Pisani Lelia, Bambini Dogon. Nascere e crescere sull’altopiano di Bandiagara
Texte intégral
1Depuis que Griaule & Cie sont passés par là, la “dogonerie” est devenue une véritable industrie. S’il y a une peuplade africaine surexposée et surinterprétée, ce sont bien les Dogons du Mali. À une certaine époque, disait-on, il y avait deux ethnologues par esquimau. Mais la calotte polaire a au moins préservé les terres boréales du flot incessant des touristes “toubab”, lesquels, en anthropologues amateurs, inondent désormais les falaises du pays Dogon. C’est pourquoi qui veut visiter, ne serait-ce qu’en esprit, ces marginaux mutants de l’africanistique aurait tout intérêt à se procurer un Guide des guides es affaires dogones.
2Or viennent de paraître deux monographies d’une qualité exceptionnelle sur la philosophie et la pratique du monde par les Dogons d’aujourd’hui. Les auteurs, en ethnologues italiens, évitent certains excès de l’école française. Nous avons déjà eu l’occasion de nous appuyer sur la première (P. Coppo, Negociare con il male. Stegoneria e controstregoneria dogon, Torino, Bollati Boringhieri, 2007) pour discourir sur l’anthropologie impliquée. Ici, nous ferons état de la seconde qui traite de tout ce qui tourne autour de la naissance et de la petite enfance dans cette ethnie de fabrication relativement récente – les Dogons n’ayant pas plus d’histoire ou de consistance que les Belges.
3L’A., plus psychologue que sociologue, a non seulement cheminé avec une communauté villageoise pendant 30 ans, mais elle s’est trouvée à l’origine du Centre régional de médecine traditionnelle, un projet de la coopération italienne (on imagine mal son homologue belge s’associant avec des “sorciers” du cru !) établi à Bandiagara. Après avoir campé le contexte socioculturel de manière succincte mais substantielle et dressé le portrait de ses interlocuteurs principaux, L. Pisani procède à un inventaire minutieux des logiques et des langages qui à la fois activent et articulent ces deux lieux clefs pour la survie sociétale que sont la naissance et l’enfance. Grâce aux entretiens qu’elle a eus avec des femmes qui traditionnellement pourtant étaient censées peu parler, grâce aussi à son érudition ethnographique, l’A. nous apprend pas mal de choses sur l’accouchement et les fausses couches, sur la dénomination et l’encadrement des enfants, sur les jumeaux et les confréries extravagantes associées au naître et “être bien” dogon. L’italien des chapitres et des notes (qu’il aurait été peut-être plus indiqué d’inclure dans le corps du texte) me paraît à la portée de ceux qui ne possèdent que les rudiments de la langue.
4Le lecteur potentiel pensera spontanément qu’il s’agit de variations locales sur des phénomènes aussi foncièrement universels que fondamentalement univoques – après tout quel est l’humain qui, en principe, ne naît et ne croît ? Mais, ethnocentrique, notre lecteur habituel risque de penser aussi que certains aspects de cette version africaine des réalités essentiellement biomédicales d’apparemment ambigus versent parfois dans un absurde des plus aberrants. Au Nord, on veut bien accepter que, Dieu sait comment, le sorcier du Sud ait mis le doigt sur des agents actifs, mais comment prendre au sérieux un dosage purement symbolique – 3 pour des garçons, 4 pour des filles – surtout quand le médicament n’est que vaporisé par crachat sur le malade ? Pire encore, pour ne pas parler de l’excision et du recyclage du clitoris comme ingrédient dans une recette magique d’enrichissement illicite, comment, non pas en moraliste scandalisé mais en simple secouriste sensé, approuver la coutume qui veut que le mari d’une femme morte en couches aille forniquer au loin avec une prostituée afin de se libérer de toute contamination létale ?
5Passons sur ces jugements de valeur ou plutôt dévalorisants puisqu’un Dogon pourrait facilement trouver l’équivalent chez nous. Il est plus indiqué d’accepter que des différences plus innocentes en matière de naître et d’être enfant plaident, non pas en faveur des conditionnements purement culturels d’un fond naturel identique, mais pour autant d’enfances incompressibles que de cultures incompatibles. Le fait par exemple que, pour le bébé dogon, il soit constamment fait référence à une altérité ancestrale (il n’y a presque pas de page du livre où il ne soit question des ancêtres) devrait donner à penser à une culture, la nôtre, où le nouveau-né fait figure d’une créature totalement inédite, quand il ne fonctionne pas comme la poupée d’une fille-mère. Quand en outre, décidé à rester au village plutôt que de retourner à la demeure des “morts”, l’enfant dogon (mais est-ce dans ce cas un enfant dans le sens que nous donnons au terme ?) n’est nullement tiraillé ou traumatisé par les multiples personnalités qui l’habitent, pourquoi se précipiter pour le soigner de la “schizophrénie” ?
6C’est dire, et bien que l’A. se soit plutôt contentée d’épaissir empiriquement, se livrant par ci par là à quelques ampliations analogiques, que ce livre inspirera des interpellations interprétatives à qui veut bien se laisser faire par la différence. Je pense à des ethnopsychologues, c’est-à-dire non pas à des psychologues qui s’occupent d’ethnies excentriques en attendant de pouvoir enfin profiter de La Psychologie ut sic et en soi, mais à des psychologues capables d’œuvrer sous un plafond paradigmatique portant sur une pluralité positive d’anthropo-logiques irréductibles. Je pense aussi à des « ethnoanthropologues » (L. Pisani revendique cette appellation contrôlée) de la même envergure, des esprits qui, tout en étant enracinés dans leur propre culture, savent apprécier à sa juste valeur la situation sociohistorique d’autrui – en l’occurrence celle des bambini dogon.
Pour citer cet article
Référence papier
Mike Singleton, « Pisani Lelia, Bambini Dogon. Nascere e crescere sull’altopiano di Bandiagara », Recherches sociologiques et anthropologiques, 39-1 | 2008, 200-201.
Référence électronique
Mike Singleton, « Pisani Lelia, Bambini Dogon. Nascere e crescere sull’altopiano di Bandiagara », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 39-1 | 2008, mis en ligne le 03 mars 2011, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/441 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.441
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