fameuse réduction des Jésuites. La sédenta­risation est un moyen privilégié pour l’évangélisation durable des Indiens. La mission du Sault et de Garden-River (chap.6, pp. 389-508) est une forme mixte al­liant la volonté de fixer les Indiens autour de la résidence des missionnaires et la mis­sion itinérante. La mission de Fort-William est d’abord itinérante (chap.7, pp. 509-546). La diversité des situations et des moyens mis en œuvre révèle dès la lecture des sources proposées par l’A. l’im­mense faculté d’adaptation de ces Jésuites bien souvent livrés à eux-mêmes. Les réactions des Indiens sont, elles, diverses, mais suivant une dominante de “résis­tance” ou tout du moins d’une recherche de leur intérêt dans cette rencontre.

4La troisième partie est certes la plus courte, mais de notre point de vue la plus ori­ginale et la plus utile pour la recherche fondamentale sur les missions. L’A. analyse les changements symboliques et les résistances des Anishinaabek (chap.9, pp. 555-590). Les paragraphes sur la mort et l’au-delà sont particulièrement significatifs et instruc­tifs.

5La conclusion de l’étude est remarquable. L’A. a élaboré une typologie des idéaux-types indiens et jésuites : pour les premiers, traditionaliste versus moderniste et exclu­siviste versus dimorphiste ; pour les seconds, idéaliste versus pragmatique et romanti­que versus doctrinaire. L’A. donne pour chaque type un exemple de chef indien et de Jésuite rencontrés dans l’étude. Un ultime tableau conclusif mérite d’être relevé (p.611) : l’A. y présente une anthropologie anishinaabe diachronique en trois périodes (avant 1820, 1820-1910, après 1910) selon des dimensions psychologique, sociopoliti­que et cosmologique. Cela permet de visualiser l’évolution de ces dimensions suite au contact avec les Jésuites.

6L’ouvrage est enrichi par de nombreuses cartes et illustrations. Divers tableaux statistiques en renforcent l’intérêt et la pertinence. Un index thématique et onomasti­que clôture l’ouvrage. La qualité de la réflexion d’Olivier Servais devrait permettre aux chercheurs de dégager des hypothèses pour d’autres contextes spatiotemporels. Il est probable que cette étude fera date dans la recherche sur les missions catholiques, bien sûr en anthropologie, mais aussi en histoire, en théologie et en sciences des reli­gions.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Join-Lambert, « Servais Olivier, Des Jésuites chez les Amérindiens ojibwas. Histoire et ethnologie d’une rencontre XVIIe-XXe siècles »Recherches sociologiques et anthropologiques, 39-1 | 2008, 205-206.

Référence électronique

Arnaud Join-Lambert, « Servais Olivier, Des Jésuites chez les Amérindiens ojibwas. Histoire et ethnologie d’une rencontre XVIIe-XXe siècles »Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 39-1 | 2008, mis en ligne le 03 mars 2011, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/446 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.446

Haut de page

Auteur

Arnaud Join-Lambert

UCL, Unité de pastorale, Centre Vincent-Lebbe

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search