Seca Jean-Marie, Dir., Musiques populaires underground et représentations du politique
Texte intégral
1Mondialisées, urbanisées et massifiées, les sociétés postmodernes veulent comprendre le sens des mutations permanentes qu’elles rencontrent. Dans le contexte anomique du moment, les musiques populaires underground, d’inspiration anglaise et américaine (jazz, punk, rap, techno, metal, rock…), proposent des éléments de réponse et développent un système de représentations questionnant l’action publique. L’ouvrage, coordonné par Jean-Marie Seca et auquel ont collaboré une bonne quinzaine de chercheurs venant de tous horizons, éclaire l’analyse des relations entre ces pratiques émergentes mobilisant les médias et les foules, et les politiques mises en œuvre, le tout en trois parties et quatorze chapitres.
2En ouverture, l’institutionnalisation de ces cultures souterraines dans leur forme contestataire est privilégiée. Cette transcription musicale de la révolte et de la subversion interfère avec le champ politique et apparaît comme un processus de domination sociopsychique (Jean-Marie Seca). Ainsi, les initiatives humanitaires artistiques font référence à des enjeux de pouvoir. Le Charity Rock, porté par Bob Geldof et orienté vers des fins caritatives, utilise la popularité de vedettes nationales ou internationales constituant une acceptation politique du star-system pour défendre des causes qui ne recueillent pas forcément l’attention ou l’unanimité (Yasmine Carlet). De son côté, Gérôme Guibert met l’accent sur l’avènement et l’interaction des formes musicales qualifiées en France d’ « actuelles » ou « non savantes » avec l’action étatique. Si ces esthétiques ont rencontré un écho favorable dans le corps social, l’implication des pouvoirs publics est jugée bénéfique, sans toutefois éviter quelques orientations idéologiques ou approximatives et des critiques. Enfin, à partir d’environnements contrastés (France et Angleterre), Philippe Le Guern et Hugh Dauncey pointent du doigt le problème crucial de l’adéquation entre des lieux adaptés et des expressions peu connues et à faible audience. Les contraintes juridiques liées à leur diffusion (loi sur le bruit et sécurité du public, assimilation au salariat) ne sont pas exemptes d’effets pervers et corsètent le bon fonctionnement des sites intermédiaires (“café-concert”), mettant en cause leur pérennité et générant une culture de la “débrouille”.
3Des études de terrain finement présentées structurent la deuxième partie de l’ouvrage. Reprenant certaines tendances et cherchant à repérer leur imprégnation locale, les auteurs parcourent à grandes enjambées plusieurs ensembles culturels et font escale en Inde, où le rock bengali se redynamise au contact des sonorités occidentales (Stéphane Dorin), en Russie (Anna Zaystseva), en Afrique (Monique Brandily) et en Amérique Latine (Héctor Fernández L’Hoeste). Le voyage se poursuit dans des régions marquées par les brûlures de l’histoire. Les Protests Songs puis le rock, à la fois underground et universel, accompagnent durablement le douloureux conflit vietnamien (Yves Delmas, Charles Gancel). L’utopie meurtrière des Khmers Rouges, à partir de 1975 et les épisodes guerriers qui ont suivi ont plongé le Cambodge dans un état de léthargie culturelle. Pourfendant le conformisme ambiant et rompant avec le « politiquement correct », des alternatives indépendantes et dissidentes émergent dans le pays et de nouvelles formations originales se constituent soutenues par la coopération française (Jean-Philippe Petesch).
4Les relations entre ces mouvances sonores et le fait politique font l’objet d’investigations et d’interprétations. Lionel Pourtau concentre son attention sur l’inévitable trahison des valeurs dans l’univers technoïde. Gildas Lescop montre que l’underground d’extrême droite, protestataire et opportuniste, n’est qu’un vecteur de propagande idéologique et de récupération tous azimuts, quelles que soient les formes utilisées en Italie, en Angleterre ou en France (folk, hard rock, oï !…). En n’adoptant qu’une optique fonctionnaliste, ces productions, dépourvues de créativité, ne fascinent qu’un public limité acquis à leur cause (nationalistes, populistes, néofascistes) et font figure de sous-culture d’une contre-culture déjà marginale. Dans la même veine, les courants “metal” développent une apologie de la provocation, une transgression des interdits sociétaux et une logique subversive, source de puissance, plus qu’une adhésion personnelle aux thèses extrémistes (Alexis Mombelet, Nicolas Walzer). Enfin, dans le genre ambivalent du hip-hop ou du rap, le politique et les institutions peuvent être critiqués et rejetés ou, au contraire, instrumentalisés à des fins stratégiques et cyniques de profit immédiat. Sur la base d’une sociographie de collectifs marseillais, Loïc Lafargue de Grangeneuve identifie l’idéal revendicateur des rappeurs (reconnaissance, dignité, justice sociale…) dans une société démocratique acceptée, où leur engagement politique se veut limité.
5Des index, un excellent glossaire bien nécessaire et une solide bibliographie complètent utilement cet ouvrage publié dans la collection “Proximités Sociologie” dirigée par Gilles Ferréol. Même si la rédaction de certains chapitres méritait plus de clarté dans la présentation du plan, cette contribution, originale, stimulante et de qualité, ravira incontestablement tous les lecteurs en quête d’analyse sociopolitique des musiques populaires.
Pour citer cet article
Référence papier
Régis Malige, « Seca Jean-Marie, Dir., Musiques populaires underground et représentations du politique », Recherches sociologiques et anthropologiques, 39-1 | 2008, 204-205.
Référence électronique
Régis Malige, « Seca Jean-Marie, Dir., Musiques populaires underground et représentations du politique », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 39-1 | 2008, mis en ligne le 03 mars 2011, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/445 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.445
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